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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) Droit – Économie – Sciences sociales Centre Melun 2055 Session : Janvier 2016 Année d’étude : Deuxième année de licence en Droit Discipline : Droit administratif Unité d’Enseignements Fondamentaux 1 Titulaire du cours : Professeur Benoît Plessix Durée de l’épreuve : 3 heures Documents autorisés : Aucun Les étudiants traiteront, au choix, l’un des deux sujets suivants : Sujet théorique : Constitution et juge administratif Sujet pratique : Traitez le cas pratique suivant. Désireux de mettre en pratique vos connaissances théoriques, vous vous êtes porté candidat à un stage dans un cabinet d’avocats. Vous pensiez mettre en œuvre plus particulièrement vos connaissances en droit des obligations ou en droit pénal, mais vous n’avez obtenu qu’une seule réponse positive, celle d’un cabinet d’avocats parisien spécialisé en droit public. Pas de chance : vous souhaitiez rester à Melun et vous n’aimez guère le droit administratif. Vous décidez tout de même de saisir votre chance : vous voici parti pour faire du droit administratif à Paris ! 1) Sur 3 points. Votre maître de stage vous confie immédiatement un premier dossier, qu’il juge à votre portée. Vous prenez votre respiration et vous dîtes, en vous

UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) Droit … · Constitution et juge administratif Sujet pratique : Traitez le cas pratique suivant. Désireux de mettre en pratique vos connaissances

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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II)

Droit – Économie – Sciences sociales

Centre Melun

2055

Session : Janvier 2016

Année d’étude : Deuxième année de licence en Droit

Discipline : Droit administratif

Unité d’Enseignements Fondamentaux 1

Titulaire du cours : Professeur Benoît Plessix

Durée de l’épreuve : 3 heures

Documents autorisés : Aucun

Les étudiants traiteront, au choix, l’un des deux sujets suivants :

Sujet théorique :

Constitution et juge administratif

Sujet pratique : Traitez le cas pratique suivant.

Désireux de mettre en pratique vos connaissances théoriques, vous vous êtes porté

candidat à un stage dans un cabinet d’avocats. Vous pensiez mettre en œuvre plus

particulièrement vos connaissances en droit des obligations ou en droit pénal, mais vous

n’avez obtenu qu’une seule réponse positive, celle d’un cabinet d’avocats parisien

spécialisé en droit public. Pas de chance : vous souhaitiez rester à Melun et vous n’aimez

guère le droit administratif. Vous décidez tout de même de saisir votre chance : vous

voici parti pour faire du droit administratif à Paris !

1) Sur 3 points. Votre maître de stage vous confie immédiatement un premier dossier,

qu’il juge à votre portée. Vous prenez votre respiration et vous dîtes, en vous

remémorant ce que vous avez appris en droit administratif, que ce premier dossier ne

devrait pas en effet vous poser de difficultés insurmontables. Après avoir brillé à

l’émission Top Chef, M. Thomas Taufour a été recruté par le Sénat comme chef

cuisinier du restaurant du Sénat. Ce fut pour lui un grand honneur et une grande

chance, mais, manifestement, les plats qu’il a mijotés n’ont pas été du goût des

sénateurs, dans la mesure où le Président du Sénat vient de lui notifier son licenciement,

sans préavis, par une décision du 1er

janvier 2016. Il souhaite contester cette décision de

licenciement, à ses yeux abusive, et vous demande de rédiger un recours devant le

conseil de prud’hommes de Paris, et d’invoquer notamment le fait que le règlement

intérieur du Sénat, qui ne prévoit pas de préavis de licenciement, est contraire au Code

du travail et à la convention collective applicable aux métiers de la restauration, qui

impose un préavis de deux mois. Que pouvez-vous lui répondre ?

2) Sur 5 points. Votre maître de stage vous demande ensuite de recevoir un client à sa

place. Pas peu fier de faire vous-même et seul un « vrai » rendez-vous d’avocat, vous

faites donc entrer le client dans le bureau de votre maître de stage. Mme Samira Bien

vous expose son problème. Ressortissante marocaine, elle s’est vu refuser le bénéfice du

revenu de solidarité active (RSA) par une décision du 21 novembre 2015 du président

du conseil départemental de Seine-et-Marne, au motif qu’elle ne justifiait pas du respect

de la condition de cinq ans de résidence régulière en France avec un titre de séjour

autorisant à travailler, prévue par l’article L. 262-4 du Code de l’action sociale et des

familles. Un premier avocat qu’elle avait consulté, constatant qu’elle ne respectait pas

en effet une telle condition purement factuelle, lui a toutefois suggéré d’exercer tout de

même un recours contre la décision du 21 novembre 2015, en lui proposant de soulever,

