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1 UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES ( PARIS 5 ) Faculté de Médecine PARIS DESCARTES Année 2013 N°_____/ (1) THÈSE POUR LE DIPLÔME D’ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE Présentée et soutenue publiquement Le 29 mars 2013 par Laure TOULEMONDE de BRUGIERE Née le 30 juillet 1981 à Fontainebleau (77) Vécu de la maladie chronique chez les personnes en situation de vulnérabilité sociale : Paroles de patients. Une étude qualitative dans deux PASS franciliennes. JURY Président : Monsieur le Professeur Jacques BLACHER, PU-PH Membres : Madame le Docteur Hélène de CHAMPS-LEGER (directrice de thèse) Monsieur le Docteur Grégoire MOUTEL (co-directeur de thèse), MCU-PH Monsieur le Docteur Henri PARTOUCHE, Professeur Associé de médecine générale Monsieur le Docteur Philippe VAN ES, Professeur émérite de médecine générale

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UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES ( PARIS 5 )

Faculté de Médecine PARIS DESCARTES

Année 2013 N°_____/ (1)

THÈSE POUR LE DIPLÔME D’ÉTAT

DE

DOCTEUR EN MÉDECINE

Présentée et soutenue publiquement

Le 29 mars 2013

par

Laure TOULEMONDE de BRUGIERE

Née le 30 juillet 1981 à Fontainebleau (77)

Vécu de la maladie chronique chez les personnes

en situation de vulnérabilité sociale :

Paroles de patients.

Une étude qualitative dans deux PASS franciliennes.

JURY

Président : Monsieur le Professeur Jacques BLACHER, PU-PH

Membres : Madame le Docteur Hélène de CHAMPS-LEGER (directrice de thèse)

Monsieur le Docteur Grégoire MOUTEL (co-directeur de thèse), MCU-PH

Monsieur le Docteur Henri PARTOUCHE, Professeur Associé de médecine générale

Monsieur le Docteur Philippe VAN ES, Professeur émérite de médecine générale

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REMERCIEMENTS

A notre jury

Monsieur le Professeur Jacques Blacher

Nous vous remercions de nous avoir mise sur le chemin des PASS et de nous avoir aiguillée vers

notre directrice de thèse. Vos encouragements discrets mais non moins reçus ont été un réel

soutien pendant ce travail. C’est un grand honneur et une joie pour nous que cette thèse se

déroule sous votre présidence.

Madame le Docteur Hélène de Champs-Léger

Vous avez accepté sans hésiter de diriger ce travail. Nous vous remercions d’être entrée avec

nous dans ce projet, de l’avoir encadré avec respect et bienveillance, et d’avoir encouragé notre

réflexion.

Vous savez rejoindre les plus fragiles et vous questionnez en profondeur les relations avec eux.

Partager avec vous ce chemin aura été une chance et nous aura fait grandir. Soyez

chaleureusement remerciée pour tout cela.

Monsieur le Docteur Grégoire Moutel

Nous avons été interpellée par vos interventions lors d’un colloque sur les PASS et nous vous

avons demandé à cette occasion de nous accompagner dans notre travail. Nous vous

remercions d’avoir accepté de nous encadrer, de nous avoir apporté vos compétences

méthodologiques et de nous avoir ouvert les portes de votre service dans lequel les patients

trouvent un accompagnement qui les relève.

Monsieur le Docteur Henri Partouche

Vous avez été le maître qui a marqué notre apprentissage de la médecine générale. Pour vous,

toute situation clinique et toute rencontre humaine ont un intérêt et portent une espérance vers

laquelle il est possible d’avancer. Vos enseignements et nos discussions passionnantes resteront

des souvenirs heureux de notre cursus médical.

Votre présence dans ce jury revêt une importance toute particulière pour nous et nous vous

remercions chaleureusement d’avoir accepté de juger notre travail.

Monsieur le Docteur Philippe Van Es

Nous avons été touchée de la sympathie avec laquelle vous avez accepté de juger ce travail et

de l’intérêt que vous lui avez manifesté. Nous vous remercions d’apporter ici votre expérience et

votre regard éclairé pour enrichir notre réflexion.

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Aux patients que j’ai rencontrés à l’occasion de cette thèse et qui m’ont accordé leur

confiance.

Vos existences m’ont édifiée. Cohabiter avec vos témoignages a été d’une immense

richesse, a éclairé mon regard sur vos réalités et a renforcé mon désir d’exercer la médecine à

vos côtés.

L’anonymat des entretiens ne nous a pas permis de vous contacter pour la soutenance

comme nous l’avions souhaité, mais votre parole rend ici votre présence vivante.

A tous ceux qui nous montrent que les richesses sont d’un autre ordre.

En particulier aux familles rencontrées à Biblimesly et à Honfleur.

Aux frères et sœurs du Sappel et des Minguettes, avec qui la route est belle.

Aux maîtres dans la médecine qui ont marqué mon cheminement.

En particulier au docteur Barjonnet, au professeur Batel, au docteur de Sarcus, au docteur

Besson, au docteur Savelli.

A ceux qui m’ont aidée à réaliser ce travail.

Au réseau Wrésinski Santé et en particulier au docteur Huguette Boissonnat Pelsy qui a

suggéré le sujet passionnant de cette thèse et en a accompagné le démarrage.

Au docteur Bruno de Goër pour le temps consacré, l’écoute attentive et bienveillante et les

conseils si précieux sur le chemin du respect de l’Homme.

Au docteur Evelyne Lasserre, pour sa disponibilité, sa compréhension et ses

encouragements.

Aux amis qui ont offert des oreilles attentives à mes questionnements existentiels, des

discussions constructives sur ce travail, des encouragements, du coaching, des conseils, des

relectures, des pauses ressourçantes… de l’amitié !

Pauline, Myriam, Emmanuelle, Brieuc, Benoît-Joseph, Héloïse, Cécile, Timothée, Nathalie,

Pierre-Yves, Nicolas, Clémence, Dominique, Clémentine,Sabine, Benoît.

A Bertrand et Michèle pour leur relecture.

A ma famille et belle-famille bien aimées.

A mes parents, pour m’avoir emmenée sur la dalle du Trocadéro un 17 octobre 1987

et pour leur aide si précieuse auprès de notre marmaille adorée !

A mes quatre merveilles, Gaspard, Maëlle, Thibaud et Arthur…

A mon non moins merveilleux mari…

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« Seuls les plus pauvres savent ce qu’est la misère et peuvent en parler. »

« Tous les efforts pour construire un monde de justice, de paix et de fraternité seront

d’autant plus efficaces que la priorité sera donnée aux plus défavorisés. Ce n’est pas un

luxe mais une nécessité, la garantie qu’alors tous les êtres humains seront respectés

dans leurs droits, dans leur dignité, dans leur humanité. »

Joseph Wrésinski

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SOMMAIRE

SOMMAIRE .............................................................................................................. 5

INTRODUCTION ........................................................................................................ 8

I. Présentation de la problématique ......................................................................... 8

II. Objectifs................................................................................................................ 10

III. Etat de la question ................................................................................................ 10

A. La vulnérabilité sociale ................................................................................................. 10

B. La parole des plus pauvres comme « savoir d’expérience » ........................................ 13

C. Les problèmes de santé chez les personnes en situation de vulnérabilité sociale ...... 14

D. La maladie chronique ................................................................................................... 17

E. Les Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) .................................................. 20

METHODE .............................................................................................................. 22

I. Analyse qualitative par entretiens peu dirigés .................................................... 22

II. Choix du terrain .................................................................................................... 23

III. Population ............................................................................................................ 23

IV. Réalisation des entretiens .................................................................................... 24

RESULTATS ET ANALYSE .......................................................................................... 28

I. Rencontre avec les patients ................................................................................. 28

A. Des vies chargées d’histoire, des vécus multiples et singuliers ................................... 28

B. Vue d’ensemble de certains caractères médico-sociaux des patients rencontrés ...... 38

II. Approche du vécu par le prisme de la situation sociale ...................................... 40

A. Le logement .................................................................................................................. 40

1. Avoir un logement précaire : vécu ..................................................................... 40

2. Interactions entre logement et maladie chronique ........................................... 42

B. Le travail et les revenus ................................................................................................ 46

1. Ne pas avoir de travail : vécu ............................................................................. 46

2. Interactions entre travail et maladie chronique ................................................ 46

C. La situation administrative ........................................................................................... 50

D. Les liens sociaux ........................................................................................................... 54

1. Isolement et maladie chronique ........................................................................ 54

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2. Marques de l’exclusion et rapport à la maladie chronique ............................... 56

3. Soutien mutuel dans la maladie chronique ....................................................... 58

E. Le cumul ....................................................................................................................... 61

1. Quand le cumul des difficultés sociales et de la maladie chronique créée

des inquiétudes envahissantes .......................................................................... 61

2. Quand le cumul des difficultés sociales et de la maladie chronique

entraîne des situations de souffrance profonde ............................................... 62

III. Approche du vécu par le prisme médical ............................................................. 64

A. La maladie chronique ................................................................................................... 64

1. Une maladie à vie ............................................................................................... 64

2. L’acceptation ...................................................................................................... 66

3. Désocialisation et maladie chronique silencieuse ............................................. 69

4. Contraintes imposées par la maladie chronique ............................................... 71

5. Instabilité créée par la maladie chronique ........................................................ 71

6. Répercussions sur l’identité ............................................................................... 72

B. Le recours aux soins ..................................................................................................... 73

1. Couverture maladie et accès aux soins .............................................................. 73

2. Les lieux de soins ................................................................................................ 77

3. Les rendez-vous médicaux ................................................................................. 86

C. Les traitements et les règles hygiéno-diététiques ....................................................... 93

1. Le traitement au long cours ............................................................................... 93

2. Les ruptures thérapeutiques .............................................................................. 96

IV. Relations avec les soignants ................................................................................. 98

A. Les positions vis-à-vis de l’autorité médicale .............................................................. 98

1. La délégation d’autorité ..................................................................................... 98

2. L’implication dans les décisions, la volonté d’information, les critiques, les

exigences ............................................................................................................ 98

B. Les souffrances, les attentes ...................................................................................... 101

1. Les regards stéréotypés de la part des acteurs de santé ................................. 101

2. Le besoin de temps passé, de dialogue… ......................................................... 102

3. Le désir d’être compris et reconnu dans sa singularité afin de tisser une

relation unique avec les soignants ................................................................... 104

C. Des relations parfois extrêmes: entre blessures et attachements ............................ 105

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1. Faire l’expérience de la blessure humaine jusque dans la relation de soin .... 105

2. Etre fortement attaché au médecin ou à la structure de soins qui a

« sauvé » .......................................................................................................... 106

DISCUSSION ......................................................................................................... 107

I. A propos de la méthode ..................................................................................... 107

II. A propos des résultats ........................................................................................ 110

A. Un vécu de la maladie chronique étroitement lié à la situation sociale .................... 110

1. Le cumul de situations complexes : quand maladie chronique et

vulnérabilité sociale s’aggravent mutuellement. ............................................. 110

2. Le cumul d’atteintes psychologiques et morales ............................................. 114

3. Quelles forces pour rebondir ? Quelles résistances ? Quelle résilience ? ....... 115

B. L’importance d’être entendu et reconnu ................................................................... 118

1. L’expression du besoin de dialogue et de reconnaissance .............................. 118

2. L’accueil positif de l’étude : signe d’un désir d’être entendu ? ....................... 119

3. Une expérience d’écoute exclusive des personnes en difficultés sociales ...... 121

C. Des efforts peu manifestes mais bien réels dans la gestion de la maladie

chronique : des critères inhabituels d’investissement ............................................... 124

1. Des efforts flagrants mais bien cachés. ........................................................... 124

2. Des efforts parfois difficiles à reconnaître pour les médecins ........................ 125

3. Une reconnaissance à signifier au patient ....................................................... 126

4. Se dessaisir de nos représentations pour rejoindre le patient ........................ 126

D. Réflexions sur le rôle du médecin auprès des patients en vulnérabilité sociale ....... 127

CONCLUSION ........................................................................................................ 131

ENTRETIENS.......................................................................................................... 134

GLOSSAIRE ........................................................................................................... 174

RESUME ............................................................................................................... 175

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................... 176

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INTRODUCTION

I. PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE

En dépit des progrès de la médecine et de l’augmentation de l’offre de soins, les

inégalités de santé persistent et sont majeures. Il est actuellement admis que la précarité est

associée à un niveau élevé de morbi-mortalité.1,2 Ces inégalités sociales de santé s’expriment

tout au long de l’échelle sociale suivant un gradient pour la quasi-totalité des pathologies, avec

une forte prévalence de maladies chroniques. 3,4,5

La Loi d’orientation relative à la Lutte contre les exclusions du 29 juillet 19986 affirmait

ainsi dans son article premier que « La lutte contre les exclusions est un impératif national,

fondé sur l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques

publiques de la nation. La présente loi tend à garantir, sur l’ensemble du territoire, l’accès

effectif aux droits fondamentaux dans les domaines (…) de la protection de la santé». Elle

engageait les professionnels à se former à la connaissance du vécu des personnes et des

familles très démunies, et à la pratique du partenariat avec elles.

L’ensemble de la population est concerné par le combat pour la dignité, et plus

particulièrement le corps médical. Mais le médecin généraliste est un pivot essentiel dans la

prise en charge des populations en difficulté. En effet, il est un acteur de soins de proximité, au

plus proche du quotidien des patients et de leur entourage. C’est lui qui assure le lien avec les

structures de soin, les autres intervenants de santé et les structures sociales.

Or, les médecins sont souvent en difficulté dans la prise en charge des personnes

socialement vulnérables, et plus encore dans le contexte des maladies chroniques. Les errances

de suivi, les écarts par rapport aux recommandations de traitements, l’absence ou la

médiocrité de résultats sont vécus comme des échecs, d’autant plus quand ils ont le sentiment

que la majorité de la population est correctement prise en charge pour une pathologie donnée.

Le médecin peut alors se dire que, s’il n’arrive pas à soigner le patient, c’est parce que ce

dernier ne le veut pas ou qu’il n’observe pas les conseils.7 La confrontation à cet échec

thérapeutique peut amener le médecin à remettre en cause, pour les personnes en grandes

difficultés sociales, le postulat énoncé par Paul Ricœur selon lequel l’homme désire « une vie

bonne avec et pour les autres »8. Ainsi, quand les soignants projettent sur les personnes fragiles

l’idée qu’ils ne voudraient pas cette « vie bonne », le lieu du soin devient pour ces patients un

nouveau lieu de rejet. Cela renforce en eux le sentiment -que leur renvoie la société- d’être

responsables de leur état. Pourtant, ces patients blessés par l’existence et vivant en marge, ont

particulièrement besoin d’être en confiance, de se sentir entendus, compris et reconnus9.

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Malgré les politiques mises en place pour améliorer l’accès aux soins pour tous, la prise

en charge des maladies chroniques chez les personnes en situation de vulnérabilité sociale

reste extrêmement complexe, tant pour les soignants que pour les patients. Or, la solution ne

réside pas uniquement dans la mise en place de mesures pratiques pour inciter les médecins à

plus d’investissement dans ce domaine. Mais aussi -comme nous y invitait la Loi d’orientation

relative à la lutte contre les Exclusions de 1998- « dans une recherche approfondie de la

connaissance mutuelle ». En effet, si l’on fait le pari éthique qu’aucun humain ne désire

profondément son malheur ou une mauvaise santé, l’enjeu est alors de chercher dans son

histoire et son existence, ce qui le freine dans sa recherche d’une vie bonne et pourquoi il peut

même donner l’impression de la refuser10.

La recherche dans ce domaine est particulièrement compliquée car les personnes sont

instables, marquées par des blessures fortes et des histoires de vie complexes, et qu’elles ont

souvent appris le silence comme moyen de défense ainsi que l’énonçait J. Wrésinski : « La

misère met les familles qui la vivent en état de choc, et les empêche, de fait, de rencontrer les

autres hommes. 11 »

Les inégalités de santé, les parcours de soin des patients et l’épidémiologie des

populations en difficulté ont été décrites dans les enquêtes de santé1,2,4,5. Les disciplines

sociologiques et anthropologiques ont étudié le vécu de la santé chez les personnes en

vulnérabilité sociale25,26,29,34. La maladie chronique a été également beaucoup décrite dans le

vécu qu’elle génère chez les patients41,43,46,48. Un certain nombre de travaux choisissent de se

pencher sur le vécu des soignants face à la précarité et aux représentations qu’ils ont du vécu

des patients. Mais peu de travaux en médecine prennent le parti de se centrer sur le vécu des

populations en vulnérabilité sociale22,35, et il n’existe pas à notre connaissance de travaux

spécifiques sur la maladie chronique dans le contexte de vulnérabilité sociale.

C’est, sensible à ce nécessaire chemin à faire vers une meilleure connaissance des plus

pauvres, et persuadée que la connaissance engendre la compréhension et permet des relations

thérapeutiques plus ajustées, que nous avons voulu accomplir ce travail d’écoute des patients

qui présentent durablement les deux insécurités que sont la maladie et la vulnérabilité sociale.

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II. OBJECTIFS

L’objectif principal de cette étude est d’explorer le vécu des personnes qui présentent

une maladie chronique et vivent des situations de vulnérabilité sociale, en nous fondant

uniquement sur la parole des patients et sans hypothèse ni à priori de départ.

Nous voulons interroger les places respectives prises par la vulnérabilité sociale et la maladie et

étudier les interactions qui existent entre les deux.

L’étude doit permettre d’ouvrir des pistes de recherche pour des études de plus grande

ampleur.

L’objectif secondaire est de questionner le système de soins et les pratiques médicales

auprès de cette population ainsi que la relation médecin-patient. De façon directe, à l’écoute

de ce que les patients en disent, et de façon indirecte par l’apport de clés de compréhension de

ce qui s’y joue.

III. ETAT DE LA QUESTION

A. La vulnérabilité sociale

Rappelons tout d’abord la définition de la précarité retenue par le Conseil Economique et

Social français en 1987, proposée par J. Wrésinski: « La précarité est l’absence d’une ou

plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles

d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits

fondamentaux. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs

domaines de l'existence, qu'elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante,

qu'elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de ré-assumer ses

responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible. »12

Le Haut Comité de Santé Publique affirme que « la précarité ne définit pas une catégorie

sociale particulière mais un enchaînement d’évènements et d’expériences qui débouchent sur

des situations de fragilisation économique, sociale et familiale.»13

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11

De nombreux auteurs tentent de définir les différentes populations précaires. Les

classifications sont faites selon le mode de vie (logement, travail, situation administrative etc),

l’intégration par rapport à la population générale (grande exclusion, marginalité, problèmes

psychiatriques, migrants14), les revenus, ou encore à l’aide de scores (EPICES en particulier).15

Isabelle Parizot, sociologue, met en garde sur l'emploi de termes globalisant tels que

«précarité » ou « exclusion » car ils peuvent masquer la diversité des situations. Selon elle, les

personnes concernées ne forment pas une communauté sociale, ni même un groupe statistique

reconnaissable par des critères socio-économiques traditionnels.

Partageant ce souci de ne pas stigmatiser une population selon des critères et de ne

pas donner une vision erronée de la précarité qui est à chaque fois très singulière, nous

préférons ici parler des personnes « en situation de vulnérabilité sociale ». Cette formule nous

semble bien refléter le fait qu’il existe une infinité de situations particulières, ainsi que la

fragilité accrue de l’existence lorsqu’elle est soumise à des risques sociaux qui s’entrecroisent,

se cumulent et deviennent une menace permanente pour celui qui s’y trouve confronté.

Pierre Larcher, avec sa célèbre « Parabole du trampoline16 » décrit bien ce phénomène

de cumul de difficultés qui affaiblit petit à petit la personne dans les différents domaines de son

existence, jusque dans son être, sa confiance, et l’image qu’il a de lui-même et détruit peu à

peu les ressources intérieures lui permettant de faire face.

« Avec un faible élan on ne cesse de rebondir sur un trampoline.

Pour que le rebond soit de bonne qualité, il faut que tous les élastiques qui relient la toile à son

cadre soient en bon état. De la même manière, toutes les sécurités que se bâtit un individu au fil

de sa vie contribuent à lui donner l’élasticité qui lui permettra de rebondir dans les péripéties de

l’existence. Or des élastiques peuvent lâcher, parfois coup sur coup. Le trampoline rebondit alors

de plus en plus mal, et chaque secousse l’ébranle davantage avec des risques de déchirure. C’est

souvent au travail que retentit le coup de grâce, par la sanction d’une faute professionnelle ou

un licenciement économique, avec faible espoir de reclassement. D’un coup, ce sont plusieurs

élastiques qui sautent (confiance en soi, revenus suffisants, relations sociales…). Risquent de

s’ensuivre d’autres déboires qui seront autant de lâchages supplémentaires (éclatement de la

cellule familiale, perte du logement…) »

Nous avons à cœur de l’enrichir grâce au témoignage de M.F. Zimmer. Cette femme

connaît une vie très dure, faite de nombreuses difficultés sociales, ancrées dans le temps, pour

elle et sa famille. Lors d’un colloque au Ministère du Développement durable portant sur les

inégalités de santé, elle exposait sa « Parabole du yoyo » 17 pour parler du phénomène

d’assistance au vu de son expérience.

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« Le problème de cette assistance qui se dessine, c’est le problème du YOYO. Tu sais tu pars de

bas, on te remonte un peu, tu y crois, tu refais des projets de soins et on te l’enlève

subrepticement, l’air de rien. Tu replonges plus bas, avec des frais sur le dos et bien des

frustrations, t’y as cru ! Le mieux ce serait de ne plus dépendre des autres, de pouvoir

retravailler. Quand ce que tu as tu l’as avec ton travail tu sais qu’on ne te le reprend pas. Quand

on arrive dans les aides sociales, on tombe sous des puissances qui nous dépassent. Quand une

personne tombe dans la précarité, elle est à la merci des pouvoirs qui distribuent les aides

sociales, il devient ainsi très dur de prévoir l’avenir. Plus on vit dans la précarité, plus on dépend

des aides et rien ne garantit qu’elles pourront continuer à être attribuées. Si on arrive à monter

une ou deux marches et qu’à cause d’une décision prise en haut lieu, on se voit descendre 4

marches en arrière, au bout d’un moment, on abandonne. »

Si elle aborde ici la problématique de l’assistance, elle nous dit aussi en image les sauts

et les chutes profondes qu’elle vit. Elle attire notre attention sur ces allers-retours incessants

entre des espoirs ou des situations de grande souffrance. Au regard de son expérience, elle

exprime la fatalité à laquelle est soumise son existence, puisqu’elle sait que chaque rebond de

la vie sera irrémédiablement suivi par une chute tout aussi importante. Elle porte en elle cette

menace constante de tomber à nouveau et de se battre pour parvenir à un nouveau rebond

sans jamais oser espérer que celui-ci se maintienne vers une vie stable. La peur est là,

d’abandonner définitivement.

Sa vision de l’assistance interpelle la société sur la façon de donner aux personnes les moyens

de sortir de la pauvreté autrement que par des aides financières. Elle nous interpelle aussi en

tant que professionnels du soin, en nous interrogeant sur les moyens qui sont en notre

possession pour accompagner les patients dans le sens d’une sortie de leur vulnérabilité et non

pas seulement d’une assistance ponctuelle. Le rôle du médecin semble ici se dessiner

impérativement dans la durée.

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B. La parole des plus pauvres comme « savoir

d’expérience »

Le mouvement ATD Quart Monde (Agir Tous pour la Dignité) a une grande expérience

dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, dans un partenariat avec les personnes qui la

vivent. Les écrits de son fondateur, les travaux de recherche et les actions menées sont

reconnus dans le monde social et politique.

Joseph Wrésinski insistait pour recueillir la parole des personnes en grande difficulté et

leurs récits de vie, afin de réfléchir « avec eux » aux mécanismes conduisant à la misère et la

pérennisant et aux façons de les faire reculer, et non pas de décider « pour eux ». Son idée est

qu’ils doivent avoir les moyens de participer, par leur expérience et leur travail, à l’avenir de

leur pays, de prendre place dans les projets de société et d’acquérir les moyens d’expression et

de représentation dont disposent tous les autres groupes de citoyens. Ils détiennent un certain

savoir que d’autres n’ont pas, issus de leur expérience de vie et l’on ne peut pas se passer de

cette expérience si l’on veut bâtir une société juste dans laquelle chacun trouve sa place et sa

dignité. La loi de lutte contre les exclusions de 1998 6 portait ce souci lorsqu’elle encourageait

dans son article 151 la recherche du partenariat avec les personnes concernées par l’exclusion.

C’est dans cet état d’esprit que s’inscrit la dynamique du Croisement des Savoirs18,19,

méthode de recherche faisant l’objet d’une charte rigoureuse.

Son postulat de départ est qu’il existe trois formes de savoir : le savoir universitaire, le savoir

d’action (issu des pratiques professionnelles), et le savoir d’expérience quotidienne. Les deux

premiers sont reconnus mais ce n’est pas le cas du savoir d’expérience. Peu de professionnels

considèrent en effet qu’ils ont quelque chose à apprendre des plus pauvres sur leur façon

d’exercer leur métier20. Or, selon le mouvement ATD Quart-Monde et d’autres associations,

l’expérience des personnes concernées a valeur d’expertise, indispensable pour comprendre

les attitudes que les professionnels ressentent comme allant à l’encontre d’une démarche de

santé 21.

L’une des exigences de cette méthode est notamment que professionnels et personnes

ayant l’expérience de vie doivent tirer bénéfice des actions de recherche. Les personnes ne

doivent pas avoir l’impression que leur parole leur est soutirée et peut être instrumentalisée et

qu’ils ne bénéficieraient pas (directement ou indirectement) des retombées du travail de

recherche.

Dans une même dynamique de reconnaissance du vécu des patients en difficulté, une

étude qualitative menée par le centre éthique de Cochin en 200922 interrogeait les attentes des

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patients en grande précarité vis-à-vis de l’hôpital ainsi que la place donnée à leur autonomie

dans les soins. Donnant la parole aux patients et aux soignants, elle éveillait les consciences à

réfléchir à cette question éthique de l’autonomie et à discerner la mesure dans laquelle

l’autonomie des patients doit primer ou non, sur l’aide sociale et les soins.

Ce souci d’entendre la parole des patients grandit petit à petit et les droits des patients

sont de plus en plus reconnus et encouragés. La Loi du 4 mars 2002 relative au droit des

malades et à la qualité du système de santé23 promeut, par exemple, la participation des

usagers au fonctionnement du système de santé, dans ses articles 19, 20 et 21.

Les relations entre médecin et patients évoluent dans le même sens. Ainsi, à la

conception paternaliste du couple médecin/patient, se substituent actuellement des modèles

où le patient prend une place de plus en plus importante.

C. Les problèmes de santé chez les personnes en

situation de vulnérabilité sociale

Le rapport à la santé

Selon le Haut Comité de Santé Publique « les processus de précarisation

s'accompagnent d'une souffrance psychique alliant mauvaise image de soi et sentiment

d'inutilité sociale et peuvent conduire à une véritable dégradation de la santé.24 »

Chez les personnes qui sont en difficultés sociales, le rapport à la santé est complexe. Il

existe en effet une multiplicité de déterminants sociologiques et psychologiques en jeu dans

l’intérêt que chacun porte à la (sa) santé. Ainsi, les conditions de vie ou les expériences

antérieures personnelles et familiales de la maladie et des soins, mais aussi les capacités

d’adaptation, l’estime de soi, le degré de projection dans l’avenir, etc., participent à la

construction du rapport au corps comme à la construction de préoccupations et de normes de

santé différentes d’un individu (et/ou groupe social) à l’autre25. Or, chez les personnes en

situation de vulnérabilité sociale, chacun de ces déterminants peut être profondément

éprouvé.

Les patients en situation de vulnérabilité sociale peuvent avoir d’autres priorités que la santé,

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avec au premier plan les nécessités de survie immédiates. Une perception particulière de l’état

de santé peut amener les personnes à se considérer en « bonne santé » tant que la douleur

n’est pas ressentie. Une étude sur la santé en milieu défavorisé montre par exemple que les

hommes ont tendance à se considérer en bonne santé tant qu’ils n’ont pas de douleur ou tant

que la douleur ne leur est pas insupportable, ce qui les amène à « attendre le dernier

moment»26. Il a déjà été montré que, plus les personnes ont de difficultés à survivre, plus leur

seuil à la souffrance physique est élevé et moins elles sont sensibilisées par d’autres soins

corporels qu’elles jugent alors secondaires. 27, 28, 29

La demande de soin est donc souvent différée dans le temps et les pathologies sont

prises en charge à un stade avancé avec des formes cliniques souvent graves. 30

Mais cette notion n’est pas toujours bien acceptée des médecins. Il y a parfois chez eux,

une dénégation non seulement des préférences individuelles, mais aussi du fait que la santé

puisse ne pas se trouver au cœur des préoccupations prioritaires de certains groupes sociaux 31.

Cela peut entraîner des réticences à prendre en charge des patients que le médecin

rattacherait à ces groupes.

Comme l’explique Gisèle Dambuyant-Wargny, sociologue, en condition de survie, ce

qui semble normal n’est peut-être pas synonyme de bonne santé. Tant qu’il peut fonctionner le

corps sera sollicité. Sauf si le mal est très handicapant, toute hospitalisation sera mal vécue,

d’autant plus si l’immobilisation est prolongée32.

Il existe par ailleurs des liens entre relations sociales et santé perçue. Une étude auprès

d’usagers des services d’hébergement ou de distribution de repas montre un lien significatif

entre le nombre de contacts sociaux et la santé perçue33. Elle relate également qu’en présence

d’une pathologie chronique, le fait d’avoir des contacts fréquents avec des proches jouerait un

rôle de facteur protecteur contre la dépression.

Rappelons aussi que les messages des grandes campagnes de prévention de santé

publique sont destinés aux classes supérieures et peu adaptés aux couches sociales moins

aisées. Elles éloignent les personnes qui n’ont pas accès à ces informations et renforcent ainsi

les inégalité face à la perception de sa santé et des risques encourus.

Les difficultés dans l’accès aux soins

Malgré les politiques de santé visant à réduire les inégalités, le parcours de soin reste

complexe à appréhender. Les patients en difficulté sont souvent submergés par les démarches

administratives et sociales, et il n’est pas simple de comprendre les subtilités de l’offre de soin,

les droits et les recommandations34.

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16

Les relations avec les soignants sont souvent marquées par les différences sociales qui

créent une distance entre soignants et soignés et entraînent un malaise chez les patients. Lors

de la Co-formation Précarité et Santé à Chambéry en 201135 des patients expriment cette

crainte : « On sent que la personne qui est en face de nous se sent supérieure, et nous on se sent

tout petit. »

Ils insistent sur les enjeux de connaissance qui creusent leurs différends. Ainsi, le langage

scientifique utilisé par le médecin est souvent mal compris et les patients, se sentant en

infériorité intellectuelle, n’osent pas toujours demander des éclairages par peur d’être jugés,

de donner l’impression de ne pas comprendre35. Eux, ils « ne savent pas ». Nul besoin de

détailler les conséquences sur la difficulté d’être acteur de sa santé dans un contexte

d’incompréhension.

La démarche de demande de soin peut nécessiter un effort important de la part des

patients. Pour des raisons pratiques (un logement éloigné ou qui ne peut être laissé sans

surveillance dans des lieux peu sécurisés, l’impossibilité de faire garder les enfants, la douche à

prendre et la tenue à trouver pour être présentable) ou des mécanismes plus internes (la peur

de la confrontation aux autres patients ou aux soignants, la difficulté à engager une démarche,

l’impossibilité de planifier). « Rien que le fait d’aller jusqu’à l’hôpital, ça coûte ». De ce fait, une

fois que la personne a fait l’effort de venir : « c’est votre travail ». D’où une forte attente vis-à-

vis de l’accueil proposé : « il faut nous accueillir, nous aider à trouver des repères35». Même s’ils

ne rentrent pas toujours dans les cadres attendus par les soignants, les patients savent ce que

leur a coûté le fait de venir. Ils ont donc besoin avant tout soin technique d’être reconnus et

valorisés, encouragés, écoutés. Le risque est grand d’être déçu si l’accueil n’est pas à la hauteur

de leurs besoins profonds, si une remarque est faite sur l’heure du rendez-vous ou le

traitement mal suivi. La relation médicale s’inscrit alors dans cette blessure qui atteint un peu

plus leur confiance, et ne leur donne pas de goût à suivre ce que préconise le soignant ni à

engager d’autres démarches de soins par la suite. A l’inverse, si une confiance s’installe, le

patient peut désirer une amélioration physique et entrer dans une démarche de soin.

Quelques particularités chez les migrants

Parmi les patients des PASS de l’Hôtel-Dieu et de Corentin Celton, beaucoup de migrants

viennent consulter.

Ces personnes sont en situation de déracinement, source de traumatismes souvent majeurs.

Un fort pourcentage d’entre eux a été soumis à des violences. Les répercussions physiques et

psychiques sont variées et sèment parfois la confusion dans leur prise en charge36. Ils sont la

plupart du temps très isolés sur le plan affectif, ont perdu tout repère, toute reconnaissance. Ils

arrivent dans un pays qui ne veut pas d’eux et deviennent petit à petit aussi des étrangers aux

yeux de leur pays d’origine37.

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La différence de culture entre le patient migrant et le médecin est aussi à prendre en compte

dans la prise en charge, bien que la « connaissance authentique » et la « croyance »,

dévalorisée, aient plus souvent tendance à s’opposer.

En effet, tout ce qui entre dans le domaine des croyances, des interprétations relève souvent

de l’étrange, de la folie. Or, l’explication biologique seule, ne permet pas d’accéder à des

niveaux d’interprétation mêlant des données objectivables avec les représentations, les

croyances, la culture.38

F. Laplantine, anthropologue, a théorisé deux modèles explicatifs des représentations de la

maladie39.

- Le modèle de l’« agent externe » est le plus répandu en Occident : « La maladie résulte de

la pénétration d’un élément étranger et hostile introduit de l’extérieur dans le corps ou

l’esprit du malade ».

- Le modèle de l’« agent interne » se retrouve plus dans les pays du Sud. Il fait de la maladie

un élément de la personne, qui n’est ni hors d’elle ni étrangère. Elle est un signal d’alarme,

une réaction de l’organisme, en lien avec le vécu, l’histoire, le milieu de la personne. La

guérison à proprement parler viendra de la personne elle-même, chez qui les moyens

thérapeutiques utilisés seront un stimulateur des ressources internes.

Nous touchons là des questionnements existentiels. Mais des soins qui ne prendraient pas en

compte ces différences de représentations de la maladie, et qui ne seraient que techniques

nieraient ces questionnements. Les différences de culture entre le médecin et le patient jouent

donc un rôle particulièrement important dans la vision et l’approche des personnes qu’il est

amené à soigner40.

D. La maladie chronique

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, la maladie chronique est « un problème de santé

qui nécessite une prise en charge sur une période de plusieurs années ou plusieurs décennies».

Elle est définie par: la présence d’une cause organique, psychologique ou cognitive, une

ancienneté de plusieurs mois, le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne. Celle-ci se

manifeste par la limitation fonctionnelle, des activités ou de la participation à la vie sociale ;

une dépendance vis-à-vis d’un médicament, d’un régime, d’une technologie médicale, d’un

appareillage ou d’une assistance personnelle ; le besoin de soins médicaux ou paramédicaux,

d’aide psychologique, d’éducation ou d’adaptation.

Comme le souligne la Direction générale de la santé, c'est l'existence dans tous ses aspects qui

se trouve affectée et souvent bouleversée par la maladie chronique: la vie sociale et

professionnelle, mais aussi la vie affective et familiale, voire l'identité même de la personne

malade.

Les symptômes, les traitements, les évolutions et les changements de vie sont très

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différents d’une maladie à l’autre. Mais les répercussions émotionnelles sont déterminantes

quant à l’adaptation de la personne à sa nouvelle condition41.

Les répercussions émotionnelles et sur l’identité

Selon Ancelin-Schützenberger, psychologue, le sentiment d’identité représente le fait que

l’individu se perçoive identique à lui-même dans le temps. Ce sentiment de permanence et

d’unité est ébranlé par les changements marquants (puberté, vieillissement) 42. Il peut être

aussi particulièrement altéré par la survenue d’un déficit organique.

Le plus souvent la maladie durera aussi longtemps que la vie de la personne malade. Ce

changement d’identité et les implications concrètes de la maladie ne peuvent donc pas

constituer une parenthèse pour les personnes malades et leur entourage, tant dans leur vie

privée que dans leur vie sociale.

Toute maladie est comme un rappel de la finitude humaine et donc de la mort, inéluctable.

Mais le patient atteint de maladie chronique est confronté sans répit à cette finitude, à la

menace de complications ou d’une issue fatale accélérée. Au quotidien, il se retrouve

également face aux nouvelles limites d’un corps idéalisé dont il faut faire le deuil.

A partir des travaux de Freud43, Kübler-Ross a décrit les différents états psychiques

traversés par les personnes en fin de vie44. Cet enchaînement de réactions émotionnelles a

depuis été transposé aux maladies chroniques par les soignants. Il représente un modèle

appelé « les stades d’acceptation ».

PROCESSUS D’INTEGRATION

PROCESSUS DE DISTANCIATION

ANNONCE DU DIAGNOSTIC

CHOC (stupeur)

Incrédulité passagère

Stratégies de confrontations

Révolte (accusation)

Capacité dépressive (tristesse)

Adaptation Copping +

Angoisse

Stratégies d’évitement

Dénis / refus

(banalisation)/ (honte)

Résignation (dépression)

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Ces différentes réactions peuvent se manifester avec des durées et des intensités très variables

selon les personnes et l’accueil dont elles sont l’objet de la part des soignants.

La gestion de la maladie

Isabelle Baszanger, sociologue, éclaire la réflexion sur l’adhésion au traitement grâce à

sa théorie de l’ordre négocié : « Sur le plan médical, la maladie chronique pose le problème de

gestion. Au schéma habituel symptôme-diagnostic-traitement-guérison (mort), se substitue un

schéma toujours ouvert, donc incertain. Le patient ne peut espérer l’aboutissement que

constitue la guérison et se retrouve face à la gestion de la chronicité quotidienne. »

Cette gestion quotidienne mobilise tout ou une partie des ressources potentielles du malade :

son temps, son énergie, la modification de son style de vie45.

Les malades doivent faire des choix entre les contraintes de la maladie et celles du

traitement. La littérature sociologique a montré que la gestion quotidienne de la maladie se fait

autant (voire plus) sur des critères sociaux que médicaux. Ainsi les malades n’acceptent pas

automatiquement régimes et traitements, mais évaluent leurs consequences avant tout40.

Strauss et Glaser citent quelques conditions suivant lesquelles un traitement sera accepté et

suivi46 : « II doit y avoir confiance initiale puis prolongée dans le médecin qui prescrit le

traitement, aucune autre personne ne doit précéder le médecin dans sa légitimité, il faut qu'il y

ait une évidence minimum que le traitement sert soit à contrôler les symptômes soit la

maladie, ou les deux ; il ne doit pas y avoir d'effet secondaire inquiétant, les effets secondaires

sont évalués en fonction de la maîtrise des symptômes ou de la peur des conséquences de la

maladie elle-même ; il doit y avoir une relative absence d'interférence avec les activités

quotidiennes les plus importantes (celles du malade et/ou de son entourage). Les effets positifs

perçus ne doivent pas être contrebalancés par un impact négatif sur le sens de l'identité du

malade ».

I. Baszanger poursuit: “Le malade a souvent à décider; il peut parfois choisir son insertion

sociale ou le court terme, contre un long terme incertain. Le médecin, et c'est son rôle

professionnel, favorise des mesures conservatoires. Cela met clairement en évidence, dans

la gestion des maladies chroniques, deux logiques différentes : la logique de contrôle de la

maladie opposée à la logique de contrôle des symptômes (Strauss et Glaser, 1975). (…)

Cependant, quelle que soit la distance entre ces deux logiques, malades et médecins

poursuivent, sauf cas extrême, leurs interactions pour gérer la maladie47.”

Selon A. Grimaldi, diabétologue, l’ analyse des difficultés du patient à suivre son traitement est

la question centrale de la relation médecin-patient dans la maladie chronique48. A. Lacroix,

pychologue, explique aussi que, pour les médecins, l’indicateur prioritaire à suivre reste

souvent l’adhésion au traitement. Elle constate que si le vécu psychique est observé, il n’est pas

toujours pris en compte. Pourtant il conviendrait d’analyser les oublis, les négligences, et ce

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qu’ils signifient de la façon dont le patient investit sa maladie ou la met à distance tandis que

d’autres priorités sont plus investies49.

Ces éléments de bibliographie montrent que les patients qui présentent une maladie

chronique et des difficultés sociales se trouvent au carrefour de problématiques de vie

complexes. Ces problématiques modifient leur rapport à la santé et aux soins et ils doivent

composer avec pour gérer leur maladie, tâche qui, encore plus que tout un chacun, mobilise

beaucoup d’énergie.

E. Les Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS)

C’est sous l’impulsion de la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 6 qu’ont

été créées les PASS. La loi, dans son article 76 précisait que: « (…) Les établissements publics de

santé et les établissements de santé privés participant au service public hospitalier, mettent en

place des permanences d’accès aux soins de santé, qui comprennent notamment des

permanences d’orthogénie, adaptées aux personnes en situation de précarité, visant à faciliter

leur accès au système de santé et à les accompagner dans les démarches nécessaires à la

reconnaissance de leurs droits. Ils concluent avec l’État des conventions prévoyant, en cas de

nécessité, la prise en charge des consultations externes, des actes diagnostiques et

thérapeutiques ainsi que des traitements qui sont délivrés gratuitement à ces personnes. »

Concrètement, il s’agit de dispositifs hospitaliers basés sur des cellules de prise en

charge médico-sociale ayant pour vocation de répondre aux difficultés d’accès aux soins des

personnes en situation de précarité50. Elles assurent les missions de prévention et de soins. Des

procédures internes à chaque site sont mises en place pour permettre un accès gratuit à des

médicaments, à des examens complémentaires et à des avis spécialisés.

Une autre mission de la PASS est d’accompagner les personnes dans les démarches

nécessaires à la reconnaissance de leurs droits, en particulier vis-à-vis d’une couverture

maladie. Le travail des assistants sociaux est au cœur du dispositif. Ainsi, à l'opposé de

l'assistance, les PASS accompagnent de façon transitoire et spécifique dans l’objectif de

(ré)insérer les personnes dans le dispositif de soins de droit commun51, en ville ou à l’hôpital.

Les PASS participent ainsi à la continuité des soins.

En pratique, comme le constate l’équipe de la PASS de l’Hôtel-Dieu « ré-adresser le

paient vers la ville peut prendre un mois comme quelques années, en fonction du degré de

désocialisation du patient. D’un côté il faut reconnaître que la mission des PASS s’arrête quand

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le patient est suivi ailleurs, d’un autre côté elle doit fidéliser les patients les plus instables afin

d’éviter leur nomadisme médical et devenir pour eux un centre de référence52 ».

Les PASS ont enfin un rôle de prévention et de formation. Elles doivent être un «espace

ressource» auprès des professionnels sur la question de la santé et de l’exclusion. Ainsi les

praticiens de santé, libéraux ou hospitaliers, les assistants sociaux ou les structures, peuvent

s'appuyer sur l'aide des PASS lorsqu'ils sont en présence d'une personne en difficulté50.

En 2003, on dénombre près de 370 PASS en France. Elles sont réparties sur le territoire

national, en particulier dans les zones urbaines de moyenne et de grande taille. En 2011, 70

nouveaux dispositifs spécialisés en bucco-dentaire ou en psychiatrie sont créés.

Quelques particularités des terrains de l’étude

La PASS de Corentin Celton est intégrée à la poli-clinique du même hôpital, dans le

département des Hauts de Seine. L’une de ses particularités est de collaborer avec le réseau

ASDES. Ce dispositif s'inscrit dans une volonté de décloisonnement de la médecine hospitalière

et de son ouverture sur son environnement urbain. Il relie des acteurs de ville, des hôpitaux, et

des réseaux thématiques avec une vision clinique de la santé publique. Dans la PASS, la prise en

charge vise « au repérage des vulnérabilités médicales et sociales, pour déboucher sur des

propositions individualisées de dépistage et de prise en charge des facteurs de risque »53 . Une

consultation initiale de trente minutes permet de proposer de manière structurée un plan de

prise en charge personnalisé54.

A l’Hôtel-Dieu de Paris, une consultation de médecine générale sans rendez-vous a été

créée en 1998 - au sein du Centre de Diagnostic et de Thérapeutique - dans le but d’être

particulièrement ouverte aux personnes en situation de détresse sociale. Elle inclut une PASS,

mais garde une volonté de ne pas stigmatiser les plus pauvres52. C’est pourquoi elle propose

des consultations de médecine générale hospitalières, sans rendez-vous, ouvertes à tous, avec

un regard particulièrement attentif sur les plus fragiles. Située en plein cœur de Paris, entre

Notre Dame et le palais de justice et proche de nœuds de transports franciliens, la PASS est un

lieu de médecine de proximité y compris pour les personnes qui habitent en banlieue.

Particulièrement ouverte sur la rue, avec une entrée séparée de l’entrée principale de

l’hôpital52, elle accueille notamment beaucoup de migrants et de personnes sans domicile.

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METHODE

I. ANALYSE QUALITATIVE PAR ENTRETIENS PEU

DIRIGES

La visée de l’analyse qualitative est de comprendre des phénomènes sociaux et

humains complexes. Par conséquent, les enjeux de l’analyse qualitative sont ceux d’une

démarche discursive et signifiante de reformulation, d’explicitation ou de théorisation de

témoignages, d’expériences ou de pratiques55. Cette méthode s’est imposée pour comprendre

les logiques humaines complexes de patients en vulnérabilité sociale.

Nous avons choisi d’effectuer des entretiens, moyen le plus adapté pour étudier le vécu

des patients, puisqu’ils permettent la production de discours par les personnes interrogées. Les

entretiens étaient semi-dirigés avec des questions peu nombreuses et très ouvertes, afin de

favoriser l’élaboration des vécus propres à chacun.

Nous ne voulions pas avoir d’hypothèse de départ, pour que le travail soit guidé avant

tout par le vécu des patients et ceci pour deux raisons. Tout d’abord le souci de s’inspirer des

démarches d’études sociologiques et anthropologiques qualitatives selon lesquelles on doit

avancer sans idée préconçue sur la réponse. Mais aussi parce que nous nous intéressons à des

personnes qui, par leur place dans la société et parce qu’elles « ont souvent appris le silence

comme moyen de défense »56, font peu entendre leur voix. Ainsi, le fondement de notre

démarche était de recueillir leur parole dans un grand respect, avec le souci permanent de

l’influencer le moins possible et la conviction qu’elle représente un « savoir d’expérience ». 57

Dans notre façon de poser les questions et la nature de nos relances, nous avons voulu

orienter le moins possible les réponses sur les chemins de nos influences théoriques et

d’expérience, préexistantes à l’étude. En cela nous nous positionnons dans une démarche

inductive modérée, qui “contrairement à une démarche inductive pure, exempte de toute

connaissance et influence préalable sur le sujet, reconnait l’influence d’un cadre théorique du

chercheur, bien qu’il les mette de côté le temps de l’analyse” 58. A ce titre nous précisons que

nous avions des connaissances à propos de la santé des personnes en vulnérabilité sociale,

acquises lors de la rencontre des patients sur nos lieux de stage de médecine, et dans d’autres

lieux d’engagements personnels.

Avant de démarrer ce travail, nous avons eu quelques discussions avec nos directeurs

de thèse sur le contexte et la méthode. Mais, afin de garder un regard indépendant, nous

n’avons volontairement pas échangé sur le fond du sujet, et cela pendant toute la période de

réalisation des entretiens, d’analyse des résultats et de choix des sujets sur lesquels porteraient

la discussion.

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II. CHOIX DU TERRAIN

Pour des raisons de disponibilité il nous a semblé compliqué, dans le cadre d’une thèse

d’exercice, de recruter des patients en médecine de ville. La fréquence de consultation de

personnes en situation de vulnérabilité sociale y est variable et nous avions peu de chances, sur

des journées de présence définies, de rencontrer des patients porteurs de maladie chronique.

De plus, il était difficilement envisageable, compte tenu de leurs situations de vie, de demander

à de tels patients de prendre rendez-vous dans le seul but de réaliser des entretiens.

Nous nous sommes alors tournée vers les Permanences d’Accès aux Soins de Santé qui sont,

comme nous l’avons exposé ci-dessus, plus spécifiquement dédiées à recevoir des populations

en situation précaire.

III. POPULATION

Après avoir posé la question de limiter notre travail à l’étude d’une seule pathologie

nous avons préféré avoir une réflexion globale sur les maladies chroniques. Se centrer sur une

pathologie aurait fait courir le risque de travailler sur cette maladie plutôt que sur les patients.

Nous avons d’emblée exclu les patients chez qui une maladie psychiatrique constituait le

diagnostic principal, considérant que le vécu et la prise en charge étaient alors trop spécifiques.

En revanche, nous avons inclu les patients qui présentaient des diagnostiques psychiatriques

dit “associés”.

Bien que cela soit parfois discuté, nous n’avons pas considéré les pathologies cancéreuses

comme étant des maladies chroniques. En effet un cancer d’une part comporte une possibilité

de guérison, et d’autre part, est associé à une menace vitale très forte et souvent à court

terme. Cela ne correspondait donc pas exactement à la problématique que nous voulions

étudier.

Nous n’avons inclu que des patients qui vivaient sur le territoire français depuis au moins un an

pour éviter d’interroger les patients sur une situation trop récente ou fluctuante.

Puisqu’il s’agissait de recueillir une parole élaborée sur des vécus personnels, nous avons exclu

les patients avec lesquels nous ne pouvions pas suffisament discuter en français. En effet, nous

ne voulions pas favoriser un mode d’entretien aux questions fermées.

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IV. REALISATION DES ENTRETIENS

Lieu, temps, recrutement

Nous avons tout d’abord présenté l’éude et les critères d’inclusion aux médecins et assistantes

sociales des deux PASS.

Le mode de vie des patients concernés ne nous semblait pas compatible avec des rendez-vous

pour effectuer des entretiens à une date et une heure donnée. Il était donc convenu que les

patients seraient recrutés à l’occasion d’une consultation à la PASS.

Les entretiens se sont déroulés dans les locaux des PASS de l’Hôtel-Dieu de Paris et de Corentin

Celton (Issy), lors de 11 journées, au mois de décembre 2011.

Lorsqu’un professionnel repérait un patient qui présentait les critères d’inclusion, il lui exposait

notre travail et lui proposait d’y participer. Si le patient donnait son accord, il s’agissait alors de

nous rencontrer juste après la consultation. Nous avions un local dédié afin de garantir la

confidentialité des entretiens.

Nous avons recruté 18 patients. Un patient a été exclu de l’échantillon car son niveau de

français ne nous a pas permis d’avoir un échange ni de retranscrire l’entretien. L’échantillon

final de l’étude se compose donc de 17 patients.

Absence de regard medical

Nous n’avons pas interrogé le médecin à propos du patient adressé, afin de nous désaisir de

notre approche médicale habituelle. Nous nous sommes rapidement aperçue que le recueil

d’informations auprès du médecin risquait de nous projeter dans son approche et sa vision des

difficultés ou des enjeux de la prise en charge. En effet, la culture médicale commune risquait

de nous faire perdre notre indépendance et notre regard neuf sur les patients. Or, l’objectif de

notre étude était de nous fonder sur le point de vue des patients.

Nous n’avons donc recueilli aucune information de la part des médecins: Ni à propos des

pathologies des patients, ni à propos de leurs difficultés ou non de prise en charge, ni à propos

de leur situation sociale. De même, nous n’avons pas consulté les dossiers médicaux.

Guide d’entretiens

Nous avons établi un guide d’entretien sobre.

Il devait commencer par une question ouverte: “Racontez-moi comment ça se passe avec votre

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maladie? Qu’est-ce qui est compliqué?”

Puis nous voulions demander au patient quels étaient les impacts de sa santé sur sa situation

sociale et, inversement quels étaient les impacts de sa situation sociale sur sa santé.

Dès les premiers entretiens nous nous sommes aperçue que les questions étaient trop ouvertes

et ne nous permettaient pas d’appréhender la situation du patient. En effet, sa santé et la

nature de ses difficultés sociales étaient insuffisamment explorées pour que l’entretien soit

approfondi.

Nous avons donc établi une nouvelle structure d’entretien qui visait à :

1/Poser rapidement la question de la représentation de la maladie et de ses implications

quotidiennes pour comprendre la façon dont chaque patient se projetait dans sa santé :

« C’est quoi votre maladie ? Concrètement ça entraîne quoi dans votre vie? Qu’est-ce qui est

compliqué avec votre santé… »

2/Poser la question des difficultés sociales.

En effet, la situation sociale est appréhendée de façon très différente selon les personnes. Ce

qui semble difficile selon notre point de vue de soignant ne l’est peut être pas tant pour le

patient et inversement. Il était donc important d’interroger les difficultés sociales de chaque

patient.

3/ Laisser l’entretien évoluer dans les directions qui semblaient importantes pour le patient.

Ne pas interrompre l’expression de son vécu et relancer le discours de façon à approfondir avec

lui son ressenti.

4/Enrichir l’entretien en suivant 11 items.

Aborder ces items si le patient n’en parlait pas spontanément. L’aider à préciser des éléments

concrets de son vécu auxquels il n’avait pas pensé.

Ces 11 items se définissaient ainsi.

À propos de la maladie chronique:

1. Craintes liées à la maladie et à ses complications

2. Vécu du traitement

3. Vécu des règles hygiéno-diététiques

4. Vécu des rendez-vous médicaux et des bilans, temps pris et organisation à mettre en œuvre, gestion des dates et des horaires

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A propos des liens avec l’offre de soins :

5. Accès aux soins

6. Vécu de la relation avec les soignants

7. Expériences de soin dans d’autres structures que la PASS

A propos des liens avec la situation sociale :

8. Vécu de la maladie chronique auprès de l'entourage, des collègues, de l'employeur

9. Liens entre la maladie chronique et l'emploi ou la recherche d'emploi

10. Liens entre la maladie chronique et les démarches administratives

11. Liens entre la maladie chronique et le logement

Aspects éthiques

L’étude ne portant pas sur l’expérimentation du corps humain et n’entrant pas dans le champ

d’application de la loi sur la recherche biomédicale, seul le consentement oral des patients et

des professionnels a été demandé.

La confidentialité des données a été rendue possible grâce à l’attribution d’un prénom de

substitution à chaque patient et l’absence de précision systématique du lieu de l’entretien

(Hôtel-Dieu ou Corentin Celton). Dans le corps des entretiens, certaines précisions des patients

permettent d’identifier leur lieux de suivi mais cela ne nous a pas paru menacer leur anonymat.

En début d’entretien nous expliquions aux patients que l’objectif de notre etude était

d’améliorer la compréhension entre médecins et patients. Nous insistions sur le fait que les

médecins avaient des choses à apprendre de leurs patients pour améliorer les soins. Nous

expliquions également aux patients qu’il ne fallait pas en attendre des bénéfices pour leur

santé ou leur prise en charge, mais qu’ils participaient ainsi à un effort global pour améliorer la

prise en charge et la santé des personnes en difficultés. Il nous semblait que les patients

pouvaient ainsi prendre conscience de l’utilité de leur témoignage sans toutefois en attendre

des conséquences immédiates et personnelles.

Après avoir demandé l’autorisation d’effectuer un enregistrement audio à chaque patient, nous

explicitions systématiquement notre méthode de travail: retranscription écrite fidèle et mot à

mot sous couvert d’anonymat, destruction des enregistrements, travail de compréhension à

partir des écrits puis soutenance orale du travail devant des médecins et tout autre pubic.

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Aspects déontologiques

S’agissant de personnes en difficulté et n’étant pas dans le cadre d’une relation thérapeutique -

même si notre identité de médecin était connu-, nous nous étions fixé comme exigence de ne

pas poser de questions trop intrusives si nous sentions que des mécanismes de résistances

entraient en jeu. Il s’agissait de ne pas ébranler ces résistances puisque nous étions hors d’un

cadre thérapeutique.

Transcription et présentation des résultats

Les entretiens ont été retranscrits intégralement à partir des enregistrements audio, avec une

reproduction écrite du langage oral. Ils figurent en intégralité en annexe de la thèse.

Pour la présentation des résultats, seuls quelques mots de liaison ont été ajoutés quand cela

nous semblait indispensable à la compréhension du texte.

Les didascalies sont notées entre parenthèses, ainsi que quelques notes de contextualisation,

suivies de la mention « NDLA » pour « note de l’auteur ».

Nous avons de temps en temps retranscrit les interventions de l’interviewer quand cela nous

semblait nécessaire à la compréhension, elles sont alors précédées de l’initiale « I ».

Pour garantir l’anonymat, tous les médecins cités sont nommés « docteur X ». Certains lieux de

soins sont cités en tant qu’institution, les propos ne portant pas atteint à des personnes.

D’autres lieux d’hébergement ou de soins ont été masqués quand leur évocation nous

paraissait menacer l’anonymat du patient..

Dans l’analyse, le vécu des patients est présenté ou commenté au présent. Il faut entendre cela

comme le reflet du vécu du patient au moment de l’entretien et non comme un présent de

vérité générale.

Analyse

Nous nous sommes longuement imprégnée des entretiens, à leur écoute (le langage oral était

important pour la compréhension des émotions et du vécu) et à partir des retranscriptions.

Nous avons dans un premier temps procédé à une analyse par entretien en essayant de mettre

en évidence les logiques internes de chaque patient, ses ambivalences, ses moteurs, ses

nœuds, et d’en comprendre les liens avec l’histoire de vie.

Nous nous sommes posé la question de présenter l’analyse entretien par entretien afin de

montrer les fonctionnements complexes de chaque patient et les rapports qu’il entretenait

avec ses différents déterminants de vie.

Nous avons finalement fait le choix de présenter les résultats par thèmes d’analyse faisant

référence à la prise en charge médico-sociale, dans le souci d’une approche plus pragmatique.

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RESULTATS ET ANALYSE

L’ensemble des résultats en retranscription intégrale se trouve en annexe de la thèse.

I. RENCONTRE AVEC LES PATIENTS

A. Des vies chargées d’histoire, des vécus multiples et

singuliers

Nous prenons ici le temps de présenter de façon brève chaque patient rencontré: son cadre de

vie et les éléments de son histoire qu’il a rapportés au cours de l’entretien. Ceci afin de

permettre au lecteur de situer chaque patient dans son individualité et d’éviter les contre sens

à la lecture des verbatim.

Nous ne détaillons pas toutes les dimensions évoquées dans les entretiens, mais uniquement

les grands traits qui permettent d’appréhender chaque patient.

Nous relatons les entretiens en utilisant le présent, mais il faut l’entendre comme l’expression

d’un vécu à la date de l’entretien, qui a pu évoluer depuis.

Mamadou

Mamadou a 30 ans. Originaire du Mali, il est arrivé en France en 2005, seul. Il a alors été

hébergé chez un cousin chez qui il habite jusqu’à ce jour et il rend régulièrement visite à des

compatriotes en banlieue parisienne. Sans-papiers, il a effectué quelques travaux non déclarés

dans le bâtiment, secteur dans lequel il travaillait au Mali. En 2006 une hépatite C lui a été

diagnostiquée. Depuis il ne retrouve plus de travail car il se sent trop faible pour effectuer des

tâches aussi physiques. Mamadou ne sait pas lire et peine à s’orienter lorsqu’il ne connaît pas

les lieux, cela lui demande aussi de prévoir de partir de chez lui très en avance pour être sûr

d’être à l’heure aux rendez-vous. Sa principale préoccupation est sa « circulation », c’est à dire

l’obtention de papiers d’identité. Sans-papiers, il ne peut pas trouver de travail stable, il n’a pas

de revenu et ne peut donc pas envisager d’avoir son propre logement. Or c’est son principal

souhait : se sentir enfin chez lui, libre de ses actes et de ses allers et venues.

Notes sur l’entretien : Mamadou est plutôt discret mais parle volontiers de son vécu, de façon

franche, dans un français approximatif mais qui semble lui permettre d’exposer son ressenti. La

principale difficulté a été celle d’une incompréhension latente pendant tout l’entretien :

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n’ayant pas interrogé le patient sur ses représentations de la maladie, nous n’avons jamais tout

à fait su s’il séparait clairement ou non son hépatite C d’autres infections bénignes et

intercurrentes. Ainsi lorsqu’il parlait de « la maladie » nous ne savions pas à quoi il faisait

allusion. Toutefois, son parcours de soin, et ses liens itératifs avec les structures et les soignants

sont spécifiques de sa maladie chronique et entrent tout à fait dans le cadre de notre sujet.

Nous avons donc gardé pour l’étude uniquement les verbatim qui ne nous paraissaient pas

ambigus et qui répondaient à la problématique.

Kamel

Kamel a 27 ans, il est originaire du Maroc. En 2009 il est arrivé en France où une grande partie

de sa famille vivait déjà. Son diabète (de type1) a été diagnostiqué 3 mois après son arrivée sur

un syndrome cardinal brutal. Il vit chez ses parents au sein d’une famille soudée et soutenante.

Kamel n’a pas de papiers d’identité ni de titre de séjour alors que le reste de sa famille a une

situation régularisée. Il ne semble pas particulièrement préoccupé par sa santé ou sa situation

sociale. Pour lui, les démarches de soins et les relations avec les soignants son simples. Il est

dans une dynamique globale d’acceptation de sa maladie et de gestion responsable de son

traitement.

Notes sur l’entretien : Kamel est très proche de son frère aîné qui l’accompagne pratiquement

à chaque rendez-vous. Lors de l’entretien ils souhaitaient tous deux y participer ensemble et

nous avons senti qu’il n’aurait pas été opportun de leur demander de se séparer, d’autant plus

que le frère a d’emblée manifesté un fort intérêt pour notre étude. Nous avons bien précisé

que nous voulions entendre la parole de Kamel, mais son frère est de temps en temps

intervenu pour parler à sa place. Nous nous sommes alors efforcée de renvoyer la parole vers

Kamel et de recueillir son ressenti propre.

Joël

Joël a 55 ans. Il n’a pas de domicile et depuis de nombreuses années, il dort chez des amis ou

bien dans la rue. Accepter son diabète de type 2 (diagnostiqué depuis plus de 30 ans) est un

processus long et complexe, mêlé selon lui, à sa personnalité et aux relations conflictuelles avec

les soignants. Joël ne supporte pas l’autorité des médecins qui ne dialoguent pas et imposent

leur avis aux patients. Face à des soignants de ce type, il lui est impossible de rentrer dans un

processus de soins car il le vivrait comme une soumission qui pourrait lui faire perdre ce qui lui

reste de liberté. Il risquerait de devenir « un pion qu’on déplace comme on veut ». Joël a

longuement refusé tout traitement et a été amputé d’un orteil. Il est ambivalent quant à sa

responsabilité ou celle des médecins dans cette complication. Après être sorti d’un hôpital en

refusant des soins dans une atmosphère conflictuelle, il s’est présenté dans une PASS, un soir.

L’accueil qu’il y a trouvé, au-delà des cadres habituels, et au moment où il en avait besoin, lui a

permis d’entrer dans une confiance avec les soignants. Depuis, il tisse peu à peu des liens avec

les équipes qui effectuent ses soins de pansements. Toutefois, l’idée de poursuivre ses

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traitements par la suite n’est pas si simple pour lui car il a besoin d’entrer dans un processus

décisionnel en se sentant libre de ses choix. Joël insiste souvent sur l’importance du dialogue

entre médecins et patients et dénonce vivement les soignants qui croient tout savoir et

mettent les patients dans des « cases » en ayant une ligne de conduite déjà toute tracée pour

eux.

Notes sur l’entretien : Joël a pris la parole avec « passion » si l’on ose dire. L’entretien faisait

des allers et venues déstructurés et comportait nombre d’ambivalences (qui ont des

significations), mais beaucoup de choses ont été dites sur la façon dont les patients peuvent

vivre la relation de soins.

Assetou

Assetou a 54 ans. Elle est originaire du Cameroun où elle était mariée à un homme qui avait

quatre femmes. Il est allé en prison et Assetou s’est battue toute sa vie pour élever ses quatre

filles en vendant quelques denrées. Elle parle de sa dépression qui date de cette époque et

dont elle ne s’est jamais vraiment remise. C’est une femme de courage qui dit qu’elle ne se

laisse pas abattre. A cette époque elle connaissait déjà de très fortes douleurs dorsales qui

rendaient sa vie encore plus pénible. En 2009 elle est venue en France pour être proche de sa

fille qui avait des fausses couches à répétition mais aussi dans l’espoir d’être soignée pour son

mal de dos. En France elle n’a pas pu être hébergée par sa fille, elle n’a jamais trouvé de travail

ni de logement. Depuis elle est « trimballée à droite à gauche », dans des foyers ou chez des

compatriotes qui l’hébergent pour quelques nuits. Son mal de dos s’aggrave. A l’entendre, il

s’agirait de lyses vertébrales dont on ne connaît pas l’étiologie. Pour Assetou chaque jour est

un poids. La seule façon de soulager ses douleurs serait d’être allongée, mais c’est impossible

puisqu’elle n’a pas de toit. Elle ne supporte plus cette vie où chaque jour lui apporte douleur

physique et morale. Elle préfèrerait parfois mourir que de continuer à vivre avec, en plus, ce

sentiment d’être inutile.

Notes sur l’entretien : Assetou nous a longuement raconté son histoire passée et nous avons

estimé qu’il était important de l’écouter car elle mettait en lumière une femme aujourd’hui

délaissée.

