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1 UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER Faculté de droit et science politique UMR 5815 Dynamiques du droit CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE MEMOIRE Présenté par Florent ANDREA Sous la direction de Malo DEPINCE – 2015 – Master 2 Droit Economique, parcours Consommation et Concurrence (MC2) L’ACTION DE GROUPE ET LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

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UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER

Faculté de droit et science politique

UMR 5815 Dynamiques du droit

CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE

MEMOIRE

Présenté par Florent ANDREA

Sous la direction de Malo DEPINCE

– 2015 –

Master 2 Droit Economique, parcours Consommation et Concurrence

(MC2)

L’ACTION DE GROUPE ET LES PRATIQUES

ANTICONCURRENTIELLES

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L’action de groupe et les pratiques

anticoncurrentielles

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« Il n’y avait plus alors

de destins individuels, mais

une histoire collective … »

Albert Camus, La peste

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REMERCIEMENTS

Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à Monsieur Malo Depincé,

maitre de conférences à la Faculté de droit de Montpellier et directeur du Master

II droit de la Consommation et de la Concurrence pour m’avoir offert

l’opportunité de suivre ce parcours.

Je tiens aussi à remercier Monsieur Malo Depincé pour avoir accepté de diriger

ce mémoire, m’avoir constamment accordé du temps que ce soit pour mon

mémoire ou concernant la recherche de mon stage qui fut périlleuse.

Je tiens également à remercier le Professeur Daniel Mainguy, Professeur à la

faculté de droit de Montpellier et Directeur du Master II droit privé économique

pour l’ensemble des enseignements dispensés au cours de l’année universitaire

2014/2015.

Je tiens également à remercier Monsieur ZAMBRANO pour avoir mis à ma

disposition sa thèse intitulée « L’inefficacité de l’action civile en réparation des

infractions au droit de la concurrence » et pour ses enseignements en droit de la

concurrence.

Enfin je remercie l’ensemble des membres de l’équipe pédagogique du Master II

Consommation et Concurrence et du Master II Droit privé économique pour les

enseignements dispensés et les interventions enrichissantes ayant eu lieu dans le

cadre de cette formation.

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LISTE DES ABREVIATIONS

act. Actualité

ADEIC Association de défense, d'éducation et d'information

du consommateur

aff. Affaire

AFOC Association Force Ouvrière Consommateurs

Aut. de la conc. Autorité de la concurrence

ALLDC Association Léo Lagrange pour la Défense des

Consommateurs

Bull. civ. Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de

cassation

c/ Contre

C.conso Code de la consommation

C.Civ Code civil

CEE Communauté économique européenne

CGL Confédération Générale du Logement

Civ. Arrêt d’une Chambre civile de la Cour de cassation

CJCE Cour de justice des Communautés européennes

CJUE Cour de justice de l’Union européenne

CLCV Confédération de la Consommation, du Logement et

du Cadre de Vie

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7

CNAFAL Conseil National des Associations Familiales Laïques

CNAFC Confédération Nationale des Associations Familiales

Catholiques

coll. Collection

Comm. CE Commission des communautés européennes

Comm. eur. Commission européenne

comm. Commentaire

CNL Confédération Nationale du Logement

Cons. Conc. Décision du Conseil de la concurrence

Cons. de l’Union eur. Conseil de l’Union européenne

CSF Confédération Syndicale des Familles

D. Recueil Dalloz

Déc. Décision

Dir. Directive

éd. Edition

FF Familles de France

FR Familles Rurales

FNAUT Fédération Nationale des Associations d'Usagers des

Transports

Ibid. Ibidem, au même endroit

INDECOSA-CGT Association pour l'Information et la Défense des

Consommateurs

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8

Infra Plus bas

JO Journal officiel

JOCE Journal officiel des Communautés européennes

JORF Journal officiel de la République française

p. et pp. Page et pages

P.U.F. Presses Universitaires de France

Rec. Recueil

Supra Plus haut

TGI Tribunal de grande instance

TI Tribunal d’instance

TPICE Tribunal de première instance des Communautés

Européennes

UE Union européenne

UFC - Que Choisir Union Fédérale des Consommateurs

UNAF Union Nationale des Associations Familiales

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SOMMAIRE

« L’action de groupe et les pratiques

anticoncurrentielles »

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE – LES OBSTACLES PROCEDURAUX DE

L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES

ANTICONCURRENTIELLES

TITRE I - L’APPROPRIATION PROGRESSIVE DE L’ACTION DE

GROUPE PAR LES INSTITUTIONS

Chapitre 1 : La découverte de l’action de groupe en matière de

concurrence par le juge

Chapitre 2 : Le nouveau filtre, les associations de consommateurs

TITRE II – LE FAIBLE ENJEU PECUNIAIRE A L’EPREUVE DU

TEMPS

Chapitre 1 : Le temps de l’instance

Chapitre 2 : La réparation de préjudices minimes

SECONDE PARTIE – LES DIFFICULTES DE FOND DE L’ACTION DE

GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

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TITRE I - L’ECLUSE DE LA DETERMINATION DU PREJUDICE

INDEMNISABLE

Chapitre 1 : L’inhérente difficulté à quantifier la part du préjudice

imputable à la pratique concurrentielle

Chapitre 2 : L’asymétrie probatoire consubstantielle aux conflits

concurrentiels

TITRE II – LA DIFFICILE CONCILIATION DE L’ACTION DE

GROUPE AVEC LES INSTRUMENTS D’ACTIONS DU DROIT DE

LA CONCURRENCE

Chapitre 1 : La remise en cause de l’efficacité des procédures de

coopération

Chapitre 2 : La faveur accordée aux modes alternatifs de règlement des

conflits

CONCLUSION GENERALE

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INTRODUCTION

1. La loi dite « Hamon », ou loi n°2014 – 344 relative à la consommation a été

promulguée le 17 Mars 2014 et a été publié au Journal Officiel de la République

Française du 18 mars 2014.

2. La mesure principale de cette loi est l’instauration, en droit français, d’une

action de groupe. Cette action de groupe, véritable arlésienne du droit français, se

distingue des autres actions de groupe préexistantes et notamment des actions de

groupe anglo – saxonne.

Cette procédure est en vigueur depuis le 1er

octobre 2014, date de publication du

décret ayant fixé les modalités d’introduction de l’action1.

Mesure phare de la loi Hamon, l’action de groupe est introduite dans notre code

de la consommation aux articles L.423 – 1 et suivants.

Ce dispositif a entièrement été validé par le Conseil constitutionnel2 et s’inscrit

dans un mouvement mené au niveau européen en faveur de ce type d’actions3.

3. L’action de groupe, dans sa conception générale, est une action visant à la

réparation d’un préjudice collectif subi par les consommateurs du fait de

l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’obligations contractuelles de la part

du même professionnel, à l’occasion d’un même type de contrat relatif à une

vente de produits ou une prestation de service4.

L’objectif de celle – ci est donc de faciliter l’action du consommateur victime

d’un préjudice personnel peu élevé, qui hésiterait pour ce motif à demander

réparation.

1 Décret no 2014-1081 relatif à l’action de groupe en matière de consommation, 24 sept. 2014.

2 Décision n° 2014-690 DC, 13 mars 2014

3 communication de la Commission Vers un cadre horizontal européen pour les recours

collectifs et proposition de directive du Parlement et du Conseil relative à certaines règles

régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux

dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne, en date du

11 juin 2013, ayant fait l’objet d’un compromis le 26 mars 2014. 4 Lexique des termes juridiques, 18

e éd., 2011

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4. Cette action de groupe, dans un premier temps, a un champ d’application

restreint pour le moment : le domaine de la consommation et celui de la

concurrence.

Dans cette argumentation, ne sera développée que l’action de groupe en matière

de concurrence même si elle partage des similitudes avec l’action de groupe en

matière de consommation.

Il faut d’ores et déjà signaler que depuis la promulgation de cette procédure

collective : des projets de loi tentent d’étendre le domaine d’application au

domaine de la santé, de l’environnement et au domaine des discriminations

raciales.

5. Dans son aspect concurrentiel, ce mécanisme collectif doit permettre à au

moins deux consommateurs, placés dans une situation similaire ou identique

d’obtenir, dans le cadre d’un seul et même procès, la réparation des préjudices

individuels ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes

professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles lorsque ces préjudices

résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du droit interne ou du droit de

l’Union Européenne.

Il faut entendre par pratiques anticoncurrentielles tous « les manquements

reprochés au professionnel portent sur le respect des règles définies au titre II du

livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le

fonctionnement de l'Union européenne »5. Seront donc concernés principalement

certaines ententes horizontales portant sur des biens de grande consommation, les

ententes verticales visant à augmenter artificiellement le prix de détail et les abus

de position dominante.

6. Les bénéficiaires de l’action de groupe sont les consommateurs uniquement.

Ceux – ci sont désormais définis comme « toute personne physique qui agit à des

fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle,

artisanale ou libérale »6 ; sont donc exclus de ce dispositif les personnes morales

telles que les petites et moyennes entreprises.

7. Autre caractéristique importante de l’action de groupe, s’opposant nettement

au mécanisme de class action américain, l’action de groupe ne bénéficiera

5 Art L.423 – 17, C.conso.

6 Art prélim., C.conso.

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qu’aux seuls consommateurs qui auront manifesté leur volonté d’y participer. Le

mécanisme de l’opt – in a été favorisé, il conditionne la jonction par un

consommateur à l’action de groupe à une manifestation de volonté de ce dernier.

8. L’action de groupe sera introduite par une des quinze associations de

consommateurs représentatives au niveau national et agréées ; celles – ci

détiennent le monopole de l’initiative7.

Après l’introduction de cette nouvelle action, la procédure se déroulera en trois

phases.

9. La première est le jugement sur la responsabilité du ou des professionnels.

Ainsi, le juge devra, au vu des cas individuels présentés par l’association

requérante, statuer sur la responsabilité du professionnel.

En matière de pratiques anticoncurrentielles, une condition supplémentaire est

requise : la responsabilité du professionnel ne pourra être prononcée que sur le

fondement d’une « décision prononcée à l’encontre du professionnel par les

autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne compétentes, qui

constate les manquements et qui n’est plus susceptible de recours pour la partie

relative à l’établissement des manquements »8. Cette décision ne devra plus être

« susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des

manquements ».

Le législateur a donc fait le choix de la formule dite du « follow – on » ou de

l’action consécutive consistant en la nécessité d’une décision de l’autorité

publique avant que les consommateurs ne puissent engager une action civile.

10. Ensuite, le juge devra définir le groupe de consommateurs concernés avant de

déterminer les préjudices susceptibles d’être réparés pour chaque consommateur

ou chacune des catégories de consommateurs composant le groupe.

11. Le juge devra ordonner les mesures de publicité de la décision afin de

permettre aux consommateurs de se joindre à l’action à des fins d’indemnisation.

En matière de pratiques anticoncurrentielles, par dérogation au dispositif en droit

de la consommation qui nécessite une décision qui ne soit plus susceptible de

recours et de pourvoir en cassation, le juge pourra ordonner l’exécution

provisoire des mesures d’information9.

7 Art L.423 – 1, C.conso.

8 Art L.423-17, C.conso.

9 Art L.423 – 19, C. conso.

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Les consommateurs auront un certain délai, fixé par le juge, pour adhérer au

groupe. Ce délai sera de deux à six mois après l’achèvement des mesures de

publicité.

Et enfin, le juge indiquera au professionnel les modalités d’indemnisation des

consommateurs.

12. La deuxième phase est la phase d’adhésion au groupe et de l’indemnisation.

C’est une phase non – contentieuse dans laquelle les victimes de la pratique

anticoncurrentielle décident d’adhérer ou de ne pas adhérer au groupe une fois

informées du jugement sur la responsabilité.

L’adhésion au groupe s’effectue selon les modalités décidées par le juge et vaut

mandat aux fins d’indemnisation au profit de l’association requérante. La

conséquence immédiate de cette adhésion est que le jugement sur la

responsabilité du professionnel revêt l’autorité de la chose jugée pour chacun des

membres ayant opté10

.

13. Enfin, la dernière phase est une éventuelle phase destiné à régler les conflits

nés des difficultés d’exécution du jugement par le professionnel11

.

14. Cette procédure de l’action de groupe en matière de concurrence semble donc

en tout point satisfaisante. D’une part, elle permettra une meilleure indemnisation

des victimes de ces pratiques illicites, donc l’idée d’une meilleure justice.

D’autre part, le droit de la concurrence, jusqu’ici cantonné à l’action publique,

sera complété par un volet privé. Ceci permettra une meilleure application du

droit de la concurrence tant au niveau national qu’au niveau européen … .

15. Une grande vague d’enthousiasme déferlait alors sur l’opinion publique

française. Mais après quelques mois d’expérience de l’action de groupe en

matière de concurrence et aucune application, il convient de se demander si ce

nouvel outil juridique revêtira l’habit du sauveur qu’on a bien voulu lui prêter

lors de sa promulgation.

Force est de constater que l’idée d’une action de groupe permettant une meilleure

efficience des droits nationaux et européens ne souffrent d’aucune critique.

Cependant, pour que cette efficience soit réelle et ne reste pas théorique, il est

nécessaire que l’action de groupe en matière de concurrence remporte un franc

succès.

10

Art L.423-21, C.conso. 11

Art L423-12, Art L423-13 et Art L.423-14 C.conso.

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16. Dès lors, il convient de s’interroger sur le fossé qui pourrait exister entre

cette idée de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles,

très séduisante, et une pratique qui risque de se heurter à de nombreux

obstacles. Cela revient à se demander si l’action de groupe à la française en

matière de concurrence est adaptée à ses objectifs initiaux ?

Il apparait que de multiples obstacles se dresseront entre les consommateurs et ce

nouveau mécanisme de recours collectif qui risquent de retarder son succès.

Deux types d’obstacles peuvent être relevés.

17. D’une part, il convient de se pencher sur les obstacles procéduraux de

l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles (Partie I) avant de

s’attarder sur les difficultés de fond de l’action de groupe en matière de pratiques

anticoncurrentielles (Partie II).

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PREMIERE PARTIE : LES OBSTACLES PROCEDURAUX DE

L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES

ANTICONCURRENTIELLES

18. Le succès de l’action de groupe en général et plus particulièrement en droit

de la concurrence dépendra de multiples facteurs. Parmi ceux – ci, il y a des

facteurs procéduraux.

Ces derniers ne seront pas secondaires car ils sont susceptibles d’exercer une

forte influence sur l’appréhension qu’auront les consommateurs et les

associations à utiliser cet outil juridique.

La procédure, souvent sous – estimée par rapport au fond du litige en question,

va jouer un rôle primaire dans ces actions vouées à indemniser les petits

préjudices des consommateurs.

19. Principalement, deux facteurs procéduraux risqueront de retarder le succès de

l’action de groupe et obligeront peut – être le législateur à intervenir rapidement

afin de corriger certains éléments de procédure.

20. Il convient donc de s’attarder sur deux phénomènes que devront résoudre les

intervenants à cette action et le législateur par la suite : l’appropriation

progressive de l’action de groupe par les institutions (Titre I) et le faible enjeu

pécuniaire à l’épreuve du temps (Titre II).

TITRE I : L’APPROPRIATION PROGRESSIVE DE L’ACTION DE GROUPE

PAR LES INSTITUTIONS

21. Les institutions ici doivent s’entendre comme ce terme générique

d’institutions – organes qui sont des organismes dont le statut et le

fonctionnement sont régis par le droit.

Les institutions désignent, dans cette hypothèse, deux entités primordiales dans le

succès de l’action de groupe en droit de la concurrence : le juge et les

associations.

22. Ces deux entités interviendront en amont de l’action collective, pendant

l’action et en aval. C’est ce qui les rend si importantes, a fortiori, dans les

« premières heures » de l’action de groupe.

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23. Une des problématiques majeures est : comment vont se comporter les juges

et les associations de consommateurs à l’égard de l’action de groupe ?

24. L’opinion publique semble acquise à cette formule de l’action de groupe,

mais il sera intéressant d’analyser la découverte progressive de l’action de groupe

en matière de concurrence par le juge (Chapitre 1) et surtout comment les

associations de consommateurs, ce nouveau filtre (Chapitre 2) va utiliser cette

nouvelle « arme » mise à sa disposition.

Chapitre 1 : La découverte de l’action de groupe en matière de concurrence par le

juge

25. La découverte de l’action de groupe en matière de concurrence par le juge

recouvre deux aspects qui seront essentiels.

D’une part, le magistrat du Tribunal de grande instance sera le juge de la

recevabilité des actions de groupe et pourra en conséquence la concevoir

strictement (Section I). D’autre part, le législateur a fait le choix politique de

confier le contentieux des actions de groupe en matière de concurrence à tous les

Tribunaux de grande instance de France métropolitaine et d’outre – mer, le choix

de la non – spécialisation des tribunaux compétents (Section 2).

Section I : la conception stricte de la recevabilité des actions de groupe

26. Il convient alors de s’attarder sur les exemples nord – américains du Québec

et des Etats – Unis (Paragraphe 1) avant de se pencher sur les possibilités qu’a le

juge français de restreindre l’accès à l’action de groupe (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : les exemples nord - américains

Les exemples du recours collectif québécois et de la class action américaine sont

significatifs pour appréhender le pouvoir du juge sur cette procédure novatrice.

I) Le Québec

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27. Le Québec est souvent cité comme précurseur de l’action de groupe, qui chez

eux se nomme le recours collectif. Ce recours collectif a été adopté le 8 juin 1978

et est entré en vigueur le 19 janvier 1979.

Bien que précurseur, le recours collectif n’a pas tout de suite été appréhendé par

les juges québécois comme un recours indispensable à la protection des

consommateurs.

28. Ainsi, la procédure québécoise du recours collectif a connu deux importantes

vagues d’interprétation judiciaire.

La première, dès ses tout début jusqu’aux années 1990, année où la Cour d’appel

a rendu trois jugements décisifs. Cette période fut caractérisée par une attitude de

méfiance et une interprétation extrêmement conservatrice et restrictive de la

procédure, qui montrait que les juges n’étaient peut – être pas prêts à la

comprendre et à la recevoir. Le formalisme judiciaire fut porté à son comble. Les

juges québécois, qui ont été formés à une école individualiste du droit, ont été

gênés par cette idée de justice collective.

Le recours collectif venait d’ouvrir les portes des tribunaux aux intérêts privés

des groupes, jusqu’alors confiés exclusivement à l’Etat ou à des personnes

morales structurées et autorisées par le pouvoir public. La procédure civile venait

d’être bousculée par cette loi de 1978 mais, comme l’a dit Mauro Cappelletti,

« l’empreinte des vieux schémas conceptuels n’a pas cessé de se manifester »12

.

Le résultat a été que la plupart des autorisations étaient refusées (36% de refus

contre 30% d’autorisations et 17% de désistements), jusqu’au point où certains

prédisaient à court terme la mort du recours collectif en terre québécoise.

La seconde vague, à compter de 1990, marque un changement de cap radical.

Dans trois jugements rendus la même année13

, la CA donne un coup de barre au

mouvement d’interprétation restrictive et fait place à un courant interprétatif

large et libérale, beaucoup moins formaliste, et porté par des juges conscients des

objectifs sociaux du recours collectif et désireux de participer à l’atteinte de ses

objectifs.

Après une période d’interrogations, d’incertitudes et de craintes, la magistrature

québécoise s’est adaptée peu à peu et a décidé de permettre au recours collectif

d’être efficace. Les détracteurs du recours collectif des premières heures pourront

alors constater que l’ensemble des entreprises québécoises n’ont pas fait faillite

12 Mauro CAPPELLETTI, « La protection d’intérêts collectifs et de groupe dans le procès civil

(métamorphose de la procédure civile) », 1975 27 R.I.D.C. 571, 576 13

Comité d’environnement de la Baie c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan Itée [1990]

R.J.Q. 655 (C.A.) ; Château c. Placements Germarich, [1990] R.D.J. 625 (C.A.) ; Tremaine c.

A.H. Robbins Canada inc., [1990] R.D.J. 500 (C.A.).

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et l’administration de la justice n’a pas succombé aux assauts du recours

collectif.

29. Certains affirment qu’aujourd’hui la procédure québécoise est entrée dans

une troisième vague d’interprétation, de nouveau restrictive, moins ouverte

qu’avant, avec une inclinaison des tribunaux de première instance à se montrer

plus exigeants et une attitude moins favorable de la CA14

. Un retour du balancier,

en quelque sorte.

30. Devant le grand nombre de dossiers de recours collectif pendants devant les

tribunaux, et devant l’absence de contestation écrite de la requête pour

autorisation, la situation a changé et les juges sont forcés de procéder à un

examen plus rigoureux des conditions d’autorisations. Ni conservatrice ni

restrictive, cette nouvelle tendance pourrait être qualifiée d’équilibrée.

II) Les USA

31. La class action américaine est la première action collective à avoir vu le jour.

En effet, en 1950, une class action a été introduite par des américains victimes

d’une catastrophe industrielle du à l’explosion d’un cargo à Texas City.

32. Ce qui est intéressant de constater à propos de la class action américaine est

que celle – ci est plus ou moins ouverte aux consommateurs victimes de

pratiques anticoncurrentielles selon le parti politique qui gouverne. C’est une

vision très politique de la class action.

Ainsi, la tendance jurisprudentielle est à une très forte limitation

des class actions par les juges. En effet, un durcissement est perceptible depuis

2007 à l’encontre des plaignants dans un contexte d’ensemble marqué par des

flux de balanciers inhérents aux conditions de développement des class actions.

Après la seconde Guerre Mondiale, les class actions ont commencé à se

développer de façon importante. Observant la situation, les milieux d’affaires ont

rapidement réalisé les sommes considérables en cause, avec la problématique des

dommages-triples.

Après un mouvement facilitant les actions de groupe dans les années 1960-1970,

les jurisprudences de la Cour suprême ont surtout encadré les plaintes introduites

sur le fondement du droit antitrust.

14

Notamment Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342 ; George c. Québec

(Procureur général), 2006 QCCA 1204

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Après les années 1980 et 1990 marquées par une stabilisation jurisprudentielle

inspirée par l’Ecole de Chicago (voir F. Souty, Droit antitrust, concurrence et

innovation..., préc.), c’est au cours de la décennie actuelle que quelques grandes

affaires vont à nouveau marquer un net durcissement à l’encontre des plaignants

et en faveur des défendeurs, souvent en position dominante.

33. Le célèbre arrêt Bell Atlantic v. Twombl de 2007 marque un tournant

jurisprudentiel pour les class actions en relevant le standard de la preuve

d’entente à l’occasion d’une action de groupe pour la fourniture de services

locaux de téléphonie et internet. Cet arrêt a signalé aux opérateurs économiques

que le droit antitrust deviendrait de plus en plus difficile à mettre en œuvre pour

les individus, victimes de pratiques antitrust.