à l’appui de son recours, divers arguments pour contester le contenu même de l’article

L. 262-4 du Code de l’action sociale et des familles, et notamment cette condition de

résidence de cinq ans. A cette fin, il a proposé de soulever :

- l’inconstitutionnalité de l’article L. 262-4 du Code de l’action sociale et des familles

avec l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et

l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

« La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou

par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle

punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et

emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

(DDHC, art. 6)

« La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé,

la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge de son état physique ou

mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la

collectivité des moyens convenables d’existence » (Préambule de la Constitution de 1946).

- l’inconventionnalité de l’article L. 262-4 du Code de l’action sociale et des familles

avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article 34 de la

Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 3.1 de la

Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction

aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou

toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la

naissance ou toute autre situation » (Conv. EDH, art. 14).

« 1. L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux

assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance

ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les règles établies par le droit de l’Union et les

législations et pratiques nationales.

2. Toute personne qui réside et se déplace légalement à l’intérieur de l’Union a droit aux prestations de

sécurité sociale et aux avantages sociaux, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques

nationales.

3. Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide

sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de

ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales »

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 34).

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou

privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt

supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (Convention des droits de l’enfant, art. 3.1).

Mme Samira Bien vous demande de lui confirmer si de tels arguments peuvent être

légalement soulevés à l’appui d’un recours devant le tribunal administratif de Melun.

3) Sur 3 points. Satisfait par vos réponses précédentes, votre maître de stage vous

confie un nouveau dossier. Au terme de celui-ci, il résulte que la commune de

Valleraugue, situé dans les Alpes-Maritimes, a recruté Mme Elvire Horouge en qualité

de « responsable » du gîte d’étape/snack/restaurant exploité en régie par la commune

sur les hauteurs du Mont Aigual afin d’assurer aux amoureux de la montagne un service

public d’accueil et de restauration. Elle vient de se faire licencier par le maire de la

commune et souhaite saisir le tribunal administratif d’un recours en annulation de ce

licenciement et d’une demande en réparation pour le préjudice subi. Que pouvez-vous

lui répondre ?

4) Sur 3 points. Votre maître de stage vous demande également de rédiger une note

pour l’éclairer sur un point de droit un peu délicat : il s’agit de savoir qui, de la justice

judiciaire ou de la juridiction administrative, est compétente. Le client du cabinet

d’avocat est un directeur d’école de conduite, domiciliée à Paris, M. Jean Darmery, qui

est par ailleurs titulaire d’un agrément préfectoral l’habilitant à effectuer des stages de

sensibilisation à la sécurité routière. L’année dernière, le Procureur de la République de

Paris a mis en place un dispositif de mesures alternatives aux poursuites en cas

d’infraction routière : le contrevenant qui l’accepte et qui paye l’amende n’est pas

poursuivi s’il effectue, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière. Pour

mettre en œuvre ce dispositif original, le Procureur de la République a choisi

discrétionnairement deux auto-écoles figurant sur la liste des écoles de conduite

habilitées à effectuer des stages de sécurité routière, mais n’a pas choisi celle dirigée par

M. Darmery. Fort mécontent, ce dernier veut attaquer une telle décision du Procureur

de la République ou, à tout le moins, obtenir des dommages-intérêts pour le manque à

gagner que lui cause le fait de ne pas avoir été choisi. Ce que veut donc savoir votre

maître de stage, c’est devant quel ordre de juridiction faut-il contester cette décision

prise par une autorité, non administrative, mais judiciaire.

5) Sur 2 points. Vous commencez à être un peu étourdi par toutes ces questions de

droit administratif, mais vous n’avez hélas pas le temps de souffler car votre maître de

stage vous demande de lui répondre rapidement à la question suivante, car il est saisi par

M. Fidel Annamour, ressortissant de l’Etat africain de la Guinée Bissau, qui lui

demande d’exercer en urgence un référé pour demander la suspension du décret édicté

par le Premier ministre et ayant pour objet de refuser d’organiser sur le territoire

français des opérations de vote pour que les ressortissants de la Guinée Bissau vivant

légalement sur le sol français puissent participer à l’élection d’un nouveau président

dans leur pays. La raison en est que, suite au coup d’Etat militaire qui vient de se

produire et de renverser le président en place (d’où l’organisation de nouvelles

élections), la République française a décidé de suspendre toute forme de collaboration

avec la Guinée Bissau. Votre maître de stage vous demande de lui indiquer devant quelle

juridiction il convient d’exercer ce recours et de l’éclairer sur les chances de succès.