Rouffaï

Rouffaï, originaire de Côte d’Ivoire, a 26 ans. Né de père français, il pouvait avoir accès à la

nationalité française dans son pays, mais la Côte d’Ivoire étant agitée il n’a jamais réussi à

réunir tous les documents nécessaires pour obtenir ce droit. Il est arrivé en France en 2005

pour fuir ce climat hostile. Après de nombreuses démarches il a déposé une demande de carte

d’identité française à Paris. Son frère, venu avec lui, a obtenu ses papiers en quelques semaines

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dans une autre ville, mais Rouffaï, lui, attend toujours une réponse. Il a tout de même trouvé

un travail en CDI. Il a ensuite été diagnostiqué porteur du VIH pour lequel il a été hospitalisé 5

mois à l’hôpital Foch. Depuis ce temps il porte une dette envers cet hôpital car, sans papiers

d’identité, il n’a pas accès à ses droits à la sécurité sociale et n’a pas pu régler les frais

d’hospitalisation. Rouffaï est très rigoureux pour ses prises de traitement et la régularité de son

suivi médical. Mais il est obnubilé par son désaccord avec la Préfecture qui ne régularise pas

son dossier et auprès de laquelle il n’arrive pas à obtenir de réponse. Il ressent une certaine

rage en lui et ne comprend pas pourquoi une telle injustice lui est faite, d’autant plus que son

frère a obtenu des papiers en peu de temps. Sa vie s’en trouve incertaine ; son employeur lui

assure un travail fixe, mais il reçoit son salaire en liquide, n’a pas accès à un compte en banque,

peine à gérer ses revenus et ses dettes. Il dit qu’il a eu plusieurs fois des idées suicidaires car il

ne peut accepter de se battre contre sa maladie si l’administration ne lui donne pas une chance

pour s’en sortir. Pendant tout l’entretien il répète combien il est « cassé » par cette situation.

Notes sur l’entretien : Nous avons un doute sur la façon dont l’entretien a été présenté par le

médecin recruteur qui a peut être orienté son discours sur le problème social uniquement. En

effet le patient débute l’entretien en disant : « on m’a dit de venir vous raconter mon

problème » puis raconte longuement ses démêlés avec la Préfecture et parle peu de sa

pathologie. Toutefois, il parait évident qu’il est focalisé sur ses problématiques administratives

à cette époque de sa vie.

Celou

Celou est né en Ethiopie. Il a actuellement 40 ans. A 18 ans il a migré aux Pays-Bas pour y

construire sa vie. Il y a trouvé un travail, un logement, une compagne avec qui il a eu un fils en

2002. Trois semaines après la naissance de ce dernier, il lui a été diagnostiqué un diabète de

type1. « Une famille de diabétique», puisque son père et sa sœur sont tous deux décédés de

complications diabétiques. En 2007, après s’être séparée de sa compagne, il veut « repartir à

zéro » et vient en France où vivent déjà sa sœur, son mari et leurs enfants. L’atterrissage est

rude. Il est hébergé dans la famille de sa sœur dans le Sud et la cohabitation est houleuse. Elle

déménage quelques années après et il se retrouve seul. Il fait alors l’expérience de « la galère »

pendant six semaines et passe quinze jours dans la rue. Un ami accepte de l’héberger et depuis,

il vit chez lui. En France, tout lui paraît compliqué : « Pour le logement c’est difficile en France

comparé aux Pays-Bas, ça n’a rien à voir. Là-bas c’est plus vite, c’est moins cher, là c’est plus

difficile ». Il désire plus que tout avoir son propre logement pour accueillir son fils qu’il n’a pas

vu depuis quatre ans, mais ses revenus sont irréguliers car il travaille en intérim comme peintre

carrossier et n’arrive pas à trouver de CDI. Pourtant il essaie d’être le plus fiable possible au

travail, en gérant très discrètement son traitement diabétique et son suivi. Celou évoque les

contraintes liées à l’hébergement, à son diabète et raconte ses ruptures de traitement.

Notes sur l’entretien : L’entretien est fluide et le contact aisé. Celou semble à l’aise avec les

médecins et il exprime avec franchise ses difficultés et ses faiblesses. En fin d’entretien il nous

pose des questions aimables sur notre santé tout en gardant une distance respectueuse.

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Jean-Pierre

Ancien travailleur handicapé à la retraite, Jean-Pierre a 64 ans. Il vit seul dans un appartement

en HLM et touche une retraite solidarité. Il présente une hypertension artérielle ancienne.

Jean-Pierre évoque la vie « avec tous ses soucis » et se sent débordé, toujours à courir partout.

Il insiste sur des souvenirs douloureux de consultations médicales « à la chaîne » en centre de

santé où il a souffert de remarques humiliantes de la part des équipes d’accueil et ne s’est pas

senti considéré ni écouté par les médecins.

Notes sur l’entretien : Jean-Pierre a accepté l’interview mais a précisé qu’il était assez pressé

par un programme chargé. D’une personnalité très réservée et timide ou impressionnée par les

médecins, il a parlé à voix basse et ne s’étendait pas sur les réponses. Il a gardé un sourire figé

tout au long de l’entretien. Pour lui ce n’était pas toujours facile de préciser le fond de sa

pensée et de son vécu « Oh je ne sais pas, c’est pas facile à dire ». Nous avons dû souvent poser

des questions et relancer le dialogue tout en essayant de suivre la direction qui semblait

importante pour lui. Quand nous avions l’impression que la relance influençait ses réponses

nous avons essayé de formuler les choses autrement afin de nous approcher au mieux de son

vécu. Bien que cela aurait pu nous renseigner, nous ne lui avons pas fait préciser ce qu’il

entendait par « les soucis de la vie ». Nous avons en effet senti que nous risquions alors de

briser les défenses psychologiques que nous voulions respecter, n’étant pas dans une fonction

de thérapeute dans le cadre de cet entretien. A la fin de l’interview, Jean-Pierre s’est levé assez

précipitamment et a quitté la pièce dans un au-revoir bref, renforçant notre impression que

cette disponibilité de temps ou ce dialogue touchant à son intimité n’étaient pas simple pour

lui.

Zohra

Zohra a 52 ans. D’origine marocaine elle est arrivée en France il y a environ 25 ans. Elle a

travaillé comme employée de maison dans diverses familles chez qui elle était logée. Elle

sentait ses forces diminuer et au cours du temps on lui a diagnostiqué une insuffisance

surrénale, une maladie de Biermer, une hypothyroïdie, une neuropathie dont elle ne sait pas

préciser l’étiologie. Initialement elle ne pouvait pas s’arrêter de travailler malgré un état

général qui s’affaiblissait. Aujourd’hui elle ne travaille plus et perçoit l’Allocation Adulte

Handicapé. Elle s’est mariée en 1999 mais son mari a été assassiné d’une balle dans la tête par

un homme qu’ils hébergeaient, ce dont nous ignorons la raison. Depuis, malgré son remariage,

elle a beaucoup erré entre foyers d’hébergement, hôtels et appartements attribués par les

services sociaux. Zohra est épuisée par la recherche de ces logements successifs et par le fait

que ceux-ci sont souvent éloignés des divers hôpitaux dans lesquels elle est suivie.

Actuellement elle vit dans un appartement qu’elle loue mais le chauffage ne fonctionne pas et

les robinetteries sont cassées. Sa maladie ne l’inquiète pas et elle se sent bien prise en charge

sur le plan médical, mais elle est abattue par sa fatigue quotidienne et par sa solitude. Elle ne

peut compter sur personne au quotidien malgré son asthénie permanente et son besoin d’être

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aidée dans les tâches quotidiennes. Elle s’inquiète beaucoup de ses faibles revenus qui ne lui

permettent pas de vivre décemment ni d’avoir des aides ménagère en plus du loyer.

Notes sur l’entretien : Dans sa diction, nous sentons la fatigue de cette femme et le poids qui

semble l’accabler. Nous n’avons pas bien compris quelles étaient ses pathologies mais nous

n’avons pas cherché à approfondir car les questions avaient l’air compliquées pour Zohra et

cela n’apportait rien de plus à l’entretien

Awa

Awa a 42 ans. Originaire de l’Afrique de l’Ouest elle est arrivée en France en 2003. Elle présente

un diabète de type 2 insulino-requérant, une hypertension artérielle sévère, un surpoids et un

syndrome d’apnée du sommeil. Elle est hébergée par un ami mais vit dans l’angoisse qu’il la

mette à la porte du jour au lendemain. Longtemps sans revenus, elle a trouvé récemment un

emploi comme auxiliaire de vie à mi-temps car elle ne se sent pas assez stable physiquement

pour travailler plus. Awa est sans cesse préoccupée par la gestion de sa santé, son

hébergement, ses dossiers administratifs et une dette envers l’hôpital datant de l’époque où

elle n’avait ni CMU ni mutuelle. Toutes ces inquiétudes se bousculent dans son esprit et ne

l’aident pas à suivre un régime strict. Depuis qu’elle a un petit salaire elle a contracté une

mutuelle pour compléter les remboursements de ses frais de santé.

Notes sur l’entretien : Awa est vive, elle parle vite et exprime avec un rythme soutenu le flot

d’inquiétudes qui sont en elle.

Alfred

Alfred a 62 ans, il vit en France depuis 1969. Pendant de nombreuses années, il a habité à

Chatenay-Malabry avec sa femme et ses enfants où il était représentant dans les assurances. Il

a divorcé en 2005. Son titre de séjour avait été plusieurs fois renouvelé pour des périodes de 10

ans, sans problème. Son diabète de type 2 était bien suivi et traité par antidiabétiques oraux.

En 2010 il est hospitalisé en urgence pour un accident vasculaire cérébral (AVC) avec

hémiplégie. Mais l’hôpital le fait sortir très rapidement car son titre de séjour n’est pas à jour

(Alfred pense à cette époque que le titre est encore valable), ses droits à la sécurité sociale ont

donc été suspendus. Il sort de l’hôpital en marchant avec un déambulateur et avec une simple

ordonnance. Il retourne habiter avec ses amis, sans soins de kinésithérapie et constate que les

séquelles motrices de son AVC persistent et s’aggravent. Quelques mois plus tard les amis sont

contraints de rendre l’appartement qui était en sous-location et Alfred se retrouve à la rue et

sans pouvoir marcher. Il est alors accueilli au Lit Halte Soins Santé du Samu Social. Puisqu’il n’a

pas de couverture il consulte à la PASS et petit à petit obtient à nouveau l’AME puis la CMU et

enfin retrouve ses droits au régime général. Toutefois, alors qu’il a cotisé pendant de

nombreuses années de travail, il ne peut pas toucher l’argent de sa retraite et attend d’autres

aides pour vivre. Il est donc contraint de vivre au Samu Social, en fauteuil roulant. Alfred

considère qu’il n’a pas accès à des soins de kinésithérapie de qualité à cause des médecins de

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sa structure d’accueil. Selon lui, ceux-ci s’entendent avec des cliniques pour leur adresser des

patients et faire plus de bénéfices. Cela l’empêche de retrouver son autonomie motrice et sa

liberté. Il souffre énormément de cette injustice et a l’impression d’avoir été sacrifié.

Notes sur l’entretien : Alfred est un homme souriant, chaleureux, doux, très posé dans sa façon

de décrire son parcours. Malgré sa situation, il essaie de regarder le bon côté des choses.

Alpha

Alpha a 46 ans. Son diabète de type 2 a été diagnostiqué en Côte d’Ivoire, pays qu’il a quitté en

2004 pour demander l’asile territorial en France. A son arrivée, il a été hébergé quelques temps

chez des compatriotes et parle de cette situation dans laquelle il n’est pas facile de se soigner.

Depuis, il a trouvé un CDI dans une entreprise de sécurité ainsi qu’un logement de 9m2, et son

dossier de naturalisation est en cours. En juillet 2011 il a pu effectuer un regroupement familial

et vit désormais avec sa femme et sa fille. Son principal souci est de trouver un logement

correct pour sa famille car 9m2 sont trop justes pour trois personnes. Alpha tient à tout faire

dans les règles et se bat pour que sa vie soit ordonnée. Il s’applique à suivre rigoureusement le

traitement de son diabète à propos duquel il se renseigne de façon attentive. Victime d’une

erreur médicale en Côte d’Ivoire, il surveille les prescriptions des médecins et n’est pas satisfait

de son diabétologue qui ne l’a pas mis en garde contre les effets secondaires de l’Avandamet.

Notes sur l’entretien : Alpha est pressé car, venu pour faire des examens complémentaires, il

est à jeun depuis le matin. A cela s’ajoute le fait qu’il ne souhaite visiblement pas être

catalogué comme un patient en vulnérabilité sociale. Il n’est donc pas évident de l’interroger

sur ses difficultés car il s’en défend. Le climat est un peu tendu au départ et les questions sont

trop directives car nous ne sommes pas très à l’aise. Petit à petit la relation s’établit, nous

trouvons tous les deux la manière de discuter ensemble « d’égal à égal » et la fin de l’entretien

prend une tournure plus chaleureuse.

Abdelkader

Abdelkader est un homme de 65 ans. Sans domicile, il est hébergé dans un foyer Emmaüs

depuis plusieurs années. Il a travaillé dans la restauration il y a longtemps, et un parcours de vie

complexe l’a mené de foyers en foyers jusqu’à ce jour. Il explique que vivre dans un centre

d’hébergement n’a pas de sens, qu’il ne pense pas à l’avenir et que, dans ce contexte, la santé

n’a pas d’importance puisqu’on « se fout de tout ». Pour lui, il est bien difficile de faire la part

des choses entre suivi chronique et accès aigus de sa BPCO. Son recours aux soins se résume

essentiellement à ses contacts avec les urgences ou avec les pompiers. Bien qu’il n’arrive pas à

faire autrement, il ne trouve pas cela confortable car il n’arrive pas à apprécier la gravité de ses

symptômes et la pertinence d’un recours aux urgences. Il est donc souvent réprimandé par les

soignants au titre qu’il consulte soit trop tard, soit sans raison. Il aimerait être mieux aiguillé

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pour la gestion de sa santé, en priorité dans sa composante aiguë. Lors de l’entretien, c’est

l’une des premières fois où il consulte à la PASS.

Notes sur l’entretien : Abdelkader veut nous faire plaisir et cherche parfois à nuancer ses

réponses pour tenter de dire ce que les médecins aiment entendre. Mais cela ne nous empêche

pas d’entrevoir les mécanismes en jeu dans son rapport à la santé.

Vladislav

Vladislav est un homme de 57 ans d’origine croate. Il est arrivé en France en 1973, a été dans la

Légion étrangère pendant huit ans, puis a travaillé de façon assez intermittente. Il n’a plus de

domicile depuis de nombreuses années et vit dans un local de fortune prêté par des

particuliers, sous un pont, dans lequel il a accès à de l’eau et à l’électricité. Il présente une

gastrite chronique, une BPCO ainsi que des hernies discales souvent douloureuses. Vladislav

parle de son expérience et se fait également le porte-parole des personnes sans domicile. Il

souffre des préjugés posés sur les « SDF » et il pense que cela induit des inégalités dans les

diagnostics et les soins auxquels ces personnes ont accès. Il demande que les médecins aient

une écoute particulière pour chaque patient, qu’ils comprennent chaque situation, chaque

fonctionnement et proposent ainsi des prise en charge personnalisées.

Notes sur l’entretien : Vladislav s’exprime de façon aisée. Il prend cet entretien très au sérieux

et a à cœur d’en profiter pour faire passer des messages auprès des médecins sur le vécu des

personnes de la rue.

René

René est un homme de 60 ans. Il est porteur d’un VIH depuis 10 ans. Il vend des bijoux sur les

marchés depuis que son commerce précédent a fait faillite mais il ne fait plus de bénéfices et

accumule les dettes. Sa situation sociale est en chute libre et il n’ose même plus ouvrir son

courrier, par peur d’y découvrir de très nombreux rappels d’impayés et menaces d’huissiers. Il

n’est probablement pas à jour dans ses droits à la sécurité sociale car il n’a pas payé ses

cotisations depuis 3 ans. Il risque d’avoir des dettes importantes s’il doit rembourser ses

antirétroviraux mais il ne connaît pas précisément l’état de son dossier. René se sent

« plonger » de jour en jour et préfèrerait parfois perdre la tête que de devoir affronter ces

difficultés dont il ne sait absolument pas comment se sortir. Son VIH ne l’inquiète pas. Il est

régulier dans son suivi, très sérieux dans ses prises médicamenteuses et la prise en charge ne

lui a pas posé de problème jusqu’à maintenant. Au-delà du tabou autour de cette pathologie,

dont il n’a parlé qu’à sa fille, le principal problème que cela lui pose est qu’il ne puisse plus

envisager de relation stable avec les femmes.

Notes sur l’entretien : René a pris le temps de venir nous rencontrer alors que sa fille l’attendait

dans la salle d’attente depuis un moment déjà.

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Alain

Alain a 65 ans. Il est à la retraite. Il menait une vie « classique » avec un emploi dans lequel il

était très investi, trop investi dira-t-il plus tard, travaillant même les week-ends et ne

consacrant que très peu de temps à ses enfants et à sa femme (dont il est divorcé). Ses revenus

étaient élevés. Issu d’une famille de diabétique, et ressentant des paresthésies dans les

membres inférieurs, il se doutait qu’il avait des problèmes de santé mais il n’y prêtait pas

attention et ne voulait pas voir de médecin : sa santé était la « 5ème roue du chariot ». En

quelques mois, il a connu un licenciement, le décès de son frère, suivi de celui de sa mère. Seul

avec sa tristesse, il est devenu dépendant à l’alcool puis a « plongé » et s’est retrouvé à la rue. Il

a rapidement frappé à la porte du réseau ASDES pour demander une aide sociale et c’est à

cette époque que son diabète de type 2 a été diagnostiqué. L’année suivante il a passé 11mois

en hospitalisation après une amputation pour un mal perforant plantaire. C’est à partir de ce

moment qu’il a pris conscience de l’importance de sa santé. L’aide globale apportée par le

réseau a été le fondement de sa réinsertion, qui a duré 10ans. Il estime que, avec ou sans

diabète, son parcours aurait été le même.

Notes sur l’entretien : Alain a un regard particulier puisqu’il parle de sa situation de

vulnérabilité sociale à posteriori. Dans ce qu’il exprime il mélange parfois vécu actuel et vécu

ancien ainsi que l’analyse qu’il fait de son parcours. Sa situation est également atypique

puisque son parcours d’exclusion a été assez court, prenant un aspect moins « chronique » que

ceux des autres patients rencontrés dans l’étude.

Fatoumata

Fatoumata est une femme de 50 ans originaire d’Afrique de l’Ouest. Elle est venue en France il

y a 10 ans car son hypertension artérielle sévère ne pouvait pas être soignée correctement

dans son pays. Lorsqu’elle n’avait pas de papiers, la vie était très dure, l’anxiété due à la

situation irrégulière était permanente et faisait monter sa tension. La peur d’avoir des

complications grandissait alors, ainsi que la crainte de se faire expulser du territoire et d’être

contrainte de retourner dans son pays où elle ne pouvait pas être traitée. Elle vivait avec « la

peur au ventre ». Son généraliste l’a alors orientée vers la PASS où la prise en charge globale l’a

aidée à obtenir un titre de séjour pour soins. Par la suite, elle a trouvé un travail comme

auxiliaire de vie et a obtenu un titre de séjour prolongé. Bien qu’elle soit toujours inquiétée par

son hypertension, elle se sent plus apaisée maintenant que sa situation sociale s’améliore. Elle

a un logement, dans des conditions médiocres puisqu’il est infesté de rats, mais elle se sent

chez elle.

Notes sur l’entretien : Fatoumata est spontanée et enjouée. L’entretien n’a pas été très long

car elle devait se rendre à son travail mais nous avons eu le temps d’appréhender sa situation.

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Jean

Jean a 68 ans. Il présente une maladie de Menière ancienne. L’ami avec qui il vivait depuis 37

ans a été victime d’un AVC et est resté dans le coma pendant 3 mois avant de mourir. Jean n’a

pas supporté ce départ brutal, il s’est arrêté de travailler et n’a plus eu aucun revenu. A

l’époque où il se rendait tous les jours à l’hôpital pour visiter son ami, il a rapidement pris

contact avec la PASS du même lieu pour demander de l’aide. L’assistante sociale et les

médecins l’ont accompagné dans ses démarches administratives et lui ont apporté une aide

globale qui lui a permis de tenir malgré sa situation sociale qui devenait très précaire. Il a

également bénéficié d’aides de la part de sa famille et a finalement touché un héritage qui lui a

permis de retrouver une vie stable. Pendant cette période difficile, ce sont plutôt des questions

de santé aiguës qui lui ont posé problème (et en premier lieu des abcès dentaires récidivants). Il

ne pouvait pas les soigner correctement faute de remboursement des soins et se rendait donc

chez son généraliste qu’il payait lui-même, afin de lui demander des traitements

symptomatiques. Il a également poursuivi le traitement de sa maladie de Menière en finançant

les médicaments aux dépends d’autres dépenses qu’il jugeait superficielles à côté.

Notes sur l’entretien : Tout comme Alain, Jean apporte son regard à posteriori sur une situation

transitoire, mais non moins marquante pour lui.

Nous avons été surprise par la diversité des orientations prises au cours des entretiens,

révélatrices de la singularité de chaque patient dans son vécu et ses préoccupations et de la

multiplicité des expériences.

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B. Vue d’ensemble de certains caractères médico-sociaux des patients rencontrés

Seules quelques questions systématiques ont été posées aux patients afin de comprendre leur contexte de vie.

PRENOM SEXE AGE PATHOLOGIE LOGEMENT SITUATION ADMIINISTRATIVE REVENUS COUVERTURE MALADIE

Mamadou H 30 Hépatite C Hébergement précaire Situation irrégulière Pas de revenus Non précisé

(bordereau PASS ou AME)

Kamel H 27 Diabète 1 Logement stable Situation irrégulière Pas de revenus Bordereau PASS

Joël H 55 Diabète 2 Sans domicile fixe

(en lit Halte Soins Santé lors de l’entretien)

Nationalité française Pas de revenus CMUc

Assetou F 54 Pathologie rhumatologique chronique

d’étiologie inconnue Hébergement précaire Titre de séjour pour soins Pas de revenus CMUc

Rouffaï H 26 VIH Logement stable Situation irrégulière Salaire Bordereau PASS

Celou H 40 Diabète 1 Hébergement précaire Titre de séjour

(>1an) Salaire irrégulier CMUc

Jean-Pierre H 64 HTA Logement stable Nationalité française Solidarité retraite CMUc

Zohra F 52 Maladie de Biermer, insuffisance

surrénale, hypothyroïdie Logement précaire

Titre de séjour (10ans)

AAH CMUc + 100% ALD

Awa F 42 Diabète 2 insulino-requérant,

HTA, syndrome d’apnée du sommeil

Hébergement précaire Titre de séjour

(>1 an) Salaire (mi-temps) Sécurité sociale + 100%ALD + mutuelle

Alfred H 62 Diabète 2,

fibrillation auriculaire, séquelles motrices d’un AVC

Hébergé par un organisme ou une association

Titre de séjour (10 ans)

Pas de revenus CMUc + 100%ALD

Alpha H 46 Diabète 2 Logement précaire Asile territorial Salaire Sécurité sociale + 100% ALD + mutuelle

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PRENOM SEXE AGE PATHOLOGIE LOGEMENT SITUATION ADMIINISTRATIVE REVENUS COUVERTURE MALADIE

Abdelkader H 65 BPCO Hébergé par un organisme ou

une association Nationalité française Retraite

Ne connaît pas ses droits (« carte verte »)

Vladislav H 57

Gastrite chronique, neuropathie périphérique, hernies

discales, BPCO

Sans domicile fixe Situation irrégulière Pas de revenus AME

René H 60 VIH, HTA Logement stable Nationalité française Pas de revenus

(commerce sans bénéfices) Pas de couverture (droits non à jour)

Alain H 65 Diabète 2 Logement stable Nationalité française Retraite Sécurité sociale + 100% ALD+ mutuelle

Fatoumata F 50 HTA rebelle Logement stable Titre de séjour (>1 an) Salaire Sécurité sociale + 100% ALD +mutuelle

Jean H 68 Maladie de Menière Logement stable Nationalité française Héritage Sécurité sociale

Sans domicile fixe : ici, patient provisoirement en Lit Halte Soins Santé et patient vivant dans un local sous un pont. Hébergement par un organisme ou une association : ici, Lit Halte Soins Santé du Samu Social (LHSS) et foyer Emmaüs. Hébergement précaire : hébergement par des personnes privées (amis, compatriotes, famille…) pour des durées très variables et souvent inconnues (d’un jour à plusieurs mois). Logement précaire : logement personnel dans des conditions non acceptables pour les patients (ici, logement insalubre et logement exigu de 9m

2 pour 3 personnes).

Logement stable : logement personnel dans des conditions acceptables (inclut les patients dont une menace financière pèse sur le logement), ou logement chez ses propres parents. AAH : Allocation Adulte Handicapé. AME : Aide Médicale d’Etat. Bordereau PASS de l’Hôtel Dieu: Délivré à toute personne qui nécessite des soins mais ne possède pas de couverture sociale et n’a pas la possibilité de les payer elle-même. Permet de bénéficier de la gratuité des soins externes au sein de l’Hôtel Dieu. Attribué par l’assistante sociale et valable d’ 1 jour à 3mois, renouvelable après réévaluation

59.

CMU : Couverture Maladie Universelle. CMUc : Couverture Maladie universelle Complémentaire. 100% ALD : Remboursement des frais de santé en lien avec une affection longue durée (ALD) à hauteur de 100% des dépenses engagées.

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Nous exposerons l’analyse des résultats en favorisant trois approches. Celle des conditions sociales, celle des déterminants médicaux et enfin, une approche centrée sur les relations avec les soignants.

II. APPROCHE DU VECU PAR LE PRISME DE LA

SITUATION SOCIALE

Celou : « Le diabète c’est à vie déjà ! Donc si tu peux te soigner bien quand même, tu

peux vivre bien des années: 30 ou 40, ou même allez, 80 ans !

… Mais si tu te galères… tu vas pas aller loin là. »

A. Le logement

1. Avoir un logement précaire : vécu

Logement exigu ou insalubre, changeant au gré des instances administratives, hébergement

provisoire par des proches ou des compatriotes, hébergement par des organismes sociaux, local

de fortune ou vie dans la rue, sont les formes de « mal logement » des patients que nous avons

rencontrés.

Avant d’étudier les liens qui existent avec la maladie chronique, écoutons la façon dont ils

parlent du logement afin d’approcher leur vécu quotidien.

Soi - Chez soi

Les patients qui n’ont pas un logement bien à eux ressentent un manque fondamental.

Celou: « Un logement c'est très important c'est … c'est... c'est qui tu es!

Voilà c'est ça! C'est chez toi! »

Zohra : « Et en plus quand on perd le logement on n’a rien. »

Mamadou: « Si t’as des papiers et que tu travailles, même si tu es malade, au moins tu

es chez toi et c’est mieux ! »

Awa : « Oui, je suis hébergée. J'ai pas un chez moi! »

Assetou : « Le moral c’est… si j’avais une chambre. »

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Assetou : « J’ai dormi chez des compatriotes, un jour ici, un jour là, demain on vous

chasse, on vous prend un mois ici et on vous chasse encore, je dors sur le froid… je sais

pas… c’est... c’est très difficile… c’est la merde quoi… tu sais… tu… parfois, tu pleures, tu

as envie de finir, de… de te donner la mort, tu as envie de rentrer chez toi… tu te

demandes ce que tu fais là, pourquoi est-ce que tu souffres comme ça… »

Awa, imaginant qu’elle ait son propre logement : « Je serais tranquille, c'est à dire dans

ma tête je vais me dire : ‘J'ai un chez moi et puis(…)»

Celou ne peut pas faire venir son fils chez la personne qui l’héberge. Son fils qui est aussi une

part de lui-même.

Celou : «Et je cherche un logement, grave ! C'est… c'est… parce que j'ai pas vu mon fils,

là j'ai pas vu mon fils depuis... quatre ans…»

La dépendance

Lorsqu’ils sont hébergés par des particuliers ou soumis aux décisions d’organismes d’aide au

logement, les patients interrogés souffrent de la dépendance aux autres et disent ce désir de

retrouver leur liberté.

Mamadou : « Si tu vis avec quelqu’un c’est pas trop bien quoi. (…) Si tu dors chez quelqu’un bon… tu dois lui demander pour sortir, pour ouvrir la fenêtre. (…) Si tu vas avoir un chez toi, t’es pas obligé de toujours demander pour faire quelque chose… sinon c’est trop dur ! » I : « Donc pour vous le plus dur c’est le manque de liberté. » Mamadou : « Ah ouai c’est le plus dur ! »

Awa, imaginant qu’elle ait son propre logement: « Là je dépendrais de personne! C'est

ça que je veux vraiment! »

Celou : « C'est surtout le logement qui me complique! J'ai toujours été indépendant!

Normalement j'ai mes trucs là, j'ai mes propres affaires! J'suis un type euh... voilà,

tranquille, relax! (…) Mais vous savez… je suis pas... confortable quoi! D'habiter chez lui.

En plus il a… la fille de sept ans. Lui aussi il est divorcé donc...il … bah il est pas à l'aise

avec sa fille... y’a son ex qui... qui le fait chier aussi là! Donc euh... voilà! (…) Vous savez

madame, chacun il veut son... son propre truc hein! C'est… voilà, c'est très difficile.»

Alpha (à propos du temps où il était hébergé par des compatriotes) : « Je pouvais ne pas

rentrer chez moi, pour ne pas gêner les autres. »

Awa : « Parce que je suis tellement stressée à tout moment ! Quand tu restes chez

quelqu’un : si la personne est bien aujourd’hui avec toi, demain il peut péter les plombs,

et toi tu es là ! Mais tu es obligé, parce que tu n’as pas où aller ! »

Zohra : « La première fois ils te donnent un appartement partagé par trois, et la

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deuxième année ils te donnent un studio. (…) Donc ils m’ont envoyée à la Croix Rouge à

Boissy Saint Léger. (…) Et chaque fois ils m’envoient à chaque côté. »

Assetou : « Je ne devrais pas être derrière les gens en train de quémander pour dormir. »

Cet état de dépendance les empêche de mener leur existence comme ils le souhaiteraient.

Alpha : « On maîtrise moins sa vie quoi »

Celou : « Donc, si! Oui, je crois que si j'avais mon propre logement j'aurais pu mieux

gérer tout euh... oui, mieux gérer tout... c'est normal c'est... (…) Par exemple mon

diabète... euh... faire venir mon fils ici... euh... faire des projets euh même... faire

euh...voilà quoi! Beaucoup de choses c'est , c'est …»

L’insécurité

Dépendre du bon vouloir de l’hôte peut aussi entraîner un sentiment constant d’insécurité, une

menace permanente.

Awa : « Je pense que même si tu es là tu seras toujours stressé. Tu t’attends à quelque

chose. Tu te dis que tu es chez quelqu’un : la personne en question aujourd’hui peut te

foutre dehors ! Et tu vas aller où ? »

Assetou : « Et de temps en temps il faut qu’on vous chasse d’ici, qu’on vous chasse de

là. »

Alfred : « Bon, moi je dépends du lit infirmier. Il suffit que je me rebelle et je me retrouve

à la rue ! (...) Voilà, c’est ça, on est pris en chantage avec une épée de Damoclès sur la

tête. Ouai. »

2. Interactions entre logement et maladie chronique

Quand la préoccupation principale est le logement

Au vu de l’importance que revêt le fait d’avoir un logement, cela devient souvent la

préoccupation première.

Celou : « Non… j’ai pas besoin non. Tout ce qu’il me faut c’est un logement c’est tout !

C’est ça qui m’énerve quoi ! »

I : « Vous voudriez me dire autre chose sur tout ça ? Sur votre diabète, sur le

logement? »

Celou : « Oui, non, pour l‘instant je travaille, je suis bien ! Donc ce qui… ce qui

m’angoisse c’est ce logement surtout c’est… je me débrouille pas mal… voilà …»

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I : « Donc en ce moment votre souci principal c’est de trouver un logement pour votre

famille. »

Alpha : « Ben oui, ma famille plus que le diabète ! »

Quand le stress engendré par les conditions de logement entraîne le déséquilibre de la

maladie

Nous avons vu plus haut que les conditions de logement sont une source de stress significative.

Les patients peuvent faire un lien direct entre ce stress et le déséquilibre de leur pathologie.

Celou : « Lorsque j'habitais avec ma sœur, ça s’est dégradé oui! (le diabète, NDLA)

Comme y' avait trop de gens à la maison ! Et puis vous savez, la famille c'est... ça colle

pas des fois !(…) Le diabète il allait en haut, en bas … n'importe quoi! Donc euh... voilà

c'est c'est... non c'est pas bon! »

Awa: « Si vous êtes stressé, je pense aussi que la maladie ça monte! Ça descend pas. Par

contre si vous êtes calme, même si tu en as encore la maladie, ça peut se stabiliser aussi!

Voilà c'est comme ça! »

Assetou : « Quand on m’accueille dans une bonne maison ça va un peu, une semaine, et

la semaine après déjà on voit que ça va moins bien, et c’est comme ça tout le temps.

Mais c’est pas une vie ! »

Quand les conditions de logement sont un frein au traitement

Dépendre de ceux qui hébergent oblige souvent à adapter sa façon de vivre au quotidien. Cela

peut alors être un obstacle à une gestion choisie de la maladie, du traitement médicamenteux

ou du régime.

Celou : « Si j'avais mon propre logement j'aurais pu mieux gérer tout… Par exemple mon

diabète, faire venir mon fils ici, faire des projets même... faire... voilà quoi! Beaucoup de

choses…»

Awa : « Le régime, si tu vis chez quelqu’un, c’est là que ça va pas. Ce que tu vas trouver

devant toi, tu le mangeras ! Donc tu ne pourras pas suivre le régime. (…) Si tu dépends

des autres, ce que eux ils vont préparer, toi tu seras obligé de manger !»

Alpha : « Ah ça par contre, attention ! Quand on est hébergé on ne vit pas la même

situation. Quand on est hébergé, on est chez quelqu’un qui a ses habitudes et il y a des

choses qu’on ne peut pas faire. Ça paraîtrait bizarre, y’en a qui supporteraient pas. Y’a

des gens qui appréhendent la maladie, le diabète, autrement. Y’a des gens qui se disent

qu’ils ont des préjugés sur le diabète.(…)

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Ah oui, parce que quand j’étais hébergé par des compatriotes je prenais pas mes

médicaments en temps et en heure. Je pouvais ne pas rentrer chez moi, pour ne pas

gêner les autres.(…)

La différence c’est que quand je suis chez moi, je fais ce que je veux, je suis plus à l’aise.

Je peux mettre tout ce que je veux qui m’intéresse dans mon frigo, dans mon congèle,

sans qu’on me pose des questions, sans qu’on les déplace.»

Alain, à propos du régime : « Au foyer y’avait pas de problème parce que y’avait entrée,

plat, légumes, dessert. Mais quand vous êtes à l’hôtel et que vous avez que l’AAH, et ben

vous faîtes pas ! Parce que c’est chiant ! Vous devez cuisiner à un mètre cinquante de

votre lit. Donc c’est sandwich, panini… enfin, surtout conserves « ed » : raviolis,

cassoulet ! »

Quand cela est possible, il faut trouver des arrangements pour maîtriser la gestion de la maladie

malgré la situation.

Celou, à propos du régime diabétique : « Moi je fais mes propres courses hein! Comme

mon ami il sait pas cuisiner, c'est moi qui cuisine toujours et puis voilà... je mange euh…

normal! Je mange des légumes, des fruits, euh... de la viande, du poisson et puis voilà

c'est tout! Non je mange pas mal, je mange très bien. »

Quand la maladie chronique module le vécu du mal logement

Le suivi médical de la maladie chronique attache à des lieux de soins, parfois éloignés des

logements attribués par les services sociaux.

Zohra : « Ils m’ont envoyée à la Croix Rouge à Boissy Saint Léger. (…) Je suis restée trois

ans. J’étais mal logée, c’était un petit studio, je pouvais même pas bouger beaucoup.

C’est loin pour les hôpitaux. (…) Oui parce que j’ai ici, j’ai l’hôpital Cochin, j’ai Georges

Pompidou. »

Lorsque les symptômes font ressentir un besoin de confort, la maladie chronique accentue la

souffrance de ne pas avoir un logement stable.

Assetou : « Parce que vous voyez, comme je suis assise là j’ai déjà trop mal, quand je m’assois longtemps j’ai mal, quand je me mets debout longtemps, j’ai mal. Je marche, j’ai mal. La seule position où j’ai moins mal c’est couchée… et j’ai même pas de maison pour me coucher ! Vous voyez un peu ? Et de temps en temps il faut qu’on vous chasse d’ici, qu’on vous chasse de là, c’est dur, c’est très dur quoi. »

L’état général dégradé rend les démarches pénibles.

Zohra, à propos de son asthénie chronique: « Et je me suis fatiguée beaucoup pour

trouver un logement. »

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Cercles vicieux

Un cercle vicieux peut exister entre la pathologie chronique et l’accès au logement. Alfred, par

exemple, a le sentiment que l’établissement dans lequel il est hébergé ne lui permet pas de

bénéficier de soins qui amélioreraient sa motricité. Il est donc contraint de rester dans cette

structure.

Alfred : « Pour le logement on m’a dit ‘quand vous serez plus autonome’, peut-être

qu’on va essayer de voir si je pourrai trouver un logement. Mais si on te permet pas

d’accéder aux soins qui pourraient te rendre autonome, (soins de kinésithérapie

efficaces, NDLA) ben tu seras jamais autonome ! Voilà, donc c’est un cercle vicieux. »

Pour Assetou, tous ses problèmes sont liés et elle ne voir pas comment s’en sortir : son mal de

dos ne lui permet pas de travailler, elle n’a donc pas de logement et ne peut jamais se reposer

pour soulager ses douleurs.

Assetou : « C’est comme si plus je m’enfonce et plus le mal aussi s’aggrave ! C’est

comme si tout part au même moment. (…)La seule position où j’ai moins mal c’est

couchée… et j’ai même pas de maison pour me coucher… vous voyez un peu ? (…) j’ai cru

que j’allais guérir et que je pourrais travailler. (…) Mais depuis que je suis arrivée en

France je n’ai jamais travaillé, même pas au noir, parce que je souffre de la maladie. (…)

Si j’étais pas malade je serai au moins capable d’avoir un logement. »

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B. Le travail et les revenus

1. Ne pas avoir de travail : vécu

Le travail, c’est avant tout l’espoir d’avoir des revenus stables pour obtenir un logement voire

un peu plus, afin de s’assurer une certaine autonomie.

Mamadou : « Tu travailles pas, t’as pas de papiers, tu dors chez quelqu’un… tu dois lui

demander l’autorisation pour sortir, pour ouvrir la fenêtre. »

Assetou : « Si je pouvais faire des choses, je ne devrais pas me misérer comme je me

misère là, hein ! Je ne devrais pas être derrière les gens en train de quémander pour

dormir, je ne devrais pas me tracasser pour chercher où dormir. Vous comprenez ? C’est

pour ça. Au lieu de vivre comme ça, autant être dans une chaise roulante. Il faut faire ci,

il faut faire ça, j’en ai marre ! Je vais travailler quand pour sortir de cette misère ? »

Awa : « Tu ne seras pas autonome quand tu n’as pas de ressources car tu ne fais que

demander. (…) Oui! Si j'avais un chez moi et que je bossais ou bien que j'avais des

revenus quelque part je serai tranquille! Je serai vraiment à l'aise! (…) Tranquille, c'est à

dire dans ma tête je vais me dire : ‘J'ai un chez moi et puis j'ai une ressource qui m'aide

chaque fin de mois’. »

Zohra : « Il y a des fois où le moral est bien et il y a des fois où je pense beaucoup. Par

rapport à l’argent, par rapport à la vie. C’est ça. (…) La vie est plus dure sans maladie

aussi car la vie est plus chère, on n’arrive pas à faire tout. »

2. Interactions entre travail et maladie chronique

Une inadéquation entre santé et travail

Plusieurs patients considèrent que leur maladie (terrain fragilisé, état général dégradé ou

fluctuant, symptômes, décompensations) est un frein majeur pour trouver un emploi, dans des

champs de recherche déjà étroits et souvent incompatibles avec leurs dispositions physiques.

Fatoumata : « Déjà avec le métier qu'on fait, qui n'est pas facile non plus. »

Assetou : « (…) et j’ai mal au dos alors je peux pas travailler. Avec le mal de dos je ne

peux rien faire, rien, rien, rien ! (…) Mon vœu le plus cher c’était que je guérisse et que je

puisse travailler pour avoir de l’argent. Parce que les gens qui sont en bonne santé ne

misèrent pas ! Même sans papier… y’a du travail au noir. Mais depuis que je suis arrivée

en France je n’ai jamais travaillé, même pas au noir, parce que je souffre de la

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maladie. »

Vladislav: « Et la Préfecture me dit : ‘Vous avez vraiment mauvaise volonté.’ Mais je

dis quelle volonté ? Il n’y a pas de travail pour les gens un peu mieux que moi. Alors avec

mes problèmes respiratoires je vais travailler où ? (…) Dès qu’il y a de la poussière, des

toxiques je peux pas. Je suis ancien militaire, je peux faire de la sécurité, j’ai postulé un

peu : on ne m’a jamais proposé de place !

On me dit de faire de l’intérim dans le bâtiment, je dis : ‘Bien sûr ! Avec la colonne que

j’ai ? Vous croyez que je peux travailler avec un marteau piqueur ?’ Mais je dis : ‘Est-ce

que vous réfléchissez des fois quand vous parlez ? Vous avez le dossier médical devant

vous’. »

Mamadou : « Alors si tu trouves le boulot et que t’es malade tu peux pas, tu travailles

pas. (…) Tu travailles pas, t’as pas de papiers, tu dors chez quelqu’un… tu dois lui

demander l’autorisation pour sortir, pour ouvrir la fenêtre. (…) C’est ça la différence. Si

t’es pas malade, tu travailles, tu fais tout, tu peux aller partout. Voilà, t’es tranquille, et

ça va. »

Alors qu’il se sentait vaillant au pays et durant ses premières années en France, Mamadou se sent globalement plus fragile depuis qu’il est porteur d’une hépatite C. Il ne se sent plus capable de travailler dans les BTP.

Mamadou : « A cause de ma maladie j’ai plus trop de force pour faire des travaux dans

le bâtiment ou les travaux publics. (…) Avant, au bled, j’ai fait tous les travails, tu vois,

mais si t’es malade c’est pas bon et si c’est trop dur je peux pas faire. »

I : « C’est quoi un travail trop dur ? »

Mamadou : « C’est le bâtiment ou… les travaux publics. »

I : « C’est trop dur à cause de quoi ? »

Mamadou : « A cause de maladie, parce que j’ai pas trop de force pour le faire. Parce

que si je fais trop de force, après la nuit je dors pas bien. (…) En 2005 j’ai travaillé dans le

bâtiment, nettoyage aussi, même début 2006. Mais maintenant ça fait 2 ans ou 3 ans

que je travaille pas. »

Le manque de fiabilité au travail

Les patients qui ont un état général instable ou des décompensations fréquentes ne se sentent

pas capables d’assurer une régularité au travail.

Zohra : « A cause que je fatigue très vite, je peux pas être stable dans le travail.

Il y a des fois où je rentre à l’hôpital, je reste hospitalisée… donc euh… je peux pas

travailler. »

Awa : « Avant j’étais vraiment vraiment fatiguée. Je partais travailler, j’avais des petits

boulots par ci par là pour chercher à survivre, parce que je n’ai pas de revenu. Ben... y’a

un moment que j’ai arrêté, parce que je n’y arrivais plus, j’avais un problème là. C’est

vrai que le cœur… je m’essoufflais facilement. Même en marchant, même en faisant

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quelque chose. Mais là maintenant je commence à perdre du poids, je commence à avoir

euh… à regagner un peu quoi.

Là en ce net moment je travaille à mi-temps, j’ai trouvé un travail que je travaille à mi-

temps. Voilà. (…)

Ah, là j’allais chercher le boulot que j’allais travailler à plein temps ! Ah oui ! J’ai pris le

mi-temps par rapport à ma santé. Des fois aujourd’hui je me sens bien, demain je me

sens pas bien, donc c’est ça. Des fois je travaille mais je suis malade je suis obligée de

rester chez moi, j’appelle parce que je me sens pas bien. C’est pour cela j’ai demandé

l’aide de la COTOREP. Voilà. »

Assetou : « Moi je souffre beaucoup parce que je ne peux pas travailler.

Quand j’ai eu l’AME j’ai cru que j’allais guérir et que je pourrais travailler. Mais au

contraire, mon mal partait de mal en pis. C’est pour ça que je n’ai même plus peur de

l’opération car là je ne peux rien faire. Je suis comme une morte vivante… ça n’avance

pas, au contraire. Depuis que je suis là au lieu que ça diminue ça ne fait qu’augmenter. »

Quand le travail ne semble pas pâtir de la maladie

Pour d’autres, la maladie n’empêche pas d’avoir un travail et d’y être fiable.

René : « Non je ne me sens pas malade, au contraire ! Bon, y’a le fait de faire les

marchés aussi, ça m’a requinqué ! Parce que avant j’avais un métier qui était un peu

plus sédentaire. Là, faire les marchés, faut être costaud quand même, parce que faut

porter les colis : j’ai perdu du poids, j’ai pris du muscle… »

Ils ont intégré le traitement et les rendez-vous médicaux à leur existence et font en sorte que

cela ne nuise pas à leur emploi.

Celou, à propos des piqures d’insuline sur son lieu de travail : « Oui, obligé ! Le midi.

C’est le lunch quoi. (…) J’ai toujours mes trucs sur moi quoi. (…)

Ils savent même pas que je suis diabétique. Je suis quelqu’un de très discret, voilà… je

me pique, je me mesure… 30minutes je travaille ! »

A propos de la gêne que cela pourrait lui apporter : « Non, je fais mon travail, je me

pique et puis voilà ! »

Alpha : « Sincèrement pour vous dire, moi je vis normalement. Moi je me focalise pas sur

ce truc, je vis comme s’il n’existait pas. Je prends un médicament et puis basta ! Ca ne

joue pas sur mon boulot, le médecin m’a examiné. Ca ne joue pas sur mon boulot du

tout. Parce que c’est d’abord psychologique donc si je me focalise dessus, après euh…

j’aime pas me morfondre sur les choses. Voilà. »

Celou : « Faut savoir s’organiser quand même hein. C’est vrai que dans le travail, quand

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je fais des intérims, je dis lorsque j’ai besoin d’un jour, deux jours, voilà c’est euh… c’est

ma santé d’abord ! Si j’ai des rendez-vous, j’essaie de les mettre le plus tard possible.

Mais ça me dérange pas. »

Ils invoquent aussi des employeurs compréhensifs.

Rouffaï : « Non ! Mon patron il sait ! Il sait que chaque début de mois je dois voir mon

médecin pour faire des analyses, des bilans. Par exemple ça : j’ai pris rendez-vous pour le

11 janvier, bon! Il sait que j’ai rendez-vous mon patron. Non, au niveau de ça y’a pas de

soucis hein ! Le patron il comprend, il sait que j’étais tombé malade, il sait que… ma

maladie elle était grave, et si je dois voir mon médecin c’est normal que je viens le voir !

Et puis y’a pas de problème ! »

Les répercussions du manque de revenus sur la gestion de la maladie

Le manque de moyens financiers est une source d’inquiétude et peut compliquer la gestion de

la maladie.

Fatoumata : « Ce qui m’embête c’est quand tu n’arrives pas… à payer. Soit le

médicament on te dit c’est pas remboursable et tu n’as pas de sous. T’as pas de revenu,

c’est un problème! »

Awa, à propos de ce qui est le plus difficile dans l’accès aux soins : « C’est quand ce n’est

pas remboursé. Là vraiment, pour ça, je peux pas. Mais quand c’est sur le 100%, ils le

retirent, je suis tranquille, parce que je sais que je n’ai rien à payer ! Voilà ! »

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C. La situation administrative

Quand la situation administrative est la préoccupation principale

Alors que nous lui demandons ce qui lui semble le plus dur à vivre avec sa maladie, Mamadou

nous répond :

Mamadou : « Ben… ce qui est compliqué c’est pour la « circulation », c’est trop dur !

Parce que tu travailles pas, t’as pas de papier, si tu dors chez quelqu’un bon… tu dois lui

demander pour sortir, pour ouvrir la fenêtre. Si t’as les papiers et tu travailles, même si

t’es malade, t’es chez toi, c’est mieux… tu vois ? Alors que si tu vis avec quelqu’un, c’est

pas trop bien quoi. Comment tu trouves de l’argent, comment tu trouves pour manger…

franchement c’est trop dur ! »

I : « Donc c’est le fait de ne pas avoir de papiers qui est difficile. »

Mamadou : « Ouai, c’est la première chose. Parce que si tu as des papiers, même si tu es

malade on va te soigner bien, et tu vas avoir chez toi, t’es pas obligé de toujours

demander pour faire quelque chose… sinon c’est trop dur ! »

Alors même que nous abordons le sujet de sa maladie chronique, il évoque d’emblée ses

problèmes de papiers d’identité, porte d’entrée indispensable à franchir pour obtenir travail,

revenus et logement. Cette réponse est remarquable dans ce qu’elle révèle de l’état d’esprit du

patient, obnubilé par la question de son identité administrative.

Plus tard dans l’entretien, nous posons à nouveau une question ouverte.

I : «Vous voudriez me dire autre chose sur votre maladie ? »

Mamadou : « Bon ! Si tu connais pas la circulation… »

I : « C’est-à dire les papiers ? »

Mamadou : « C’est pas juste les papiers, mais c’est aussi le droit pour travailler parce

que si j’ai pas le droit de travailler comment je vais trouver pour loger et pour

manger ? »

Tout est dit de son inquiétude quant à sa survie élémentaire, et la façon dont, en son for

intérieur, la maladie chronique est reléguée au second plan.

Au vu de l’ampleur des conséquences qu’elle a sur l’existence, la situation administrative peut

donc devenir une préoccupation supérieure à celle de la santé et c’est aussi ce que vit Rouffaï.

Mais nous verrons plus loin que cela ne présume pas de la façon dont le patient gère sa

maladie.

Rouffaï : « Parce que moi le problème de maladie c’est pas un problème pour moi ! Je

vous explique pourquoi : parce que j’ai toujours honoré mes rendez-vous à l’hôpital, je

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prends mes médicaments euh… ça va mieux. (…)

Je supporte ! Je supporte les traitements ! Moi mon problème c’est que… c’est quand je

pense que j’ai tous ces problèmes avec ma carte bancaire, franchement ça me donne

envie de péter un câble ! Franchement ! »

Pour lui, ne pas obtenir ses papiers est insupportable et le met dans une certaine détresse

psychologique.

Rouffaï : « Je dors même pas ! Pour vous dire je dors pas !… Je dors pas ! Parce que tous

les soirs je ne fais qu’y penser ! Parce que moi je me réveille très tôt le matin ! Je

commence à 8 heures. Quand je commence je suis fatigué après, mais j’arrive pas à

comprendre pourquoi est-ce que cette dame, là, elle me fait ça. Je sais pas… (…) Ça me

casse ! Je vous mens pas, ça me casse ! Ça me casse ! Parce que comme je… bon… Ça me

casse je vous mens pas… Ça me casse, vraiment ça me casse ! »

René n’a plus de revenus. Il accumule les dettes et les retards administratifs et sa situation est

de plus en plus critique.

René : « Y’a des jours où j’en ai marre. Et puis c’est vraiment une accumulation de

tout. »

Mais le VIH semble moins l’inquiéter.

René : « Le VIH ? J’ai pas de problème avec le VIH ! (…) Moi je m’en fous ! »

Quand elle est une dimension incontrôlable de la vie…

Rouffaï a le sentiment qu’il peut contrôler sa santé (en étant fidèle à ses rendez-vous, en

prenant scrupuleusement son traitement) alors qu’il ne peut rien faire pour influencer le cours

de son dossier administratif.

Sa maladie chronique représente, paradoxalement, un pan de sa vie qu’il peut maîtriser,

contrairement à une situation d’attente de papiers d’identité, sur laquelle il n’a aucun contrôle.

Rouffaï : « C’est ce que je vous ai dit : moi ma maladie, j’essaie de la contrôler, je sais

que ce sont ces médicaments, là, qui peuvent me maintenir, mais quand je pense à mes

papiers ça fait que je peux péter un câble ! (…)

Parce que quand vous avez ce genre de maladie, vous essayez de lutter contre elle !

Mais en même temps si vous devez… si on doit vous creuser… c’est, c’est pas la peine !

Hôpital Foch me demande 26000 euros… je trouve ça ou ? »

A propos de la Préfecture « Mais pour la carte d’identité. Y’a quel problème ? Dîtes-moi

si y’a un problème ! Si y’a un problème mois je prends mes dispositions pour que ce

problème soit réglé ! Mais vous me dites rien ! C’est ce qui me fait mal en plus ! Qu’ils

me disent rien ! Quand j’écris, c’est qu’ils prennent euh… mon courrier et ils déchirent !

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Ils mettent ça à la poubelle ! C’est pas normal ! Moi j’ai pété un câble ! »

Une menace vitale…

Avec une maladie chronique, l’anxiété de reconduite à la frontière peut être majorée si le

patient sait qu’il ne pourra pas être soigné correctement dans son pays. La menace d’une

situation administrative non régularisée devient alors d’ordre vital.

Fatoumata : « Au début j’avais peur d’être expulsée et de ne plus pouvoir suivre mon

traitement. (…) Je me disais (…) maintenant à cause des papiers on va me renvoyer. Si je

rentre c'est pour crever parce que j'aurai pas les mêmes soins. »

… qui déséquilibre la maladie

A cause du stress majeur qu’elle génère, la situation administrative est aussi vécue comme une

source de déséquilibre de la pathologie chronique.

Fatoumata : « Avec mon hypertension qui n'était pas bien, je pouvais être à 18 ou 19, et

puis je suis une émission de télévision où l'on parle des sans-papiers, des gens qu'on va

expulser et tout... je me sens directement concernée et vous voyez ce que ça fait ? Ça fait

monter encore plus la tension. La peur fait monter la tension. »

I : « Vous pensez que votre situation a aggravé votre maladie.

Fatoumata : « Oui je crois... je crois.»

Rouffaï , à propos du suivi biologique de son VIH: «La dernière fois que j’allais faire la

prise de sang j’étais à 56, et là c’est remonté à 300 ! (de charge virale, NDLA) Et mon

CD4 il était à 86 ! Mais c’est parce que ça me fait péter un câble mes histoires de

papiers ! Le médecin lui-même il m’a dit : ‘Y’a un problème.’ J’ai dit : ‘Oui j’ai un

problème !’ Parce que moi j’arrive plus à supporter ! Ça va faire deux ans où je vais pas

avoir de carte d’identité ! »

I : « Vous avez l’impression que ça joue sur votre maladie. »

Rouffaï : « Ah oui ! C’est clair ! C’est pas normal ! »

Dans le sens inverse, quand les choses s’arrangent les patients ont le sentiment que la

pathologie peut se stabiliser.

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Fatoumata : « Bon, quand j'ai eu les papiers ça a commencé à se calmer. C'est pas pour

dire que ça a joué directement sur mon état de santé, mais quand même, l'angoisse

s'était un peu calmée. Quand même. »

Rouffaï (imaginant qu’il obtienne enfin ses papiers d’identité) : « Au moins ça pourrait

me soulager, ça pourrait booster ma maladie. Ça me donnerait un moral fort ! Parce que

là vraiment, je suis vraiment abattu, je suis vraiment abattu. »

…qui fait courir le risque d’avoir des dettes hospitalières

Etre malade et sans papier expose aussi à avoir des dettes envers l’hôpital. Parfois impossibles à

rembourser, elles creusent l’insécurité financière du patient et pèsent sur ses chances de

remonter la pente.

Awa : « Parce que j’ai pas les 90 euros. J’allais chercher à payer mais je sais pas

comment. »

I : « Et avec votre nouveau salaire ? »

Awa : « Ben…c’est pas aujourd’hui, vraiment ! Si on vous paie 500 ou 600 euros par

mois, vous avez d’autres dettes aussi, donc pour se libérer les 90 euros… »

Rouffaï : « Aujourd’hui l’hôpital Foch me poursuit. J’ai été hospitalisé là-bas, ils me

poursuivent pour que je puisse recouvrir les frais. (…)L’hôpital Foch il me poursuit tous

les jours. »

A nouveau, Rouffaï a le sentiment qu’il peut lutter contre sa maladie mais que le versant

administratif est comme une force extérieure incontrôlable qui s’abat sur lui. Si le VIH atteint

son intégrité physique, ses soucis administratifs blessent son intégrité morale, sa dignité : « je

suis cassé », « on me creuse ».

Rouffaï : « J’essaie de lutter ! Mais franchement… franchement… J’essaie de garder

espoir et je me dis qu’un jour ça va aller ! Mais vous savez madame, quand vous avez ce

genre de maladie… vous pétez un câble ! Parce que quand vous avez ce genre de

maladie, vous essayez de lutter contre elle ! Mais en même temps si vous devez… si on

doit vous creuser… c’est, c’est pas la peine ! Hôpital Foch me demande 26000 euros… je

trouve ça ou ? »

René, pour sa part, ne connaît pas précisément son statut vis-à-vis de la sécurité sociale mais il

sait qu’il n’a pas payé ses cotisations depuis 3 ans. Il pourrait donc se voir acculé de dettes à

hauteur de 50 000 euros s’il fallait qu’il rembourse ses traitements antirétroviraux.

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D. Les liens sociaux

1. Isolement et maladie chronique

Zohra, depuis son deuxième mariage, vit avec un homme souvent absent et n’a pas vraiment de

tissu social autour d’elle. Elle ne peut compter sur personne pour la relayer dans ses tâches

quotidiennes alors qu’elle souffre d’une asthénie chronique en lien avec ses différentes

pathologies. Cette solitude est très dure à vivre car elle a le sentiment de ne jamais être épaulée

par des proches, de ne jamais pouvoir souffler.

Zohra : « Ben ce qui est compliqué c’est par exemple euh… il y a des fois où je peux pas

faire des choses à la maison, des fois où je peux pas me lever du lit… c’est ça qui est

compliqué pour moi. »

A propos de sa famille en France : « Chacun a sa vie. On s’approche dans les fêtes ou…

quelque chose comme ça. On a des contacts au téléphone c’est tout. »

Sa famille (dont elle n’a pas précisé les liens) connaît ses problèmes de santé mais ne lui

apporte pas d’aide au quotidien. N’ayant pas de travail elle n’a pas non plus de réseau

professionnel. Finalement ce n’est qu’auprès des médecins qu’elle se sent soutenue, mais cela

n’entre pas en compte dans son quotidien, qu’elle vit très seule.

Awa dit aussi qu’elle se laisse facilement envahir par ses pensées dès qu’elle est seule.

Awa, à propos de ses inquiétudes: « Quand tu es avec les gens, ça s’envole ! Mais si tu

es seule, tu es dans ta maison et tu es seule, ah bah je pense ça va toujours revenir, tu

vas toujours penser à ça ».

La maladie chronique est plus dure à endurer lorsque l’on vit une certaine solitude sociale.

De même, ce patient qui vit dans un local de fortune se sent en danger de ne pas pouvoir être

entouré si sa santé se dégrade. C’est la raison pour laquelle il demande des hospitalisations plus

longues dans ce genre de situation.

Vladislav : « Chez moi, c’est un petit local comme ça mais il n’y a personne. A côté il y a

un pont. Si les propriétaires viennent me voir d’accord, mais quand ils sont pas là,

personne ne risque de venir me voir. »

L’anxiété est donc beaucoup plus grande et c’est pourquoi il se retrouve en position de

« négocier » un lit médicalisé.

Notons que sa solitude semble plus l’inquiéter quand il s’agit de gérer des épisodes aigus (en

lien ou non avec ce qui est chronique), alors que Zohra souffre plutôt de l’isolement au

quotidien.

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Parmi les patients rencontrés, peu ont une famille présente. Pourtant elle peut être un soutien

fort. Pour Kamel, qui vient à tous les rendez-vous accompagné de son frère et qui vit chez ses

parents, la famille est un soutien matériel certain, mais aussi une présence qui aide

psychologiquement et qui le rassure dans l’éventualité d’une complication brutale.

Kamel, à propos de ce qui l’inquiète : « Si je suis seul dans la rue et que je me sens mal.

(…) Si je suis seul avec personne à côté de moi ce serait très très difficile, mais là, j’ai mes

frères, mes sœurs, ma mère … et ça m’a encouragé… je suis presque jamais seul.»

De surcroît, être porteur d’une maladie chronique donne le sentiment d’être à l’écart du reste

de la société, soumis à d’autres lois que les autres.

Celou, à propos de son diabète : « Ca limite. T’es… pas comme les autres. Vous, par

exemple, vous pouvez manger tout hein… »

C’est aussi lorsqu’il pense au fils qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années, qu’il se sent triste et

peut être entraîné dans des spirales de ruptures thérapeutiques.

Mamadou dit l’importance que revêt pour lui le lien social : sa maladie le gêne quand elle

l’empêche de voir ses cousins. Ce sont donc plutôt les complications aiguës qui l’embêtent. Sa

maladie chronique silencieuse est supportable quand elle ne l’empêche pas de sortir de chez lui

et de maintenir ses liens.

Pour René, le plus dur dans son vécu du VIH est le fait qu’il ne puisse plus se remettre en couple

de façon sérieuse. Cet isolement affectif dans lequel cela le plonge lui semble d’autant plus dur

qu’il aurait besoin de soutien pour surmonter les soucis financiers qui le submergent.

René : « Et puis l’autre problème c’est avec les femmes, c’est un gros problème ! Parce

que le quotidien je m’en, fous. Souvent, j’ai des réflexions de gens… on pourrait croire

que ça me blesse mais ça me blesse pas du tout, j’y prête pas attention. Mais avec les

femmes c’est un gros problème. Ça m’a bousillé toute ma vie : je peux plus me remettre

en couple ! (…) Mais comme j’ai plein de problèmes, me retrouver avec quelqu’un ça

pourrait me réconforter. Mais sinon, si j’avais pas de soucis, moi je m’en fous ! »

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2. Marques de l’exclusion et rapport à la maladie chronique

Avoir fait l’expérience de l’exclusion peut marquer profondément et transformer la façon

d’appréhender la maladie chronique, les soins ou les relations de soin.

La honte

Vladislav se fait la voix de ses pairs qui vivent à la rue, mais peut-être parle-t-il aussi de

lui ? Il évoque la honte de vivre en marge de la société et le sentiment de « n’être rien ». Il se

sent un poids, inutile pour la société. Dans ce contexte de très faible estime de soi, présenter

une maladie chronique peut devenir difficile à assumer. Nous entendons à travers les mots de

Vladislav, que la maladie peut être vécue comme une autre atteinte profonde et durable à

l’intégrité de l’homme, qui fait de lui une charge « deux fois » trop lourde pour la société.

Vladislav, à propos des patients vivant à la rue : « Comme je vous dis : il faut les mettre

en confiance pour qu'ils parlent, parce que la plupart vont cacher... une maladie. En fait

il y a une maladie plus grave derrière mais il a honte de la dire, il a honte.(…) Oui. Parce

que pour lui, déjà il est SDF, il est rien! Alors si en plus on dit qu'il a une hépatite, le SIDA,

un cancer… »

La culpabilité

Abdelkader ne parle pas de honte mais il se sent en partie responsable de l’état de vie

dans lequel il est, et de la négligence qu’il a vis-à-vis de sa santé, directement imputable à son

mode de vie.

Abdelkader : « Ben vous vous rendez compte ? J’ai 65 ans, je suis resté 50 ans en France !

Pendant 50 ans j’ai travaillé ! Si j’avais mis l’argent de côté, j’aurais un appartement,

j’aurais un restaurant, j’aurais quelque chose ! Au lieu de jeter l’argent par la fenêtre,

aller à la boisson ! Ben oui ! C’est ça ! C’est un peu notre faute hein, faut pas croire !

C’est la faute à personne !

Sinon on dit le destin, mais le destin c’est pas comme ça ! »

Abdelkader: « Par contre si vous êtes comme ça, si vous trainez dans la rue tout ça, vous

vous en foutez hein ! Vous allez pas aux rendez-vous, vous vous dîtes c’est loin, vous êtes

un peu dégouté quoi ! C’est ça hein !

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C’est pas qu’on s’en fout, c’est qu’on s’en occupe pas mieux, on s’en occupe pas bien. »

De même, Joël se montre très ambivalent dans son discours sur ses complications diabétiques et

sa difficulté à accepter le traitement. Il navigue entre mise en cause des médecins et auto

critique culpabilisante.

Joël : « Quand je suis sorti il y a quatre ans, j’en avais rien à cirer. Mes amis me disaient

« fais attention, on va te couper un doigt ». Et puis ça m’est arrivé. Mais en allant au

bloc, je blaguais avec eux, parce que je savais ce que je faisais, je savais que j’en

arriverais là.(…) Et j’ai rien fait ! J’ai rien fait ! (…) Parce que du moment qu’ils

préviennent qu’il y a anguille sous roche, c’est à nous de s’prendre en main pour savoir

ce qu’il faut faire. Et maintenant on a le droit de dire oui ou non. (…)

J’ai pas à accabler le médecin, je dois assumer. (…)Ben oui, on m’avait vaguement

annoncé que j’étais diabétique donc je savais que y’avait quelque chose, mais j’ai rien

fait pour en savoir plus. »

Ailleurs dans l’entretien :

Joël : « Mais si y’avait eu une bonne explication au départ j’en serai pas là. »

La culpabilité peut être aussi le résultat d’expériences humiliantes qui renforcent un sentiment

peut-être préexistant chez la personne.

Jean-Pierre : « Ben… on dirait que… ils nous prennent pour des tire-au-flanc ! (…) Par

exemple, une secrétaire qui dit : « Et ben, il a pas d’hypertension, rien du tout ! Il est

calme ! Pourquoi il reste un quart d’heure dans le cabinet du médecin ?» Ah c’est… c’est

pas bon du tout. On se sent coupable. »

Le rejet

Pour les personnes qui ont connu des expériences humiliantes ou qui mènent une vie à l’écart,

la faible estime de soi et la fragilité relationnelle rendent aussi certaines démarches plus

difficiles.

Ainsi, pour Jean-Pierre, il a suffi d’un refus de rendez-vous en médecine de ville pour qu’il ne

veuille plus risquer à nouveau de se sentir rejeté par tout autre médecin en cabinet.

Jean-Pierre, à propos des généralistes en ville : « J’ai essayé une fois, une fois(…) Ben il

m’a dit ‘ non j’ai mon quota’ qu’y m’a dit. (…) Alors après c’était fini, j’ai plus essayé, j’ai

dit ‘bon, c’est plus la peine’.»