Une forte analogie est à rappeler avec l’affaire Trinko, de 2004, dans le secteur

des télécommunications également, dans laquelle la Cour avait, de la même

manière, fait prévaloir les intérêts des opérateurs et la régulation sectorielle au

détriment des plaignants.

À cette occasion, la Cour a révisé son interprétation des règles fédérales de

procédure civile (RFCP) dans un sens qui rend plus difficile les actions privées

non seulement en droit antitrust mais également dans les autres matières.

Ce mouvement jurisprudentiel est confirmé dans un arrêt Comcast et American

Express de 2013 dans laquelle la Cour a débouté les plaignants au motif que la

Règle 23 exige qu’une procédure permette de déterminer des dommages-intérêts

pour l’ensemble d’une « class », laquelle doit permettre de calculer les

dommages pour tous. Dans le cas contraire, il n’y a pas de « class ». Les quatre

juges démocrates se sont opposés à cette vision de la Cour très restrictive envers

la notion de « class ».

Par conséquent, l’ouverture des class actions aux Etats – Unis par les juges

dépendent de leur couleur politique. Ainsi, si les démocrates remportent

l’élection présidentielle de 2017, l’occasion sera offerte de renverser la majorité

de la Cour suprême qui remet en cause la capacité d’action des plaignants. Dans

le cas contraire, les consommateurs ou PME américains éprouveront davantage

de difficultés à obtenir la mise en cause et la sanction des pratiques d’abus de

pouvoir économique.

34. On s’aperçoit donc que l’efficacité de ces mécanismes d’action collective

dans des pays qui n sont pourtant dotés depuis plusieurs dizaines d’années peut

dépendre de plusieurs facteurs que sont le comportement des juges mais aussi la

vision politique d’une telle action. Il se pourrait donc que les magistrats français,

confronté à la nouveauté de cet outil juridique, ne réagissent pas conformément

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21

aux souhaits de la plupart des français (91% des français favorables à l’action de

groupe15

).

35. Les juges français, en présence du texte actuel, ont également des possibilités

de restreindre l’accès à l’action de groupe en matière de pratiques

anticoncurrentielles.

Paragraphe 2 : les possibilités pour le juge français de limiter l’accès à l’action de

groupe

36. Plusieurs aspects pourront restreindre les associations dans leur saisine du

juge du Tribunal de grande instance dans le cadre d’une action de groupe.

Premièrement, dans la saisine du Tribunal, la condition de similarité et

d’identicité des situations présentées au juge pourront être contestée par les

défendeurs à l’action de groupe.

La circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n°

2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et du décret n° 2014-1081

du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation

indique que la cette condition devra s’entendre « au regard du manquement

reproché au professionnel .

Ainsi, un même manquement doit être à l’origine de l’ensemble des préjudices

matériels subis par les consommateurs victimes de la pratique

anticoncurrentielle.

La circulaire donne ainsi l’exemple de consommateurs victimes d’un

dysfonctionnement du réseau d’un opérateur de téléphonie mobile.

En revanche, le texte n’exige pas que l’ensemble des consommateurs concernés

aient nécessairement tous subi des préjudices identiques ou de même nature.

Le juge pourra donc considéré, par exemple, que les cas qui lui sont soumis sont

des cas qui ne revêtent pas ces caractères de similarité ou d’identité.

C’est notamment ce qui se passe en Espagne où les juges n’ont pas encore pris en

considération, au sens premier de l’expression, l’action de groupe en rejetant le

peu d’actions collectives engagées pour des questions de procédures et

notamment sur la question de la similarité des situations présentées.

15

Enquête « les Français et les actions de groupe » réalisée par l’Ifop pour Havas Legal &

Litigation et le cabinet d’avocats August & Debouzy.

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22

37. Deuxièmement, le juge français a la possibilité de restreindre l’accès des

actions de groupe en droit de la concurrence est de décourager les associations

par l’exemple.

Ainsi, il s’agirait pour le juge réfractaire à cette « ovni juridique » soit de ne pas

condamner le professionnel, soit, plus subtile, de faire peser des frais d’expertise

colossaux sur les associations ou bien encore de les décourager en attribuant de

très faibles sommes de dommages et intérêts aux consommateurs, victimes de

pratiques anticoncurrentielles.

Il est certain que les premières heures du dispositif et surtout les premières

décisions permettront d’afficher la tendance que les juges des Tribunaux de

grande instance et de la Cour de cassation veulent donner à l’action de groupe.

Troisièmement, le juge pourra décourager les consommateurs en allongeant les

délais de procédure.

En effet, les actions de groupe sont destinés à réparer des préjudices d’un faible

montant, il faut donc, pour que le consommateur y adhère en nombre, que celui –

ci sache que cette procédure ne va pas durer une longueur excessive.

Or, en matière de concurrence, c’est ce qu’il risque de se passer avec la

soumission à une décision d’une autorité publique.

On voit donc que le juge français aura les armes pour décourager à la fois les

associations de consommateurs et les consommateurs eux – mêmes, il faudra

donc surveiller comment les juges des Tribunaux de grande instance se

comportent vis-à-vis de ce nouvel outil juridique qui s’offre à eux.

Les tribunaux compétents seront les cent – soixante Tribunaux de grande

instance de France métropolitaine et d’outre – mer en vertu du choix du

législateur de la non – spécialisation des tribunaux compétents.

Section 2 : La non - spécialisation des tribunaux compétents

38. « Une association de défense des consommateurs représentative au niveau

national et agréée en application de l'article L. 411-1 peut agir devant une

juridiction civile afin d'obtenir la réparation »16

.

Ainsi, concernant la compétence matérielle, cet article rend impossible l’exercice

d’une action de groupe en droit de la concurrence devant une juridiction pénale

ou une juridiction administrative, y compris statuant sur intérêts civils.

16

C.conso, Art L423-1

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23

En outre, l’article L 211 – 15 du code de l’organisation judiciaire, tel qu’issu de

l’article 2 de la loi du 17 mars 2014, prévoit que seuls les tribunaux de grande

instance connaissent de l’action de groupe. Il est donc exclu qu’une action de

groupe soit introduite devant un tribunal d’instance. Ces derniers ne pourront pas

traiter les actions de groupe en matière de crédits à la consommation par

exemple.

La compétence territoriale a fait l’objet d’un débat plus important au Parlement

français qui consistait en deux visions opposées : certains soutenaient le fait que

les tribunaux qui allaient traiter de l’action de groupe en droit de la concurrence

devaient être spécialisés. D’autres, au contraire étaient pour la non –

spécialisation des tribunaux devant lesquelles l’action de groupe en matière de

concurrence est possible.

Ce débat a fait l’objet d’un conflit politique opposant d’une part, le Sénat qui

était en faveur de la non – spécialisation des tribunaux compétents tandis que

l’Assemblée Nationale et le gouvernement était en faveur de la spécialisation des

tribunaux compétents.

39. Le Parlement a finalement opté pour la non – spécialisation des tribunaux

(Paragraphe 1) mais le gouvernement a apporté une restriction significative

(Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : la non – spécialisation parlementaire

40. Il convient, pour apprécier les conséquences de ce choix, d’analyser les

forces en présence (I) avant de s’attarder sur les conséquences de ce choix de ne

pas attribuer une compétence exclusive à certains tribunaux de grande instance

(II).

I) Les forces en présence

41. Le texte initial de la loi dite « Consommation »17

prévoyait la spécialisation

de certains Tribunaux de grande instance.

Or, le Sénat, en première lecture, a déposé un amendement pour « supprimer la

désignation de tribunaux spécialisés pour traiter le contentieux des actions de

groupe »18

.

17

Loi n°2014 – 344 du 17 mars 2014 relative à la consommation 18

Compte rendu intégral du débat du 27 janvier 2014 au Sénat. A voir : www.senat.fr

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24

Conformément à un rapport rendu en 2010 par MM. Richard Yung et Laurent

Bréteille au nom de la commission des lois, la majorité du Parlement, droite et

gauche confondus, étaient favorables à la spécialisation des tribunaux qui

permettait un « équilibre »19

du dispositif.

La commission des affaires économiques avait également opté pour cette option.

Trois raisons essentielles étaient invoquées.

La première raison est une raison d’administration de la justice. En effet, les

actions de groupe sont des contentieux de masse. Dans certains cas, des millions

de consommateurs pourront être concernés. Il convient donc que les tribunaux en

charge de ce contentieux soit en mesure d’y faire face, qu’ils aient des moyens et

des compétences suffisants pour traiter ce type de contentieux nouveaux.

La deuxième raison est une raison d’expertise du juge. Ainsi, si certains TGI

étaient spécialisés dans le traitement de ce contentieux, comme en matière de

pratiques restrictives de concurrence, le juge développerait une expertise

particulière qui rendrait sa décision à la fois plus légitime mais surtout plus

fondée.

La troisième raison est une raison d’harmonie de la justice. Eviter la disparité du

contentieux et son éparpillement, harmoniser la jurisprudence.

La faveur était alors accordé à huit tribunaux spécialisés en la matière : sept en

métropole et un en outre – mer.

42. D’un autre côté, les Sénateurs voyaient en cette spécialisation quatre

obstacles majeurs.

Premièrement, cette spécialisation serait inutile puisque tous les tribunaux de

grande instance, sont capables de traiter des affaires de la consommation. Selon

le sénateur Henri Tandonnet, « cela fait partie de leur quotidien ». Il convient

tout de même de constater que sur cet aspect, les sénateurs ont laissé de côté

l’action de groupe en matière de concurrence qui exige une expertise tout autre

que celle demandée en droit de la consommation. Cette exigence n’est pas pris en

compte par cette première remarque.

Il serait donc parfaitement inutile de confier cette tâche à certains tribunaux en

France.

Deuxièmement, cette spécialisation contribuerait à « éloigner encore davantage

la justice de nos concitoyens ». Cet argument vise à éviter le piège d’instaurer

quelques tribunaux d’élite, principalement situé autour de la banlieue parisienne,

alors que les actions de groupe peuvent concernées tous les consommateurs à un

échelon local mais aussi régional ou bien encore national.

19

Ibid

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25

Les sénateurs étaient alors pour la proximité du juge avec les consommateurs.

Troisièmement, les sénateurs voyaient en cette spécialisation un risque de

nouveaux contentieux. Ils craignaient que les juristes spécialisés exploitent, au

détriment des intérêts des consommateurs, des exceptions d’incompétence.

Enfin, quatrièmement, les sénateurs craignaient la délocalisation du contentieux

dans des grandes métropoles régionales qui seraient « éloignées des affaires

traitées ». Les sénateurs insistaient bien sur le fait que l’action de groupe n’avait

pas vocation à être des actions « extraordinaires » par leur enjeu, « médiatique » ;

ces actions pourront être réservées à des affaires plus locales qui concernent

même une centaine de consommateurs d’un village isolé.

43. Après une nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale et après des compromis

politiques, le Parlement a finalement opté pour que l’ensemble des tribunaux de

grande instance en France aient la compétence de traiter ces actions de groupe en

droit de la consommation ou en droit de la concurrence.

Ce choix emporte nécessairement des conséquences.

II) Les conséquences de la non - spécialisation

44. Finalement, le Sénat, abandonnant sur la compétence matérielle des tribunaux

d’instance, a réussi à convaincre l’Assemblée Nationale de ne pas insérer une

disposition dans la loi relative à la consommation qui accorde une compétence

exclusive de certains tribunaux de grande instance pour les actions de groupe,

aussi bien en droit de la consommation qu’en droit de la concurrence.

Ce choix emporte nécessairement des conséquences positives et négatives.

45. L’avantage majeur de cette généralisation du préjudice est la proximité de la

justice vis – à – vis des consommateurs. Ne serait – ce que symboliquement, ce

contentieux pouvant être engagée dans un des 160 tribunaux de grande instance,

les consommateurs, ce que « nous sommes tous, par définition »20

, éprouveront

ce sentiment de protection, une protection proche de chez eux qui plus est. Ce qui

implique nécessairement dans l’imaginaire du consommateur une justice plus

rapide.

Ce dernier élément n’est d’ailleurs pas justifié dans les faits.

20

J.F. KENNEDY, Communication au Congrès américaine, 15 mars 1962 : « Nous sommes

tous, par définition, des consommateurs. Ils constituent le groupe économique le plus important,

influant sur presque toutes les décisions économiques publiques et privées et étant influencé par

elles. Ils sont le groupe le plus important…. mais leur voix n’est souvent pas entendue »

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26

Il était donc symbolique d’accorder cette proximité de la justice avec le

consommateur, par facilité politique d’une part, mais aussi parce que la loi toute

entière est tournée vers le consommateur.

46. Néanmoins, des inconvénients majeurs risquent de s’élever dans les

premières heures des actions de groupe. Trois peuvent être évoqués.

Le premier est l’harmonisation des décisions. Comme on l’a vu précédemment,

des conditions, pour qu’une action de groupe soit recevable, sont à respecter.

Ainsi, 160 tribunaux compétents est synonyme de 160 avis différents sur la

condition d’identité ou de similarité des situations par exemple.

C’est aussi cent soixante façons d’indemniser le préjudice des victimes victime

de pratiques anticoncurrentielles.

Ainsi, le ministre délégué à l’économie sociale et solidaire et à la consommation

de l’époque, Benoît Hamon a déclaré vouloir une « justice plus réactive, plus

efficace, plus harmonieuse, à même d’établir une jurisprudence utile ».

De sorte qu’un risque de forum shopping est présent. Les associations de

consommateurs, connaissant l’interprétation de certains tribunaux de grande

instance, pourraient favoriser une action devant tel ou tel tribunal (à condition

qu’un seul consommateur dépende de son ressort) pour s’assurer des décisions

favorables.

Certains argueront que la Cour de cassation est là pour harmoniser la

jurisprudence et qu’elle le fait déjà dans de nombreuses matières actuellement.

Certes, mais la nouveauté de l’action de groupe implique un temps d’adaptation

des juges qui posera de nouvelles problématiques procédurales ou de fond. Or, le

succès de l’action de groupe à la française dépendra, très certainement, des

premières actions intentées, de leur débouché et dans leur couverture médiatique.

Le deuxième problème que vont rencontrer les juridictions est l’hypothèse des

doubles saisines. C’est le cas dans lequel deux associations de consommateurs

différentes, intente, en même temps ou dans des laps de temps très court, une

action contre le même opérateur pour les mêmes pratiques.

Et enfin, le troisième souci majeur que rencontrera le juge du tribunal de grande

instance sera son expertise en matière anticoncurrentielle. Cette matière demande

énormément de formation, nécessite beaucoup de compétence technique en la

matière, des notions économiques et juridiques dont ne disposent pas certains

tribunaux de grande instance français, certains juges français.

La possibilité de demander « l’aide » de l’Autorité de la Concurrence est

intéressante mais celle – ci est chronophage et le succès de l’action de groupe

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27

dépendra en grande partie de la rapidité de la décision de sanction compte tenu

des faibles montants en jeu pour les consommateurs.

47. La loi dite « Hamon » a donc opté pour la non – spécialisation de certaines

tribunaux de grande instance malgré ces inconvénients prévisibles.

Néanmoins, le gouvernement, initialement favorable à la spécialisation du

contentieux, est vu apporté une restriction significative à cet aspect procédural de

l’action de groupe en matière de concurrence.

Paragraphe 2 : la restriction gouvernementale

48. Cette restriction significative gouvernementale a été opérée grâce au décret

relatif à l’action de groupe en matière de consommation du 24 septembre 201421

.

Celui – ci vient considérablement limiter le choix des associations de

consommateurs qui introduiront, la plupart du temps, leur action de groupe

devant les tribunaux de grande instance de Paris et Nanterre (I) même si la

possibilité de saisir tous les TGI est encore de vigueur (II).

I) Une concentration du contentieux

49. C’est la précision la plus importante apportée par le décret relatif à l’action de

groupe en matière de consommation.

Le pouvoir règlementaire a court – circuité le choix du Parlement en obligeant les

associations de consommateurs à initier leurs actions de groupe devant le tribunal

de grande instance dans le ressort duquel le professionnel à son siège social.

L’article R 423 – 2 du Code de la consommation dispose :

«Le tribunal de grande instance territorialement compétent est celui du lieu où

demeure le défendeur.

Le tribunal de grande instance de Paris est compétent lorsque le défendeur

demeure à l’étranger ou n’a ni domicile ni résidence connus ».

Il s’agit d’une limitation apportée au champ de l’article L 211 – 15 du Code de

l’organisation judiciaire qui prévoit la compétence de l’ensemble des 161

Tribunaux de grande instance existant en France métropolitaine et en outre –

mer.

21

Décret n°2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de

consommation

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28

Le gouvernement a donc dérogé aux règles de compétence classique de

compétence territoriale dans le but d’obliger les associations de consommateurs à

introduire leur action de groupe dans le ressort dont dépend le professionnel.

De fait, cette restriction entraine une concentration du contentieux devant les

Tribunaux de grande instance de Paris et Nanterre.

D’une part, pour toutes les actions intentées contre une entreprise ayant son siège

social à l’étranger, le TGI de Paris sera seul compétent.

D’autre part, les associations de consommateurs, en quête d’un retentissement

médiatique, cherche à « faire tomber » de grosses entreprises connus pour que les

médias relaient l’information auprès de l’opinion publique de manière

importante.

Enfin, toujours liée à la taille de l’entreprise, en matière d’action de groupe en

droit de la concurrence, très rares sont les entreprises qui sont au-delà de

l’ensemble des seuils instaurées en droit de la concurrence (seuil d’exemption par

catégorie, seuil de part de marché, fausser la concurrence …).

La plupart de celles qui pourraient être concernées par une action de groupe en

matière de concurrence sont des entreprises dont le siège social se trouve à Paris

ou en région parisienne.

50. D’ailleurs, si l’on observe les différentes actions de groupe intentées depuis

la promulgation de la loi dite « Hamon » :

- l’action opposant la CLCV à la société Axa et la société d’assurés AGIPI

est intentée devant le tribunal de grande instance de Nanterre,

- l’action concernant SFR est initiée devant le tribunal de grande instance

de Paris,

- l’action de groupe concernant le bailleur social 3F a été initiée devant le

tribunal de grande instance de Paris,

- l’action de groupe qui concerne Paris habitat est initiée devant le TGI de

Paris également,

- L’action de groupe contre Foncia a été introduite devant le tribunal de

grande instance de Nanterre.

On s’aperçoit que la restriction qu’a apporté le gouvernement à la parole du

peuple à de grandes conséquences en fait et impose une concentration du

traitement du contentieux autour de la région parisienne.

Cette concentration sera d’autant plus réelle en matière d’action de groupe à la

suite de pratiques anticoncurrentielles.

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29

51. Néanmoins, si l’action de groupe a été conçu pour les grands litiges

nationaux ou du moins régionaux, la possibilité du code de l’organisation

judiciaire de saisir un des 161 Tribunal de grande instance est encore possible.

II) La possibilité de saisir l’ensemble des TGI

52. L’ex ministre délégué à la Consommation, Benoit Hamon, affirmait « la

plupart des actions de groupe porteront sur des contentieux régionaux,

interdépartementaux ou nationaux »22

.

Ceci est très révélateur de l’image que reflète l’action de groupe, notamment

dans le milieu politique parisien. En effet, l’action de groupe serait l’action

contre les grands opérateurs téléphoniques ou bien contre les compagnies

aériennes ou ferroviaires … .

53. Les associations de consommateurs, du moins au départ, vont vouloir aussi,

dans cette même logique, intenté des actions contre des entreprises notoires, des

entreprises nationalement connues pour que l’opinion publique constate les

bienfaits de l’action de groupe et « terrorise » les entreprises, auteurs de pratiques

illicites.

Au début de cette expérience, de grands groupes seront privilégiés par les

associations de consommateurs, avec un nombre significatif d’adhérent.

54. Néanmoins, il est toujours envisageable d’envisager une action de groupe à

quelques personnes isolées. Le groupe commence à deux personnes selon la loi.

Donc, en cas de réel succès de l’action de groupe, on pourrait imaginer des

actions donc le groupe serait constitué de quelques personnes : une centaine voir

quelques dizaines de personnes … .

Ces personnes pourraient très bien être victimes de pratiques anticoncurrentielles

par objet, tels que les hardcore cartels, d’entreprises implantées ailleurs

qu’autour de la banlieue parisienne.

Il sera donc possible pour une association de consommateurs, qui sera confronté

aux problèmes du coût de la procédure à envisager, d’intenter une action auprès

d’un tribunal de grande instance moins connu que ceux de Nanterre ou Paris.

Les cent soixante et un Tribunaux de grande instance sont donc encore

compétents en vertu de la loi et pourront être concernées par une action de

groupe, y compris en matière de pratiques anticoncurrentielles à l’avenir.

22

B. HAMON, séance du 27 janvier 2014. A voir : www.sénat.fr

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30

55. La restriction qu’a apporté le gouvernement a été une restriction de façon

indirecte, par une « pirouette » legistique qui, de facto, entrainera quand même

une concentration de la plupart des contentieux dans les Tribunaux de grande

instance de la banlieue parisienne.

Chapitre 2 : Le nouveau filtre, les associations de consommateurs

56. L’article L 423 – 1 du Code de la consommation exige que l’action de groupe

soit intentée par « une association de défense des consommateurs représentative

au niveau national et agréée en application de l'article L. 411-1 ».

Ceci constitue une grande originalité puisque il n’existerait donc pas de « droit

général à l’action de groupe »23

pour les consommateurs, au sens d’une action

ouverte à tout le monde. Les associations de consommateurs n’interviennent pas

dans le processus de class action aux Etats – Unis.

Ainsi, l’exercice d’une action de groupe est subordonné à l’initiative d’une

association agréée. Il existe quinze associations agréées qui sont listées dans la

circulaire du 26 septembre 201424

:

- ADEIC - Association de défense, d'éducation et d'information du

consommateur

- AFOC - Association Force Ouvrière Consommateurs

- ALLDC - Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs

- CGL - Confédération Générale du Logement

- CLCV - Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de

Vie

- CNAFAL - Conseil National des Associations Familiales Laïques

- CNAFC - Confédération Nationale des Associations Familiales

Catholiques

- CNL - Confédération Nationale du Logement

- CSF - Confédération Syndicale des Familles

- FF - Familles de France

- FR - Familles Rurales

- FNAUT - Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports

- INDECOSA-CGT - Association pour l'Information et la Défense des

Consommateurs

- UFC-Que Choisir - Union Fédérale des Consommateurs

- UNAF - Union Nationale des Associations Familiales

23

M. DEPINCE, « Quand les associations agréées se font le filter des actions de groupe”, Voir :

http://malodepince.over-blog.com/2015/03/quand-les-associations-agreees-se-font-le-filtre-des-

actions-de-groupe.html 24

Circu. CIV/14/14 en date du 26 sept. 2014

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31

57. Cinq actions de groupe ont été introduites par différentes associations :

- La CLCV contre la société d’assurance Axa pour les contrats d’assurance

– vie Cler

- La CNL contre le bailleur social 3F

- La SLC-CSF contre Paris Habitat

- Familles rurales contre l’opérateur téléphonique SFR pour pratiques

illicites

- L’UFC Que Choisir contre le réseau immobilier Foncia.