6) Sur 4 points. Vous n’en pouvez plus des problèmes de droit administratif ! Mais

avant d’achever votre stage, votre maître de stage vous confie un dernier dossier. Le

client du cabinet est la caisse de crédit municipal de Toulon : elle veut exercer devant le

Conseil d’Etat un recours en cassation contre la décision par laquelle la commission des

sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel a prononcé à son encontre un blâme et

une sanction pécuniaire d’un montant de 150 000 euros. Selon votre client, cette

« juridiction administrative spécialisée », pour reprendre ses mots, aurait méconnu les

principes des droits de la défense et du procès équitable. Devinant que votre client n’a

pas les idées bien claires, vous vous décidez de rédiger une petite note pour préciser la

nature de l’organisme ayant prononcé la sanction et la nature du recours exercé devant

le Conseil d’Etat. Pour ce faire, vous prenez appui sur quelques textes codifiés dans le

Code monétaire et financier :

Art. L. 612-1 : I.-L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, autorité administrative indépendante,

veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et

bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle.

Art. L. 612-2 : I.-Relèvent de la compétence de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution :A.-Dans

le secteur de la banque, des services de paiement et des services d'investissement :1° Les établissements de

crédit ;

Art. L. 612-4 : L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution comprend un collège de supervision, un

collège de résolution et une commission des sanctions.

Art. L. 612-9 : La commission des sanctions est composée de six membres :

1° Deux conseillers d'Etat, désignés par le vice-président du Conseil d'Etat, et un conseiller à la Cour de

cassation, désigné par le premier président de la Cour de cassation ;

2° Trois membres choisis en raison de leurs compétences dans les matières utiles à l'exercice par l'Autorité

de ses missions, nommés par arrêté du ministre chargé de l'économie.

Art. L. 612-38 : L'une des formations du collège de supervision ou le collège de résolution examine les

conclusions établies, dans le cadre de la mission de contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de

résolution, par les services de l'Autorité ou le rapport établi, en vue de l'ouverture d'une procédure de

sanction. Le président de la formation du collège de supervision ou du collège de résolution, selon les cas, qui

a décidé de l'ouverture d'une procédure de sanction notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet la

notification des griefs à la commission des sanctions qui désigne un rapporteur parmi ses membres.

La commission des sanctions veille au respect du caractère contradictoire de la procédure. Elle procède aux

communications et convocations à l'égard de toute personne visée par la notification de griefs. Toute

personne convoquée a le droit de se faire assister ou représenter par un conseil de son choix. La commission

des sanctions dispose des services de l'Autorité pour la conduite de la procédure.

Le membre du collège de supervision ou du collège de résolution désigné par la formation qui a décidé de

l'ouverture de la procédure de sanction est convoqué à l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut

être assisté ou représenté par les services de l'Autorité. Il peut présenter des observations au soutien des griefs

notifiés et proposer une sanction.

La commission des sanctions ne peut siéger que si la majorité des membres sont présents. Elle délibère

hors la présence des parties, du rapporteur, du directeur général du Trésor ou du directeur de la sécurité

sociale ou de leurs représentants, du membre du collège de supervision et des services de l'Autorité chargés

d'assister ce dernier ou de le représenter. Elle rend une décision motivée.

Intellectuellement stimulé par toutes ces questions, vous vous dites que ce stage

sera peut-être être plus formateur que vous ne le pensiez. Vous vous mettez donc au

travail. Vous n’oubliez pas de présenter un travail formellement soigné. Surtout, vous

vous remettez en mémoire les conseils de vos enseignants selon lesquels :

1- à l’occasion d’un cas pratique, il ne s’agit pas de réciter de manière

désincarnée le cours mais de prêter attention à chacun des termes

employés, d’analyser chacun des éléments de fait, de les qualifier

juridiquement et d’apporter une réponse claire et précise à la question

de droit formulée ;

2- mais, bien évidemment, de justifier les réponses apportées, ce qui

implique de sélectionner parmi les connaissances de cours celles qui

correspondent à la question posée, et de les exposer en détails, afin que les

réponses soient justifiées par des connaissances de cours, citation

d’arrêts à l’appui, et que votre correcteur puisse ainsi s’assurer que

votre réponse n’est pas le fruit du hasard.