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Une lutte des classes

Bien que le discours soir compliqué à analyser et que nous ne prétendions pas pouvoir tout

décrypter, il semble que Joël soit, dans la gestion de ses soins et l’acceptation de sa maladie,

dans une certaine recherche de reconnaissance, de valorisation, de manifestation de son

indépendance et de « lutte des classes ». Il est difficile de ne pas y voir un lien avec son parcours

de vie chaotique.

Sa maladie chronique semble être un lieu où il peut casser certaines barrières sociales et se

retrouver sur un pied d’égalité avec d’autres, reliés par le lien de la maladie, être le « grand

frère », le confident, celui qui rassure, qui sait et qui conseille.

Il tente d’inverser la tendance des rapports de domination imposée par les classes sociales et

par l’autorité médicale.

Car au fond, tout cela lutte en lui-même et il ne cache pas une part de culpabilité dans

l’évolution de son diabète.

Quand l’exclusion n’est pas ancienne

Alain explique que pour rebondir il faut avoir des ressources particulières à exploiter. Selon lui,

son parcours pour sortir de l’exclusion aurait été plus long s’il n’avait pas eu un passé stable sur

le plan social.

Alain: « C’est clair que j’ai été cadre, donc j’ai des ressources sur lesquelles m’appuyer, des

forces qui m’ont permis de rebondir très vite! C’est clair ça! »

3. Soutien mutuel dans la maladie chronique

Quand la condition est partagée

Certains patients s’appuient sur le soutien entre malades pour mieux vivre leur condition.

Sans avoir d’échange verbal avec d’autres, le fait de savoir qu’il n’est pas le seul malade est, par

exemple, un soutien psychologique pour Kamel.

Kamel : « Non parce que généralement on voit d’autres gens qui sont des cas pires, donc

je dis, ben… (…) La dernière fois on attendait l’assistante sociale et on a rigolé parce que le

téléphone du standard il a pas arrêté pour les gens qui voulaient prendre rendez-vous

avec le diabétologue ! Donc on s’est dit ‘on n’est pas les seuls’. On espère que Dieu il va les

guérir aussi ! »

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Quand la parole est un soutien

Pour Joël, il est important de pouvoir parler de sa maladie avec des personnes diabétiques, ou

porteuses d’autres maladies chroniques, à son travail.

Joël : « L’autre fois on était entre collègues, entre nous euh… diabétiques, et on parlait

du diabète. Et puis une collègue, elle commence à nous dire : ‘Ah mais moi aussi j’suis

malade, j’ai tel et tel problème’. »

Il a besoin de se sentir soutenu et respecté, notamment dans ses efforts d’abstinence

alcoolique.

Joël : « Du moment que mes collègues de travail acceptent aussi… du moment qu’ils

disent pas ‘prends une bière, prends une bière’, du moment qu’ils acceptent que je me

soigne et tout… euh… le respect de l’autre ! »

Selon lui, discuter de la maladie peut apporter un réconfort et permettre des encouragements

mutuels dans la prise en charge.

C’est auprès d’autres malades qu’il veut trouver les raisons de se soigner plutôt qu’auprès des

médecins dont il supporte mal l’autorité.

Joël : « On essaie de comprendre pourquoi il faut prendre des médicaments. »

Il se positionne en militant du dialogue et encourage son entourage à se confier sans crainte.

Joël, à propos d’une collègue : « Elle me dit : ‘T’en parle pas aux autres hein’. Mais j’ai

dit : ‘On est cinq, on est solidaires’. Et ça aide ! (…)

Moi j’peux dire : ‘ J’suis diabétique depuis trente ans et puis foutez moi la paix’, ben ça

avance pas le dialogue ! »

Il aimerait en parler plus largement, mais il sent que ce n’est pas simple et qu’il s’expose à une

mise à l’écart.

Joël : « Et c’est pas plus facile non plus d’en parler, parce que les gens ils peuvent

répondre ‘ben fous nous la paix avec ta maladie’, et là c’est encore plus dur d’essayer

d’avoir un dialogue. ‘Ah ouai t’es malade ? Et ben reste dans ton coin et soigne-toi et

fous nous la paix !’ (…)

Mais il vaut mieux en parler de toutes manières, toujours ! Mais on prend un risque ! De

s’faire jeter. (…) Donc on en parle plus facilement à ceux qui ont aussi une maladie. »

Joël et Vladislav souffrent tous les deux d’un manque de dialogue entre les différentes classes

sociales ou catégories professionnelles. Ils ont à cœur d’être des relais de parole, de malade à

malade ou de malade à médecin.

Vladisav, à propos des « SDF » : « Il faut les mettre en confiance pour qu'ils parlent,

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parce que la plupart vont cacher (...) »

Pour Joël, la parole entre malades peut aussi faire tomber les barrières sociales dont il souffre,

lui qui se sent souvent regardé de haut par les plus diplômés. Entre malades, tout le monde

partage la même condition. Ici, par exemple, avec une infirmière.

Joël : « C’est comme avec une élève infirmière qui me parlait de son problème,

l’épilepsie. Quand elle me parlait de l’hygiène de vie je lui ai dit : ‘Ah ouai on s’comprend

bien quand même ! T’es dans ton carré, j’suis dans le mien, et on en parle pas aux

autres’. (…) Y’en avait une qui m’avait dit ‘t’en parle pas aux autres’. J’lui avait dit : ‘Non,

c’est entre toi et moi’. (…)

Parce qu’être épileptique et infirmière, ben… j’crois pas que ce soit facile, faut se battre

pour le faire. »

Ils deviennent en quelque sorte les grands frères, des patients conseils pour ceux qui seraient

plus fragiles psychologiquement ou plus réservés. Avec, chez Joël, cette idée de franchissement

des classes sociales que l’on sent poindre.

Joël : « Ça aide pour nous, parce qu’on sait que l’autre a un problème de santé différent

du nôtre mais qu’il a aussi besoin de notre soutien pour continuer à se faire soigner. Et

puis pour nous. Pour moi, avoir la confiance de cette personne-là, c’est une confiance

partagée qui se rapproche, c’est important. »

Vladislav, à propos d’autres SDF : « Mais je leur dis qu'ils mettent l'entourage en danger.

Il y a des hépatites non contagieuses, d'autres contagieuses, alors quand ils boivent

ensemble... je dis : ‘Moi quand je buvais, je buvais toujours dans mon verre, je ne

donnais jamais à personne. Vous buvez dans la bouteille l'un derrière l'autre, mais vous

pouvez attraper une maladie.’ (…)

Je connais des gens dans la rue, on leur propose de faire une prise de sang et ils ne

veulent pas. Je leur dis ‘ton sang parle, si tu as quelque chose il parle! Ils vont demander

la totale. Ils vont chercher le sida, l'hépatite.’ »

Chez Joël, cette position de conseiller interpelle d’autant plus qu’il a lui-même beaucoup de

difficultés à accepter le traitement et qu’il a été victime de complications.

Joël : « Au bout d’un moment j’lui ai dit : ‘Ben tu vois ! C’est bien d’en parler ! On s’ra là pour te soutenir, mais soigne-toi ! On est tous là’. (…)

Ouai ! Moi j’ai un collègue, un ancien cuisinier, dès qu’il avait terminé et qu’il avait sa

paye, toute sa paye passait dans l’alcool. Mes collègues m’ont dit ‘toi qui es bénévole

ailleurs, va le voir’. J’ai dit non, et puis j’ai craqué j’suis allé le voir. Au bout d’une

semaine il faisait une cure ! »

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Des patients indépendants

D’autres patients ne ressentent pas le besoin de parler de leur maladie et la vivent de façon très

indépendante.

Celou : « Ils savent même pas que je suis diabétique. Je suis quelqu’un de très discret,

c’est ça ! Je me pique, je me mesure… 30 min, je travaille ! »

E. Le cumul

Bien souvent, les inquiétudes sont trop importantes, les problèmes auxquels il faut faire

face trop vastes et les points d’attention et de contraintes omniprésents. Tout semble se

bousculer et s’accumuler. L’interaction entre maladie chronique et vulnérabilité sociale prend la

forme d’un cumul trop lourd à porter, d’une masse de soucis et d’angoisses mêlés, qui

entraînent un débordement moral et des souffrances profondes. Il n’y a plus de hiérarchie entre

les différents problèmes mais leur accumulation amplifie le mal être.

1. Quand le cumul des difficultés sociales et de la maladie chronique créée des

inquiétudes envahissantes

Fatoumata et Awa expliquent qu’elles naviguent sans cesse entre des préoccupations de santé

et des angoisses liées à leur situation sociale.

Fatoumata : « Oui un cumul des deux parce qu'on restait toujours avec la peur au

ventre, on avait toujours peur... par exemple, tu te poses toujours la question:

‘Maintenant que j'ai vu le bout du tunnel au moins pour ma santé, maintenant à cause

des papiers on va me renvoyer. Si je rentre c'est pour crever parce que j'aurai pas les

mêmes soins’. Tout ça, ça trotte, ça trotte. (…)

Ah des difficultés j'en ai eu hein! Et c'est pas terminé, mais j'en ai eu! Parce que dans

tout ça j'étais sans-papiers en plus, quand ça a commencé, ce qui fait que avec ça en

plus aussi ça faisait encore... c'était encore pire! »

Awa : « Ce qui m’embête c’est quand tu n’arrives pas à payer. Soit le médicament on te

dit c’est pas remboursable et que tu n’as pas de sous. T’as pas de revenu, c’est un

problème! »

I: « C’est ça le pire. »

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Awa : « Oui. Non seulement ça aussi : tu sais, le diabète c’est fatigant, tu sais tous les

jours se piquer ça fatigue.

Et y’a ça, et y’a la tension qui à tout moment ne se baisse pas, qui est toujours euh… et…

là on me dit j’ai l’apnée du sommeil ! Tout ça là, dans la tête… (…) Parce que je suis

tellement stressée à tout moment !»

2. Quand le cumul des difficultés sociales et de la maladie chronique entraîne

des situations de souffrance profonde

Ecoutons les patients.

Alfred : « Je ressens beaucoup d’amertume. (…) Heureusement qu’on a un peu d’espoir,

sinon on se fiche en l’air tout de suite ! »

Assetou : « Moi j’ai envie de guérir ! Ou je guéris ou j’en finis, j’en finis et je meure ! On

n’en parle plus ! Ça ne vaut pas la peine d’être là. Tu n’es pas guéri, tu n’es pas guéri, tu

n’es pas en santé, tu fous quoi là, tu fous quoi là, hein ? Ou tu es malade ou tu es en

santé, ou tu… je sais pas ! Si j’étais pas malade je serai au moins capable d’avoir un

logement. (…)

Moi je souffre beaucoup parce que je ne peux pas travailler. Quand j’ai eu l’AME j’ai cru

que j’allais guérir et que je pourrais travailler. Mais au contraire, mon mal partait de mal

en pis. C’est pour ça que je n’ai même plus peur de l’opération car là je ne peux rien

faire. Je suis comme une morte vivante… ça n’avance pas, au contraire. Depuis que je

suis là au lieu que ça diminue ça ne fait qu’augmenter.(…)

C’est comme si, plus je m’enfonce et plus le mal aussi s’aggrave ! (…)

C’est... c’est très difficile… c’est la merde quoi… tu sais… tu... parfois, tu pleures, tu as

envie de finir, de… de te donner la mort, tu as envie de rentrer chez toi… tu te demandes

ce que tu fais là, pourquoi est-ce que tu souffres comme ça… »

Rouffaï : « Non seulement je pense que je suis malade ! Et quand je pense que mes

papiers se passent comme ça, mais ça me donne souvent envie de péter un câble

madame je vous dis ! (…)

Ça me casse ! Je vous mens pas, ça me casse ! Ça me casse ! Parce que comme je…

bon… ça me casse, je vous mens pas… ça me casse, vraiment ça me casse ! (…)

Moi j’ai pété un câble… parce que quand je pense que je suis malade ! Quand je pense

que je suis malade… (…) J’essaie de lutter ! Mais franchement… franchement… j’essaie

de garder espoir et je me dis qu’un jour ça va aller ! Mais vous savez madame, quand

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vous avez ce genre de maladie… vous pétez un câble ! Parce que quand vous avez ce

genre de maladie, vous essayez de lutter contre elle ! Mais en même temps si vous

devez… si on doit vous creuser… c’est, c’est pas la peine ! (…)

Je suis vraiment abattu, je suis vraiment abattu. (…)

On me creuse ! (…)

Autant mourir ! (…)

Moi je vous dis la vérité, je vous mens pas, je vous mens pas, j’ai pensé ça deux fois, je

vous mens pas ! (…) J’y ai pensé deux fois ! Parce que attends, si tu n’es pas considéré

comme les autres, tu n’as pas le même droit que les autres, c’est pas la peine ! Voilà !

Si les gens ne font rien pour que tu sois heureux, c’est pas la peine ! (…) Elle aura ma

mort sur la conscience. »

Celou (grave, après avoir marqué un temps de silence) : « Ben oui parce que … c’est

difficile quand même… »

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III. APPROCHE DU VECU PAR LE PRISME MEDICAL

A. La maladie chronique

1. Une maladie à vie

Joël : « Vous savez, le diabète, ben… c’est comme toute maladie, des fois c’est l’moral

qu’est… qu’est à zéro ! »

I : « Ah oui ? A cause de quoi ? »

Joël : « Ben j’me dis, cette maladie j’l’aurai toujours et j’m’en sortirai jamais ! Faut être

conscient ! Ben ça fout le moral à zéro ! Bon, moi j’ai un bon exemple parce que j’ai trouvé

un bon médecin mais si je l’avais pas trouvé ben je serais mort ! »

Depuis cet épisode de complication -probablement artérielle- qui a entraîné l’amputation d’un

orteil, Joël se sent particulièrement confronté à sa finitude et aux menaces du diabète. Il sait

aussi que toute démarche de soin est pour lui compliquée, qu’elle demande un effort et qu’il

est irrégulier dans les soins. Il semble avoir conscience d’être de ce fait, particulièrement exposé

aux complications. Et, puisque le diabète ne se guérit pas, Joël ne peut plus envisager sa vie sans

d’une part, cette vulnérabilité face aux complications, et d’autre part ce combat intérieur et

avec les soignants dans les soins.

C’est probablement ce qu’il entend par « j’m’en sortirai jamais », où l’on perçoit la complexité

de cette maladie pour lui et l’implication que cela lui demande.

Cette permanence d’une maladie qui durera toute la vie, envahit les pensées et ne permet pas

de répit moral.

Fatoumata : « Oui ça me peine parce que je me dis c'est pas comme d'autres maladies

qu'on peut soigner et puis ça s'arrête... parce que ça s'arrête pas un jour! Donc justement

ça reste toujours dans la tête, on y pense toujours. (…)

Et ça va rester toute ma vie. C'est ce qu'on me dit, parce que même quand ça a

commencé à baisser je me suis dit ‘ah, peut être que je ne prendrai plus de médicament’.

Non! On a plutôt un peu diminué, mais ça ne s'arrêtera pas selon ce qu'on m'a dit.»

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Et l’idée de devoir vivre avec des inquiétudes toute sa vie est pénible.

Awa : « Si je n’avais pas de diabète, là je pense que j’aurais pas à me plaindre, ni à me

casser la tête à tout moment, ou me dire ‘ah, demain comment je vais faire ? Il faut

que je me pique, il faut…’ tout ça n’existerait pas ! Parce que je sais que je n’aurais pas

à me piquer, pas à prendre les médicaments, je serais tranquille ! Vraiment à l’aise !

Sans la maladie quoi !

Parce que quand on est malade, des fois aujourd’hui tu es bien, tu te réveilles bien,

demain tu as des courbatures partout, ou des fois tu te sens fatiguée… Je pense que si

on n’est pas malade on sera en bonne santé ! C’est ça ! »

Awa : « Parce que tout ce que j’ai là, je pense que c’est même plus grave que mon

corps je dirais. Parce que tu as le diabète, tu as l’apnée du sommeil, tu as la tension.

Donc –je ne fais jamais l’hypo hein moi, je ne fais que l’hyper- donc, si tu as tout cela

en tête, des fois quand tu marches comme ça là, on dirait que tu rêves ! Tu es dans la

rue, mais tellement tu es pensif, y’a même des fois, quelqu’un te voit parler mais toi-

même tu sais pas que tu es en train de parler ! Donc c’est dans la tête ! (…)

J’y pense Tout le temps, mais tout le temps ! (…)

Je me dis dans ma tête ‘ si aujourd'hui peut être j’ai pas d’enfant, peut-être c’est à

cause de ça’. Tu vois ? Ça reste toujours dans la tête. Quand tu es avec les gens, ça

s’envole ! Mais si tu es seule, tu es dans ta maison et tu es seule, ah bah je pense ça va

toujours revenir, tu vas toujours penser à ça. C’est ce qui m’arrive tout le temps, tout

le temps ! »

Il faut donc se résoudre à porter en soi les menaces de complications et les contraintes des

traitements sans répit.

Celou: « C'est une maladie euh... mortelle quand même hein! Si tu fais pas attention tu...

tu... ça y'est! Y’a l'infection, les complications... ya tout hein! »

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2. L’acceptation

Différentes forces intérieures et stratégies sont utilisées pour accepter l’idée de la maladie

chronique et ne pas se laisser envahir par les inquiétudes.

Kamel : « La seule chose importante, c’est que l’heure de la mort n’est pas à cause du

diabète, ça c’est important. Par exemple, y’a des gens qui ont du diabète et ils vivent

longtemps, jusqu’à leur limite quoi. Mais y’en a qui ont rien, qui souffrent de rien, et ils

meurent. Voilà. »

Kamel se sent mieux loti avec un diabète -qui ne comporte pas de menace vitale immédiate s’il

est contrôlé- qu’avec une autre pathologie qui serait rapidement mortelle. A l’entendre, on a le

sentiment que, parce qu’il a un diabète, il se sent presque protégé d’autres causes de décès

rapide. Il s’appuie sur cette idée qu’il ne mourra probablement pas à cause de son diabète mais

pour d’autres raisons, afin de ne pas se laisser envahir par des angoisses de mort. Ainsi, il

apprivoise son quotidien avec le diabète.

Kamel : « J’y pense pas tous les jours. Parce que si je pense tous les jours à ça je vais tout

lâcher, ma vie va changer, je vais attendre tous les jours le jour de ma mort… (…)

Non, parce que si la mort c’est à cause du diabète, là on se sent foutu. On attend trois

jours, on se dit : ‘Je vais mourir à cause du diabète dans 3 jours‘ .Mais si le diabète c’est

pas la cause du décès, ma vie quotidienne est avec le diabète, donc c’est ça. »

Sa croyance religieuse est un soutien, elle semble lui rappeler qu’il n’est pas maître de son

existence et l’aide à accepter les évènements de vie.

Kamel : « La vie continue, tu continues ta vie normalement. Il faut faire attention, quand

même, mais le reste c’est Dieu qui commande, c’est Dieu qui a tout ! Donc on vit notre

vie normale et on n’a pas le choix. (…) Nous on accepte tout ce que nous a donné

Dieu. »

Il considère que les injustices causées par les hommes sont plus difficiles à accepter :

Kamel : « Et puis je me dis c’est une chose ou bien c’est une maladie… c’est pas les

gens qui me l’ont donnée. C’est Dieu qui commande donc on accepte tout. C’est pas

les hommes qui me l’ont fait. (…) Ben oui, il n’y a pas d’autre solution, il n’y a pas le

choix, donc c’est la vie. »

Derrière cette apparente acceptation de la maladie par Kamel, son frère exprime sa peine

de le voir atteint si tôt dans son corps. Il sous-entend que cela puisse compromettre ses

projets, comme si une part de sa jeunesse lui était volée. C’est peut-être ce que Kamel a

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exprimé à sa famille.

Frère de Kamel : « Si c’est quelqu’un qui a déjà une famille, tout ça, qui a 50 ans…

mais là, 23 ans, ça fait mal au cœur. »

Quoi qu’il en soit, Kamel veut rester maître de sa vie.

Kamel : « Je pense pas aux complications tous les jours ! Parce que si je pense tous les

jours à ça, je vais tout lâcher, ma vie va changer, je vais attendre tous les jours le jour de

ma mort… (…) On s’est habitué. »

De façon assez similaire, Alpha ne veut pas se considérer d’abord comme un malade. Dans son

attitude lors de l’entretien et au travers de ses propos, il montre que son diabète de type 2 ne

saurait l’empêcher de mener son existence librement.

Alpha : « Sincèrement pour vous dire, moi je vis normalement. Moi je me focalise pas sur

ce truc. Je vis comme s’il n’existait pas. Je prends un médicament et puis basta ! Ça ne

joue pas sur mon boulot, le médecin m’a examiné. Ça ne joue pas sur mon boulot du tout.

Parce que c’est d’abord psychologique, donc si je me focalise dessus, après euh… j’aime

pas me morfondre sur les choses. Voilà. »

A propos de la place prise par le diabète parmi ses préoccupations :

Alpha : « Mon diabète il est pas en énième position, il est important ! Mais le

problème est que si je me mets dans la tête que j’ai du diabète, je ne ferai rien. Or, je

ne suis pas paresseux On ne peut pas dire que j’y pense pas… vous savez, sans la santé

on ne peut pas bouger ».

Ce qui ne l’empêche pas de prendre très au sérieux son suivi médical et son traitement.

Jean-Pierre, très anxieux, essaie lui aussi de dominer ses pensées, conscient que les

complications existent.

Jean-Pierre, à propos des complications cardiaques : « Je me pose pas trop la question.

Parce que sinon après ça… pff… après on rumine. Faut pas se poser trop de questions. »

A côté de tout ce qu’il appelle « ses soucis » Jean-Pierre ne se laisse pas atteindre par le fait

d’avoir une maladie chronique.

I : « Et cette idée d’avoir une maladie à vie ? »

Jean-Pierre : « Oh tant que c’est que ça… »

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Est-ce parce qu’il considère que les autres « soucis » sont plus graves ?

Zohra dit ne pas s’inquiéter des complications potentielles. Comme Kamel elle a une sorte

d’acceptation naturelle de cette maladie, associée au fait qu’elle ne soit pas un mal qui

vienne de l’homme.

Zohra : « Non j’ai pas peur. Même s’ils ont trouvé une tumeur ça me fait pas peur,

parce que c’est comme ça, je peux rien faire. »

Vladislav décrit les ressources internes qui lui permettent d’accepter sa condition sociale et

ses pathologies chroniques.

Vladislav : « Moi je suis un ancien militaire, je suis conditionné. Le conditionnement

Pavlov et d’autres conditionnements jouent pour moi. Et ça, ça me sauve beaucoup !

Même quand je vois un petit écart autour de moi. Quand je vois une assistante sociale

ou un médecin, je prends les choses du bon côté, je me dis ‘ça ne marche pas

maintenant, ça marchera la prochaine fois, faut pas trop en demander’ ».

Assetou, elle, a le sentiment que ses lombalgies chroniques (intenses et quotidiennes) sont trop

lourdes à porter, en plus de sa situation de vie.

Assetou : « Ah oui, si je n’avais pas la maladie… je suis une battante ! Je suis une

battante ! Mon mari est parti en prison, ma fille aînée est morte en CM2. J’ai élevé mes

enfants, elles ont eu le bac, elles sont toutes allées à l’université, elles ont fait des études.

Moi mon père est mort, c’est la guerre d’indépendance qui a tué mon papa, j’avais à peine

deux ans quand mon papa est mort. »

Malgré son tempérament et tous les évènements auxquels elle a dû faire face, ses douleurs

chroniques lui paraissent une difficulté impossible à accepter et à gérer. La douleur physique

l’emporte et « l’écrase ».

Assetou: « Il y a des jours même où je mange pas…. C’est vrai y’a les restos, mais

faut avoir la force d’aller s’aligner, c’est pour les gens qui ont la force, la santé. Moi

j’ai pas la force d’aller m’aligner car j’ai mal au dos… je commence à perdre du poids

là parce que j’ai pas à manger… et j’ai mal au dos alors je peux pas travailler. Avec le

mal de dos je ne peux rien faire, rien rien rien ! »

Pour René, ce qui permet d’accepter le VIH au quotidien est le fait que ce virus soit

cliniquement silencieux et ne lui porte pas préjudice dans son travail.

René : « Y’a plein de trucs qui vont pas mais c’est pas du physique. Je peux porter les

colis tout ça ».

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3. Désocialisation et maladie chronique silencieuse

Quand la vie n’est plus structurée, il devient difficile d’enclencher des démarches.

Abdelkader : « Quand vous travaillez vous… vous tenez … vous tenez... vous-même. Vous

faites des choses euh… normales quoi ! Si vous tombez malade vous allez voir le

médecin, s’il vous manque ça vous allez l’acheter… Vous prenez votre vie en main ! Par

contre si vous êtes comme ça, si vous trainez dans la rue tout ça, vous vous en foutez

hein ! Vous allez pas aux rendez-vous, vous vous dîtes c’est loin, vous êtes un peu

dégouté quoi ! C’est ça hein ! (…) On laisse les choses trainer ! »

Ne pas avoir de liberté, vivre un quotidien creux, ne laissent pas de place pour s’imaginer un

avenir. Et sans espoir d’avenir, la santé n’est plus une préoccupation.

Abdelkader, à propos de la santé: « Bien sûr qu’on s’en fout ! Parce que quand on voit

qu’on n’a aucun avenir ni rien… qu’on est dans un centre comme ça… qu’est-ce qu’il y

a ? Y’a rien hein ! C’est pas que je sois mal logé. C’est bien. Pour les questions d’hygiène

c’est bien ! Mais vous savez, vous êtes à deux dans une petite pièce comme ça… C’est

pas… autrement c’est bien hein… c’est plus comme avant hein : les gens sont bien, ils

sont gentils. (…)Oh vous savez la santé, des fois y’a des gens ils … ils s’en foutent hein !

Ils attendent jusqu’au dernier moment avant de téléphoner aux pompiers ! »

Dans cette vie au jour le jour, les préoccupations sont liées à l’immédiateté.

I : «Et donc on se fout de sa santé parce qu’on n’a pas d’avenir. »

Abdelkader : « C’est pas qu’on s’en fout, c’est qu’on s’en occupe pas mieux, on s’en

occupe pas bien. »

I : « On s’occupe pas bien de soi-même. »

Abdelkader : « Voilà.»

I: « On s’occupe de quoi ? »

Abdelkader : « [rires] En premier on s’occupe de rien ! [rires] Ben oui ! Vous voulez vous

occuper de quoi ? Y’en a qui jouent, y’en a qui boivent, y’en a beaucoup qui s’occupent

d’autre chose hein! Et bé oui ! »

Il devient alors particulièrement difficile de se soucier d’une pathologie asymptomatique.

Abdelkader : « On attend longtemps des fois, on se dit ‘peut-être que ça va se

passer’ (…) C’est pas qu’on s’en fout ! Bien sûr ! Mais ça veut dire que quand je me

sens bien je me dis ‘allez, laisse tomber peut être que je suis guéri, je vais pas au

rendez-vous, je me sens bien et puis voilà !’ Et après quand ça reprend, bon, c’est

très grave et puis je viens hein, voilà ! Ça veut dire que je suis pas suivi

normalement ! Voilà ! Vous voyez ? »

Joël a eu beaucoup de mal à accepter son diabète de type 2, d’autant plus que cette

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pathologie est silencieuse. Pendant longtemps il n’existait pour lui que dans l’imaginaire des

soignants.

Joël : « On m’a dit ‘à cause du diabète il peut t’arriver ça’, mais comme y’avait pas

d’examens et tout, je me suis dit ‘votre diabète j’en ai ras le bol d’en entendre

parler !’ (…) Ça sert à quoi d’aller voir le médecin quand on a pas mal ?(…) Pourquoi

prendre un médicament si on n’a pas de douleur ? (…) Jusqu’à temps que… ben je

marchais plus, on m’a coupé un doigt de pied et puis… j’ai décidé de me soigner ! »

Alain, lui, ne s’est pas préoccupé de sa santé durant toutes les années où il travaillait. Son

expérience nous rappelle qu’une pathologie silencieuse est difficile à appréhender pour

tout le monde, et que le rapport à la santé est spécifique à chacun, au-delà de sa condition

sociale.

Alain : « Quand je travaillais, ma santé je m’en foutais ! C’était la 5ème roue du

carrosse. Je me doutais bien qu’il y avait quelque chose mais je voulais pas savoir !

(…) C’était boulot, boulot, boulot ! »

Comme d’autres, il a pris conscience de l’importance du traitement lorsqu’il a été victime

d’une complication visible (un mal perforant plantaire), et qu’il a été confronté à sa perte

d’autonomie.

Alain : « La vraie prise de conscience ça a été les 11 mois d’hospitalisation… parce

que le fauteuil… oula ! Alors quand on sort on n’a pas envie d’y retourner. (…) Avant

on réalise pas, y’a un médecin qui vous dit qu’il faut prendre les traitements mais

bon… on se rend pas compte.»

Mais il sait que ce qui le motive aujourd’hui à poursuivre correctement sa prise en charge

est lié à son futur et aux projets qu’il a en tête.

Alain : « Si je veux voir mes petits enfants pour 15 ans encore, c’est clair que je dois

prendre mes médicaments ! (…) Mais à l’époque, non, je me projetais pas. On voit à

6 mois, on sait pas si ça va être renouvelé, on sait pas comment chercher… »

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4. Contraintes imposées par la maladie chronique

Celou évoque la multitude de contraintes auxquelles il est soumis par son diabète de type 1.

Celou : « C'est c'est... euh... en plus j'en ai marre là... diabétique c'est quelque chose...

c'est une maladie bizarre franchement... t'es trop limité là... tu dois faire très attention à

ce que tu manges, à ce que tu fais, à ce que tu bois...voilà c'est, c'est … c'est une maladie

euh... mortelle quand même hein! Si tu fais pas attention tu ... tu... ça y'est, y’a l'infection,

les complications... y’a tout hein! (…)

Y’a le réglo, l’équilibre, il faut tout régler hein ! C’est un devoir ! »

Awa et Kamel évoquent aussi les exigences quotidiennes dues à leur diabète.

Kamel : « A propos de ma santé je me sens pas comme avant. Avant je mangeais tout et

maintenant il faut contrôler. »

Awa : « Si je n’avais pas de diabète, là je pense que j’aurais pas à me plaindre, ni à me

casser la tête à tout moment, ou me dire ‘Ah ! Demain comment je vais faire ? Il faut que

je me pique, il faut… ‘ Tout ça n’existerait pas ! Parce que je sais que je n’aurais pas à me

piquer, pas à prendre les médicaments, je serais tranquille ! Vraiment à l’aise ! Sans la

maladie quoi ! »

Pour Awa, ces contraintes envahissent son quotidien et ses pensées et atteignent même son

sentiment de liberté intérieure.

Awa : « On me demande d’aller faire le by pass parce que mon cœur ne fonctionne pas

bien pour que je puisse maigrir, pour que mon cœur redevienne normal. Tu as ça en tête,

déjà. On te dit que ton pouls ne marche pas bien hein ! On le sent vraiment pas : tu as ça

en tête. Ca va te rendre comment ? Tu vas encore faire un autre examen ! Donc quand on

est malade on est exposé à tout quoi ! Parce que à la moindre défaillance ‘allez-y faire

ceci, allez-y faire …’ Par contre si on est en bonne santé, je pense que, ta tête sera libre, tu

seras libéré ! »

5. Instabilité créée par la maladie chronique

Awa vit, non seulement avec la peur constante d’être expulsée de son logement, mais aussi

avec cette sensation d’instabilité physique permanente, qui lui donne l’impression de ne

pas pouvoir compter sur elle-même.

Awa : « Parce que quand on est malade, des fois aujourd’hui tu es bien, tu te

réveilles bien, demain tu as des courbatures partout, ou des fois tu te sens

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fatiguée… »

6. Répercussions sur l’identité

Quelques patients évoquent le changement d’identité qu’implique la maladie chronique.

Kamel : « A propos de ma santé, je me sens pas comme avant.»

Mamadou : « Ben l’hépatite, c’est pas trop la santé quoi, c’est… t’as pas trop la

santé.(…) Je suis pas trop fort quoi. (…) Diminué un peu. »

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B. Le recours aux soins

Dans ce chapitre, nous voulons étudier ce que disent les patients de l’offre de soins, de la façon

dont cela les incite ou non à y avoir recours et selon quelles modalités.

Plusieurs aspects du recours aux soins ne sont pas spécifiques de la maladie chronique, mais les

patients interrogés en sont des témoins privilégiés puisqu’ils en sont des usagers réguliers.

De plus, puisque leurs contacts avec le système de soins sont amenés à se répéter, la façon dont

ils les appréhendent a des conséquences sur le vécu global de leur maladie.

1. Couverture maladie et accès aux soins

a) Ce qui protège, ce qui permet l’accès aux soins

Etre en France

Kamel, originaire du Maroc, compare l’accès aux soins en France et dans son pays. Pour lui, c’est

une chance inouïe que d’être en France. Cette donnée semble même l’aider à vivre sa maladie

puisque, bénéficiant de la médecine française, il se sent appartenir à un groupe de

« privilégiés ».

Lorsque son frère dit qu’en France il y a « tous les médecins qu’il faut » et que l’on peut

consulter dès qu’on en a besoin :

Kamel : « Ah oui ! C’est la vérité ! Si t’as les moyens au Maroc tu peux acheter les

médicaments, mais sinon tu peux pas acheter les médicaments donc voilà. »

Le système de soins français inspire confiance dans son ensemble et certains patients ont le

sentiment qu’ils seront pris en charge quoi qu’il arrive, dès lors qu’ils sont sur le territoire

français. Cette sécurité est très rassurante pour ceux qui se disent incertains de pouvoir

bénéficier de bons soins dans leur pays d’origine.

Kamel : « Ici, tu sens que tu vas pas crever un jour ou l’autre ! Tu sens que tu seras

soigné… hospitalisé si ça nécessite… voilà ! »

Fatoumata : « Si je rentre, c'est pour crever parce que j'aurai pas les mêmes soins. »

Chez Kamel, le rapport à la prise en charge semble sous-tendu par le fait qu’en France tout soit

mieux que dans son pays. Il a le sentiment de pouvoir aller partout, de n’avoir essuyé aucun

refus de prise en charge médicale.

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Kamel : « On n’a jamais eu de difficulté. Des médecins qui disent ‘on va pas vous

accepter’ ? Non ! »

Malgré la perte de son dossier, situation fort agaçante, voire source de révolte chez certains, ce

patient continue à n’émettre aucune critique.

Kamel : « Bon, là c’est un peu compliqué parce qu’on a perdu le dossier il y a une

semaine donc c’est un peu embêtant… »

Cette attitude n’est certainement pas uniquement imputable au fait qu’il compare sa situation

actuelle à celle de son pays. Cela vient peut être également de son caractère ou du fait qu’il

n’ose pas émettre de remarque négative au cours de l’entretien. Mais nous ne pouvons nier

une disposition globale très positive et peu encline à critiquer le système.

L’AME

Kamel : « Je vais consulter où je veux parce que j’ai l’AME. »

L’AME lui donne le sentiment de pouvoir exercer sa liberté de choix : confronter le positif

(l’aspect pratique) et le négatif (la perte du dossier) et décider de son lieu de soin.

Kamel : « Mais avec l’AME je suis pas obligé d’être là, mais c’est pratique. »

Le bordereau PASS

Ce document, délivré par la Permanence d’Accès aux Soins de Santé, permet d’accéder aux

consultations et aux examens complémentaires gratuitement.

Rouffaï : « Et c’est ça (le bordereau PASS, NDLA) que je prends pour faire tout ce que j’ai

à faire au niveau de l’hôpital. Depuis que je suis ici je n’ai jamais eu de facture pour

l’Hôtel Dieu, parce que tout est pris ici.»

Sans le bordereau PASS, Rouffaï -qui n’a pas de droits à la sécurité sociale- ne pourrait pas avoir

accès aux soins et continuerait d’accumuler les dettes envers l’hôpital.

C’est aussi grâce à la possibilité de gratuité des soins que Alfred a pu maintenir un suivi médical

à l’époque où il n’avait plus aucun papier en règle.

Alfred : « Ici… il savait déjà ma situation le docteur X. Il m’a dit : ‘Vous savez que

vous êtes coupé de tout, mais ici, momentanément, pour un temps, on peut

s’occuper de vous, vous donner les médicaments, tout ça’. »

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b) Les freins dans l’accès aux soins

Les refus de soin

Après son AVC, Alfred est sorti de l’hôpital de façon trop précoce selon lui, et n’a pas pu

bénéficier de soins suffisants. L’hôpital argumentait que sa couverture maladie n’était pas à

jour.

Alfred : « Bon… à l’hôpital St Joseph ils m’ont presque foutu à la porte. Ils m’ont dit : ‘On

peut pas vous garder encore parce que bon… on n’a pas réglé votre situation, il faut

essayer d’aller(…)’. Alors que je marchais même pas ! Et je suis parti sans béquille ! Et

puis ce sont des amis qui m’ont porté comme ça ! »

Depuis, il a le sentiment que les refus de soin sont nombreux, pour des patients qui n’ont pas de

couverture mais aussi pour ceux qui bénéficient de l’AME.

Alfred : « Et puis maintenant, c’est flagrant. Si vous n’avez pas de papier c’est pas la

peine d’aller à l’hôpital. Vous allez à l’hôpital on vous demande d’abord votre carte de

séjour, sinon on vous prend pas. (…) Même si vous passez dans un hôpital, la première

chose qu’on vous demande c’est : ‘Vous avez la carte vitale ?’ Si tu n’as pas ça, c’est pas

la peine. Je connais des gens qui n’ont pas réussi à se faire soigner parce qu’ils n’ont pas

d’AME. »

Son indignation quant aux refus de soin est tellement forte qu’il généralise cette injustice dans

son propos.

Alfred : « Les hôpitaux ne soignent personne ! »

Il a l’impression que l’accès aux soins se dégrade. Est-ce en lien avec sa situation personnelle qui

ne s’arrange pas et ses souffrances actuelles ?

Alfred : « Et puis ça va de mal en mal… parce que les soins c’est pas facile aujourd’hui,

c’est pas du tout facile.(…) Tant que t’as pas de papiers. Les papiers, même je parle de la

CMU, de la carte vitale, il y a d’autres qui refusent même l’AME, ils disent que c’est trop

faible ! (…) Quelques médecins traitants, des hôpitaux. Des hôpitaux ! Ils refusent

l’AME ! (…) Des amis que je connais, (…) quand ils donnent l’AME : ‘ Non, (tapant du

poing sur la table) : pas d’AME ! »

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La complexité des démarches administratives, l’insuffisance de couverture

Les patients n’arrivent pas toujours à faire face aux démarches administratives, sachant qu’ils

ont souvent des dossiers en cours dans plusieurs domaines. Ceux-ci sont interdépendants et

deviennent le noeud de blocages, de retards de paiement, d’irrégularités. Tout se complique,

donnant lieu à des situations parfois invraisemblables, et des périodes de non droit où la

personne accumule les pénalités et ne sait plus comment raccrocher les wagons. Dans le même

temps, les soins relatifs à la pathologie chronique ne peuvent pas être remis à plus tard.

Awa : « J’avais la CMU, et la CMU a été retirée parce que je n’avais pas de ressources. Et

non seulement ça j’étais même hospitalisée au mois d’avril passé je pense. Bon j’avais

pas la mutuelle. J’ai un truc à payer euh… 90 euros. Bon, le côté 100%, eux ils ont pris

mais il fallait que je paie les 90 euros parce que c’était les frais d’hospitalisation. Mais !

Comme je n’avais pas de boulot, je n’avais rien du tout comme ressource, j’étais venue

ici. J’ai vu le Dr X, il a vu l’assistante sociale. Normalement ils devaient m’aider à payer…

mais ils ne l’ont pas fait parce que je viens de recevoir la lettre de finance, et en tous cas

ils ont vraiment vraiment mal parlé que il faut que je puisse leur payer les 90 euros sinon

ils vont m’envoyer l’huissier ! Voilà ! »

Awa : « J’ai fait la demande de COTOREP au mois d’avril ! Et sur la lettre ils ont même

mis que, dès que je recevrai la lettre, (…) ils veulent la réponse dans 3 semaines avec le

certificat du cardiologue. Mais elle est datée depuis le mois de juillet! Donc c'est là que

j'étais en train d'expliquer au docteur ‘comment je peux faire?’. Puisque la lettre date

depuis le mois de juillet! Je sais pas si ils avaient égaré ou quoi, mais j'ai reçu ça que le

vendredi et je vais faire comment? J'ai essayé d'appeler le cardiologue mais le

cardiologue n'était pas là! J'ai expliqué à sa secrétaire, elle m'a dit que le cardiologue

devait être là, c’était hier le mercredi ... bon! Je sais pas si elle a donné le compte rendu

au cardiologue et que le cardiologue devait m'appeler mais il m'a pas appelé. J'ai essayé

aussi d'appeler l'assistante sociale parce que les papiers de COTOREP on l'avait fait avec

l'assistante sociale... mais je tombe que sur le répondeur. Je laisse un message mais

personne ne répond! C'est depuis lundi que j'ai commencé à laisser des messages. »

Celou, pour bénéficier de tous ses droits, doit retrouver un acte de naissance en Ethiopie.

Celou: « Parce qu’ils leur faut l'acte de naissance pour avoir la carte vitale, donc faut que

je fasse des courriers là... c'est un long trajet là je...(…) Oui c'est très compliqué. »

Rouffaï n’a toujours pas de couverture maladie tant qu’il n’obtient pas ses papiers d’identité.

Awa, qui vient tout juste de retrouver un travail à mi-temps paie une mutuelle.

Awa : « J'ai pas la CMU, j'ai que le 100% et là j'ai été obligée de prendre une mutuelle

parce que j'avais pas la CMU, rien du tout! C'est l'assistante sociale qui a fait que je

puisse euh… (…) C’est 32 euros par mois. »

Jean, qui a un passé de cadre supérieur, reconnaît que les démarches sont complexes et que

l’aide de l’assistante sociale a été essentielle.

Jean : « … c’est compliqué hein, les démarches sont compliquées. »

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2. Les lieux de soins

a) La médecine de ville

Parmi cet échantillon de patients consultant à la PASS, peu ont spontanément abordé la

question de la médecine de ville.

Certains patients s’en sentent exclus. A l’instar de Jean-Pierre, ils peuvent avoir une image de

l’organisation des cabinets et de la patientèle qui les conduit à une « dissuasion symbolique60 »

et les en éloigne s’ils ne s’y identifient pas.

Jean-Pierre est convaincu que tous les médecins ont rempli leur quota de patients. Il n’y a donc

plus de place pour lui.

Jean-Pierre, à propos des généralistes en ville : « Ben ils ont leur quotas, ils ont déjà

assez de monde comme ça. »

Il fonde cette idée sur une expérience négative qu’il a eue.

Jean-Pierre: « J’ai essayé une fois, une fois. Ben il m’a dit ‘non j’ai mon quota’ qu’y m’a

dit. »

Mais il a aussi une représentation bien définie de la patientèle idéale du médecin de ville et des

motivations financières de celui-ci.

Jean-Pierre : « Ben, c’est pour les gens qui travaillent ou des gens comme ça. »

I : « Qui vous a dit ça ? »

Jean-Pierre : « Ben tout le monde ! (…) Ah non ! Parce que les médecins ils ont pas le

temps, ça les intéresse pas (de s’occuper des personnes qui ne travaillent pas, NDLA).

Ah non ! C’est compréhensible. Parce qu’ils ont pas le droit de dépasser les honoraires.

Alors eux, comme ils restent une heure, c’est le patient qui paie hein. »

Au-delà du fait de ne pas s’identifier aux patients qu’il pourrait croiser dans la salle d’attente,

Jean-Pierre a des explications peu claires qui montrent combien il s’est persuadé de ne pas avoir

sa place dans la médecine de ville. A l’entendre, il serait un patient qui demanderait un temps

de consultation trop long, et devrait payer un surplus afin que le médecin soit dédommagé du

temps passé avec lui. Il se fait une représentation d’une médecine d’abord commerçante, dans

laquelle les plus pauvres ne sont pas rentables.

Vladislav ressent aussi une difficulté à consulter en ville au vu de sa condition de vie :

Vladislav: « Oui, avant, quand j'étais dans des bonnes conditions j'avais un médecin chez

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qui j'allais toujours, et c'est lui qui m'orientait vers (…) »

Abdelkader a également connu la médecine de ville du temps où il était moins en marge. Depuis

qu’il a perdu son travail tout est plus compliqué pour lui.

Abdelkader: « Avant, avant quand je travaillais, j’en avais un. Ben oui ! Mais après….

Après j’ai changé… »

Abdelkader avait un médecin traitant en ville avant de vivre à la rue ou en foyer. Il se rappelle

du suivi régulier, de la facilité de consultation pour des motifs plus ou moins graves et aimerait

retrouver cette simplicité d’accès aux soins.

Abdelkader « C’est ça que j’aimerais, prendre un médecin traitant quoi ! Quand ça va

pas il fait des ordonnances, tout ça… c’est mieux… c’est ça que je veux faire ! (…)

Et puis pour les ordonnances. Pour les médicaments. Moi des fois je prends pas les

médicaments parce que j’en n’ai pas, alors je prends un autre médicament mais je me

dis ‘peut être que ça fait pas du bien…’ alors ça veut dire que je suis suivi par moi-

même ! Et oui, c’est pas bon ! (…)

Même pour les papiers médicaux c’est mieux avec un médecin traitant parce qu’il

peut faire les papiers qu’il faut et tout ça. »

S’il ne ressent pas un grand besoin d’être régulièrement suivi, il est en revanche souvent

l’objet de réprimandes de la part des urgences lors de consultations jugées inappropriées

(non urgentes ou trop tardives). C’est un aspect de sa santé difficile à gérer pour lui. Le

médecin traitant aurait surtout ce rôle de régulateur dans le suivi.

Abdelkader : « Non ! Mais moi si je viens et que c’est pas grave, ils me prennent pas

aux urgences ! L’autre fois je suis venu gravement, ils m’ont tout de suite mis

l’aérosol, ils m’ont dit ‘il fallait pas attendre comme ça, c’est trop grave là’.

Alors je sais pas quoi faire avec ça ! J’ai dit ‘ l’autre fois je suis venu un peu, j’arrivais

à respirer un peu, vous m’avez gardé là pendant 4 ou 5 heures, et après vous m’avez

dit de sortir, c’est tout !’ »

A propos du médecin traitant idéal: « Et quand il voit que c’est grave il m’envoie à

l’hôpital lui-même. Comme ça on me reçoit. »

A l’époque de l’entretien, il est dans le circuit de l’hôpital, navigant entre les urgences, les

rendez-vous de pneumologie très irréguliers et quelques consultations à la PASS. Il ne

ressent pas la nécessité de trouver un médecin référent en ville

Abdelkader : « Parce que j’étais suivi ici alors je me suis dit ‘à quoi ça sert d’aller

prendre un autre médecin du moment que je suis avec des médecins’. »

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Il explique qu’il n’est pas dans une logique de suivi ni de démarche de soin unifiée et

cohérente puisqu’il ne prend pas sa santé en main. A l’époque de l’entretien il a le

sentiment qu’il continuera à dépendre des urgences et de rendez-vous irréguliers à droite à

gauche.

Abdelkader : « Parce que quand vous travaillez vous… vous tenez… vous tenez…

vous-même, vous faites des choses euh… normales quoi ! Si vous tombez malade

vous allez voir le médecin. S’il vous manque ça vous allez l’acheter…. vous prenez

votre vie en main ! Par contre si vous êtes comme ça, si vous traînez dans la rue tout

ça, vous vous en foutez hein ! Vous allez pas aux rendez-vous, vous vous dîtes c’est

loin, vous êtes un peu dégouté quoi ! C’est ça hein ! »

Ce positionnement symbolique par rapport à la médecine de ville est très variable d’un patient

à l’autre et semble dépendre de son histoire et de la place à laquelle il se perçoit dans la société.

Kamel, qui a été soigné par un généraliste en cabinet avant que son AME arrive à échéance,

garde un bon souvenir de son suivi en ville.

Kamel : « Oui, franchement tout se passait bien. »

Il semble toutefois satisfait de la PASS et ne se sent pas lésé de ne pas être suivi en ville.

Kamel : « Oui oui, j’étais suivi dans le 12ème, mais maintenant je peux pas parce que là

j’ai pas l’AME, j’ai le PASS, mais après je pourrai. Mais ici c’est bien. »

Fatoumata a été suivie par un généraliste en ville à son arrivée en France et elle l’identifie

comme « sa chance » de départ.

Fatoumata : « A mon arrivée en France, ben je suis allée voir le médecin, j'ai payé ma

consultation et tout. Et comme lui-même avait constaté que mon problème de tension

était très grave, il a préféré que je sois à l'hôpital en même temps. (…)La chance que j'ai

eue c'est de tomber sur un premier médecin qui a été à mon écoute, qui m'a écoutée, qui

a compati à mon problème de santé, dans un premier temps. »

Zohra était suivie par un généraliste il y a quelques années mais celui-ci a également

préféré l’adresser à l’hôpital, au vu de la complexité de son dossier médical.

Zohra : « Avant j’étais suivie par un généraliste, mais c’est lui qui m’a envoyé ici. Il

trouvait que j’avais beaucoup de choses. »

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En revanche, pour Alain, qui a longtemps été inséré et pour qui l’exclusion a été transitoire, le

fait de devoir consulter à l’hôpital n’est pas agréable.

Alain, à propos de l’hôpital : « Et ben on n’aime pas, parce qu’il faut attendre. Et puis on

est obligé d’y être parce qu’on n’a pas de sous. Chez un médecin de ville on a

l’impression d’être mieux reconnu qu’à l’hôpital. »

Le rapport à la médecine de ville est donc très dépendant de l’image que l’on se fait de soi-

même et de sa place dans la société.

b) Les centres de médecine sociale

Certains modes de fonctionnement ou l’état d’esprit général de ces centres ont été plusieurs

fois abordés par les patients.

Jean-Pierre évoque ses passages dans un centre de médecine sociale. Il y décrit :

Une organisation très peu fiable.

Jean-Pierre : « Ben y’a du monde… les médecins sont pas toujours là… faut revenir… ah

non, c’est... c’est catastrophe. (…) Et puis ici (à la PASS, NDLA) les médecins sont toujours

là. C’est pas comme dans les autres dispensaires, pff... »

Un accueil parfois humiliant, qui renforce la culpabilité.

Jean-Pierre : « Ben…on dirait que… ils nous prennent pour des tire-au-flanc ! (…) Par

exemple, une secrétaire qui dit : ‘Et ben il a pas d’hypertension, rien du tout ! Il est

calme ! Pourquoi il reste un quart d’heure dans le cabinet du médecin ?’ Ah c’est… c’est

pas bon du tout. On se sent coupable. »

Une ambiance générale dans laquelle Jean-Pierre ne se sent pas considéré, ni vraiment soigné.

Jean-Pierre : « Oh on est mal reçu, (…) les médecins ne viennent pas, on n’a même pas le

temps de se déshabiller qu’on est déjà ressorti. Oh c’est pas bon, pas bon du tout. »

I : « Et vous ressentez quoi dans ces cas-là ? »

Jean-Pierre : « Oh on est angoissé hein, on est mal soigné et tout… Parce qu’il s’occupe

pas de nous le médecin, il fait rien… non non… (…)

Mais ils étaient toujours en retard, (…) c’était à la chaine, vraiment, même pas dix

minutes dans le bureau. »

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I : « Alors on ressent quoi ? »

Jean-Pierre : « Ben qu’on est mal soigné. »

I : « Vous avez l’impression que ce n’est pas ce qu’il faut pour votre santé ? »

Jean-Pierre : « Ah bah oui je pense hein. Je sais pas moi. Parce que c’est pas la peine

qu’on va voir le médecin hein ! »

Vladislav pose également un regard très critique sur les structures « sociales ».

Vladislav : « Je parle des médecins des organisations, des centres, soi-disant intéressés

par la solidarité tout ça. (…) Au Samu Social ou viennent les SDF. Quand vous arrivez

là-bas, tout le monde dit ‘ Ou là là... je suis ancien toxicomane, je suis en crise, j'ai

besoin de Subutex’. Et hop, ordonnance de Subutex tout de suite, sans consultation,

sans rien. (…) Finalement ce ne sont pas eux qui prescrivent, ce sont les patients qui

demandent ce qu'ils veulent. Ça, ça m'a choqué un peu! »

Il semble incriminer la philosophie générale de certains de ces centres de santé, qui

exerceraient une forme d’assistance peu professionnelle et parfois humiliante pour celui

qui est en demande d’un soin véritable.

c) L’hôpital et les PASS

PASS et hôpital étaient peu différenciés dans la façon dont les patients parlaient de ces

structures. Il nous a semblé que la PASS était considérée comme un service de consultation au

cœur de l’hôpital. Dans les représentations des patients et la façon dont ils conçoivent ces

structures dans l’offre de soins, la différence n’est pas évidente pour tous. Ainsi, les raisons

expliquant le recours à ces lieux de soins mêlent souvent spécificités de la PASS et spécificités

hospitalières.

La PASS dans l’hôpital: Un lieu qui centralise les soins

L’unité de lieu dans les différents aspects de la prise en charge aide à adhérer à la démarche de

soin et à effectuer les examens demandés.

Vladislav : « Mais y’en a beaucoup, ou là là… si on leur dit ‘il faut aller à la pharmacie là-

bas prendre le produit, il faut aller prendre rendez-vous là-bas’… ou c’est fait le jour

même, ou il faut y aller le lendemain. Donc ça leur fait deux jours. Deux jours pour aller

voir les médecins. Donc certains iront, d’autres non ! C’est ça le problème ! »

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Jean-Pierre : « Et puis ici ils font tout en même temps. (…) Ben prise de sang, scanner,

radio, tout quoi ! »

Joël, à propos d’un médecin de la PASS : « Elle m’a pas dit ‘ vous allez à tel endroit’… j’y

aurais jamais été. »

Cela simplifie le suivi chez ces patients chroniques dont les examens et consultations sont

inévitablement répétés.

Jean-Pierre: « Alors que sur les dispensaires ils font rien, ils font rien du tout, juste la

consultation. Et après faut allez faire la prise de sang là-bas, la radio là-bas, le… cavaler

partout ! »

Pour Jean-Pierre, une consultation seule ce n’est « rien ». Il inclut les examens complémentaires

au cœur de son suivi et n’est pas satisfait par un lieu de soin qui ne propose pas l’ensemble des

prestations de santé. Ou peut-être, s’il sait que cela est possible à l’hôpital, il préférera ce lieu

par rapport à un autre. Pour la médecine de ville, il a en effet invoqué d’autres raisons de ne pas

y avoir recours.

La PASS et l’hôpital garantissent aussi une unité de lieu des acteurs de soin.

Alpha : « Ici, tous mes médecins sont ici (médecin traitant généraliste, diabétologue,

NDLA). (…) S’il s’avère qu’il y a un changement ou quelque chose de plus critique, mes

dossiers peuvent être transférés, et eux ils sont à même de mieux expliquer, vous

comprenez ? Voilà, c’est comme ça que je suis »

Ce lieu unique porteur de multiples ressources (médecine générale, consultations spécialisées,

examens biologiques, imagerie) peut apporter la solution à des situations complexes et donne

le sentiment d’une omni-compétence, très rassurante pour les patients.

Et l’on peut aisément comprendre que, par ailleurs en proie à de nombreuses difficultés, à de

multiples démarches, à une vie instable et pleine de rebondissements, avoir un lieu dans lequel

ils savent que leur santé pourra être prise en charge dans toutes ses dimensions devient un

repère et une sécurité majeure. Puisque, rappelons-le, ces patients porteurs d’une maladie

chronique auront toujours la dimension « maladie » à intégrer à leur vie. Nous pourrions

imaginer un patient dire « Au moins, la santé, je sais où ça se passe, c’est ça de réglé, je peux

me concentrer sur le reste. »

Pour plusieurs patients, le suivi est engagé dans l’hôpital (PASS et hôpital confondus) et ils

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considèrent que changer de lieu de consultation ne serait pas judicieux pour eux.

Kamel: « Tout mon dossier est ici, l’ophtalmo, le diabétologue, tout. (…) Parce que

d’après moi tout le dossier il est là, ça sert à rien d’aller voir un autre médecin, de tout

lui expliquer, ici on sort le dossier et on voit tout, ça facilite la tâche. »

Vladislav : Ben quand je viens ici, c'est pas grave si c'est pas toujours le même médecin

que je connais bien, parce qu'ils ont tous mon dossier. Mais s'il fallait changer, il faudrait

tout refaire. Pour moi ça n'a aucun intérêt de quitter l'hôpital pour aller chez un privé,

non. »

Il tient au suivi rigoureux des évolutions de sa santé, grâce à un dossier médical unique.

Vladislav : « Là, quand je suis tombé malade et que je pouvais plus bouger, c'est un

médecin qui s'occupe des SDF Quai de la Rapée qui s'est occupé de moi. (…) Il m'a donné

une ordonnance pour faire un scanner en ville alors que le scanner est déjà ici. Alors j'en

ai refait un ici. »

Malgré quelques disconvenues avec son diabétologue, Alpha souhaite ne pas interrompre la

continuité de la prise en charge.

I : « Et vous avez déjà essayé d’aller voir d’autres médecins en ville ? »

Alpha : « Non, non, non ! Depuis que je suis ici, je ne viens qu’ici ! (…) Le truc c’est que

c’est par habitude. Moi personnellement, je préfère voir des gens que j’ai l’habitude de

voir. Donc lui je l’ai vu en premier, et ainsi de suite. Donc j’ai commencé comme ça et

puis ça s’est continué par habitude. »

L’hôpital, un lieu pour tous, qui permet l’incognito

Vladislav explique qu’il préfère ne pas être reconnu depuis qu’il n’a plus de domicile.

Vladislav : « Changer de coin. De Montmartre, Belleville, je suis arrivé là. Les gens ne me

connaissent pas et c'est rare que des gens viennent et me disent ‘viens chez nous ne

reste pas comme ça’(…) Et je dis : ‘Non non c'est bon, merci, je reste là’(…) ‘Mais avant

tu étais bien...’ (…) Et je leur dis : ‘Si des gens vous demandent, vous dites que vous ne

m'avez pas vu’. (…) Je veux être incognito. Ben oui parce que après ça parle! Après ça

parle! »

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L’hôpital, un lieu reconnu

L’administration donne une valeur de référence à l’hôpital.

Fatoumata : « Mon médecin m'a donc orienté vers l'hôpital parce que à la Préfecture on

ne considérait que le certificat médical de l'hôpital et les examens. »

L’hôpital, une institution administrative parfois lointaine des situations individuelles

L’hôpital ne prend pas en compte toutes les situations particulières et ne soigne pas tout le

monde.

Alfred : « Même si vous passez dans un hôpital, la première chose qu’on vous demande

c’est ‘vous avez la carte vitale ?’ si tu n’as pas ça c’est pas la peine. Je connais des gens qui

n’ont pas réussi à se faire soigner parce qu’ils n’ont pas d’AME. »

Rappelons aussi le cas de Rouffaï et de Awa qui doivent supporter des dettes hospitalières.

d) Les PASS en particulier

Un lieu ouvert, un lieu d’humanité

Joël raconte comment, après un refus de soins dans un contexte de diabète très déséquilibré, il

a finalement renoué avec la médecine par le biais de la PASS.

Joël : « En fait je suis sorti contre avis médical de Foch… elle me dit ‘je vous soigne pas à

moitié donc je vous donne pas d’ordonnance ‘. J’ai attendu une journée et demie. J’avais

plus rien ! Et quand je suis arrivé là (à la PASS, NDLA), j’ai trouvé le Dr X. J’étais à ramasser

à la petite cuiller, et ça, elle a su écouter ! Moi je suis arrivé là en me disant ‘j’espère que

ce sera fermé ‘, et comme par hasard c’était ouvert. C’était la fin de son service, elle allait

fermer et elle a dit à la secrétaire ‘tu prends plus personne’. Et quand elle m’a vu elle a dit

‘si si, je vais le prendre’. Et je suis resté une heure et demie, à parler, à faire les soins… ça

c’est un médecin ! »

A un moment donné, Joël était dans un processus relationnel médical difficile, compliqué d’un

refus de soins de sa part. Il avait alors probablement besoin de trouver un lieu où il serait

accueilli sans condition, et au moment précis où il le demandait, car il ne pouvait pas entrer

dans une démarche de soins « conventionnelle ». Il y avait donc chez lui une urgence médicale

et une urgence de relation. Il savait peut-être qu’un lieu comme la PASS pouvait répondre à ce

double besoin, alors que cela aurait été plus incertain dans un service plus « classique ». S’il ne

le savait pas, il l’a du moins expérimenté.

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Pour Alfred aussi, la PASS est un havre à part. Il parle « des hôpitaux » et de la PASS comme de

deux mondes différents.

Alfred, à propos de la PASS : « C’est pratique parce que là, déjà, y’a une chaleur humaine

déjà. C’est ça. »

Un lieu dont la prise en charge globale répond à un besoin

Alain : « Mais c’est parce que je suis pas tombé sur un médecin lambda ! Je suis tombé sur

un réseau qui avait d’autres préoccupations que le stéthoscope. C’est la prise en charge de

la personne à la rue et ça participe à la réinsertion. (…) Il fallait que ça soit cohérent. Plus

vous êtes fragile, plus faut que ça soit solide autour de vous. (…) La prise en charge est

devenue globale. »

Fatoumata : « Et puis dans le réseau on m'a guidé dans les papiers. J'ai commencé à avoir

une prise en charge par le réseau. Et puis on m'a fait un certificat médical avec des

examens que j'avais à faire et que j'ai fait. »

Jean : « Là je me suis retrouvé… quand on travaille pas c’est… Parce que vous savez,

quand vous êtes dans cet état-là vous êtes incapable de réagir. C’est terrible à dire. (…)

C’est tellement difficile… que… enfin vous êtes en dehors de tout quoi ! C’est quand même

grâce au Dr X que j’ai… et de son assistante… elle s’occupait de faire les demandes, les

papiers, les machins, j’ai eu la CMU. »

Nous le verrons dans le paragraphe dédié aux relations entre patients et soignants, des

relations humaines sont indispensables et les patients évoquent souvent les relations

vécues au sein de la PASS. Cela nous semble relever de la structure quand soignants et

personnels d’accueil sont engagés ensemble dans une démarche de « care » et qu’ils

maintiennent cette exigence parallèlement à celle de l’exigence dans la qualité des soins.

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3. Les rendez-vous médicaux

a) Vivre avec des rendez-vous répétés chez les médecins

Mamadou met un point d’honneur à être à l’heure aux rendez-vous.

Mamadou : « Ah oui c’est important d’être à l’heure, parce que si on te donne un rendez-

vous c’est pour toi, c’est pas pour une autre personne. L’heure après c’est pour une autre

personne. Alors des fois si tu es en retard on va te dire ‘C’est pas la peine, tu prends un

autre rendez-vous’. C’est pour ça je me réveille bien à l’heure pour mon rendez-vous. Si tu

es en retard 5 minutes, c’est bon, mais plus c’est trop ! »

Mais au prix d’un certain effort, lui qui ne sait pas lire.

Mamadou : « Bon, c’est pas compliqué mais… trop compliqué un peu parce que si tu

parles pas bien ou si tu sais pas trop bien lire, tu dois demander aux gens , tu dois voir

avec eux… franchement c’est trop dur ! Quand tu parles bien ou que tu connais les lire, tu

regardes les panneaux et c’est vite fait ! (…) L’hôpital il est grand. Par exemple si je veux te

voir, avant de venir ici c’est trop dur : on me dit ‘c’est là-bas, là-bas’… presque une heure

pour trouver ! Donc si j’ai rendez-vous à 8h, faut que je me lève 2 h avant mon rendez-

vous, une heure pour venir ici et une heure pour trouver ».

Il raconte aussi un rendez-vous de radiologie dont il n’a jamais réussi à trouver le lieu.

A travers son récit, l’on sent bien que chaque démarche de soin est difficile sur ce plan de

l’orientation, et le ramène à sa condition de migrant illettré, en quelque sorte « inadapté » au

système. Pourtant, Mamadou ne présente pas les rendez-vous comme des contraintes pénibles.

Alors qu’on le questionne sur l’organisation à mettre en œuvre pour les rendez-vous et les

examens complémentaires, il commence par dire « bon, c’est pas compliqué », puis il développe

ses difficultés d’orientation.

Pour certains patients, la gestion des rendez-vous est intégrée au mode de vie, quels que soient

les efforts que cela demande.

Kamel : « Je suis habitué maintenant. De voir les médecins, de faire les contrôles, on

accepte ! »

Rouffaï : « Quand je sais que j’ai rendez-vous je prends ma journée et je viens le voir. Mon

patron il sait ! Il sait que chaque début de mois je dois voir mon médecin pour faire des

analyses, du bilan. Par exemple ça : j‘ai pris rendez-vous pour le 11 janvier bon ! Il sait que

j’ai rendez-vous mon patron. »

Celou : « Faut savoir s’organiser quand même hein. (…) C’est vrai que dans le travail,

quand je fais des intérims, je dis lorsque j’ai besoin d’un jour, deux jours, voilà c’est euh…

c’est ma santé d’abord ! Si j’ai des rendez-vous, j’essaie de les mettre le plus tard possible.

Mais ça me dérange pas. »

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Celou n’a parlé de son diabète de type 1 à personne au travail et il cherche surtout à mettre fin

à sa situation d’intérim pour stabiliser ses revenus.

Pour Zohra, dont les multiples pathologies l’obligent à se rendre régulièrement chez divers

spécialistes, l’exigence des rendez-vous répétés est une contrainte pénible, elle qui souffre

d’asthénie chronique :

Zohra : « Ça me fatigue beaucoup. Les trajets, attendre, tout ! Par exemple aujourd’hui

j’étais ici, demain j’ai rendez-vous à Georges Pompidou pour la stomato et les oreilles. »

Cette dépendance à différents lieux de soins et aux consultations fréquentes est aussi un des

aspects qui l’empêche de trouver un logement confortable n’importe où.

Zohra : «Donc ils m’ont envoyée à la Croix Rouge à Boissy Saint Léger. (…) C’est loin pour

les hôpitaux. Donc après… (…) Oui parce que j’ai ici, j’ai l’hôpital Cochin, j’ai Georges

Pompidou. »

Pour Joël, les consultations ne sont pas un problème dans la gestion de son diabète de type 2.

