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Annales de pathologie (2013) 33, 410—413 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS ANATOMOCLINIQUE Une rhinosinusite fongique invasive chez un patient immunocompétent Invasive fungal rhinosinusitis in an apparently immunocompetant patient Samah El Naderi a , Clarissa Rodriguez a , Marie Devars Du Mayne b , Cécile Badoual a,a Service d’anatomie pathologique, hôpital européen Georges-Pompidou, 20-40, rue Leblanc, 75015 Paris, France b Service d’oto-rhino-laryngologie, hôpital européen Georges-Pompidou, 20-40, rue Leblanc, 75015 Paris, France Accepté pour publication le 1 er octobre 2013 Disponible sur Internet le 14 novembre 2013 MOTS CLÉS Mycoses ; Sinusites ; Aspergillus ; Immunodépression ; Mycétome Résumé Les rhinosinusites fongiques invasives sont des pathologies dont l’incidence ne cesse d’augmenter, et ceci du fait du nombre croissant des patients immunodéprimés. Nous pré- sentons le cas d’un patient de 73 ans, admis pour être opéré d’un rétrécissement aortique serré. Le bilan préopératoire a révélé une récidive de sa sinusite maxillaire gauche opérée il y a plusieurs années. Le scanner des sinus, réalisé en coupes axiales et coronales, mettait en évidence un sinus maxillaire gauche comblé par une image de densité métallique d’origine den- taire. Le patient a été donc opéré d’une méatotomie avec drainage. L’examen microscopique de la muqueuse sinusienne a mis en évidence des filaments mycéliens septés, et branchés à 45 , infiltrant les lumières vasculaires. Le diagnostic d’aspergillose invasive a été effectué, et le patient a été mis alors sous voriconazole. Le but de cet article est de décrire une forme inva- sive chronique de rhinosinusite fongique chez un patient immunocompétent, et d’exposer les différentes formes de rhinosinusites fongiques invasives. Le diagnostic d’une forme invasive de rhinosinusite fongique doit être particulièrement suspecté chez les patients immunodéprimés, mais également chez des patients immunocompétents. Un traitement médicochirurgical adé- quat doit être instauré rapidement, compte tenu du pronostic qui pourrait être assez sévère, surtout dans les formes aiguës et fulminantes. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Mycosis; Sinusitis; Aspergillus; Summary The incidence of invasive fungal rhinosinusitis is constantly increasing, due to the growing number of immunocompromised patients. We report the case of a 73-year-old patient with a severe aortic stenosis whose preoperative evaluation revealed a recurrence of a left maxillary sinusitis operated many years ago. The patient underwent meatotomy and drainage. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Badoual). 0242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.001

Une rhinosinusite fongique invasive chez un patient immunocompétent

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Page 1: Une rhinosinusite fongique invasive chez un patient immunocompétent

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nnales de pathologie (2013) 33, 410—413

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

AS ANATOMOCLINIQUE

ne rhinosinusite fongique invasive chez unatient immunocompétent

nvasive fungal rhinosinusitis in an apparently immunocompetantatient

Samah El Naderi a, Clarissa Rodrigueza,Marie Devars Du Mayneb, Cécile Badouala,∗

a Service d’anatomie pathologique, hôpital européen Georges-Pompidou, 20-40, rue Leblanc,75015 Paris, Franceb Service d’oto-rhino-laryngologie, hôpital européen Georges-Pompidou, 20-40, rue Leblanc,75015 Paris, France