Il faut cependant se demander si ces associations de consommateurs agrées sont

légitimes à porter ces actions (Section 1) et si elles ne vont pas se montrer

frileuse (Section 2) vis – à – vis de ce nouvel outil juridique.

Section 1 : L’illégitimité des associations

58. Illégitimité d’abord fondé sur leur représentativité en France. Ainsi, le

nombre d’adhérent chez les deux associations de consommateurs les plus connus,

UFC et CLCV, montrent qu’elles sont loin d’être représentatives des

consommateurs en France.

Ainsi, l’UFC Que choisir dispose d’environ 150 000 adhérents et la CLCV25

avait 32 000 adhérents en 2012. Ce qui représente en perspective des 66 317 994

habitants26

en France et donc consommateurs, un pourcentage de 0,22% et 0,05%

de la population français représentée par ces associations. Représentativité dites-

vous …

59. Les associations de consommateurs sont inadaptées pour introduire les

actions de groupe en droit de la concurrence (Paragraphe 1) ; pourtant, il existait

une alternative des avocats (Paragraphe 2), une alternative de droit commun.

Paragraphe 1 : Des associations inadaptées à l’action de groupe en matière de

concurrence

60. La problématique de la légitimité ou l’illégitimité des associations de

consommateurs en la matière doit se résoudre à l’aune de deux paramètres

essentiels : le premier est l’inadaptabilité des associations du fait des coûts trop

25

Chiffres de l’Institut Nationale de la Consommation, 2014. Voir :

http://www.conso.net/content/ufc-que-choisir-association-de-consommateurs 26

Chiffres de l’Institut Nationale de la Statistique et des Etudes Economiques au 1er janv. 2015.

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importants (I) qu’elles auront à supporter. Quant au second paramètre, c’est celui

des risques d’abus (II) que pourraient engendrer cette situation.

I) Des couts trop importants

61. Une des questions primordiales pour les actions de groupe en matière de

concurrence est la question du financement.

L’article L. 423-6 du Code de la consommation dispose : « Toute somme reçue

par l'association au titre de l'indemnisation des consommateurs lésés est

immédiatement versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et

consignations. Ce compte ne peut faire l'objet de mouvements en débit que pour

le versement des sommes dues aux intéressés ».

Cette disposition empêche donc l’association de consommateurs d’utiliser les

fonds à d’autres fins que l’indemnisation et notamment, lui interdit de consacrer

une partie des dommages – intérêts accordés par le juge à la rémunération des

avocats ou des experts mandatés.

Les associations de consommateurs ne pourront donc pas non plus s’adjoindre les

services d’avocats en leur promettant une rémunération indexée sur le résultat.

62. Il est très prévisible, qu’en matière de concurrence, le coût de la procédure

pourrait être très élevé du fait de la complexité inhérente au droit de la

concurrence. Ainsi, selon Frédéric Pelouze, avocat et président de l'association de

consommateurs Open conso « ces associations ne disposent ni des moyens ni de

l'expertise suffisants pour gérer de telles procédures, par définition lourdes,

complexes et coûteuses ».

En vertu du fameux article 700 du Code de procédure civile, le juge pourra

condamner la société défenderesse à prendre en charge les frais d’avocats et les

frais d’huissiers liés notamment à la collecte des adhésions des consommateurs à

l’action de groupe.

63. Néanmoins, il est notoire que les frais de l’article 700 ne couvrent jamais la

totalité des frais d’avocats. Cet aspect financier de la procédure pourrait

constituer un frein très important pour le développement de l’action de groupe en

France, notamment en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Les associations ne s’engageront dans des procédures dont elles sont quasiment

sûr de gagner, en n’engageant pas celles ou un doute est possible, et devront

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prendre en compte leur capacité financière à absorber le coût d’une procédure

judiciaire aussi longue et coûteuse.

64. La loi française devra surement évoluer sur cet aspect-là puisque celui – ci va

constituer un frein inéluctable aux actions régulières et efficaces des associations.

Evoluer peut être dans le sens de la législation québécoise qui a mis en place un

Fonds public d’aide aux recours collectifs.

65. Ainsi, les recours collectifs, au Québec, sont assurés par un fonds public sur

demande et sur satisfaction de certains critères d’attribution. Ces critères sont

notamment des critères économiques, le bien – fondé du recours, la probabilité

d’exercice27

. C’est par ces dispositifs que l’on peut constater la différence

fondamentale qu’a le recours collectif québécois, destiné à « offrir un instrument

d’accès à la justice aux consommateurs »28

et l’action de groupe à la française

qui est un outil de dissuasion, plus que de réparation.

C’est ainsi que dans les premières années, la majorité des recours collectifs était

financée par ce Fonds d’aide. Cette proportion s’est progressivement réduite à

cause de la capacité grandissante des avocats à supporter le risque de la

poursuite, risque compensé par les honoraires indexés sur le résultat du litige29

.

Quelques chiffres illustrent tout de même l’importance de ce fonds d’aide au

Québec et la difficulté qu’auront les associations agréées françaises à intenter des

actions de groupe : en 2003, 53,5% des recours étaient exercées avec l’aide

financière publique et en 2011, ce pourcentage était de 35%30

.

On s’aperçoit donc, à l’aune de la législation québécoise, qui a su identifier la

problématique de l’enjeu financier pour l’association de consommateurs, que les

associations françaises auront bien du mal à exercer de nombreuses actions de

groupe en droit de la concurrence et donc, in fine, de rendre plus effectif

l’application des droits de la consommation et de la concurrence.

66. Ce monopole de l’action de groupe par les actions de consommateurs,

sources d’incertitudes quant à leur financement, est aussi préoccupant pour les

risques que cela peut occasionner.

27

Loi sur le recours collectif, L.R.Q., c. R-2.1, art 23 28

P-C. LAFOND, L’accès à la justice civile au Québec, p149 : « Il était hors de question pour

le législateur québecois, ayant créé d’abord et avant tout un instrument d’accès à la justice, il

était hors de question que le manque d’argent soit un obstacle à l’exercice des recours ». 29

Pellemans c. Lacroix, 2011, QCCS 1345, par 101 30

Fonds d’aide aux recours collectifs, rapport annuel 2003 – 2004 et 2010 – 2011, Montreal.

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34

II) Les risques d’abus

67. Le filtre des associations de consommateurs a été instauré par le législateur

pour contourner un autre risque, celui de l’introduction de procédure abusive.

Certains reprochent à l’action de groupe de rééquilibrer les rapports de force

entre les associations de consommateurs et les entreprises ayant commis des

pratiques anticoncurrentielles. Cela constituerait un abus possible.

Or, si l’action de groupe est née en droit français, c’est aussi et surtout pour cette

raison. L’action de groupe a été mise en place pour corriger cette asymétrie, aussi

bien financière qu’informationnelle, qui existait entre le consommateur d’une

part, et les entreprises, d’autre part.

Dire que ce rééquilibrage des rapports de force constitue un abus parce que les

associations de consommateurs pourraient être plus à même de négocier de façon

égale avec les entreprises parait quelque peu outrancier.

68. En revanche, de véritables abus des associations de consommateurs sont

envisageables.

Le premier abus envisageable est celui de la recherche systématique d’un

retentissement médiatique des associations de consommateurs. L’illustration

parfaite de cela est la première action de groupe intentée par l’UFC Que Choisir

contre Foncia le 1er

octobre 2014, jour de l’entrée en vigueur de l’action de

groupe en France.

Chacune des actions de groupe introduites par les associations jusqu’à

aujourd’hui a soigneusement été annoncée, la communication a été préparé, pas

de place à l’improvisation. Chacune des quinze associations, on peut le deviner,

va chercher à tirer un profit personnel à cette exposition médiatique offerte par la

simple annonce d’une action de groupe.

En effet, l’annonce d’une potentielle action est suffisante, pas besoin que l’action

soit effectivement engagée. Le deuxième abus envisageable est celui – ci :

l’annonce d’une action de groupe par une association de consommateurs, même

infondée, qui nuirait durablement à l’image de l’entreprise ou des entreprises

visées.

Cette hypothèse est moins probable pour l’action de groupe en droit de la

concurrence puisque celle – ci serait intentée après une condamnation par une

autorité publique en vertu du principe de l’action consécutive ou « follow on ».

Les menaces d’action de groupe infondée seraient donc minimes en la matière.

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35

Le troisième abus que le monopole de l’action de groupe par les associations de

consommateurs pourrait occasionner est la surenchère du préjudice allégué.

Volontairement, les associations de consommateurs exagèrent les dommages et

intérêts en jeu pour, encore une fois, que les médias s’emparent de ces affaires

brulantes.

Or, au stade du jugement de responsabilité, en vertu de la possibilité pour un

consommateur d’adhérer ou non au groupe, les associations ne savent ni combien

de consommateurs adhèreront à l’action ni le montant total que devra verser

l’entreprise ou les entreprises condamnées.

En outre, les associations de consommateurs, disposant du monopole de

l’initiative de l’action de groupe et ayant des facultés financières limitées seront

beaucoup plus enclin à engager une procédure impliquant une société

notoirement connu plutôt que d’intenter une action contre une petite entreprise

d’une petite ville française ayant causé un préjudice pécuniaire à une centaine

d’individus.

L’action de groupe ne sera donc en aucun cas ce remède miracle permettant

d’indemniser toutes les victimes d’entreprises ayant commis une pratique

anticoncurrentielle. Le droit de la consommation sera peut – être mieux appliqué

mais l’effectivité de ce droit ne sera tout de même pas maximal.

Il convient donc de se fier à ce que l’avenir nous montrera : la politique des

associations de consommateurs et leurs comportements vis-à-vis de ce nouvel

outil juridique.

69. L’inadaptation des associations de consommateurs laisse place à une

problématique : si ce n’est pas les consommateurs, qui doivent intenter ces

actions : les avocats ?

Paragraphe 2 : L’alternative des avocats

70. L’alternative des avocats, c’est-à-dire, l’application du droit commun était la

deuxième alternative envisagée et fortement sollicitée par l’Ordre des Avocats.

Christian Charrière-Bournazel, ancien président du Conseil national des

barreaux, avait dénoncé en 2013 « la suspicion que cette loi manifeste, une fois

de plus, à l’égard de la profession d’avocat. ». Il jugeait inacceptable « cette

démarche, qui revient à faire juge de l’opportunité d’une action une association

et non pas le professionnel qu’est l’avocat, heurte de front l’honneur même de la

profession. ».

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36

D’autres regrettent qu’ « à travers la négation de notre déontologie, c’est notre

profession et notre serment qui sont dénigrés »31

.

71. Néanmoins, encore une fois, l’expérience américaine a joué les rôles

d’épouvante ce qui a occasionné le monopole des associations de

consommateurs.

En effet, le législateur a voulu éviter les dérives déontologiques auxquelles les

avocats américains s’adonnent.

Les avocats américains utilise de façon abusive la class action aux Etats – Unis

mais cet abus est dû au système juridique américain : la publicité et le

démarchage des victimes autorisés, l’existence du principe du contigency fee,

c’est-à-dire l’indexation des honoraires de l’avocat sur le succès de l’action et

les pactes de quota litis.

De nombreux avocats adoptent donc des comportements peu scrupuleux qui

génèrent des peurs chez les entreprises, craignant une action judiciaire

débouchant sur des dommages et intérêts d’un montant pouvant atteindre des

sommes spectaculaires aux Etats – Unis.

Ainsi, dans la célèbre affaire ENRON, une class action a donné lieu au versement

de 7,2 milliards de dollars au profit des victimes américaines, provoquant la

faillite de la société ENRON. Le législateur français voulait éviter à tout prix que

l’action de groupe, notamment en matière de concurrence, n’entraine des faillites

d’entreprises en cascade.

72. Mais, les faillites des entreprises américaines à la suite des actions de groupe

ne sont pas dus à l’action de groupe elle – même mais à cause des punitive

damages, ou dommages et intérêts punitifs. Ceux – ci ont un avantage et un

inconvénient majeur : ils incitent des justiciables ayant subi un petit préjudice à

intenter une action en justice mais ils peuvent provoquer des faillites importantes

en cas d’affaires importantes, ces faillites pouvant emporter des conséquences

économiques et sociales.

Mais l’objectif premier de l’action de groupe est a priori de permettre à des

justiciables isolés, mais ayant subis des préjudices ayant une origine commune,

d’être indemnisé de leur préjudice. Or, les class actions américaines, parfois

débouchent sur des situations insolites : dans l’affaire Blockbuster Video, les

membres de la class action ont reçu entre 9 et 20 dollars d’indemnisation contre

9,25 millions de dollars d’honoraires pour leurs avocats.

On voit bien dans cette hypothèse ce qu’a voulu éviter à tout prix le législateur

français. Mais celui –ci n’a pas cerné la cause de ces abus américains qui ne

31

Christianne Féral-Schuhl, bâtonnier de Paris, 2013

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37

résident pas dans la class action elle – même mais les principes de leur système

juridique permettant des punitive damages et l’indexation des honoraires des

avocats sur les sommes perçus par les consommateurs.

Une action de groupe intentée par les avocats français n’aurait pas

nécessairement conduit à ces abus susvisés du fait des principes déontologiques

de l’avocat en France l’empêchant d’indexer son salaire uniquement sur le succès

de l’affaire auquel il faut ajouter l’impossibilité d’accorder des dommages et

intérêts punitifs aux consommateurs.

Ce dernier point ouvre toute entière la question de la faute lucrative pour les

entreprises ayant été auteurs de pratiques anticoncurrentielles.

73. Au-delà de l’illégitimité des associations de consommateurs françaises pour

ce rôle de rampe de lancement de l’action de groupe, il faut souligner une

certaine frilosité de leur part.

Section 2 : La frilosité des associations agréées

74. Le terme « frilosité », un brin provocateur, désigne le comportement des

associations de consommateurs qui va conduire à ce que l’action de groupe en

droit de la concurrence, sera intentée à de très rares occasions.

Les conditions nécessaires à l’introduction de l’action de groupe en matière de

concurrence et le comportement que laisse transparaitre les associations, en ce

début d’expérience, vont expliquer cette « frilosité » des associations de

consommateurs.

75. En effet, cette timidité des associations de consommateurs que l’on ressent

dans ce début d’expérience s’explique par leur quête de reconnaissance

médiatique (Paragraphe 1) et se vérifie par le faible nombre d’actions engagées

(Paragraphe 2) depuis que cela est possible.

Paragraphe 1 : une quête de reconnaissance médiatique des associations

76. Ce début d’expérience est révélateur de ce que sera l’action de groupe en

général. Il faut appréhender l’action de groupe dans son aspect psychologique.

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38

C’est un des effets pervers du dispositif de l’action de concurrence : la forte

médiatisation qui accompagne ces actions. Ce phénomène est décuplé en début

d’expérience comme en ce moment.

Les associations de consommateurs donnent l’impression, lorsqu’ils introduisent

leur action de groupe, qu’il est plus question du retentissement médiatique leur

profitant plutôt que du soulagement de pouvoir enfin avoir un droit de la

consommation efficace et effectif.

Chacune des actions introduites aujourd’hui, même si elles sont peu nombreuses,

a été annoncée à grand renfort de presse. Le but est d’impressionner l’opinion

publique soit en s’attaquant à de grandes entreprises tels que SFR ou Foncia ou

alors d’intenter une action de groupe le jour même de la promulgation du

dispositif dans le Journal Officiel de République Française.

77. En outre, le revers de cette même quête de retentissement médiatique se

trouve dans l’abandon indirecte des « petits » conflits pouvant donner des actions

de groupe.

C’est ainsi que l’ensemble des commentateurs dans les revues juridiques, dans

les colloques ou bien même le ministre délégué, Benoit Hamon ont pour

ambition d’appréhender les plus grandes entreprises, les plus grands cartels

offrant au public des actions de groupe au niveau «régional ou national »32

.

Or, il se peut très bien qu’une action de groupe, en droit de la consommation ou

en droit de la concurrence d’ailleurs, puisse se constituer à un niveau local.

Ne faudrait – il pas davantage encourager les actions de groupe de petites et

moyennes ampleurs sur tout le territoire plutôt que de se focaliser sur les conflits

opposant les associations de consommateurs aux très grandes entreprises du CAC

40 ?

L’instauration de groupe, en premier lieu, nous disait – on, été mise en place pour

les consommateurs, leur indemnisation, le respect de leurs droits et non pour la

notoriété de quelques associations qui ne sont en rien représentatives, en tout cas

par leur nombre d’adhérents.

D’ailleurs, cette frilosité, au-delà de l’explication de ce comportement, se

retrouve quand on se penche sur la pratique des associations depuis maintenant

neuf mois.

32

B. HAMON, séance du 27 janvier 2014 au sénat. A voir :

www.senat.fr/seances/s201401/s20140127/s20140127010.html

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39

Paragraphe 2 : Le faible nombre d’actions engagées

79. Le faible nombre d’actions engagées atteste de la frilosité des associations de

consommateurs pour le moment et ce pour l’action de groupe en général.

Seulement cinq actions de groupe sont introduites en ce moment.

Deux d’entre elles ont fini par se résoudre en transaction ou vont le faire dans un

délai très court :

- La SLC-CSF contre Paris Habitat

- L’UFC Que Choisir contre le réseau immobilier Foncia.

Et trois d’entre elles sont encore pendantes devant les Tribunaux de grande

instance de Paris ou de Nanterre en ce moment :

- La CLCV contre la société d’assurance Axa pour les contrats d’assurance

– vie Cler

- La CNL contre le bailleur social 3F

- Familles rurales contre l’opérateur téléphonique SFR pour pratiques

illicites.

Il convient de mettre en perspective ce nombre d’actions de groupe engagées

avec la date de promulgation de la loi Hamon ayant donné le « top départ » aux

associations de consommateurs et le comparer avec les statistiques d’autres pays.

Ainsi, la loi dite « Hamon » est entrée en vigueur le 1er

octobre 2014. Cela fait

donc 9 mois que les associations agréées ont cette nouvelle possibilité.

Or, n’est ressorti de ces neuf mois seulement cinq actions de groupe. Dix autres

associations de consommateurs n’ont toujours pas agit.

Ces associations n’ont toujours pas agit pour différentes raisons évidentes qui ne

tiennent pas à leur volonté de ne pas utiliser cette nouvelle « arme de

dissuasion ». Leur volonté s’est fait ressentir lors de leur lobbying pour avoir le

monopole des actions de groupe donc on peut penser qu’elle désire utiliser cet

outil.

Comme vu ci – dessus, toutes les associations ne peuvent supporter la charge

financière que représente une action de groupe.

80. Un problème logistique aussi est à déplorer : peu d’associations sont capables

de recueillir l’adhésion de centaines de milliers de personnes ou de millions de

personnes. Pour cela, il faut avoir des services administratifs de grande qualité

que les associations n’ont pas pour la plupart.

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Le faible nombre d’adhérents a une conséquence directe : l’argent des cotisations

ne suffit pas pour que les associations puissent encadrer une action de groupe

comme désiré par le législateur malgré les aides étatiques.

De plus, il faut ajouter que les associations cherchent la bonne action de groupe

en ce début d’expérience. En effet, elles désirent que la première décision rendue

fasse jurisprudence, qu’elle donne l’exemple pour toutes les autres.

Mais pour cela, il faut que l’action soit vouée au succès d’avance et rares sont les

affaires où le succès est assuré.

81. D’autre part, il convient de comparer le début d’expérience française avec les

expériences étrangères.

En Italie, l’action de groupe est possible depuis 2010 et seuls vingt actions de

groupe ont été introduites devant les tribunaux italiens. A ce jour, une seule

d’entre elles a fait l’objet d’une décision positive.

Au Portugal, une quarantaine d’actions de groupe ont été engagées depuis la loi

de 1995 permettant à des particuliers, une fondation, une association ou même

les pouvoirs publics d’engager une telle procédure.

En Finlande, depuis 2007, aucune action de groupe n’a été engagée alors qu’ils

en ont la possibilité.

On voit donc à travers ces quelques exemples européens que très peu d’actions

de groupe sont introduites même quand une large saisine est ouverte ce qui

diffère totalement avec la pratique américaine.

En effet, au Canada, 120 class actions par ans sont introduites, très loin des 5

actuellement en France.

Dans le seul Etat du Québec, 40 actions par an sont introduites devant les

tribunaux canadiens.

Enfin, aux Etats – Unis, en 2012, les class action ont été utilisées six mille quatre

cent fois par les avocats américains.

Il est à noter que dans les pays nord – américains, 90% des actions collectives se

concluent par une transaction donc en 2012, il n’a pas été question de 6400

jugements rendus par les tribunaux américains.

On peut donc s’apercevoir qu’il y a une « frilosité » naturelle chez les européens

quant à cette action collective mise à disposition des consommateurs. Il convient

donc de se demander si les associations françaises vont utiliser cette action à de

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41

nombreuses reprises ou si elles vont, comme nos voisins européens, entrer dans

une logique d’actions de groupe très ciblé, très rares.

Il convient de souligner que le nombre d’actions de groupe en matière de

concurrence est pour l’instant au nombre de zéro, ce qui amène quelques

interrogations quant à l’efficacité de telles actions en cette matière.

82. Cette action de groupe semble d’autant plus difficilement être une action qui

sera couronnée de succès à cause de la longueur de la procédure que devront

supporter les consommateurs.

TITRE II : LE FAIBLE ENJEU PECUNIAIRE A L’EPREUVE DU

TEMPS

83. La promulgation de la loi dite « Hamon » a provoqué, à juste titre, un grand

souffle d’optimisme sur le monde juridique mais plus généralement sur les

consommateurs français. En effet, cette action de groupe, dans son principe

faisait l’unanimité. Cependant, quelques mois, après son adoption et peu

d’actions engagées, l’euphorie est retombée.

Paradoxalement, une des raisons d’être de ce texte couplé à la longueur d’une

procédure judiciaire semble s’opposer au succès de l’action de groupe en matière

de concurrence.