Joël : « Non, je sais que quand j’arrive là c’est pour trois-quarts d’heure, c’est trois-quarts

d’heure utiles ! »

Assetou perçoit de façon encore plus positive les consultations car elles représentent pour elle

un lieu de vie.

Assetou: « Ca m’embête, parce que quand je marche ça me fait mal, mais sinon c’est pour

moi comme une sortie, parce que sinon je ne fais rien. Pour moi, en dehors d’aller chez le

médecin je ne vais nulle part. Sauf quand c’est loin, ça me fait trop mal. »

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b) Ne pas avoir d’activité professionnelle et se sentir débordé

Jean-Pierre, travailleur handicapé à la retraite, évoque un emploi du temps chargé lorsqu’on

l’interroge sur le suivi médical régulier :

Jean-Pierre : « Ah oui parce qu’on n’a pas que ça à faire, on a des rendez-vous partout, des

contraintes… »

Il honore ses rendez-vous et vient consulter très régulièrement. Mais, alors qu’il est à la retraite,

il souligne le fait que ses journées sont bien remplies.

Jean-Pierre : « Par exemple ce matin, j’avais rendez-vous ce matin, mais j’ai pas pu venir

alors je suis venu l’après-midi. J’avais un rendez-vous pour les papiers et tout,

administratif »

Il nous a annoncé en début d’entretien qu’il n’avait pas beaucoup de temps à nous consacrer et

nous a quittée sur ces mots.

Jean-Pierre : « Oh oui, j’ai encore des commissions à faire, oh on n’arrête pas ! Des

contraintes sans arrêt ! »

c) Prise de rendez-vous et consultation libre

Plusieurs patients estiment que l’accès aux consultations médicales est simple.

Kamel : « On a besoin d’un rendez-vous on prend un rendez-vous, on vient on voit le

médecin, on discute avec les médecins… jusqu’à présent on n’a jamais eu de difficultés. »

Awa : « Quand je veux les voir, c’est sans problème : j’ai un rendez-vous et ils me

reçoivent ! »

D’autres évoquent les délais d’attente ou les dates qui n’arrangent pas toujours.

Zohra : « Il faut attendre, 1 mois, 2 mois, parce qu’il n’y a pas de place, il y a beaucoup de

gens alors il faut attendre. »

Fatoumata, à propos de l’hôpital : « Bon... (soupir) ... non... les difficultés c'est que tu dois

attendre un peu. On te donnera pas un rendez-vous quand tu veux, mais tu auras quand

même un rendez-vous. »

Abdelkader : « Et puis quand on donne un rendez-vous c’est 6 mois, c’est 3 mois. Alors

des fois je suis obligé de venir aux urgences pour me soigner. »

Ces délais d’attente seraient un aspect négatif de l’hôpital.

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Fatoumata : « Oui et ça dépend où tu vas. Dans les hôpitaux tu attends un peu, chez les

médecins dans les cabinets tu attends moins! »

D’autres encore apprécient la consultation sans rendez-vous.

Jean-Pierre : « C’est sans rendez-vous ici. »

A propos de savoir si cela lui plaît « Oui oui ! »

Cela lui permet en effet d’adapter la date de sa consultation. Il fixe une date approximative avec

le médecin et ajuste au dernier moment le jour et l’heure où il viendra, lui qui se sent souvent

débordé.

Pour Abdelkader, il semble que ce soit l’existence d’une consultation sans rendez-vous au sein

de l’hôpital qui lui ait permis de faire une démarche de demande de soins, au moment précis où

il en ressentait le besoin.

Abdelkader : « Ici c’est sans rendez-vous, c’est pratique. Parce que je m’en rappelais plus,

et dans la semaine je me suis dit ‘il faut que je trouve un médecin, il faut que je voie un

médecin’, et après je me suis souvenu ‘mais y’a un médecin à l’hôpital ! Je vais allez voir’.

Alors c’est pour ça que je suis venu. »

Pour lui, qui a longtemps eu recours aux urgences uniquement, planifier les soins paraît

incompatible avec sa façon de vivre et son approche de sa santé.

Joël a également consulté pour la première fois à la PASS sans l’avoir planifié, de façon un peu

désespérée. Il ne souhaitait probablement pas avoir recours à un service d’urgences mais il avait

besoin d’un lieu de soins qui pouvait l’accueillir sans délai.

Depuis, il s’inscrit dans des soins organisés avec un système de rendez-vous.

d) L’attente, expérience pénible ou impossible

L’attente est pénible pour l’immense majorité des patients, quels que soient leurs modes de vie

et leurs contraintes.

Zohra : « Le plus compliqué c’est quand je viens et qu’il faut attendre beaucoup. Par

exemple aujourd’hui j’avais rendez-vous à 9h30 et pourtant je suis rentrée tard. »

Jean-Pierre : « Bah, parce que ici c’est plus facile, ça va beaucoup plus vite. »

A propos de ce qui va plus vite : « L’attente… et puis les médecins sont toujours là. C’est

pas comme dans les autres dispensaires (soupir). »

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Vladislav, qui n’a pas de domicile, apporte son témoignage et se fait également la voix d’autres

compagnons, expliquant ce que peut être l’attente aux rendez-vous : si elle est un exercice de

patience difficile, elle représente aussi l’angoisse d’une perte de revenus et la crainte de ne pas

trouver de toit pour le soir-même. Nous le rapportons ici, pensant qu’il parle peut être de façon

indirecte et pudique de ce qu’il a vécu dans le passé.

Vladislav : « Oui! C'est un gros effort de venir parce que tant qu'il est là, il est nerveux, il ne

peut pas fumer, il ne peut pas boire. Pour ceux qui, comme moi, ne fument pas, ne boivent

pas, tant qu'ils sont là, ils ne peuvent pas faire la manche. Pour moi c'est pas grave, mais

certains ont tout prévu et savent ce qu'ils doivent acheter dans la journée. Ils doivent

acheter une boîte à manger, un saucisson, un paquet de cigarette, ils ont tout calculé.

Quand ils sortent de la consultation il faut qu'ils trouvent 15 ou 20 euros minimum!

Problème d'argent! Pour moi ça a été un grave problème, parce que je parle de personnes

comme moi qui n'ont aucune ressource. Avec le RMI c'est différent, ça donne le temps de

respirer. Mais tant qu'on est là… Ou alors on a un peu d'économies, comme j'ai moi, on

peut se permettre. Moi je me permets, j'ai toujours une boîte de réserve, donc je me dis

demain sera un autre jour. La journée que j'ai perdue pour me soigner, c'est pour moi,

c'est pour mon bien. Mais d'autres ne se permettent pas car ils sont complètement dans la

rue. Donc soit ils ont un problème pour savoir où dormir. Ils appellent le 115, mais après

avoir écouté la musique pendant une heure ils sont découragés, et laissent tomber, donc il

faut prévoir autre chose. »

Son minimum de ressources lui permet d’avoir une petite avance matérielle et de patienter lors

des rendez-vous médicaux.

Mais quand un effort a déjà été fait en amont pour se rendre dans le lieu de soin, l’attente peut

définitivement décourager.

Vladislav : « Mais de soi-même on n’y va pas. Parce que: vous êtes décidé, vous avez pris

une douche, vous vous êtes rasé, vous êtes bien... et quand vous arrivez vous voyez 20

personnes, vous vous dites ‘je reviendrai demain’ et le lendemain il y a 10 personnes.

Vous vous dites ‘oh, on verra ça un autre jour…’ et c'est comme ça... le plus tard

possible… et la santé se dégrade. »

Ce témoignage souligne également combien la demande de soin la plus simple peut demander

un effort important pour les personnes très désocialisées, de la prise de décision au bureau du

médecin.

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e) L’ oubli

Alpha, exprime de façon très claire que le fait de vivre avec des soucis augmente le risque

d’oubli. Et ceci d’autant plus que des préoccupations autres que la santé passent au premier

plan et que la maladie est silencieuse.

Alpha : « On peut être chez soi et oublier ! Parce que il y a le rappel donc il y a l’oubli ! (…)

On travaille, on a des problèmes familiaux, on a pas mal de choses… le cerveau, malgré

ses plus de 513 mémoires, ne peut pas tout nous faire rappeler ! Il nous ramène aux

choses qui nous affligent le plus. Si on a un problème au niveau de la famille, du coup le

rendez-vous avec le médecin passe à la trappe, vu que physiquement on se sent bien. Du

coup il n’y a plus d’alerte puisque au même moment on pense que nos parents ne vont pas

bien et qu’il faut leur ramener un peu d’argent parce que c’est difficile pour eux. Du coup

on oublie le rendez-vous. »

Comme d’autres patients, il essaie de s’organiser en conséquence, ce qui montre qu’il souhaite

tout de même optimiser au mieux son suivi, malgré une vie compliquée et pleine de

préoccupations.

Alpha : « Or si il est placardé on le voit et on se dit ‘ah tiens j’ai rendez-vous’ et on se met

une alerte sur le téléphone et puis basta ! »

Mais il se souvient du temps où il était hébergé chez des compatriotes; la tâche était alors plus

difficile.

Alpha : « On maîtrise moins sa vie quoi… parce que on a des rendez-vous… il faut

reconnaître que j’avais un rendez-vous mais j’avais tellement de boulot, j’ai zappé. (…)

J’avais toutes les feuilles dans mon sac, et j’avais tellement de choses à faire que je ne

savais plus si j’avais rendez-vous avec un médecin. Là (depuis qu’il est chez lui, NDLA) j’ai

fait un emplacement dans ma cuisine, j’ai tout placardé, je suis tranquille. »

Ce n’est pas le cas de Joël, qui dort à la rue ou chez des amis, (en lit infirmier au moment de

l’entretien). Il dit qu’il n’oublie pas les rendez-vous.

Joël : « C’est rentré dans une vie courante pour moi de dire ‘tel jour tel jour j’ai rendez-

vous là ou là’. C’est noté, c’est comme quand on travaille et qu’on a un rendez-vous à la

médecine du travail ou autre chose, c’est gravé ! C’est noté, c’est noté !(…) Par exemple

j’ai un rendez-vous le 22 février à 16h45, et ben je le sais. »

Mais il se donne le droit de rater une consultation s’il ne souhaite pas y aller. Il invoque alors un

oubli.

Joël : « Je vais rater le rendez-vous seulement si je veux pas le faire. (…) Si je veux pas le

faire je prendrai la bonne excuse : ‘ Ah ben… j’avais oublié’ ! »

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Zohra quant à elle, confie qu’elle oublie de temps en temps les rendez-vous malgré un effort

pour s’organiser.

Zohra: « Des fois j’oublie oui. (…) Je sais pas, y’a des fois où je raccroche tous les rendez-

vous et j’oublie un rendez-vous . J’ai tous les rendez-vous accrochés sur des feuilles. (…)

Ben je téléphone tout de suite, je dis que j’ai oublié et on me donne un autre rendez-

vous. »

Pour Abdelkader, l’oubli d’un rendez-vous a des conséquences majeures car les délais d’attente

se multiplient. Il n’est pas en mesure de gérer ces contraintes et c’est un facteur de plus qui le

maintien dans un système de recours inapproprié aux urgences.

Abdelkader: « Ben j’ai loupé un rendez-vous ! Mais si on loupe un rendez-vous, il faut

prendre un autre rendez-vous et ça dure longtemps hein ! Et puis quand on donne un

rendez-vous c’est 6 mois, c’est 3 mois … alors des fois je suis obligé de venir aux urgences

pour me soigner ! »

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C. Les traitements et les règles hygiéno-diététiques

1. Le traitement au long cours

L’idée de prendre des comprimés est désagréable pour certains.

Fatoumata : « Justement ça m'embête parce que prendre des médicaments tous les jours

ça... ça m'embête.(…) Ben... ce qui est embêtant c'est tous les jours être en train de

prendre des comprimés, c'est pas agréable! (…) Des fois c’est chiant de dormir avec

l’appareil.»

Pour Joël, la problématique du traitement par antidiabétiques oraux et le régime antidiabétique

est très complexe. Elle nous semble liée à la fois aux difficultés d’acceptation de sa maladie et à

ses relations avec les soignants.

Quant à l’insuline, cela lui paraît inenvisageable.

Joël : « Alors là, l’insuline, c’est non ! C’est clair c’est non ! On peut en parler, me dire ‘tu

te piques’… non ! »

Il dit qu’il ressent un certain mépris à l’égard des patients qui s’accrochent à des traitements

inutiles et y voit un signe de faiblesse.

Joël : « Vous savez y’a des gens qui attendent le petit bonbon du soir, bêtement vous

savez, on sait même pas à quoi ça sert, on va le chercher, si on peut avoir un en plus, on le

prend en plus. Moi les soins c’est le minimum qu’on peut avoir. (…)Pour moi euh, c’est une

drogue, on a l’accoutumance. »

La CPAP nocturne est un désagrément qui s’ajoute à tout le reste pour Awa.

Awa : « Des fois c’est chiant de dormir avec l’appareil. »

Jean-Pierre et Alpha, respectivement sous antihypertenseurs et antidiabétiques oraux ne

semblent pas gênés par les prises médicamenteuses.

Jean-Pierre : « Oh, ça me dérange pas. Non. »

A propos d’éventuels oublis : « Oh non non, je les prends tous les jours. »

Alpha : « Sincèrement pour vous dire, moi je vis normalement. Moi je me focalise pas sur

ce truc, je vis comme s’il n’existait pas. Je prends un médicament et puis basta ! Ça ne joue

pas sur mon boulot, le médecin m’a examiné. Ça ne joue pas sur mon boulot du tout.

Parce que c’est d’abord psychologique donc si je me focalise dessus, après euh… j’aime

pas me morfondre sur les choses. Voilà. »

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Alpha est en revanche très soucieux des effets secondaires et se documente pour surveiller les

prescriptions de son diabétologue.

Mamadou fait référence à la notion de nécessité plutôt qu’à celle de contrainte pour parler du

traitement.

Mamadou : « Pour moi c’est pas difficile, pare que si t’es obligé c’est pas difficile. »

Les patients porteurs d’un diabète de type 1 évoquent tous les fortes contraintes imposées par

l’insuline et les règles hygiéno-diététiques.

Kamel : « Ben… c’est prendre tous les jours l’insuline, il faut contrôler le diabète, il faut pas

manger comme avant, il faut faire un régime spécial… euh donc c’est un peu gênant

quoi…. Et après voilà ! Il faut accepter quoi. »

Celou : « C'est c'est...euh... en plus j'en ai marre là... diabétique c'est quelque chose....

c'est une maladie bizarre franchement... t'es trop limité là.... tu dois faire très attention à

ce que tu manges, à ce que tu fais, à ce que tu bois...voilà c'est c'est … c'est une maladie

euh... mortelle quand même hein! Si tu fais pas attention tu ...tu... ça y'est , y’a l'infection,

les complications... y’a tout hein! (…) Y’a le réglo, l’équilibre, il faut tout régler hein ! C’est

un devoir ! »

Awa: « Si je n’avais pas la maladie, là je pense que j’aurais pas à me plaindre, ni à me

casser la tête à tout moment, ou me dire ‘ah, demain comment je vais faire ? Il faut que je

me pique, il faut…’ Tout ça n’existerait pas ! Parce que je sais que je n’aurais pas à me

piquer, pas à prendre les médicaments, je serais tranquille ! Vraiment à l’aise ! Sans la

maladie quoi ! »

Quand Awa parle de sa maladie, le poids du traitement vient vite sur le devant de la scène.

« Sans la maladie » pourrait alors se résumer à « sans traitement ». Plus tard elle évoque aussi

les rendez-vous répétés et les inquiétudes dues aux complications comme lourds désagréments.

Pour Abdelkader, le traitement au long cours de la BPCO est à l’image du reste de la gestion de

sa pathologie, très irrégulier et plutôt de l’ordre de l’aigu que du chronique.

Il dit avoir conscience de la nécessité du traitement.

Abdelkader : « Ben oui ! On me l’a dit déjà ‘ça tu le prends toute ta vie’ ! (…) On peut pas

arrêter un traitement comme ça !(…) Ah bah non ! Non ! (…) Comment ça ! Ben si vous

arrêtez les poumons ils s’arrêtent. »

Mais en écoutant son récit et la façon dont il a recours aux soins, l’on comprend qu’il prend ses

traitements de façon très discontinue.

Abdelkader : « Moi des fois je prends pas les médicaments parce que j’en ai pas, alors je

prends un autre médicament mais je me dis « peut être que ça fait pas du bien… » Alors ça

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veut dire que je suis suivi par moi-même ! Et oui, c’est pas bon ! »

Abdelkader est assez ambivalent dans ses explications. Il est vrai que, dans le cadre de la BPCO,

un épisode de décompensation est un aspect aigu de la maladie et la nécessité du traitement

est alors évidente. Mais au long cours, cela est moins facile à appréhender. Naviguer de l’un à

l’autre n’est pas évident.

Pour les patient moins désocialisés, le suivi de la pathologie et la prise des traitements restent

indispensables, même s’ils engendrent des dettes ou des désagréments.

Rouffaï est sous traitement médicamenteux pour son VIH. Lorsque nous abordons la question du traitement -contraignant et porteur de nombreux effets secondaires- il balaie le sujet et revient rapidement sur la question de ses papiers.

I : « Vous arrivez à suivre votre traitement ? »

Rouffaï : « Voilà ! J’arrive à suivre mon traitement. »

I : « Et pourtant c’est un traitement lourd. »

Rouffaï : « Non non ! Je supporte ! Je supporte les traitements ! Moi mon problème c’est

que… c’est quand je pense que j’ai tous ces problèmes avec ma carte bancaire,

franchement ça me donne envie de péter un câble ! Franchement !(…) Parce que moi le

problème de maladie c’est pas un problème pour moi ! Je vous explique pourquoi. Parce

que j’ai toujours honoré mes rendez-vous à l’hôpital, je prends mes médicaments euh… ça

va mieux. »

Plus tard il expose ses prises médicamenteuse, un peu comme si elles étaient une formalité.

Rouffaï : « Je les prends le matin. Y’en a que je prends le soir et… voilà, ça passe. Parce que

je prends tous les médicaments le matin, et y’en a 2 ou 3 que je prends le soir. Surtout le

Keppra et… la Dalacine, je prends ça le soir et ça va. Je mange bien et y’a pas de

problème ! Au niveau de la prise de médicaments c’est pas un souci ! »

Celou semble également très scrupuleux dans le traitement de son diabète de type 1 et fait tout

pour que cela ne nuise pas à son travail.

Celou, à propos des piqures d’insuline sur son lieu de travail : « Oui, obligé ! Le midi. C’est

le lunch quoi !(…) J’ai toujours mes trucs sur moi quoi. (…) Je suis quelqu’un de très discret,

voilà… je me pique, je me mesure... trente minutes je travaille ! »

A propos de la gêne que cela pourrait lui apporter : « Non, je fais mon travail, je me pique

et puis voilà ! »

Pour lui le traitement est essentiel car il en comprend les enjeux et craint les complications du

diabète.

Celou : « Si tu peux te soigner quand même bien, là… tu peux vivre des années bien

hein !… 30 ou 40, ou même allez, 80 ans ! Mais si tu te galères, tu vas pas aller loin là ».

Il en est de même pour René, sous traitement pour un VIH, qui n’envisage pas de diminuer la

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vigilance apportée à sa pathologie, même si sa situation sociale venait à s’aggraver :

René, imaginant qu’il n’ait plus de couverture maladie : « Ah non ! Je suis obligé d’avoir

un traitement. (…) Non ! Là je chercherais à me soigner quand même. Ah non, non, non,

pour ça y’a pas de problème. »

« Non, là c’est un truc… j’ai toujours un suivi… par exemple en 10 ans, j’ai jamais… à part

une fois, c’était technique, c’est-à dire que je me suis retrouvé en province et j’avais pas

mes médicaments sur moi donc j’ai pas pu les prendre. Mais c’est pas la trithérapie qui

m’a gêné, c’est la tension qui m’a gêné. La trithérapie je l’ai reprise le lendemain et puis

voilà. Mais ça m’est arrivé une fois en 10 ans ! Donc euh… non, je suis bien ce problème-

là. »

2. Les ruptures thérapeutiques

L’une des difficultés est bien sûr de tenir les contraintes sur la durée sans se décourager.

Fatoumata: « De tenir dans la durée. S'il fallait faire un seul régime ça irait mais là il faut

tenir... oui... »

Awa : « C’est fatigant le diabète : tu sais, tous les jours se piquer, ça fatigue »

Fatoumata semble souffrir du fait qu’elle n’arrive pas à maigrir. Ses efforts sont vains à cause de

ses irrégularités.

Fatoumata : « Oh... c'est un peu agaçant parce que déjà le poids qu'on m'a accusé, enfin

pas « accusé » mais que j'arrive pas à stabiliser, c'est parce que y’a des jours où on est

complètement détraqué, on se jette sur ce qui ne faut pas. Comme je vous ai expliqué je

fais parfois un régime bien bien bien, je perds du poids, et puis un matin... on en a marre,

ça fait comme une petite dépression. Bon après...ça redevient calme. (…) Voilà! On tient,

on lâche... déjà avec le métier qu'on fait, qui n'est pas facile non plus »

A l’entendre, elle n’est pas indifférente à la nécessité de perdre du poids. Son expression «on

m’a accusé » dit peut être le fait qu’elle ressente des critiques excessives des médecins par

rapport à sa difficulté de maigrir, et que ses efforts ne sont pas reconnus. Elle fait le lien entre

sa situation de vie et sa difficulté à tenir les exigences du régime.

A propos du régime, Celou et Awa expriment d’ailleurs que c’est un objectif qui leur semble

acessible.

Awa : « Le régime ça coûte cher que si tu n’as rien ! Là en ce moment, comme je me

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débrouille seule à faire des petits boulots, mon régime ça va. (…) Si tu as un peu de

ressources ça devrait aller. (…) Si tu es autonome tu vas faire ton régime selon les trucs

que tu as, selon les courses que tu vas faire. »

Celou : « Je mange moins gras et puis voilà, quoi, c'est ça le régime, surtout des poissons,

voilà. »

Celou raconte les périodes d’interruption thérapeutiques.

Celou : « Pour l'instant ça va, ça marche, je ... ouai des fois j'en ai marre je prends même

pas le... la piqure pendant 2 -3 jours. J'en ai marre. Après je commence à boire! Si je bois

c'est… c'est... enfin je mange plus... enfin je suis énervé donc voilà je... je pense à mon fils

donc euh... je bois de la bière et... voilà... y’a plus d'appétit, y’a plus de piqure... et après je

me rattrape là... voilà, voilà... je vis comme ça! »

Nous avons vu plus haut qu’il était soucieux d’équilibrer son diabète de façon optimale. Il

attribue ces écarts à ses préoccupations, et à son « ras-le-bol » d’une vie trop dure.

Celou : « Comment dirai-je c’est… c’est une sorte… « flash-back » ! « Flash-back » c’est …

c’est voilà ! Je… des souvenirs à moi, et puis des années passées avec euh… tu vois je… des

personnes à l’époque quoi … et puis là c’est … un moment… pour tout le monde hein, y’a

des moments comme ça … qui a passé des bons moments et puis…voilà c’est…et tu te

demandes qu’est-ce que tu fous ici en France … (soupir) n’importe quoi ! Et puis voilà

c’est… Et après je… euh… ouai c’est… je commence à boire un coup, et puis je mange plus

et puis… je fais des conneries des fois hein ! Enfin, ça arrive… »

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IV. RELATIONS AVEC LES SOIGNANTS

A. Les positions vis-à-vis de l’autorité médicale

1. La délégation d’autorité

Plusieurs patients ont une grande confiance en leur médecin et ne remettent pas en cause ses

décisions. Ils semblent installés dans des relations de type paternaliste et idéalisent parfois le

corps médical.

Mamadou : « Du moment qu’on me dit de prendre le traitement. »

Awa : « On me dit de faire ci et ça, d’aller ici et là. »

Zohra : « Le médecin il fait tout ce dont on a besoin. »

Abdelkadder « A mon avis à moi les médecins ils sont tous bons, parce qu’ils reçoivent

les malades par gentillesse, tout ça (…) Voilà c’est ça, y’a pas de mauvais médecin. »

2. L’implication dans les décisions, la volonté d’information, les critiques, les

exigences

Pour d’autres, il est important de bien connaître sa maladie ou de vérifier la cohérence des

propositions médicales.

Celou se renseigne sur le diabète de type 1.

Celou : « Moi je lis hein, je vais sur internet, je lis des bouquins de diabétologue, tout là,

pour savoir… plus ! (…) Y’a tes yeux… les reins… tout là… tout tout tout tout ! C’est…»

Alpha a été victime d’une erreur médicale en Côte d’Ivoire où une infirmière avait, dit-il, pris la

liberté de lui prescrire de l’insuline pour son diabète de type 2, sans avoir consulté de médecin

au préalable. Marqué par cet épisode, il contrôle les traitements prescrits et leurs effets

secondaires, bien qu’il semble rassuré d’être en France et de pouvoir bénéficier d’une médecine

de qualité.

Alpha: « Et en France j’ai dit que j’étais diabétique, on a fait les bilans, et je ne prends

pas d’insuline. Je suis tranquille. »

Lors de l’entretien il s’inquiète des effets secondaires de l’Avandamet dont il a entendu parler

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dans les médias et ne comprend pas pourquoi son diabétologue ne l’en a pas prévenu. Il a été

déçu de son attitude et estime qu’un médecin se doit de donner ce type d’informations à ses

patients. Il ne souhaite pas changer de thérapeute car il est « habitué à lui », mais il attend une

mise au point.

Alpha : « Ils ne doivent pas attendre qu’on vienne les voir ! Moi, il a fallu que je vienne et

que je lui dise « attendez monsieur vous me prescrivez ça mais par contre on a dit que ça

allait être interdit !

Mais je veux simplement qu’il change d’attitude, qu’il soit plus enclin avec ses patients.

Je dis pas que c’est avec moi ! Je dis pas qu’il fait une discrimination ! Je dis simplement

que j’ai pas compris pourquoi il a voulu encore me prescrire l’Avandamet. C’est pas à

moi de lui apprendre son métier. C’est lui qui est sensé connaître les médicaments, les

effets secondaires. C’est lui qui doit être au fait de la médecine par rapport aux effets

secondaires des médicaments qu’il attribue aux patients. (…)Je le vois mercredi

prochain, je verrai avec lui. Il faut que je lui demande s’il n’y a pas eu de souci entre

temps avec la Metformine. On m’a dit qu’il n’y a avait aucun souci, mais les

médicaments ne sont pas toujours sûrs à 100%, il y a toujours des effets secondaires. »

Vladislav a, lui aussi, un regard plutôt lucide sur certaines faiblesses des médecins.

Sur un ton bienveillant :

Vladislav : « Moi j’ai remarqué que si vous passez parmi les premiers, le médecin est de

bonne humeur, mais si vous passez parmi les derniers, il est fatigué ! Il faut le

reconnaître ! (…) Et moi je voyais bien les médecins… si je passais parmi les derniers ils

me disaient ‘C’est pour la même chose que d’habitude?’ avec un petit sourire, et on

parle pas beaucoup et ils n’expliquent pas beaucoup, et ça va plus vite. »

Ou révolté par des attitudes négligentes :

Vladislav : « Mais, je vais vous dire honnêtement, certains médecins ne prennent pas

leurs patients au sérieux. (…) Finalement ce ne sont pas eux qui prescrivent, ce sont les

patients qui demandent ce qu'ils veulent. Ça, ça m'a choqué un peu! »

Il n’hésite pas à remettre en cause certaines décisions. Par exemple, lorsqu’on lui demande de

faire un scanner dans un lieu précis, il préfère venir à l’hôpital où se trouve son dossier car il

trouve cela plus cohérent pour le suivi des résultats. Lorsqu’il pense que cela est nécessaire, il

revendique le droit à bénéficier de certains examens complémentaires ou d’une hospitalisation.

Il a aussi son avis sur les diagnostics médicaux et a le sentiment que l’on sous-estime souvent la

gravité des pathologies chez les patients sans domicile.

Joël ne supporte pas l’idée même d’autorité médicale. Elle est pour lui une soumission, une

aliénation. Toute proposition de soin doit être discutée, expliquée. Il a besoin de se

réapproprier chaque décision et de montrer qu’elle vient de lui.

Joël : «Les médecins ils disent ‘c’est nous qui avons raison… taisez-vous… faîtes c’qu’on

vous dit !’ (…) Par exemple le Dr X elle m’a dit tout à l’heure ‘vous ferez cette prise de

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sang dehors’. J’ai dit non ! Non ! J’en ai fait une il y a une semaine, pourquoi faire celle-

là ? J’apporterai les résultats et voilà. C’est tout ! »

A propos du traitement diabétique : « C’est que du moment que je prenne conscience

que je dois le faire. Mais c’est la façon d’annoncer euh… j’vous dis, c’était insuline,

y’avait pas de dialogue. »

A l’entendre, on a le sentiment qu’il a peur de ne plus exister si l’on décide à sa place, de perdre

sa liberté.

Joël : « Ben oui, si je me laisse aller, tout le monde va faire tout ça à ma place et je serai

plus qu’un légume, un petit pion qu’on va bouger comme on veut. »

Joël n’apprécie pas qu’on lui donne un rang d’ignorant qui n’aurait pas son mot à dire dans le

choix du traitement, ou le programme de soins.

Joël : « On m’a dit c’est insuline, et hop, pas de discussion. (…) On m’a imposé un menu

quoi. Diabétique-menu! »

Il revendique le fait d’être lui aussi « sachant » afin de réduire l’écart de connaissances qu’il a

avec les médecins.

Joël : « On m’avait dit ‘ faut voir un diabétologue, c’est grave’. J’ai dit ‘ je sais, j’ai une

formation premiers secours donc j’connais l’truc’. »

Il a l’impression que certaines relations médicales sont fondées sur cette différence de savoir et

que cela le rabaisse.

A cause de droits qui n’étaient plus à jour, Alfred a rencontré des refus de soins. Actuellement, il

estime qu’il ne bénéficie pas de soins de qualité. Selon lui, nombre d’intervenant de santé ne

prodiguent pas de bons soins mais entretiennent la dépendance des patients dans un but

lucratif.

Alfred : « On m’envoie dans un centre de rééducation qui ne fait rien et qui encaisse les

séances avec la carte vitale! (…) Y’a rien ! Y’a pas de progrès ! Y’a aucune machine !

Même le vélo à pédaler n’existe pas dans ce machin ! (…) Vous avez l’impression qu’ils

font quelque chose pour que vous puissiez marcher avec un déambulateur et donc vous

recommencez chez eux. Alors ils font marcher votre carte vitale ! »

A propos d’une clinique : « Mais ils vous font rien de bon ! Quand ils sont là, ils vous

prescrivent un examen qui est très cher. Je sais même pas s’ils s’entendent avec les

machins pour lui donner du pognon. »

Alfred se sent victime d’une grande injustice dans les soins et pense qu’il pourrait bénéficier

d’améliorations motrices si les médecins étaient plus honnêtes.

Alfred : « Les docteurs c’est par relation qu’ils travaillent aujourd’hui ! Quand on parle

du déficit de la sécurité sociale : ce ne sont pas les malades qui font le déficit hein ! Ce

sont les médecins de ceci cela. C’est les amis qui s’entendent C’est terrible ! »

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B. Les souffrances, les attentes

1. Les regards stéréotypés de la part des acteurs de santé

Depuis qu’il a été diagnostiqué « diabétique de type 2 », Joël a le sentiment que les soignants

voient en lui le diabétique avant de voir l’homme.

Joël : « Quand vous êtes malade, vous vous la fermez ! (…) On vous met dans un tiroir :

‘diabétique taisez-vous’ ! (…) Là c’était : ‘casier machin, allez voir le diabétologue et

taisez-vous !’ (…) Ils m’ont dit ‘avec ça, vous êtes pas d’accord, vous partez ‘. Mais toutes

les maladies c’est comme ça : vous êtes diabétique, épileptique, on vous met dans une

case, vous devez prendre le médicament qu’on veut, c’est comme ça, y’a pas de

dialogue ! »

Vladislav souffre du regard stéréotypé que l’on pose sur lui en raison de sa situation sociale,

comme si l’être humain se résumait à son mode de vie. Il rappelle que chacun possède une

histoire et invite à comprendre les parcours personnels plutôt que de juger la situation actuelle

brute.

Vladislav : « Moi j’ai remarqué que pour eux (les soignants, NDLA), quand on dit SDF

c’est…. (…) Et c’est vrai, ce fameux ‘SDF ‘. Quand l’assistante sociale dit ‘nous avons

beaucoup de SDF’ ! C’est comme un tampon ! J’aime mieux qu’on me dise ‘clochard’.

C’est dans le dictionnaire clochard… seulement quand quelqu’un vous connaît et vous dit

sans faire exprès ‘vous êtes toujours SDF ?’, les gens se mettent trois sièges à côté !

Comme si le SDF était contagieux ! C’est vrai qu’il y en a qui sont pouilleux, qui sont

sales… il y en a ! Mais quand même, il faut se poser la question : à cause de quoi ?

Pourquoi il est dans la galère ? »

Selon lui, les médecins font preuve d’une méfiance générale envers les personnes sans

domicile, assortie de préjugés sur leur façon de profiter de l’hôpital.

Vladislav : « Parce que les médecins se disent ‘Oh ! Y’en a beaucoup qui viennent pour un

oui ou pour un non ! (…) Moi, je cherche pas à être hospitalisé parce qu’il fait chaud.

Certains médecins ne comprennent pas ça. (…) Avec moi au début, c’était un peu froid,

pour dire honnêtement, mais quand ils ont vu que c’était pour une vraie maladie….»

Vladislav a le sentiment que ces à priori entraînent des inégalités et qu’il ne bénéficie pas des

mêmes soins que la population générale.

Vladislav : « J’ai dit ‘Vous avez une place pour être hospitalisé?’ On me dit ‘Vous savez…

votre cas n’est pas tellement grave’. Je dis ‘mon cas n’est pas grave parce que je suis

SDF’ ! Je suis resté boire un café, j’ai fini de lire le journal, et un monsieur sort de

consultation et me dit ‘je suis hospitalisé, ils vont me garder 15 jours’… alors qu’il était

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moins grave que moi… »

Il raconte une consultation dans un centre de médecine sociale, dans lequel les médecins

emploieraient des raccourcis hâtifs.

Vladislav : « Et on me dit ‘vous venez pour du Subutex?’ Non, je viens pour ma colonne

vertébrale. »

Vladislav se sent humilié d’être assimilé à un groupe de patients qui ne prendrait pas la santé au

sérieux. Il incrimine cette attitude à la structure plus qu’aux médecins eux-mêmes, comme si la

philosophie de l’établissement conditionnait les relations qui s’y vivent.

Jean-Pierre partage la même impression.

Jean-Pierre : « Dans ce centre de santé on nous prend pour des tire-au-flanc.»

Ces jugements ressentis marquent les patients pour longtemps, surtout quand ils ne

correspondent pas aux dynamiques intérieures des patients et à ce pourquoi ils se battent.

Ainsi, nous avons eu l’impression qu’Alpha voulait à tout prix éviter qu’on lui attribue une

« étiquette » erronée. Dans son attitude au cours de l’entretien, il cherchait à donner une image

positive de lui-même et à montrer qu’il était un homme qui ne se laisse pas abattre, comme s’il

voulait éviter d’être assimilé à la « population en difficulté » à laquelle nous nous intéressions

dans l’étude.

2. Le besoin de temps passé, de dialogue…

Les patients ont souvent évoqué le temps et le dialogue dans leur vécu des relations médicales.

Jean-Pierre garde un mauvais souvenir du temps où il consultait dans un centre de santé sociale

dans lequel il ne se sentait pas « soigné ».

Jean-Pierre, à propos de certains centres de santé sociale : « Oh on est mal reçu, y’a du

monde, les médecins ne viennent pas, on a même pas le temps de se déshabiller qu’on est

déjà ressorti. Oh c’est pas bon ! Pas bon du tout ! »

A propos de ce qu’il ressent dans cette situation : « Oh on est angoissé hein, on est mal

soigné et tout… parce qu’il s’occupe pas de nous le médecin, il fait rien… non non. (…)

Mais ils étaient toujours en retard, même pas le temps de se déshabiller parce que y’avait

du monde. C’était à la chaine, vraiment, même pas 10 minutes dans le bureau. »

A propos de ce qu’il ressent alors: « Ben qu’on est mal soigné. (…) Parce que c’est pas la

peine qu’on va voir le médecin hein. »

D’une part, il a le sentiment de ne pas pouvoir bénéficier d’une médecine de qualité, mais en

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plus, l’impression de ne pas être considéré lui fait perdre confiance en lui.

Pour Jean-Pierre, le cœur de la médecine c’est le dialogue.

Jean-Pierre : « Ben oui. Ils ont pas le temps de discuter avec, ni rien. »

A propos de ce qu’est un bon médecin : « C’est de parler quoi ! (…) C’est ça un bon

médecin, c’est un médecin qui parle. Sinon il est pas bon. »

Joël explique également combien il est important de dialoguer.

Joël : «Ah bah ça me fait plaisir que vous disiez que c’est important de nous écouter, parce

que d’habitude vous (les médecins, NDLA), vous êtes d’un côté et nous… les malades, et

ben, on est de l’autre, en gros quoi. (…) Le dialogue est possible mais il est rare ! (…) Si

c’est pour me dire ‘c’est pas mon domaine allez voir un inconnu’, ça sert à rien. Qu’on

explique au moins… pourquoi aller voir un médecin quand on n’a pas mal ? »

Il raconte qu’il a pu s’investir dans les soins le jour où il a rencontré des médecins avec qui une

discussion a été possible. C’est alors qu’il s’est senti respecté, accueilli, et qu’il a pu faire

confiance.

Joël : « Et je suis resté une heure et demie, à parler, à faire les soins… ça c’est un médecin !

(…) C’était la confiance entre le docteur, l’interne et moi, une confiance mutuelle que

j’allais faire les soins… que je continue de faire. »

Puis, il lui a été proposé de prendre lui-même rendez-vous afin d’avoir régulièrement des soins

de pansement. A travers cette possibilité de faire une démarche lui-même, il a compris qu’on lui

rendait une certaine autonomie. C’est en retrouvant ce sentiment d’autonomie qu’il a pu

exercer sa faculté de décision librement, c’est-à-dire en envisageant le non-soin ou le soin. alors

qu’auparavant il n’était que dans l’opposition, seule façon pour lui de ne pas se sentir soumis.

Accomplissant un acte symbolique fort, Joël est allé prendre un rendez-vous lui-même. Cela

marquait son choix d’entrer dans un processus de soins.

Joël : « C’était le début des soins, c’était pas ‘on va vous rappeler pour vous donner un

rendez-vous’… non ! Je venais chercher la réponse ! »

Depuis cette expérience, il veut encourager les soignants à prendre le temps de l’écoute.

Joël : « Faites attention aux patients beaucoup plus. Ecoutez les patients beaucoup plus.

Ne soyez pas butés ! Le patient il est buté, il dit ‘je vais pas plus loin’ et le médecin il dit

‘stop , le traitement c’est comme ça’. Vous voyez ! Pas de dialogue, deux murs, c’est

fini ! »

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Les patients qui sont satisfaits des relations avec les médecins évoquent aussi l’importance de la

parole.

Plusieurs patients parlent des aptitudes des soignants à donner des explications claires. Pour

eux, cela est normal et c’est ce qui définit un bon médecin.

Mamadou : « Même si je comprends pas, il va me dire ‘tu comprends pas ?’ Et si je dis

‘non j’ai pas compris’, il va me dire encore jusqu’à j’ai compris. Parce que si tu

comprends pas bien le français, et si tu demandes encore tu vas comprendre. »

Zohra : « Ça se passe très bien, il explique bien. »

Fatoumata : « Ici, vous pouvez parler, ils écoutent. »

Awa : « Oh oui ! Dr X. m’explique tellement bien que j’arrive à faire des choses aussi. »

3. Le désir d’être compris et reconnu dans sa singularité afin de tisser une

relation unique avec les soignants

Plusieurs patients expliquent que les bons médecins sont ceux qui comprennent le

fonctionnement psychologique de chaque patient ou sa situation particulière.

Vladislav : « Je pense que quand un SDF vient en consultation... vous voyez, il faut

commencer à parler, comme on le fait là, pour commencer à comprendre un peu le

système. »

Joël : « Le médecin doit, devrait à première vue, comprendre le patient qui vient le voir,

un petit peu son état de fragilité où il est, ce que le Dr X et son interne ici ont vu tout de

suite. Et tout de suite il y a pas ‘je suis le médecin, t’es le malade’ et tout de suite y’a la

coopération automatique dès le départ ! Dès le départ ! Et là euh… c’est génial ! »

Fatoumata : « La chance que j'ai eue c'est de tomber sur un premier médecin qui a été à

mon écoute, qui m'a écoutée, qui a compatis à mon problème de santé, dans un premier

temps. Parce que quand il a vu que j'avais un problème de santé délicat d'un côté et en

plus un problème de papiers de l'autre côté, ça devait s'empirer parce que les deux

partaient... »

Alain : « Parce qu’il a tout compris tout de suite.

I : « Ça veut dire quoi ‘tout comprendre’ ? »

Alain : « Il m’a compris moi. Il a compris mon fonctionnement »

Comprendre le fonctionnement c’est donc comprendre la personne humaine.

Joël, rappelons-le, ne supporte pas qu’on le mette dans une « case » en tant que malade.

Lorsqu’il est arrivé à la PASS, le médecin l’a reçu en dehors des horaires de consultation, il a

accompli un acte infirmier qui allait au-delà du rôle habituel du médecin. Il a ainsi signifié à Joël

qu’il était disposé à prendre soin de lui, et ce d’une façon particulière, d’une façon différente.

Joël a senti que, pour lui, ce médecin pouvait sortir du cadre. Joël s’est alors senti reconnu. Il

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s’est ouvert à la relation et a donné sa confiance au médecin.

Joël : « Ça peut être la personne de l’accueil, ça peut être l’assistante sociale… c’est des

gens que j’ai eu sur mon chemin quand j’en ai eu vraiment besoin et qui ont répondu

présent ! (…) Maintenant y’a la confiance et le respect. Alors je me fais soigner. (…) J’y

vais le cœur léger en me disant ‘ils vont me charcuter mais j’ai le cœur léger’.»

Sans cette relation, le patient peut se sentir dénigré.

Alfred : «Vous êtes anodin. »

Sentiment douloureux quand, par ailleurs, plus rien ne rattache à une quelconque utilité.

C. Des relations parfois extrêmes: entre blessures et

attachements

1. Faire l’expérience de la blessure humaine jusque dans la relation de soin

Jean-Pierre raconte l’humiliation vécue dans un centre de médecine sociale.

Jean-Pierre : « Ben…on dirait que… ils nous prennent pour des tire-au-flanc ! (…) Ah c’est…

c’est pas bon du tout. (…) On se sent coupable. (…) Ça sert à rien d’aller voir un médecin

dans ce cas-là. (…) On ne va pas guérir. »

Zohra se souvient d’une hospitalisation lors de laquelle elle s’est sentie victime de racisme. Il est

probable qu’elle ait alors vécu l’annonce de sa maladie chronique (et l’absence de guérison)

comme une condamnation haineuse du médecin, au même titre que d’autres paroles de rejet

dues à son origine étrangère.

Zohra : « J’ai vécu des choses très dures. (…) Ils m’ont dit aussi ‘pourquoi vous êtes là, il

faut rentrer chez vous’… parce que j’avais pas mes papiers. (…) Il m’a dit ‘tu vas rester

toujours comme ça, tu vas pas guérir’. »

La mauvaise connaissance de la langue a pu participer aussi à une incompréhension.

A travers les refus de soins qu’il a rencontrés et les mauvais traitements dont il se sent victime,

Alfred se sent déshumanisé. Ses mots pour dire son sentiment d’humiliation sont très forts.

Alfred : « On vous écrase. (…) Comme si on vous a balancé, jeté comme un chiffon (…)

Vous êtes trimballé. (…) Ils s’arrangent pour gagner de l’argent sur notre dos. (…) Les

médecins marchent par relations. »

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Nous avons aussi évoqué plusieurs fois l’exemple de Joël qui s’est souvent senti regardé comme

un « diabétique »avant d’être « quelqu’un ». Cela a été insupportable pour lui.

Nous pouvons aussi citer Vladislav. Il a le sentiment qu’à chaque demande qu’il fait, les

médecins ne considèrent pas sa requête et le ramènent à son rang de SDF qui chercherait à

profiter du système.

Vladislav : « Je lui disais que j’avais besoin d’une hospitalisation mais lui il pensait que je

voulais profiter du lit parce que je suis SDF.»

2. Etre fortement attaché au médecin ou à la structure de soins qui a « sauvé »

Pour plusieurs patients de l’échantillon, le médecin de la PASS ou la structure dans son

ensemble, représentent la main qui les a relevés, à un moment de leur vie où ils étaient dans

une impasse profonde et où tout, ailleurs, semblait hostile. Le médecin ou la structure prend

alors la figure d’un sauveur. Celui qui remet la personne debout, dans sa santé et dans son

humanité, qui redonne vie au corps et l’âme.

Joël était dans une impasse relationnelle qui l’empêchait d’entrer dans les soins. Pourtant il

avait conscience de son besoin urgent de soins (notamment pour les pansements). Il a le

sentiment d’être un rescapé de la vie, et que l’accueil global, humain et médical, l’a « sauvé ».

Depuis, il se sent attaché à vie à ce médecin « providentiel ».

Joël : « La confiance est là. (…) Ça reste à vie. (…) A chaque fois que je passe je viens dire

bonjour. (…) Trouver le bon médecin au bon moment quand on en a besoin… ça court

pas les rues. Et une fois qu’on l’a trouvé… on le laisse plus. (…) Bon, moi j’ai un bon

exemple parce que j’ai trouvé un bon médecin mais si je l’avais pas trouvé ben je serais

mort ! »

Alfred ne trouve sa place ni dans les soins (auxquels il n’a pas accès au même titre que tout le

monde), ni dans la société (il ne touche pas la retraite pour laquelle il a cotisé et n’a plus de

logement). Il se sent rejeté de tous, sauf de l’équipe de la PASS. Ainsi, à l’époque où il était au

plus bas, c’est dans cette bienveillance humaine et sociale qu’il a pu puiser des forces pour ne

pas s’écrouler. Il parle d’une « résurrection » et dit combien il se sent lié à ce lieu.

Alfred : « Voilà ! C’est ici qu’on m’a tendu la main ! C’est avec ça que j’ai ramé pour

essayer de revenir à… (…) Ah oui ! Je viendrais même à pied ! (…) Voilà ! C’est ici la vraie

résurrection. »

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DISCUSSION

I. A PROPOS DE LA METHODE

Limites de l’échantillon : diversité et taille

La grande diversité des patients interrogés -tant dans leur histoire que leur situation sociale ou

la nature de leur pathologie- ainsi que le caractère très personnel des points abordés ont

apporté des résultats nombreux et variés. Nous n’avons pas atteint la saturation des données,

mais cela était prévisible. La saturation n’aurait probablement pas été atteinte non plus avec

une taille d’échantillon supérieure mais restant raisonnable dans le cadre d’une thèse

d’exercice.

Lors de l’analyse des entretiens, nous avons souvent éprouvé le regret de ne pas disposer de

témoignages plus nombreux à propos de chaque sujet abordé. En effet, tous les patients

n’approfondissaient pas les mêmes thèmes et l’analyse de chacun ne pouvait pas toujours être

détaillée comme nous l’aurions souhaité.

La variabilité des pathologies et des parcours personnels dans un échantillon de cette taille ne

nous ont pas permis de généraliser aisément les concepts ni d’observer des sous-populations de

taille assez consistante pour pouvoir les comparer. Lors de l’analyse et de la discussion, cela

représentait une difficulté constante.

Toutefois, nous avons eu le sentiment de disposer d’un matériel d’étude intéressant et

consistant. Il nous a permis de nous questionner et d’enrichir nos connaissances à propos des

patients concernés.

De plus, la population recrutée reflète la diversité des patients rencontrés dans les PASS

concernées, (mais sans être strictement représentative de ce public).

Observer une telle multiplicité de vécus est aussi un résultat en soi. Il montre combien il semble

difficile de généraliser des théories pour une population qui présente de nombreuses

vulnérabilités et il invite les soignants à ne pas avoir de préjugés hâtifs à propos des patients

qu’ils rencontrent.

Choisir de ne pas inclure des migrants récemment arrivés en France a certainement restreint

l’échantillon et ne nous a pas permis de recueillir le vécu de ces patients, souvent rencontrés

dans les PASS. Toutefois, le sujet de la thèse n’était pas spécifique aux migrants donc cela ne

nous semblait pas poser de problème majeur. Ce choix nous a aussi permis de diversifier les

profils des patients recrutés.

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Biais dans la réalisation des entretiens

Lors du recrutement, les personnes intermédiaires étaient les médecins qui recevaient les

patients en consultation, et l’enquêteur était présenté comme un médecin connu et de

confiance. Cela nous a paru être un biais certain. En effet, malgré l’anonymat annoncé des

entretiens, les patients pouvaient sentir que l’enquêteur était lié à leur médecin. Ainsi, ils

pouvaient ne pas se sentir libre dans leur parole, notamment aux sujets de la relation médecin-

patient. De même, ils pouvaient ne pas oser critiquer l’organisation des soins dans les PASS et

nous en avons tenu compte dans l’analyse. Toutefois, ce mode de recrutement a été réfléchi. Il

nous a paru nécessaire de procéder ainsi afin que les patients se sentent en confiance et se

livrent à l’enquêteur alors qu’ils ne le connaissaient pas et n’avaient pas prévu la rencontre.

Le fait d’annoncer que nous étions médecin est aussi à prendre en compte dans la relation

entre l’interviewer et le patient. Ce dernier pouvait en effet se sentir en infériorité sociale et

intellectuelle et sélectionner les informations exprimées. Selon Blanchet et Gotman61 le

problème de la distance sociale trop grande entre interviewer et interviewé peut être amélioré

en changeant le cadre. Blanchet propose de créer un cadre convivial et partant d'un référentiel

commun pour que la personne s'exprime et développe son discours. Nous y avons pensé en

construisant l’étude mais ce n’était pas possible en pratique. Nous avons donc choisi d’assumer

cette position médicale. Cela permettait de garantir d’emblée au patient le secret médical qui

était indispensable si nous voulions parler avec eux de leur pathologie. Il pouvait également

avoir la vertu de mettre en confiance les patients.

Les lieux et temps des entretiens étaient confondus avec ceux de la consultation. Or, selon

Blanchet et Gotman62 : « Il existe une contamination du discours par les représentations et

actions précédant l'entretien. La prégnance de ce facteur dépend de la capacité des partenaires

à s'extraire des situations antérieures (…) Chaque lieu communique des significations qui sont

susceptibles d'être mises en acte dans le discours de l'interviewé. » C’est une des raisons pour

lesquelles nous avons interrogé les patients sur leur vécu quotidien, en essayant de nous

détacher du cadre de la consultation qui avait précédé. Les témoignages des patients ne nous

ont pas paru très influencés par ce qui s’était vécu dans la consultation.

La façon dont les médecins recruteurs ont présenté l’étude n’a pas été harmonisée de manière

rigoureuse. Le recrutement s’inscrivait dans le cadre d’une consultation, donc dans une relation

particulière. Chaque médecin a présenté notre travail de façon à ce qu’il soit compris par le

patient, selon un mode de communication et un niveau de compréhension adapté à chacun.

Cela a pu constituer un biais. Bien que nous prenions le temps d’expliquer à nouveau l’objectif

de l’étude, certains patients pouvaient par exemple penser qu’il s’agissait de raconteur leur

parcours de vie. Nous avons alors écouté et recentré sur le sujet principal. Toutefois, nous

pensons que les patients ont exprimé ce qui était important pour eux et cela signifie quelque

chose de leur vécu.

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Difficultés rencontrées au cours des entretiens

Les patients avaient plus ou moins de capacités d’abstraction et d’analyse. Nous nous sommes

donc efforcée de nous adapter à chacun et de poser des questions très concrètes lorsque cela

semblait nécessaire. Certains entretiens ont ainsi pris une tournure plus directive que prévu

mais il ne semblait pas possible de faire autrement. Nous avons essayé d’en tenir compte dans

l’analyse, en ne rapportant pas les verbatim qui paraissaient trop influencés par la question.

Nous avons rapidement vu qu’il était difficile de demander au patient de faire le lien entre sa

maladie chronique et sa situation sociale. Nous avons continué à écouter le vécu des patients

dans l’un et l’autre et nous avons-nous-même établi les liens lors de l’analyse. Cela augmente

donc la part de subjectivité dans l’analyse.

Une autre difficulté était le fait d’aborder la question des difficultés sociales sans stigmatiser les

patients. Cela n’était pas toujours évident et nous avons parfois « tourné autour du pot » un

moment, avant de nous appuyer à nouveau sur des questions très pragmatiques.

Malgré le guide d’entretien établi au préalable, ces interviews restent des expériences de

rencontre avec des personnes souvent en marge. Nous avons finalement plus souvent fait appel

à notre intuition relationnelle pour établir un contact et une confiance et avancer petit à petit

dans l’entretien en fonction de la personnalité de chaque patient. Si nous avons été initialement

déçue de ne pas avoir suivi de façon rigoureuse le guide d’entretien et de ne pas avoir toujours

pu être systématique, nous avons le sentiment que, quelle que soit la tournure prise par les

entretiens, ils ont finalement permis de mettre en lumière ce qui était important pour chaque

personne.

Limites de l’analyse

S’agissant d’une étude qualitative à propos du vécu des patients, nous avons souvent abordé

des problématiques d’ordre psychologique, nécessairement subjectives.

Or, nous n’avons pas toujours pu approfondir les entretiens autant que nous l’aurions voulu, en

raison du temps que cela aurait demandé aux patients, mais aussi à cause de la diversité des

thèmes abordés. Ainsi, nous avons essayé d’être prudente dans nos interprétations mais nous

avons pu manquer d’objectivité.

La force de l’étude ne réside donc pas tant dans la profondeur de l’analyse que dans le fait

d’avoir pu montrer ce qui préoccupait les patients.

D’autres études pourraient cibler l’un ou l’autre des thèmes abordés afin d’en donner une

analyse plus détaillée.

Ces observations nous amènent à considérer l’intérêt de travailler à plusieurs lorsqu’il s’agit

d’étudier des populations en difficulté. Cela peut donner la possibilité d’avoir un échantillon

plus large, et permet aussi la triangulation des données, précieuse dans une étude qualitative.

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II. A PROPOS DES RESULTATS

Rappelons que l’idée de cette thèse était d’écouter les personnes vivant conjointement deux

situations : la maladie chronique, et une vie aux conditions difficiles. Nous voulions les écouter

sans à priori, avec une oreille neuve. Aussi, afin de ne pas ingérer cette écoute, le choix a été

fait d’écouter uniquement le patient et non le médecin.

Pour la discussion, nous avons choisi de reprendre certains résultats marquants et de les

regrouper selon plusieurs thèmes qui nous invitent à questionner nos pratiques médicales et

peuvent constituer des repères pour la médecine auprès des patients en difficultés sociales.

A. Un vécu de la maladie chronique étroitement lié à la

situation sociale

Nous l’avons vu dans l’analyse des résultats, maladie chronique et situation sociale fragile ont

des conséquences l’une sur l’autre dans de nombreux domaines de l’existence. Dans chacun de

ces domaines, le cumul des deux est dur à vivre et engendre lui-même de nouvelles sources de

difficultés.

Nous reprenons ici les phénomènes d‘interactions qui nous ont paru les plus importants ou les

plus remarquables : le cumul de situations complexes et le cumul d’atteintes psychologiques et

morales.

1. Le cumul de situations complexes : quand maladie chronique et vulnérabilité

sociale s’aggravent mutuellement.

a) Les conséquences de la maladie chronique sur la situation sociale

Les patients ont souvent le sentiment que leur maladie chronique les empêche d’accéder à la

stabilité sociale qu’ils recherchent, ou du moins, à l’un ou l’autre des déterminants qui

permettent d’être inséré, en particulier le travail.

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La limitation de l’accès à l’emploi et notamment à un emploi physique ou un emploi à plein

temps

Plusieurs patients expliquent que les symptômes quotidiens de leur maladie chronique

ne leur permettent pas d’avoir les forces nécessaires pour assurer un emploi à plein

temps et notamment une activité professionnelle physique. Or, les emplois auxquels ils

peuvent prétendre de par leurs qualifications requièrent le plus souvent de bonnes

conditions physiques.

Des difficultés de gestion des rythmes de travail en raison de l’instabilité de l’état physique

Certains patients expliquent qu’ils ne se sentent pas fiables au travail en raison de leur

maladie. En effet, lorsqu’elle entraîne des périodes d’asthénie ou des décompensations

imprévisibles, ils ne savent jamais de quoi le lendemain sera fait et souffrent de ce

manque de régularité.

La maladie chronique est un facteur qui limite leur accès à l’emploi et donc à un salaire

fixe ou assez conséquent pour trouver un logement, jouir d’une certaine liberté et

d’une vie privée.

Mais d’autres patients dépensent beaucoup d’énergie afin que leur maladie n’impacte

pas sur leur réputation professionnelle, condition indispensable à leur insertion.

Des difficultés financières supplémentaires dues à la nécessité de soin malgré l’absence de

couverture maladie optimale

Certains patients expliquent en quoi leur maladie chronique a majoré leurs difficultés

sociales, notamment financières, tel un cycle infernal. En effet, nécessitant de façon

impérative des soins médicaux qui ne peuvent être remis à plus tard, mais ne

bénéficiant pas de complémentaires, le reste à charge est parfois trop lourd à payer. Il

engendre des dettes envers l’hôpital. Celles-ci aggravent alors inévitablement leur

précarité financière et pèsent lourdement sur leur effort d’insertion. C’est le cas pour

Awa et Rouffaï par exemple.

b) Les conséquences de la situation sociale sur la gestion de la maladie chronique

Une question de priorité

Les patients sont souvent très préoccupés par leurs difficultés sociales (l’obtention de

papiers d’identité pour laquelle il faut se battre, l’hébergement à trouver pour la

famille, le repas du soir qui n’est pas garanti, le travail menacé). Pour certains, ces

préoccupations freinent leur investissement dans leur santé et celle-ci devient

secondaire. Pour d’autres, gérer la maladie reste dans les priorités de vie, mais

demande une grande vigilance et de nombreux efforts, à mener de front avec tout le

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reste. Quand les préoccupations sociales reprennent le dessus, les patients gèrent leur

maladie de façon moins optimale, malgré le désir d’y être attentif.

Certains patients très scrupuleux dans la gestion de leur maladie chronique vivent des

situations qui ne leur permettent pas toujours de gérer leur maladie comme ils le

voudraient. Etre hébergé par des compatriotes est, par exemple, un frein à un régime

bien mené et à des prises médicamenteuses régulières. En effet, les patients ne veulent

pas être un poids pour ceux qui les hébergent et ils tiennent à respecter avant tout les

règles d’hospitalité de rigueur, seules garantes de la pérennité de leur hébergement.

Ainsi, ils ne veulent pas imposer leur régime et prennent les repas préparés par leurs

hôtes. Il leur arrive aussi de retarder leur retour au domicile pour se faire discret, ce qui

décale les prises médicamenteuses.

Cet état de fait est pour eux une nouvelle source d’anxiété car ils craignent alors d’être

victimes de complications médicales.

Un rapport au temps particulier

Pour les personnes vivant dans des conditions très sommaires, les obstacles au suivi

médical sont nombreux. Planifier un suivi paraît inenvisageable quand seul le présent

est investi et que le futur semble n’avoir aucun intérêt à être vécu. Supporter l’attente à

un rendez-vous pendant plusieurs heures, sans fumer et sans boire, peut être

extrêmement pénible. Quand les personnes font la manche, cela peut aussi représenter

une perte de revenus conséquente et les dissuader de rester. Enfin, envisager l’intérêt

de soigner une maladie quand elle est asymptomatique et que l’urgence de survie est

ailleurs peut paraître absurde.

L’isolement social et les relations interhumaines perturbées

Plusieurs patients racontent des refus de soin, des inégalités dans les soins qu’on leur

propose ou qu’on leur impose à cause de leur rang social. Ils sentent une injustice et

une perte de chance pour leur santé. Parfois, ils se sentent aussi l’objet de remarques

humiliantes, d’à priori dont ils voudraient se défaire. Ces jugements sont durs à

supporter, en particulier quand les personnes sont déjà blessées par des histoires

personnelles de mise à l’écart de la société.

Certains patients décrivent également difficultés à entrer dans une relation

interhumaine, en particulier avec des soignants, ce qui s’ajoute à leur sentiment de

discrimination.

Des stress multiples qui déséquilibrent la maladie chronique

Pour certains, l’angoisse générée par la situation sociale et les incertitudes du futur,

entraîne un déséquilibre de la pathologie chronique, indépendamment du traitement et

du reste de la prise en charge.

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c) Quand les interactions mènent à des cercles vicieux desquels il semble difficile de

se sortir.

Alfred, par exemple, voudrait améliorer ses capacités motrices pour être plus autonome, quitter

le lit infirmier dont il dépend et trouver un logement personnel. Mais il a le sentiment que les

médecins du lit infirmier ont des arrangements avec les kinésithérapeutes, profitent de son

infériorité sociale et ne lui permettent pas d’accéder à des bons soins de kinésithérapie. Il dit

qu’il ne peut pas donner son avis car il sent la menace d’être renvoyé de ce lieu d’hébergement

s’il s’oppose aux directives des médecins en place. Alfred n’a aucun moyen de consulter ailleurs

puisqu’il n’a pas de bonne couverture maladie et qu’il n’est pas autonome physiquement. Il se

sent victime de son infériorité physique et sociale de toutes parts et ne sait pas comment sortir

de cet engrenage de dépendance.

d) Le degré de vulnérabilité sociale et l’importance des interactions

Bien que l’échantillon de patients recrutés soit de petite taille et ne nous permette pas

d’élaborer des statistiques, nous avons remarqué une relation entre le degré de précarité, et le

lien fait par les patients entre leurs difficultés sociales et leur maladie chronique. Plus les

patients avaient des situations sociales complexes, plus les interactions entre maladie chronique

et précarité étaient nombreuses et semblaient s’éloigner du vécu de la population générale.

Vivre avec une maladie chronique et une situation sociale complexe est donc plus difficile que de

vivre avec seulement l’une ou l’autre. Les interactions entre les deux sont multiples et peuvent

intervenir à tous les niveaux avec des phénomènes d’aggravations mutuelles. Le médecin doit

donc identifier ces patients comme particulièrement à risque, sur le plan social et de leur santé. Il

doit ensuite chercher à comprendre précisément la situation et les logiques du patient, propres à

chacun. C’est ainsi qu’il est en capacité de comprendre les freins à l’amélioration de la santé, et

de proposer une prise en charge individualisée et accessible pour chaque patient. Cela montre

combien il est important de consacrer une réelle énergie dans la connaissance approfondie des

patients.

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2. Le cumul d’atteintes psychologiques et morales

a) Des fragilités existentielles doublement éprouvées

A travers les récits des patients, nous avons remarqué que maladie chronique et vulnérabilité

sociale venaient souvent corroder un même domaine de fragilité face à l’existence. C’est-à-dire

que les difficultés engendrées par l’une et par l’autre sont souvent abordées par le même angle

face à la vie. Celui-ci est donc doublement atteint, doublement fragilisé.

Celou, par exemple souffre du manque de liberté engendré par le diabète de type 1 et

ses nombreuses contraintes de traitement et de régime. Sa situation sociale le renvoie

également à la pénibilité de se sentir privé de libertés (il ne peut pas faire venir son fils

chez lui, il n’a pas d’espace de vie intime et souffre de la promiscuité avec celui qui

l’héberge).

Vladislav et Abdelkader témoignent que leur situation sociale fait naître en eux un

sentiment de honte et de culpabilité. Parallèlement, leur maladie chronique renforce en

eux ce sentiment d’inutilité et de culpabilité par rapport à la société.

Plusieurs patients évoquent à leur façon l’impression que la maladie chronique leur a

volé leur intégrité et la pleine possession de leurs moyens physiques. De même, leur

situation sociale complexe ne leur permet pas de bénéficier pleinement des droits

auxquels ils aspirent. Quelque chose est « creusé » en eux -comme le dit Rouffaï- dans

leur santé et sur le plan social.

Chez Awa, les notions d’instabilité et de menace reviennent régulièrement dans son

discours. Instabilité physique et menace de complications de sa pathologie d’une part,

et instabilité professionnelle et menace d’être expulsée d’autre part.

Ainsi, le manque de liberté, les incertitudes, les menaces, l’instabilité et l’isolement sont le lot

quotidien. Chacun de ces aspects est atteint tant par la santé que par le parcours social. Pour les

plus démunis des patients, la maladie chronique vient aussi renforcer les sentiments de honte

et de culpabilité face à la société. Ces doubles atteintes existentielles majorent la vulnérabilité

psychologique des patients et les forces nécessaires pour rebondir s’amenuisent.

b) La souffrance morale

Le fait même de se dire qu’ils sont doublement victimes (de par leur santé et leur situation

sociale) est une idée qui fait souffrir les patients et leur donne un sentiment de fatalité, comme

si le sort s’acharnait sur eux.

Ils sont aussi moralement fatigués de devoir se battre en permanence sur tous les plans.

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Toute maladie engendre un combat pour reconquérir la santé. Mais quand les forces sont

mobilisées sur d’autres terrains, devoir se battre pour sa santé semble de trop.

Et l’on entend chez les patients une souffrance morale parfois extrême. Certains ont des mots

très forts pour dire cette souffrance, d’autres ne la verbalisent pas si clairement mais à leur

écoute on sent des blessures profondes. Les moments de de découragement vont jusqu’à des

idées suicidaires, solution pour résoudre cette vie qui semble si dure à mener.

« Déjà que j’ai cette maladie, et en plus on me bloque ! Moi ça me fait péter un

câble ! » Rouffaï

La souffrance morale est indissociable de la situation de ces patients, elle doit donc faire

entièrement partie de la prise en charge médicale. Le médecin doit l’entendre, la considérer et

l’accompagner.

« Si la douleur est un appel à l’acte, la souffrance est un appel au lien. »

3. Quelles forces pour rebondir ? Quelles résistances ? Quelle résilience ?

Comment tenir dans des situations de vie si difficiles, qui demandent de faire face à tant de

contraintes, d’incertitudes, d’angoisses, quand dans le même temps et pour les mêmes raisons,

la personne est fragilisée dans ses ressources intérieures ?