Accepté pour publication le 1er octobre 2013

Disponible sur Internet le 14 novembre 2013

MOTS CLÉSMycoses ;Sinusites ;Aspergillus ;Immunodépression ;Mycétome

Résumé Les rhinosinusites fongiques invasives sont des pathologies dont l’incidence ne cessed’augmenter, et ceci du fait du nombre croissant des patients immunodéprimés. Nous pré-sentons le cas d’un patient de 73 ans, admis pour être opéré d’un rétrécissement aortiqueserré. Le bilan préopératoire a révélé une récidive de sa sinusite maxillaire gauche opérée ily a plusieurs années. Le scanner des sinus, réalisé en coupes axiales et coronales, mettait enévidence un sinus maxillaire gauche comblé par une image de densité métallique d’origine den-taire. Le patient a été donc opéré d’une méatotomie avec drainage. L’examen microscopiquede la muqueuse sinusienne a mis en évidence des filaments mycéliens septés, et branchés à45◦, infiltrant les lumières vasculaires. Le diagnostic d’aspergillose invasive a été effectué, etle patient a été mis alors sous voriconazole. Le but de cet article est de décrire une forme inva-sive chronique de rhinosinusite fongique chez un patient immunocompétent, et d’exposer lesdifférentes formes de rhinosinusites fongiques invasives. Le diagnostic d’une forme invasive derhinosinusite fongique doit être particulièrement suspecté chez les patients immunodéprimés,mais également chez des patients immunocompétents. Un traitement médicochirurgical adé-quat doit être instauré rapidement, compte tenu du pronostic qui pourrait être assez sévère,surtout dans les formes aiguës et fulminantes.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSMycosis;Sinusitis;Aspergillus;

Summary The incidence of invasive fungal rhinosinusitis is constantly increasing, due to thegrowing number of immunocompromised patients. We report the case of a 73-year-old patientwith a severe aortic stenosis whose preoperative evaluation revealed a recurrence of a leftmaxillary sinusitis operated many years ago. The patient underwent meatotomy and drainage.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Badoual).

242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.001

Page 2: Une rhinosinusite fongique invasive chez un patient immunocompétent

the sbloos treafungaormsshount pacute

. All

Rhinosinusite fongique invasive

Immunosuppression;Mycetoma

Pathologic examination offungal hyphae invading theblished and the patient wainvasive chronic form of aand exposes the different fform of fungal rhinusinusitisbut also in immunocompetegiven the bad prognosis of a© 2013 Elsevier Masson SAS

Introduction

La population à risque de développer des mycoses inva-sives en ORL ne cesse d’augmenter, du fait de l’utilisationcroissante des thérapies immunodépressives. Ces infec-tions doivent être rapidement évoquées et diagnostiquées

afin d’éviter des complications graves et parfois mortelles,notamment dans les formes aiguës ou fulminantes [1].

Cas clinique

Nous rapportons l’observation d’un homme de 73 ans, admispour un pontage coronarien et un remplacement valvulaireaortique, indiqué pour rétrécissement aortique serré. Dansses antécédents, on retrouve une éthmoïdectomie gauche ily a 8 ans, pour une pansinusite due à une truffe aspergillaire.Le scanner des sinus effectué en préopératoire, a montréun sinus maxillaire gauche comblé par une image de den-sité métallique d’origine dentaire, entouré d’une réactionosseuse, faisant suspecter une greffe fongique. L’indicationde méatotomie avec drainage de ce foyer infectieux a étéposée. La muqueuse était polyploïde et le sinus était combléde sécrétions purulentes. L’examen anatomopathologiquedu matériel adressé montrait des fragments de muqueuserespiratoire, siège d’un infiltrat inflammatoire polymorphe,associé à une fibrose. La réalisation de multiples niveauxde coupes, a révélé la présence de filaments aspergillaires,incrustés au sein des parois vasculaires (Fig. 1 et 2). Il n’a pasété vu de nécrose, ni de réaction granulomateuse. Devant

Figure 1. Filaments mycéliens au sein des lumières vasculaires(HES ×400).Fungal hyphae invading the blood vessels (HE ×400).