En effet, la raison d’être de l’action de groupe est le rééquilibrage des forces en

présence, une application plus effective du droit de la concurrence. Pour ceci, les

professionnels doivent réparer les préjudices occasionnés au titre de pratiques

anticoncurrentielles, même si ceux – ci ne sont pas importants. Ces préjudices le

plus souvent, du point de vue du consommateur, constitue de petites sommes,

parfois insignifiantes.

Le consommateur, afin de savoir si le remboursement de ces sommes en vaut la

peine, fait une équation logique : l’enjeu pécuniaire, le coût de la procédure, le

temps de la procédure.

Le coût de la procédure, dans le cadre d’une action de groupe, ne sera pas

supporté par les consommateurs donc ce paramètre est favorable à l’introduction

de l’action de groupe.

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84. Cependant, quand le consommateur va confronter le temps de l’instance

(Chapitre 1) avec l’enjeu à la clé qui se caractérise par l’indemnisation de

préjudices minimes (Chapitre 2), il n’est pas sûr que celui – ci perçoive l’action

de groupe comme ce remède miracle tant attendu.

CHAPITRE 1 : Le temps de l’instance

85. Le temps de la procédure est régi par des délais qui s’additionnent les uns aux

autres. Nous sommes dans le cadre d’actions en dommages – intérêts contre les

professionnels, auteurs de pratiques illicites.

Dans sa décision Manfredi, la Cour de Justice des Communautés Européennes a

précisé que la prescription applicable en matière d’action en dommages et

intérêts pour pratiques anticoncurrentielles est régie par le droit des États

membres. Ainsi, en France, il s’agit d’une action en responsabilité contractuelle

ou délictuelle de cinq ans33

.

Ainsi l’action de groupe en matière de concurrence ne « peut être engagée au-

delà d’un délai de cinq ans à compter »34

de la décision « prononcée à

l'encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de

l'Union européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus

susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des

manquements »35

.

86. Aussi, dans la problématique du temps dans l’instance de l’action de groupe

en droit de la concurrence, est primordial la question de l’incidence de l’action

publique sur le délai d’action de l’action privée.

L’article 10 de la directive 2014/104/CE affirme que les Etats membres doivent

veiller « à ce qu'un délai de prescription soit suspendu ou, selon le droit

national, interrompu par tout acte d'une autorité de concurrence visant à

l'instruction ou à la poursuite d'une infraction au droit de la concurrence à

laquelle l'action en dommages et intérêts se rapporte. Cette suspension prend fin

33

C.Civ., Art 2224 : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à

compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant

de l'exercer » 34

C. conso., Art L 423 – 18. 35

C.conso., Art L.423 -17.

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au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est

devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d'une autre

manière »36

. La directive européenne prend donc fait et cause pour une

suspension du délai de prescription pendant la procédure publique.

Le législateur français a suivi son homologue européen ; désormais, la

prescription de l’action civile est interrompue par l’ouverture d’une procédure

devant l’AdlC, une autorité nationale d’un Etat membre ou la Commission,

jusqu’à la date de la décision définitive. Il s’agit d’un changement radical du

droit positif puisque jusqu’à présent l’action de concurrence n’interrompait pas

l’action civile, entraînant régulièrement la prescription d’actions en

responsabilité entamées tardivement.

87. L’action de groupe a aussi adoptée, un mécanisme originale dit du « follow –

on » ou de l’action consécutive. Ainsi, la durée de l’action de groupe sera dictée

par la nécessité d’une décision d’une autorité publique (Section 1) et par le

comportement des parties qui pourront user de manœuvres dilatoires (Section 2).

Section 1 : La nécessité d’une décision d’une autorité de concurrence, le principe

du « follow – on »

88. Le principe du « follow – on » a été introduit par la loi « Consommation ».

On pourrait traduire cette expression anglo - saxonne « follow – on » par « à la

suite de », « consécutif à ». La condamnation au titre de l'action de groupe

n'intervient qu'après le constat de l'infraction par une autorité de concurrence ou

une juridiction.

Cette nécessité d’une action publique a longuement été débattue par les

parlementaires et finalement retenue.

89. Ce principe de « follow – on » ou d’action consécutive emporte deux

conséquences majeures ; d’une part, cela rallonge la procédure puisque la

détection de pratiques anticoncurrentielles prend du temps (Paragraphe 1), et

d’autre part, la décision d’une autorité comme l’Autorité de la concurrence, revêt

l’autorité de a chose décidée (Paragraphe 2).

36

Directive 2014/104/CE relative à certaines règles régissant les actions en dommages et

intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des

États membres et de l'Union européenne, Art 10. 4.

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44

Paragraphe 1 : La longueur inhérente à la détection de pratiques

anticoncurrentielles

90. Si l’action de groupe de droit commun est déjà longue et complexe, ces

travers sont renforcés en matière de concurrence.

Ainsi, l’article L.423-17 du Code de la consommation dispose : « la

responsabilité du professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l'action

mentionnée à l'article L. 423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à

l'encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de

l'Union européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus

susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des

manquements ».

Lorsqu’une action de groupe en droit de la concurrence est engagée, le législateur

a opté pour la formule de l’action consécutive, ou « follow – on ». Celle – ci

désigne le fait que l’action privée, en l’occurrence l’action de groupe, soit

soumise à une décision rendue par l’Autorité de la concurrence, une autorité

nationale de concurrence d’un autre Etat membre de l’Union Européenne ou bien

une décision de la Commission européenne.

91. L’avantage principal du système de l’action consécutive est de faciliter la

preuve pour les consommateurs qui interviennent dans l’action privée. En effet,

l’Autorité de concurrence ou toutes autres « autorités ou juridictions nationales

ou de l'Union européenne compétentes » aura déjà caractérisé, et parfois

sanctionné, le comportement anticoncurrentiel. Ainsi, l’action publique simplifie

l’action privée dans la preuve de la faute du ou des professionnels et permet donc

de réduire les frais de justice du demandeur qui découlerait de la démonstration

de la faute (expertises..)37

.

La condamnation au titre de l’action de groupe ne pourra donc intervenir

qu’après une condamnation du professionnel par les autorités compétentes de

l’Union Européenne qui constate les manquements au droit de la concurrence.

Cette dernière ne devra plus être susceptible de recours pour la partie relative à

l’établissement des manquements, ce qui allonge d’autant plus la procédure de

l’action de groupe.

37

KOMNINOS Assimakis, « EC private antitrust enforcement : decentralised application of EC

competition law by national courts », Hart Pub., 2008. p.7

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92. Afin de se rendre compte de la longueur d’une procédure d’action de groupe

en matière de concurrence il convient de décomposer les différentes étapes que

vont rencontrer les consommateurs :

- Une procédure de la concurrence peut durer jusqu’à cinq ans ;

- L’appel devant la Cour d’appel de Paris et le pourvoi en cassation peuvent

prolonger la procédure de 3 ans minimum ;

La durée de l’action publique peut donc durer, à elle seule, 9 ans.

- A cela, se rajoute la procédure civile devant le TGI, puis devant la Cour

d’appel et enfin devant la cour de cassation : ces différentes étapes

peuvent durer 7 à 8 ans.

Ces durées ne sont qu’indicatives et pourraient être plus longues dans les

premières années de mise en place de l’action de groupe puisque de nombreux

enjeux juridiques seront soulevées par les parties.

En résumé, une action de groupe en droit de la concurrence, en la superposant

avec l’action publique pourrait durer « entre 15 et 20 ans »38

pour les

consommateurs. Cette durée est extrêmement longue et déraisonnable pour un

consommateur qui, a fortiori, n’a pas un grand enjeu financier à la clé.

La saga du Cartel de la téléphonie mobile et l’Affaire de la parfumerie en sont

deux illustrations, puisque l’épuisement des voies de recours est intervenu

dix ans – voire davantage – après les faits, avec trois passages successifs devant

la cour d’appel et la Cour de cassation.

93. En effet, le temps d’une instance doit s’apprécier à l’aune de l’enjeu

judiciaire en cause. Dans le cadre de l’action de groupe en droit de la

concurrence, ces enjeux sont faibles. C’est une des raisons majeures de

l’introduction de l’action de groupe : indemniser les consommateurs de ces petits

préjudices subis quotidiennement.

Par exemple, dans le cadre de l’entente mettant en cause les trois opérateurs

téléphoniques en 2005. En moyenne, chaque consommateur (parmi les 20

millions d’abonnés) avait subi un préjudice patrimonial de l’ordre de 60 euros. Il

38

Vogel et Vogel, « Action de groupe : Les actions civiles de concurrence après la loi Hamon :

quels nouveaux risques pour les entreprises ?, Mai 2004. A voir : www.vogel-

vogel.com/blog/les-actions-civiles-de-concurrence-apres-la-loi-hamon-quels-nouveaux-risques-

pour-les-entreprises

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faut alors se demander, quel consommateur lambda serait intéresser par le

remboursement de soixante euros, quinze ans après que l’enquête de concurrence

ait démarré.

A cela, s’ajoute le problème de la preuve de l’étendue du préjudice. Cette

longueur excessive des procédures va poser de grandes difficultés pour les

consommateurs. Ceux – ci devront conserver des preuves pendant une quinzaine

d’années pour que le préjudice effectivement subi leur soit indemnisé. Impossible

ou du moins rarissime. Ces preuves ne sont parfois que des facturettes de

supermarché et même les plus comptables d’entre nous ne conservent pas leurs

factures de centre commercial pendant dix ans.

En conséquence, l’action de groupe va se heurter à cet obstacle majeur qu’est la

durée interminable de la procédure pour finalement déboucher sur

l’indemnisation d’un faible préjudice, si celui – ci est démontré. C’est pourquoi,

on peut se demander si la loi, en mettant en place ce dispositif, ne fait pas naitre

de faux espoirs aux consommateurs quant à leur indemnisation.

L’efficacité du remède judiciaire et le succès de l’action de groupe passent aussi

par la rapidité de la réponse judiciaire, ce n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une

action de groupe en droit de la concurrence.

94. Au – delà de la « soumission » de l’action civile à la décision rendue par une

autorité ou une juridiction en matière de concurrence, l’autorité de la chose

décidée accordée à ces décisions est inédite en France.

Paragraphe 2 : l’autorité de la chose décidée accordée aux décisions de

concurrence

95. La question est ici de savoir quel force contraignante sur le juge civil la

décision de l’Autorité de la concurrence aura t – elle ?

96. Selon la loi « consommation », le manquement aux règles du droit de la

concurrence liera le juge saisi de l’action de groupe. En effet, l’article L.423-17

du Code de la consommation affirme que la responsabilité du professionnel ne

peut être prononcée que sur le fondement d’une décision prononcée à son

encontre par les autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne

compétentes, qui constate des manquements et n’est plus susceptible de recours

pour la partie relative à l’établissement des manquements. Plus intéressant, en ce

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47

cas, les manquements du professionnel relevé par l’Autorité sont réputés établis

« de manière irréfragable » pour le jugement sur la responsabilité.

C’est ainsi que, par l’effet de cette présomption irréfragable, l’association de

consommateurs n’aura pas à caractériser la preuve de la faute civile. Ce

mécanisme est inédit en droit français : l’Autorité de la concurrence voit sa

décision revêtue de l’autorité absolue de chose décidée et cela même si ce n’est

pas une juridiction.

Certains, dénonçant cette atteinte portée au principe d’indépendance du juge,

affirment : « La recherche d’une meilleure efficience en matière de concurrence

requiert l’effacement du droit civil. L’autorité administrative tient le juge

judiciaire en l’état »39

.

La directive 2014/104/CE, en son article 9, accorde cette même présomption

irréfragable lorsqu’une « infraction au droit de la concurrence constatée par une

décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou par une instance

de recours ».

De plus, lorsque « lorsqu'une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise

dans un autre État membre », cette décision doit être présentée en tant que

preuve « prima facie » pour le juge civil saisi.

97. Usant de la procédure mis en place par le législateur français, les

professionnels pourront user de manœuvres dilatoires afin de décourager les

consommateurs.

Section 2 : Le risque de manœuvres dilatoires des professionnels

98. Au cours de la procédure de concurrence, de nombreux recours sont

susceptibles d’être utilisés par les professionnels. Ces recours sont autant de

voies de droit que le législateur accorde aux entreprises pour prononcer une

décision aux termes d’un procès équitable.

39

N. MOLFESSIS, L’exhorbitance de l’action de groupe à la française, D.2014. p.947 : « les

autorités de concurrence tiennent le civil en l’état »

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48

Ainsi, on a vu précédemment que le temps était un élément primordial dans le

cadre d’une action de groupe en droit de la concurrence. Cet élément joue en

faveur du professionnel et contre le consommateur.

Pour les raisons vu ci – dessus, le consommateur ne conserve pas indéfiniment la

preuve de ces achats le liant aux entreprises ayant participé à une pratique

anticoncurrentielle. La durée de conservation des preuves pour le consommateur,

qui tend à prouver son préjudice, est donc limitée.

C’est pourquoi, le professionnel, anticipant l’éventualité d’une action de groupe

postérieure, qui fait l’objet d’une enquête de concurrence puis d’une

condamnation par l’Autorité de la concurrence, pourrait interjeter appel devant la

Cour d’appel de Paris. Si la décision ne lui est toujours pas favorable, le

professionnel pourrait se pourvoir en cassation.

Dans un délai de cinq ans après l’arrêt de la Cour de cassation, une action de

groupe peut être introduite devant le Tribunal de grande instance compétent.

La décision du Tribunal de grande instance pourra suivre le même parcours

judiciaire correspondant à un appel et un pourvoi en cassation. A cela même, on

peut imaginer que les entreprises formeront des recours devant la Cour

européenne des Droits de l’Homme pour faire valoir leur droit.

Par exemple, l’affaire du cartel des opérateurs téléphoniques a fait l’objet de trois

passages devant la Cour d’appel de Paris et devant la Cour de cassation. Cette

procédure représentant plus de dix ans.

99. Néanmoins, à cette possibilité pour les professionnels d’user de manœuvres

dilatoires afin de compliquer la tâche des consommateurs devant prouver

l’étendue de leur préjudice, il faut y adjoindre un contrepoids important : la

détérioration de l’image du professionnel auprès du grand public.

En effet, il ne faut pas sous estimez le risque de la détérioration de l’image. Deux

phases sont à distinguer : la procédure devant l’Autorité de la Concurrence et

celle devant le juge civil.

Devant l’Autorité de la concurrence, quel que soit la longueur de la procédure,

les entreprises ne souffrent pas d’un préjudice d’image important puisque la

procédure peut faire l’objet de négociations entre l’entreprise et l’autorité ou bien

parce que les enquêtes ne sont pas médiatisées.

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49

En revanche, devant le juge civil et avec la possibilité d’engager une action de

groupe désormais, la médiatisation va être telle que l’entreprise aura intérêt à

mettre rapidement fin aux actions en dommages – intérêts. L’image de marque

est « fondamentale, à l’heure de l’ultra – médiatisation de l’économie,

l’accélération des modes de commerce, notamment via Internet »40

. La marque

est un actif primordial pour l’entreprise désormais.

Ainsi les entreprises pourront user de recours visant à allonger la procédure afin

de rendre plus difficile la tâche des consommateurs souhaitant se faire

indemniser. Cependant, cette possibilité est fortement contrebalancée par le

risque d’atteinte à la marque de l’entreprise.

100. L’action de groupe en matière de concurrence va donc être sujet à des délais

très longs mais ces délais sont à mettre en perspective avec le faible enjeu

pécuniaire pour les consommateurs.

CHAPITRE 2 : La réparation de préjudices minimes

101. Du point de vue de l’entreprise, l’action de groupe en droit de la

concurrence représente une très forte dissuasion. En effet, dans l’esprit collectif,

et notamment en référence aux class action américaines, les entreprises peuvent

être condamnées à des montants de dommages – intérêts très élevés. Néanmoins,

il faut relativiser cette vision « américaine » des actions collectives car le système

français et notamment il n’admet pas les « punitive damages », si précieux aux

class action américaine.

De plus, les entreprises, déjà condamnées par une autorité de concurrence, ne

pourra contester leur faute civile qui est présumé de manière irréfragable ; elles

sont donc beaucoup plus vulnérables que dans une procédure civile ordinaire.

Se dresseront face à elle, au moins deux consommateurs, mais de telles actions

sont destinées à accueillir bien plus qu’une dizaine de consommateurs.

40

M. HOULLE, Directeur des Affaires Juridiques, Institutionnelles et Réglementaires de Direct

Energie, RLC 2015, p. 42.

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50

L’action de groupe vise à réunir des milliers de consommateurs. Ainsi, l’action

de groupe initiée par l’association de consommateurs UFC Que Choisir pourrait

regrouper plus de 130 000 consommateurs.

C’est de leur point de vue qu’il convient de se placer pour apprécier les

préjudices minimes. Tandis que la société Foncia provisionne pour 44 millions

d’euros, les consommateurs victimes de la pratique de Foncia ne s’attendent à

recevoir en moyenne que 138,36 euros pour être indemniser de leur préjudice.

102. On s’aperçoit donc que selon le point de vue adopté, l’action de groupe

dispose d’un fort pouvoir de dissuasion envers les entreprises mais d’un faible

pouvoir d’incitation pour les consommateurs.

En effet, ces derniers, après avoir enduré une longue procédure menant à leur

indemnisation se heurteront à la seule réparation de leurs préjudices

patrimoniaux résultant des dommages matériels subis (Section 1) ce qui

correspond dans les conflits de concurrence à des sommes d’indemnisation futile

(Section 2).

Section 1 : l’unique réparation des préjudices patrimoniaux résultant des

dommages matériels subis

103. L’article L.423 – 1 alinéa 2 du code de la consommation dispose : « L'action

de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux

résultant des dommages matériels subis par les consommateurs ».

Ce texte limite donc le champ d’application de l’action de groupe.

Un constat sémantique nous indique que la distinction faite par une partie de la

doctrine entre le dommage et le préjudice trouve sa consécration dans cet article

du Code de la consommation. Les dommages sont « les atteintes, les lésions

subies par la victime dans sa personne ou dans ses biens »41

. Quant à eux, les

préjudices sont les conséquences du dommage : ceux – ci peuvent être

patrimoniaux ou extra – patrimoniaux.

De plus, la réduction du champ de l’indemnisation ne s’arrêt pas là puisque

l’indication dans la loi aux « dommages matériels » visent à exclure toute

41

C.PELLETIER, « Le bien fondé des actions engagées », RDC, 15 juin 2015, n°2, p.403.

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51

indemnisation des dommages corporels que pourraient subir les consommateurs ;

aussi bien, dans leur dimension extra – patrimoniale que dans leur dimension

patrimoniale. Ces dommages sont très peu invoquées en droit de la concurrence

donc la conséquence n’est pas majeure sur l’action de groupe suite à une pratique

anticoncurrentielle.

Le législateur, par cette exclusion a voulu faciliter la tâche des juges civils,

évitant que le préjudice ne soit trop individualisé. Il est à signaler que le projet de

loi du 15 octobre 2014 relatif à la santé qui semble être le support de l’extension

au domaine de la santé de l’action de groupe, vise à réparer les dommages

corporels que peuvent causer la mauvaise utilisation de produit de santé ou leur

défectuosité42

.

104. En outre, sont également écartées les préjudices extrapatrimoniaux, c’est – à

– dire les préjudices moraux qui peuvent découler de dommage matériel.

Pour ces préjudices, les consommateurs devront agir dans le cadre d’actions

individuelles et connaitront les mêmes inconvénients qu’avant la loi Hamon.

Seront donc réparables les préjudices patrimoniaux qui découlent donc d’une

atteinte matérielle aux biens des consommateurs tels que les dégradations ou les

destructions mais aussi les préjudices économiques purs.

Ces derniers ne relèvent pas vraiment d’un dommage matériel de sorte que l’on

aurait pu douter de leur indemnisation dans le cadre de cette loi. Néanmoins, ceci

semble n’être qu’une maladresse « de plume » puisque l’action consécutive à des

pratiques anticoncurrentielles à vocation à s’appliquer seulement dans ces cas de

préjudices économiques.

105. On s’aperçoit donc de la finalité de l’action de groupe par le biais de la

limitation des préjudices réparables dans le cadre d’une action de groupe : il

s’agit de rendre le droit de la consommation plus efficace et de permettre aux

consommateurs subissant des préjudices patrimoniaux de faible importance

d’être indemnisés.

Section 2 : la futilité des demandes d’indemnisation

42

Art 45, Projet de loi de modernisation de notre système de santé (AFSX1418355L)

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52

106. Le terme « futilité » est à utiliser avec précaution. Il est ici question de la

« futilité » des sommes du point de vue du consommateur.

107. En revanche, les sommes en jeu sont considérables pour les entreprises

françaises concernées par une action de groupe. Cinq actions ont été lancées

depuis que cette procédure a été rendue possible le 1er

octobre 2014, une a été

abandonnée par l’association SLC – CSF contre Paris Habitat en contrepartie

d’un règlement amiable.

Les actions en cours concernent :

- L’association Familles rurales qui accuse SFR de pratiques commerciales

illicites concernant sa couverture 4G

- L'UFC Que Choisir attaque le réseau immobilier Foncia pour avoir fait

supporter un service « d’avis d’échéance » de 2,3 euros par mois alors

qu’il est interdit de faire supporter ce service par les locataires.

- La CLCV a introduit une action contre le contrat d’assurance vie Cler géré

par Axa.

- La CNL a dénoncé une clause abusive dans les contrats du bailleur social

3F.

Ainsi, à titre d’exemple, l’action opposant l’UFC Que Choisir et le réseau

immobilier Foncia. Celle – ci peut être vue sous deux angles opposés.

Du point de vue de l’entreprise, le risque pécuniaire est de 44 millions d’euros.

Du point de vue de chacun des 318 000 locataires de Foncia entre 2009 et 2014,

le succès de cette action de groupe représente en moyenne 138,36 euros.

On voit donc cette asymétrie mais celle – ci fait toute la force de l’action de

groupe. La raison d’être de ces actions de groupe est l’existence de ces « petits »

préjudices, ces préjudices subis suite à des litiges « quotidiens ».

Avant que la possibilité d’action collective n’existe, le consommateur qui

subissaient ces préjudices ne faisait pas valoir ses droits en justice puisqu’une

procédure judiciaire lui aurait couté plus cher que ce qu’il réclame au(x)

professionnel(s). Ajouté à cela, l’aléa judiciaire et le consommateur n’agissait

que très rarement.

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53

A titre d’exemple, dans le cadre de l’affaire du cartel de la téléphonie mobile, 20

millions d’abonnés pouvait potentiellement demander réparation de leur

préjudice qui s’élevait en moyenne à 60 euros.

Seul 0,13% de ces deux cent millions d’abonnés à des forfaits téléphoniques l’ont

effectivement fait, soit 26 000 individus.