Cela nous interroge sur les capacités de résistance des patients, notamment celles des jeunes

qui sont encore dans l’espoir de construire leur vie. Tiendront-ils ? Ne sont-ils pas en danger

majeur de « dévisser » socialement ?

Reprenons l’exemple de Celou. C’est un jeune homme déterminé, intelligent, prenant

très au sérieux son traitement pour limiter les complications aiguës et l’évolution à long

terme qu’il connaît bien et qu’il craint. Ne passons pas à côté de ses évocations de

ruptures thérapeutiques de plusieurs jours, qui surviennent dans des moments de ras-

le-bol généralisé, lorsqu’il revoit sa vie et tout ce qui est dur. Celou a déjà connu la rue

pendant plusieurs semaines lorsque sa sœur avait déménagé. Sur quel futur peut-il

compter ?

Ce patient, qui entre dans une case rassurante pour la médecine classique de « patient

observant », n’est-il pas à risque de perdre sa volonté de se battre ? Si l’intérim ne se

transforme pas en emploi stable et qu’il ne peut pas accueillir son fils, s’il apprend une

complication de son diabète à cause de ruptures thérapeutiques qui viendraient à se multiplier

(et en dépit de tous ses efforts), si son hébergeur le met à la porte… Sur quelles ressources

intérieures pourra-t-il s’appuyer, tant pour maintenir sa situation sociale que pour continuer à

répondre aux exigences du suivi médical et du traitement?

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La discipline psychologique a exploré les mécanismes qui permettent à un individu de vivre avec

une maladie chronique.

En psychologie, la « résilience » désigne la capacité à rebondir après un traumatisme, à se

reprendre après une chute, une maladie, un échec63. Elle fait référence aux ressources internes

d’un individu.

L’ « empowerment » (aider l’autre à retrouver son pouvoir sur sa vie) est un terme provenant

d’Amérique du Nord. Dans le cadre des maladies chroniques, il désigne le résultat de la

formation du malade qui doit lui permettre d’acquérir des connaissances, un savoir-faire et les

attitudes nécessaires pour maîtriser la gestion de sa maladie. Ce terme fait davantage référence

à des facteurs externes.

Selon A. Lacroix, psychologue spécialiste des maladies chroniques, « l’éducation thérapeutique

compose en permanence avec les concepts de résilience et d’empowerment pour permettre au

malade de retrouver un nouvel équilibre avec sa pathologie chronique. »

Dans le contexte de vie des personnes rencontrées dans l’étude, il est évident que la

« résilience » est fortement mise à mal par les difficultés rencontrées. Elle est sans cesse

fragilisée par les nouveaux évènements de vie, les pressions psychologiques et les souffrances

qui en découlent.

Auprès des populations en difficultés sociales, le médecin ne peut faire l’impasse sur le fait que

la résilience soit fragile et instable. Il ne peut pas attendre de lui de réagir de la même façon que

la population générale et doit en tenir compte pour individualiser le suivi, les objectifs et la façon

d’y parvenir.

De même, il est indispensable de personnaliser la formation du malade par un langage

compréhensible et des moyens de gestion de la maladie adaptés aux aspects concrets de la vie

quotidienne de chacun.

Pour conclure ce chapitre, nous avons schématisé les principales interactions entre maladie

chronique et vulnérabilité sociale entendues chez les patients. Sans prétendre être exhaustif, ce

schéma tente de rendre compte des phénomènes d’aggravations réciproques, de cumul et de

cercles vicieux.

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EXEMPLES D’INTERACTIONS ENTRE MALADIE CHRONIQUE ET VULNERABILITE SOCIALE

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B. L’importance d’être entendu et reconnu

1. L’expression du besoin de dialogue et de reconnaissance

Plusieurs patients ont abordé spontanément le besoin de dialoguer avec le médecin, de se

sentir compris, de tisser une relation unique qui soit adaptée à leur mode de vie et leur

personnalité, de savoir que le médecin comprenait leur « fonctionnement » psychologique. Les

vécus négatifs dans la relation étaient souvent dus au sentiment d’être victime de préjugés, de

ne pas se sentir reconnu, d’être traité comme tous les autres (comme la population générale ou

comme un groupe social auquel le patient serait assimilé par le médecin).

Dans le même sens, les patients satisfaits de la relation médicale on plusieurs fois évoqué la

capacité de compréhension de leur médecin.

Selon Vladislav, quand une personne vivant dans la rue se présente en consultation il

faut commencer par dialoguer longuement pour comprendre son mode de vie, la façon

dont elle gère son quotidien et sa survie, son fonctionnement psychologique. Sans ce

temps d’écoute, le médecin peut passer à côté de plaintes que la personne n’oserait pas

révéler par peur d’être un poids ou de se voir annoncer des pathologies en plus. Le

médecin peut aussi garder en tête des préjugés et se méprendre sur ses demandes.

Joël a un parcours de soin très irrégulier avec des relations médicales faites

d’oppositions, de manque de dialogue, d’incompréhensions, de luttes de clans

(médecins contre patients). Il insiste en permanence sur l’importance de se sentir

compris et reconnu. Pour lui, un bon médecin est celui qui cherche très rapidement à

comprendre l’état de fragilité psychologique du patient, sa personnalité, ses besoins

intérieurs, ses forces aussi. De cela va dépendre la confiance mutuelle, l’abolition d’une

certaine prise de pouvoir de la part du médecin et la possibilité pour le patient de

prendre part aux décisions le concernant et d’entrer dans les soins.

Fatoumata raconte que sa chance initiale a été de rencontrer un médecin qui a pris le

temps de l’écouter et de considérer en même temps son état de santé et sa situation

sociale précaire. Il a alors compris que le cumul de l’un et l’autre risquait de tout

aggraver et qu’il fallait prendre cette patiente très au sérieux et l’adresser rapidement à

des équipes capables de prendre en charge les deux versants de sa situation.

Rouffaï explique spontanément que le médecin qui le suit pour son VIH connaît tous

ses problèmes de papiers d’identité.

Jean-Pierre a souffert de consultations dans des centres où les médecins ne prenaient

pas le temps de dialoguer avec le patient. Pour lui, s’il n’y a pas d’écoute, les médecins

« ne soignent pas ».

Ce besoin d’écoute est une intuition forte chez les médecins exerçant auprès de personnes en

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difficultés sociales et ces témoignages abondent dans le même sens. Les patients veulent être

compris, tant sur le plan psychologique que pour leurs difficultés de vie et attendent des

médecins qu’ils prennent ce temps d’écoute et de compréhension de chacun.

En effet, dans la population générale, les hommes sont en relation en permanence. La

reconnaissance de ce qu’est l’autre est presque instantanée et ne demande pas à être éprouvée.

Il en va de même dans les relations médicales qui s’instaurent aisément. Mais pour les patients

qui vivent en marge, la confiance n’est pas innée. Ils ont souvent été victimes de jugements

blessants et d’histoires émotionnelles qui ont meurtri le regard qu’ils portent sur eux-mêmes. Et

le regard porté par la société semble les conforter puisqu’il est souvent jugeant et enferme dans

des stéréotypes. C’est pourquoi la reconnaissance de l’autre est souvent testée et mise à

l’épreuve par des patients qui ont sans cesse besoin d’être rassurés sur la façon dont on les

apprécie.

Au-delà de cet aspect psychologique, les patients savent aussi que leur vie quotidienne est

complexe et attendent des médecins qu’ils en saisissent les enjeux afin de comprendre leur

implication dans leur santé.

2. L’accueil positif de l’étude : signe d’un désir d’être entendu ?

Les patients ont accueilli notre étude de façon très positive, bien que l’entretien leur prenait du

temps, leur demandait d’entrer rapidement dans une confiance avec une personne non connue

et de livrer des éléments de vie très personnels. De plus, pour tous les patients il était très clair

que l’étude n’aurait aucune retombée directe et qu’il s’agissait d’un travail plus large, pour

approfondir la connaissance des patients.

Bien sûr, il y avait un biais de recrutement, et les patients ont sûrement accepté de nous

rencontrer pour faire plaisir à leur médecin avec qui ils entretenaient tous de bons rapports.

Mais dans la façon dont ils se sont rendus disponibles plusieurs patients ont manifesté

l’importance de raconter leur vécu.

Alpha était venu à jeun à sa consultation afin d’effectuer des examens complémentaires

relatifs à son diabète de type2. Lorsque nous nous sommes rencontrés il était près de

midi. Il a redit plusieurs fois que, bien que notre entretien rallonge son jeûne, il était

très important pour lui de témoigner de son vécu.

René était venu en consultation avec sa fille qui attendait. Il lui a demandé d’attendre à

nouveau pour pouvoir prendre le temps de nous raconter son parcours.

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D’autres ont verbalisé l’importance de cet échange.

« Je vous remercie beaucoup. »

« C’est important si on peut vous raconter tout ça. »

« Pour une fois qu’on nous écoute ! D’habitude c’est vous les médecins qui parlez et nous

on doit se taire. (…) Vous êtes malade, vous vous la fermez !»

« Je suis content si on peut vous aider. »

« Je suis très content. Parce que si vous pouvez tirer des conclusions positives! »

Pour Jean-Pierre, cela semblait plus difficile d’élaborer un vécu en dehors d’une relation

tissée, mais il a maintes fois répété son besoin d’être écouté par les médecins.

Nous n’avons pas eu le sentiment que nos entretiens venaient palier un manque d’écoute de la

part des médecins habituels. Joël et Jean-Pierre nous ont relaté des relations douloureuses par

le passé mais disent avoir trouvé des oreilles attentives au sein de la PASS.

En revanche l’accueil positif de notre étude nous a paru révéler un désir d’être entendu de

façon plus large par la société, ou par le corps médical dans son ensemble. Les attitudes des

patients et leur façon d’approuver les explications données sur notre étude, semblaient dire

leur satisfaction à ce que qu’une personne extérieure à leur prise en charge vienne s’intéresser

à leur existence. Nous avons eu le sentiment que cette démarche pour mieux les connaître était

pour eux une marque de reconnaissance de la part de la société (ou du corps médical) et qu’ils

étaient contents de l’honorer. Mais, aussi sincère qu’elle soit, cette impression subjective est

peut être biaisée par l’idée que nous nous faisons de notre étude.

Nous ne savons pas si nos entretiens ont permis d’apporter de nouveaux éléments de

connaissance des patients par rapport à ce qui était connu de chacun de leur médecin.

Nous développerons plus loin les fruits de cette expérience d’entretien.

Nous retenons ici l’intérêt manifesté par les patients à apporter leur expérience, et à participer

ainsi à une proposition qui leur est faite pour améliorer le système de santé. Cela fait écho à la

loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de

santé64 quand elle tendait à favoriser la participation des usagers au fonctionnement du système

de santé.

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3. Une expérience d’écoute exclusive des personnes en difficultés sociales

a) Une écoute hors du temps thérapeutique qui permet de se centrer sur les

priorités du patient

Notre position d’enquêteur hors du rôle médical habituel nous a permis d’accéder à de

nombreuses informations dont nous n’avons peut-être pas habituellement connaissance,

lorsque la consultation inclus temps d’interrogatoire et temps thérapeutique. En effet, bien que

l’anamnèse cherche en théorie à reconstituer l’histoire du patient, celle-ci est centrée sur

l’histoire de la maladie. Quand le temps de consultation est compté, le médecin se concentre en

priorité sur les éléments permettant d’établir un diagnostic et de prendre une décision

thérapeutique, y compris dans une logique de suivi. Des éléments d’un autre ordre dans

l’existence du patient peuvent être omis, alors que ceux-ci donneraient des indications sur le

rapport à la santé et les difficultés rencontrées dans les soins.

De nombreux médecins cherchent à connaître l’état moral de leurs patients, et s’inquiètent en

début de consultation de l’évolution de tel ou tel problème personnel rencontré par le patient

dont ils ont la connaissance, pour eux ou pour leurs proches.

Mais au cours de cette étude, il nous a semblé qu’en prenant un temps dédié à la discussion,

séparé du temps thérapeutique, les patients pouvaient, peu à peu, apporter de nouveaux

éléments de vie, enrichir leur ressenti, verbaliser leurs inquiétudes ou leurs principales

préoccupations. La différence avec une consultation médicale résidait dans le fait que ce temps

avait pour seul objectif de les comprendre. Il n’y avait pas d’objectif thérapeutique à la clé et

cela était visiblement très clair pour tous les patients.

Le fait d’avoir porté sur les patients un regard détaché du cadre thérapeutique a aussi

certainement modifié notre façon de les voir. Nous n’étions pas centrée sur les difficultés de

suivi médico-social et n’avions aucune décision à prendre.

Ainsi, nous avons eu le sentiment d’interroger les patients avec un regard large sur leur

existence et cela nous a permis de mettre en évidence, pour la plupart d’entre eux, les éléments

de vie qui avaient le plus d’importance à leurs yeux. Leurs priorités pouvaient être dites, sans

être masquées par celles qui sont évaluées ou ressenties par le médecin et qui influencent

toujours la direction prise par l’interrogatoire.

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b) Une expérience à transposer dans le cadre des soins ? Prendre un temps dédié à la

connaissance approfondie du patient, séparé du temps thérapeutique

Il nous a donc semblé que ce temps d’écoute très ouvert et séparé d’une démarche

thérapeutique a été très bénéfique. Bénéfique pour nous -en tant que représentant du corps

soignant- par la rencontre approfondie des patients dans leurs réalités et leurs logiques de vie.

Bénéfique pour les patients, qui ont manifesté de différentes façons leur satisfaction de ce

temps de parole exclusif.

Bien sûr il existe différents modes d’exercice. Dans le cadre des PASS par exemple, il est certain

que prendre un temps de dialogue et de connaissance approfondie est un souci partagé par

tous les acteurs de santé. Dans d’autres cadres de médecine générale ou spécialisée, cette

démarche est certainement moins facile à mettre en œuvre en général. Les raisons de

disponibilité temporelle sont souvent évoquées en premier lieu. La solitude du médecin et

l’implication que demande une telle démarche entre aussi certainement en compte. Rappelons

que nous ne parlons pas ici de tous les patients, mais bien de ceux qui connaissent des

difficultés sociales, et en particulier ceux qui présentent une maladie chronique.

Et puis, il ne s’agit pas toujours de raconter toute la vie autour ou le passé. Pour Alpha, chez qui

la situation sociale s’améliore doucement, il était important de témoigner de son parcours

passé et de le valoriser. En revanche, il est évident qu’il ne voulait pas être stigmatisé comme

« patient à problèmes ». Les inquiétudes du moment qu’il souhaitait partager avec les médecins

se portaient plutôt sur les effets secondaires de ses médicaments et la pertinence de leur

prescription. Mais nous rappelons que Alpha est de ceux qui avaient la parole la plus libre, ce

n’est pas le cas pour tous.

Quoi qu’il en soit, cela nous invite à réfléchir aux façons de renouveler cette expérience mais

dans le cadre de relations thérapeutiques.

Là où le médecin se laisse habituellement guider par un interrogatoire dont le but est d’évaluer

la santé et la thérapeutique, il s’agirait peut être de légitimer en nous la pertinence d’un

entretien très ouvert, sans apparente relation avec les soins.

A partir de notre expérience d’entretiens ouverts, nous proposons d’utiliser par exemple des

questions très larges et centrées sur le vécu global du patient. Sans avoir d’objectifs en tête,

s’informer de façon très large de ce qui constitue, à la date donnée, les préoccupations

principales du patient, en étant impliqué dans ces questions, sans penser qu’elles constituent

simplement une discussion inutile ou une perte de temps. Puis, laisser le patient accrocher aux

questions qui semblent lui tenir plus à cœur.

Par exemple :

« Qu’est ce qui est dur en ce moment ? »

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« Qu’est-ce qui est dur avec votre logement ? Avec le travail ? » (etc )

« Est-ce qu’il y a des choses qui vous inquiètent ? » (etc )

« Qu’est-ce qui va bien ? Mieux ? »

« Qu’est ce qui est dur avec votre diabète ? » (etc)

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, ce temps d’écoute permet une meilleure

proposition de soins s’il aide à comprendre les logiques complexes de chaque patient et les

difficultés auxquelles il est confronté, dans la vie et face aux soins.

Ce temps d’écoute peut être considéré comme soignant quand il aide le patient à exprimer ses

réelles inquiétudes et ses souffrances et que le médecin peut les entendre et les accompagner.

Ce temps d’écoute est également soin quand il permet au patient de se sentir reconnu puisque

la mise à l’écart est un mal dont il souffre. Plusieurs patients nous ont dit souffrir du manque

d’écoute et des regards porteurs de préjugés et aimeraient avoir le temps d’exposer leurs

besoins et leur singularité.

Aux yeux des médecins, ce temps d’écoute, de mise en lien est souvent reconnu comme très

important mais secondaire, non efficace ou coûteux. Or, il apparait ici comme incontournable

auprès des patients en difficultés sociales et porteurs de maladies chroniques si l’on veut

prétendre les faire entrer dans une démarche de recouvrement de leur santé.

Isabelle Schlienger, médecin exerçant en PASS, expose dans un mémoire d’éducation

thérapeutique, son projet de « consultation individuelle d’orientation » lorsque le retour au

droit commun est envisagé. Cette consultation serait menée par une infirmière formée, ou par

le médecin. Sa réflexion va dans le sens de ce que nous disons ici. Dans ses recommandations

pour mener cette consultation, on retrouve l’idée d’une écoute très ouverte et centrée sur le

patient dans sa complexité et sa singularité. Elle préconise entre autres de recueillir les attentes

du patient, ses préoccupations, ses ressources propres, ses difficultés à surmonter, et de définir

conjointement les priorités et le projet de soins. Elle note aussi que cette démarche questionne

plus largement les pratiques médicales auprès des personnes vulnérables65.

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C. Des efforts peu manifestes mais bien réels dans la

gestion de la maladie chronique : des critères

inhabituels d’investissement

1. Des efforts flagrants mais bien cachés.

Alors que les patients n’ont pas systématiquement cherché à les valoriser, notre attention s’est

portée vers certains actes qui nous ont paru remarquables compte tenu du contexte de vie et

signes d’un investissement manifeste dans les soins.

Ces efforts fournis ne sont pas des critères classiques d’adhésion aux soins (observance

médicamenteuse, respect des règles hygiéno-diététiques, présence régulière et ponctuelle aux

consultations et aux examens). Mais il nous semble que chacun d’entre eux montre que le

patient s’inscrit dans une volonté de soin, prouve sa détermination à vivre.

Dans une approche d’écoute attentive, en essayant de comprendre le mode de fonctionnement

psychologique et organisationnel du patient, il est possible de décrypter ce qui constitue chez

lui une démarche de soins, ou ce qui a « valeur » de soins. Car pour le patient, prendre soin de

lui-même peut prendre des aspects très différents, surtout lorsque l’existence appelle de façon

urgente à d’autres priorités ou que la perception corporelle est très détériorée.

Citons quelques exemples concrets, tous très différents mais reflets de la diversité des patients

rencontrés.

Jean-Pierre est à la retraite. Contrairement à ce que l’on pourrait croire il dit qu’il est en

permanence débordé « toujours à courir partout ». D’un naturel très anxieux, il

s’organise comme il peut pour venir aux rendez-vous et a besoin d’une certaine

flexibilité sur les horaires de consultation pour ajuster son programme au dernier

moment. Qu’il ait des journées effectivement remplies d’activités, ou que cela soit dû à

sa façon d’être dépassé par toute démarche, cette façon de vivre son quotidien est sa

réalité. Chaque venue en consultation engendre chez lui une certaine inquiétude et une

organisation qui lui coûte, même s’il apprécie ce lieu d’humanité.

Pour Mamadou, qui ne sait pas lire, la moindre démarche peut vite s’avérer compliquée

dès qu’il ne connaît pas les lieux. Il raconte d’ailleurs un rendez-vous de radiologie qu’il

n’a jamais trouvé. Habitant loin des lieux de soin et ne sachant pas lire, il part toujours

deux heures en avance aux rendez-vous car il ne veut surtout pas être en retard.

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Celou et Rouffaï prennent leur emploi très au sérieux mais leurs conditions de travail

sont précaires. Celou travaille en intérim et Rouffaï compte sur la protection de son

employeur pour maintenir son travail car il n’a pas de papier. Pourtant, ils disent

naturellement qu’ils posent des jours de congé pour venir aux rendez-vous de suivi ou

accomplir des examens complémentaires.

Zohra a de longs temps de trajets pour se rendre dans les hôpitaux où elle est suivie et

elle supporte mal la longue attente avant un rendez-vous.

Vladislav évoque le cas d’un patient vivant dans la rue (parle-t-il de lui-même ?) qui

accompli une série d’efforts inhabituels pour se présenter devant le médecin. Il prend

une douche, se rase, et finalement doit supporter l’attente au rendez-vous, malgré la

perte de revenus que cela représente pour lui et la difficulté à se tenir dans un lieu clos

sans bouger ni fumer.

Abdelkader consulte auprès d’un généraliste de la PASS alors qu’habituellement il ne

sollicite que les urgences ou les pompiers. Pour lui qui ne se projette absolument pas

dans l’avenir ou dans un suivi médical, c’est une démarche qui signe un changement.

Quelles que soient les façons dont ces patients prennent effectivement leurs traitements, ou

comprennent les enjeux de leur maladie, ne participent-ils pas ainsi à l’effort commun de soin à

la mesure de leurs ressources personnelles?

2. Des efforts parfois difficiles à reconnaître pour les médecins

Ces « efforts » peuvent tout à fait passer inaperçus pour les soignants qui ont d’autres réalités

de vie, notamment pour les médecins, en grande majorité issus des classes supérieures ou

moyennes. Ces derniers reconnaissent probablement plus facilement les efforts fournis par des

personnes qui ont le même mode de vie qu’eux car ils y sont sensibilisés et partagent dans une

certaine mesure une « connaissance d’expérience ». Mais ils ont plus de difficultés à se rendre

compte de ce que les patients en difficulté sociale doivent mettre en œuvre dans les soins

puisqu’ils s’imaginent moins bien ce que peut être leur quotidien.

Cela nous rappelle combien il est important de se former à la connaissance de la vie

quotidienne des personnes fragiles, au cours de la formation universitaire mais aussi au contact

de chaque patient par un approfondissement de l’écoute et du dialogue.

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3. Une reconnaissance à signifier au patient

Lorsque le médecin identifie quel est l’investissement du patient dans sa santé et les efforts

particuliers qu’il fournit, il semble important de prendre le temps de lui verbaliser positivement

ces efforts, de l’en féliciter. Si tout un chacun a besoin de se sentir valorisé, dans un contexte de

vulnérabilité sociale cela paraît encore plus important. En effet, chez un patient pour qui la

problématique de mise à l’écart et d’incompréhension est quotidienne, cette démarche valorise

ce qui est positif en lui et qui est peu reconnu par la société. Et nous avons vu dans notre étude

ce besoin fort de se sentir reconnu.

Cette parole de valorisation permet de le rejoindre dans sa façon d’investir les soins, de ne pas

le maintenir dans un sentiment d’échec (y compris quand les critères de suivi biomédicaux sont

décevants), pour bâtir avec lui une prise en charge à partir de ce qu’il met en place.

A l’inverse, si ces actes ne sont pas reconnus, il y a probablement un risque de rupture

thérapeutique, comme en témoigne l’histoire de Joël et de son refus de soin.

Pour le médecin, connaître les forces du patient permet également de s’appuyer dessus dans la

prise en charge.

4. Se dessaisir de nos représentations pour rejoindre le patient

Ces « efforts inhabituels » nous paraissent aussi intéressants en ce qu’ils sont un reflet des

différences culturelles entre patients et médecins. Ils invitent le soignant à un déplacement

intérieur vers le patient, à quitter l’idée qu’il se fait de la gestion de la maladie chronique, pour

se laisser étonner par ce que chaque patient met en place à sa façon.

A ce titre, et avec d’autres points que nous avons évoqués précédemment, cela nous permet de

réfléchir à certains enjeux de la relation entre médecins et patients en difficultés sociales.

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D. Réflexions sur le rôle du médecin auprès des patients

en vulnérabilité sociale

A partir de ces observations sur la fragilité extrême des patients, leur besoin d’être entendus et

reconnus et l’exemple des efforts inhabituels fournis par les patients, élargissons notre réflexion

sur le rôle du médecin auprès des personnes en grandes difficultés sociales.

L’impuissance du médecin et la tentation d’abandon

Les patients en grande fragilité sociale nous posent des difficultés car ils nous mettent face à

notre impuissance. Médecins, formés pour soigner et guérir, il nous est difficile de supporter

des prises en charge qui nous paraissent inefficaces au vu de ce que nous avons appris et qui se

rappelle à nous continuellement (EBM, protocoles de soins, objectifs de santé, éducation

thérapeutique). Et nous nous demandons s’il s’agit réellement de soin quand la santé des

personnes nous semble très mauvaise et que nous « n’obtenons » aucune amélioration. Il faut

dire aussi que le médecin sent quelque part une responsabilité dans l’état de santé du malade

qu’il suit et qu’il ne se détache pas facilement de certaines inquiétudes pour son patient et son

devenir.

Ces personnes nous mettent donc en difficulté car elles remettent en cause notre vision de la

« santé bonne » pour eux. Mais si la vision d’une bonne santé que nous avons pour eux est

inaccessible, serait-elle autre, ou d’une autre nature ?

A un moment donné de la prise en charge, l’on peut se rendre compte que tel ou tel patient ne

pourra jamais rentrer dans nos normes, nos référentiels. La tentation est forte de se dire qu’on

ne pourra rien faire pour lui, que tout est vain. Mais ne pas parvenir à une certaine norme que

l’on connaît et qui nous rassure, ce n’est pas rien faire. En revanche, baisser les bras et ne plus

croire en l’autre c’est l’abandonner.

Quand le lien est soin

Ne pas l’abandonner, continuer de croire en lui. Il semble que tout se joue dans ce lien. Ce lien

qui doit être maintenu à tout prix, même si la relation est compliquée voire conflictuelle. Car ce

lien qui est humanité, est peut être la première nécessité du patient. Alors il est soin en tant

que tel. Comme le disait Tanguy Chatel, sociologue, lors du colloque national des PASS de 2012 :

« L’accompagnement en tant que tel est soin car l’autre nous amène dans des lieux de fragilité

qui vont à contre-courant des logiques de performance et qui favorisent la santé. »

Et les patients de notre étude disent l’importance majeure de la relation et de la reconnaissance

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qui ré-humanise. Ceux d’entre eux qui ont été de rupture en rupture gardent un attachement

extrêmement fort au premier médecin avec qui ils ont senti que la confiance était possible,

quand le regard posé sur eux les relevait par rapports aux échecs relationnels qu’ils avaient

vécus auparavant. Le corps soignant doit se laisser convaincre de la portée majeure du lien. Il

prend du temps donc il est inévitablement associé à une dépense financière en plus. Il bouscule

nos référentiels d’efficacité mais sa portée est autre et nous devons l’apprivoiser afin d’inventer

des nouvelles manières de lui donner toute sa place dans le soin.

Un déplacement intérieur pour rejoindre le patient

Vivre ce lien demande souvent de déplacer notre regard et nos exigences. Reprenons l’exemple

des « efforts inhabituels » que le médecin s’emploie à reconnaître.

Chercher à comprendre comment le patient s’investit dans la maladie chronique, au-delà de

critères classiques connus, est une démarche qui met en route vers l’autre. Elle demande de se

dessaisir de nos propres représentations des soins, de reconnaître qu’elles sont issues d’un

certain savoir et d’une certaine norme, afin de rejoindre le patient là où il est, avec ce qu’il est

et ce qu’il met en place à sa façon dans les soins.

Ainsi, si cette démarche permet d’identifier les forces du patient afin de s’appuyer dessus dans

la prise en charge, elle est aussi un mouvement intérieur plus global qui cherche à avancer vers

le patient, pour le reconnaître dans sa singularité, au-delà de toute attente.

Car l’attente crée la déception. Et dans le contexte de la précarité, la déception peut être

particulièrement forte. Le médecin prend alors le risque de se maintenir dans un rôle

« d’éducateur de santé » déçu, émettant des rappels à l’ordre, mais n’emportant pas la

confiance du patient. Cette relation peut maintenir chez le patient le sentiment (abordé dans

notre introduction) que le lieu du soin est un énième lieu d’échec et de réprimande.

Il y a quelque chose d’insupportable à faire vivre une telle tension interhumaine dans ce lieu

précis où le patient demande du soin et espère une relation grâce à laquelle il puisse retrouver

sa dignité.

Reconnaître l’autre : l’accueillir plutôt que d’attendre de lui

L’enjeu est peut-être de se mettre dans une disposition intérieure qui cherche à « recevoir », à

« accueillir » le patient tel qu’il est, plutôt que « d’attendre » de lui. Ainsi il est possible de vivre

une vraie rencontre humaine, une rencontre qui ouvre les yeux sur les richesses de l’autre, et

non pas une relation faite d’attentes insatisfaites qui attend l’autre là où il n’est pas (et qui

mène rapidement à des rapports de force). Or c’est cette rencontre interpersonnelle, unique et

porteuse d’une vraie humanité qui permet au patient de se sentir vivre. Alors il y a un élément

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indéniable de « santé bonne pour lui ». Cette relation permet aussi de faire naître la confiance,

commencement d’un cheminement, et condition nécessaire pour établir une alliance

thérapeutique.

Quitter ou garder l’exigence médicale ?

Si l’enjeu est d’être dans des dispositions d’accueillir le patient et de vivre le lien, nous pouvons

être tentés, en pratique, de laisser de côté nos exigences médicales et de vivre une relation qui

s’apparenterait à de l’accompagnement, surtout lorsque les barrages à la prise en charge

médicale et sociale sont multiples. Or, il ne semble pas éthique pour un médecin de ne plus

œuvrer pour une meilleure santé du patient, ce serait de la négligence ou de l’injustice. Il doit

mettre toute son intelligence et les moyens qu’il a, au service de la santé du patient.

Il en est de même pour sa situation sociale. Si le médecin doit accepter le fait qu’il ne résoudra

pas tous les problèmes du patient qui ne retrouvera peut être jamais une situation stable, il ne

peut pas pour autant ignorer les moyens d’action qu’il a. Et ce d’autant plus qu’il est un

interlocuteur privilégié, au carrefour du médical, du psychologique et du social.

Mais alors, le médecin doit-il se battre pour et avec le patient ou garder une position

d’accompagnant ?

Une étude conduite par le centre d’éthique clinique de Cochin en 200822, s’interrogeait sur le

respect de l’autonomie des patients en situation de précarité. Cette étude qualitative se fondait

sur des entretiens auprès de patients sans domicile et de médecins de trois structures, dont la

PASS de l’Hôtel Dieu. A l’issue du travail, deux hypothèses étaient émises.

Selon la première, plus l’exclusion est profonde, plus les patients demandent que l’on respecte

leur autonomie et que les médecins s’en tiennent à ce qu’ils sont venus chercher dans la

structure de soins. Parallèlement, moins l’exclusion est sévère, plus les patients attendent une

prise en charge globale, quitte à ce qu’elle soit étayante et directive.

Selon la deuxième hypothèse, il faut mettre à disposition des personnes socialement très

vulnérables, des moyens d’aide proportionnels à la profondeur de leur précarité, car leurs

besoins réels peuvent être différents de leurs besoins exprimés.

Certains soignants, soucieux de respecter le principe d’autonomie, mais assurant dans le même

temps une prise en charge très globale, suggéraient que « la qualité du lien est utilisée pour

augmenter l’autonomie et non la dépendance : plus il y a lien, plus il y a autonomie ». D’autres

disaient aussi que le respect de l’autonomie passe par la reconnaissance et qu’il faut donc

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« maximiser le lien médical ».

On peut ici suggérer que, à la rencontre de ces deux hypothèses, se trouve la façon dont est

vécu le lien avec le patient. Selon l’attitude des soignants, ce lien lui permettra ou non de se

sentir respecté dans son autonomie, de la faire grandir, et de trouver un lieu d’écoute pour

exprimer peu à peu ses besoins réels.

Comme nous l’avons dit plus haut, si le médecin prend part activement au combat du patient et

qu’il attend du patient des résultats de santé, ou une stabilisation de la situation sociale qui

n’adviennent pas, alors le patient perçoit qu’il ne remplit pas les objectifs du médecin, qu’il

n’emporte pas sa satisfaction. Et cela renforce sa culpabilité, son sentiment d’inutilité ou de

honte. Il peut alors préférer son autonomie, gage de sa liberté, si c’est tout ce qui lui reste.

Mais si le médecin n’espère plus rien, le patient ne se sent pas non plus humanisé.

Car, regarder le patient comme un homme debout, digne et libre, c’est aussi le regarder comme

un être unique, avec une intériorité, des goûts qui lui sont propres. Un être qui porte en lui des

désirs, une espérance. C’est espérer un mieux avec lui, voir même espérer pour lui, quand lui

n’a plus la force d’espérer pour lui-même.

Espérer, c’est-à-dire, croire en lui, croire en ses forces, croire en un « meilleur possible ». Car si

ni lui ni le médecin ne croient en un mieux, à quoi bon tenter quelque chose ?

Cela ne veut pas dire, le soigner contre sa liberté quand il ne veut plus se soigner.

Mais il s’agit d’une façon plus profonde de le regarder, pour pouvoir le reconnaître dans sa

pleine humanité, en tant qu’individu porteur de désirs et donc d’une espérance, afin de

partager cette espérance.

C’est en portant ce regard sur lui, en reconnaissant sa dignité, que l’on peut être avec lui sur le

chemin de son existence.

Nous empruntons ici l’image que le docteur de Champs-Léger, médecin à la PASS de l’Hôtel-

Dieu, propose volontiers à ses patients : « Nous sommes face à une montagne et nous pouvons

choisir ensemble le chemin pour monter, même si nous n’allons pas jusqu’au sommet. »

Lors du colloque national des PASS de novembre 2012, Tangy Chatel, sociologue, abordait la

question du rôle d’accompagnement du médecin qu’il comparait à l’accompagnement en soins

palliatifs. Il parlait de la nécessité de vivre le lien d’accompagnement et de sortir de nos logiques

d’efficacité sans oublier d’agir. Selon ses mots « il s’agit d’une manière d’être dans une manière

de faire ». Nous ajoutons à sa réflexion l’exigence médicale que doit avoir le médecin et qu’il

doit faire coexister en lui avec l’accompagnement.

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CONCLUSION

Les personnes qui connaissent des grandes difficultés sociales sont plus souvent et plus

gravement malades, suivant un gradient social de santé. Elles ont un rapport complexe, parfois

mal compris, à la santé et aux soins. Malgré les politiques de santé impulsées par la Loi de lutte

contre les exclusions de 1998, les médecins témoignent de difficultés persistantes dans la prise

en charge de ces patients. En particulier auprès de ceux qui présentent des maladies

chroniques, dont l’existence devient irrémédiablement liée aux problématiques de santé et de

soins.

Pour améliorer leur santé, l’importance du partenariat avec les patients est de plus en plus

reconnue. C’est pourquoi nous avons voulu nous mettre à l’écoute des patients qui présentent

les deux insécurités que sont la vulnérabilité sociale et la maladie chronique. Il s’agissait de

quitter notre position de médecin « sachant » et d’entendre leur vécu, afin de nous interroger

sur nos pratiques, à la lumière de leur parole.

Nous avons rencontré 17 patients atteints de diverses maladies chroniques au sein des PASS

franciliennes de l’Hôtel Dieu et de Corentin Celton. Nous avons mené avec eux des entretiens

portant sur leur vie quotidienne avec leur maladie. Les entretiens étaient volontairement peu

dirigés afin de favoriser l’émergence d’une parole authentique. Ainsi, nous avons eu le souci

d’influencer le moins possible le cours du discours, en le laissant évoluer vers ce qui paraissait

prioritaire pour le patient.

Les entretiens ont pris des directions variées et les vécus exprimés par les patients étaient

extrêmement diversifiés, parfois même surprenants. Ce premier résultat nous permet

d’appréhender la multiplicité des vécus et invite à ne pas porter de jugements hâtifs à propos

des patients.

Les personnes rencontrées témoignent d’un vécu particulier de la maladie chronique, le plus

souvent indissociable de leur situation sociale.

Sur un plan pratique, la maladie chronique empêche souvent d’accéder à un emploi stable, ou à

plein temps, d’autant plus que les secteurs d’activités qui concernent ces personnes sont

souvent physiquement éprouvants. Cela diminue leur espoir d’accéder à un logement correct.

La régularisation de la situation administrative, l’obtention d’un habitat stable, la recherche

d’un repas ou d’un toit pour le soir même, sont des critères de survie immédiate. Lorsque ces

paramètres sont menacés, la gestion de la maladie chronique est reléguée au second plan, qui

plus est lorsqu’elle est cliniquement silencieuse.

Pour les patients très désocialisés, être dans une logique de suivi d’une pathologie

asymptomatique est d’autant plus compliqué qu’imaginer un futur lointain est impossible. Mais

pour ceux qui peuvent se projeter dans l’avenir, l’équilibre de la maladie chronique est un souci

qu’ils portent car ils savent qu’il est une condition non négociable pour ne pas être victime de

complications. Ils font parfois preuve d’une observance médicale exemplaire. Ainsi, quand les

problèmes d’ordre social reprennent le dessus ou engendrent un stress qui déséquilibre la

maladie, ne pas pouvoir gérer leur santé de façon optimale est une source supplémentaire

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d’anxiété.

Dans leurs histoires, les rapports avec les soignants sont marqués par des sentiments de

discriminations dans les soins, de préjugés relatifs au rang social et de difficultés relationnelles

en lien avec les blessures psychologiques de vies en marge. Les patients se sentent toutefois

bien accueillis au sein de ces deux PASS.

Ils sont fatigués de devoir se battre dans tous les domaines de l’existence. Le cumul des

insécurités - sociales, médicales, relationnelles - fait naître des souffrances majeures et les

capacités de résilience semblent fragilisées. Pour les plus démunis d’entre eux, la maladie

chronique vient aussi renforcer les sentiments de honte et de culpabilité face à la société.

Néanmoins, les efforts fournis dans les soins sont réels, même s’ils ne correspondent pas aux

critères classiques d’observance. Ces formes inhabituelles d’investissements dans les soins sont

importantes à reconnaître et à valoriser.

Les patients ont insisté sur l’importance du dialogue avec les soignants. Selon eux, il permet de

dépasser les à priori et de bâtir des relations uniques où chacun se sent entendu et compris,

avec ses réalités et ses fonctionnements pour y faire face.

Ils ont aussi manifesté leur satisfaction de ce temps de parole qui leur était proposé et ont

montré un intérêt à faire entendre leur voix de cette façon auprès des médecins.

Si cette étude nous a permis d’aborder de nombreuses problématiques, d’autres travaux

pourraient explorer plus en profondeur l’un des thèmes évoqués par les patients. Par exemple,

et de façon non exhaustive, la question de l’attente et de la médecine avec ou sans rendez-

vous, l’attachement aux soignants des PASS, le contexte des ruptures thérapeutiques, les

stratégies mises en œuvre dans les prises de traitement régulières, ou encore les efforts non

reconnus par les soignants.

Il pourrait être intéressant de rapporter la parole des patients aux équipes soignantes des deux

PASS de l’étude, premières concernées par ce travail et confronter ainsi le vécu des patients aux

représentations que les soignants en ont. Cela pourrait aussi l’occasion de questionner les

pratiques dans ces lieux de soins et de travailler en équipe autour des questions ici soulevées.

Au regard des résultats, il nous apparaît que l’écoute approfondie est incontournable si nous

voulons comprendre les logiques des patients, car chaque existence est singulière et complexe.

C’est en entendant leurs priorités et les articulations multiples de leurs vies, que nous pouvons

appréhender la façon dont les patients s’investissent dans leur santé et les obstacles qu’ils

rencontrent dans les soins. Nous pouvons alors leur proposer des solutions personnalisées et

réalistes.

Mais cette écoute est aussi une façon de nous ouvrir à l’altérité du patient. Dans un contexte où

nous sommes souvent plongés dans des choix thérapeutiques complexes, elle permet de nous

laisser toucher par ses richesses et ses forces intérieures et de les valoriser. Elle nous aide à

déplacer notre regard de médecin, porteur d’attentes multiples, pour être dans une posture

d’accueil du patient, et reconnaître en lui sa dignité d’homme : il est un être de désirs.

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Approchant cette part de son humanité nous pouvons partager ses désirs, croire avec lui et

croire en lui, même quand lui ne croit plus en rien. Alors, dans le même temps, le patient se

sent reconnu et ré-humanisé et nous -médecins- découvrons l’envie de prendre soin de lui.

Nous entrons dans une relation interhumaine « vraie », lit de la confiance et de l’alliance

thérapeutique. Ce lien doit être vécu pleinement dans le temps présent pour accueillir la réalité

et accompagner les souffrances, tout en regardant vers l’avant en espérant un meilleur

possible. Le lien n’est pas le seul soin et nous ne dénigrons pas l’apport de la médecine de

pointe et de la science. Nous devons nous appuyer dessus et utiliser les connaissances et les

outils actuels au même titre que les autres, c’est une question de justice. Mais les meilleures

techniques, seules, ne soignent pas. Cela est vrai pour tout le monde mais encore plus pour les

patients en situation précaire, car leur dépouillement les conduit à l’essentiel.

Il nous faut donc quitter les normes qui nous rassurent et chercher avec le patient et à son

écoute, quelle est la meilleure santé possible pour lui. Il s’agit de mettre toute notre énergie

pour œuvrer dans ce sens, en gardant des exigences médicales, mais sans être dans une logique

de résultats. En d’autres termes : emprunter un chemin praticable, à deux, vers un mieux pour

le patient.

L’importance du lien questionne d’ailleurs le sujet du retour au droit commun qui doit être bien

accompagné. S’il est adressé trop rapidement auprès d’autres structures, le patient risque de

ressentir à nouveau un abandon alors que la relation crée avec la PASS symbolise parfois son

retour au monde médical, ou même son lien avec la société.

Ainsi, tout en restant fidèle à notre savoir-faire, aux données actuelles de la science et en

respectant la maîtrise des coûts, nous sommes appelés à nous détacher des logiques de

performance classiques.

D’une part pour donner toute sa place à un temps relationnel d’écoute et de dialogue, même si

ce temps représente des moyens financiers, car il est indispensable au soin des personnes

atteintes de maladie chronique et socialement vulnérables.

D’autre part pour nous défaire de nos repères de « soins efficaces » et accepter que notre rôle

de médecin soit aussi d’une autre nature. Celle d’un savoir être.

Celui-ci doit d’ailleurs être enseigné dès la formation médicale initiale afin que les médecins se

l’approprient véritablement.

Il nous faut donc être inventifs pour proposer de nouveaux « cadres » favorables à une

médecine qui prend le temps de la relation comme faisant partie du soin à part entière, pour

rechercher la « santé bonne » pour chacun.

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ENTRETIENS

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ENTRETIEN 1 : MAMADOU

Caractéristiques médico-sociales Homme, 30 ans Originaire du Mali, en France depuis 2005, Situation irrégulière Hébergé par un cousin A fait des travaux au noir avant le diagnostic de son hépatite C AME ou bordereau PASS (non précisé) Donc votre principal problème de santé c’est l’hépatite C ? On l’a diagnostiquée quand ? En 2006. Et vous êtes arrivé en France… En 2005. Et qu’est-ce qui est compliqué pour vous avec cette maladie ? Ben…. Ce qui est compliqué c’est pour la « circulation », c’est trop dur ! Parce que tu travailles pas, t’as pas de papier, si tu dors chez quelqu’un bon… tu dois lui demander pour sortir, pour ouvrir la fenêtre. Si t’as les papiers et tu travailles, même si t’es malade, t’es chez toi, c’est mieux… tu vois ? Alors que si tu vis avec quelqu’un c’est pas trop bien quoi. Comment tu trouves de l’argent, comment tu trouves pour manger… franchement c’est trop dur ! Donc c’est le fait de ne pas avoir de papiers qui est difficile Ouai, c’est la première chose. Parce que si tu as des papiers, même si tu es malade on va te soigner bien, et tu vas avoir chez toi, t’es pas obligé de toujours demander pour faire quelque chose… sinon c’est trop dur ! Donc pour vous le plus dur c’est le manque de liberté Ah ouai c’est le plus dur. Et si on revient à la maladie, est-ce que la vie est plus compliquée avec la maladie ? Ca change quoi ? Ah ouai ça change parce que si t’as pas la maladie t’as la santé tu peux tout faire. Mais si t’es malade tu dois voir le médecin, prendre les médicaments ta ta ta… Alors si tu trouves le boulot et que t’es malade tu peux pas, tu travailles pas. C’est ça la différence. Si t’es pas malade, tu travailles, tu fais tout, tu peux aller partout, voilà, tu es tranquille, et ça va. Et vous vous sentez malade ? Ah bien sûr !

Qu’est-ce qui fait que vous vous sentez malade ? Quand ça vient t’es pas content, parce que… c’est pas facile à expliquer…tu sors pas de chez toi, tu restes tranquille chez toi, tu dois calculer tout, ce qu’il faut manger… ça fait des soucis en plus alors que quand t’es pas malade t’as pas tous ces soucis, tu dois pas calculer. T’as des soucis aussi sans maladie mais c’est pas les même soucis. Mais tu peux pas bouger… Ca veut dire quoi pas bouger ? Tu peux pas aller voir tes frères, tes amis dans le 95, 94 par exemple. Alors que si t’as des tickets et que t’es pas malade, ça fait du bien, tu peux discuter prendre des conseils. Si t’es malade tu peux pas partir partout, tu vas aller voir le médecin, tu sors pas trop loin et après tu rentres. Tu veux aller où ? Tu dois rester chez toi. Ca vous arrive souvent d’être malade ? Parfois tu restes deux semaines, un mois sans maladie, parfois non. Et c’est quoi être malade ? Ben tu vois t’es pas bien, t’as trop chaud, t’as des fièvre. Tu vois je tousse aussi, je dors pas bien. Mais ça c’est pas l’hépatite ? Non. Et l’hépatite ça vous fit quoi ? Ben l’hépatite c’est pas trop la santé quoi, c’est… t’as pas trop la santé.

Vous ne vous sentez pas en plein santé Voilà ! Je suis pas trop fort quoi. Vous vous sentez moins fort ? Voilà, diminué un peu. Ouai parfois j’ai mal un peu, alors je prends les cachets… voilà. Et vous avez un traitement ? J’ai pris avant mais c’est fini. Mais aujourd’hui il a donné un autre traitement… et je prends un rendez-vous pour prendre la radio pour l’hépatite. Mais vous ne prenez pas de traitement pour l’hépatite Avant, mais là c’est fini. Et c’est difficile de prendre le traitement ? Ah bah ! T’es obligé, même si c’est difficile, c’est pour la santé, t’as pas le choix, tu vois t’es obligé… Et avant c’était difficile ou pas ? Bon ! Pour moi c’est pas difficile, parce que c’est obligé ! Si c’est obligé c’est pas difficile. Et pour s’organiser pour les rendez-vous avec les médecins, les radios… c’est compliqué pour vous ? Bon, c’est pas compliqué mais… trop compliqué un peu parce que si tu parles pas bien ou si tu sais pas trop bien lire, tu dois demander aux gens , tu dois voir avec eux… franchement c’est trop dur ! Quand tu parles bien ou que tu connais les lire, tu regardes les panneaux et c’est vite fait ! En 2007 on m’avait donné l’adresse pour faire des radios dans le 14ème, mais c’était trop dur parce que j’ai parti là-bas, je connais pas l’endroit, la première fois que j’ai parti là-bas j’ai pas vu. Vous n’avez pas trouvé… Ouai, j’ai pas trouvé. La 2ème fois j’ai parti là-bas, l’hôpital il est grand. Par exemple si je veux te voir,

avant de venir ici c’est trop dur : on me dit « c’est là-bas, là-bas »… presque une heure pour trouver !

Et ça vous met en retard ça ? Ah oui ! Parce que obligé… par exemple si j’ai rendez-vous à 8h, faut que je me lève 2 h avant mon RDV, une heure pour venir ici et une heure pour trouver. Mais si je connais je prends que une heure pour le RER. Si je réveille pas plus tôt je vais être en retard. Et pour vous c’est important d’être à l’heure ? Ah oui c’est important parce que si on te donne un rendez-vous c’est pour toi, c’est pas pour une autre personne. Après, l’heure après c’est pour une autre personne. Alors si tu es en retard tu as déjà donné un autre RDV avec une autre personne. Alors des fois si tu es en retard on va te dire « c’est pas la peine, tu prends un autre RDV ». C’est pour ça je me réveille bien à l’heure pour mon RDV. Si tu en retard 5 minutes, c’est bon, mais plus c’est trop ! Donc vous vous organisez pour être à l’heure aux RDV Ah ouai. Et avec les médecins ça se passe bien ? Bien sûr ! Ouai, franchement. Vous comprenez bien Ouai. Même si je comprends pas, il va me dire « tu comprends pas ? » et si je dis « non j’ai pas compris » il va me dire encore jusqu’à j’ai compris. Parce que si tu comprends pas bien le français, et si tu demandes encore tu vas comprendre. Donc ici les médecins prennent bien le temps d’expliquer Ouai. Et ailleurs ? Vous avez vu des médecins ailleurs ? Non… juste ici. Vous voudriez me dire autre chose sur votre maladie ? Bon ! Si tu connais pas la circulation… C’est-à dire les papiers ? C’est pas juste les papiers mais c’est aussi le droit pour travailler parce que si j’ai

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pas le droit de travailler, comment je vais trouver pour loger et pour manger. Et si on vous propose du travail, vous pourrez travailler avec votre maladie ? Si j’ai des papiers c’est bon. Avant j’ai trouvé un peu de travail au noir pour avoir un peu d’argent. Si c’est pas trop dur je peux le faire. C’est quoi un travail trop dur ? C’est le bâtiment ou… les travaux publics. Ca c’est trop dur à cause de quoi ? A cause de maladie, parce que j’ai pas trop de force pour le faire. Parce que si je fais trop de force, après la nuit je dors pas bien. Mais si j’ai pas malade c’est bon. Avant, au bled, j’ai fait tous les travails, tu vois, mais si t’es malade c’est pas bon et si c’est trop dur je peux pas faire. Et en 2005 vous étiez plus fort ? Bien sûr ! En 2005 j’ai travaillé dans le bâtiment, nettoyage aussi, même début 2006. Mais maintenant ça fait 2 ans ou 3 ans que je travaille pas. Avant vous vous sentiez mieux ? Ah oui ! Alors que maintenant … Ah oui je suis pas trop bien, des fois ça calme, et des fois c’est trop dur, ah oui ! Attitude pendant l’entretien Mamadou est plutôt discret mais parle volontiers de son vécu, de façon franche, dans un français approximatif mais qui semble lui permettre d’exposer son ressenti. Impressions sur l’entretien Premier entretien de l’étude. Le patient n’a pas été interrogé sur ses représentations de la maladie et durant tout l’entretien nous n’avons pas compris s’il parlait de son hépatite ou plutôt d’autres affections bénignes intercurrentes.

ENTRETIEN 2 : KAMEL Caractéristiques mécico-sociales Homme de 27 ans Origine marocaine, en France depuis 2009 Sans-papiers, logé chez ses parents avec ses frères et sœurs. Diabète de type 1 A eu l’AME, nouvelle demande en cours, bordereau PASS le jour de l’entretien Condition particulière d’entretien Kamel se présente avec son frère qui dit « l’accompagner partout, quand il peut », « on se connait bien, pas de secret entre nous, normal, c’est mon frère quand même ». Cela semble alors naturel pour eux de répondre à deux. Nous avons senti qu’il serait agressif ou offensant de demander au frère de sortir et que cela briserait une certaine confiance. Nous avons donc accepté cette situation tout en demandant si l’on pouvait tout dire et en nous appliquant tout le long de l’entretien à nous adresser au patient concerné, ou à demander son approbation lors des interventions de son frère à son sujet. Cela ne nous a pas semblé être un frein à un discours sincère. Toutefois on ne peut exclure un biais dans cet entretien, lié au fait que l’interviewé a pu vouloir répondre selon l’image qu’il veut donner de lui auprès de sa famille. Il a pu, par exemple, éviter d’évoquer certains points qui auraient été des signes de faiblesse aux yeux de ses proches. Attitude pendant l’entretien : Souriant, répond volontiers, pas de gêne dans les réponses mais parfois coupé par le frère. Le frère, très intéressé par le sujet, dit qu’il assisterait volontiers à la soutenance de thèse. Donc votre maladie c’est le diabète ? C’est le diabète. Et ça a été diagnostiqué quand ? Ca fait presque 3 ans, depuis 2009.

C’est quel type ? Type 1. Donc vous avez un traitement par… Insuline. Et on avait trouvé le diabète au Maroc ? Euh non, on l’a trouvé ici, 3 mois après mon arrivée. Comment ça s’est passé ? D’un seul coup j’étais très fatigué, j’ai perdu du poids, j’étais pas bien… et on l’a trouvé. Frère : C’est venu d’un seul coup ! Et pas de comprimé, insuline direct. Qu’est ce qui est compliqué pour vous avec cette maladie ? Ben, c’est un peu difficile la première fois, mais après le temps… j’ai accepté. Qu’est ce qui était difficile ? Ben… c’est prendre tous les jours l’insuline, il faut contrôler le diabète, il faut pas manger comme avant, il faut faire un régime spécial… euh donc c’est un peu gênant quoi…. Et après voilà ! Il faut accepter quoi. Frère : En plus c’est l’âge… Kamel: Oui c’est ça ! Frère : Si c’est quelqu’un qui a déjà une famille, tout ça, qui a 50 ans… mais là, 23 ans, ça fait mal au cœur. Vous trouvez que c’était un âge particulièrement difficile Oui ! Mais maintenant ça va… Frère : Au début il a pas accepté l’idée mais maintenant c’est normal. Et aujourd’hui c’est compliqué ? Si le diabète il est réglé ça va mais si il y a des décalages… mais pour l’instant ça va. Il est bien équilibré ? Euh… avant oui, mais maintenant il est un peu… c’est le stress ou je sais pas…. Depuis trois jours c’est un peu… c’est pour ça le médecin il m’a demandé de faire des analyses… il m’a dit le docteur que c’est peut-être à cause que j’avais la goutte, parce que l’acide urique il est un peu élevé…. et hier j’avais eu une hypo. Mais de manière générale c’est plutôt équilibré … Oui, ça va. Et donc vous avez l’impression que même avec votre diabète vous avez une vie normale ? Oui ! Et le traitement ? Le traitement ça va. Et le fait d’avoir à venir chez les médecins… Frère : Franchement ça c’est un avantage, en France, ya les médecins qu’il faut, si tu as besoin tu en vois, ça c’est génial ! Vous vous dites que vous êtes mieux ici qu’au Maroc pour ça… Ah oui ! C’est la vérité ! Si t’as les moyens au Maroc tu peux acheter les médicaments mais sinon tu peux pas acheter les médicaments donc voilà. Ici tu sens que tu vas pas crever un jour ou l’autre ! Tu sens que tu seras soigné …hospitalisé si ça nécessite… voilà ! Et la fréquence des RDV, des contrôles… Je suis habitué maintenant. De voir les médecins, de faire les contrôles, on accepte ! Et vous en avez pas marre de temps en temps ? Non parce que généralement on voit d’autres gens qui sont des cas pires donc je dis, ben… même nous on accepte tout ce que nous a donné Dieu donc on n’a pas le choix, donc voilà. C’est une philosophie ? Quand vous voyez que c’est difficile vous regardez les gens qui ont pire ? Voilà ! Et puis je me dis c’est une chose ou bien c’est une maladie… c’est pas les gens qui me l’ont donnée, c’est Dieu qui commande donc on accepte tout, c’est pas les hommes qui me l’ont fait.

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Donc votre religion vous aide à accepter les choses Ben oui, il n’y a pas d’autre solution, il n’y a pas le choix, donc c’est la vie. Même ma sœur on lui a découvert il y a 3 mois, même ma mère elle a le diabète… Mais ma sœur elle a 32 ans, donc une famille de diabétique. Et ça aide à accepter ? Ben la première fois c’est un peu compliqué, mais après on peut rien faire. Mais n’importe quelle maladie, pas que le diabète, c’est compliqué quand on te le dit, mais après ça va… La dernière fois on attendait l’assistante sociale et on a rigolé parce que le téléphone du standard il a pas arrêté pour les gens qui voulaient prendre RDV avec le diabétologue ! Donc on s’est dit « on est pas les seuls ». On espère que Dieu il va les guérir aussi ! Ca vous prend du temps tout ça ? Non, non… c’est pas compliqué pour les RDV, les machins, on a jamais eu de difficulté, des médecins qui disent « on va pas vous accepter », non ! On a besoin d’un RDV on prend un RDV, on vient on voit le médecin, on discute avec les médecins… jusqu’à présent on a jamais eu de difficultés, après, je sais pas. Et avec les médecins ça se passe bien ? Très très bien ! Et si vous vouliez dire quelque chose aux médecins ou aux infirmières sur leur manière de faire… Pour moi la manière est parfaite ! En plus j’ai été hospitalisé 2 fois ici, ça s’était très très bien passé, l’ambiance… Et pourquoi vous venez à la PASS ? Tout mon dossier est ici, l’ophtalmo, le diabétologue, tout … bon là, c’est un peu compliqué parce que on a perdu le dossier il y a une semaine donc c’est un peu embêtant… Mais vous pourriez aller consulter ailleurs ? Ah oui je vais où je veux parce que j’ai l’AME, enfin je vais l’avoir encore le mois prochain parce que j’ai redéposé la demande. Et vous avez déjà été dans un cabinet de ville ? Oui oui dans le 12ème mais maintenant je peux pas parce que là j’ai pas l’AME j’ai le PASS, mais après je pourrai. Mais ici c’est bien. Mais avant c’était le médecin dans le 12ème qui me donnait le traitement. Mais avec l’AME je suis pas obligée d’être là mais c’est pratique. Frère : Mais ce que le docteur il veut savoir c’est si ça se passe bien avec les autres médecins dans les cabinets. Kamel : Oui, franchement tout se passe bien Et quand vous aurez l’AME vous irez où ? Parce que d’après moi tout le dossier il est là, ça sert à rien d’aller voir un autre médecin, de tout lui expliquer, ici on sort le dossier et on voit tout, ça facilite la tâche. Et toujours à la PASS ? Non dans l’Hôtel Dieu. Et vous avez l’impression que avec votre situation, c’est-à-dire le fait que vous n’ayez pas de papier, ça complique les choses ? Le fait de faire des piqures ça peut freiner pour avoir un travail ? Non, c’est vite fait. Et vous accepteriez tout travail ? Oui. Frère : Parce que il connaît pas les conséquences, moi j’accepterais pas tout, mais si t’es obligé tu acceptes tout. Donc ça ne vous empêche pas d’avoir du travail… Frère : Lui il a une maladie chronique donc il pourrait faire un dossier pour avoir des papiers aux yeux de la loi, mais il le fait pas, je sais pas pourquoi, peut-être il trouve que c’est une perte de temps ou je sais pas… Vous voudriez dire autre chose sur la façon dont vous vivez le diabète ? Bah pour l’ instant ma vie quotidienne est normale. J’ai pas de difficulté, bah, à propos de ma santé je me sens pas comme avant. Avant je mange tout et maintenant il faut contrôler. La seule chose, c’est que l’heure de la mort c’est pas à cause du diabète, ça c’est important. Par exemple ya des gens qui ont du diabète et ils vivent longtemps, jusqu’à leur

limite quoi, mais y’en a qui ont rien, qui souffrent de rien, et ils meurent. Voilà. Vous n’avez pas peur de cette maladie Voilà ! Si par exemple euh…d’habitude je pense pas beaucoup que je suis diabétique donc je vais rien faire et je vais attendre mon jour, non ! La vie continue, tu continues ta vie normalement. Il faut faire attention, quand même, mais le reste c’est Dieu qui commande, c’est Dieu qui a tout ! Donc on vit notre vie normale et on n’a pas le choix. Et vous connaissez les complications ? Bah oui. Et vous y pensez ? Ben je sais pas par exemple si je suis seul dans la rue et je me sens mal… Frère : De toutes façon le diabète y’a des complications pour les reins, la vue, y’a les hypoglycémies, tu peux être dans le coma, donc euh voilà… Et vous y pensez souvent ? Ouai, bah… c’est pas tous les jours parce que si je pense tous les jours à ça je vais tout lâcher, ma vie va changer, je vais attendre tous les jours mon jour… Vous ne voulez pas y penser tous les jours pour ne pas que votre vie change Frère : Voilà, sinon il sort plus, il va rester à la maison à attendre. Donc ça ne vous fait pas peur Non, parce que si la mort c’est à cause du diabète, là on se sent foutu, on attend 3 jours on se dit « je vais mourir à cause du diabète dans 3 jours ». Mais si le diabète c’est pas la cause du décès, ma vie quotidienne est avec le diabète, donc c’est ça. Et vous êtes bien soutenu ? Oui. Si vous étiez seul… Si je suis seul avec personne à côté de moi ce serait très très difficile, mais là j’ai mes frères, mes sœurs, ma mère … et ça m’a encouragé… je suis presque jamais seul.

ENTRETIEN 3 : JOEL Quelques caractéristiques médico-sociales Homme de 55 ans. Français d’origine. En Lit Halte Soins Santé au SAMU Social lors de l’entretien. Habituellement logement très instable, entre hébergement provisoire chez des amis à droite à gauche et nuits à la rue. Diabétique de type 2 depuis plus de 30 ans CMUc « Joël : Ah bah ça me fait plaisir que vous disiez que c’est important de nous écouter, parce que d’habitude, vous, vous êtes d’un côté et nous… les malades, et ben, on est de l’autre, en gros quoi. Vous avez déjà ressenti ça ? Auprès de qui ? Ben quand je suis venu là y’a 4 ans, en diabéto, on m’a dit « c’est insuline » et hop, pas de discussion. On m’a coupé un doigt de pied parce que voilà… et on m’a imposé un menu quoi : diabétique, menu! Simplement ! « C’est nous qui avons raison euh… taisez-vous euh… faîtes c’qu’on vous dit ! » Et? Et ben ça, avec moi euh… ça passe pas ! Et y’a 4 ans j’étais hospitalisé une semaine, je suis sorti, j’ai tout arrêté, et puis là je suis revenu pour le petit gâteau du dimanche soir euh… Vous avez tout arrêté, c’est à dire ? Vous avez fait le régime demandé ? Ah non, j’ai rien fait de tout ça. Moi j’ai fait un truc personnellement. Je savais que j’devais changer d’vie donc euh… je change de vie euh… enlever l’alcool, changer la nourriture quoi, j’mangeais plus pareil, j’ai perdu 20 kilos en 3 ans quoi… tout seul ! On l’a diagnostiqué quand le diabète ?

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Alors euh, le diabète ça date depuis plus de 30 ans. A l’époque on n’en parlait pas ! J’ai été opéré d’un kyste à l’ombilic et puis comme j’ai fait un malaise, j’avais dit... enfin j’sais plus… on m’avait dit « faut voir un diabétologue, c’est grave ». J’ai dit « je sais ». J’ai une formation premiers secours donc j’connais l’truc. Et puis j’ai toujours laissé tomber. Jusqu’à temps que… ben je marchais plus, on m’a coupé un doigt de pied et puis… j’ai décidé de me soigner ! Même si je suis réticent. Quand vous m’prenez la tête j’vais arrêter l’traitement… j’fais c’que j’fais ! Donc c’est le doigt de pied qui vous a décidé à prendre le traitement ? Pour l’instant ! Pour l’instant c’est ça. J’ai pris conscience que le diabète c’était grave. Ça arrive toujours aux autres mais jamais à soi-même. Et ça m’est arrivé. Et donc maintenant je dis aux autres : « Faites attention parce que moi ça m’est arrivé… j’étais comme vous … j’m’en foutais. Tout ce qui était médicaments tout ça… » Même en ce moment hein, je prends pas grand-chose, je prends Glucophage et pour l’instant ça passe. Pourquoi c’est « pas grand-chose », parce qu’on vous demande de prendre plus ou… Non, c’est mon traitement, mais même si on me disait de prendre plus ben…ça m’étonnerais que j’le fasse… j’suis pas très médicaments. Même avec l’histoire du doigt de pied ? Même avec l’histoire du doigt de pied… j’suis pas médicaments. Bon, là je sais que j’en ai pour encore 1 mois, maximum, pour soigner le pied. Vous n’êtes pas médicaments… Absolument. Pourquoi, c’est quoi pour vous les médicaments ? Pour moi euh, c’est une drogue, on a l’accoutumance, et... je sais pas… moi je sais en tant que diabétique je dois faire attention à mon alimentation, je fais attention ! Mais on me dira pas « tu prends tes médicaments » si j’ai pas envie de le prendre. Moi j’vois quand on m’a coupé le doigt de pied à l’hôpital Foch, le chirurgien vasculaire… pour aller au bloc, je rigolais avec l’infirmière, parce que si j’en étais là c’est de ma faute. Si on m’avait mieux expliqué à l’époque… tandis c’que là on vous met dans un tiroir : « Diabétique ? Taisez-vous ! ». Parce que y’a diabétique insuline et diabétique Glucophage. Quand je suis arrivé je leur ai dit « moi je suis diabétique léger ». Ils m’ont dit « Ca, y’en a pas chez nous, ça existe pas. Avec ça, vous êtes pas d’accord ? Vous partez ! » Mais toutes les maladies c’est comme ça : vous êtes diabétique, épileptique, on vous met dans une case , vous devez prendre le médicament qu’on veut, c’est comme ça, y’a pas de dialogue ! En tant que médecin vous êtes pas d’accord hein ? Au contraire ! Et ce qui vous gêne le plus c’est qu’on vous dise de le prendre ? Non non non, c’est que du moment que je prenne conscience que je dois le faire. Mais c’est la façon d’annoncer euh… j’vous dis : c’était insuline, y’avait pas de dialogue. Le médecin elle me propose un traitement, je lui dit « Ca j’en veux pas ». Elle me dit « Ya une autre solution ». Mais ça c’était débile : c’était d’aller prendre une bière en face et de revenir. Mais ça c’était débile ! J’ l’ai regardé, j’ lui ai dit : « J’suis là pour me soigner, j’suis pas là pour autre chose ! » Je lui ai démontré que l’alcool, j’pouvais m’en passer quand je voulais ! Là aussi, l’alcool : c’est médicaments, pas autres chose… ben non ! Y’ a aussi autre chose… enfin j’crois ! C’est important ce que vous dîtes sur le dialogue… donc vous, ce qui vous fait souffrir c’est cette histoire de cases ? Ah oui ! Vous êtes malade, vous vous la fermez ! Donc pour vous il n’y a pas de dialogue avec les médecins… Certains médecins ! Quand je vois le docteur d’ici… En fait je suis sorti contre avis médical de Foch… elle me dit « Je vous soigne pas à moitié donc je vous donne pas d’ordonnance ». J’ai attendu une journée et demie. J’avais plus rien ! Et quand je suis arrivé là, j’ai trouvé le dr X. J’étais à ramasser à la petite cuiller, et ça, elle a su écouter ! Moi je suis arrivé là en me disant « j’espère que ce sera fermé » et comme par hasard c’était ouvert. C’était la fin de son service, elle allait fermer et elle a dit à la secrétaire « tu prends plus personne ». Et quand elle m’a vu elle a dit « si si, je vais le prendre ! », et je suis resté une heure et demie, à parler, à faire les soins… ça c’est un médecin ! C’est pour ça que quand je vais au Centre Pieds je passe toujours en bas dire bonjour ! C’est la correction, c’est la confiance que j’ai pu avoir avec un médecin. Donc le dialogue est possible ?