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inus mucosa revealed the presence of septate and branchedd vessels. The diagnosis of invasive aspergillosis was thus esta-ted by oral voriconazole. Our report describes the case of anl rhinosinusitis occurring in an immunocompromised patient,of invasive fungal rhinosinusitis. The diagnosis of an invasiveld be suspected in immunocompromised patients in particular,tients. The appropriate treatment should be promptly set up,and fulminant cases.

rights reserved.

ces aspects histopathologiques, dans le cadre d’un tableaud’installation insidieuse, le diagnostic d’une rhinosinusitefongique chronique invasive a été posé. L’examen direct enmycologie a confirmé la présence de filaments mycéliens,mais la culture était stérile. Le bilan d’extension effectuépar TDM thoraco-abdomino-pelvien était négatif. Un trai-

tement par voriconazole par voie orale a été introduit pourune durée de 6 semaines. Après un recul de deux ans, aucunerécidive n’a été observée.

Discussion

Critères diagnostiques

Les critères diagnostiques des rhinosinusites fongiquesinvasives (RSFI) sont à la fois radiologiques et histopatho-logiques. À la présence d’images d’épaississement muqueuxou de niveaux hydro-aériques compatibles avec une sinusiteen imagerie, doit s’associer une confirmation histologiquedu caractère infiltrant des filaments mycéliens. Ces der-niers doivent être mis en évidence dans la muqueuse ou lasous-muqueuse sinusienne, dans les vaisseaux sanguins, ouéventuellement dans le tissu osseux [2,3].

Présentation clinique

Le facteur de risque essentiel des RSFI estl’immunosuppression, qu’elle soit acquise ou iatro-gène. Ceci dit, les patients immunocompétents ne sontpas à l’abri de développer ce type d’infections invasives

Figure 2. Filaments mycéliens infiltrant une paroi vasculaire(Grocott ×400).Fungal hyphae invading the vascular wall (Grocott ×400).

Page 3: Une rhinosinusite fongique invasive chez un patient immunocompétent

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rmesinosi

RSgr

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lisée aux sinus para-nasaux, au nez, à l’orbite, ou à la joue.Une exophtalmie y est souvent associée. Microscopique-ment, elle se caractérise par une réaction granulomateuseau contact de filaments mycéliens, peu nombreux.

Rhinosinusite fongique invasive chroniqueC’est un processus destructif lent, qui affecte surtout lesinus paranasal, éthmoïdal, ou sphénoïdal. Cliniquement,il s’agit d’une longue histoire de RSF survenant dans uncontexte de sida, de diabète, ou de corticothérapie au longcours [6]. De discrètes images d’invasion vasculaire sontretrouvées à l’examen microscopique.

Traitement et pronostic

La prise en charge thérapeutique repose sur une exérèsechirurgicale afin d’éliminer tous les tissus nécrotiques. Letraitement par antifongiques doit être débuté aussitôt aprèsla mise en évidence d’une invasion tissulaire, et ce sansattendre le résultat des cultures. L’amphotéricine B est

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Tableau 1 Aspects histopathologiques des différentes foHistopathological aspects of different forms of invasive fungal rh

RSF invasives aiguës

Aspect histopathologique Invasion vasculairemarquéeVasculite, thrombose,hémorragie, nécroseInfiltrat neutrophilique

Germe isolé AspergillusMucorales (Rhizopus,Rhizomucor)

RSF : rhinosinusites fongiques.

3,4]. La présentation clinique est variable en fonctionu degré d’immunosuppression. Elle peut se résumer parne simple obstruction nasale, associée à un écoulementuco-purulent chez des patients immunocompétents. Dans

es cas extrêmes, il peut s’agir d’un syndrome de masse,ne exophtalmie, et même une érosion osseuse [5].