Pour qu’une action privée soit engagée dans ces litiges du « quotidien », deux

motifs principaux guident les consommateurs : l’enjeu pécuniaire du procès et le

temps que prendra ce procès.

On voit donc que la faiblesse des sommes qui seront réclamées est inhérente à

l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Le manque d’attractivité qui découlera de cette procédure n’est pas

fondamentalement du à ces sommes minimes. Le défaut d’attractivité, s’il y en a

un, sera à rechercher en mettant en relation la faiblesse de l’enjeu pécuniaire pour

un consommateur avec le temps que l’instance prendra.

Cette longueur excessive de la procédure couplée à un faible enjeu découragera

un grand nombre de consommateurs qui, même s’ils sont séduits par l’idée d’une

réparation de ces petits préjudices, ne sacrifieront pas du temps et de l’énergie

pour quelques dizaines d’euros.

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54

Conclusion Première partie

108. L’action de groupe en matière de concurrence devra, avant de célébrer son

succès, passer deux obstacles de taille : les juges et les associations de

consommateurs.

Si l’enthousiasme semble de mise, il faudra surveiller quel est le comportement

que les juges adopteront quant à l’action de groupe en cette matière : est – ce

qu’ils seront prêts à lui ouvrir les bras pour en faire un moyen complémentaire de

lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

Ou bien, au contraire, vont – ils estimer que la sanction publique est une sanction

suffisante, à l’heure où celles – ci augmentent d’années en années, en accordant

des dommages et intérêts très faibles aux victimes ou en rallongeant la

procédure ?

Autre interrogation légitime : la non - spécialisation des tribunaux va t – elle

entrainer une disparité des règlements de ces actions collectives particulières ?

109. En outre, il faudra également surveiller le comportement des

consommateurs qui ne semblent pas, pour le moment, armées pour engager des

actions de groupe en matière de concurrence (d’ailleurs aucune n’a été introduite)

et qui rencontreront des problèmes financiers et d’organisation interne.

Ajoutez à cela la « guerre de l’image » opposant les associations et les

entreprises et vous obtiendrez un cocktail qui ne semble pas tout à fait offrir les

garanties d’un succès de l’action de groupe.

110. Toutes ces questions (parait – il qu’il faut en poser pour être un bon

juriste ?) trouveront leur réponse dans les prochaines années, ces premières

années si importantes pour le succès de l’action de groupe, qui ont tant fait défaut

à l’action en représentation conjointe.

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55

SECONDE PARTIE : LES DIFFICULTES DE FOND DE L’ACTION DE

GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

TITRE I : L’ECLUSE DE LA DETERMINATION DU PREJUDICE

INDEMNISABLE

110. Le principe de la réparation intégrale des préjudices subis constitue l’un des

principes fondamentaux de notre droit de la responsabilité civile. En vertu de ce

dernier, la victime d’une pratique anticoncurrentielle a droit à la réparation « de

tout le préjudice, rien que le préjudice ». Encore faut – il être en mesure de

chiffrer ce préjudice et le prouver.

Laurence Idot relève le fait que « la preuve du préjudice pose problème (…) la

difficulté n’est pas propre au droit de la concurrence – elle est inhérente au droit

de la responsabilité civile – mais il est vrai qu’elle prend en cette matière une

toute autre ampleur »43

.

111. A ce stade, il convient de préciser et de souligner que cette incertitude quant

à l’évaluation du préjudice ne pose aucun obstacle que le juge ne pourrait

surmonter. Cette difficulté ne s’oppose pas à l’administration de la justice par le

juge. En effet, de tout temps, les juges du fond ont souverainement résolu cette

question. C’est en cela que l’on peut affirmer que l’obstacle fondamental n’est

pas dans l’incertitude mais est le degré de précision attendu d’un magistrat.

Deux problèmes prennent tout leur sens dans le cadre d’une action de groupe en

matière de concurrence. D’une part, l’inhérente difficulté à quantifier la part

imputable à la pratique concurrentielle (chapitre 1) et d’autre part, la difficulté

probatoire consubstantielle aux conflits issus de pratiques anticoncurrentielles

(chapitre 2).

CHAPITRE 1 : L’inhérente difficulté à quantifier la part du préjudice imputable

à la pratique concurrentielle

112. Concernant la quantification du préjudice consécutif à une pratique

anticoncurrentielle, deux difficultés majeures semblent se présenter au juge.

43

L. IDOT, « Rapport de synthèse », in Potentialité et réalité de l’action au civil en matière de

concurrence, La réparation du préjudice causé par une pratique anti-concurrentielle en France et

à l’étranger : bilan et perspectives. Grand’ Chambre de la Cour de Cassation, 17 octobre 2005.

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56

D’une part, ce dernier devra évaluer approximativement le préjudice (Section 1)

et d’autre part, le magistrat sera confronté à la question de la répercussion de la

pratique anticoncurrentielle sur le prix (Section 2).

Section 1 : L’évaluation approximative du préjudice

L’évaluation du préjudice qu’auront subis les consommateurs d’une action de

groupe sera nécessairement le fruit d’une approximation.

Le juge français, assisté par les économistes de l’Autorité de la Concurrence,

devra se soumettre à une réalité qu’est l’impossibilité de chiffrer de façon

certaine le préjudice (Paragraphe 1). Cette réalité n’en est pas moins

insurmontable puisque il est demandé au juge de respecter un standard, le

standard de l’approximation « raisonnable » (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’impossibilité de chiffrer de façon certaine le préjudice

113. Dans le cadre d’une action de groupe en matière de pratiques

anticoncurrentielles, l’association, demanderesse, va se retrouver face à

l’exigence d’échafauder un scénario qui tend à démontrer quelle aurait été la

situation si les opérateurs économiques, défendeurs, n’avaient pas commis

d’infractions au droit de la concurrence.

Grâce au principe du follow on, on pourrait affirmer que la démonstration et la

preuve de l’infraction au droit de la concurrence sera évidente. Néanmoins, la

question qui se posera au juge français sera de déterminer, par exemple dans un

cas d’entente sur les prix, quelle part du prix est due à la pratique concurrentielle

et quelle portion du prix correspond à l’évolution « normale » du marché

appréhendé.

C’est ainsi que Muriel Chagny affirme que face à la complexité de

« l’établissement du préjudice et notamment du scénario contrefactuel, les

méthodes d’évaluation du préjudice proposées par la Commission reposent en

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57

effet sur un nombre important d’hypothèses, et ce faisant peuvent atténuer le

caractère certain du préjudice »44

.

Le rapport Oxera, commandé par la Commission européenne, confirme que

s’agissant de la réparation des infractions au droit de la concurrence, il est

impossible d’atteindre un niveau de précision se rapprochant de la « certitude »

ou de la « vérité ». En effet, comme Muriel Chagny le soulignait45

, le

raisonnement intellectuel consistant à mettre le demandeur dans la situation

financière qui aurait été la sienne si les règles de concurrence n’avaient pas été

violés (but for)46

est, de facto, fictif et donc imprécis. Une marge d’erreur est

inéluctable.

Néanmoins plusieurs méthodes économiques sont disponibles pour la

détermination du scénario contrefactuel. Quoiqu’imparfaites, trois approches sont

à la disposition de l’Autorité de la Concurrence ou bien du juge.

Premièrement, l’approche par comparaison qui se décline en deux méthodes.

Ainsi, la première méthode consiste à « comparer l’évolution des prix sur des

marchés de produit ou des marchés géographiques similaires au marché cible

sur lequel on souhaite mesurer l’effet de la restriction de concurrence et qui

n’ont pas été affectés à l’infraction »47

. Il convient alors d’appréhender la

différence de prix entre le marché étalon et le marché considéré, la différence

étant alors imputable à la pratique anticoncurrentielle.

En outre, il est possible de faire une comparaison temporelle. Selon cette

méthode, la comparaison s’opère entre les périodes avant et après la commission

de l’infraction au droit de la concurrence sur le même marché géographique et de

produit. Cette comparaison permettrait au juge d’appréhender la situation du

consommateur avant la commission de l’infraction.

Deuxièmement, l’approche financière est envisageable. Celle – ci permet la

reconstruction du « prix contrefactuel par estimation directe à partir du coût de

44

AFEC, Observations formulées par l’AFEC sur le projet de documentation d’orientation

relatif à la quantification du préjudice, 2011, p.13. 45

supra 46

Rapport Oxera, préc. §2.1 p.30 « to put a claimant into the financial position

that it would have been in but for the breach of the antitrust rules ». 47

G. ZAMBRANO, L’inefficacité de l’action civile en réparation des infractions

du droit de la concurrence, thèse soutenue en novembre 2012

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58

production et de la marge bénéficiaire »48

. Ainsi, une augmentation de la marge

bénéficiaire de l’auteur (ou des auteurs) de l’infraction permet de chiffrer la

correction à apporter pour retrouver le prix contrefactuel. L’obtention du prix

contrefactuel passe par l’opération de retranchement de la marge bénéficiaire

anormale du prix observé puisque l’évolution du coût de production est connue.

Enfin, la dernière approche à envisager est l’approche par modélisation. Cette

approche consiste à utiliser des modèles simulant la réalité observée. La théorie

micro – économique moderne de l’Organisation industrielle a permis l’utilisation

de tels modèles49

. Un modèle suffisamment précis parviendra à un résultat simulé

identique au résultat observé. Ainsi, le scénario contrefactuel est élaboré à partir

de données butes réelles dans un modèle de concurrence imparfaite qui

correspond à la situation du marché si l’infraction n’avait pas été commise.

114. Dans le cadre d’une action de groupe en matière de concurrence,

l’imprécision de toutes ces méthodes risquent d’être source de nombreuses

divergences. En effet, un des débats récurrents devant l’Autorité de la

Concurrence dans le cadre du public enforcement, est l’étendue du dommage à

l’économie provoquée par la pratique anticoncurrentielle. Si l’appréciation de ce

dommage à l’économie fait déjà l’objet de contestations récurrentes de la part des

professionnels incriminés, sa conversion en un préjudice individuel indemnisable

sera forcément source de nombreux désaccords devant les tribunaux de grande

instance compétents.

Ces méthodes sont utilisées, de façon usuelle, par les économistes de l’Autorité

de la Concurrence ; néanmoins, dans le cadre de l’action de groupe « à la

française », le juge devra trancher la question du préjudice patrimonial et en

cette matière, les magistrats français sont encore loin d’être à la hauteur des

économistes de l’Autorité.

Néanmoins, même un économiste ne peut chiffrer de façon certaine un préjudice

et, conscient de cette impasse, il est demandé au juge une approximation

« raisonnable » du préjudice.

48

ibid 49

Travaux dérivés de la théorie classique de Joe S. Bain, Industrial Organization (1959),

représentée en France notamment par l’Institut d’Economie Industrielle de Toulouse, et son

directeur Jean Tirole, médaille d’Or du CNRS 2007, Prix Nobel d’Economie 2014.

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59

Paragraphe 2 : Le standard de l’approximation « raisonnable »

115. Le principe de réparation intégrale du préjudice ne doit pas être un principe

qui confine à opérer un déni de justice en présence d’une approximation quant au

quantum du préjudice subi par le ou les consommateurs. Ainsi, les juges du fond,

fixant tant bien que mal le montant du préjudice subis par les victimes d’une

pratique anticoncurrentielle, dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation (I)

dans le domaine. Néanmoins, l’approximation qui pouvait paraitre raisonnable

lors de la réparation du préjudice d’un ou d’une dizaine de consommateurs peut,

par le coefficient multiplicateur de l’action de groupe, peut poser problème.

I) Le pouvoir souverain des juges du fond

116. Partons du sacrosaint principe de réparation intégrale du préjudice qui invite

les juges à indemniser les consommateurs « sans qu’il en résulte ni perte ni profit

pour la victime »50

. En vertu de ce principe, les juges semblent enfermer et

contraint à évaluer de façon très précise le préjudice qu’a subi le consommateur.

Or, le juge du fond français dispose d’un pouvoir souverain en ce domaine de la

détermination du préjudice et il l’utilise au gré des espèces et en fonction des

données qu’il a à sa disposition. C’est là tout le rôle du juge.

La Cour de cassation ne s’oppose pas à cette vision quelque peu approximative,

bien au contraire : « les juges du fond apprécient souverainement le préjudice qui

résulte d’une infraction »51

. En conséquence, la Cour de cassation rejette

immanquablement les pourvois critiquant l’appréciation du préjudice faite par les

juges du fond, au motif que le juge « n’a fait qu’apprécier souverainement, dans

la limite des conclusions des parties, l’indemnité propre à réparer le dommage

né de l’infraction »52

. Les juges du fond ont donc toute latitude pour apprécier à

la fois l’existence du préjudice mais aussi son étendue.

50

Cass. Crim. 11 avril 2012, n°11-83007 : « vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale,

ensemble l’article 1382 du code civil ; attendu que le préjudice résultant d’une infraction doit

être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune parties ». 51

Jurisprudence constante : Cass. Crim. 20 novembre 1968, n° 68 -91246 ; Bull. 308. 52

Cass. Crim. 7 février 2012, n°11-83131

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60

Conséquence direct de ce pouvoir des juges de première instance et des juges

d’appel : la Cour de cassation n’exerce donc pas de son pouvoir de vérification

sur cet aspect-là de la décision.

117. En matière d’action de groupe, le juge du Tribunal de grande instance

disposera donc d’un pouvoir souverain dans la détermination du préjudice des

différents consommateurs. Ce juge civil devra donc faire face à une multiplicité

de situations différentes. L’évaluation du préjudice ne peut se limiter à un calcul

mécanique mais doit prendre en compte « les spécificités de chaque affaire, de

chaque marché mais également de chaque victime »53

de la pratique

anticoncurrentielle. Comme vu précédemment, le juge devra s’affranchir de ce

travail ; or, en cas d’actions de groupe, ce travail semble fastidieux voire

impossible pour le juge.

Cette appréciation souveraine des juges du fond, en réalité, laisse place à une

forte dépendance à l’égard des experts. Ainsi, certains auteurs souligne le fait que

« le juge se retrouve très dépendant de l’avis de l’expert qu’il nomme pour

l’éclairer sur le calcul du montant du préjudice économique »54

. D’autres, dans

le même sens, redoute « l’abdication du juge » devant l’expert55

.

L’article 17 de la directive 2014/104/CE précise que les juges civils seront

habilités « à estimer le montant du préjudice », il est ici question d’estimation. Et

ces derniers pourront demander de l’aide à l’autorité nationale de concurrence.

L’Union Européenne encourage donc cette collaboration du juge et des

économistes.

Cette dépendance à l’expert n’est pas à blâmer puisque l’expert est spécialiste en

la matière mais cela interroge sur la fonction du juge dans ces conflits.

118. C’est pourquoi, ce standard de l’approximation raisonnable, utilisée pour

combler l’impossibilité d’établir un préjudice conforme à la réalité, semble mis à

mal par le coefficient multiplicateur de l’action de groupe.

53

F. MASMI - DAZI, « Le quantum du préjudice deviendra – t – il le centre de gravité des

actions en réparation de dommages concurrentiels », RLC 2710, p 102. 54

F.BELOT, « Pour une reconnaissance en droit français de la notion de préjudice

économique », Les petites affiches, 28 décembre 2005, p.8. 55

P. NERHOT, « Quelques réflexions sur l’expertise en droit européen de la concurrence »

Archives de Philosophie du Droit, t.33 1988, p. 301.

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61

II) L’approximation face au spectre de l’action de groupe

119. Cette approximation raisonnable, communément admise par la doctrine, ne

semble pas adaptée à cette nouvelle action mise en place par la loi dite

« Hamon » : l’action de groupe. D’ailleurs, certaines voix dissonantes existent.

Guy Canivet, par exemple, affirme que « le gros défaut de notre système

d’indemnisation du dommage est son approximation »56

. Claude Lucas de

Leyssac, quant à lui, dénonce le fait que les règles du Code civil de 1804 ne

permettent pas « une sanction adéquate des pratiques anticoncurrentielles »57

.

Ces remarques qui semblaient peu importantes lorsque l’approximation

s’appliquait à quelques demandeurs, personnes physiques, isolés prennent tout

leur sens dans le cadre d’une action de groupe.

Certains argueront qu’après tout l’action de groupe permet l’action de personnes

physiques qui sont dans des situations « similaires » ou « identiques » et donc le

problème se poserait dans les mêmes termes. La seule donnée à modifier serait le

nombre « d’approximations raisonnables » qu’il faudrait multiplier par le nombre

de consommateurs concernés. Il faudrait alors accepter une approximation

raisonnable pour des centaines, des milliers voire des millions de

consommateurs.

Mais, précisément, c’est le coefficient multiplicateur de l’action de groupe qui

rend l’approximation déraisonnable.

120. D’une part, le juge, face à cette multiplicité de situations, ne pourra pas

individualiser son évaluation du préjudice à chacun. Il sera contraint d’établir des

« catégories » de personnes qui pourront prétendre à la compensation de leur

préjudice. Il ne s’agit alors plus d’individualisation du préjudice mais de

catégorisation, ce qui pose problème à une bonne administration de la justice

pour le consommateur.

D’autre part, le juge va rencontrer un souci majeur dans l’évaluation du préjudice

et va devoir opter pour une des deux branches de cette option.

56

G. CANIVET, « Introduire l’action collective est une évolution inéluctable », La Tribune, 16

mai 2006. 57

C. LUCAS DE LEYSSAC, « Rapport de synthèse », Les sanctions judiciaires des pratiques

anticoncurrentielles, Paris I, 29 avril 2004, Les Petites Affiches, 20 janvier 2005, n°14, p.65.

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62

Soit le juge, appliquant le scénario contrefactuel, minore le préjudice

effectivement rencontrés par les consommateurs. Dans ce cas, la réparation

intégrale du préjudice ne sera qu’un principe incantatoire pour les

consommateurs mais ne s’appliquera pas à leur situation. Quant au(x)

professionnel(s), ayant commis une infraction au droit de la concurrence, il

n’aura pas réparé l’entier préjudice qu’il aura commis au consommateur, laissant

la porte grande ouverte aux fautes lucratives.

Soit le juge va majorer le préjudice effectivement rencontrés par les

consommateurs, ce qui semble moins probable. Alors, dans cette hypothèse, les

entreprises, après avoir payées une amende pour le dommage causé à l’économie,

indemniseront de façon exagérée des consommateurs. Le principe de réparation

intégrale du préjudice sera tout autant bafoué : rien que le préjudice nous dit-on

… . Cette hypothèse semble néanmoins « d’école » puisque l’entreprise en

question aura, dans la plupart des cas, déjà payée l’amende du public

enforcement et pourra alléguer d’un risque financier, éventuellement social ou

bien encore politique.

C’est donc ce facteur mutiplicateur, correspondant à la multiplicité de

consommateurs ayant usé de leur faculté d’opt – in, qui pourrait faire passer cette

approximation de raisonnable à problématique.

121. Si le juge devra se contenter d’une évaluation approximative du préjudice,

inhérente à la matière concurrentielle, il va devoir appréhender des situations

dans lesquelles les acteurs du marché, dans lequel une pratique contraire au

article 101 et 102 TFUE ou L 420 – 1 et L 420 – 2 du Code de commerce,

répercutent la pratique en question sur les prix.

Section 2 : La répercussion de la pratique anticoncurrentielle sur le prix

122. Deux problèmes majeurs se posent concernant d’éventuelles actions de

groupe en droit de la concurrence : celui du passing on (Paragraphe 1) et la

pratique dite des « prix ombrelles » (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le passing on (la directive européenne prend position art 12)

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63

123. Les consommateurs se situent à l’extrémité de la chaine économique, ils

constituent le maillon final de la chaine de distribution. Ils peuvent donc être très

éloignés de l’infraction, par exemple commis par les producteurs ou bien par

certains fournisseurs ; ce qui rend très difficiles la preuve de l’existence d’un

préjudice.

En revanche, les acheteurs directs des opérateurs économiques coupables de

pratiques anticoncurrentielles sont eux en mesure de répercuter le surcoût

occasionné par la pratique sur leur propre prix qu’ils proposeront aux

consommateurs.

Le problème de la répercussion du surcout manifeste donc la spécificité de la

revente58

. Le surcoût occasionné correspond à un gain illicite pour l’auteur de la

pratique anticoncurrentielle. Cette répercussion pose la question de la véritable

victime du surcoût, fruit de la pratique illicite.

En premier lieu, ce surcoût est supporté par l’acheteur direct des auteurs de

l’infraction. Toutefois, il est tout à fait possible que l’acheteur direct soit un

maillon intermédiaire de la chaine de distribution et qu’il répercute donc le

surcoût illégal sur ses propres clients.

Dans cette hypothèse, l’acheteur direct ne peut se prévaloir d’un préjudice

puisqu’il a récupéré en aval ce qu’il a perdu en amont. Elle s’est donc faite

justice elle – même en faisant supporter le surcoût illicite au maillon de la chaine

économique inférieur.

La Commission européenne, dans son Livre Blanc de 2008 relatif aux actions en

dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires de

concurrence, alerte les juges européens en affirmant que si les magistrats civils

ne prennent pas en compte cette répercussion du surcoût par le chainon

intermédiaire alors le risque serait « l’enrichissement sans cause des acheteurs

qui ont répercuté le surcoût » et « occasionner une réparation multiple

injustifiée, par le défendeur, pour les surcoûts illégaux imposés »59

.

Ainsi, dans sa directive relative aux actions en dommages et intérêts des victimes

d’infractions au droit de la concurrence publiée au Journal Officiel de l’Union

58

D. MAINGUY, La revente, Litec, 1996, [Doctorat : Droit : Univ. Montepellier

I] 59

Commission européenne, Livre Blanc sur « les actions en dommages et intérêts pour

infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » point

2.6 « répercussion des surcoûts », 2008.

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64

européenne du 5 décembre 201460

, l’Union Européenne admet ce moyen de

« passing – on defence » (article 12).

124. En vertu de ce moyen, l’auteur de la pratique anticoncurrentielle, à

l’occasion d’une action en dommages et intérêts de son acheteur direct, peut lui

invoquer le fait qu’il a répercuté l’augmentation des prix sur ses propres clients et

qu’en conséquence il n’a subi aucune perte, aucun préjudice. Cet argument

permet donc à l’auteur de la pratique de ne pas indemniser un acquéreur qui

n’aurait, de facto, pas supporter le surcoût illicite.

Mais cet argument de « passing – on defence » pourra être utilisée par

l’association de consommateurs introduisant une action de groupe en matière de

concurrence. Cet argument sera donc profitable aux acheteurs indirects

également.

En effet, les acheteurs indirects pourront invoquer ce moyen dans le but de

démontrer que ce sont eux les « véritables » victimes de la pratique

anticoncurrentielle.