Il est possible mais il est rare ! Trouver le bon médecin au bon moment quand on en a besoin… ça court pas les rues. Et une fois qu’on l’a trouvé… on le laisse plus. Et à cette époque c’était quoi votre situation ? Ben… moitié moitié… j’étais chez des amis, et puis…à la rue… Et pour le diabète… Ben j’étais en miettes! J’ai tout balancé sur le bureau, j’ai dit « j’ai rien », elle a téléphoné à Foch pour avoir des renseignements, et puis gentiment elle m’a fait les pansements. Elle m’a pas dit « vous allez à tel endroit», j’y aurais jamais été. Et pour le Centre Pieds, ça prend une semaine d’avoir une place. Et ben là, ils ont fait la demande le matin et je suis venu à 14 h pour avoir la réponse. C’était pas : le médecin fait le boulot et j’en ai rien à foutre. Ca dépendait du suivi que j’allais avoir. C’était pas « eux ils font et moi j’m en fous!». Non, c’était le début des soins, c’était pas « on va vous rappeler pour vous donner un RDV ». Non ! Je venais chercher la réponse ! C’était la confiance entre le Dr X et l’interne et moi, une confiance mutuelle que j’allais faire les soins… que je continue de faire. Et maintenant que y’a la confiance vous êtes dans les soins… Oui, et y’a le respect. Et quand y’a la confiance et le respect c’est plus facile pour vous ? Ben oui ! Le malade se fait soigner ! Et vous y allez plus volontiers ? J’y vais le cœur léger en me disant « ils vont me charcuter mais j’ai le cœur léger ». De toute façon je suis dans une phase de soins, je dis rien. Sans ça vous n’auriez pas fait les soins ? Ah non ! Même pas les médicaments. Vous savez y’a des gens qui attendent le petit bonbon du soir, bêtement, vous savez : on sait même pas à quoi ça sert, on va le chercher. Si on peut en avoir un en plus, on le prend en plus. Et les soins c’est le minimum qu’on peut avoir et on y va. Moi je suis pas douillet ! Combien de fois les infirmières elles me disent « si t’as mal tu nous l’dit » ! Mais même si ça fait mal je leur dit même pas, je suis pas douillet. J’en suis là, c’est de ma faute. Ceux qui prennent les traitements sans comprendre… C’est bête. Le diabète on en guérit jamais, y’aura peut-être une solution mais pour l’instant non. Moi j’ai commencé par l’insuline, et maintenant j’en suis aux médicaments, donc ça prouve qu’on peut y arriver. Quand je suis sorti il y a quatre ans, j’en avais rien à cirer. Mes amis me disaient « fais attention, on va te couper un doigt ». Et puis ça m’est arrivé. Mais en allant au bloc je blaguais avec eux, parce que je savais ce que je faisais, je savais que j’en arriverais là. Si vous le permettez j’aimerais qu’on reparle un peu du début Allez-y allez-y ! Quand on vous a trouvé le diabète vous n’avez pas voulu prendre le traitement. Si on imagine que vous aviez rencontré un autre médecin qui vous avait bien expliqué vous auriez pris le traitement ? Ah oui ! Si on m’avait expliqué, je l’aurais fait. Mais là c’était : « Casier machin, allez voir le diabétologue et taisez-vous ! » Et si on avait ouvert le dialogue, vous auriez pris le médicament même sans avoir de problème de pied ? Parce que ça se sent pas le diabète. Ah bah c’est c’que j’dis, avec le diabète on ne sent rien ! Et c’est possible de prendre un traitement quand on ne sent rien ? (blanc) Non. Non, si on a pas une explication… pourquoi prendre un médicament si on a pas de douleur ? Et avec une explication ? Ah oui… avec une explication. Vous auriez pris le traitement ? Ah oui. Mais si c’est pour me dire « c’est pas mon domaine, allez voir un inconnu », ça sert à rien. Qu’on explique au moins… Pourquoi aller voir un médecin quand on a pas mal ? Il faut comprendre en fait.

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Ben oui oui ! Est-ce que vous avez des regrets ? J’en ai ! Parce que je suis arrivé à une phase critique. Y’en a qui me disent « on vous avait dit, mais vous avez pas pris votre traitement ». Mais si y’avait eu une bonne explication au départ j’en serai pas là. Tout à l’heure vous m’avez dit que vous étiez responsable du fait d’en arriver là… Ben oui, on m’avait vaguement annoncé que j’étais diabétique donc je savais que y’avait quelque chose, mais j’ai rien fait pour en savoir plus. Mais vous dîtes que c’est aussi la faute des médecins parce qu’ils vous ont pas expliqué. Ben non, non ! Parce que du moment qu’ils préviennent qu’il y a anguille sous roche, c’est à nous de s’prendre en main pour savoir ce qu’il faut faire . Et maintenant on a le droit de dire oui ou non. Mais sans explication c’est un peu dur pour le patient ? Pour moi oui, mais on est pas tous pareils ! Comme je vous disais y’en a qui vont courir après les traitements, et puis y’en d’autres qui sont réticents aux médicaments. Donc ça dépend de… De la personnalité de la personne ! Quand on vous dit « diabète », y’a diabète 1 et 2, est-ce qu’on vous explique ? Non ! Et c’est le rôle du médecin de savoir quelle est la personnalité du patient et de voir s’il a besoin d’explications ou non ? Il devrait ! Et pourtant vous dîtes « c’est que de ma faute si j’en suis arrivé là » et vous ne me dites pas que c’est la faute du médecin… J’ai pas à accabler le médecin, je dois assumer. On vous a dit que vous risquiez d’avoir des problèmes aux pieds ? Et j’ai rien fait ! J’ai rien fait ! On m’a dit « à cause du diabète il peut t’arriver ça », mais comme y’avait pas d’examens et tout, je me suis dit « votre diabète j’en ai ras le bol d’en entendre parler ! ». Qu’est-ce qui vous manquait alors ? De me mettre dans des cases… « Le médecin a raison ! Nous on vous connaît pas et on vous dit ce que vous devez faire. » C’qui faudrait c’est qu’on nous dise. Qu’on nous dise que ça peut régresser aussi. Aucune maladie chronique ne régresse normalement, si on se prend pas en main, personnellement. L’insuline ça a l’air dur à accepter pour vous L’insuline y’a un problème. Parce que sur la notice y a marqué que ça gonfle les articulations, et le médecin ne le dit jamais ! Moi, au bout d’une semaine, quand je sortais, le moindre courant d’air c’était fini ! Pour moi c’est « tel médicament, tu cherches pas à savoir, tu te piques avec, c’est comme ça !». Ils me disent « y’a un régime », mais moi je leur dit « je connais ma maladie, j’ai vécu 30 ans avec, c’est moi qui la vis cette maladie, c’est pas vous, vous savez pas ce qu’on en vit ». Vous savez, le diabète, ben… c’est comme toute maladie, des fois c’est l’moral qu’est… qu’est à zéro ! Ah oui ?A cause de quoi ? Ben j’me dis cette maladie j’l’aurai toujours et j’men sortirai jamais ! Faut être conscient ! Ben ça fout le moral à zéro ! Bon, moi j’ai un bon exemple parce que j’ai trouvé un bon médecin mais si je l’avais pas trouvé ben je serais mort ! Et vous vous dîtes que vous auriez pu mourir de cette maladie ? Ben oui parce que après, ceux qui s’occupent de moi maintenant c’est la continuité ! Un médecin que j’espère que vous serez un jour ! Est-ce que vous trouvez qu’ avec votre situation de logement, de travail, c’est plus compliqué d’avoir un diabète ? Non ! Quand je travaillais dans la restauration, quand j’ai arrêté l’alcool, quand j’ai dit « à partir d’aujourd’hui c’est stop parce que j’ai telle maladie », on m’a dit « t’y

arriveras pas ! ». Et ben ça fait plus de trois ans que je touche plus une goutte d’alcool. Quand je vais faire mes courses au supermarché, vous avez les bouteilles d’eau d’un côté et juste en face vous avez l’alcool et les apéritifs. Je les regarde, ça me tente même pas ! De temps en temps j’achète des petits croissants le matin aux infirmières. J’en prends trois (parce qu’elles sont trois). J’en prends pas quatre. Ça me tente même pas. C’est comme ça, je peux pas prendre du sucre. Je peux même blaguer avec eux. Quand y a un petit gâteau qui traîne je dis « ça me tente bien » et quand on me le propose je dis non ! C’est-comme-ça ! Et vous dîtes que vous étiez à la rue à un moment ? Ouai ! Et en ce moment ? Ben là je suis en milieu hospitalier, pour me soigner, donc là ils vous hébergent pendant un certain temps. Et comme je sais qu’ils veulent pas que je me tire comme ça, je sais pas combien de temps ils vont me garder ! Et c’est plus facile de se soigner là-bas ? Ah bah oui ! Tout ce qui est médicaments on les achète nous-même et on les remet aux infirmières. Ils nous font les pansements sur place. Mais j’leur ai bien dit au départ : « je suis là pour les pansements, vous me prenez pas la tête avec le reste ! », et c’est là qu’on m’a balancé « et régime et machin et gnin gnin gnin… » et le lendemain on m’a balancé un plateau avec le régime. Et j’ai pas mangé et quand tu manges pas c’est rapport . Et maintenant vous mangez ? Ben oui, mais comme j’ai dit, ben dimanche, le p’tit gâteau, ben j’le veux bien ! Et vous auriez voulu avoir le choix au départ ? Ben j’avais eu un accord avec le médecin qui m’avait dit « c’est bon » et puis les infirmières elles m’ont dit « ah non, t’y a pas le droit ». Est-ce que si vous aviez un logement ce serait plus facile pour votre diabète ? Non ! Ce serait pareil. Du moment que j’accepte la maladie euh… et que mes collègues de travail acceptent aussi… du moment qu’ils disent pas « prends une bière, prends une bière », du moment qu’ils acceptent que j’me soigne et tout…. euh… le respect de l’autre ! Le respect… Ah oui mais même moi j’suis pareil, parfois je manque de respect ! Ah bah oui on est tous pareils ! Et donc vous arrivez à parler de l’alcool avec les collègues ? Ouai ! Moi j’ai un collègue, un ancien cuisinier, dès qu’il avait terminé et qu’il avait sa paie, toute sa paie y passait. Mes collègues m’ont dit « toi qui es bénévole ailleurs, va le voir » j’ai dit non, et puis j’ai craqué j’suis allé le voir. Au bout d’une semaine il faisait une cure ! On peut s’en sortir si on en parle… Si on en parle. Si on garde secret, au bout d’un moment les gens ils voient ça va pas, les gens s’en aperçoivent… Et c’est pas plus facile non plus d’en parler, parce que les gens ils peuvent répondre « ben fous nous la paix avec ta maladie » et là c’est encore plus dur d’essayer d’avoir un dialogue : « ah ouai t’es malade ? Et ben reste dans ton coin et soigne-toi et fous nous la paix ! » Donc il vaut mieux en parler ou non ? Il vaut mieux en parler de toutes manières, toujours ! Il vaut mieux en parler mais on prend un risque ? On prend un risque ! De s’faire jeter. L’autre fois on était entre collègues, entre nous euh… diabétiques et on parlait du diabète. Et puis une collègue elle commence à nous dire « ah mais moi aussi j’suis malade, j’ai tel et tel problème ». Au bout d’un moment j’lui ai dit « Ben tu vois ! C’est bien d’en parler ! On s’ra là pour te soutenir, mais soigne-toi ! On est tous là. » Elle me dit : « t’en parle pas aux autres ». Mais j’ai dit « on est cinq, on est solidaires ». Et ça aide ! Ça aide pour quoi par exemple ? Pour nous, parce qu’on sait que l’autre a un problème de santé différent du nôtre mais qu’elle a aussi besoin de notre soutien pour continuer à se faire soigner. Et puis pour nous. Pour moi, avoir la confiance de cette personne-là, c’est une confiance partagée qui se rapproche, c’est important. Parce qu’avec

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une infirmière : « t’es malade, d’accord, mais moi ma maladie je t’en parle pas ». La confiance mutuelle, partagée… C’est comme avec une élève infirmière qui me parlait de son problème, l’épilepsie. Quand elle me parlait de l’hygiène de vie je lui ai dit « ah ouai on s’comprend bien quand même ! T’es dans ton carré, j’suis dans le mien, et on en parle pas aux autres ». Y’en avait une qui m’avait dit « t’en parle pas aux autres ». J’l’ui avait dit « non, c’est entre toi et moi ». Donc on en parle plus facilement à ceux qui ont aussi une maladie On essaie de comprendre pourquoi il faut prendre des médicaments. Parce qu’être épileptique et infirmière, ben… j’crois pas que ce soit facile, faut se battre pour le faire ! Moi j’peux dire « j’suis diabétique depuis trente ans et puis foutez moi la paix », ben ça avance pas le dialogue. Et en ce moment vous ne travaillez pas ? Non, non, avec le pied je peux rien faire. Et quand le pied sera guéri ? Ah ben moi j’leur dit « j’me tire ! Je retourne dans la vie courante ! » J’leur dit ! Avec un traitement pour le diabète Ah ben en blaguant j’leur dit « j’arrêterai le traitement » ! Ça c’est un peu la… la petite pique ; « vous m’avez pris la tête et ben quand j’s’rai plus là j’arrêterai ». Mais vous pensez qu’en fait… Entre l’opération et le centre, les médicaments j’les prenais tout seul, j’ai pris conscience que j’en avais besoin… Et si vous sortez et que vous n’avez plus mal nulle part ? Ça sera votre décision ? Ça devient ma décision, c’est mon choix d’aller plus loin dans les soins. Et qu’est-ce qui vous motive ? De pouvoir revivre comme avant ! Et c’est quoi revivre comme avant ? Ben pouvoir aller au cinéma, faire toutes les activités sans me dire « ce truc-là tu peux pas , tu peux pas… », pouvoir marcher ! J’vois au centre euh... on sort pas ! Ce matin j’ai dû leur dire « j’ai RDV au Centre Pieds, vous vous rappelez pas ? A telle date à telle heure ! » Je suis responsable ! Mais on n’a pas à me dire « tiens t’as ton RDV là-bas ». Et pour vous c’est compliqué d’avoir des RDV à droite à gauche de voir des médecins ? Non ! Du moment que j’ai décidé de le faire. Et vous vous organisez comment ? Par exemple pour ne pas oublier, pour être à l’heure… c’est compliqué ça ? Non ! Par exemple j’ai un RDV le 22 février à 16h45, et ben je le sais. Et vous n’allez pas le rater ? Non ! Je vais le rater si je veux pas le faire. Si je veux pas le faire je prendrai la bonne excuse « ah ben… j’avais oublié ». Et c’est pas un poids pour vous ces RDV ? Non non ! C’est rentré dans une vie courante pour moi de dire « tel jour tel jour j’ai RDV là ou là ». C’est noté, c’est comme quand on travaille et qu’on a un RDV à la médecine du travail ou autre chose, c’est gravé ! C’est noté, c’est noté ! Et le fait que ça vous prenne du temps, ça vous embête ? Non, je sais que quand j’arrive là c’est pour trois-quarts d’heure, c’est trois-quarts d’heure utiles ! Et si on vous propose un travail, vous sentez que vous pouvez accepter ou alors le diabète vous empêche d’accepter quelque chose ? Non, au centre j’suis le seul à donner un coup de main pour mettre la table. Pour moi, rester inactif parce que j’suis malade, non, j’peux pas ! Ça vous empêchera pas d’accepter un travail ? Non ! Absolument pas ! Faut que la vie continue ! Si on s’arrête et qu’on s’dit « j’suis malade et j’dépends de l’autre… ». Vous savez moi je suis très indépendant et au centre ils s’en sont aperçus tout de suite.

Par exemple le Dr Z elle m’a dit tout à l’heure « vous ferez cette prise de sang dehors ». J’ai dit non ! Non ! J’en ai fait une il y a une semaine, pourquoi faire celle-là ? J’apporterai les résultats et voilà. C’est tout ! Donc toutes ces choses-là elles sont pas liées à votre situation sociale mais à votre personnalité ? Ben oui, si je me laisse aller, tout le monde va faire tout ça à ma place et je serai plus qu’un légume, un petit pion qu’on va bouger comme on veut. Ben en assumant la vie courante ben… la maladie passe mieux. Les soins sont plus réguliers, plus efficaces… C’est pas « je fais tel soin parce qu’on m’a dit de le faire et à côté moi je fais le soin parce que je dois le faire ». Mais ! Y’a tout l’avenir qui vient derrière! Moi le traitement du diabète, je le prends parce que j’ai envie de vivre des années ! Et ce serait pareil si on imaginait que vous ayez une maison, un travail fixe… Ce serait exactement pareil ! Je l’ai accepté dans la vie courante, donc je peux pas faire autrement de toutes manières. C’est rentré dans une case où ça doit être donc… je vis avec ! Et si on vous reparle de l’insuline… Alors là c’est non ! C’est clair c’est non ! On peut en parler, me dire « tu te piques »… non ! C’est la piqure qui ? Non c’est la façon de dire « c’est insuline, c’est insuline » Et si on en rediscute, avec des « si »hein. Si jamais on vous explique qu’on a tout essayé pour les médicaments et que le diabète continue d’évoluer, qu’on a plus de médicament qui marche et que vous risquez de perdre un autre orteil mais que l’insuline peut vous permettre de diminuer le sucre… Euh… si on en parle euh… pourquoi pas…. Mais avec des bonnes raisons ! En fait vous voulez vraiment comprendre Pourquoi tel médicament pour telle maladie ? Que ce soit insuline ou cachets, pourquoi tel médicament ? Vous avez besoin de comprendre comment ça marche Je ne suis pas quelqu’un qui attend le petit bonbon du soir. Vous ne voulez pas qu’on croit que vous êtes comme ça Je-ne-suis PAS comme ça ! C’est pas une question de croire ; je ne suis pas comme ça ! Je ne suis pas le malade à attendre son petit médicament. « Ah j’ai une petite douleur, vite un médicament !» Du moment qu’on arrive à trouver la confiance, je vous dis, c’est plus facile de se soigner. Et là vous avez l’impression de mieux comprendre cette histoire de sucre, de diabète ? Ah non ! Je le savais dès le départ, que je courais à la catastrophe. J’en avais rien à cirer !

- « Vous prenez les médicaments ? - Non ! - Vous êtes malade ? - Oui ! » - Vous êtes diabétique ? - Oui - Des médicaments ? - Non !

J’suis têtu !

Et vous pensez aux complications ? Oh pas trop parce que j’ai décidé de me soigner donc c’est bon ! Donc les complications c’est pas pour vous… Ben non parce que j’suis passé de l’insuline aux cachets, c’est que j’ai fait attention à moi-même ! Vous avez décidé Le corps décide pour vous, c’est le corps qui dit s’il a besoin de sucre ou non ? S’il a besoin de sucre il va vous dire, et vous répondez. J’vous dis ; s’il en a pas besoin, la petite tentation il va pas vous la mettre. Ah vous avez remarqué ça ? Je l’ai analysé comme ça ! J’vous dis, quand les infirmières elle prennent leur petit croissant, mon corps il dit non ! Le sucre stop ! C’est question de volonté !

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Du moment qu’on a pris conscience qu’on est malade, que telle maladie c’est comme ça, la vie est simple ! Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux médecins ? Faites attention aux patients beaucoup plus. Ecoutez les patients beaucoup plus. Ne soyez pas butés ! Le patient il est buté, il dit « je vais pas plus loin » et le médecin il dit « stop, le traitement c’est comme ça ». Vous voyez, pas de dialogue, deux murs, c’est fini ! Le médecin doit, devrait à première vue, comprendre le patient qui vient le voir : un petit peu son état de fragilité où il est (ce que le dr X et son interne ici ont vu tout de suite) . Et tout de suite il y a pas « je suis le médecin, t’es le malade ». Et tout de suite y’a la coopération automatique dès le départ ! Dès le départ ! Et là euh… c’est génial ! Et vous étiez sensible au fait qu’elle fasse votre pansement aussi Du moment qu’elle me dit pas « allez là-bas ». Y’a le dialogue ou y’a pas. Le pansement c’était une partie de…de la confiance, du cheminement qu’on peut… Et j’aurais pas eu ce dialogue-là, ben quand je passe dans la rue je m’arrêterais pas ! Ça peut être la personne de l’accueil, ça peut être l’assistante sociale… c’est des gens que j’ai eu sur mon chemin quand j’en ai eu vraiment besoin et qui ont répondu « présente ! ». Le contact a été automatique, la solution a été automatique : « c’est comme ça » et j’ai accepté tout de suite -même si ça a été dur hein- mais j’ai dit « oui je le fais ». Et mes « oui », je sais pas les dire en général. C’est « peut-être », euh… le plus souvent c’est « non ! » Et pourquoi vous êtes venu ce jour-là ? Ben j’avais plus de médicament, je savais que ça allait s’aggraver. Mais je vous dis, en passant je me suis dit « pourvu que ça soit fermé » et par chance c’était ouvert ! Donc vous êtes venu… A reculons ! Mais je vous ai dit, je savais que c’était grave. Vous aviez peur ? Ah oui ! Peur de quoi ? Ben de la gangrène et … de la maladie ! Il fallait ça pour demander de l’aide.. Ouai. Je vous dis, on s’est compris tout de suite et la coopération a été TOTALE ! Souvent on voit son médecin « ah ! Un petit bobo, gnin gnin, j’veux un p’tit médicament », et on revient 8 jours après…et souvent, le fond de la maladie, et ben on passe à côté ! Alors que là, diabète, machin, c’était clair ! J’avais pris confiance, j’ai trouvé un médecin qui m’a donné sa confiance… Alors tout à l’heure quand on m’a dit qu’elle voulait me voir alors qu’on s’était vu juste avant… je me suis dit c’est bizarre mais on y va, je rentre dans le bureau ! Et bien je vous remercie beaucoup de m’avoir dit tout ça Et vous aussi, vous m’avez aidé à parler. Ca va nous aider à mieux comprendre tout ça… Ben j’suis content de vous aider.

ENTRETIEN 4 : ASSETOU Caractéristiques médico-sociales Patiente de 54 ans, d’origine camerounaise, en France depuis 2009, titre de séjour pour soins depuis peu. Pas de logement (hébergée chez des compatriotes de façon très irrégulière ou dans des foyers). Pathologie rhumatologique vertébrale d’étiologie inconnue. CMUc Vous avez un problème de dos ?

Ça a commencé depuis très longtemps, depuis des années, au début je croyais que c’était passager, j’adorais dormir sur le ventre mais le mal est arrivé petit à petit et s’est installé. J’avais l’impression d’avoir un ver dans le bas du dos, le mal s’est augmenté augmenté… au bout d’un an j’ai consulté, on m’a donné des antalgiques qui me soulageaient un peu et des anti-inflammatoires, mais le mal ne faisait que s’aggraver. Et comme j’étais pas bien dans ma vie déjà…j’avais la vie dure… J’ai vécu un mariage polygamique, on était 4 femmes, avec chacune sa chambre, le mari sa chambre, les petits dormaient avec leur maman et les grands leur chambre en bas. Mais le mari est parti en prison, alors chaque épouse devait se débrouiller pour élever ses enfants. Alors j’ai commencé à me lever à 4h du matin pour faire des beignets et les vendre. Et puis j’ai acheté des régimes de bananes pour les faire mûrir et les revendre au détail pour faire un petit bénéfice. Porter les bananes a dû aggraver mon mal de dos car c’était des très lourdes charges. Mon mal de dos s’est accentué. J’ai supporté ce mariage comme ça, j’ai envoyé mes enfants à l’école. Et puis j’ai fait dépression sur dépression, j’ai cru que j’allais mourir… on m’a mise sous Prozac. C’était très grave, j’ai perdu 20 kilos, j’étais maigre. Mon frère m’a accueillie chez lui, il a essayé de me parler, de me parler… ça m’a un peu remonté le moral, et puis au bout de 6 mois je suis rentrée chez moi. Je sortais la journée faire mes activités et chaque soir quand je rentrais c’était comme si je rentrais dans une prison. Et quand la dernière est partie, j’ai appelé mes enfants (j’ai 4 filles) : « Voyez ma situation, je suis malade, dépression sur dépression, j’ai mal au dos, votre père ne s’occupe pas de moi. J’ai supporté le mariage mais je ne peux plus supporter cette vie, j’ai supporté tout ça pour vous élever, parce que vous n’avez pas demandé à vivre. J’avais besoin d’un toit pour vous élever, mais maintenant que la dernière est à l’université, je préfère partir, louer une chambre et avoir la paix. » Mes 4 filles étaient d’accord, l’une a même proposé de me donner un peu de sous pour que j’aie la paix. Je suis partie à l’hôpital et tout ce qu’on me donnait me soulageait de moins en moins. Et ma fille a eu des problèmes, elle a perdu 2 enfants à la naissance alors elle est venue ici pour savoir quel était le problème. Elle est arrivée ici par des voies pas normales… et elle a conçu à nouveau. On croyait que tout irait bien mais à 7 mois ½ les 2 jumeaux sont morts dans son ventre. On lui a dit qu’elle avait un problème de circulation avec le sang qui se coagulait dès la naissance et les enfants mourraient aussitôt. La grossesse suivante, le me médecin lui a dit qu’il voulait comprendre ce qui n’allait pas. Alors mon autre fille m’a dit « ta fille est seule en France et tu étais ici quand elle a eu des problèmes, il faut que tu ailles en France pour l’aider ». Heureusement ça s’est bien passé, la petite fille va bien, elle a 2 ans ½. Des amis m’ont envoyé une invitation et je suis arrivée. Après la nuit dans l’avion j’ai eu encore plus mal, j’ai passé la nuit à l’hôpital. Mais quand on n’a pas de papiers, qu’on n’a pas d’endroit où habiter, la vie est très dure ici… Ma fille n’avait pas de logement à Paris, elle est partie vivre dans l’Aube, et je me suis retrouvée seule… J’ai dormi chez des compatriotes, un jour ici un jour là, demain on vous chasse, on vous prend un mois ici et on vous chasse encore. Je dors sur le froid… je sais pas… c’est... c’est très difficile… c’est la merde quoi… tu sais… tu... parfois, tu pleures, tu as envie de finir, de… de te donner la mort, tu as envie de rentrer chez toi… tu te demandes ce que tu fais là, pourquoi est-ce que tu souffres comme ça…mais quelque part… même sans papier, quand tu vas à l’hôpital on te donne du paracétamol. On te dis comment tu peux avoir l’AME, j’ai eu l’AME je suis partie dans un hôpital, on m’ a fait une IRM , on m‘a dit que le mal était déjà très avancé et qu’il fallait m’opérer mais que sans AME on ne pouvait pas m’opérer alors on m’ envoyé ici à la PASS. Le chirurgien a commencé à me suivre, mais un autre médecin a refusé de m’opérer, ça fait un an et demi maintenant, je ne sais pas pourquoi, et le mal ne fait que s’aggraver… dernièrement je n’arrivais même pas à marcher, à m’appuyer sur mes 2 jambes. C’est comme si tout le dos, tout le ventre était pourri à l’intérieur. Avent que le Dr X me prescrive un traitement de choc. Un autre chirurgien m’a dit que je ne pouvais pas continuer comme ça, qu’il fallait opérer. On a changé d’hôpital et on m’a envoyé chez un autre professeur avec toutes les radios et IRM. Il a dit oui il faut opérer, le dos est très très dégradé. C’est vrai que c’est une opération très délicate, que vous n’avez pas beaucoup de chances de sortir de là et de vous retrouver debout sur vos jambes. Beaucoup de gens sortent de là et se retrouvent dans un fauteuil. Mais ces derniers temps je n’ai plus peur de ça car j’ai trop mal. Vous voyez, c’est comme si j’étais une morte vivante Vous vous sentez une morte vivante … Ah oui. Parce que vous voyez, comme je suis assise là j’ai déjà trop mal, quand je m’assois longtemps j’ai mal, quand je me mets debout longtemps, j’ai mal. Je

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marche, j’ai mal. La seule position où j’ai moins mal c’est couchée… et j’ai même pas de maison pour me coucher… vous voyez un peu ? Et de temps en temps il faut qu’on vous chasse d’ici, qu’on vous chasse de là, c’est dur, c’est très dur quoi… les… les… les neuf quarts de ma vie je voudrais les passer couchée… les neuf quarts de ma vie…si j’écoutais mon corps avec mes douleurs, je ferais juste les efforts pour me lever et aller aux toilettes, là je peux plus rester debout et faire la cuisine. Allongée c’est la meilleure position, mais même allongée la nuit il y a des crises, mais c’est quand même a meilleure position. Vous avez l’impression que ce qui serait bon pour vous ce serait d’être allongée la plupart du temps ? Oui, oui. Et vous êtes logée comment là ? Par le 115 ? Non ! chez des compatriotes…Je suis balancée de gauche à droite, un jour dans tel quartier, le lendemain là-bas… Bon si j’appelle le 115, c’est pour le soir, et dans la journée, où est-ce que je vais aller ? C’est pour ça que je peux même pas appeler le 115, il faut quand même que je sois couchée quelque part, pour me reposer, même si c’est au sol. Parce que avec le 115 tu arrives le soir et le matin tu dois partir… » [Aparté sur les conseils qu’on lui a donné pour trouver un logement, explique que la compatriote chez qui elle est hébergée va être expulsée dans 15 jours] « Tout ça, ça m’inquiète beaucoup, ça m’empêche de dormir…bien sûr. Et vous prenez des traitements ? Oui là je prends Lyrica, du Tramadol… les traitements pour la tension… c’est plusieurs médecins qui me donnent ça, j’ai pas un seul médecin …ah… je sais plus ce que je prends, attends.. Vous avez plusieurs médecins ? Oui. Vous voyez qui ? Un neurologue à la Salpêtrière… Et puis un chirurgien à St Antoine, qui m’a fait une IRM… Et vous consultez en différents endroits ? Comment ça s’est trouvé comme ça ? Parce que j’ai plusieurs maladies… mon médecin généraliste elle est ici, elle connaît tous mes traitements…attends, je prends quoi… [fouille dans son sac] C’est pas grave… vous prenez quelque chose pour la dépression ? Ah oui, je prends Rivotril, les gouttes, le soir, et j’ai pris Laroxyl pour la tête, et le Cimbalta, mais ça m’a fait prendre trop de poids… Et vous voyez un cardiologue ? Je l’ai vu oui, mais ça fait longtemps que je l’ai pas vu parce que il me dit que le cœur ça va. Et ça vous fait quoi de prendre tous ces traitements ? Moi j’ai toujours pris des médicaments depuis le Cameroun, ça me dérange pas, parce que j’ai toujours été malade. Ça fait partie de votre vie Ouai, parce que j’ai toujours été malade. Surtout ma tête, le problème de la tête... j’ai perdu un enfant… ma dernière fille je l’ai perdue en 19 ??, je crois que ma dépression est partie de là... et mon mal de tête est parti de là, et c’est jamais parti jusqu’à présent, si je ne prends pas les remèdes j’ai mal à la tête. Avec les remèdes ça passe, mais si j’oublie j’ai mal. Et quand j’ai trop de soucis, même avec mes remèdes ça passe pas, par exemple là depuis 3 jours, j’ai mal à la tête. A cause des problèmes de mes enfants… Donc votre situation, votre logement, ça aggrave votre maladie Ouai ouai, surtout la tête. Et le fait d’aller chez les médecins à droite à gauche ça vous prend du temps ? Ça vous embête ? Ça m’embête parce que quand je marche ça me fait mal mais sinon c’est pour moi comme une sortie, parce que sinon je ne fais rien. Pour moi, en dehors d’aller chez le médecin je ne vais nulle part. Sauf quand c’est loin, ça me fait trop mal. Mon vœu le plus cher c’était que je guérisse et que je puisse travailler pour avoir de l’argent. Parce que les gens qui sont en bonne santé ne misèrent pas, même sans papier… y’a du travail au noir. Mais depuis que je suis arrivée en France je n’ai jamais travaillé, même pas au noir, parce que je souffre de la maladie. Moi je

souffre beaucoup parce que je ne peux pas travailler. Quand j’ai eu l’AME j’ai cru que j’allais guérir et que je pourrais travailler. Mais au contraire, mon mal partais de mal en pis, c’est pour ça que je n’ai même plus peur de l’opération car là je ne peux rien faire, je suis comme une morte vivante… ça n’avance pas, au contraire. Depuis que je suis là, au lieu que ça diminue, ça ne fait qu’augmenter. Une morte vivante ? C'est-à-dire que là je ne sers à rien. Si j’étais arrivée en France dans cet état je ne me serais même pas occupée de ma fille ! Quand je suis arrivée je me suis occupée d’elle, mais là je ne peux plus rien faire, je ne peux pas garder un enfant de un mois docteur, je ne peux plus rien faire. Et c’est pour ça que vous vous sentez comme une morte vivante… Mais bien sûr ! Car si je pouvais faire des choses je ne devrais pas me misérer comme je me misère là. Hein ? Je ne devrais pas être derrière les gens en train de commander pour dormir, je ne devrais pas me tracasser pour chercher où dormir. Vous comprenez ? C’est pour ça, au lieu de vivre comme ça autant être dans une chaise roulante. Il faut faire ci il faut faire ça, j’en ai marre ! Je vais travailler quand pour sortir de cette misère ? Moi j’ai envie de guérir ! Ou je guéris pas, ou j’en finis, j’en finis et je meure ! On en parle plus ! Ça ne vaut pas la peine d’être là ! Tu n’es pas guéri, tu n’es pas guéri ! Tu n’es pas en santé, tu fous quoi là, tu fous quoi là, hein ? Ou tu es malade ou tu es en santé, ou tu... je sais pas ! Si j’étais pas malade je serai au moins capable d’avoir un logement. Ne serait-ce que pour pouvoir être à l’aise, me coucher quand je veux. Quand mon corps me demande je me lève, quand je veux me coucher je me couche. Ma fille elle peut pas m’héberger. Vous avez dit que parfois on se demande pourquoi on est là. Et vous avez pensé au pays ? Bon mes enfants sont au pays, elles ont pas encore fait leur vie, elles ont des petits enfants, je ne veux pas rentrer et être une charge pour mes enfants, ça me fait mal très mal, surtout que elles ne sont pas aisées… c’est vrai que si je rentre elle ne vont pas me jeter, mais ce serait un sacrifice, elles feraient un sacrifice pour moi et ça me ferait mal. Et ici je n’arrive pas à travailler. Donc pour vous, la maladie elle est au cœur de tout… si vous n’aviez pas la maladie… Ah oui, si je n’avais pas la maladie… je suis une battante ! Je suis une battante ! Mon mari est parti en prison, ma fille aînée est partie en CM2. J’ai élevé mes enfants, elles ont eu le bac, elles sont toutes allées à l’université, elles ont fait des études. Moi, mon père est mort, c’est la guerre d’indépendance qui a tué mon papa, j’avais à peine 2 ans quand mon papa est mort. Mais le pire c’est votre dos en fait, la tension… Ouai la tension à la rigueur bon… mais mon mal de dos, et la tête, c’est surtout ça. Et vous sentez que quand la situation va lieux le dos s’améliore aussi ? Ouai ! C’est comme si plus je m’enfonce et plus le mal aussi s’aggrave ! C’est comme si tout part au même moment. Parce que quand j’ai un peu de moral je sens moins mal. Même le traitement que je prends agit beaucoup plus sur moi que quand j’ai pas le moral. Et le moral il est lié à quoi ? C’est… si j’avais une chambre. Il y a des jours même où je mange pas…. C’est vrai y’a les restos, mais faut avoir la force d’aller s’aligner, c’est pour les gens qui ont la force, la santé, moi j’ai pas la force d’aller m’aligner car j’ai mal au dos… je commence à perdre du poids là parce que j’ai pas à manger… et j’ai mal au dos alors je peux pas travailler. Avec le mal de dos je ne peux rien faire, rien rien rien ! Et quand ça va mieux Oui ! Quand on m’accueille dans une bonne maison ça va un peu, une semaine et la semaine après déjà on voit que ça va moins bien, et c’est comme ça tout le temps, mais c’est pas une vie ! Et avec les médecins ça se passe bien ? Oui, oui, ça se passe bien. Et vous n’avez pas beaucoup d’entourage proche en fait… Non, j’ai pas de famille, mes enfants ils sont pas là… est-ce que j’ai de la famille ici, non pas vraiment…. Bon, je vais aller voir l’assistante sociale pour lui dire pour mon logement. Je vous remercie beaucoup ….

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ENTRETIEN 5: ROUFFAI Caractéristiques médico-sociales Homme, 26 ans Origine ivoirienne, de père français, arrivé en France en 2005 En attente d’une carte nationale d’identité Travail non déclaré Logement stable en location VIH Bordereau PASS Vous disiez que vous avez quelques difficultés… Beaucoup même ! Des difficultés au niveau de... la sécurité sociale tout ça . Parce qu’en fait euh… je suis de nationalité française, je suis né en Côte d’Ivoire, de père français et de mère ivoirienne. Donc j’ai fait toute mon enfance en Côte d’Ivoire jusqu’à ce que mon père et ma mère se remettent ensemble pour ma nationalité. J’ai reçu la nationalité à Abidjan, à l’ambassade de côte D’ivoire. Mais quand je l’ai reçu c’était vraiment chaud ! Et je n’arrivais pas à avoir les papiers, parce que ils demandaient un acte de naissance sur place. Mais comme il y avait la guerre je n‘arrivais pas à avoir les papiers. C’est à ce moment-là que j’ai eu un problème avec mes yeux, parce qu’ils m’ont cassé les yeux et c’est pour cela que je porte des lunettes. Et après ça s’est calmé, et après ça a repris. On n’arrivait pas si vous voulez à mettre la main sur les papiers, au niveau de la maternité, de l’ambassade, tout ça…on avait accès à rien à cause de la guerre. C’est pourquoi mes parents ont décidé de nous faire rentrer ici. On est passé par la Belgique. Et quand on est entrés, à chaque fois on nous disait « vous dépendez de la Côte d’Ivoire, vous pouvez rien faire ici, il faut voir avec l’ambassade de Côte d’Ivoire…Alors on a fait des courriers, on a tout emporté, et il s’est trouvé qu’en fin, on a reçu notre acte de naissance, parce que pour la carte d’identité il faut l’acte de naissance. Nous sommes 3 ici. J’ai mon petit frère qui vit à Levallois, il a envoyé un dossier et il a eu sa carte d’identité en 15 jours. Et moi, moi, on a reçu l’acte le même jour hein, j’ai déposé mon dossier à la Préfecture de Paris puis du 18ème, ça depuis le 5 décembre 2010 et j’ai rien reçu ! J’ai fait toutes les démarches, en plus je suis en CDI. J’ai tout fait et j’ai rien. Et franchement, ça me fout dans la merde ! Et je sais plus quoi faire, j’ai tout fait ! Aujourd’hui l’hôpital Foch me poursuit, j’ai été hospitalisé là-bas, ils me poursuivent pour que je puisse recouvrir les frais. J’ai des difficultés pour retrouver mes droits de SECU. Vous n’avez pas l’AME Non, pas du tout, je l’ai jamais eu Vous n’avez que le PASS Oui, mais il est valable que sur l’hôtel Dieu, pas partout, pas dans les autres hôpitaux. Et c’est ça je prends pour faire tout ce que j’ai à faire au niveau de l’hôpital. Depuis que je suis ici je n’ai jamais eu de facture pour l’Hôtel Dieu, parce que tout est pris ici… Mais à part ça, l’hôpital Foch il me poursuit tous les jours. Il le sait le docteur là, c’est pour ça qu’il m’a dit de vous rencontrer. Et là… je suis vraiment perdu ! Je n’arrive pas à comprendre ! Pourquoi j’ai les mêmes papiers avec mon frère ! On a le même père, la même mère, on a tous les même papiers/ Il a déposé à Levallois et il a sa carte d’identité ! Alors pourquoi moi j’ai pas, pourquoi j’ai pas ma carte d’identité ! Ça fait déjà un an et ½. Lui il l’a reçu en 2 semaines. Pourquoi moi je l’ai pas c’est pas normal ! Je suis en CDI en plus ! Qu’est-ce que vous faites ? Je travaille dans une société ou on fait plein de trucs en même temps quoi, on est… on fait tout quoi Vous êtes polyvalent… Ya mon patron, je suis un des rares, vue ma compétence sur le terrain. Il a pris tous ce que j’avais comme documents pour me faire un CDI. Je savais pas que j’allais vous rencontrer, sinon je vous aurait tout montré ! J’ai mon CDI, j’ai j’ai mon DUE, j’ai mes fiches de paye j’ai tout ! Tout ce qu’il faut pour qu’un salarié soit dans ses droits. Et j’ai tout déposé à la Préfecture. La sécu ils m’ont répondu que non, qu’il fallait que je rapporte ma carte d’identité pour recouvrir mes droits. Et je vais à la Préfecture et on me dit d’attendre, mais je vais attendre combien de temps ?

Et tout ça par rapport à votre santé… Et quand les revenus rentrent à la fin du mois, j’arrive pas à les maîtriser puisque j’ai pas de compte bancaire. Mon patron il me donne les sous comme ça en liquide. Vous savez l’argent qu’est-ce que c’est. Et moi ça me pénalise, puisque quand j’ai fini de payer mon loyer, mes factures, c’est de l’argent espèce. On sait jamais à quoi tu peux… machin ! Avant que le mois finisse, j’ai plus d’argent ! Et mon patron lui-même ça l’emmerde, il a même fait lui-même une lettre à la Préfecture, mais j’ai comme l’impression ils s’en foutent ! Moi je sais pas où je vais là, franchement ! Et vous avez un logement ? Ouai j’ai un logement ! J’habite dans le 18ème. Je paie par mois 630 euros. Et quand j’ai fini ça, avec ce qui me reste c’est plus grand choses pour finir la fin du mois, pour me déplacer. Moi si j’avais un compte bancaire je pourrai quand même m’organiser, et là… (entretien interrompu par un médecin qui entre pour adresser un patient) Donc on parlait de l’absence de compte bancaire qui vous empêche de vous organiser comme vous l’aimeriez… Voilà, un compte bancaire pour savoir un peu où je vais, m’organiser… Ben oui je suis en CDI et pourtant là… je n’y arrive pas du tout ! J’ai des revenus en plus, ça fait prêt de 1 an ! Là j’ai pris ma journée pour venir à l’hôpital, mais je recommence demain. Mais je n’arrive pas du tout à m’organiser, je n’y arrive pas ! Même l’assistante social elle connait mon problème, et pourquoi vous voulez pas appeler la Préfecture pour savoir ! Donc votre principal souci c’est quand même cet argent que vous demande l’hôpital Foch Bon, non seulement y a l’hôpital Foch mais y a aussi mon problème de carte d’identité ! Ben oui, parce que j’ai tout, j’ai tout et ça fait plus d’un an ! Un an ! Sans droit ! Et non seulement ça mais j’ai fait 5 mois sans travailler parce que j’étais hospitalisé par rapport à ma maladie et après il a fallu que je me traite. Je suis allé déposer mes papiers à la Sécurité sociale. Ils m’ont répondu que mes droits sont toujours ouverts mes qu’il faut que je leur rapporte la carte d’identité pour que eux puissent me donner un numéro de SECU. Donc vous n’avez pas eu d’indemnité journalière… Rien ! Mes droits sont bloqués et je, je… je sais pas. Mi je leur ai dit que je pète un câble ! Parce que c’est pas possible, c’est pas possible ! Non seulement je pense que je suis malade ! Et quand je pense que mes papiers se passent comme ça, mais ça me donne souvent envie de péter un câble madame je vous dis ! Ça vous donne envie de péter un câble Ah oui ! Ca je vous mens pas, les docteurs ils savent ! Parce que euh… c’est pas possible ! Comment la préfecture peut faire ça ?! Vous menez une enquête, pendant un an et 2 mois et vous n’avez pas trouvé quel est le problème jusqu’à aujourd’hui ? Quand on tue les gens ! En 2 mois, vous bouclez l’enquête ! Quand y a vol ! En 2 mois : vous bouclez l’enquête ! Et simplement pour une carte d’identité, un an et 2 mois ! Ya quel problème ! Dîtes-moi si ya un problème ! Si y’a un problème mois je prends mes dispositions pour que ce problème soit réglé ! Mais vous me dites rien ! C’est ce qui me fait mal en plus ! Qu’ils me disent rien ! Quand j’écris, c’est qu’ils prennent euh… mon courrier et ils déchirent ! Ils mettent ça à la poubelle ! C’est pas normal ! Moi j’ai pété un câble… parce que quand je pense que je suis malade ! Quand je pense que je suis malade…Parce que moi le problème de maladie c’est pas un problème pour moi ! Je vous explique pourquoi : Parce que j’ai toujours honoré mes RDV à l’hôpital, je prends mes médicaments euh… ça va mieux… On vous l’a diagnostiqué quand ? C’est ici, c’est depuis que je suis ici, ils l’ont diagnostiqué au niveau de… à Avicennes. J’étais hospitalisé et ils m’ont transféré à Foch, et Foch a détecté que y’avait ce problème là. Et j’ai été traité à Foch. Et c’est Foch qui m’ont demandé où j’habitais, j’ai dit dans le 18ème, alors ils m’ont dit ça sera mieux pour vous d’aller consulter à l’hôpital Z, pour voir tel, tel et tel docteur qui va vous suivre. Et depuis ce temps je viens ici. Et pourquoi je dis par rapport à la maladie : parce que je prends bien mes médicaments. Vous arrivez à suivre votre traitement Voilà ! J’arrive à suivre mon traitement.

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Et pourtant c’est un traitement lourd Non non ! Je supporte ! Je supporte les traitements ! Moi mon problème c’est que… c’est quand je pense que j’ai tous ces problèmes avec ma carte bancaire, franchement ça me donne envie de péter un câble ! Franchement ! … Ça me donne envie de péter un câble parce que j’arrive pas à comprendre ! Je suis allé là-bas, je lui ai expliqué à la Préfecture. « Madame ! Voici tel tel tel tel problème ». Elle me dit « oui on verra ça, ne vous inquiétez pas… » Vous ressentez un sentiment d’injustice Oui, très grand. Une forte injustice Une très forte injustice. Et puis de la colère Et puis c’est pas normal madame. Mon frère, né du même père, de la même mère, qui reçoit sa carte d’identité en 2 semaines, et moi ! Jusqu’aujourd’hui j’ai pas ma carte ! C’est pas possible ! C’est CA que je n’arrive pas à comprendre ! C’est impensable pour vous C’est impensable !J’ai les mêmes documents, les mêmes papiers que lui. Mais si je savais que dans le 18ème ils étaient comme ça ! Mais j’aurais pas fait ma carte ici. Parce que mon Dieu, j’ai mes droits ! Je suis français ! Et j’arrive même pas à avoir quelques droits ! C’est pas possible ! Je dors même pas ! Pour vous dire je dors pas !… je dors pas ! Parce que tous les soirs je ne fais qu’y penser ! Parce que moi je me réveille très tôt le matin ! Je commence à 8 h . Quand je commence je suis fatigué après, mais j’arrive pas à comprendre pourquoi est-ce que cette dame-là elle me fait ça. Je sais pas… Si on revient à votre maladie, pour faire le lien avec cette situation. Est-ce que vous ressentez des choses physiquement ? Comment elle se concrétise votre maladie dans votre quotidien ? Non souvent euh… c’est vrai que souvent je me sens fatigué. Bon je me sens fatigué mais...euh…après je prends le traitement ça va ! Bon j’ai des problèmes de ventre, c’est ça je lui ai expliqué au docteur, j’ai des diarrhées, et… je fais beaucoup pipi. Il me dit que c’est les diarrhées qui provoquent ça. Parce que quand j’ai mal au ventre, je fais beaucoup pipi… tout ça. Bon je lui ai expliqué ça au début, il m’a donné des traitements… Et le fait de prendre beaucoup de médicaments ? Non ! Je les prends le matin. Ça vous pose pas trop de problème Non ! Parce que je les prends le matin. Y’en a que je prends le soir et… voilà, ça passe. Parce que je prends tous les médicaments le matin, et y’en a 2 ou 3 que je prends le soir. Surtout le Keppra et … la Dalacine, je prends ça le soir et ça va. Je mange bien et… y a pas de problème ! Au niveau de la prise de médicaments c’est pas un souci ! C’est pas un souci pour vous Voilà, c’est normal ! C’est seulement que... comme je vous ai expliqué, c’est mon problème de ventre qui me fatigue. A part ça, ça va. LA fatigue et sinon ça va. Et les RDV avec les médecins, les examens… comment ça se passe ? Non, je viens ! Je viens ! Quand je sais que j’ai RDV je prends ma journée et je viens le voir Et ça vous pénalise ? Non ! Mon patron il sait ! Il sait que chaque début de mois je dois voir mon médecin pour faire des analyses, du bilan. Par exemple ça : j‘ai pris RDV pour le 11 janvier bon ! Il sait que j’ai RDV mon patron. Non, au niveau de ça y a pas de soucis hein ! Le patron il comprend, il sait que j’étais tombé malade, il sait que… ma maladie elle était grave, et si je dois voir mon médecin c’est normal que je viens le voir ! Et puis y a pas de problème ! Parce que moi comme je vous ai dit, j’ai pété un câble par rapport à mes papiers ! Franchement ! Parce que le, le le…c’est ça le problème ! Parce que j’arrive pas là, là… Je serai payé le 10 ! Ils vont me donner ma paie le 10. Moi je fais les 151heures, normal, comme tout le monde, voilà ! J’ai mon SMIC, j’ai mon CDI. Ils vont me payer le 10. Une fois que j’ai fini de payer ma maison, que j’ai fini de payer l’eau le courant tout ça, j’ai plus rien ! Et là, en une semaine ça part. Il faut que recommence encore tous les jours comme ça ? Ma vie ne peut pas être comme ça, il faut que j’organise au moins ma vie ! Que je prépare mon avenir ! Au moins ça ça peut me soulager, ça peut booster ma maladie, parce que là ça me donne un moral fort ! Parce que là … vraiment, je suis vraiment abattu, je suis vraiment battu Vous aimeriez être en pleine possession de vos moyens moraux…

Ça me casse ! Je vous mens pas, ça me casse ! Ça me casse ! Parce que comme je…bon… ça me casse je vous mens pas… Ça me casse vraiment, ça me casse ! Et votre maladie en elle-même, elle vous inquiète ? C’est ce que je vous ai dit : moi ma maladie, j’essaie de la contrôler, je sais que ce sont ces médicaments là qui peuvent me maintenir, mais quand je pense à mes papiers ça fait que je peux péter un câble ! Vous me … vous ne me… moi je prends pas mes médicaments… à mourir et puis c’est mieux ! Voilà ! Parce que …. J’ai tout e qu’il faut pour avoir mes papiers ! Comme tout le monde ! Masi pourquoi ? Pourquoi on me les donne pas ! Qu’est-ce que je leur ai fait ? Un an et 2 mois aujourd’hui ? Vous n’avez pas terminé votre enquête ? Vous êtes une des plus grandes police du monde ! Quelle enquête vous menez qui n’aboutit pas ? Moi je ne comprends pas ! C’est comme si vous vous battiez de votre côté pour contrôler votre maladie Oui… Et d’un autre côté on fait pas ce qu’il faut Voilà ! On me creuse ! On me creuse ! Vous honorez les traitements, les RDV Ah oui ! C’est pas normal ! Et moi j’ai expliqué à la dame : « moi, j’ai un problème très grave ! Il me faut cette carte d’identité là, pour pouvoir m’en sortir » ? Elle s’en fout ! C’est dire elle s’en fout ! « Oui j’ai compris » Et c’est dans votre dossier le fait que vous ayez une maladie chronique ? Elle le sait cette dame ? Je pense pas, parce eu pour quelqu’un à qui on explique ça, elle doit comprendre. Je lui ai dit « vous êtes une femme, vous devez comprendre ça, vous devez avoir du cœur pour comprendre ce que je veux dire…. » elle me dit « oui j’ai compris » mais jusqu’à maintenant je n’ai rien. Et vous vous dîtes même « autant mourir »… Ah oui… Ça vous a traversé l’esprit Deux fois ! Deux fois même…parce que attends, si tu n’es pas considéré comme les autres, tu n’as pas le même droit que les autres, c’est pas la peine. Voilà ! Si les gens ne font rien pour que tu sois heureux, c’est pas la peine ! Moi je vous dis la vérité, je vous mens pas, je vous mens pas, j’ai pensé ça 2 fois, je vous mens pas ! Moi j’étais à 56 le mois dernier, à 56 %... et je suis monté à 300… parce que … ça me fait Peter un câble comme ça ! Parce que …la dernière fois que j’allais faire la prise de sang j’étais à 56, et là c’est remonté à 300. Mon CD4 il est remonté à 86…ça veut dire ça veut dire…lui-même …. il m’a dit y a un problème, j’ai dit oui j’ai un problème ! Parce que moi j’arrive plus çà supporter ! Ça va faire 2 ans où je vais pas avoir de carte d’identité pourquoi ? Vous avez l’impression que ça joue sur votre maladie Ah oui ! C’est clair ! C’est pas normal ! (Interruption de l’entretien par un médecin qui adresse un patient) Non parce que le docteur il m’a dit… que vous essayez de comprendre les gens qui ont des problèmes avec leur maladie, c’est pour ça je suis venu vous expliquer hein, parce que moi un matin je vais péter un câble ! Franchement je pense que c’est mieux ! Moi j’ai pas les moyens pour aller voir un avocat ! Je sais même pas comment faire pour essayer de m’organiser pour attaquer ces gens-là et…on me traite comme ça ! Ça fait 2 ans qu’on n’arrive pas à me donner une carte d’identité ? Ah non ! Ecoutez écoutez… le 16 décembre et on m’a donné un récipicé, ça veut dire que mon dossier il est acceptable, alors au bout de quelques jours vous allez chercher votre carte d’identité et rien ! et vous me demandez mon identification, pour un délai de 3 mois, et c’est ce que j’ai fait. Et … je l’i fait avant le délai de 3 mois. Maintenant que les 3 mois sont passés où est ma carte d’identité ? Vous avez demandé que mon père soit là-bas, mon père il est passé 2 fois ! Vous me dites à moi « vous faites venir votre père pour que ton dossier soit avancé » donc ! Vous avez l’impression de faire tout ce qu’il faut et J’essaie de lutter ! Mais franchement…franchement…J’essaie de garder espoir et je me dis que un jour ça va aller ! Mais… vous savez madame… quand vous avez ce genre de maladie… vous pétez un câble… parce que quand vous avez ce genre de maladie vous essayez de lutter contre elle ! Mais en même temps si vous devez…on doit vous creuser … c’est c’est pas la peine ! Hôpital Foch me demande

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26000 euros… j’enlève ça ou ? Au moins si j’ai ma carte d’identité et que j’ai le droit, j’ai la sécurité sociale ! Je peux voir ma…l’assistante sociale pour s’occuper ! Mais je fais comment ? Moi je sais plus quoi faire, je sais pas. Bon j’essaie de … …d’être euh… d’être zen comme tout le monde hein ! Je vis ma vie tranquille mais… quand je pense à des trucs comme ça… Parfois je me demande si ça va se débloquer. 1an et 2 mois et vous n’avez rien fait ! Ya pas mort d’homme ! Si vous me dites y a une solution, voilà, moi je vais me débrouiller pour voir comment débloquer, mais vous me dîtes rien ! c’est ce qui me fait mal c’est qu’on me dit rien ! Moi j ele dis, mais c’est clair. Ya un sentiment d’injustice ! Moi je lui ai dit, je lui ait dit « mais madame j’ai comme l’impression que vous êtes raciste » ! Je lui ai dit ça, clair ! Ah oui ? Ah oui ! Parce que elle a l’air de me narguer. Moi je vais là-bas, on me dit « elle n’est pas là » et je sors dans le couloir et je la rencontre… elle me nargue !elle se fout de ma gueule. Moi je lui ai dit « madame ! si vous faites pas attention, vous aurez ma mort sur la conscience » Ca je lui dit hein. Et je vais faire un courrier pour ça ! si ça doit arriver je lui ferai ce papier. Pour lui dire non que si quelque chose m’arrive, c’est cette dame-là qui est responsable, et je vais le faire Responsable de quoi ? Parce que elle me casse ! Imaginez-vous madame vous êtes née d’une même mère du même père, votre frère dépose le papier pour la carte et on lui donne mais vous, vous ! Vous déposez et on vous la donne pas… vous trouvez ça normal ? Vous trouvez ça normal ? Et en plus on vous dit non que dans le département ou il l’a fait pour lui et votre département c’est pas les même règles. On est en France, quel que soit l’endroit c’est les mêmes règles. C’est eux qui doivent vous aider à vous en sortir et ce sont ces gens-là qui veulent vous tuer, alors que les médecins là vous aident là, à vous en sortir.

ENTRETIEN 6 : CELOU Caractéristiques medico-sociales Homme de 40 ans Origine éthiopienne, aux Pays-Bas depuis 1989 En france depuis 2007 Hébergé par un ami depuis 6 mois, a été hébergé par sa soeur auparavant, a passé 15 jours à la rue entre les deux. Travail déclaré en interim, contrats irréguliers Diabète de type 1 CMU-C Vous êtes de quelle origine? Je suis né en Ethiopie, mais j'ai grandi aux Pays-Bas depuis 1989. Et puis je suis venu en France en 2007. Voilà. Question de famille... euh... C'est ma soeur qui m'a... hébergé quoi. A Chilly Mazarin... avec ses enfants... et elle est partie dans le Sud, à Toulon avec sa famille donc … euh... je me suis retrouvé seul! Dans la rue et puis... la je ...ya un ami... un ami à moi qui m'héberge quoi! Elle est partie quand votre soeur? Elle est partie en août. C'est récent alors Ah oui c'est récent! Je suis hébergé depuis.... J'ai galéré pendant 5 – 6 semaines donc euh.... il... c'est mon ami qui m'a hégergé depuis le premier septembre... donc euh... plus le courrier.... donc pour l'instant je travaille.... Et je cherche un logement grave! C'est … c'est ….parce que j'ai pas vu mon fils, là j'ai pas vu mon fils depuis... 4 ans! Il est où? Aux Pays-Bas, avec sa mère! Mon fils de neuf ans, et …. là j'ai pas vu depuis 4 ans! Parce que … on se dispute euh... Avec sa mère? Elle me fait chier aussi là, voilà...

Par contre je travaille tu vois, je fais des missions là, des interims! C'est du travail déclaré? Oui oui! C'est des interims! Parce que je suis peintre carossier, donc euh j'travaille euh... la je travaille chez Renaut. J'ai travaillé chez Peugeot, chez Citroën... J'arrive pas à trouver un … un job régulier quoi! Et pour le logement c'est …. c'est difficile en France! C'est c'est … bah comparé aux Pays-bas ça n'a rien à voir c'est ….c'est … le logement là c'est plus vite, c'est moins cher, parce que là c'est difficle là c'est euh... Et pourquoi vous êtes venu en France? Ben je voulais repartir à zéro quoi! Par rapport à votre situation conjugale? Oui, voilà, tout à fait... oui c'est ça. Vous vouliez refaire votre vie, c'est ça? Oui c'est ça. Mais c'est pas mal euh … des années... difficiles quoi! Pas de logement... euh.... j'étais toujours été indépendant là-bas, parce que j'avais mon appart, j'avais tout là! Ah là je suis.... je suis... je me suis retrouvé … maintenant c'est… c'est... je sais pas c'est euh... Et vous avez une Sécurité sociale? J'ai la CMU! Parce que ils leur faut l'acte de naissance pour avoir la carte vitale donc faut que je fasse des courriers là... c'est un long trajet là je... C'est compliqué Oui c'est très compliqué. Et vous avez un salaire? Oui! Oui oui! Là pour l'instant je suis en mission donc voilà c'est... des fois je travaille deux trois mois, quatre mois et après fin de mission et puis... Et votre ami il accepte de vous héberger plus longtemps ou il vous demande de partir? Bah euh... oui tout à fait c'est un... Vous savez madame, chacun il veut son... son propre truc hein! C'est voilà, c'est très difficile. Donc là je paie pas pour... pour la maison... donc voilà c'est… Mais il vous met pas à la porte Non! Mais vous savez… je suis pas .. confortable quoi! D'habiter chez lui. En plus il a … la fille de 7 ans! Lui aussi il est divorcé donc... il… bah… il est pas à l'aise avec sa fille... ya son ex qui... qui le fait chier aussi là! Donc euh... voilà! Oui... Et si on revient un peu sur votre problème de santé... vous avez un diabète c'est ça? C'est quel type? Je sais pas, j'ai rien compris là, c'est 1 c'est 2, j'ai jamais rien compris là! Je pense que c'est 2 là, mais des fois ils disent 1 (rires) je sais pas! C'est depuis quand? Depuis 2002. Et qu'est-ce qu'est pour vous cette maladie? Expliquez-moi … Vous y comprenez rien ou... Si! Je comprends! C'est c'est... euh... en plus j'en ai marre là... diabétique c'est quelque chose.... c'est une maladie bizarre franchement... t'es trop limité là.... tu dois faire très attention à ce que tu manges, à ce que tu fais, à ce que tu bois...voilà c'est c'est … c'est une maladie euh... mortelle quand même hein! Si tu fais pas attention tu... tu... ça y'est! Ya l'infection, les complications... ya tout hein! C'est mortel? Oui c'est une maladie mortelle! Je crois ya beaucoup de gens ils savent pas ça, ils disent « oh, t'as le diabète? Bon c'est bon hein! ». Donc voilà c'est… il faut faire très très attention quoi! Et ça limite beaucoup Oui ça limite. T'es... tu n'es pas comme les autres Pas comme les autres Oui voilà c'est ça. Comme vous, vous pouvez manger tout hein ou... Là ya le

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réglo, l'équilibre, faut tout régler hein! Ya... c'est un devoir! C'est un devoir Ouai. Pour l'instant ça va ça marche, je ... ouai des fois j'en ai marre je prends même pas le ... la piqure pendant 2 -3 jours. J'en ai marre. Après je commence à boire! Si je bois c'est.. c'est .. enfin je mange plus... enfin je suis énervé donc voilà je... je pense à mon fils donc euh... je bois de la bière et... voilà... ya plus d'appétit, ya plus de piqure... et après je me rattrappe là... voilà, voilà... je vis comme ça donc... Donc vous avez des périodes où… Oui! Oui ça ça me... ça m'arrive des fois oui! Je me pique plus… 2 -3 jours. Oui, je m'arrête, (rire bref) J'en ai marre là... franchement et puis, et après je me reprends! Et les complications c'est quoi ? Bah oui! Si tu fais pas attention et si tu as, une plaie, et que tu soignes pas , ya... ya... ya...l'.... l'amputation hein! Si si, ya tout ça! La complication ça s'infecte là. Donc faut faire très attention hein! Et vous avez eu des problèmes de plaie? Oui oui, pour l'instant j'ai eu des problèmes! C'était quand? C'était au mois de juillet là. J'étais hospitalisé là. J'avais... j'avais l'eczéma! Donc à un moment donné j'avais... partout des boutons là. Je suis encore sous contrôle dermatologique à l'hôpoital de Créteil, donc j'ai des RDV à... à régler là. J’avais tout là, j'avais une plaie. J'ai passé par la-bas c'est... c'est.... Et c'était à cause du diabète? Oui, ça... le procédé de guérison c'est trop long ! Ouai Et par rapport à votre situation pour le logement et le diabète: est-ce que si vous aviez votre propre logement ce serait plus facile pour le diabète? Oui! Qu'est-ce que ça change, le fait que vous n'ayez pas votre propre le logement? Oui c'est euh... c'est surtout le logement qui me complique! Donc voilà comme euh... J'ai toujours été indépendant! J'ai mes trucs là, j'ai mes propres affaires! J'suis un type euh... voilà, tranquille, relax! Donc, si! Oui, je crois que si j'avais mon propre logement j'aurai pu mieux gérer tout euh... oui, mieux gérer tout... c'est normal c'est... Par exemple Par exemple mon diabète... euh... faire venir mon fils ici... euh... faire des projets même... faire euh...voilà quoi! Beaucoup de choses c'est , c'est … Un logement c'est très important c'est … c'est... c'est qui tu es! C'est l'identité Voilà, voilà, voilà c'est ça! C'est chez toi! Voilà c'est … Et chez votre soeur vous vous sentiez chez vous? Non, c'est pas pareil, y'avait les enfants, y'avait mon beau frère euh... c'était la galère des fois! Est-ce que le fait d'être là ça vous limite par rapport au régime, aux piqures... le fait que vous ne soyez pas chez vous qu'est-ce que ça fait? Oui, oui, non! Moi je fais mes propres courses hein, comme lui mon ami il sait pas cuisiner donc euh… c'est moi qui cuisine toujours et puis voilà... je mange pas… je mange euh… normal! Je mange des légumes, des fruits, euh... de la viande, du poisson et puis voilà c'est tout! Non je mange pas mal , je mange très bien... Plus le logement c'est c'est... non c'est difficile un logement c'est... Et vous lui cuisinez des repas de régime diabétique? Ben c'est surtout... je mange moins gras et puis voilà, quoi, c'est ça le régime, surtout des poisssons, voilà, pour l'instant c'est voilà! Donc le logement c'est votre liberté, c'est une identité, c'est faire des projets... Ouiii! Mais vous n'avez pas l'impression que ça vous empêche de soigner votre diabète Non non non ça n'empêche pas, mais à un moment donné il me faut un logement quand même, pour tout ce qu'on a dit... Mais par rapport au diabète....vous n'avez pas l'impression que ça dégrade votre diabète Ca a dégradé oui! Lorsque j'habitais avec ma soeur euh… oui ça a dégradé oui!