lassification

ce jour, la classification la plus largement acceptée auravers de plusieurs publications scinde les rhinosinusitesongiques (RSF) en formes invasives, et non invasives en seasant sur des critères histopathologiques [6,7]. Les RSF nonnvasives, englobent 3 entités : la colonisation superficielleaprophytique, la truffe fongique, et les rhinosinusites fon-iques allergiques [6]. Cependant, cette classification estoin d’être consensuelle [6,8]. De Shazo a classé les RSFIn 3 catégories : aiguës (fulminantes), granulomateuses, ethroniques [5,6]. Cette distinction entre les formes chro-iques et granulomateuses n’est pas non plus au-delà de laontroverse [6,8].

ormes clinico-pathologiques

hinosinusite fongique invasive aiguë (fulminante)ette forme se caractérise cliniquement par un tableau’installation rapide, en moins de 4 semaines, chez desatients le plus souvent immunodéprimés, et plus occa-ionnellement chez des immunocompétents (Tableau 1). Lesgents pathogènes responsables de cette forme sont parrdre de fréquence, l’Aspergillus, et les mucorales. Ceserniers se distinguent en histologie par le fait que leslaments sont larges, irréguliers, et non septés, avec desranchements à angle droit. À l’examen microscopique,’invasion vasculaire est marquée, pouvant même intéres-er les artères carotidiennes, et les sinus caverneux [3,5,6]Fig. 3).

hinosinusite fongique invasive granulomateusea forme granulomateuse se distingue par une distributionéographique particulière puisqu’elle est décrite surtoutn Inde, au Pakistan, et au Soudan. C’est un tableauui s’installe progressivement, sur une durée supérieure àmois [6]. Cette forme se présente typiquement chez desatients immunocompétents, sous forme d’une masse loca-

rpdu

F×A

S. El Naderi et al.

de rhinosinusites fongiques invasives.nusitis.

F invasivesanulomateuses

RSF invasives chroniques

actionanulomateusebrose variable

Invasion vasculaire discrèteInfiltrat inflammatoirediscret à modéréCellules géantesoccasionnellesPhénomène deSplendore-Hoeplli

laments peuondantsspergillus flavus)

Nombreux filamentsPresque exclusivement(Aspergillus fumigatus)

ecommandé dans le cas où une infection par Mucor n’estas éliminée. Le voriconazole est le traitement de choixes sinusites aspergillaires invasives [3,5]. Afin d’obtenirn succès thérapeutique et éviter d’éventuelles récidives,

igure 3. Rhinosinusite fongique aiguë aspergillaire (Grocott200).cute fungal rhinosinusitis (Grocott ×200).

Page 4: Une rhinosinusite fongique invasive chez un patient immunocompétent

Rhinosinusite fongique invasive

une élimination des différents facteurs de risque s’impose[5]. Le pronostic est lié à la rapidité du diagnostic etde l’instauration du traitement, et au rétablissement del’immunité [4,7]. Dans les formes aiguës, le pronostic estparticulièrement sombre, avec un taux de mortalité évaluéau mieux à 50 % [3].

Cette observation est intéressante par le fait qu’elle rap-porte le cas d’une RSFI chronique survenant 8 ans après unantécédent de truffe fongique, chez un patient sans fac-teur de risque d’immunosuppression évident. En France, cesformes invasives sont rares chez les patients immunocompé-tents [4]. Dans une revue de la littérature, Clancy et Nguyenont rapporté sur une période de 11 ans, 29 cas d’aspergillosesinusienne invasive se manifestant chez des patients immu-nocompétents [9].

La truffe fongique peut rarement devenir invasive, etceci après une immunosuppression sévère, comme unetransplantation rénale [5,6,10]. Cette possibilité de progres-sion vers une pathologie invasive, a été également suggéréechez des patients immunocompétents, mais n’est pas biendocumentée.

Conclusion

Les RSFI sont des pathologies de plus en plus fréquentes,qu’il faut savoir suspecter rapidement, en particulier chezdes patients immunodéprimés, mais aussi chez des patientsimmunocompétents. Leur classification actuelle est toujourscontroversée. Le traitement est médicochirurgical, et lepronostic est sévère surtout dans les formes aiguës.

[

413

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

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