125. Néanmoins, cet argument juridique rencontre une difficulté majeure : du fait

de leur éloignement, les acheteurs indirects éprouveront des difficultés à produire

la preuve permettant d’évaluer l’ampleur de la répercussion. Faute de preuve, les

acheteurs indirects, parties à une action de groupe, ne pourront être indemnisé de

leurs préjudices61

. La directive suscitée, pour faciliter cette preuve, pose une

présomption réfragable : le surcoût illégal amené par la pratique se répercute en

totalité sur ces dernières.

Avant l’édiction de la directive européenne n°2014/104/CE, l’argument du

passing – on defence a été consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation

dans plusieurs cas de demande de réparation d’un acheteur direct se prétendant

victime d’une pratique anticoncurrentielle. Ainsi, en 2006, le tribunal

commercial de Nanterre dans l’affaire des vitamines a débouté la partie

demanderesse, arguant que la possibilité pour cette dernière de répercuter à la

hausse le prix de vente pratiqué à ses clients exluait toute demande en réparation,

60

Directive 2014/104/CE relative à certaines règles régissant les actions en dommages et

intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des

Etats Membres et de l’Union Européenne, 26 nov. 2014, JOUE L.394, p.1). 61

En ce sens Avis de l’Autorité de la Concurrence « relatif à l’action de groupe en matière de

pratiques anticoncurrentielles », 21 sept. 2006.

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65

sans rechercher si elle avait concrètement augmenté ses prix ou non62

. Le tribunal

a donc fondé sa décision sur la base d’une présomption de répercussion du

surcoût.

La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la question en 201063

en

admettant le moyen tiré du « passing – on defence ». Elle censure un arrêt de la

Cour d’appel de Paris en indiquant que celle – ci aurait dû vérifier si les

entreprises plaignantes avaient répercuté le surcoût sur leurs propres clients. La

position est donc sensiblement différente de celle du tribunal de Nanterre puisque

la Cour de cassation ne se fonde pas sur une présomption de répercussion du

surcoût illicite.

126. En conclusion, les juges du fond français, devrait admettre un tel argument

dans le cadre d’une action de groupe en matière de concurrence en appliquant la

présomption réfragable de la directive européenne 2014/104/CE.

Il est intéressant de signaler, qu’à l’heure actuelle, cet argument n’a été invoqué

que de manière défensive, c’est – à – dire par l’auteur de la pratique

anticoncurrentielle pour se défendre contre une action de son acheteur direct. Il

n’existe pas encore d’illustrations dans lesquelles des victimes indirectes (ou bien

même une victime) invoquent cet argument.

L’action de groupe en matière de concurrence pourra, peut – être, être précurseur

en la matière en invoquant de manière « offensive » ce passing on defence.

Outre la question de la répercussion du surcoût, un autre phénomène d’actualités

pourrait intéresser le juge civil saisi d’une action de groupe en matière de

concurrence : c’est la problématique des prix ombrelles.

Paragraphe 2 : le prix ombrelle

127. Le prix ombrelle, ou « umbrella pricing » ou encore le phénomène de prix

de « protection » consiste, pour des entreprises étrangères à la pratique

anticoncurrentielle de profiter de ses conséquences sur le marché en augmentant

ses prix.

62

Trib. Com. Nanterre, 11 mai 2006, SA Laboratoires Arkopharma c/ Sté Roche et sté F.

Hoffman La Roche 63

Cass. Com., 15 juin 2010, Ajinomoto Eurolysine c/ Doux Aliments Bretagne e.a., n°09-15816

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66

Le contractant est donc une victime indirecte de la pratique anticoncurrentielle

puisqu’il contracte avec une entreprise qui n’a pas pris part à la pratique

anticoncurrentielle, ayant provoqué une hausse des prix sur le marché, mais qui

en a profité pour augmenter les prix de ses prestations.

L’arrêt Kone du 5 juin 2014 évoque cette hypothèse de « l’umbrella pricing »64

.

La victime indirecte du cartel dit « des ascenseurs » demandait aux entreprises

ayant pris part à ce cartel de réparer le préjudice qui consiste en l’écart du prix

qui aurait été pratiqué en l’absence de pratique anticoncurrentielle et le prix qui

s’était établi du fait de l’entente.

128. La singularité et la nouveauté de cette situation tient dans le fait que la

victime « finale » n’a aucun lien avec les auteurs de l’infraction au droit de la

concurrence. Cette dernière a contracté avec un opérateur économique qui n’est

pas fautif puisqu’il n’a pas participé à l’entente et il n’est pas non plus victime

puisqu’il a profité des effets de la pratique pour s’enrichir. Cet opérateur

économique a déterminé sa stratégie de façon isolée, sans le concours des

membres du cartel et donc le seul lien qui existe entre la victime et les auteurs de

l’entente est le marché « des ascenseurs ».

Plusieurs problématiques du droit civil sont soulevées par cet arrêt de la Cour de

Justice de l’Union Européenne. D’une part, il faut se demander si l’écran que

forme l’intermédiaire empêche le préjudice d’être direct au sens de l’article 1151

du Code civil par exemple. On peut ainsi évoquer la théorie de l’équivalence des

conditions : le comportement opportuniste de l’intermédiaire est la conséquence

directe de la commission de l’infraction par les membres du cartel. Néanmoins,

cet opérateur économique intermédiaire, qui a agi de façon parfaitement

autonome, s’oppose au critère de prévisibilité entre la faute et le dommage,

exigée par la théorie de la causalité adéquate65

. Effectivement, les auteurs de

l’infraction au droit de la concurrence n’ont sans doute pas prévus les

comportements opportunistes de concurrents ne participant pas à la commission

de l’infraction.

64

CJUE, Kone c. ÖBB – Infrastruktur, 5 juin 2014, C - n°557 - 12 65

G. PARLEANI, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Paris I), « Prix ombrelle,

responsabilité des participants à l’entente, et européanisation du lien de causalité », AJ Contrats

d’affaires – Concurrence – Distribution 2014, p.235.

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67

129. La Cour de Justice a, dans cette décision, cherché à élever le pilier du

« private enforcement » en retenant une conception pragmatique de lien de

causalité.

La Cour commence par affirmer que la question de la responsabilité civile relève

de la compétence du droit de l’Union et que les consommateurs doivent

bénéficier dans tous les Etats membres de la même protection afin d’éviter le

forum shopping.

Ensuite, la Cour poursuit en estimant que les victimes finales d’une telle situation

ne peuvent être privé de toute action pour faire valoir leurs droits et indemniser le

préjudice subi.

Enfin, elle impose un lien de causalité « suffisamment direct » pour que les

victimes puissent être indemnisées. Un lein de causalité « suffisamment direct »

n’impose pas un lien contractuel entre la victime et les membres du cartel mais

les victimes doivent tout de même prouver que le marché en question rendait

possible un phénomène de prix ombrelle et que les membres du cartel ne pouvait

l’ignorer. Cette deuxième condition ne doit pas conduire à une preuve impossible

pour les consommateurs de l’intention des membres du cartel. Cela passera par

l’analyse de la structure du marché et d nombre d’entreprises concernés par

l’entente en question.

Cette décision de la Cour de Justice est très instructive et pourrait se révéler

destructrice pour certaines entreprises, membres d’un cartel. En effet, dans le

cadre d’une action de groupe en matière de concurrence, les membres du cartel se

verrait infliger une amende dans le cadre de l’action publique ; à cela, pourrait y

succéder une action de groupe des consommateurs ayant été liés

contractuellement avec les auteurs de l’infraction. Et enfin, cerise sur le gâteau,

des consommateurs ayant contracté avec des concurrents qui n’avaient pas pris

part à la pratique anticoncurrentielle pourrait introduire à leur tour une action de

groupe par le biais d’une association de consommateurs afin d’être indemnisé du

préjudice subi, préjudice consistant à la hausse des prix. Cette hausse étant rendu

possible grâce à l’infraction au droit de la concurrence des autres membres du

marché.

130. Cette menace est à prendre très au sérieux pour les entreprises puisqu’il est

nécessaire de provisionner ce risque de condamnation et le phénomène

d’ « umbrella pricing » élargi considérablement l’assiette des consommateurs

susceptibles de se joindre à l’action de groupe.

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68

Le juge civil, malgré l’assistance de l’Autorité de la Concurrence va donc se

trouver confronté à l’obstacle du préjudice indemnisable. Mais cette difficulté

n’est pas propre au juge. En effet, les consommateurs, membres d’une action de

groupe, vont être confrontés à cet obstacle majeur.

Ceux – ci devront avant tout prouver qu’ils ont subis un préjudice et une fois cela

démontré, ils devront chiffrer ce préjudice toujours à l’aide de documents

probatoires qui peuvent s’avérer extrêmement périlleux à obtenir.

CHAPITRE 2 : L’asymétrie probatoire consubstantielle aux conflits

concurrentiels

131. L’article L423 – 17 du Code de la consommation dispose : « Lorsque les

manquements reprochés au professionnel portent sur le respect des règles

définies au titre II du Livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102

du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la responsabilité du

professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l'action mentionnée à

l'article L. 423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à l'encontre du

professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l'Union

européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus

susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des manquements.

« Dans ces cas, les manquements du professionnel sont réputés établis de

manière irréfragable pour l'application de l'article L. 423-3 ».

Le manquement du professionnel constaté par une autorité nationale de

concurrence ou par la Commission établit de manière irréfragable la faute dans le

cadre du jugement sur la responsabilité.

Cette solution qui constitue une rupture par rapport au droit français classique est

identique à celle retenue par l’article 9 « Effet des décisions nationales » de la

directive 2014/104/CE :

« Les États membres veillent à ce qu'une infraction au droit de la concurrence

constatée par une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou

par une instance de recours soit considérée comme établie de manière

irréfragable aux fins d'une action en dommages et intérêts introduite devant

leurs juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 du traité sur le

fonctionnement de l'Union européenne ou du droit national de la concurrence.

Les États membres veillent à ce que, lorsqu'une décision définitive visée au

paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse,

conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions

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69

nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction au

droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être

examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties ».

La directive européenne et la loi « Consommation » confèrent donc une autorité

de la chose jugée à la procédure de l’Autorité de la Concurrence. Cette situation

est inédite puisque les Autorités Nationales de Concurrence et la Commission ne

sont pas des juridictions. Or, jusqu’alors, seules les juridictions pouvaient édicter

une décision revêtant l’autorité absolue de chose jugée.

132. L’action de groupe en matière de concurrence étant une action aux fins

d’indemnisation, il convient alors de démontrer une faute, un dommage et un lien

de causalité entre la faute et le dommage. La faute étant irréfragablement

présumé par la procédure de concurrence préalable, il restera à l’association de

consommateurs d’établir le préjudice occasionné et le lien de causalité.

Cette tâche, bien qu’un accès aux preuves figurant dans le dossier d’une autorité

de concurrence soit facilité par la directive européenne 2014/104/CE (Section 1),

semble périlleuse pour les associations de consommateurs qui devront, avec les

consommateurs, s’affranchir de l’obstacle de la non – conservation des

documents probatoires par les consommateurs (Section 2).

Section 1 : Un accès facilité aux preuves figurant dans le dossier d'une autorité de

concurrence

133. L’action en dommages concurrentiels nécessite classiquement la preuve

d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité. La faute ne retiendra pas

notre attention dans cette section puisque dans le cadre de l’action de groupe

celle – ci est présumée en cas de décision de l’Autorité de la Concurrence ; en

revanche, il est clair que « l’asymétrie d’informations entre les victimes et les

participants des pratiques anticoncurrentielles figure parmi les principaux

obstacles à l’engagement des procédures »66

d’indemnisation consécutive à des

pratiques anticoncurrentielles.

La directive européenne 2014/104/CE a réduit cette asymétrie en permettant un

accès facilité à la preuve par un renforcement des pouvoirs du juge national

66

F. MASMI – DAZI, « Le quantum du préjudice deviendra – t – il le centre de

gravité des actions en réparation de dommages concurrentiels ? », RLC 2710, p.

104.

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70

(Paragraphe 1) tout en limitant cette accès à la preuve (Paragraphe 2) pour des

cas bien définis.

Paragraphe 1 : Le renforcement des pouvoirs du juge national

134. Les dispositions relatives à l’accès à la preuve sont l’un des apports majeurs

de la directive 2014/104/CE. Celle – ci conserve comme principe d’une

communication de pièces entre les parties dans la mesure du possible mais elle

permet l’accès à des documents lui permettant de fonder son action en

réparation ;

Les victimes de pratiques anticoncurrentielles, dans le cadre d’une action de

groupe notamment, pourront ainsi demander au juge civil la communication de

pièces susceptible de prouver l’existence de leur préjudice ou bien même de le

quantifier.

Pour cela, les parties devront identifier les documents ou la catégorie de

documents sur la base « de données factuelles raisonnablement disponibles »67

.

L’association de consommateurs devra donc identifiée plusieurs éléments : la

nature, l’objet ou bien même le contenu des documents.

135. Toutefois, ces demandes sont soumises au contrôle du juge du Tribunal de

grande instance qui jugera si cette demande est pertinente ou pas. Plus

exactement, le juge devra déterminé si la production de preuves est

« proportionnée » en prenant en compte l’intérêt des demandeurs, des défendeurs

et des tiers. Le juge doit donc évaluer si la production de preuves est basée sur

des données factuelles suffisamment raisonnable, si le « coût » de la production

de preuves n’est pas déraisonnable mais aussi la potentialité que les documents

demandés contiennent des informations confidentielles. Tous ces éléments sont à

prendre en considération.

Cette possibilité constitue un réel progrès pour les victimes de pratiques

anticoncurrentielles. Ainsi, les victimes d’un cartel, qui par nature ne disposent

d’aucune information sur l’impact de la pratique sur les prix pratiqués, pourront

demander l’obtention de documents susceptibles de quantifier leur préjudice.

67

Art 5.2 de la directive 2014/104/CE

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71

Ces victimes pourront réclamer aussi la production de preuves figurant dans le

dossier d’une autorité de concurrence. L’article 6 de la directive 2014/104/CE

affirme cela et pose les conditions d’une telle demande. Dans ce cas, le juge

devra, là aussi, apprécier si les intérêts des défendeurs sont respectés mais aussi

si l’efficacité de la mise en œuvre de la concurrence par la sphère publique n’est

pas impactée par cette demande.

Les demandeurs pourront ainsi réclamer, à tout moment, la production de

documents qui préexistaient à l’enquête de concurrence ou bien même certains

documents issus de cette procédure.

Concernant les documents qui existaient avant qu’une enquête de concurrence

s’ouvre, ceux – ci pourront être divulgués à tout moment. Le juge, s’il estime que

la demande est proportionnée, pourra enjoindre aux défendeurs de produire

certaines de ces pièces.

136. De plus, certains documents issus de l’enquête de concurrence pourront

aussi être demandés par les demandeurs. C’est en ce point que réside tout

l’intérêt de ces dispositions. Ainsi, les réponses d’une partie à une autre

concernant une demande de renseignements ou la communication des griefs de

l’Autorité aux parties sont protégés temporairement, jusqu’à la clôture de la

procédure.

Néanmoins, cette limite temporelle n’a pas vocation à s’appliquer pour les

actions de groupe en droit de la concurrence. En effet, en vertu du principe du

« follow on », l’action de groupe en matière de concurrence sera nécessairement

engagée après la clôture de la procédure de l’Autorité, en conséquence ces

documents pourront être réclamés par les associations de consommateurs et

devront être examinées par le juge civil.

137. Si l’accès à la preuve a été facilité pour de futurs consommateurs victimes

de pratiques anticoncurrentiels, il n’en reste pas moins que le juge opèrera un

contrôle de la «proportionnalité de cette demande par rapport aux intérêts

légitimes du défendeur à l’instance.

Paragraphe 2 : Les limites de l’intérêt légitime du défendeur

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72

138. La directive ouvrant cet accès à la preuve par les demandeurs a pris soin de

protéger certaines informations, certains documents qui irait, de façon

déraisonnable, à l’encontre des intérêts du ou des défendeurs à l’instance.

Ainsi, l’article 6.6 de la directive pose les limites d’une telle demande en

restreignant l’accès à certains documents :

« Les États membres veillent à ce que, pour les besoins d'une action en

dommages et intérêts, les juridictions nationales ne puissent à aucun moment

enjoindre à une partie ou à un tiers de produire les preuves relevant des

catégories suivantes:

a) les déclarations effectuées en vue d'obtenir la clémence; et

b) les propositions de transaction".

Il est donc inenvisageable qu’un juge enjoigne à une entreprise ou à une autorité

de la concurrence de divulguer des documents relatifs à des demandes de

clémence et également les documents se rapportant à des propositions de

transaction. Cette limite se comprend aisément puisqu’ils vont à l’encontre des

propres intérêts du défendeur et le juge ne peut obliger une partie à divulguer un

document d’une telle force probatoire pour l’adversaire.

Une autre catégorie de documents se soustrait à une demande potentielle de

divulgation : ce sont l’ensemble des correspondances échangées entre l’entreprise

et l’autorité de la concurrence. Ces documents ne peuvent être divulgués à la

partie adverse.

139. Autre difficulté que rencontreront les demandeurs : l’accès à des documents

contenant des secrets d’affaires, couverts par le sceau de la confidentialité. La

directive prévoit que le juge civil devra les modifier afin de masquer les éléments

« sensibles », accorder des audiences « à huit clos » ou bien encore « faire

injonction à des experts de produire des résumés » de ces documents.

On s’aperçoit donc que certains documents disposent d’une protection empêchant

leur divulgation aux demandeurs.

La démarche de la Directive est louable notamment dans le cadre d’une action de

groupe en droit de la concurrence. Les demandeurs seront plus aptes à établir un

préjudice. Néanmoins, les contours de ces productions de preuves ne sont pas

encore tracées par le juge. Les demandes de documents donneront lieu à de

nombreux débats et à de nombreuses décisions des juges des Tribunaux de

grande instance français.

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73

Cette problématique va nourrir de nombreux contentieux, notamment dans son

aspect « secrets d’affaires » et dans l’organisation de la procédure d’accès aux

informations. Au fur et à mesure des contestations et des décisions, le juge

définira ce qu’est exactement une demande proportionnée aux intérêts des parties

en cause.

140. Cette Directive pourra permettre à de nombreux consommateurs d’avoir

accès à des documents susceptibles de quantifier le préjudice qu’a engendré

l’infraction au droit de la concurrence. Néanmoins, chaque consommateur devra

prouver l’étendue de son préjudice pour être indemnisé à hauteur du préjudice

qu’il a subi. A ce stade, le consommateur se heurtera à une dernière difficulté

pratique : la non conservation des documents probatoires.

Section 2 : La non - conservation des documents probatoires par les

consommateurs

141. Le législateur a opté pour qu’une action de groupe soit intentée après que la

décision de constat de l’infraction soit définitive. Or, cette décision définitive

peut intervenir très longtemps après la commission des faits, ce qui pose

nécessairement un problème de conservation des preuves.

« Pas de preuve, pas de droit ». Cet adage, quelque peu simpliste, va prendre tout

son sens pour les actions de groupe en matière de concurrence. Le

consommateur, ayant usé de sa faculté d’adhérer au groupe, devra prouver

l’étendue du préjudice que le professionnel aura à lui indemniser.

Cet aspect éminemment pratique va être au cœur de l’étendue de l’indemnisation

des consommateurs.

Prenons le cas d’un cartel : une fois que le juge connaitra les conséquences de la

pratique illicite (très souvent une hausse des prix), il faudra, pour chaque

consommateur, prouver qu’il a acheté des biens sur ce marché et prouver sa

fréquence d’achats si l’opération a été renouvelée.

Une distinction est alors à opérer :

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74

- Les hypothèses où les consommateurs seront liés par un « lien stable »

avec l’entreprise auprès de laquelle il achète les biens ou les services68

.

C’est le cas des relations qui se contractualisent autour d’un abonnement ;

par exemple, dans le secteur des télécoms ou le secteur bancaire.

Ces consommateurs n’éprouveront aucune difficulté à prouver leur

préjudice puisque la preuve de la consommation de services ou de biens

résulte de ces abonnements.

- les hypothèses dans lesquelles les consommateurs font des achats

occasionnels.

Dans le cas présent, comment imaginer qu’un consommateur conserve la

totalité des tickets de caisse dans l’éventualité d’une pratique

anticoncurrentielle dévoilée dans le futur. Il faudrait imaginer des

consommateurs qui regrouperaient, pendant plusieurs années, l’ensemble

de leurs facturettes qui indiquent l’achat de leurs pâtes, de leur dentifrice

… .

142. L’actualité la plus significative est celui du cartel de la lessive condamné en

2011 par les autorités européennes et française. Etant précisé, qu’une action de

groupe contre ce cartel n’est pas envisageable puisque le constat d’infraction est

devenu définitif avant que la loi dite « Hamon » n’entre en vigueur.

Néanmoins, œuvre de l’esprit, si une action de groupe « à la française » avait été

possible contre les membres du cartel dit « de la lessive », comment les

consommateurs auraient prouvé l’étendue de leurs préjudices patrimoniaux ? Les

consommateurs auraient été contraints de délivrer au juge l’ensemble de leurs

tickets de caisse de grande surface pendant toute la durée de l’entente, c’est – à –

dire des années 1997 à 2004.

Il n’est pas absurde de penser que la plupart des consommateurs ne conservent

pas des tickets de caisse qui correspondent à des achats quotidiens d’il y a dix –

huit ans.

De plus, sans même s’appesantir sur l’étendue du préjudice subi, quel part de

consommateurs, en 2015, ayant acheté des produits de lessive, conservent ne

serait – ce qu’un ticket de caisse datant de 2004 ? Ici, la problématique est tout

autre puisqu’il s’agit de prouver l’existence d’un préjudice, même pas son

étendue.

68

B. LASSERRE, Président de l’Autorité de la Concurrence, « Les actions indemnitaires des

pratiques anticoncurrentielles après la loi sur l’action de groupe et la directive européenne », 25

sept. 2014, RLC janv. 2015.

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75

On peut alors considérer qu’une grande majorité de consommateurs n’auraient

pas pu adhérer à l’action de groupe, faute de preuve.

143. Il convient donc d’observer que, théoriquement, l’action de groupe en

matière de concurrence est une avancée significative pour les consommateurs

souhaitant être indemnisés du préjudice patrimonial subi, aussi minime qu’il soit.

Cependant, le consommateur lambda va se trouver confronté à cet obstacle qui

semble irrémédiable. Il ne pourra pas prouver l’étendue de son préjudice, et a

fortiori, l’existence même de son préjudice du fait de l’exigence d’un constat de

l’infraction définitif.