Oui oui oui, avant ça a dégradé! Comme y' avait trop de gens à la maison et puis voilà c'est.... vous savez la famille c'est... ça colle pas des fois... Ca colle pas...? Ca colle pas... ya des trucs là.... des réflexions, des trucs banal, d'une jeune mère voilà elle... elle s'énerve.... Et ça c'est pas bon pour le diabète? Non c'est pas bon! Des fois il allait haut, en bas, des... des nimporte quoi! Donc euh... voilà c'est c'est... A cause de votre état d'énervement? Voilà c'est ça oui! Alors que si vous êtes tranquille chez vous... Voilà, tout à fait tu gères ta vie, t'as un boulot, tu travailles tranquillement comme les autres , t'achètes tes petites courses, tu fais ton petit calcul là pour le mois, tout.. voilà c'est... Et est-ce que vous avez l'impression que, aujourd'hui, le fait d'avoir un diabète ça complique vos démarches pour avoir un logement? Non pas du tout... non, non , non pas du tout! C'est c'est plus agréable si j'avais un logement, c'est logique quoi! Et le fait d'aller voir les médecins régulièrement, les dermatos... d'avoir un traitement...de faire les piqures, ça vous empêche pas de faire vos démarches... Non je me suis habitué déjà madame, je ...c'est ...bon j'ai le diabète et puis voilà c'est....pfff non! Je suis habitué déjà! Et par rapport à l'interim? Oui? Et par rapport à l’interim… Hein ? Par rapport à l’interim, au boulot… le fait d’avoir ces RDV médicaux, ces piqures à faire dans la journée, ça ne vous dérange pas ? Non ça me dérange pas Vous arrivez à vous organiser ? Oui voilà , tout à fait, faut savoir s’organiser quand même hein. C’est vrai que…dans le travail, quand je fais des interims, je dis lorsque j’ai besoin d’un jour, deux jours, voilà c’est euh… c’est ma santé d’abord ! C’est… si j’ai des RDV j’essaie de les mettre euh… le plus tard possible. Donc euh… mais… ça me dérange pas. Et vous vous piquez sur le lieu de travail ? Oui, obligé ! Le midi. C’est le lunch quoi. Et ça se passe bien ? Oui, j’ai toujours mes trucs sur moi quoi. Et ça ne vous dérange pas pour faire votre travail Non, je fais mon travail, je me pique et puis voilà ! D’accord. Et si on vous propose un travail, vous avez l’impression que vous pouvez tout accepter ou bien vous sentez qu’il y a des choses que vous ne pouvez pas faire parce que vous êtes diabétique ? Je travaille normalement. Oui des fois j’ai des … , j’ai des hypo là, lorsque c’est en bas là, donc j’arrête tout euh… voilà ! Donc j’arrête tout, je me repose et je prends le sucre ou j’sais pas, le sucre ou le chocolat là, et puis … je reprends et puis… Et on ne vous fait pas de réflexion, on ne vous a pas embêté par rapport à ça ? Bon pourquoi ? T’es… quelqu’un qui est malade tu l’embêtes ? Je vois pas, par rapport à (rire bref)… Tant mieux, tant mieux ! Donc vous n’avez pas rencontré de personnes qui… Non, ben non ! » [entretien interrompu par un tiers « Excusez-moi, je vous dérange plus. Ca va ? Vous avez réussi à faire tous les papiers ? Le RDV avec le diabéto c’est quand ? […]

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« Donc vous me disiez que ce n’était pas une souffrance au travail pour vous et que vous n’aviez pas rencontré de personne qui… Non ! Non ! Ils savent même pas que je suis euh…diabétique voilà.. Je suis euh.. je suis quelqu’un de très discret voilà… c’est, c’est … c’est ça ! Je me pique voilà, je me mesure… 30 min je travaille ! Par contre l’ami avec qui vous vivez il est au courant Oui oui ! bien sûr ! Mais vous ne ressentez pas le besoin d’en parler Non… j’ai pas besoin non. Tout ce qu’il me faut c’est un logement c’est tout ! C’est ça qui m’énerve quoi ! Pardonnez-moi, je reviens sur ce que vous avez dit tout à l’heure : vous avez dit « C’est une maladie mortelle », avec des complications… Oui ! Oui ! C’est une maladie c’est… c’est très dangereux madame ! Non, non ça rigole pas c’est… c’est une maladie chronique ! Donc c’est à vie déjà donc si…si…si tu peux te soigner quand même bien, là… tu peux vivre des années bien hein !… 30 ou 40, ou même allez, 80 ans ! Mais si tu te galères, tu vas pas aller loin là. Y’a tout, y’a … t’as tout ! Y’a tes yeux… les reins… tout là… tout tout tout tout ! C’est… Moi je lis hein, je vais sur internet, je lis des bouquins de diabétologue, tout là, pour savoir… plus ! Et donc vous vous dîtes que si vous faites attention c’est bon! Donc y’a pas de soucis, ouai tu peux aller même à… 80 ans hein ! Donc c’est pas quelque chose qui vous angoisse tous les jours Au début oui ! Je …je … j’ai pas accepté au début je… je… il doit y avoir les trois premières années euh… J’avais du mal à l’accepter euh… à un moment donné t’as… [rire bref] t’as pas le choix madame ! C’est c’est…c’est à vie hein ! Sauf les fois où vous faites des écarts, quand vous me dites « j’arrête de me soigner pendant deux ou trois jours … » Oui ! Qu’est-ce qui se passe alors dans votre tête ? Oui, voilà je… je sais pas comment dirai-je c’est… c’est une sorte… « flash back » ! “Flash back” c’est …c’est voilà ! Je… des souvenirs à moi, et puis des années passées avec euh… tu vois je… des personnes à l’époque quoi … et puis là c’est … un moment euh …pour tout le monde hein, y’a des moments comme ça … qui a passé des bons moments et puis…voilà c’est…et tu te demandes qu’est-ce que tu fous ici en France …pffff n’importe quoi ! Et puis voilà c’est… Et après je…euh…ouai c’est….je commence à boire un coup, et puis je mange plus et puis… je fais des conneries des fois hein ! Enfin ça arrive ! Vous déconnectez et… Oui oui ! [rires de décompression ou de soulagement] Tout à fait oui ! C’est quand le moral va pas trop quoi Oui c’est ça. Et après vous reprenez Ben oui parce que … c’est difficile quand même. [soupir] C’est quand même difficile Oui, c’est difficile ouai… mmh J’avais une autre question à vous poser… euh… Quand a-t-on diagnostiqué votre diabète ? C’était en 2002, mon fils avait trois semaines. C’était aux Pays-Bas alors ? Oui, mon fils avait trois semaines. Ouai c’était en 2002 voilà. Moi j’avais… j’avais…31 ans ? Ouai comme ça. Et puis voilà je…c’est dans la famille en tous cas et puis voilà. Mon père il avait, mon père est décédé aussi à l’hôpital de Clamart en 2004. Opération du cœur et puis voilà. Mmmh Ma sœur aussi elle est décédée en Afrique et puis voilà. C’est dans la famille, c’est dans la famille. D’accord… Vous voudriez me dire autre chose sur tout ça ? Sur votre diabète, sur le logement… ? Oui, non, pour l’instant je travaille, je suis bien ! Donc ce qui… ce qui m’angoisse

c’est ce logement surtout c’est… je me débrouille pas mal… voilà … Hors magnétoscope : Pose des questions sur ma grossesse, l’âge du bébé…

ENTRETIEN 7 : JEAN-PIERRE Caractéristiques médico-sociales Homme de 64 ans HTA diagnostiquée en 1994 Ancien travailleur handicapé, à la retraite depuis qu’il a 61 ans Touche la retraite solidarité, pas d’autre revenus Logement personnel stable en HLM CMUc Contexte de l’entretien : Dit avoir peu de temps car doit aller faire des courses, a beaucoup de contraintes. M’accorde 15minutes (qui seront dépassées) Patient timide, réservé, semble un peu gêné, parle à faible voix, sourire permanent « de gentillesse timide ». Peu locace, réponses brèves. Les questions semblent être difficiles pour lui dès que les choses sont trop abstraites ou que je lui demande son ressenti intérieur. L’entretien à peine fini il se lève et part en disant au revoir sans autre commentaire Les blancs ont été notés ainsi : (…) Expliquez-moi votre problème de santé Hypertension D’accord. Et ça fait longtemps que vous avez ça ? Oui oui. C’est-à dire, depuis quand ? (…. ) 94 peut-être, peut-être même avant… Et vous avez d’autres soucis de santé ? Oh, j’ai une tache au poumon, oh, une maladie qui s’est passée toute seule. Et comment ça se manifeste dans votre vie l’hypertension ? Oh je crois que c’est le stress, l’angoisse. C’est-à-dire… c’est l’angoisse qui crée l’hypertension ? Oui, je pense oui. C’est à cause de ça ? Mmmh, je crois oui. On vous l’a dit ou c’est vous qui l’avez imaginé comme ça ? Je crois que c’est l’inquiétude (…) Oui oui Parce que vous êtes inquiet ? Toujours. C’est le tempérament qui est comme ça. C’est la vie hein. Avec la vie qu’on mène ! C’est l’inquiétude. Le stress. Et qu’est-ce que ça crée comme problème l’hypertension ? Des angoisses quoi. A cause de l’hypertension vous avez des angoisses… Ben... j’pense que… les problèmes de la vie quoi. Et vous prenez un traitement ? Oui oui. Qu’est-ce que vous prenez ? Coparouel, oui oui… Ah, Coaprovel ? Oui oui, et puis un autre, j’m en rappelle plus

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Deux médicaments ? Trois, trois médicaments. Et vous les prenez tous les jours ? Tous les jours. Depuis… Ah, ça change hein, ça change les médicaments ! Oui selon les résultats de la tension et des examens Oui oui… Oui oui… Et qu’est-ce que ça vous fait de prendre des médicaments tous les jours comme ça ? Oh, ça me dérange pas. Non. Vous les oubliez de temps en temps ? Oh non non, tous les jours, non non… Et quand on vous a dit que vous alliez avoir un traitement tous les jours comment vous avez réagi ? Normalement. C’est-à-dire ? Ben j’ai accepté. Et vous avez des examens médicaux à faire ? Ben rien, prise de sang et… cardiologue, et puis c’est tout. Et ça ça vous… C’est pas bien méchant L’hypertension c’est quelque chose qu’on a à vie ? Oui oui Et cette idée d’avoir une maladie à vie ? Oh tant que c’est que ça… Parce que c’est quoi les conséquences ? Ca peut se compliquer ? Oh (…) Oh(…) Ca ne vous inquiète pas trop en fait Bah… je me pose pas trop la question Vous ne vous posez pas trop … Parce que sinon après ça, pfff, après on rumine. Faut pas se poser trop de question. Faut pas se poser trop de question. Ouai On vous a expliqué certaines choses ? Oui, pas trop de sel, ne plus fumer Vous avez arrêté de fumer ? Oui, oui Vous vous êtes arrêté facilement ? Facilement, avec des bonbons Et vous en êtes content ? Oh oui, oh oui ! J’en avais marre, c’est vache ! Et pour le sel ? Ah… maintenant j’en mange un tout petit peu, léger léger Et ça c’est pas trop contraignant pour vous ? Euh non non, j’y suis habitué. Oui oui. Il paraît que c’est bon pour les cervicales. Il faut en manger un peu quand même. Et vous venez tout le temps à la PASS pour votre suivi médical ? Oui oui Et pour quelles raisons, racontez-moi

Bah, parce que ici c’est plus facile, ça va beaucoup plus vite A quel niveau ? Bah euh… l’attente… et puis les médecins sont toujours là. C’est pas comme dans les autres dispensaires, pfffff Dans les autres dispensaires… ? Ben y’a du monde… les médecins sont pas toujours là… faut revenir…ah non, c’est.. c’est catastrophe Et vous avez quoi comme sécurité sociale CMU Et vous avez déjà été dans des cabinets de généralistes ? Non non. Non non Pour quelles raisons ? Ben ils ont leur quotas, ils ont déjà assez de monde comme ça Vous avez essayé ou… J’ai essayé une fois, une fois Racontez-moi Ben il m’a dit « non j’ai mon quota » qu’y m’a dit Vous aviez pris un numéro au hasard ou bien c’était un médecin qu’on vous avait recommandé ? Oh jm’en rappelle plus En tous cas, il vous a dit qu’il ne prenait pas de nouveau patient Non, non, il a son quota. Alors après c’était fini j’ai plus essayé, j’ai dit «bon, c’est plus la peine ». Et ce système de dispensaire ou de PASS vous… Ah oui oui, c’est bien mieux ! Parce qu’il y a moins de monde ? On prend des RDV plus facilement ? C’est sans RDV ici Et ça ça vous plaît Oui oui ! Et si vous connaissiez un médecin généraliste qui prenait sans RDV vous iriez chez lui ? Ah non, ils prennent pas, ils ont…c’est complet, ils prennent pas Ils prennent pas la CMU Il y a des médecins qui ne prennent pas la CMU ? Oui oui ! C’est quelque chose qu’on vous a dit ou alors vous avez rencontré des médecins de ce genre ? Ben à mon avis ils ont un quota, euh… A votre avis ? Oui Donc vous ne préféreez pas essayer Ah non non non Ca fait un peu peur ? On ne préfère pas s’entendre dire non ? Et puis ici c’est bien mieux. Les médecins là-bas, on n’a même pas le temps de se deshabiller et ça y’est c’est fini. Ils ne prennent pas le temps ? Non non Ils vont trop vite ? Ben oui. Ils ont pas le temps de discuter avec, ni rien. C’est dans les cabinets ça ? Oui, et puis dans les dispensaires, c’est pareil. Ca va trop vite Oui oui Tandis qu’ici on a le temps, ils prennent le temps

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Et c’est important pour vous ça Ah ba oui ! On se sent plus à l’aise! Qu’est ce qui est le plus important avec un médecin ? C’est de parler quoi ! C’est ça un bon médecin, c’est un médecin qui parle. Sinon il est pas bon. C’est quoi ces dispensaires où on ne prend pas le temps ? La Croix Rouge, les dispensaires de la ville de Paris. Et puis y’a un monde ! Alors un jour ils viennent, un jour ils viennent pas, c’est des médecin squi travaillent à droit à gauche, c’est pas bon. Alors on se déplace pour rien, il est pas là, il vient pas. Les plannings de consultation ne sont pas clairs ? Oui oui, c’est trop stressant, c’est pas bon ! Et ici ça vous paraît clair ? Oui oui Qu’est ce qui vous paraît clair ici ? Oh et puis on prend le temps quoi ! Y’a le temps. Et puis y’aura un médecin tous les jours Et vous savez que lorsqu’on vous reçoit on prend le temps qu’il faut Oui oui ! Et puis ici ils font tout en même temps C’est à dire ? Ben prise de sang, scanner, radio, tout quoi ! Alors que sur les dispensaires ils font rien, ils font rien du tout, juste la consultation. Et après faut allez faire la prise de sang là-bas, la radio là-bas, le… cavaler partout ! Et c’est compliqué ? Ca prend du temps ? C’est fatigant ? Ca prend du temps quoi. Alors qu’ici on a tout sur place, c’est bien. Et vous venez tout le temps sans RDV ou bien vous prenez RDV parfois ? On non c’est sans RDV. Et puis c’est le médecin qui me donne RDV (NDLA : le médecin dit « passez tel jour dans la matinée ») Et puis je viens quand j’ai plus de cachet alors comme ça bon, je sais que je passerai quand même. Et ça vous arrive d’oublier des RDV ? Ben non parce que par exemple ce matin, j’avais RDV ce matin, mais j’ai pas pu venir alors je suis venu l’après-midi. Mais vous n’aviez pas d’horaire précis ? Non, c’est moi, je viens plutôt le matin quoi, généralement. Et pourquoi vous n’avez pas pu venir ? Oh j’avais un RDV pour les papiers et tout, administratif. C’est pas toujours évident d’aller chez le médecin alors. Ah oui parce qu’on a pas que ça à faire, on a des RDV partout, des contraintes. Et vous ne travaillez plus ? Oh non non ! Et vousavez travaillé auparavant ? Oh, 21 ans, par là. Vous faisiez quoi ? Oh , dans le bâtiment, maçon Et vous avez des revenus ? Je suis en solidarité retraite, parce qu’avant j’étais reconnu travailleur handicapé, alors ils m’ont mis la retraite à 61 ans. Et c’est votre seul revenu ? Oui oui Et vous avez la CMUc ? Oui Et pour votre logement ? J’ai un logement privé en HLM, 36 m2

Que vous louez ? Oui oui J’y suis depuis 6 ans Et vous y êtes bien ? Oh, faut pas faire trop de bruit quoi Parce que ? Oh, ça raisonne beaucoup alors les gens se plaigent. C’est des petits bourgeois. Moi j’entends rien du tout. Et vous vous en sortez fiancièrement ? Oh j’y arrive toujours. Je mets un peu d’argent de côté tous lesmois quand même. Je fume pas, je bois pas. J’arrive à mettre un peu d’argent de côté tous les mois Vous arrivez à faire vos calculs ? Ah oui oui oui, je suis pas embêté au niveau de l’argent. Vous avez l’impression d’être bien soigné ? Oui oui Et les difficultés liées à la CMU ça vous empêche pas de bien vous soigner ? Oh non non ! Ici on est bien soignés Et votre hypertension ça vous crée des soucis dans la vie ? Ca vous empêche de faire des choses ? (…) J’en sais rien… ça me dérange pas beaucoup En fait pour vous l’hypertension c’est prendre les médicaments tous les jours Oui, et puis suivre un régime Et faire les examens ? Oui oui Et votre cardiologue il vous dit quoi ? Ben maintenant c’est bon , c’est bien, le cœur il est bien. Donc ça ne vous fait pas peur ? Ben un peu quoi. Ca monte, ça descend. Et quand ça monte ça vous fait peur ? Un peu oui, c’est un peu angoissant. Vous avez peur de quoi ? Ben je sais pas moi, peur d’une crise cardiaque, un machin comme ça. Et vous y pensez beaucoup dans ce cas là ? Non j’y pense pas beaucoup, parce que je prends pas souvent ma tension. Et pour vous c’est facile d’aller voir un médecin ? Oui oui Et s’il n’y avait pas ce centre, la PASS, vous iriez où ? Oh je sais pas. Ca fait combien de temps que vous venez ici ? Oh , des années ! Et avant vous alliez où ? Avant j’allais au dispensaire, et puis j’en ai eu marre du dispensaire, c’est pas bon. C’est pas bon ? Non, c’est pas bon du tout Dans quel sens ? Oh on est mal reçu, ya du monde, les médecins ne viennent pas , on a même pas le temps de se deshabiller qu’on est déjà ressorti. Oh c’est pas bon, pas bon du tout. Et vous ressentez quoi dans ces cas là ? Oh on est angoissé hein, on est mal soigné et tout… Parce qu’il s’occupe pas de nous le médecin , il fait rien…non non. Quand vous dites « mal reçu » c’est mal reçu par qui ?

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Par les employés et tout. Vous voulez dire que l’accueil dans les lieux n’est pas bon ? Oui oui Dans quel sens ? Ben…on dirait que… ils nous prennent pour des tire au flanc ! Ah bon ? Oui oui Est-ce que vous pouvez préciser ça ? Par exemple, un secrétaire « Et ben il a pas d’hypertension, rien du tout ! Il est calme ! Et il reste un quart d’heure dans le cabinet du médecin et tout… » Ah c’est… c’est pas bon du tout. Vous aviez l’impressoin qu’il ne vous prenait pas au sérieux ? Oui c’est ça Il sous entendait que vous n’étiez pas malade. Voilà C’est dans ce sens que vous dites « tire au flanc » ? Oui Et c’est juste un ou deux souvenirs comme ça, ou bien c’est une ambiance générale ? Oh non ! C’est une ambiance générale. D’un accueil un peu difficile Oui voilà c’est ça Et qu’est ce que vous ressentez dans ces cas-là ? Oh, c’est difficile à dire. C’est pas tellement bon On se sent pas considéré Voilà c’est ça, on se sent coupable Coupable de.. Oh j’en sais rien ! Alors qu’ici ça se passe bien. Et vous avez l’impression que la maladie se passe mieux ? Oh oui Si vous deviez toujours retourner dans ce dispensaire la maladie vous pèserait plus ? Oui peut être C’est difficile à dire ? Oui, difficile Et avec les médecins ça se passait comment ? Oh ça dépend des dispensaires, j’en ai fait 2 Mais ils étaitent toujours en retard, même pas le temps de se déshabiller parce que y avait du monde. C’était à la chaine, vraiment, même pas 10 minutes dans le bureau Alors on ressent quoi ? Ben qu’on est mal soignés Vous avez l’impression que c’est mauvais pour votre santé ? Ah bah oui je pense hein. Je sais pas moi. Parce que c’est pas la peine qu’on va voir le médecin hein Si le médecin ne prend pas le temps c’est pas la peine Oui Et à cette époque vous ne vous êtes pas dit « je vais aller chez un généraliste qui prend plus son temps » ? Oh non ! C’est pareil un généraliste Un généraliste c’est pareil Oui oui Vous en avez des souvenirs ou bien vous n’avez jamais été dans un cabinet ?

J’ai jamais été Vous vous disiez que c’était pas pour vous ? Oui c’est ça C’est pour qui alors ? Ben, les gens qui travaillent ou des gens comme ça. Vous vous êtes dit ça ? Ben c’est comme ça hein Qui vous a dit ça ? Ben tout le monde ! Les généralistes ne reçoivent pas les gens qui ne travaillent pas ? Ah non ! Parce qu’ils ont pas le temps, ça les intéresse pas Ca ne les intéresse pas ? Ah non ! C’est compréhensible. Parce que ils ont pas le droit de dépasser les honoraires. Alors eux comme ils restent une heure, c’est le patient qui paie hein Vous avez peur que ça soit trop cher pour le patient ? Oui c’est ça Et ici ? On reste ¾ d’heure, une heure, C’est important ! Je vais vous laisser parce que vous m’avez dit que vous n’aviez pas beaucoup de temps Oh oui, j’ai encore des comissions à faire, oh on arrête pas ! Des contraintes sans arrêt ! Et bien je vous remercie beaucoup de m’avoir dit tout ça même si mes questions n’étaient pas simples. Au revoir Limites de l’entretien : Mauvais début ; le patient me parle de son stress, de ses inquiétudes, et je continue de l’interroger sur ses traitements, son HTA (etc) au lieu de le faire parler de ses inquiétudes et de lui demander quelles sont-elles. Il aurait été plus intéressant d’approfondir son ressenti.

ENTRETIEN 8 : ZOHRA Caractéristiques médico-sociales Femme de 52 ans Logement en location dans des conditions insalubres Titre de séjour prolongé, A travaillé plusieurs années, ne travaille plus, perçoit l’AAH Polypathologies (Biermer, insuffisance surrénale, hypothyroïdie, neuropathie…) CMUc + 100%ALD Pouvez-vous me dire quels sont vos problèmes de santé ? Ah, bah, j’ai plein de maladies ! J’ai l’insuffisance surrénale, j’ai la maladie de Biermer, j’ai la thyroïde, j’ai la sécheresse, j’ai le foie, j’ai la neuropathie… Et depuis quand ? Depuis 99 Ça a commencé par quoi ? Ça a commencé par le foie. Je suis restée neuf mois hospitalisée à l’hôpital Cochin, et ils ont trouvé toutes les maladies. Et qu’est-ce que ça implique dans votre vie au quotidien ? C’est quoi le plus difficile dans votre vie quotidienne ? Je suis toujours fatiguée. Je prends beaucoup de médicaments. Il y a des fois où je ne peux pas me lever de mon lit. Ah d’ailleurs, j’ai oublié de lui demander des médicaments pour dormir…

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Vous ne dormez pas bien ? Non, ça fait une semaine que je dors pas bien. Ah, ça c’est un problème plus récent alors Oui oui. Donc vous me parliez de la fatigue… Oui, y’a des fois où je peux rien faire à la maison. Je veux que rester au lit, c’est tout. En plus en 2006 j’ai eu une agression. La balle est entrée par là (montre sa tempe gauche) et sortie par là (montre sa tempe droite). Elle est entrée par là et sortie par là. Je suis allée à Georges Pompidou, c’est là qu’ils ont fait l’opération. Je suis restée 1 mois et demi à l’hôpital et plusieurs mois en maison de repos à Chatenay Malabry. Et comme à l’époque je n’avais pas de papiers, ils m’ont traitée très très très mal…. La maison de repos ? Oui. C’est à dire ? Ils me disaient « pourquoi vous êtes là, il faut rentrer chez vous !» Chez vous, c’est à dire dans votre pays ? Mmmmh (acquiescement) D’accord Mmmmmh (acquiescement gêné) Vous êtes de quelle origine ? Euh… marocaine. Ils vous ont dit ça… Oui, le médecin m’a dit « tu vas rester toujours comme ça, tu vas pas guérir ». Il y a plein de choses qui se sont pas bien passées pour moi. Et après je n’avais pas de logement. Le logement je l’ai perdu. Je suis restée logée à droite à gauche, une fois à l’hôtel, à Nanterre. J’ai beaucoup souffert pour le logement. Parce que quand on perd un logement c’est difficile. Après je suis partie à Erik Satie. Je suis restée deux ans. Qu’est-ce que c’est ? Un centre ? La première fois ils te donnent un appartement partagé par trois, et la deuxième année ils te donnent un studio. Tu restes seule un an, c’est tout. Et après il faut…. il faut choisir où tu vas aller. Donc ils m’ont envoyée à la Croix Rouge à Boissy Saint Léger. Je suis restée trois ans. J’étais mal logée, c’était un petit studio, je pouvais même pas bouger beaucoup. C’est loin pour les hôpitaux. Donc après… C’était loin des hôpitaux… Oui parce que j’ai ici, j’ai l’hôpital Cochin, j’ai Georges Pompidou. Vous allez souvent à l’hôpital ? Oui. Tous les combien ? C’est à dire tous les un mois. Il y a jamais deux mois sans… Juste pur une injection de vitamine B12, tous les mois je la fais. Vous la faite toujours à l’hôpital ? Avant une infirmière venait. Maintenant, comme j’habite à Malakoff, je vais au dispensaire. Et après j’ai demandé aux gens pour le logement, j’ai trouvé un logement à Malakoff. La première fois la dame a dit « le chauffage fonctionne, tout fonctionne ». Quand je suis arrivée j’ai trouvé que tous les robinets sont cassés, le chauffage marchait pas. J’étais obligée d’acheter un chauffage pour me chauffer. Je pouvais pas rester sans chauffage. En plus pour un 5ème étage, le loyer était cher, à 700 euros. En plus moi je gagne pas beaucoup, j’ai que l’AAH. C’est votre seul revenu ? Oui. Vous ne travaillez pas ? Non, maintenant je peux pas travailler. A cause de quoi ? A cause que je fatigue très vite, je peux pas être stable dans le travail. Il y a des fois où je rentre à l’hôpital, je reste hospitalisée…donc euh… je peux pas travailler.

Vous ne pouvez pas vous engager sur un emploi… Non. Et vous êtes arrivée en France en quelle année ? En 1998 euh … non… euh... c’était il y a 25 ans. En 1988 ? Oui c’est ça. Et vous avez déjà travaillé en France ? Oui. Que faisiez-vous ? Je faisais employée de maison. J’ai gardé des personnes âgées, j’ai gardé des enfants, j’ai fait tout. Et vous aviez un logement auparavant ? Avant euh… quand je suis arrivée en France j’étais logée nourrie. Par les patrons ? Oui. Et après, le travail c’était très très dur. Donc je suis restée trois ans et après je suis partie chercher ailleurs. J’ai habité avec une dame. Je suis restée longtemps avec elle, jusqu’à 2007. En 2007 je me suis mariée, j’ai habité à Malakoff, et c’est là qu’est arrivé le drame… Et c’est à partir de ce drame que vous avez connu des gros problèmes de logement en fait ? Oui. Et aujourd’hui, quelles sont vos plus grosses difficultés ? Le logement…. euh… je gagne pas beaucoup d’argent… et en plus je voudrais quelqu’un qui reste avec moi ; quand je peux pas faire quelque chose, qu’il puisse le faire par exemple Vous vous sentez un peu seule… Oui. Vous n’avez pas d’enfant ? Non. Donc vous vous sentez seule ? En fait je suis mariée, on n’est pas mariés à la mairie encore, mais comme lui il travaille je reste seule à la maison. C’est un autre homme que celui qui vous a agressé ? Oui, l’autre il est mort. Ils ont tiré la balle sur lui, mais pour lui la balle est pas sortie, moi elle est sortie. Donc ce n’est pas votre mari qui vous avait agressé, c’est une autre personne Oui, c’est quelqu’un qu’on avait logé. Mais le procès il est pas fini. Ah bon ? Oui. La police sait où il est mais ils peuvent pas aller au Pakistan pour le chercher. Aujourd’hui vous êtes donc à nouveau mariée. Et vous logez où ? C’est un deux pièces. Un HLM ? Non, c’est privé. Et vous logez avec votre mari ? Oui, mais il rentre tard. Et il a des revenus ? C’est irrégulier. Comme il a pas de papiers, il travaille pas tous les jours. Ça dépend. Et vous le louez à un particulier ? Oui. Et vous trouvez ça difficile… Oui parce que je suis malade, je suis seule. Et est-ce que vous avez l’impression que cette situation-là vous empêche de bien vous soigner, est-ce que ça serait plus facile avec une autre situation ? Oui oui, je suis bien soignée, je suis suivie par tous les médecins, ils font tout

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pour moi. Et comme je rentre d’hospitalisation…. ils font tout… oui… Non je suis pas mal soignée, mais malgré ça, ma maladie ne s’améliore pas, vous voyez … j’ai plein de choses en fait. Donc vous pensez que vous avez les soins qu’il faut, même si vous n’avez pas beaucoup d’argent, que vous êtes mal logée, vous ne pensez pas que ça aggrave votre maladie. Ce sont deux problèmes différents… Oui. Non, je pense à l’argent , au logement. Faut payer 700 euros par mois et tu n’as pas de chauffage, les robinets sont cassées et tout, donc euh… c’est pas normal ! Et moi je peux pas payer ça. La première fois on n’a pas fait l’état des lieux. Excusez-moi d’insister : si vous aviez un meilleur logement, ça changerait quelque chose à votre maladie ? Non, ça changerait pas. Et si vous n’étiez pas malade, ce serait plus facile de trouver un travail ou… Non, ça changerait pas. Par exemple avant j’étais malade et je travaillais. C’était en quelle année ça ? Euh, je suis arrivée en 1988, j’ai travaillé dur. Et vous n’étiez pas malade à l’époque… Non. Et après je suis tombée malade. Et la dame que je travaillais avec elle, elle n’a pas dit que j’avais l’insuffisance surrénale. Quand on a vu le médecin il n’a rien dit. Et je ne suis pas restée avec elle car c’était un travail d’esclave. Donc j’ai cherché ailleurs. J’ai trouvé des heures de ménage et tout, j’ai habité avec une fille, y’a des fois j’ai travaillé avec elle, d’autres ou j’ai travaillé seule. J’ai travaillé beaucoup dans ma vie. Et vous aviez déjà l’insuffisance surrénale… Mais je le savais pas. Je suis tombée malade un peu avant 2005. Et vous vous êtes arrêtée de travailler ? Non, j’ai continué. En 99 j’étais mariée, je suis rentrée à l’hôpital, je suis restée beaucoup à l’hôpital. Après ils m’ont donné les médicaments qu’il faut pour me soigner. Après j’ai repris le travail. Là j’ai gardé des personnes âgées, j’ai fait des ménages, et après la dame elle est morte, j’ai gardé des enfants, sorties d’école, je m’occupais de leurs douches, de leurs mangers et tout… Et petit à petit vous vous êtes sentie plus fatiguée… Non, c’est depuis l’accident que je me sentais pas bien. Donc vous vous êtes arrêtée depuis l’accident ? Non, j’ai essayé de travailler mais c’était très dur. Donc il y a deux choses : il y a toutes vos maladies et aussi l’accident. Ce sont ces deux choses qui vous empêchent de travailler. Cet accident ça vous a traumatisée… Oui, ça a aggravé, et en plus quand on perd le logement on n’a rien, et je me suis fatiguée beaucoup pour trouver un logement. Et chaque fois ils m’envoient à chaque côté. Quand on perd son logement ça empêche de travailler ? Oui. Et si vous n’aviez pas toutes vos maladies vous pensez que vous pourriez travailler aujourd’hui? Oui ! Ce serait plus simple… Oui mais je peux rien faire. La vie est plus dure avec la maladie Non, la vie est plus dure sans maladie aussi car la vie est plus chère, on n’arrive pas à faire tout. Et le fait de prendre des traitements tous les jours, ça se passe comment ? Oh, j’ai l’habitude de prendre mon traitement, j’ai pas de problème. Et le fait d’aller souvent voir les médecins, d’aller à l’hôpital… Ça me fatigue beaucoup. Qu’est ce qui fatigue ? Les trajets ? Les trajets, attendre, tout !

Où est-ce qu’on attend ? Dans les hôpitaux, dans les PASS ? Par exemple aujourd’hui j’étais ici, demain j’ai RDV à Georges Pompidou pour la stomato et les oreilles. Et quand vous voulez prendre un RDV c’est facile pour vous ou bien vous avez l’impression qu’il y a des barrières ? Il faut attendre, un mois, deux mois, parce qu’il n’y a pas de place, il y a beaucoup de gens alors il faut attendre. Et vous avez un médecin généraliste ? Ben c’est le docteur ici, c’est mon généraliste. Et vous n’avez pas cherché un généraliste dans un cabinet, à côté de chez vous ? Non, j’ai l’habitude avec lui. Vous avez déjà essayé d’aller dans un cabinet ? J’ai essayé à Arcueil, mais après j’ai déménagé alors je suis retournée avec le docteur d’ici. Et à Arcueil c’était un cabinet ou un dispensaire ? Un dispensaire. Et vous n’avez jamais vu un médecin dans un cabinet ? Si, avant, mais c’est lui qui m’a envoyé ici. Parce qu’il trouvait que vous aviez beaucoup de maladies peut être ? Oui. Et ça se passait bien ? Oui, sauf qu’il trouvait que j’avais beaucoup de choses. Est-ce que c’était plus facile pour prendre les RDV, est-ce qu’il y avait moins d’attente ? Non, c’était pareil. Il n’y avait pas un mois d’attente quand même ? Non, mais quand on vient, il y avait beaucoup de monde, il fallait attendre, une heure, deux heures… Mais le contact était bon Oui. Et de façon générale ça se passe comment avec les médecins ? Je trouve bien. On vous écoute ? Oui. Vous comprenez ce qu’ils disent, ce qu’ils veulent ? Oui oui oui. Ils expliquent bien Oui oui. C’est quoi un bon médecin pour vous ? Ben, qu’il s’occupe de ses patients, qu’il explique plein de choses, comme ici. Si j’ai besoin de quelque chose il le fait. Vous voyez ! Donc le plus compliqué pour vous c’est l’attente. Attendre un mois… Non, c’est quand je viens et qu’il faut attendre beaucoup. Par exemple aujourd’hui j’avais RDV à 9h30 et pourtant je suis rentrée tard. Et vous oubliez les RDV parfois ? Des fois j’oublie oui. C’est compliqué ça ? C’est à cause de quoi ? Je sais pas, y’a des fois où je raccroche tous les RDV et j’oublie un RDV. J’ai tous les RDV accrochés sur des feuilles. Et que disent les médecins dans ce cas ? Ben je téléphone tout de suite, je dis que j’ai oublié et on me donne un autre RDV. Et vous arrivez à l’heure ? Oui. Et c’est compliqué ça ?

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Non ça va. Et votre maladie elle vous inquiète ? Non. Vous ne pensez pas à des complications, à ce qui peut vous arriver ? Non parce que j’ai l’habitude, ça fait des années. Je sais c’est une maladie rare, mais ça se soigne pas vite, ça prend longtemps. Ça ne vous fait pas peur ? Non. Et il y a des complications ? Qu’est ce qui peut vous arriver ? Non j’ai pas peur. Même s’ils ont trouvé une tumeur ça me fait pas peur, parce que c’est comme ça, je peux rien faire. Personne n’y peut rien Oui. Et l’insuffisance surrénale ça peut faire des complications ? Non, je prends un traitement. Et vous avez un régime ? Oui C’est pas trop compliqué ? Expliquez-moi… Ben la cortisone elle est salée, donc je dois pas prendre du sel. Et ça se passe comment ? Ben y’a des fois où j’oublie, je prends du sel, et ça passe, je peux rien faire. Et vous êtes habituée ? Non je suis pas habituée à manger sans sel… Ici vous trouvez qu’on s’occupe bien de vous et que vous accédez facilement aux soins Oui. Si vous vouliez demander quelque chose, si vous vouliez qu’on améliore votre situation, que demanderiez-vous ? Ben ce qui est compliqué c’est par exemple euh…il y a des fois où je peux pas faire des choses à la maison, des fois où je peux pas me lever du lit… c’est ça qui est compliqué pour moi. Et vous n’avez pas de famille en France ? Si. Et ils sont proches ? Non, chacun a… chacun a sa vie. On s’approche dans les fêtes ou… quelque chose comme ça. Mais sinon ? Non, on a des contacts au téléphone, c’est tout. Et ils connaissent vos problèmes de santé ? Oui. Ils comprennent ? Non. Ils ne vous aident pas beaucoup Non. Donc c’est dans votre vie du quotidien que c’est le plus difficile Oui. Et dans les hôpitaux, avec les pharmacies et les médecins ça se passe bien ? Oui ça se passe très bien. On s’occupe bien de vous ? Oui. Ce qu’il faudrait changer ce serait l’attente aux RDV c’est ça ? Oui ! Vous vouliez dire d’autres choses ? Non

Redites-moi juste votre âge ? 52 Et vous êtes arrivée en France en 1988 ? Oui On vous a diagnostiqué la maladie de Biermer en Euh… L’hospitalisation à Cochin neuf mois c’était pour quoi ? Une échographie pour les reins et on a trouvé… des taches dans le foie, on m’a envoyé tout de suite faire un scanner, on a trouvé Biermer, la thyroïde et tout Et à ce moment vous avez continué à travailler Oui, et les surrénales c’était dans les années 2000. Et vous avez arrêté de travailler après l’agression. Mais vous vous êtes sentie plus fatiguée depuis qu’on a découvert votre maladie ? Non, quand on l’a découverte j’étais normale mais maintenant je sens que je suis pas capable de faire tout, vous voyez. Cette fatigue elle est venue petit à petit en fait Oui Et le moral ? Ça dépend. Il y a des fois bien et il y a des fois où je pense beaucoup. Par rapport à l’argent, par rapport à la vie. C’est ça. Et c’est ça qui vous empêche de vous lever du lit parfois ? Non, non c’est pas ça. C’est quand je peux pas me lever, il faut que je reste au lit, je me sens trop faible. Et bien merci beaucoup de m’avoir raconté tout ça, je vois qu’il est l’heure, je vais vous laisser y aller.

ENTRETIEN 9 : AWA Caractéristiques médico-sociales Femme de 42 ans Originaire d’Afrique de l’Ouest En France depuis 2003, titre de séjour >1an Hébergée par un ami Vient de trouver un mi-temps comme auxiliaire de vie, déclaré (500/600 euros) Diabète de type 2 insulino-requérant. Sécurité sociale, 100% ALD, pas de mutuelle jusque très récemment. Pouvez-vous me dire quels sont vos problèmes de santé ? L’hypertension, le diabète, j’ai l’apnée du sommeil, tout ! [rires] D’accord. Et essayez de me dire ce qui est le plus compliqué avec ces maladies, qu’est-ce qui vous embête le plus ? Ce qui m’embête c’est quand tu n’arrives pas…. à payer. Soit le médicament on te dit c’est pas remboursable et que tu n’as pas de sous. T’as pas de revenu, c’est un problème! C’est ça le pire ? Oui. Non seulement ça aussi : tu sais avant le diabète c’est fatigant, tu sais tous les jours se piquer ça fatigue. Et y’a ça, et y’a la tension qui à tout moment ne se baisse pas, qui est toujours euh… et … là on me dit j’ai l’apnée du sommeil ! Tout ça là, dans la tête… là je dors avec l’appareil ! Des fois c’est chiant de dormir avec l’appareil ! Vous dîtes que tout ça c’est dans la tête ? Ah oui ! C’est dans la tête. Ça vous donne quoi comme pensées ? Oh rien du tout ! Je sais que ce n’est pas aujourd’hui que j’ai commencé à souffrir euh... du diabète... parce qu’aujourd’hui ça fera peut-être sept ans que

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j’ai le diabète ! Bon… je suis obligée !... De supporter ça seulement. Je n’ai rien comme pensées dans ma tête ! Je veux seulement que je sois vraiment bien dans ma peau, que je sois vraiment guérie là, surtout l’apnée du sommeil là il faut que ça finisse pour que j’arrête avec l’appareil ! Dans ma tête c’est ce que je pense quoi ! Et ça peut se guérir l’apnée du sommeil ? Je sais pas, je sais pas ! Je sais pas si ça finit ou… si je vais toujours garder l’appareil avec moi. Je sais pas. Vous n’avez pas demandé ? Je pense que… j’étais partie voir le médecin qui me suis, il me dit qu’en ce moment ça n’a pas encore changé donc il m’a pas dit si je vais rester avec l’appareil ou si un jour ça va finir. Mais ce qu’on m’a dit seulement : il faut que je maigrisse ! C’est ce qu’ ils m’ont demandé beaucoup. Que ce soit le cardiologue, que ce soit le Dr X, pour le diabète, tout ! Ils m’ont dit il faut que je puisse maigrir, pour que tout aille bien quoi! Mais ils m’ont pas dit que ça va finir. Et vous n’avez pas posé la question, de savoir si ça va finir ? Ben, le diabète c’est à vie… et la tension aussi Et l’apnée ? Ah ben c’est là que je demande, je sais pas si ça. Et pourquoi vous n’avez pas demandé directement ? Pour moi je me dis que l’apnée du sommeil, peut-être un jour ça va s’arrêter si je maigris beaucoup. Pour moi dans ma tête c’est ça. Je pense que on va peut-être l’arrêter l’appareil le jour que eux ils verront que ça va. Et vous avez peur de demander ? Non j’ai pas peur ! J’ai pas peur ! Moi je demande ! Quand ça marche pas je demande ! Et on vous explique bien ? Oh oui ! Dr X m’explique tellement bien que j’arrive à faire des choses aussi, oui. Bon pour le diabète, le cardiologue m’a fait asseoir aussi, il m’a expliqué comment ça se passait parce que j’avais un problème de pouls. Il disait qu’il avait pas tendance de sentir mes pouls. Alors ils m’ont fait l’examen ! Là ils disent que ça va ! Donc il explique aussi. C’est comme aussi l’ophtalmo, mon médecin. Il a toujours tendance aussi de me dire euh… « écoute, cet œil ça va pas, ça là… ». Donc ça l’explication c’est clair ! Mais c’est seulement le problème d’argent qui…qui embête ! Ici là depuis que je suis arrivée j’avais pas un boulot ! Vous êtes arrivée quand ? Euh… je suis arrivée ici c’était en 2003 Et donc vous disiez que vous n’avez pas de travail… J’avais la CMU, et la CMU a été retirée parce que je n’avais pas de ressources. Et non seulement ça : j’étais même hospitalisée au mois d’avril passé je pense. Bon j’avais pas la mutuelle. J’ai un truc à payer euh… 90 euros. Bon, le côté 100%, eux ils ont pris mais il fallait que je paie les 90 euros parce que c’était les frais d’hospitalisation. Mais ! Comme je n’avais pas de boulot, je n’avais rien du tout comme ressource, j’étais venue ici. J’ai vu le Dr X, le Dr X a vu l’assistante sociale de l’ASDES. Normalement ils devaient m’aider à payer… mais ils ne l’ont pas fait parce que je viens de recevoir la lettre de finances… et en tous cas ils ont vraiment vraiment mal parlé que il faut que je puisse leur payer les 90 euros sinon ils vont m’envoyer l’huissier ! Voilà ! Et vous avez quels revenus aujourd’hui ? Rien du tout ! Et vous vivez comment ? J’ai demandé l’aide à al COTOREP, ben… je n’ai pas encore reçu l’aide. Je viens de recevoir la lettre avec un grand retard que je n’arrive même pas à comprendre parce que … Quand j’avais demandé ça c’était, je pense euh, au mois d'avril que j'ai demandé! Bon eux, ils ont écrit la lettre, ça date du mois de juillet! Mais je l'ai reçu que le vendredi! Ils m'ont demandé que je puisse fournir d'autres pièces... bon, la pièce que eux ils veulent c'est le certificat médical de mon cardiologue! Pour confirmer tout ce qu'on avait fait avec l'assistante sociale. Mais je n'ai reçu que le vendredi. Et sur la lettre ils ont même mis que, dès que je recevrai la lettre, c'est 3 semaines ! Ils veulent la réponse dans 3 semaines, mais alors c'est le truc depuis le mois de juillet! Donc c'est là que j'étais en train d'expliquer à docteur X « comment je peux faire? ». Puisque la lettre date depuis le mois de juillet! Je sais pas si ils avaient égaré ou quoi, mais j'ai reçu ça que le vendredi et je vais faire comment? J'ai essayé d'appeler le cardiologue mais le cardiologue n'était pas là! J'ai expliqué à sa secrétaire m'a dit que le cardiologue devait être là, c’était hier le mercredi ... bon! Je sais pas si elle a donné le compte rendu au

cardiologue et que le cardiologue devait m'appeler mais il m'a pas appelé. J'ai essayé aussi d'appeler l'assistante sociale parce que les papiers de COTOREP on l'avait fait avec l'assistante sociale... mais je tombe que sur le répondeur. Je laisse un message mais personne ne répond! C'est depuis lundi que j'ai commencé à laisser des messages. Donc c'est compliqué de joindre les gens C'est ça oui. Et il y a des retards dans les papiers Trop même ! Et là vous logez où? Là chez un ami! Qui vous avance un peu de sous Mais c'est lui qui fait tout ! Il travaille, c'est lui qui fait tout ! Et vous avez le 100% Oui j'ai le 100% Et la CMU? J'ai pas la CMU j'ai que le 100% et là j'ai été obligée de prendre une mutuelle parce que j'avais pas la CMU, rien du tout! C'est l'assistante sociale qui a fait que je puisse euh… Et vous la payez combien cette mutuelle ? 32 euros par mois. Et vous êtes hébergée ? Oui, je suis hébergée. J'ai pas un chez moi! Et ça c'est difficile? Oui c'est difficile! Si tu n'as pas de ressources tu vas aller prendre quoi ? Et est-ce que vous avez l'impression que cette situation ça vous empêche de bien vous soigner? Ça complique votre maladie? Oui! Si j'avais un chez moi et que je bossais ou bien que j'avais des revenus quelque part je serai tranquille! Je serai vraiment à l'aise! Dans quel sens ? Tranquille c'est à dire dans ma tête je vais me dire « j'ai un chez moi et puis j'ai une ressource qui m'aide chaque fin de mois ». Là je dépendrais de personne! C'est ça que je veux vraiment! Mais vous auriez quand même votre maladie Oh! Pff... Vous savez! Je vis avec! Si vous êtes stressée, je pense aussi que la maladie ça monte! Ça descend pas. Par contre si vous êtes calme, même si tu en as encore la maladie, ça peut se stabiliser aussi! Voilà c'est comme ça! Donc vous pensez que votre situation crée du stress et que le stress aggrave la maladie! Ah pour moi je me dis... dans mon cas oui! Parce que je suis tellement stressée à tout moment. Tu restes chez quelqu’un : si la personne est bien aujourd’hui avec toi, demain il pète les plombs, et toi tu es là, mais tu es obligée parce que tu n’as pas où aller ! Je pense que même si tu es là tu seras toujours stressée. Tu t’attends à quelques choses. Tu te dis que tu es chez quelqu’un : la personne en question aujourd’hui peut te foutre dehors ! Et tu vas aller où ? Pensez-vous qu’aujourd’hui vos maladies vous empêchent de régler vos problèmes ou bien que ce n’est pas lié ? Euh… Si vous n’aviez pas de diabète par exemple, votre vie serait différente ? Troop différente ! Vraiment trop différente ! Racontez-moi Là je pense que j’aurais pas à me plaindre, ni à me casser la tête à tout moment, ou me dire « ah, demain comment je vais faire ? Il faut que je me pique, il faut… » tout ça n’existerait pas ! Parce que je sais que je n’aurais pas à me piquer, pas à prendre les médicaments, je serais tranquille ! Vraiment à l’aise ! Sans la maladie quoi ! Parce que quand on est malade des fois aujourd’hui tu es bien, tu te réveilles bien, demain tu as des courbatures partout, ou des fois tu te sens fatiguée… Je pense que si on n’est pas malade on sera en bonne santé ! C’est ça !

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Donc votre maladie jour sur votre vie de tous les jours ? Ah ben tous les jours, beaucoup sur tout ! Des fois, comme je dis là. Je suis partie faire un examen qu’on appelle coronographie. Je ne savais pas qu’il y avait des risques dans l’examen. Je suis partie le faire parce que, étant malade, on me dit que mon cœur ne fonctionne pas bien. Il faut que je puisse faire euh... comment on appelle, l’opération qu’on appelle euh… Pontage ? Euh non, c’est tout juste pour faire le régime… By pass ? Voilà ! On me demande d’aller faire le by pass parce que mon cœur ne fonctionne pas bien pour que je puisse maigrir, pour que mon cœur redevienne normal. Tu as ça en tête, déjà. On te dit que ton pouls ne marche pas bien hein ! On le sent vraiment pas : tu as ça en tête. Ça va te rendre comment ? Tu vas encore faire un autre examen ! Donc quand on est malade on est exposé à tout quoi ! Parce que à la moindre défaillance « allez-y faire ceci, allez-y faire … » Par contre si on est en bonne santé, je pense que, ta tête sera libre, tu seras libéré ! Votre tête elle est occupée en permanence Mais oui ! Parce que je sais pas quand est-ce que je vais tomber dans la rue ou … surtout nous, les diabétiques : si tu rates de prendre ton petit déjeuner le matin, arrivé vers 9 h -10 h tu commences à avoir mal à la tête. Bon. Des fois tu as l’hypotension dans la rue et tu tombes ! Hypoglycémie ? Oui Tout ça là, si tu as ça en tête, tu n’es pas tranquille! Donc vous avez ça en tête en permanence : qu’il peut vous arriver quelque chose à tout moment ? Oui ! Parce que tout ce que j’ai là, je pense que c’est même plus grave que mon corps je dirais. Parce que tu as le diabète, tu as l’apnée du sommeil, tu as la tension. Donc -je ne fais jamais l’hypo hein moi, je ne fais que l’hyper- donc, si tu as tout cela en tête, des fois quand tu marches comme ça là, on dirait que tu rêves ! Tu es dans la rue, mais tellement tu es pensif, y’a même des fois, quelqu’un te voit parler mais toi-même tu sais pas que tu es en train de parler! Donc c’est dans la tête ! Vous pensez à toutes ces choses qui peuvent vous arriver Tout le temps, mais tout le temps… Parce qu’on ne sait pas. Comme moi je n’ai jamais mis au monde, quand je vois le diabète, quand je vois l’hypertension, quand je vois l’apnée du sommeil, je me dis dans ma tête « si aujourd'hui peut être j’ai pas d’enfant, peut-être c’est à cause de ça ». Tu vois ? Ça reste toujours dans la tête. Quand tu es avec les gens, ça s’envole ! Mais si tu es seule, tu es dans ta maison et tu es seule, ah bah je pense ça va toujours revenir, tu vas toujours penser à ça. C’est ce qui m’arrive tout le temps, tout le temps. Vous avez beaucoup de peurs quoi Bah, en ce net moment je me dis que je me soigne ! Et si Dieu le veut …c’est ça ! Et ça vous empêche de trouver du travail tout ça ? Ben… en ce net moment…avant j’étais vraiment vraiment fatiguée, je partais travailler, j’avais des petits boulots par ci par là pour chercher à survivre, parce que je n’ai pas de revenu. Ben... y’a un moment que j’ai arrêté, parce que je n’y arrivais plus, j’avais un problème là. C’est vrai que le cœur… je m’essoufflais facilement. Même en marchant, même en faisant quelque chose. Mais là maintenant je commence à perdre du poids, je commence à avoir euh… à regagner un peu quoi. Là en ce net moment je travaille à mi-temps, j’ai trouvé un travail que je travaille à mi-temps. Voilà. Et c’est là-bas que je vais aller après ici. Et c’est quoi comme travail ? Euh… auxiliaire de vie. Et vous avez commencé quand ? Oh, ça fait pas beaucoup de mois. Et c’est déclaré ? Oui c’est déclaré.

Donc vous avez réussi à trouver du travail malgré votre maladie Parce que si je le faisais pas, comme je n’ai pas de revenu, comment j’allais faire pour survivre. La personne qui s’en occupe, lui il travaille. Lui il paie tout chez lui. Il va me donner combien ? Voilà, donc c’est pour ça que j’étais obligée de chercher un boulot. Et si vous n’aviez pas cette maladie ce serait plus facile de trouver du travail ? Ah, là j’allais chercher le boulot que j’allais travailler à plein temps ! Ah oui ! J’ai pris le mi-temps par rapport à ma santé. Des fois aujourd’hui je me sens bien demain je me sens pas bien, donc c’est ça. Des fois je travaille mais je suis malade je suis obligée de rester chez moi, j’appelle parce que je me sens pas bien. C’est pour cela j’ai demandé l’aide de la COTOREP. Voilà. Qu’est ce qui est le plus difficile pour vous dans l’accès aux soins en France ? C’est quand ce n’est pas remboursé. Là vraiment, pour ça, je peux pas. Mais quand c’est sur le 100%, ils le retirent, je suis tranquille, parce que je sais que je n’ai rien à payer ! Voilà ! Et quand vous voulez voir un médecin prendre un RDV… Non, là, avec mes médecins, vraiment, quand j’ai RDV avec eux, y’a pas un problème, y’ a pas un problème! C’est qui vos médecins ? Ici mon médecin traitant c’est le Dr X, à Georges Pompidou j’ai presque 3 : y’a le cardiologue, y’a l’ophtalmo, et y’a le diabétologue. Et quand vous voulez les voir… Sans problème : j’ai un RDV et ils me reçoivent ! Et ça se passe bien, vous avez un bon contact avec eux ? Vraiment, vraiment! Donc vous avez un bon accès aux soins mais c’est les traitements qui sont compliqués. Surtout la dernière fois quand je suis partie là, c’était l’hospitalisation de jour. Bon, maintenant j’ai la mutuelle, mais avant j’avais pas la mutuelle, c’était payant ! Comme les 90 euros là, jusqu’à ce jour, j’ai pas encore payé! Et voilà que j’ai reçu la lettre de menace que le trésor public m’envoie. C’est inquiétant ? Oui parce que là je sais pas comment ça va se passer. Parce que j’ai pas les 90 euros. J’allais chercher à payer mais je sais pas comment. Avec votre travail ça va rentrer non ? Ben… c’est pas aujourd’hui, vraiment ! Si on vous paie 500 ou 600 euros par mois, vous avez des dettes aussi, donc pour se libérer les 90 euros… On met du temps à revenir à l’équilibre Voilà ! C’est ça, c’est le problème qui me tracasse. Et les traitements ? Ben mes traitements je les prends normal hein, comme mes médicaments sont remboursables par le 100%, là au moins… Ce sont les piqures qui vous embêtent ? Oh non hein ! Je suis habituée ! Tellement que je suis habituée à ça ! Ça me dit absolument rien pour les piqures ! Et le régime ? Bon, le régime. Avant d’attaquer le régime j’ai pris quand même du temps hein ! Parce que, si c’était pas le by pass, peut être que j’allais pas arriver à maigrir ! Entendre le by pass, passer par toutes les trucs qu’on m’a envoyé faire et tout, ça m’a donné l’idée de suivre le régime. Et c’est compliqué de faire un régime ? Est-ce que vous trouvez que ça coûte cher par exemple ? Ben ça coûte cher que si tu n’as rien ! Là en ce moment comme je me débrouille toute seule à faire des petits boulots là, mon régime ça va. Quand on demande chez quelqu’un c’est là que ça va pas. Mais si tu as un peu de ressources, ça devrait aller. Quand on n’a pas de ressources on ne peut pas faire de régime ? Si, on peut le faire, mais si tu demandes aux gens qui n’ont rien à te donner tu vas pas y arriver : ce que tu vas trouver devant toi tu le mangeras, c’est ça ! Donc

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tu ne pourras pas suivre le régime. Mais si tu as quelque chose… Il faut être autonome quoi Voilà ! Tu ne seras pas autonome quand tu n’as pas de ressources car tu ne fais que demander. Mais quand on a des ressources vous trouvez que ça ne coûte pas plus cher Voilà! Là, tu vas faire ton régime selon les trucs que tu as, selon les courses que tu vas faire, donc c’est ça ! Ça ne coûte pas plus cher mais il faut le faire soi-même C’est ça, si tu dépends des autres, ce que eux ils vont préparer toi tu seras obligé de manger. Et bien il est l’heure de votre RDV ! Je vous laisse y aller Je vous remercie beaucoup de m’avoir expliqué tout cela. Je pourrai à mon tour l’expliquer à d’autres médecins pour qu’on comprenne mieux les différentes situations ! D’accord, d’accord, pas de problème, merci !

ENTRETIEN 10 : ALFRED Quelques caractéristiques médico-sociales Homme de 62ans En France depuis 1969 A travaillé pendant 30 ans, ne touche pas sa retraite. Hébergé par le Lit Halte Santé du Samu Social Titre de séjour suspendu pendant une période et perte de tous ses droits à la Sécurité sociale. A récemment retrouvé ses droits Sécu. Aucun revenu. Pouvez-vous me parler de vos problèmes de santé ? Je suis diabétique. J’avais des palpitations cardiaques, et j’ai eu une attaque cérébrale, un AVC un soir de février. C’était un peu dur oui. Alors là on m’a emmené en urgence à l’hôpital. Pardonnez-moi de vous interrompre. Il me semble qu’avant cet AVC vous aviez un travail, un logement ? Oui oui j’avais tout. Vous êtes arrivé en France en quelle année ? En 1969, en septembre 1969. Je me suis marié, j’ai eu 2 enfant, j’avais un revenu correct, ma famille avait un don d’un appartement à Rueil Malmaison, j’avais tout, jusqu’en 99. Et vous aviez déjà le diabète Euh…oui en fait, en filigrane. J’avais une carte vitale, et j’avais le médecin à Cochin là, et chaque fois que je faisais une consultation je prenais sur la carte vitale là, ils font le paiement des consultations. En tout cas ça payait. Et comment ça se passait avec le diabète ? Oh bien, j’avais le Diamicron, euh… le Daonil aussi. Et ça vous embêtait ce diabète ? Non non, moi je dépendais pas de l’insuline, j’avais l’Hémidaonil, 1 par jour, donc 1 seul comprimé par jour. Vous aviez des inquiétudes à l’époque par rapport à ce diabète ? Non. Pour moi c’était une formalité de prendre les comprimés. Il y a des complications avec le diabète… c’est une maladie qu’on a toute sa vie. Oui mais moi je savais pas, parce que je me disais… compte tenu que je vois des autres avec des insulines et des machins et que moi je n’avais pas ça, je me disais bon, pour moi c’est… ils m’ont dit «quand vous faites un peu plus de sport, ça va s’effacer » et puis il faut suivre un peu un régime alimentaire. Moi je croyais pas que ça allait évoluer. D’accord, donc ce n’était pas quelque chose qui vous inquiétait Non, pas du tout.

Et vous faisiez quoi comme travail ? J’étais représentant dans les assurances. Et donc là vous avez eu des gros soucis avec vos droits Oui, j’ai perdu mes droits. Parce que avant ça, on a eu des gros soucis avec ma femme et elle a voulu le divorce. J’ai pas tellement fait attention à tout ça. On a divorcé en 2005. Je suis resté avec elle jusqu’en 2007 pour essayer de… mais elle voulait rien savoir. Et c’est là qu’en 2010, un soir -j’habitais avec des amis à Chatenay Malabry-, je regardais la télévision, vers 10 heures, j’avais un peu sommeil, je voulais me lever de la table pour aller dans le fauteuil, et je n’ai pas pu me lever et je suis tombé. J’ai attendu jusqu’au lendemain pensant que ça allait se remettre. Et puis je suis allé à l’hôpital Cochin et c’est là qu’ils m’ont dit que j’avais fait un AVC et qu’il fallait que j’aille directement à St Joseph. Et à St Joseph, je suis resté au moins 2 mois et ½. Et 10 jours après on me dit « monsieur, ça fait 10 jours que vous êtes là, on va essayer de regarder car on a appelé l’assistante sociale pour essayer de voir votre dossier, pour voir comment on va nous payer et tout ça ». Et il s’est avéré que depuis 2009 ça avait été suspendu parce que…. Qu’est ce qui avait été suspendu ? La sécu, parce que j’avais plus mon titre de séjour, mais je ne le savais pas… Et vous aviez continué à travailler pendant ce temps ? Oui bien sûr, j’ai jamais vécu en France sous un machin de clandestin. Ça faisait 3 fois que j’avais eu une carte de 10 ans. A chaque fois 10 ans, 10 ans, 10 ans. Après 2007 j’étais allé pour renouveler le machin, ils m’ont dit « monsieur vous avez dépassé c’est périmé depuis 3 ans » Mais…ils m’ont refait encore une carte de 10 ans et ils m’ont rétabli les droits à la Sécu. Et avec toutes mes difficultés, là j’ai retrouvé mes droits mais j’avais une famille un logement et là je suis au Samu social. Donc vous avez retrouvé vos droits mais entretemps vous avez tout perdu J’ai tout perdu. J’ai même pas un centime par mois, alors que j’ai le droit à la retraite. Là ils sont en train d’étudier le machin, trouver un accord pour avoir des aides complémentaires, l’APA, des choses comme ça. Bon, on n’a pas fini, les dossiers sont pas encore arrivés. Et là vous êtes en lit infirmier au Samu Social ? Oui oui. Et vous pensez que vous êtes bien soignée ? Ben…heureusement qu’il y avait la policlinique pour me prendre en charge. Et en même temps on a fait une demande pour avoir l’AME, Aide Médicale d’Etat, et avec ça j’allais au Samu Social, je leur donnais ça et ils me prenaient les médicaments. Ils me disaient aussi que si je n’avais pas les moyens ils étaient prêts à me fournir les médicaments. Voilà. D’accord Et après j’ai eu la CMU, la CMU complémentaire, le 100%, et maintenant on m’a délivré la carte vitale. Donc vous avez retrouvé vos droits petit à petit Oui, et au Samu Social, tant que tu n’as pas l’AME, ils ne peuvent pas te soigner. Tu dois avoir un peu d’argent pour acheter tes médicaments. Donc qui pouvait vous soigner à l’époque Mais, là où il y avait une structure comme la policlinique qui pouvait… ou des associations qui pouvaient… et c’est tout. Vous pensez que vous avez été bien soigné depuis cet accident ? Non. Non, non. J’ai pas été bien soigné. On m’a refusé la rééducation à Ste Anne. On vous a refusé la rééducation à Ste Anne Ouai. Bon… à l’hôpital St Joseph ils m’ont presque foutu à la porte. Ils m’ont dit « on peut pas vous garder encore parce que bon… on n’a pas réglé votre situation », « il faut essayer d’aller… ». Parce que je marchais même pas ! Et je suis parti sans béquille, et puis ce sont des amis qui m’ont porté comme ça ! Et vous avez atterri où ce soir-là ? J’ai atterri chez des amis à Ste Anne euh… pff… à Chatenay Malabry ! Là où vous étiez avant ? Oui, là où j’étais avant. Et puis un mois après ils devaient rendre la maison parce

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qu’elle était en sous-location. Donc je me suis retrouvé à la rue. Et j’ai été amené par les pompiers tout. Y’avait une assistante sociale là-bas qui a eu pitié de moi. Elle a dit « bon, je vais essayer de voir ce qu’on peut faire ». Elle a cherché partout jusqu’à ce qu’elle tombe sur le Samu Social. Il y avait un lit infirmier et c’est là qu’elle m’a pris. Donc vous avez le sentiment d’être sorti trop tôt de l’hôpital, vous n’avez pas eu de rééducation. A certain moment, au bout de 4 jours, ils m’ont dit où je paie de l’argent ou… en fait j’avais un ami qui m’emmenait à la rééducation parce que je ne pouvais pas avoir d’ambulance puisque je n’avais pas de couverture, et il a été affecté en Belgique , donc je ne pouvais pas venir à la rééducation. C’est comme ça que ça s’est passé. Ouai ouai. Donc à ce moment vous étiez à Chatenay Malabry sans traitement ? Vous aviez quoi comme traitement ? Je crois que l’hôpital m’avais fait quand même une petite ordonnance. Et ils m’ont fait une mention, gratuité ou machin et je suis allé à la pharmacie avec ma carte de … de… comment ils appellent ça… La carte vitale ? Oui, ils l’ont mis dans la machine, c’est passé, et ils m’ont donné les médicaments. Donc vous aviez des médicaments mais rien d’autre Oui c’était des médicaments pour le cœur, la tension, tout ça… mais pour l’hémiplégie même il n’y avait rien comme traitement il n’y avait rien comme rééducation, et je me suis retrouvé comme ça, assis. Vous vous êtes retrouvé comme ça Même à l’époque je marchais un peu, à la sortie de l’hôpital je pouvais porter le déambulateur, mais par manque de rééducation, tout s’est affaissé. En fait vous aviez eu un peu de rééducation à l’hôpital ? Non non j’ai pas eu de rééducation mais j’avais pas eu l’attaque totale ! Je marchais encore un peu… Mais ça s’est dégradé depuis… Voilà, ça s’est dégradé. Et donc vous avez repris les soins à quel moment ? J’ai pas repris. Vous êtes arrivé en lit infirmier à quelle époque ? Je suis arrivé en juin 2011, j’étais sorti de St Joseph vers mai 2010. Donc vous avez passé un an sans prise en charge ? Oui, 18 mois même. Puis mes amis ont été obligés de rendre l’appartement alors je suis arrivé au Samu social en 2010. (NDLA : chronologie incompréhensible) Je suis arrivé au Samu Social W. pendant un an et puis ensuite ils m’ont envoyé dans un autre centre où il y avait aussi des lits d’hôpital pour les grands malades. Au Samu Social Z. C’est là que je suis arrivé depuis mai 2011. Et au Samu Social vos soins consistaient en quoi ? Ben, les prescriptions du docteur X. Vous le voyez depuis quand ? Eh ben ça va faire 15 mois Donc il n’y a que lui qui vous prend en charge. Oui, au Samu Social, tant que tu n’as pas la carte vitale… mais heureusement j’avais l’AME et c’est avec ça qu’ils ont pu m’inscrire sur un semblant de kiné la, avec lequel je ne fais rien de spécial. Il est où ce kiné ? A ville du Samu Social Z. à côté du centre Vous avez donc commencé à quel moment ? Vers le mois de juin jusqu’à maintenant mais y’a pas d’amélioration. Y’a pas d’amélioration. Et au Samu social il n’y a pas de soin ? Si, quand le Dr X fait des prescriptions, si tu donnes ma carte AME ils vont te chercher les médicaments. Et j’ai eu l’AME au bout de 8 mois. Et pourtant le Dr X

m’a dit que d’après ma durée de présence en France on ne pouvait pas me refuser la couverture sociale. Comment vous vivez tout ça ? Qu’est-ce que vous avez en vous comme sentiment par rapport à tout ça ? Beaucoup d’amertume. Comme si on vous a balancé jeté comme un chiffon. Pourtant moi j’ai jamais été vraiment malade, j’ai jamais profité de la Sécu, je cotisais toujours mais je n’en reprenais rien. Quand j’avais mal à la tête je prenais mes médicaments sans ordonnance. Et puis maintenant, c’est flagrant. Si vous n’avez pas de papier c’est pas la peine d’aller à l’hôpital. Vous allez à l’hôpital on vous demande d’abord votre carte de séjour, sinon on vous prend pas. Et au jour d’aujourd’hui vous ne consultez qu’ici ? Non, la dernière fois on m’a envoyé à l’hôpital W, avec le médecin du Samu social. Et puis j’ai été à clinique Z. aussi. Mais c’est ici mon docteur attitré. Et c’est plus pratique ici ? C’est pratique parce que là déjà y’a une chaleur humaine déjà. C’est ça. Ça, ça vous a manqué en fait Oui, ailleurs vous êtes anodin. C’est où ailleurs ? Même si vous passez dans un hôpital, la première chose qu’on vous demande c’est « vous avez la carte vitale ? » si tu n’as pas ça c’est pas la peine. Je connais des gens qui n’ont pas réussi à se faire soigner parce que ils n’ont pas d’AME. Ici aussi on vous la demande la carte vitale non ? Ici… il savait déjà ma situation le Dr X. Il m’a dit « vous savez que vous êtes coupé de tout, mais ici, momentanément pour un temps on peut s’occuper de vous, vous donner les médicaments, tout ça » Donc c’est ici qu’on vous a… Voilà ! Qu’on m’a tendu la main ! C’est avec ça que j’ai ramé pour essayer de revenir à… Donc vous êtes attaché à ce centre maintenant Voilà ! C’est ici la vraie résurrection ! C’est pour cela que vous revenez ici même si c’est loin ? Ah oui ! Je viendrais même à pied! C’est important pour vous de garder le lien avec l’équipe Ah oui ! Très important C’est important de se sentir considéré ? C’est vrai. A part à St Joseph, c’est ici qu’on m’a fait des vraies analyses. Et pas ailleurs ? Ah non non non ! C’était où ailleurs ? Mais ailleurs c’est à clinique Z, à clinique W, à clinique Y. Mais ils vous font rien de bon ! Ils ne vous font rien de bon ? Mais ils vous font rien de bon ! Quand ils sont là ils vous prescrivent un examen qui est très cher. Je sais même pas si ils s’entendent avec les machins pour lui donner du pognon. Qu’est-ce qui vous fait dire que ce n’est pas bon ? Pourquoi vous me prenez, par exemple, du lit infirmier, pour m’emmener à clinique W ? Pendant que moi je pourrai faire les examens ici. Ici à la policlinique ? Oui Ça vous parait louche ? Ça me paraît louche Voilà, c’est comme quand on m’envoie dans un centre de rééducation qui ne fait rien et qui encaisse les séances avec la carte vitale! « Il fait rien » c’est à dire que vous sentez que ce n’est pas efficace ?