L’écluse de la détermination du préjudice indemnisable.

144. Les juges du fond vont donc veiller à ce que les préjudices des

consommateurs, victimes directes ou indirectes de pratiques anticoncurrentielles,

soient intégralement indemnisés avec les armes qui sont les siennes et avec l’aide

des économistes de l’Autorité de la concurrence.

Mais le juge devra aussi, dans les premières années de mise en marche de

l’action de groupe, devra aussi concilier la naissance de l’action de groupe avec

les instruments d’actions du droit de la concurrence.

TITRE II : LA DIFFICILE CONCILIATION DE L’ACTION DE

GROUPE AVEC LES INSTRUMENTS D’ACTIONS DU DROIT DE LA

CONCURRENCE

145. Durant la seconde moitié du vingtième siècle, la mondialisation a eu pour

effet de modifier les rapports entre l’économie et le droit. Dans les années 1990,

avec l’ouverture des marchés, le droit économique a pris une place plus

importante et a permis le renforcement des instruments juridiques permettant de

réguler la concurrence.

146. La problématique qui s’est posée et qui se pose encore aujourd’hui est : quel

est l’entité la plus apte à contrôler le bon fonctionnement des marchés : le juge ou

des autorités indépendantes ?

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76

147. L’action publique, ou « public enforcement », permet de prévenir, dissuader

et punir les comportements anticoncurrentiels grâce à des moyens

d’investigation, des pouvoirs d’injonction, des amendes, le programme de

clémence … . Les sanctions prononcées contre les opérateurs économiques,

auteurs de pratiques anticoncurrentielles, sont destinés à indemniser le préjudice

fait à l’économie.

En revanche, l’action privée, « le private enforcement » vise à la réparation du

préjudice causé par les auteurs de pratiques anticoncurrentielles.

En Europe, contrairement aux Etats – Unis, l’action publique a joué ce rôle de

régulateur de marché. Cependant, le « private enforcement » dispose d’une autre

vertu : cela permet de dissuader les comportements anticoncurrentielles des

entreprises puisqu’elle fait planer sur eux la menace d’une action de tous les

consommateurs ayant subi un préjudice au travers de dommages et intérêts.

Ces deux actions sont, en réalité, deux actions complémentaires ; l’action

publique sanctionnant le dommage qu’a subi l’économie de marché et l’action

privée destinée à indemniser les victimes des pratiques anticoncurrentielles. La

France, et l’Union Européenne à travers la directive 2014/104/CE, a renforcé le

« private enforcement » grâce à l’action de groupe et grâce à la loi dite

« Hamon » en général.

Le système juridique français dispose donc de ces deux pans de l’application des

règles de concurrence. Néanmoins, il faut se demander si le renforcement des

actions privées n’a pas porté préjudice à l’efficacité des actions publiques en la

matière.

148. Concernant l’action de groupe en matière de concurrence, celle – ci est

subordonnée, en vertu de l’exigence du « follow – on », à l’action publique. Elle

ne peut être engagée qu’à la suite d’une décision condamnant une ou plusieurs

pratiques anticoncurrentielles d’opérateurs qui n’est plus « susceptible de recours

pour la partie relative à l’établissement des manquements »69

. Certains évoquent

même une « soumission » du droit civil au droit de la concurrence70

.

Cette action publique dispose de moyens propres permettant la détection des

pratiques anticoncurrentielles : c’est le cas des procédures de clémence ou de non

69

C. consom., art L.423-17, al 1er 70

N. MOLFESSIS, L’exhorbitance de l’action de groupe à la française, D.2014. p.947 : « les

autorités de concurrence tiennent le civil en l’état »

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77

– contestation des griefs. Ce sont des procédures de coopération avec l’Autorité

de la Concurrence. Leur efficacité est réelle.

149. Il convient donc de se demander si l’instauration de l’action de groupe « à la

française » n’a pas eu pour conséquence la remise en cause de l’efficacité de ces

procédures de coopération (Chapitre 1), favorisant ainsi les modes alternatifs de

règles des conflits (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 : La remise en cause de l’efficacité des procédures de coopération

150. En droit de la concurrence, les autorités publiques ont, très tôt, compris que

la détection des pratiques anticoncurrentielles nécessitaient de grands moyens.

Tout d’abord des moyens d’investigation permettant aux enquêteurs de déceler

des abus de position dominante ou bien des ententes.

Mais ces moyens ne peuvent suffire pour des pratiques anticoncurrentielles

comme les ententes secrètes ou cartels. C’est l’hypothèse dans laquelle deux

entreprises ou plus se concertent, par écrit ou de toute autre façon, afin

d’empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence.

Dans ces cas précis, les moyens d’investigation n’ont que très peu d’effet

puisque, par définition, l’entente est secrète et seuls les participants au cartel en

connaissent l’existence.

En 2001, le législateur a voulu renforcer les moyens permettant la détection de

telles pratiques71

. Pour ce faire, il a mis en place des mécanismes incitatifs pour

les entreprises qui participent à des pratiques anticoncurrentielles : la clémence et

la procédure de non – contestation des griefs.

Ces dernières sont des procédures de coopération qui ont conquis une place

importante dans l’action publique contemporaine. Ces actions visent à détecter

les pratiques anticoncurrentielles le plus tôt possible grâce à l’aide des opérateurs

économiques présents sur le marché.

71

Loi n° 2001 – 420 du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques, dite loi

NRE.

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78

151. Ainsi, il convient de se demander si, au regard du rôle majeur dont dispose

ces procédures de coopération en droit de la concurrence (Section I), l’action de

groupe ne va pas décourager les entreprises à l’utilisation de ces procédures

(Section II).

Section 1 : Le rôle majeur des procédures de coopération dans la détection des

pratiques anticoncurrentielles

152. Avant de s’apercevoir de la place grandissante que ces procédures dans le

paysage concurrentiel français, il convient de les présenter.

153. La procédure de non – contestation des griefs, ou « transaction », insérée

dans le Code de commerce en 2001, à l’article L 462 – 2 III, permet aux

entreprises de renoncer volontairement à contester les griefs notifiés par les

services d’instruction de l’Autorité de la concurrence, en contrepartie d’une

réduction de la sanction encourue si la mise en œuvre de cette procédure est

jugée opportune par le rapporteur général de l’Autorité. Les entreprises peuvent,

en parallèle de cette procédure, prendre des engagements structurels (filialisation,

cessions …) ou comportementaux (modifications de clauses contractuelles par

exemple) pour l’avenir afin de bénéficier d’une réduction de sanction

supplémentaire.

La transaction permet à l’Autorité de la concurrence d’accélérer des dossiers

d’entente et d’abus de position dominante et leur permet d’allouer des ressources

à d’autres dossiers. De leur côté, les entreprises réduisent leur risque financier en

cas d’infraction, cela peut aller jusqu’à 25% d’économie sur l’amende

prononcée.

154. La procédure de clémence apparait dans l’article L 464 – 2 IV du Code de

commerce inséré par le biais de la loi dite NRE.

Elle incite les opérateurs économiques, parties à des accords anticoncurrentiels, à

les dénoncer à l’Autorité de la concurrence en contrepartie de se voir exonérer

par l’Autorité de tout ou partie des sanctions pécuniaires encourues. L’entreprise

qui dénonce les autres doit contribuer de façon positive avec l’Autorité en

apportant des preuves de l’entente, en coopérant de façon véritable, totale et

permanente.

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79

Ainsi, la clémence permet à la première entreprise dénonciatrice d’être exonéré

totalement d’amende et permet une exonération partielle pour les entreprises

suivantes (jusqu’à 30% devant l’Autorité de la Concurrence).

155. Ces deux procédures sont donc des procédures incitatives. En effet, elles ont

vocation à démanteler les ententes illicites puisque chaque membre du cartel, se

méfiant de son « partenaire », doit se demander s’il n’est pas plus profitable pour

lui de dénoncer le groupe avant qu’un autre ne le fasse. Ces procédures en

appellent à la moralité et au porte – feuille des opérateurs économiques.

Le rôle grandissant, et désormais majeur de ces procédures de coopération, vont

de pair avec le phénomène de « croissance exponentielle du montant des

amendes prononcées »72

. En effet, les amendes pour violation des règles de

concurrence ont fortement augmenté ces vingt dernières années.

Pour preuve, entre 1990 et 1999, le montant cumulé des amendes infligées par la

Commission européenne pour entente était de 730 millions d’euros.

Pour la période 2000 – 2009, ce montant atteint le chiffre de 12,8 milliards

d’euros.

Encore plus révélateur, pour la période 2010 – 2013, la Commission européenne

avait déjà atteint le nombre de 7,3 milliards d’euros d’amende73

.

Les entreprises sont ainsi confrontées à une forte inflation des amendes

prononcées à la fois par la commission européenne mais aussi par l’Autorité de la

concurrence. Alors que les amendes, dans les années 1990, n’excédaient jamais

les 25 millions d’euros, en 2011, Procter & Gamble a été condamné à une

amende de 234 millions d’euros dans l’affaire dite du cartel de la « lessive ».

156. Logiquement, l’aggravation des sanctions a entrainé un essor de l’efficacité

des procédures de clémence et de non – contestation des griefs. Logiquement,

plus le niveau de l’amende susceptible d’être prononcée est élevé, plus les

entreprises sont incitées à opter pour des procédures qui leur permettront de

s’exonérer, partiellement ou totalement, d’amendes.

Le rôle majeur de ces procédures de coopération se démontrent par des chiffres

éloquents : parmi les dix – huit ententes sanctionnés par la commission

européenne entre 2010 et 2013, dix – sept ont été dénoncées via la procédure de

72

F. BRUNET, A. DUPUIS, E. PAROCHE, « L’action de groupe : l’indemnisation des

consommateurs favorisée au détriment de la détection des cartels ? », D. 2014, p.1600 73

Pour les ententes, V. http://ec.europa.eu/competition/cartels/statistics/statistics.pdf

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80

clémence. Et dans trois de ces affaires, toutes les entreprises, auteurs de

l’infraction, s’étaient dénoncées à la Commission.

Par ailleurs, concernant l’Autorité de la concurrence, sur les onze cartels

sanctionnés depuis 2005, sept ont été dénoncées dans le cadre de la demande de

procédures de clémence, soit plus de 63%74

.

157. Par conséquent, les procédures de coopération, en particulier la clémence,

sont devenus, en quelques années, le principal instrument de détection des

ententes secrètes.

Or, la nouvelle procédure de l’action de groupe en droit de la concurrence

pourrait entrainer une baisse de ces statistiques puisque son éventuel succès futur

pourrait nuire aux programmes de clémence.

Section 2 : Une incitation moindre aux procédures de collaboration

158. Comme vu précédemment, ces procédures de coopération ne tiennent que

par leur aspect incitatif. Celui – ci se matérialise par une exonération pouvant

aller jusqu’à 100% de l’amende encourue.

159. Or, l’article L 423 – 17, alinéa 1er

, du Code de la consommation dispose :

« Lorsque les manquements reprochés au professionnel portent sur le respect des

règles définies au titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et

102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la responsabilité du

professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l'action mentionnée à

l'article L. 423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à l'encontre du

professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l'Union

européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus

susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des

manquements ».

L’article L 423 – 17 du code de la consommation affirme donc qu’une action de

groupe ne peut être introduite qu’après une « décision prononcée à l’encontre du

professionnel (…) qui constate les manquements ».

74

Source : www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=292&id_article=1004.

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81

Ainsi, une action de groupe ne pourra être engagée en cas de décision de non –

lieu de l’Autorité de la concurrence ou d’une autre autorité nationale de

concurrence. Ceci est parfaitement logique lorsque le non – lieu est fondé sur

l’absence de pratiques illicites ou sur l’insuffisance de preuves de ces pratiques.

En revanche, cela est plus contestable lorsque la décision de non – lieu est fondée

sur une absence d’atteinte suffisamment sensible à la concurrence. La pratique

est bel est bien caractérisée dans cette hypothèse et les consommateurs ne

pourront alors se constituer en groupe.

Sont aussi exclus du bénéfice de l’action de groupe, les actions consécutives à

une prise d’engagements d’un professionnel. Ni acte d’accusation ni constat

d’infraction n’est dressé donc aucune action de groupe n’est envisageable.

160. En revanche, sont évidemment concernées par cette définition de l’article L

423 – 17 al 1er

, toutes les décisions qui ont prononcé une amende ou une

injonction administrative mais aussi toutes celles dans le cadre desquelles

l’infraction a été constatée, imputée à des entreprises, quand bien même celles –

ci auraient échappé à une partie ou à la totalité de leur sanction. C’est l’hypothèse

des décisions consécutives à l’utilisation de programmes de clémence.

En effet, la première entreprise se dénonçant, et dénonçant l’ensemble des

auteurs de l’infraction au droit de la concurrence, voit clairement sa culpabilité

établie dans le cadre de cette procédure. La seule contrepartie de cette

collaboration est une minoration de la sanction. La décision accordant la

clémence aux entreprises pourrait donc servir de fondement à une action de

groupe ultérieure.

La procédure de non – contestation des griefs pourra aussi être poursuivie d’une

action de groupe puisque la Cour de cassation a très clairement affirmé que si la

renonciation ne valait pas aveu de culpabilité, elle vaut néanmoins constat de

l’infraction75

.

A fortiori, il en est de même pour les décisions de transaction européenne, dans

lesquelles les entreprises reconnaissent expressément leur culpabilité.

161. Il convient donc de s’interroger sur l’attractivité que va susciter ces

procédures de collaboration si l’action de groupe connaissait un franc succès.

Dans l’hypothèse d’une entreprise qui dénonce la première l’existence d’un

cartel, ayant nécessairement entrainé la hausse des prix, celle – ci sera exonéré au

titre de la sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence. Néanmoins,

75

Cass. Com., 29 mars 2011, n° 10-12.913, Manpower

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82

l’immunité dont elle dispose auprès de l’Autorité de la concurrence n’existe pas

pour les demandes de dommages et intérêts demandés par les consommateurs

finaux.

Juridiquement, ceci est logique, l’Autorité ne sanctionne que le dommage fait à

l’économie alors que l’action en dommages et intérêts sanctionnent le préjudice

patrimonial causé par la pratique anticoncurrentielle aux consommateurs.

162. Néanmoins, pour une entreprise, ce qui prévaut est le risque financier

encouru. Alors qu’auparavant elle savait qu’en dénonçant ses « camarades » en

premier elle ne supporterait aucune perte financière, désormais une action de

groupe pourrait être introduite la condamnant à payer des dommages et intérêts à

l’ensemble des consommateurs ayant adhéré à l’action. Le risque financier est

donc réel.

On s‘aperçoit donc que l’action de groupe, par ses conditions de recevabilité,

vient mettre à mal ces procédures de coopération en les amputant d’un certain

attrait financier.

Si les actions de groupe en droit de la concurrence devaient connaitre un grand

succès et aboutir à de lourdes condamnations à des dommages – intérêts, les

entreprises pourraient être moins tentées, voire être dissuadées de dénoncer

l’existence de pratiques illicites.

163. Bien que complémentaires, le « public enforcement » et le « private

enforcement » ne s’articulent pas parfaitement entre eux : le succès du second

pourrait limiter fortement l’attractivité du premier.

Ceci pourrait constituer un cercle vicieux : pour que les actions privées soient

introduites, il faut qu’une décision ayant constaté les manquements au droit de la

concurrence soit prononcé. Or, au préalable, il faut détecter ces pratiques illicites

et cette mission est rendue plus difficile si les procédures de coopération sont

moins utilisées.

164. L’introduction de l’action de groupe en matière de concurrence en droit

français semble affaiblir les politiques publiques de détection des pratiques

anticoncurrentielles. En revanche, très clairement, le législateur européen et

français semblent accordés leur faveur aux modes alternatifs de résolution des

conflits.

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83

CHAPITRE 2 : La faveur accordée aux modes alternatifs de règlement des

conflits

165. Plusieurs modes alternatifs de règlement des conflits existent, comme

l’arbitrage, mais il s’agira, dans ce chapitre d’évoquer deux autres modes de

règlement des litiges que sont la médiation et la transaction.

La médiation consiste à « confier à un tiers impartial, qualifié et sans pouvoir

sur le fond que l’on appelle le médiateur, la mission d’entendre les parties en

conflit et de confronter leurs points de vue au cours d’entretien, contradictoires

ou non, afin de les aider à rétablir une communication et à trouver elles – mêmes

des accords mutuellement acceptables »76

.

La directive européenne 2014/104/CE et le législateur français encourage cette

pratique alternative. Ainsi, dans le cadre d’une action de groupe, l’article L. 423 -

15 du code de la consommation dispose : « seule l’association requérante peut

participer à une médiation (…) aux fins d’obtenir la réparation des préjudices

individuels » des consommateurs. L’article L. 423 – 16 du même code

soumettant cet accord à l’homologation par le juge qui vérifiera si celui – ci est

« conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer ».

166. La transaction est définie comme le « contrat par lequel les parties

terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître »77

Les parties, dans ce contrat, font des concessions réciproques. La transaction peut

être la fin d’un processus de médiation qui a pour effet de clore le litige.

La transaction est très usitée parmi les pays qui disposent déjà d’une « action de

groupe ». Cette transaction, cet accord est parfois soumis à une validation par le

juge : c’est le cas au Canada, aux Etats – Unis, au Royaume – Uni ou même en

Suède. Précurseur en la matière, le juge américain doit vérifier le caractère juste,

raisonnable et adéquat sans pouvoir modifier cet accord.

76

Définition de la Cour de cassation,

www.courdecassation.fr/publications_26/bulletin_information_cour_cassation_27/hors_serie_2

074/mediation_8925.html 77

C. civ., Art 2044.

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84

De façon originale, au Royaume – Uni la transaction homologuée par un juge ne

lie pas nécessairement l’ensemble des parties et ceux qui la refusent peuvent

poursuivre l’action collective.

Ce mode alternatif de règlement des litiges trouvent très souvent à s’appliquer

car il présente plusieurs caractéristiques qui « séduisent » les entreprises, parties

à une action de groupe.

167. En effet, la médiation qui se conclut finalement par une transaction a deux

avantages majeurs : la prévisibilité de la sanction pécuniaire et la confidentialité.

C’est ainsi que les entreprises vont raisonner dans les actions de groupe en

matière de concurrence en prenant en compte d’une part, le poids des chiffres

(Section I) et d’autre part, la force de l’image (Section II).

Section 1 : Le poids des chiffres

168. L’aspect financier de l’action de groupe en matière de concurrence est un

aspect primordial pour les entreprises, auteurs de pratiques anticoncurrentielles.

En plus, de la réparation du préjudice causé à l’économie, en plus des actions

individuelles de leurs distributeurs, ils devront désormais faire face à l’action

collective réunissant de nombreux consommateurs.

L’action de groupe a été créée pour permettre une meilleure indemnisation de ces

préjudices « quotidiens », de ces préjudices d’un faible montant. Certes, le

montant de l’indemnisation pour chaque consommateur est faible mais, du point

de vue de l’entreprise, le coefficient multiplicateur, généré par le nombre de

consommateurs, peut faire parvenir le montant de dommages et intérêts à des

sommes astronomiques.

169. Deux exemples sont éloquents.

Si une action de groupe avait été possible contre les opérateurs de téléphonie

mobile consécutive à la décision de condamnation pour entente en 2005. La

condamnation des trois opérateurs s’élevait à 534 millions d’euros par le Conseil

de la concurrence. Le préjudice par abonné était situé autour de 60 euros environ.

Le préjudice était minime. Cependant, 20 millions étaient concernés. Le montant

de dommages et intérêts destinés à réparer les préjudices patrimoniaux des

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85

abonnés aurait culminé à 1,2 milliards d’euros soit 400 millions d’euros par

entreprise en moyenne.

C’est pratiquement le double de ce qu’ils ont payé en 2005 … .

Autre exemple, dans le même esprit, une action opposant l’UFC Que Choisir à la

société Foncia est en cours de traitement. L’UFC réclame l’indemnisation de

318 000 locataires, ayant indument payé des frais d’expédition de quittance, pour

un total évalué à 44 millions d’euros : soit 138 euros et 36 centimes par personne

en moyenne. Du point de vue du consommateur, l’enjeu pécuniaire est faible

tandis que du point de vue de Foncia, l’enjeu pécuniaire est majeur.

Au stade du jugement de responsabilité, les consommateurs ne sont pas encore

partie à l’instance, l’association de consommateurs doit présenter seulement un

minimum de deux cas individuels ayant subi un préjudice patrimonial du fait de

la pratique illicite. Le professionnel n’est donc pas en mesure, à ce stade de la

procédure, de connaitre le nombre de consommateurs qui sera susceptible

d’adhérer au groupe par la suite.

Ceci va poser un problème majeur aux entreprises : quelle somme doit – elle

provisionner dans le cadre de ce litige si elle ne connait pas le risque pécuniaire ?

170. L’entreprise devra s’adapter en provisionnant de façon importante ou bien si

l’entreprise veut garder la maitrise de ses dépenses futurs, elle engagera une

procédure de médiation découlant sur une transaction avec l’association de

consommateurs. Cette procédure leur permettra de maitriser une part de leur

risque financier en s’adressant à l’association de consommateurs ayant engagé

l’action.

L’article L. 423 -15 du code de la consommation dispose : « seule l’association

requérante peut participer à une médiation (…) aux fins d’obtenir la réparation

des préjudices individuels » des consommateurs. L’article L. 423 – 16 du même

code soumettant cet accord à l’homologation par le juge qui vérifiera si celui – ci

est « conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer ».

Les entreprises, ayant déjà été condamnées par l’Autorité de la Concurrence ou

une autorité nationale de concurrence de l’Union européenne, aura donc intérêt à

passer par la voie d’un accord négocié pour déterminer précisément l’assiette du

préjudice.

171. Néanmoins, il y a fort à parier, notamment durant les premières années

d’application de l’action de groupe, que les associations de consommateurs ne

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86

seront pas toujours enclines à passer par la voie de la médiation afin de parvenir à

une reconnaissance médiatique de leur action.

Cet aspect psychologique de la négociation joue un rôle majeur dans le

dénouement de ces litiges et les associations disposent d’un grand pouvoir sur la

réputation des entreprises qui sont mis en cause.

Section 2 : La réputation, la force de l’image

172. Autre avantage de la médiation se concluant en transaction est la

confidentialité de tes accords négociés.

La directive européenne 2014/104/CE dans son préambule encourage « les

auteurs de l'infraction et les parties lésées (...) à se mettre d'accord sur la

réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence au

moyen de mécanismes de règlement consensuel des litiges, tels que les

règlements amiables (notamment ceux que le juge peut déclarer contraignants),

l'arbitrage, la médiation ou la conciliation ».

Comme le législateur français, l’Union Européenne encourage la possibilité

qu’ont les parties au litige de transiger.

173. Les entreprises ont d’autant plus intérêt à transiger que l’enjeu pécuniaire

n’est peut-être pas l’enjeu majeur d’une action de groupe en matière de

concurrence.

L’enjeu financier n’est qu’un enjeu immédiat tandis que l’image de l’entreprise,

sa réputation est un enjeu pour l’avenir. Il est beaucoup plus compliquée à

rétablir.

La forte médiatisation d’une action de groupe, dont joue les associations de

consommateurs, a pour conséquence « une atteinte immédiate et durable à

l’image des professionnels concernés, et cela même si aucun jugement n’a été

rendu, voire que l’action n’a pas été introduite »78

. De sorte que, le professionnel

pourrait tout faire pour éviter une exposition prolongée dans les médias.

78

K. HAERI et B. JAVAUX, « L’action de groupe : entre incertitudes procédurales et instrumentalisation», Droit et Patrimoine 2015, n°243.

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87

Afin de mettre un terme à une action de groupe, ou bien même d’éviter qu’une

action de groupe soit introduite, les entreprises devront réagir rapidement avant

que l’action ne s’ébruite dans les médias. Les associations, par ce biais, dispose

d’une arme redoutable contre les entreprises ayant commis des pratiques

anticoncurrentielles.

D’ailleurs, il se murmure que l’action introduite par l’association UFC Que

Choisir contre Foncia ne parviendra pas jusqu’à son terme. En effet, les deux

parties auraient décidé de transiger.

Foncia est, sans aucun doute, la partie la plus encline à conclure un accord

négocié afin d’éviter d’être la première entreprise à indemniser des centaines de

milliers de consommateurs.

174. En outre, l’article L 423 – 4 du Code de la consommation prévoit que le

jugement, lorsqu’il retient la responsabilité du professionnel, ordonne les

mesures de publicités adaptées pour en informer les consommateurs et leur

permettre d’adhérer au groupe. Le tribunal pourrait ainsi ordonner au

professionnel de financer et mettre en œuvre une campagne de publicité à la

télévision, à la radio dont le but serait d’informer le public de sa condamnation et

des conditions d’indemnisation.

Les conséquences en termes d’image seraient très graves pour l’entreprise.

Il en va donc de la bonne image de l’entreprise de transiger, de conclure un

accord négocié avec l’association de consommateurs afin d’éviter que son image,

si importante de nos jours dans le marketing d’une entreprise n’en pâtisse de

façon considérable.

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88

Conclusion seconde partie

175. Le droit de la concurrence est un droit difficile à appréhender pour les

consommateurs. Celui – ci se montre très dur à comprendre, mêlant des règles

très techniques de droit avec des notions d’économie.

Cette complexité se retrouve à la fois pour les consommateurs, mais aussi pour

les juges et les avocats, dans la preuve du préjudice à indemniser et ce sera l’une

des questions essentielles de ces actions collectives.

176. D’une part, les juges devront faire face à la difficulté majeure d’évaluer le

préjudice qu’a causé la pratique anticoncurrentielle pour chaque consommateur.

Cette difficulté est à la hauteur de l’enjeu : si les juges indemnisent correctement

les victimes de pratiques anticoncurrentielles, les consommateurs seront prêts à

ré-adhérer à de nouvelles actions ; en revanche, en cas de sous – évaluation d’un

préjudice déjà mineur, les consommateurs tourneront le dos à cette nouveauté

juridique.

Cet enjeu est à mettre en perspective avec le temps que prendra ces procédures et

sur la conséquence sur la conservation de la preuve qu’aura ce paramètre

temporel.

177. Le deuxième enjeu majeur sur le fond est l’articulation que cette action de

groupe aura avec les procédures de coopération du « public enforcement » que ça

soit les procédures de clémence, de non – contestation de griefs, d’engagements.

Ces procédures connaissent un grand succès auprès des entreprises qui trouvent

un interlocuteur qu’est l’Autorité de la Concurrence ou une des autorités du

Réseau Européen de Concurrence, qui permettent soit de prévenir des infractions

au droit de la concurrence, soit de les déceler.

Il est donc primordial, au nom de l’efficacité du droit de la concurrence, que ces

procédures ne se trouvent pas trop impactées par la venue de l’action de groupe.

178. En revanche, l’action de groupe semble être un facteur incitateur

d’envergure pour les procédures alternatives de règlement des litiges tel que la

médiation. Cette procédure étant longue et coûteuse à la fois pour les associations

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89

et les entreprises pourraient voir, comme aux Etats – Unis et au Canada, la

plupart des affaires finir grâce à la médiation, et pas par un jugement de

responsabilité. Cela d’autant plus, en matière de concurrence puisque la faute des

professionnels sera irréfragablement présumée.

Il faudra donc observer le comportement des entreprises, qui auront intérêt à

mettre en jeu ces procédures à des fins de confidentialité, et des associations de

consommateurs.

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90

CONCLUSION GENERALE

179. L’analyse détaillée du pan concurrentiel de l’action de groupe soulève de

nombreuses interrogations quant à l’efficacité de ce dispositif qui semble de

prime abord, destiné à un succès fulgurant.

En effet, l’absence d’expérience pratique et de décisions judiciaires après neuf

mois d’expérience ne permet pas d’envisager un avenir serein à ce dispositif.

180. D’une part, un grand point d’interrogation est en suspens sur le

comportement qu’aura le juge vis – à – vis d’un dispositif qui lui est pour le

moment inconnu. L’expérience outre – atlantiques et européennes montrent que

l’euphorie de l’opinion publique, souvent, n’est pas partagée par les magistrats en

charge de mettre en mouvement ce concept de recours collectif.

181. D’autre part, les associations de consommateurs, soit disant représentatives

au niveau national, à qui le législateur a attribué ce monopole de l’action de

groupe, ne semblent pas armées pour appliquer l’ensemble de leurs promesses.

Ces associations se heurtent à des difficultés financières et logistiques évidentes.

En l’absence d’aides publiques, seules quelques associations pourront se

permettre d’engager deux actions de groupe dans la même année et encore faudra

– t – il que ces actions aboutissent sur des succès.

Ce filtre associatif ne semble pas propice à l’objectif d’une meilleure application

du droit de la concurrence par les entreprises puisque, de fait, les associations

devront trier parmi les requêtes des consommateurs en favorisant une action

plutôt qu’une autre. Choisir c’est renoncer parait – il … .

182. De plus, les délais mis en avant dans la loi relative à la consommation,

compte tenu des sommes en jeu pour les consommateurs, semblent

interminables. Entamer une bagarre judiciaire pouvant se conclure une dizaine

voir une quinzaine d’années plus tard pour quelques dizaines d’euros pourrait

décourager certains adeptes de l’action de groupe, voire pire, les laisser

indifférents.

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91

183. A cela, il faut ajouter cette incertitude consubstantielle au droit de la

concurrence qui consiste à ne pas savoir exactement quel est l’étendue du

préjudice qu’a subi le consommateur. L’enjeu, face à cette incertitude, est le

comportement du juge qui, s’il minore des sommes déjà faibles, risque de

décourager de nombreux consommateurs qui privilégieront la voie de l’action

individuelle ou bien n’agiront pas en justice.

184. Et enfin, le dernier inconnu majeur que cette action de groupe soulève est la

question de l’articulation du « private enforcement » avec le « public

enforcement ». L’expérience nous indiquera si le risque pour une entreprise de se

voir sanctionner par des dommages – intérêts civils ne provoquera pas un rejet de

la procédure de clémence qui est un dispositif essentiel de détection des pratiques

anticoncurrentielles de nos jours.

Autant d’interrogations qui trouveront leur réponse dans la pratique judiciaire,

dans le renouvellement de l’expérience, peut être avec l’aide d’une réforme

législative mais force est de constater que, pour le moment, l’action de groupe en

matière de concurrence ne remporte pas le franc succès que la majorité de la

doctrine nous promettait.

185. Les premières années seront primordiales au succès ou à l’échec de l’action

de groupe en matière de concurrence : demandez à l’action en représentation

conjointe … .

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92

BIBLIOGRAPHIE

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- Pierre – Claude Lafond « L’accès à la justice civile au Québec », Editions

Yvon Blais 2012

- Thèse de Monsieur Zambrano : « L’inefficacité de l’action civile en

réparation des infractions au droit de la concurrence », Directeur de thèse

Daniel Mainguy, 2012.

II) OUVRAGES SPECIAUX, RAPPORTS ET MEMOIRES

- Pierre – Claude Lafond « Le recours collectif comme voie d’accès à la

justice pour les consommateurs », Les Editions Thémis 1996

- Pierre – Claude Lafond « Le recours collectif, le rôle du juge et sa

conception de la justice » , Editions Yvon Blais, 2006

III) DICTIONNAIRES

- G. CORNU, Vocabulaire juridique, 9e éd., coll. Quadrige, P.U.F., 2011.

- Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2014/2015 – 22e éd. Broché

IV) ARTICLES ET REVUES

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2012.

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C.PELLETIER, « Bien – fondé des actions de groupe engagées », RDC, 15 juin

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C. LUCAS DE LEYSSAC, Rapport de synthèse, Petites affiches, 20 janvier

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F. SOUTY, Réflexions croisées : Sanctions et réparations en droit antitrust des

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K. HAERI et B. JAVAUX, « L’action de groupe : entre incertitudes

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des consommateurs favorisée au détriment de la détection des cartels ? », D.

2014, p.1600

N. MOLFESSIS, L’exhorbitance de l’action de groupe à la française, D.2014.

p.947 : « les autorités de concurrence tiennent le civil en l’état »

B. LASSERRE, Président de l’Autorité de la Concurrence, « Les actions

indemnitaires des pratiques anticoncurrentielles après la loi sur l’action de

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G. PARLEANI, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Paris I), « Prix

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Tribune, 16 mai 2006.

L. IDOT, « Rapport de synthèse », in Potentialité et réalité de l’action au civil en

matière de concurrence, La réparation du préjudice causé par une pratique anti-

concurrentielle en France et à l’étranger : bilan et perspectives. Grand’ Chambre

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procès civil (métamorphose de la procédure civile) », 1975 27 R.I.D.C. 571, 576

I. LEGISLATIONS

A) Sources de droit européen

- Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957.

- Version consolidée du Traité instituant la Communauté européenne, 25

mars 1957.

- Comm. CE, Livre vert, Actions en dommages et intérêts pour infraction

aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position

dominante, 19 déc. 2005, COM(2005) 672 final.

- Comm. CE, Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour

infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de

position dominante, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final.

- Version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union

européenne, C-83/47, 30 mars 2010.

- Directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles

régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les

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95

infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres

et de l'Union européenne.

B) Source de droit interne

1. Lois

- Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

2. Décrets

- Décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en

matière de consommation.

3. Circulaires

- Circu. CIV/14/14, 26 sept. 2014.

4. Codes

- Code de la consommation, éditions 2015, Dalloz.

- Code du commerce, éditions 2015, Dalloz.

C) Source de droit étranger

- Loi sur le recours collectif, L.R.Q., c. R-2.1, art 23.

II. TABLE CHRONOLOGIQUE DES DECISIONS, ARRETS,

JUGEMENTS ET AVIS

Juridictions et autorités de l’Union Européenne

- CJUE, Kone c. ÖBB – Infrastruktur, 5 juin 2014, C - n°557 – 12.

A) Juridictions et autorités internes

1. Juridictions internes

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96

Cour de cassation

- Cass. Crim. 20 novembre 1968, n° 68 -91246 ; Bull. 308.

- Cass. Com., 15 juin 2010, Ajinomoto Eurolysine c/ Doux Aliments

Bretagne e.a., n°09-15816

- Cass. Com., 29 mars 2011, n° 10-12.913, Manpower

- Cass. Crim. 11 avril 2012, n°11-83007

- Cass. Crim. 7 février 2012, n°11-83131

Tribunal commercial

- Trib. Com. Nanterre, 11 mai 2006, SA Laboratoires Arkopharma c/ Sté

Roche et sté F. Hoffman La Roche

B) Juridictions étrangères

- Comité d’environnement de la Baie c. Société d’électrolyse et de chimie

Alcan Itée [1990] R.J.Q. 655 (C.A.).

- Château c. Placements Germarich, [1990] R.D.J. 625 (C.A.).

- Tremaine c. A.H. Robbins Canada inc., [1990] R.D.J. 500 (C.A).

- Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342.

- George c. Québec (Procureur général), 2006 QCCA 1204.

- Pellemans c. Lacroix, 2011, QCCS 1345, par 101.

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97

WEBOGRAPHIE

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point de la nouvelle loi ? », 09 avril 2014, site Internet de la revue Dalloz,

http://www.dalloz-actualite.fr/.

KAMI HAERI et BENOIT JAVAUX, « L’action de groupe à la français, une

curiosité », la semaine juridique, Ed Gén, n°13, 31 mars 2014,

http://www.august-debouzy.com.

Colloque « Les actions indemnitaires des pratiques anticoncurrentielles après la

loi sur l’action de groupe et la directive européenne », 25 septembre 2014,

www.lamyconcurrence.fr

Jean – Jacques GANDINI, propos recueilli par Anne Portmann, « Même s’il est

critiquable, le projet de loi sur l’action de groupe est une avancée », Dalloz

actualité, www.dalloz-actualité.fr.

R. BECKER, Présentation du Livre blanc, Revue Concurrences n° 2-2009 –

Colloque – Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction

aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante –

Paris, 13 juin 2008, site Internet de la revue Concurrences,

www.concurrences.com - 2009.

D. FASQUELLE et R. MESA, Livre vert de la Commission sur les actions en

dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes

et les abus de position dominante, Revue Concurrences, n° 1-2006 – Doctrines –

pp. 33-37 – site Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com.

B. HAMON, Benoît HAMON : Un droit de la consommation plus efficace pour

une économie plus compétitive, Revue Concurrences n° 2-2013, pp. 7-11 –

Interview – site Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com -

2013.

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concurrence : Le point de vue d’une concurrentialiste, Revue Concurrences n° 2-

2009 – Colloque – Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour

infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position

dominante – Paris, 13 juin 2008, site Internet de la revue Concurrences,

www.concurrences.com - 2009.

J. VOGEL et L. VOGEL, Private enforcement - Le paquet législatif prévu par la

Commission pour renforcer les droits des victimes de pratiques

anticoncurrentielles est - il suffisant et cohérent ?, 28 juin 2013, site Internet du

blog Vogel & Vogel, http://www.vogel-vogel.com/blog/le-paquet-legislatif-

prevu-par-la-commission-pourrenforcer-les-droits-des-victimes-de-pratique.

SORAYA AMRANI - MEKKI, « Inciter les actions en dommages et intérêts en

d roit de la concurrence – Le point de vue d’un processualiste », 2008, Doctrines,

Concurrences N° 4-2008, www.concurrences.com

L.VOGEL et J.VOGEL, Loi Hamon, L’action de groupe à la française entre en

vigueur à compter du 1er

octobre 2014, 26 septembre 2014, site Internet du blog

Vogel & Vogel, http://www.vogel-vogel.com/blog/l%E2%80%99action-de-

groupe-la-francaise-entre-en-vigueur-compter-du-1er-octobre-2014

N. PETRIGNET, Un risque juridique nouveau : action de groupe et pratiques

anticoncurrentielles, 10 février 2014, site Internet du blog CMS Bureau Francis

Lefebvre, http://www.cms-bfl.com/Un-risque-juridique-nouveau--action-de-

groupe-et-pratiques-anticoncurrentielles-20-02-2014

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99

GLOSSAIRE

Abus de position dominante : L'abus de position dominante est l'exploitation

abusive d'un pouvoir de marché correspondant à une position dominante et ayant

pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la

concurrence.

Contigency fees : principe permettant à un avocat de recevoir une part des

sommes attribuées à son client si ce dernier gagne son procès.

Class action : recours collectif en justice.

Ententes anticoncurrentielles : L'entente anticoncurrentielle est un accord ou

une action concertée qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de

restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché de produits ou de

services déterminé.

Opt – in : option d’inclusion ou de participation volontaire, mécanisme par

lequel les personnes doivent manifester leur assentiment pour intégrer l’action de

groupe.

Opt – out : mécanisme par lequel l’ensemble des membres d’un groupe défini

par un juge sur des critères objectifs sont considérés comme partie à l’instance

tant qu’ils ne se sont pas manifestés pour se retirer de l’instance dans une période

prédéterminée.

Pacta de quota litis : Contrat par lequel une partie convient avec une autre que

sa rémunération portera uniquement sur une partie du capital litigieux obtenu en

cas de victoire au procès et qu'il renoncera à tout ou partie de ses honoraires en

cas d'issue défavorable de la procédure.

Trust : entité juridique constituée par des personnes physiques ou des sociétés

qui lui apportent soit des actifs soit des liquidités à charge pour le trust de gérer

ces actifs en suivant les consignes qui lui ont été données par les créateurs du

trust et éventuellement à l'échéance donnée de restituer les actifs et le produit des

investissements aux créateurs du trust

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100

TABLES ALPHABETIQUES

A T

Action consécutive: 68, 113, 136. Transaction: 79, 153, 160, 166.

Associations agréées: 8,56, 65, 79.

C

Class action: 7, 26, 31, 32, 33, 7, 72, 81, 101.

Clémence: 138, 147, 150, 154, 156, 160.

Contigency fees: 71.

F

Follow – on: voir action consécutive

O

Opt – in: 7, 120.

P

Passing – on: 122, 123, 125.

Prix ombrelle: 122, 127, 129.

Public enforcement: 114, 120, 147, 163, 177, 184.

Private enforcement: 129, 147, 163.

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101

TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ……………………………………………………… 5

LISTE DES ABREVIATIONS …………………………………………… 6

SOMMAIRE ………………………………………………………………. 9

INTRODUCTION ………………………………………………………… 11

PREMIERE PARTIE : LES OBSTACLES PROCEDURAUX DE

L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES

ANTICONCURRENTIELLES …………………………………..……….16

TITRE I - L’APPROPRIATION PROGRESSIVE DE L’ACTION DE

GROUPE PAR LES INSTITUTIONS…………………………………..16

Chapitre 1 : La découverte de l’action de groupe en matière de concurrence

par le juge ……………………………………………………………….. 17

Section I : la conception stricte de la recevabilité des actions de groupe 17

Paragraphe 1 : les exemples nord - américains ………………………. 17

Paragraphe 2 : les possibilités pour le juge français de limiter l’accès à

l’action de groupe …………………………………………………… 21

Section 2 : La non - spécialisation des tribunaux compétents ………… 22

Paragraphe 1 : la non – spécialisation parlementaire ………………… 23

Paragraphe 2 : la restriction gouvernementale ……………………… 27

Chapitre 2 : Le nouveau filtre, les associations de consommateurs …… 30

Section 1 : L’illégitimité des associations …………………………… 31

Paragraphe 1 : Des associations inadaptées à l’action de groupe en matière

de concurrence ……………………………………………………… 31

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Paragraphe 2 : L’alternative des avocats ………………………………. 35

Section 2 : La frilosité des associations agréées ………………………… 37

Paragraphe 1 : une quête de reconnaissance médiatique des associations 37

Paragraphe 2 : Le faible nombre d’actions engagées …………………… 38

TITRE II : LE FAIBLE ENJEU PECUNIAIRE A L’EPREUVE DU

TEMPS ………………………………………………………………………. 41

CHAPITRE 1 : Le temps de l’instance …………………………………….. 42

Section 1 : La nécessité d’une décision d’une autorité de concurrence, le

principe du « follow – on » ……………………………………………… 43

Paragraphe 1 : La longueur inhérente à la détection de pratiques

anticoncurrentielles ……………………………………………………. 44

Paragraphe 2 : l’autorité de la chose décidée accordée aux décisions de

concurrence ……………………………………………………………. 46

Section 2 : Le risque de manœuvres dilatoires des professionnels ……… 47

CHAPITRE 2 : La réparation de préjudices minimes ……………………… 49

Section 1 : l’unique réparation des préjudices patrimoniaux résultant des

dommages matériels subis ……………………………………………… 50

Section 2 : la futilité des demandes d’indemnisation …………………… 51

Conclusion Première partie ………………………………………………. 54

SECONDE PARTIE : LES DIFFICULTES DE FOND DE L’ACTION DE

GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

……………………………………………………………………………… 55

TITRE I : L’ECLUSE DE LA DETERMINATION DU PREJUDICE

INDEMNISABLE ………………………………………………………… 55

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CHAPITRE 1 : L’inhérente difficulté à quantifier la part du préjudice imputable

à la pratique concurrentielle ………………………………………………… 55

Section 1 : L’évaluation approximative du préjudice …………………… 56

Paragraphe 1 : L’impossibilité de chiffrer de façon certaine le préjudice 56

Paragraphe 2 : Le standard de l’approximation « raisonnable » ………. 58

Section 2 : La répercussion de la pratique anticoncurrentielle sur le prix 62

Paragraphe 1 : Le passing - on …………………………………………. 62

Paragraphe 2 : le prix ombrelle ………………………………………… 65

CHAPITRE 2 : L’asymétrie probatoire consubstantielle aux conflits

concurrentiels ……………………………………………………………….. 68

Section 1 : Un accès facilité aux preuves figurant dans le dossier d'une

autorité de concurrence ……………………………………………………69

Paragraphe 1 : Le renforcement des pouvoirs du juge national ………. 70

Paragraphe 2 : Les limites de l’intérêt légitime du défendeur …….……71

Section 2 : La non - conservation des documents probatoires par les

consommateurs …………………………………………………………. 73

TITRE II : LA DIFFICILE CONCILIATION DE L’ACTION DE

GROUPE AVEC LES INSTRUMENTS D’ACTIONS DU DROIT DE LA

CONCURRENCE …………………………………………………………….75

CHAPITRE 1 : La remise en cause de l’efficacité des procédures de

coopération ……………………………………………………………………77

Section 1 : Le rôle majeur des procédures de coopération dans la détection

des pratiques anticoncurrentielles ………………………………………….77

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Section 2 : Une incitation moindre aux procédures de collaboration ……… 80

CHAPITRE 2 : La faveur accordée aux modes alternatifs de règlement des

conflits ……………………………………………………………………… 82

Section 1 : Le poids des chiffres …………………………………………. 84

Section 2 : La réputation, la force de l’image …………………………….. 85

Conclusion seconde partie …………………………………………………. 88

CONCLUSION GENERALE ……………………………………………… 90

BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………. 92

WEBOGRAPHIE ………………………………………………………….. 97

GLOSSAIRE ………………………………………………………………. 99

TABLES ALPHABETIQUES …………………………………………… 100

TABLE DES MATIERES ……………………………………………….. 101