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Y’a rien ! Y’a pas de progrès ! Y’a aucune machine ! Même le vélo à pédaler n’existe pas dans ce machin ! C’est comme si on essayait de vous entretenir pour avoir leur quotidien. De vous entretenir ? De vous entretenir avec un peu d’espoir, et que vous assurez leur quotidien ! Vous avez cette impression Oui. Et puis ça fait que vous êtes sacrifié quoi ! Vous êtes sacrifié… Oui ! Et si vous maigrissez pas vous serez toujours avec le diabète et vous avez l’impression qu’ils font quelque chose pour que vous puissiez marcher avec un déambulateur et donc vous recommencez chez eux. Alors ils font marcher votre carte vitale ! Et qu’est-ce qu’il vous faudrait aujourd’hui pour que ça progresse selon vous ? Un vrai centre de soignant, de médicaments. Moi je ne suis pas vraiment paralysé ! Mon pied marche mais je n’ai pas l’équilibre ! Une rééducation efficace. Ils disent que y’a un centre, mais ils vont essayer de faire la démarche La démarche est compliquée ? Il fallait avoir les papiers… bon. Mais là j’ai tout. Vous sentez que si vous aviez eu les papiers plus tôt vous auriez eu accès à ce centre ? On serait pas ici depuis… Je serais guéri ! Vous seriez guéri ! Et pourquoi avez-vous atterri à clinique Z ? Parce que c’est le médecin du Samu Social a des relations, qui m’a emmené là. Ce serait une question de relations ? Ah ça c’est sûr ! Les docteurs c’est par relation qu’ils travaillent aujourd’hui ! Quand on parle du déficit de la Sécurité Sociale : ce ne sont pas les malades qui font le déficit hein ! Ce sont les médecins de ceci cela. C’est les amis qui s’entendent C’est terrible! Vous avez l’impression d’être trimballé Voilà. On n’a pas notre mot à dire, sinon c’est le couperet qui tombe ! C’est quoi le couperet ? Eh bien ! La sanction ! On va vous mal soigner ! Mais si on peut faire avec un peu Donc il vaut mieux ne rien dire Il ne faut rien dire ! Vous subissez ! Dr X a voulu que je change de kiné, il a envoyé une lettre au médecin du Samu Social. Le médecin a dit que « non » elle c’est ce qu’elle veut qu’elle fait. Mais lui a répondu « je suis son médecin traitant ! C’est moi qui demande à ce qu’on change ». Il a vu avec l’infirmière du centre en disant que « franchement il faut qu’il change de kiné parce que vraiment, là… ». Elle a dit « moi je fais ce que je veux, tant que je voudrai il restera avec l’autre ». Ça changera pas Ça ne changera pas ? Ça changera pas Alors qu’on a essayé de lui dire… Voilà Bon, moi je dépends du lit infirmier, il suffit que je me rebelle et je me retrouve à la rue ! Vous sentez que vous dépendez complètement d’eux Voilà, c’est ça, on est pris en chantage avec une épée de Damoclès sur la tête. Ouai Ah bah, moi, sans-papiers ici…. Et puis ça va de mal en mal…parce que les soins c’est pas facile aujourd’hui, c’est pas du tout facile. Vous pensez à quoi ? Les hôpitaux ne soignent personne ! Tant que t’as pas de papiers. Les papiers, même je parle de la CMU, de la carte vitale, il y a d’autres qui refusent même

l’AME, ils disent que c’est trop faible ! Qui refuse l’AME ? Mais! Quelques médecins traitants, des hôpitaux. Des hôpitaux ? Des hôpitaux ! Ils refusent l’AME ! Vous en avez rencontré ou bien c’est des amis que vous connaissez qui… Ouai ouai ! Ouai des amis que je connais, qui vont… Quand ils donnent l’AME : « Non, (coup de poing sur la table) : pas d’AME » ! C’est comme moi, on m’a prescrit des lunettes ici. Je suis allé pour la fabrication des lunettes, j’ai donné la carte AME, ils ont dit « non monsieur on prend pas ça ici, il faut la CMU, la CMU complémentaire ». (Interruption « vous avez fini ? …. ») Donc vous disiez qu’il y a des personnes qui ne prennent pas l’AME Ils prennent pas l’AME D’accord. Et là, pour le logement vous avez une idée de… Le logement ? Bon…lis ont dit que quand je serai plus autonome, peut-être qu’on va essayer de voir si je pourrai avoir un logement. Là vous n’êtes pas autonome Ah non parce que j’ai le déambulateur là… Alors pour être autonome… si on te permet pas d’accéder à des soins qui pourraient te rendre autonome, ben tu seras jamais autonome ! Voilà. Donc c’est un cercle vicieux ! Et vous pensez que vous pouvez progresser ? Ah bah si j’ai la bonne rééducation, oui ! Et à part ça il n y a pas d’autres centres d’hébergement ou des maisons de soin ? En ce moment le Samu Social ça va mal, l’Etat se désengage et tout ça, donc ils prennent ça même comme argument pour dire que « oui, y’a d’autres qui ont besoin de votre place, donc vous vous comportez comme il se doit, et ceci cela… » Donc ils vous mettent… La pression ! Vous avez le sentiment qu’on prend des prétextes politiques pour mettre une pression sur vous… Voilà. On subit, on subit… La vie est pénible pour vous ? On subit… Et vous avez un peu d’espoir ? Heureusement qu’on a un peu d’espoir, sinon on se fiche en l’air tout de suite ! Là votre espoir c’est surtout de trouver un autre kiné Euh oui ! Surtout moi, si je peux avoir même un semblant d’équilibre pour marcher un peu, ça suffit ! Ça suffirait pour débloquer… Je peux travailler, je peux trouver quelque chose, me débrouiller. Etre gardien… quelque chose ! Et les autres soucis de santé ? Non ! Je suis pas dépendant de l’insuline, j’ai que des comprimés, on m’a supprimé Diamicron, j’ai que un Glucophage le matin et un le soir. Maintenant ce sont beaucoup les problèmes cardiaques et l’hypertension, qu’on essaie de faire quelque chose pour voir Et bien je vous remercie beaucoup de m’avoir raconté tout ça, c’est important de recueillir ce témoignage pour nous aider à mieux comprendre En tous cas si ça peut aider tant mieux ! Moi aussi je vous remercie infiniment ! Note sur l’entretien : Beaucoup de temps passé à essayer de comprendre son histoire

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ENTRETIEN 11 : ALPHA Caractéristiques médico-sociales Homme, 46 ans Origine ivoirienne En France depuis 2004, asile territorial, regroupement familial (femme et fille de 9 ans scolarisée) depuis juillet 2011, dossier de naturalisation en cours. Actuellement logement de 9mcarré CDI dans une société de sécurité Sécurité Sociale + 100% ALD et mutuelle Vous avez un diabète avec de l’insuline c’est ça ? Non, j’ai pas d’insuline Et ça a été diagnostiqué quand ? En Afrique, en côte d’Ivoire, il y a un certain temps. Et ça a eu une incidence sur votre venue en France ? Non, je ne suis pas venu en France parce que je suis diabétique, je suis venu en France parce que il y avait un souci dans mon pays, je suis venu en tant que réfugié ici. Et depuis je fais les choses dans les règles, dans les normes, et les choses évoluent. Vous êtes en France depuis combien de temps ? Je suis arrivé ici en 2004. Apparemment votre situation de vie n’est pas très simple, on me dit que vous avez un petit appartement par exemple… est-ce que vous pensez que ça a une influence sur votre diabète ? Le truc c’est que, quand on vient, dans un premier temps, on vit chez des gens. Donc j’ai vécu chez des gens, après j’ai vécu en collocation. Et donc j’ai fait ma demande de logement dans la commune où j’étais à Anthony. Parce que j’avais l’adresse de ma marraine, et donc partant de là j’ai fait une demande de logement à la mairie. Et comme j’étais seul -parce que je n’avais pas encore ma famille- vu que j’étais seul, le logement qu’on m’a attribué me sied à merveille. Pour une seule personne, un F2 c’est normal. Maintenant que j’ai fait un regroupement familial il est question que je change d’appartement. Donc tout se fait progressivement. Et vous avez un travail ? J’ai du boulot depuis longtemps, depuis fort longtemps. Vous faites quoi ? Je suis dans la détection incendie, je suis dans la sécurité. Et c’est un travail déclaré ? Oui bien sûr ! Vous inquiétez pas je fais tout dans les normes hein ! Non, non, c’est juste pour comprendre votre situation, ne vous inquiétez pas… Ça fait 6 ans que je suis chez xxxx. Du coup ça vous aide bien pour avoir tout ce qu’il faut comme papiers, la Sécu Non je vous ai dit, j’ai fait la demande de papiers avant de travailler, je suis reconnu comme réfugié politique. Et votre diabète, cela vous demande quoi comme implication dans votre vie ? Sincèrement pour vous dire, moi je vis normalement. Moi je me focalise pas sur ce truc, je vis comme s’il n’existait pas. Je prends un médicament et puis basta ! Ca ne joue pas sur mon boulot, le médecin m’a examiné. Ca ne joue pas sur mon boulot du tout. Parce que c’est d’abord psychologique donc si je me focalise dessus, après euh… j’aime pas me morfondre sur les choses. Voilà Donc -pardonnez-moi si vous n’aimez pas en trop en parler-, selon vous, qu’est-ce qui peut arriver quand on a un diabète… est-ce que vous y pensez de temps en temps ? Ce qui peut arriver avec le diabète ? Ben je sais très bien qu’il peut y avoir un problème de cécité, un problème avec les reins… donc il faut prendre les médicaments! Mais par contre il faut pas prendre les médicaments aveuglément parce que moi c’est quoi mon problème ? C’est un peu comme Avandamet que je prenais dans le temps, et il s’est avéré qu’il y avait un souci, quelque chose qui n’était pas bien pour le cœur. Et je n’ai pas compris pour quoi mon diabétologue ne m’a pas appelé (vu qu’il avait mon numéro) pour me dire de ne plus prendre Avandamet ! Il a fallu que je parte sur internet pour voir les côtés néfastes du médicament. Vous voyez ? Là je prends un autre médicament, et s’il y a un souci, il ne sera pas à même de

m’informer, c’est ça le danger ! Donc votre inquiétude est plutôt sur les traitements que sur les conséquences de la maladie ? Ben oui, parce qu’on le voit aux Etats-Unis, y’a des médicaments qui sont retirés parce qu’ils donnent des problèmes cardio-vasculaires. Et voilà ! Il faut que les médecins puissent avertir en temps et en heure les patients ! Parce que c’est un hôpital public, on donne notre numéro, mais quand même, il faut que ça serve et que les médecins puissent nous dire « ne prenez plus ce médicament, il y a un problème » et puis voilà. Ils ne doivent pas attendre qu’on vienne les voir ! Moi il a fallu que je vienne et que je lui dise « attendez monsieur vous me prescrivez ça mais par contre on a dit que ça allait être interdit ! ». Et ça j’ai dit non ! Donc c’est ça qui vous inquiète, plutôt que la maladie en elle-même Ben oui. Et vous vous dites « si je prends mon traitement et que je fais ce qu’il faut… » Si je fais ce qu’il faut, voilà y’a pas de souci. Et votre diabétologue il est ici à l’Hôtel Dieu ? Ici, tous mes médecins sont ici. Et vous avez déjà essayé d’aller voir d’autres médecins en ville Non, non, non, depuis que je suis ici, je ne viens qu’ici ! Et vous pouvez m’expliquer pourquoi ? Le truc c’est que c’est par habitude. Moi personnellement je préfère voir des gens que j’ai l’habitude de voir. Donc lui je l’ai vu en premier, et ainsi de suite. Donc j’ai commencé comme ça et puis ça s’est continué par habitude. Si il s’avère qu’il y a un changement ou quelque chose de plus critique, mes dossiers peuvent être transférés, et eux ils sont à même de mieux expliquer, vous comprenez ? Voilà, c’est comme ça que je suis. Et dès que vous êtes arrivé en France vous êtes venu ici ? C’est pas dès que je suis arrivé en France. Quand vous êtes réfugié, il y a des endroits où on vous oriente pour faire des analyses. C’est où ces endroits ? Il y a l’OMI… ça c’est des endroits pour faire un point sur le SIDA … tous les trucs nécessaires pour voir s’il n’y a pas de souci. On fait un point initial Voilà. Parce qu’en fait, l’erreur c’est… Parce que dans ma famille il n’y a pas de diabétique. En Côte d’Ivoire je suis tombée sur une infirmière. C’était même pas un médecin, le médecin n’était même pas là, pare que j’étais allé voir un médecin. Parce que je m’étais réveillé un matin et mes gestes étaient un peu plus lents, trop lents même… Vous vous sentiez faible Faible et trop lent, même pour prendre une paire de lunettes c’était avec une certaine lenteur. Parce que la veille, j’avais bu beaucoup d’alcool, c’est la Guinness que je buvais dans le temps. Elle m’a fait une glycémie et je crois qu’elle était très élevée. J’ai encore ça dans ma tête, je crois qu’elle était à 2.29. Elle s’est inquiétée, donc elle m’a prescrit -parce que je sais pas comment ils sont en Afrique les gens- elle m’a prescrit un médicament avec une seringue et je devais me piquer. Insuline ? Insuline. Bon le diabète j’ai jamais vu, je n’avais jamais vu quelqu’un qui avait un diabète. On me prescrit un truc, je dois me piquer, y’a pas de souci ! Y’avait des heures, et milligrammes ou je sais plus quoi que je dois utiliser Des unités Voilà, des unités ! Et quand je ne mange pas, c’est dangereux pour moi, parce que ça baisse. Et quand je suis revenu le médecin m’a dit « mais qui vous a prescrit ? ». Et la dame elle a carrément nié que c’était elle. Mais elle avait prescrit avec le cachet du médecin. Et le médecin m’a dit « ne prenez plus jamais ça, allez voir un diététicien pour faire des trucs d’alimentation. Et puis il m’a donné un traitement mais je sais plus le nom. Et puis y’a eu des soucis et puis je suis venu en France. Et en France j’ai dit que j’étais diabétique, on a fait les bilans, et je ne prends pas d’insuline. Je suis tranquille. Je prends mes comprimés, si je suis en excès je peux contrôler avec ma boîte. Donc pour vous le diabète c’est le traitement mais ça ne vous gêne pas trop, il y a

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cette inquiétude des médicaments et des effets nocifs qui vous inquiètent… et les rendez-vous ? Le fait de voir des médecins souvent, de faire des bilans ? Non, ça me gêne pas! Parce que d’abord moi je fais des bilans chaque année. Je paie une mutuelle donc je vois pas pourquoi je ferais pas de bilan. C’est tout à fait normal. Je prends de l’âge donc ça veut dire que les cellules ne sont pas pareil, elles changent, donc il faut faire un bilan chaque année. Donc c’est ce que je fais : bilan de sang, de trucs… Ici ? Je le fais ici. Donc ça vous arrange que tout soit sur place ? Ah oui. Le Dr X c’est votre médecin traitent ? Oui je l’ai choisi comme médecin traitant. Et par ailleurs vous avez un diabétologue Oui, qui est dans cet établissement. Et ça se passe bien avec lui ? Ben c’est ce que je viens de dire : j’ai l’impression que c’est du vite fait, et ça, c’est pas intéressant. Et ce que je déplore c’est qu’il ait fallu que ce soit moi qui fasse des recherches quand je prenais de l’Avandamet, parce que j’ai entendu dire par un collègue, lui qui est un blanc, un français… il m’avait demandé ce que je prenais et je lui avais dit Avandamet . Il en a parlé à son médecin qui lui a dit que c’était exclu parce qu’il y a tel, tel et tel problème. Son médecin le lui a dit. Et suite à cette histoire vous n’avez pas eu envie de changer de médecin ? Non, non c’est le diabétologue qu’on m’a donné. Mais je veux simplement qu’il change d’attitude, qu’il soit plus enclin avec ses patients. Je dis pas que c’est avec moi ! Je dis pas qu’il fait une discrimination ! Je dis simplement que j’ai pas compris pourquoi il a voulu encore me prescrire l’Avandamet. C’est pas à moi de lui apprendre son métier. C’est lui qui est sensé connaître les médicaments les effets secondaires, c’est lui qui doit être au fait de la médecine par rapport aux effets secondaires des médicaments qu’il attribue aux patients. Et s’il ne change pas d’attitude, vous aurez encore confiance ? Je le vois mercredi prochain, je verrai avec lui. Il faut que je lui demande s’il n’y a pas eu de souci entre temps avec le Metformine. On m’a dit qu’il n’y a avait aucun souci, mais les médicaments ne sont pas toujours sûrs à 100%, il y a toujours des effets secondaires. Il y a toujours un mal engendré quelque part, donc voilà ! Il est 11h, faut que j’y aille Puis-je vous poser une dernière question ? Allez-y. Pour revenir au sujet qui nous intéresse, est-ce que vous avez l’impression que votre diabète vous gêne dans vos démarches, dans votre travail ? Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? M’empêcher de trouver un logement ? Mais ça dépend le diabète ! Par exemple, si ça avait eu une forte incidence sur mes yeux, par exemple, là ça m’aurait empêché de… mais pour l’instant ça m’empêche pas de courir, d’aller chercher à manger comme on dit, d’aller au boulot quoi ! Ça m’empêche pas. Non parce qu’il y a des patients qui disent que leur maladie les empêche de trouver tout travail, ou alors que le régime est compliqué parce qu’ils sont hébergés. Ah ça par contre, attention, quand on est hébergé on ne vit pas la même situation. Quand on est hébergé, on est chez quelqu’un qui a ses habitudes et il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Ca paraitrait bizarre, y’en a qui supporteraient pas. Y’a des gens qui appréhendent la maladie, le diabète, autrement. Y’a des gens qui se disent qu’ils ont des préjugés sur le diabète. Mais le diabète, certes ça ne part pas comme ça mais…. Quand on est jeune ça ne peut pas handicaper. A un certain âge ça peut empêcher de faire certaines choses. Et quelles sont les grandes différences pour gérer votre maladie entre la période où vous étiez hébergé et maintenant où vous êtes chez vous. La différence c’est que je suis chez moi, je fais ce que je veux, je suis plus à l’aise. Je peux mettre tout ce que je veux qui m’intéresse dans mon frigo, dans mon congèle, sans qu’on me pose des questions, sans qu’on les déplace… Quand vous étiez hébergé c’était plus compliqué ? Ah oui, parce que je prenais pas mes médicaments en temps et en heure. Je peux ne pas rentrer chez moi, pour ne pas gêner les autres.

Donc la différence est sur l’alimentation et les traitements. Oui, oui. Et là j’attends surtout pour un truc plus grand pour ma famille… Et lorsque vous étiez hébergé ça vous trottait dans la tête tout ça ? Vous vous disiez que vous ne faisiez pas ce qu’il fallait pour votre diabète ? Ben oui ! Ben oui ! Parce que on a des rendez-vous… parce que il faut reconnaître que j’avais un RDV en mai, et j’avais tellement de boulot que j’ai zappé. Là j’ai pris un autre RDV, et j’ai fait un emplacement dans ma cuisine et quand je rentre je vois quels sont mes RDV, tout est marqué. Donc je n’aurai plus ce problème là. Parce que sinon j’ai toutes les feuilles dans mon sac, et j’ai tellement de choses à faire que je ne sais plus si j’ai RDV avec un médecin… donc là j’ai tout placardé et je suis tranquille. Donc quand on n’est pas chez soi on est plus enclin à oublier ? On maîtrise moins sa vie quoi. On peut être chez soi et oublier ! Parce qu’il y a le rappel donc il y a l’oubli ! Mais on avoir ses affaires dans son sac, on travaille, on a des problèmes familiaux, on a pas mal de choses… le cerveau, malgré ses plus de 513 mémoires, ne peut pas tout nous faire rappeler ! Il nous ramène aux choses qui nous affligent le plus. Si on a un problème au niveau de la famille, du coup le RDV avec le médecin passe à la trappe, vu que physiquement on se sent bien. Du coup il n’y a plus d’alerte puisque au même moment on pense que nos parents ne vont pas bien et qu’il faut leur ramener un peu d’argent parce que c’est difficile pour eux. Du coup on oublie le RDV. Or si il est placardé on le voit et on se dit « ah tiens j’ai RDV » et on se met une alerte sur le téléphone et puis basta ! En fait le diabète il arrive en énième position dans la liste de vos soucis. Pas en énième position, il est important ! Mais le problème est que si je veux me mettre dans la tête que j’ai du diabète, je ne ferai rien. Or, je ne suis pas paresseux. D’abord le diabète n’empêche pas de faire du sport. Là par exemple je veux faire un bilan parce que je veux m’inscrire dans une salle de sport mais j’ai ressenti une douleur à ce niveau-là donc je veux demander au médecin pourquoi. Elle m’a donné un courrier que je vais remettre au Dr X. Quand il me verra et qu’il m’expliquera pourquoi j’ai ces douleurs, je serai tranquille dans ma tête. On ne peut pas dire que j’y pense pas… vous savez sans la santé on ne peut pas bouger. Vous êtes d’accord avec moi ? Oui je comprends bien, c’est une façon de ne pas se laisser abattre par le diabète, Vous avez tout compris. Tout en le prenant en charge Voilà ! Mais il y a d’autres choses à régler aussi. Oui. Il y a le diabète, mais il y a des choses. Par exemple en ce moment votre souci principal c’est votre logement et votre famille. Ben oui, ma famille plus que le diabète ! Je gère mon diabète, j’ai mes appareils, tout ça. Vous voyez là je suis à jeun et je ne fais que parler et vous avez vu l’heure qu’il est ? En plus il faut que je mange pour prendre mes médicaments. Donc il faut que vous me libériez (rires). Je vous remercie beaucoup, c’est très intéressant… Mais moi j’aime beaucoup parler ! Et les histoires et les façons de vivre sont très différentes C’est ce que je dis : on n’a pas les mêmes teneurs physiques. Vous me donnez quel âge ? J’ai plus de 40 ans, et vous voyez comment je suis. Ah oui on ne dirait pas Et oui, je les fais pas. Et c’est mon âge réel ! Et votre famille est venue quand ? Le 18 juillet dernier. J’ai fait une demande de naturalisation, ils m’ont dit c’est ok, ils m’ont demandé de faire venir ma famille puisque j’ai dit que je faisais un regroupement familial. On attend qu’ils leur attribuent les papiers définitifs parce que ma fille a neuf ans, elle est scolarisée. Ils sont en train de faire mon certificat de naturalisation et puis voilà. Donc je suis arrivé ici, je ne suis jamais allé voir une assistante sociale, c’est étape par étape, je connais mon évolution. Merci beaucoup !

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Tout le plaisir était pour moi ! Notes sur l’entretien Patient pressé et à jeun depuis le matin donc climat un peu tendu et discussion rapide. Entretien pas évident, à la limite de l’agressivité, patient très « sur la défensive », je sens que mes questions peuvent vexer, qu’il ne veut pas être mis dans un moule et qu’il veut montrer qu’il se débrouille très bien et avec dignité depuis toujours. Entretien un peu trop directif au début car je ne suis moi-même pas très à l’aise et j’ai peur de le vexer en disant que sa situation est difficile…

ENTRETIEN 12 : ABDELKADER Caractéristiques médico-sociales 65 ans Origine algérienne En France depuis 50ans, a travaillé 40 ans en cuisine, licencié par son patron Retraité En foyer Emmaüs depuis 2008, auparavant à la Mie de Pain BPCO Sécurité Sociale : ne connaît pas ses droits, parle de la carte vitale mais ne sait pas s’il bénéficie de la CMU. Je voulais discuter avec vous pour comprendre comment vous vivez dans votre foyer avec votre maladie. Vous êtes dans un foyer Emmaüs c’est ça ? Depuis quand ? Depuis 2008. Et avant ? A la Mie de Pain. Et avant Vous posez les mêmes questions que l’assistante sociale ! [rires] Ah bon ! Je suis désolée, c’est pour mieux comprendre votre situation… on va faire bref sur ces questions alors ! Oui quand j’ai quitté le… j’habitais dans le 5ème avant, dans une petite chambre. En location ? Ouai, en location. Et comme j’ai tombé malade, je peux pas travailler, le patron il m’a foutu dehors ! Parce que j’habitais chez lui ! Et de là je suis allé à la Mie de Pain. J’étais tout le temps hospitalisé tout ça, alors le patron il pouvait pas me garder… C’était quel travail ? C’était à la cuisine en restauration…. Et là comment vous faites pour vous soigner ? On arrive à se soigner chez Emmaüs ou c’est compliqué ? Non c’est pas compliqué. Quand quelqu’un il est malade ils appellent les pompiers et ils arrivent tout de suite. Oh moi je viens ici parce que j’étais suivi ici depuis le temps, c’est pour ça des fois je viens ici tout seul. Quand je vois que ça arrive je viens ici. Sinon j’appelle les pompiers mais si j’appelle les pompiers ils vont m’envoyer dans un autre hôpital, alors si je viens tout seul je viens ici ! Et vous venez au coup par coup… Je viens quand j’arrive pas à respirer, quand la maladie elle est trop grave, voilà ! Mais vous ne venez pas de façon régulière pour faire des contrôles, vous ne venez que quand ça va très mal, c’est ça ? Voilà ! Et vous n’avez pas de médecin traitant. Si j’en avais mais j’ai loupé un RDV… j’ai vu 2 ou 3 médecins ici, Dr X et Dr X [pneumologue de l’HD]. Mais si on loupe un RDV, il faut prendre un autre RDV et ça dure longtemps hein ! Et puis quand on donne un RDV c’est 6 mois, c’est 3 mois … alors des fois je suis obligé de venir aux urgences pour me soigner ! Et vous n’allez jamais voir un généraliste dans un cabinet ? C’est ça que j’aimerais, prendre un médecin traitent quoi ! Quand ça va pas il fait

des ordonnances, tout ça…c’est mieux… c’est ça que je veux faire ! Et pourquoi vous ne l’avez pas fait ? Parce que j’étais suivi ici alors je me suis dit « à quoi ça sert d’aller prendre un autre médecin du moment que je suis avec des médecins ». Donc vous n’avez jamais eu de médecin traitent ? Non. Jamais ? Avant. Avant quand je travaillais j’en avais un. Ben oui ! Mais après…. Après j’ai changé… Pardonnez-moi, je vous titille hein : quand vous travailliez vous aviez un médecin traitant et après vous n’en aviez plus… est-ce que vous pouvez m’expliquer ? Parce que quand vous travaillez vous… vous tenez… vous tenez… vous-même, vous faites des choses euh… normales quoi ! Si vous tombez malade vous allez voir le médecin, si il vous manque ça vous allez l’acheter… vous prenez votre vie en main ! Par contre si vous êtes comme ça, si vous trainez dans la rue tout ça, vous vous en foutez hein ! Vous allez pas aux RDV, vous vous dîtes c’est loin, vous êtes un peu dégouté quoi ! C’est ça hein ! Donc les choses… On laisse les choses trainer ! Les choses trainent parce qu’on se fout un peu de sa santé Bien sûr qu’on s’en fout ! Parce que quand on voit qu’on n’a aucun avenir ni rien… qu’on est dans un centre comme ça… qu’est-ce qu’il y a ? Y’a rien hein ! C’est pas que je sois mal logé, c’est bien, pour les questions d’hygiène c’est bien ! Mais vous savez, vous êtes à deux dans une petite pièce comme ça… C’est pas…. Autrement c’est bien hein… c’est plus comme avant hein : les gens sont bien, ils sont gentils… Et donc on se fout de sa santé parce qu’on n’a pas d’avenir C’est pas qu’on s’en fout, c’est qu’on s’en occupe pas mieux, on s’en occupe pas bien. On s’occupe pas bien de soi-même Voilà. Qu’est-ce qui est le plus important alors, on s’occupe de quoi en premier ? [rires] En premier on s’occupe de rien [rires] Ben oui ! Vous voulez vous occuper de quoi ? Y’en a qui jouent, y’en a qui boivent, y’en a beaucoup qui s’occupent d’autre chose hein! Eh bé oui ! Le principal souci c’est pas la santé Oh vous savez la santé, des fois y’a des gens ils… ils s’en foutent hein ! Ils attendent jusqu’au dernier moment avant de téléphoner aux pompiers ! Et vous étiez un peu comme ça ces derniers temps ? Quand c’est grave on appelle les pompiers, tant que c’est pas grave… Non ! Mais moi si je viens et que c’est pas grave, ils me prennent pas aux urgences ! L’autre fois je suis venu gravement, ils m’ont tout de suite mis l’aérosol, ils m’ont dit « il fallait pas attendre comme ça, c’est trop grave là ». Alors je sais pas quoi faire avec ça ! J’ai dit « l’autre fois je suis venu un peu, j’arrivais à respirer un peu, vous m’avez gardé là pendant 4 ou 5 heures, et après vous m’avez dit de sortir, c’est tout ! » Donc il faudrait que vous trouviez un médecin qui vous prenne quand c’est pas grave en fait Un médecin traitant, et quand il voit que c’est grave il m’envoie à l’hôpital lui-même , comme ça on me reçoit. Et qui vous soigne aussi quand c’est pas grave ! Oui bien sûr ! Pour les ordonnances. Pour les médicaments. Moi des fois je prends pas les médicaments parce que j’en ai pas, alors je prends un autre médicament mais je me dis « peut être que ça fait pas du bien… » Alors ça veut dire que je suis suivi par moi-même ! Et oui, c’est pas bon ! Et ça commence à venir cette idée de prendre un médecin traitant ? Qu’est-ce qui vous donne cette idée ? Ben… des fois on change hein ! On se dit faire ça c’est mieux que ça… Même pour les papiers médicaux c’est mieux avec un médecin traitant parce qu’il peut faire les papiers qu’il faut et tout ça. Donc quand on a un logement et qu’on travaille on se soigne mieux

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Bien sûr, bien sûr. Vous avez moins de problème quand vous êtes chez vous et plus de problème quand vous êtes pas chez vous, c’est normal ça ! Ben oui ! Et là vous avez envie de vous soigner en ce moment ? Bien sûr ! Ou c’est comme avant ? « Avant » ? Je vois pas qu’est-ce que vous voulez dire … Vous m’avez dit « quand on est à la Mie de Pain on s’en fout de sa santé » C’est pas qu’on s’en fout ! Bien sûr ! Mais ça veut dire que quand je me sens bien je me dis « allez laisse tomber peut être que je suis guéri, je vais pas au RDV, je me sens bien et puis voilà ! ». Et après quand ça reprend, bon, c’est très grave et puis je viens hein, voilà ! Ça veut dire que je suis pas suivi normalement ! Voilà ! Vous voyez ? Et vous avez l’impression que votre santé complique votre situation ? Ca dépend ! Quand t’as trop mal, c’est vrai ça aggrave, mais si ça va normalement ça va ! Ben oui ! Et avec votre employeur ça s’est terminé comment ? Avant j’étais pas malade ! C’est chez lui que j’ai pris la maladie, ben oui ! A force de rentrer dans les chambres froides, c’est chez lui que j’ai pris la grippe ! Et pourquoi vous m’avez dit tout à l’heure « c’est ma faute si je suis là » Ben vous vous rendez compte ? J’ai 65 ans, je suis resté 50 ans en France ! Pendant 50 ans j’ai travaillé ! Si j’avais mis l’argent de côté, j’aurais un appartement, j’aurais un restaurant, j’aurais quelque chose ! Au lieu de jeter l’argent par la fenêtre, aller à la boisson ! Ben oui ! C’est ça ! C’est un peu notre faute hein, faut pas croire ! C’est la faute à personne ! Sinon on dit le destin mais le destin c’est pas comme ça ! Et avec les médecins ça se passe comment ? Ça passe bien ! Pour moi tous les médecins sont bien ! C’est quoi un bon médecin ? Un bon médecin, c’est quelqu’un qui reçoit les malades par gentillesse, par… voilà c’est ça, y’a pas de mauvais médecins….vous en pensez quoi vous ? Non ! Je vous demande juste votre avis A mon avis à moi les médecins ils sont tous bons, parce qu’ils reçoivent les malades par gentillesse, tout ça. Et quand vous avez besoin de voir un médecin qu’est-ce qui vous parait compliqué ? On doit attendre longtemps à l’hôpital… Un peu ça oui Les urgences on sait pas trop quand y aller On attend longtemps des fois, on se dit « peut-être que ça va se passer… » Et si vous vouliez trouver un médecin traitant vous le trouveriez où ? Dehors Et ici ? Ben je vais voir si je peux payer, parce que dehors il faut payer Vous avez quelle sécurité sociale ? J’ai la carte vitale Vous n’avez pas la CMU ? Avant j’avais la CMU mais elle est pas renouvelée parce que l’assistante sociale qui s’occupait de moi elle est partie. Avant j’avais la CMU, c’est elle qui payait quand je passais aux urgences, tout ça, mais là… Comment ça se passe quand vous allez aux urgences alors Ben je sais pas trop… parce que ils me disent que je dois une note ici, c’est ce qu’ils ont dit oui ! En fait vous ne savez pas trop ce que vous avez comme Sécu Non, pas trop, je crois que la carte vitale elle paie, mais la CMU elle est pas renouvelée… Et vous avez l’AAH Non, j’ai la retraite. J’ai une petite retraite hein Mais ici c’est pareil que dans un cabinet parce que ici c’est sans RDV, c’est pratique. Parce que je m’en rappelais plus, et dans la semaine je me suis dit « il faut que je trouve un médecin, il faut que je voie un médecin » et après je me

suis souvenu « mais y’a un médecin à l’hôpital ! Je vais allez voir » Alors c’est pour ça que je suis venu Vous ne saviez pas où trouver un médecin Ben oui, et je m’en suis rappelé. Et pour les traitements. Si on vous donne un traitement là, vous allez le prendre ? Ben oui ! Et quand on est dans un foyer Emmaüs, c’est compliqué de prendre un traitement ? Non, c’est pas compliqué Comment on s’organise C’est pareil que chez vous ! Vous avez votre armoire, vos affaires, votre chambre, vous mettez vos médicaments dans l’armoire, et puis vous les prenez. Et là vous allez les prendre ou vous allez vite vous arrêter ! Ah non il m’a dit de les prendre jusqu’à lundi, et lundi je vais voie un autre médecin pour voir comment ça marche. D’accord, et si ce médecin vous dit « maintenant il faut prendre le traitement tous les jours maintenant »…vous allez le faire ? Ben oui ! On me l’a dit déjà « ça tu le prends toute ta vie » Et vous le prenez ? Ben oui, je suis bien obligé sinon les poumons ça fonctionne pas, ça va s’arrêter Et vous le prenez toute votre vie ou bien vous vous arrêtez de temps en temps. Ben non, je le prends Même quand vous n’avez pas la carte vitale ? Avant j’achetais des médicaments avec l’ordonnance d’ici et je prenais mes médicaments gratuits Donc vous n’avez jamais arrêté Ah bah non ! Non ! On peut pas arrêter un traitement comme ça ! Vous pouvez me le dire vous savez Comment ça ! Ben si vous arrêtez les poumons ils s’arrêtent. Mais je me dis que vous devez être embêté de temps en temps, sans la carte, dans un foyer, sans trop d’argent… Des fois y’en a plus oui ! Le malade il prend le traitement quand même hein. Bien sûr ! Et vous faisiez comment pour trouver ces médicaments ? Je vous dis ils me le donnent à la pharmacie ! Et vous m’avez dit que votre carte était périmée de temps en temps. Quand la carte est périmée, j’achetais les médicaments moi-même ou alors je les prenais ici. Ouai, voilà Je vous ai posé trop de questions ? Non ça va… pourquoi ? J’ai le temps moi, vous savez j’ai rien à faire hein… Limites de l’entretien : trop directif de ma part car patient élabore peu donc quelques question semblent biaisées Certaines réponses ont l’air convenues.

ENTRETIEN 13 : VLADISLAV Caractéristiques médico-sociales Homme de 57 ans Origine croate Arrivé en France en 1973, Légion étrangère Titre de séjour pour 10 ans non renouvelé, dossier en cours. Vit dans un local de fortune sous les ponts avec eau et électricité Gastrite chronique, BPCO, hernies discales douloureuses AME

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Vladislav : « Déjà pour poser une question pour aborder le sujet : je me soigne ici depuis des années auprès de médecins compétents et finalement, aucun aboutissement pour moi. Je me soigne pour 3 maladies : estomac, j’ai un problème gastrique, ça dure depuis des années, j’ai des douleurs terribles soi-disant il n’y a pas de médicament efficace, des problèmes de crampes, et j’ai un problème de colonne vertébrale. Ça c’est le 2ème scanner. Un médecin a dit c’est un problème de hernie discale, il vous touche un peu comme ça comme ça, mais moi, je suis pas médecin et quand je lis ça je dis « c’est grave ». Mais seulement moi quand je viens à l’hôpital (l’autre scanner il est aussi mauvais que ça) … moi je suis SDF, je me trouve dans la rue, et personne ne me propose une semaine pour vraiment avoir un lit à l’hôpital. Moi, je cherche pas à être hospitalisé parce qu’il fait chaud. Certains médecins ne comprennent pas ça. Ils croient que vous voulez être hospitalisé pour être au chaud ? Oui ils pensent ça. Moi j’ai un petit local qu’un architecte me prête, grand comme ici. Je peux cuisiner, je peux dormir, je peux chauffer. Mais le problème est pas là. Le problème c’est d’avoir un lit à l’hôpital ou un lit médicalisé pour … Pour faire le point ? Pour faire le point. Le médecin il est là, sur place. Quand la gastro me dit « et vos crampes ? ». Je lui dis « elles me prennent à l’effort ou sans effort »… parce eu j’ai un problème avec une bactérie imprononçable « heloci ». Helicobacter Pylori Oui ! Mais quand je dis « je risque quoi ? » elle me dit « non… vos traitements, laissez…. » mais je lui dis « dites-moi ! ». Mentalement je suis prêt à assumer et je dis c’est le grain de sable qui cache la montagne. Moi je dis « je suis dans la rue ». Et quand je venais pour la colonne vertébrale c’est pas l’hôpital qui m’a hospitalisé c’est les pompier qui m’ont emmené. Moi je dis surtout « vous me touchez pas », ça me prenait tout le côté, le matin je ne pouvais pas me lever. Mais ils comprennent pas ça. Vous avez l’impression qu’elle ne vous soigne pas bien parce que vous êtes dans la rue ? Non, ils me soignent bien, au contraire ils me soignent bien. Mais pour eux, moi j’ai remarqué que quand on dit SDF c’est …. Pas seulement ici, ailleurs c’est pareil (parce que quand j’ai été bloqué on m’a emmené à voir un autre médecin : celui-là m’a donné une ordonnance en me disant d’aller à la pharmacie. Mais je lui ai dit « c’est votre rôle, il y a un SAMU SOCIAL lit médicalisé. Car je lui ai dit « chez moi c’est un petit local comme ça mais il n’y a personne, à côté il y a un pont. Si les propriétaires viennent me voir d’accord, mais quand ils sont pas là, personne ne risque venir me voir ». C’est ce que je lui ai expliqué. Et finalement je me suis retrouvé dans le 14ème à St xxx c’est le Samu social. Mais j’étais bien suivi. Un médecin m’a dit là-bas « c’est grave votre histoire, il va peut-être falloir vous opérer ». Mais il me dit « il faut que vous soyez sur place ». Parce que le lendemain il est venu, la jambe était gonflée. Il a dit « oh là là c’est grave » donc il fallait changer le médicament parce que c’était le nerf sciatique qui faisait effet sur la jambe, elle était endormi et je ne pouvais plus la bouger. Bon, pour ne pas parler de moi : qu’est-ce que vous voulez savoir ? C’est exactement ça que je veux savoir ! Vous avez commencé une phrase en disant « quand on dit SDF… » Parce que je me soigne, pour les crampes, la colonne je sens que c’est mauvais, la pneumologie je ne me plains pas, j’ai mon suivi habituel Ventoline, faire les gestes respiratoires, donc je fais attention, mais je suis dehors, c’est l’humidité ! Et on sait il faut prendre aérosol le matin midi et soir. Quand vous êtes en lit médicalisé vous avez ça. Même en semaine. Parce qu’un malade, et surtout un SDF ne cherche pas à rester là-bas ! Pace que lui ne supporte pas la contrariété d’être là. Parce que il n’a pas d’argent, il n’a pas d’amis, il n’est pas ci, pas ça. Ça plait à personne d’être en lit médicalisé ? Non ! Mais il achève au minimum possible et dès qu’il se sent mieux il partira. Comme à l’hôpital quand les gens signent les papiers pour sortir. Beaucoup de gens font ça, parce que quand c’est long ils préfèrent être en famille. Finalement on reste le temps de se refaire un peu mais après c’est beaucoup de contrariété pour lui. Mais moi, mon médecin il a vu que ça ne me gênait pas. Il me dit « vous voulez rester un peu » ? Je lui dis « attendez, c’est vous le médecin, c’est vous qui me dites si je peux partir ou non. Quand vous me dites de partir je pars ». Il m’a dit « je vous garde encore un peu » donc je suis resté un mois et quelques. C’est pas une question de confort, c’est une question médicale. Oui c’est une question médicale. Et surtout, il faut que le médecin oriente vers ça.

Et donc quand on dit « SDF » vous avez l’impression que les médecins… J’ai l’impression que ça se regarde un peu entre hommes Qu’est-ce que ça veut dire ? Quand quelqu’un dit qu’il est SDF… déjà je dis « je suis SDF mais je suis pas contagieux ». Parce que c’est une marque rouge ! Une méfiance ? Une méfiance. De la part de tout le monde ou des médecins ? C’est un peu de tout le monde. Les médecins comme les autres Les médecins pas tellement, mais seulement ils orientent pas sur une structure. Parce que le médecin en regardant le dossier aujourd’hui il va me faire une ordonnance pour trois choses. Mais il va pas me dire « tiens je vais téléphoner au Samu Social pour votre problème de dos. Parce que ici on m’a déjà dit que c’était grave, on m’a dit de prendre un matelas plus dur, j’ai dit oui je sors la planche et je dors dessus, pas de problème. J’ai dit « vous avez une place pour être hospitalisé ? » On me dit « vous savez… votre cas n’est pas tellement grave ». Je dis « mon cas n’est pas grave parce que je suis SDF » ! Je suis resté boire un café, j’ai fini de lire le journal, et un monsieur sort de consultation et me dit » je suis hospitalisé, ils vont me garder 15jours » alors qu’il était moins grave que moi ! Et comme j’ai même plus la carte vitale parce que j’ai des problèmes de papiers à la préfecture. Ici mes 3 médecins m’ont fait un dossier, et le médecin de la préfecture n’a même pas regardé et m’a dit « maladie sans gravité ». Et maintenant je suis en procès avec la préfecture pour qu’ils me rendent la carte pour 10 ans. Il s’agit de quelle carte ? Le titre de séjour ? Oui. Ils veulent pas la renouveler .Je suis parti d’une carte de 10 ans puis je suis passé à une carte à 1 an, puis sur des récipicés des mois et des années et finalement on me supprime tout. Sans aucune raison. Parce qu’on me dit « pas malade » alors que c’était bien marqué sur mon dossier par les médecins d’ici. Mais le médecin de la préfecture il met les gens dans des quotas .Ils ont fait les papiers sans me voir ! Finalement j’ai un avocat, on a fait la copie du dossier et j’ai demandé et j’ai une experte médicale auprès du tribunal. Et je vais passer au tribunal en janvier ou février. Donc vous voyez où ça nous mène. A cause d’un médecin de la préfecture ! Mais même auprès des médecins qui soignent vous avez l’impression d’être moins bien soigné… Je suis bien soigné côté médicaments. Mais côté suivi… Parce que un patient malade doit avoir au moins deux ou trois jours en observation. Parce que même la nuit, si le médecin n’est pas là, l’infirmière est là. Quand j’étais à Magny, on m’a tout fait, la totale, prise de sang, gaz du sang… on m’a dit que j’avais perdu beaucoup de respiration. J’ai fait des aérosols matin midi et soir, on m’a fait de la rééducation, et au bout de 8 semaines le résultat se voyait. On m’a même dit « vous ne pouvez pas tricher ». Parfois des patients peuvent simuler mais quand vous êtes sur les appareils qui mesurent la respiration et qu’on vous fait des prises de sang, vous ne pouvez pas tricher, les résultats se voient. J’ai pris beaucoup sur moi : Dans la rue je devenais alcoolique, je me suis soigné une semaine par Seresta. Mais je me suis dit « pour quoi je prends ça… boire, boire, 4 , 5, 6 litres dans la journée, sans être ivre… je me posais des questions moi-même . Je suis allé voir le médecin et je lui ai dit finalement dit « j’abandonne Seresta aussi ». Il m’a dit « vous êtes sûr ». J’ai dit « sûr et certain madame ! » Mental ! Mais avec Seresta ça c’est stationné un peu , mais je vous dit j’ai fait ça mentalement. Avec le tabac aussi. Je fumais deux paquets, madame elle en revenait pas car je regardais mon paquet tous les jours, il était à côté de la brosse à dent, et quand je suis reparti de Magny, au bout de 8 semaine, j’ai dit « je l’ai pas touché » et je l’ai jeté à la poubelle. Pour moi c’est fini. Parce qu’on m’a dit que les appareils disent que les poumons sont en mauvais état .J’ai essayé les patchs, j’ai tout essayé mais ça ne marchait pas. Je me suis dit « on va essayer au mental ». Moi je suis un ancien militaire, je suis conditionné. Le conditionnement Pavlov et d’autres conditionnements jouent pour moi. Et ça, ça me sauve beaucoup ! Même quand je vois un petit écart autour de moi. Quand je vois une assistante sociale ou un médecin, je prends les choses du bon côté, je me dis « ça ne marche pas maintenant, ça marchera la prochaine fois, faut pas trop en demander ».

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Un « écart » ? Moi j’ai remarqué que si vous passez parmi les premiers, le médecin est de bonne humeur, mais si vous passez parmi les derniers, il est fatigué ! Il faut le reconnaître ! Et moi je voyais bien les médecins… si je passais parmi les deniers ils me disaient « c’est pour la même choses que d’habitude ? » avec un petit sourire, et on parle pas beaucoup et ils n’expliquent pas beaucoup, et ça va plus vite. Vous avez un mental fort C’est vrai, il faut avoir un mental fort Et ça vous permet d’accepter les écarts des gens… Et vous étiez militaire ? Oui, j’ai fait 8 ans dans la légion étrangère à Calvi, en Corse. Mais à 57 ans, le médecin de préfecture qui me dit que je ne suis pas tellement malade, ça c’est grave. La préfecture qui me dit « mauvaise volonté pour trouver du travail ». Moi je dis « entre 3 millions de chômeurs, si vous me proposez quelque chose…. » . Moi je suis à l’ANPE et on ne me propose rien. Si on me propose un travail maintenant à 50km de Paris, je fais comment ? La paie c’est 30 jours après ! Il faut que je paie les transports, les déjeuners… je peux sauter un repas… Mais mes papiers sont caduques, je n’ai aucun revenu « mais vous vivez de quoi ? » « je fais la manche, je ne suis pas un voleur, je m’abaisse mais je préfère tendre la main et mettre un gobelet à côté de moi, et les gens me donnent » Et ça c’est encore ce fameux « SDF ». C’est le mot « SDF » qui pèse. Et je dis à la préfecture « voyez, je suis SDF ». L’assistante sociale a joué son rôle, elle est venue chez moi et m’a dit « oh là là… c’est comme un petit studio ». J’ai dit « oui, les gens avant ils mettaient leurs trucs de bateau, moi je dormais sous un pont et on me prenait on me disait c’est interdit, les tentes au parc c’est interdit… tout était interdit finalement… » ils ont eu pitié de moi ils ont dit « viens tu peux être chez nous » ils m’ont donné l’eau et l’électricité. Et la préfecture me dit « vous avez vraiment mauvaise volonté » mais je dis « quel volonté ? Il n’y a pas de travail pour les gens un peu mieux que moi, avec mes problèmes respiratoires je vais travailler où » ? Dès qu’il y a de la poussière, des toxiques je peux pas. Je suis ancien militaire, je peux faire de la sécurité, j’ai postulé un peu : on ne m’a jamais proposé de place ! On me dit de faire de l’intérim dans le bâtiment, je dis « bien sûr ! Avec la colonne que j’ai ? Vous croyez que je peux travailler avec un marteau piqueur ? » Mais je dis « est-ce que vous réfléchissez des fois quand vous parlez ? Vous avez le dossier médical devant vous ». Et finalement on m’a supprimé tous mes papiers et je finis au tribunal en janvier-février. Vous êtes resté combien de temps dans la légion ? 8 ans. Quand je serai à la retraite j’aurai quand même 18 ou 20 ans de travail. J’ai travaillé quelques années dans le privé… et après je suis malade je pouvais plus et après c’était la paperasse, je pouvais plus… On me dit le recipicé est valable 3 mois. La première chose qu’un employeur va dire c’est « tu es venu pour les papiers et pas pour le travail » : il dit « tu vas être chez moi pendant 1 an et quand tu auras ta carte pour un an ou 10 ans tu vas te mettre au chômage et puis tu vas me laisser tomber ». Ils n’ont pas confiance ? Bien sûr ! 99% des patrons disent ça Donc votre santé vous a empêché de … Ma santé m’a empêché de travailler, mon dossier médical m’empêche de travailler . Même quand je fais la manche, quand j’ai des courbatures [à l’estomac] il faut que je sois là-bas. Et si je peux pas, je vais me contenter de 2 jours sans manger ou alors des copains ou copines vont m’apporter quelque chose. Je lui dit » vous voyez, les gens qui sont à côté de chez moi ils me laissent pas tomber, quand je suis malade et que je fais pas la manche, ils m’apportent quelque chose, un casse-croute, un plat chaud ». Il me dit « monsieur M refuse ça, il veut être indépendant, il fait la manche mais quand il ne peut pas bouger il a honte d’accepter car il veut se débrouiller lui-même ». Mais comme je connais ces gens et que je suis déjà reconnaissant pour l’eau et l’électricité je dis « je peux pas prendre en plus à votre table » mais ils me disent « ça c’est de cœur, si tu n’étais pas correct on ne te donnerai pas comme ça. On ne propose pas à quelqu’un d’autre, on te propose à toi ». Et c’est vrai, ce fameux « SDF ». Quand l’assistante sociale dit « nous avons beaucoup de SDF ». C’est comme un tampon ! J’aime mieux qu’on me dise « clochard ». C’est dans le dictionnaire clochard… seulement quand quelqu’un vous connait et vous dit sans faire exprès « vous êtes toujours SDF ? », les gens se mettent 3 sièges à côté ! Comme si le SDF était contagieux ! C’est vrai qu’il y en a qui sont pouilleux, qui sont sales…il y en a ! Mais quand même il faut se poser la question « à cause

de quoi ? Pourquoi il est dans la galère ? » Certains se sont laissés aller… Et par rapport à votre parcours médical : vous êtes toujours venu consulter ici ? Oui Et pourquoi ? Parce que je suis à 150 m de là, sur les quais de Seine Donc pour la proximité. Et ça se passe bien avec les médecins ? Oui ça se passe bien, parce que ils jouent leur rôle de médecin. Même quand j’arrive un peu en retard vers 16h30 et que je vois un médecin que je connais, je leur demande s’ils peuvent me faire une ordonnance car je viens pas tellement pour consulter. Il savent très bien que c’est Lyrica pour la colonne vertébrale et Ventoline pour le respiratoire. Ils le prescrivent parce qu'ils connaissent bien mon dossier. Ça c'est un truc entre le médecin et son patient: ils peuvent me faire une ordonnance à la dernière minute. Là vous avez l'AME, donc vous pourriez aller consulter chez des médecins en ville, dans des cabinets, par exemple un généraliste...est-ce que vous iriez? Oui c'est possible, on peut. Vous avez des expériences en cabinet dans les années précédentes? Oui, avant, quand j'étais dans des bonnes conditions j'avais un médecin chez qui j'allais toujours, et c'est lui qui m'orientait vers … Et pourquoi vous n’allez plus là-bas par exemple. Ben quand je viens ici, c'est pas grave si c'est pas toujours le même médecin que je connais bien, parce qu'ils ont tous mon dossier. Mais s'il fallait changer, il faudrait tout refaire. Pour moi ça n'a aucun intérêt de quitter l'hôpital pour aller chez un privé, non. La quand je suis tombé malade et que je pouvais plus bouger, c'est un médecin qui s'occupe des SDF Quai de la Rapée qui s'est occupé de moi. Mais finalement il m' a donné une ordonnance pour faire un scanner en ville alors que le scanner est déjà ici. Alors j'en ai refait un ici et c'est encore plus grave qu'avant ; Et pourquoi vous n'êtes pas resté avec ce même médecin traitant? … Redites-moi un peu: auparavant vous aviez un logement? Oui j'avais un logement Et ensuite? Pendant des années, pendant 10 ans j'avais rien Et c'est au moment où vous avez perdu votre logement que vous avez arrêté de voir votre médecin traitant? Quand vous avez perdu ce logement, qu'est-ce qui a changé dans ce qu'on appelle votre « parcours de soins », par rapport à votre santé? Moi, j'ai coupé les ponts avec tout. Je me trouvais sans emploi. On se met dans la tête: « qu'est-ce que je vais faire. Je n'ai aucune ressource ». Travail au noir: oui j'ai fait un peu de travail au noir. J'avais une copine, des années on a habité en formule 1. Des années. C'était le premier truc: travailler et se payer une chambre. Première chose. Ensuite elle est partie chez ses parents, je me suis retrouvé tout seul. J'ai continué un peu et j'ai commencé à être malade. Refuge: alcool, erreur! Refuge alcool: erreur! Et changer de coin. De Montmartre, Belleville, je suis arrivé là. Les gens ne me connaissent pas et c'est rare que des gens viennent et me disent « viens chez nous ne reste pas comme ça » . Et je dis « non non c'est bon , merci, je reste là ». « Mais avant tu étais bien... ». Et je dis « si des gens vous demandent, vous dites que vous ne m'avez pas vu ». Vous voulez être incognito Ben oui parce que après ça parle! Après ça parle! Et moi je ne peux pas rester toujours là, à me promener en ville... je me promenais à une exposition et une connaissance me demande -Tu deviens quoi? Je lui dis -Je suis artiste de variété. -Tu fais quoi? -Je fais la musique dans le métro. -De la musique dans le métro? J'ai dit -Pourquoi pas? - Et tu te sens bien physiquement? -Je me sens très bien... Donc vous voyez on rentre dans le mensonge, dans le mensonge aux amis...

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Et en partant, l'ami et sa femme me disent « Tu es sûr de tout ça? Tu es sûr que c'est vrai tout ça? » J'ai dit « faîtes comme si c'était vrai, si vous avez un doute, faites comme si c'était vrai, je me débrouille, je vous remercie pour votre aide mais je continue à être artiste ». Ils m'ont dit « c'est bon, on avait compris ». Beaucoup font l'erreur de l'alcool, ils tombent dans la drogue, le hachich, les piqures, y'en a de plus en plus... moi je suis pas tombé dedans. Ah! Et le fameux médecin du Samu social ou viennent les SDF (quai de la Rapée, pont d’Austerlitz). Quand vous arrivez là-bas tout le monde dit « ou là la... je suis ancien toxicomane, je suis en crise, j'ai besoin de Subutex » et hop, ordonnance de Subutex tout de suite, sans consultation, sans rien. Et ce même Subutex se vend après dans la rue: erreur! Et on me dit vous venez pour du Subutex? Non, je viens pour ma colonne vertébrale. Et mes autres ils viennent pour l'ordonnance et après ils revendent le médicament. Je savais même pas que ça se fume, ça peut se sniffer... les médecins ils savent ça. Et après la sécurité sociale dit que le Subutex se vendait beaucoup! Mais, je vais vous dire honnêtement, certains médecins ne prennent pas leurs patients au sérieux. Je parle pas des hôpitaux, je parle des médecins des organisations, des centres, soi-disant intéressées par la solidarité tout ça... finalement ce ne sont pas eux qui prescrivent, ce sont les patients qui demandent ce qu'ils veulent. Ça, ça m'a choqué un peu! Et pour vos consultations? Non parce que j'ai toujours été ici , et quand le médecin change de traitement, ce n'est pas à moi de lui demander. C'est lui qui me dit « on doit augmenter le dosage de Lyrica par exemple, on va passer de 75 à 100 pendant 15 jours puis on va revenir à 75. Parce que je vois bien que vous avez mal ». Parce qu'il ne faut pas mentir par rapport à la douleur. Sinon vous augmentez les doses et ça vous esquinte les autres organes. Mais vous avez consulté plusieurs centres de santé, vous êtes venu à l'Hôtel Dieu, et pur quoi vous n'êtes pas allé chez un généraliste en cabinet, alors que vous pouvez, avec l'AME? Non! Parce que je pouvais pas! C'est pas question d 'AME. La question c'est de voir là où l'on vous amène. Quand j'avais le dos bloqué on m'a amené là-bas. Et vous pensez que vous pourriez aller dans un cabinet de généraliste? Oui on peut aller, on peut aller! Mais moi je ne veux pas changer parce que ici j'ai mon dossier avec tout l'historique Et c'est pratique, le fait d'être à l'hôpital? Ou rassurant peut-être? Oh non. Y'a d'autres personnes qui disent que d'autres hôpitaux sont mieux, moi ici j'ai été bien soigné donc je ne me plains pas. Quand j'ai eu une FOGD j'ai été hospitalisé de jour, ils ont fait la procédure normale. Et finalement madame X [gastro]m'a dit qu'elle me gardait un jour de plus, parce qu'elle connait mon historique, donc elle me dit « comme ça vous décompressez un peu ». C'est sympa! Sachant que je ne suis pas là pour rester. Parce que quand vous sortez à midi il faut quand même quelqu'un pour vous accompagner, pour jeter un coup d'œil sur vous. Et comme elle sait que je n'ai personne, je ne peux pas rentrer tout seul dans mon local, s'il m'arrive quelque chose. Donc par mesure de sécurité elle me garde 1 jour. C'est sympa. Et dans votre petit local vous pouvez avoir vos traitements bien rangés ? Oui! Et quand vous étiez sous les ponts vous aviez quelque chose? Vous faisiez comment? Rien, rien, j'avais rien. J'avais mal au dos, j'avais les cachets pour le dos. Mais quand vous arrivez le soir, vous trouvez rien. Ou alors vous êtes comme Mac Gayver, vous vous promenez avec tout dans les poches. Et à l'époque vous vous soigniez? Oui je me soignais, c'est cette époque où j'ai arrêté l'alcool... je commençais à me soigner. Et vous gardiez tout sur vous? Moi personnellement je mettais tout sur un bateau. On était une dizaine là-bas, ils pouvaient garder pour tout le monde. Mais les gens se promenaient avec leur sac à dos. Mais les voleurs ce ne sont pas d'autres personnes, c'est sur ordre de la préfecture ou de la mairie pour que les SDF aillent ailleurs. Ils vous prennent tout, le lendemain vous êtes tranquille trois mois, 1 an, et arrive la période des

touristes, le 14 juillet et ils reprennent tout. Moi j'ai fini au tribunal à cause de ce point, en comparaison immédiate pour rébellion contre l'ordre public. Et j'attendais que ça. Les policiers ont dit ça et ça et je demandais ce que disait le représentant de la préfecture, il disait « les SDF et leurs tentes … euh... y'a des logements sociaux quand même ». J'ai dit « quels logement sociaux? Si vous m'en proposez un, où? J'ai pas d’argent, j'ai pas de papier à jour, donc je dois être dehors » Il dit « y'a des centres ». « Ça fait 10 ans que je suis dans la rue, combien de nuits d'hôtel j'ai faites: aucune! Combien de fois j'ai dormi chez eux? Jamais! Parce que moi je veux pas dormir chez eux. Quand j’ai entendu comment c'était... je suis allé en voir certains: c'est sale. Il dit « Non! » J'ai dit « Comment monsieur? Vous voulez venir faire 24 h avec moi là-bas? Après vous pourrez parler! Mais attention, il ne faut pas dire quand la préfecture ou la télévision va venir. Sinon ils vont nettoyer, trier les gens sympas, polis, et les autres seront priés de venir un autre jour. Nous, dans la rue, on sait comment ça se passe. » Et quand vous étiez sous les ponts, on arrive à se soigner mais... On arrive mais tardivement! On se dit « j'ai mal mais c'est pas grave, c'est à cause du climat, du froid, de l'humidité » On commence à perdre ses dents (j'ai un dentier) « Oh une dent c'est pas grave » puis deux, elles commencent à tomber toutes seules … décalcification... Donc on peut avoir les soins mais de soi-même on y va pas Oui mais de soi-même on y va pas Parce que: vous êtes décidé, vous savez pris une douche, vous vous êtes rasé, vous êtes bien... et quand vous arrivez vous voyez 20 personnes, vous vous dites « je reviendrai demain » et le lendemain il y a 10 personnes. Vous vous dites « oh, on verra ça un autre jour »net c'est comme ça... le plus tard possible, et la santé se dégrade C'est un grand effort de venir Oui! C'est un gros effort parce que tant qu'il est là, il est nerveux, il ne peut pas fumer, il ne peut pas boire. Ceux qui comme moi ne fument pas, ne boivent pas, tant qu'ils sont là, ils ne peuvent pas faire la manche. Pour moi c'est pas grave, mais certains ont tout prévu et savent ce qu'ils doivent acheter dans la journée, ils doivent acheter une boite à manger, un saucisson, un paquet de cigarette, ils ont tout calculé. Quand ils sortent de la consultation il faut qu'ils trouvent 15 ou 20 euros minimum! Donc le temps qu'on perd à la consultation c'est de l'argent perdu Problème d'argent! Pour moi ça a été un grave problème parce que je parle de personnes comme moi qui n'ont aucune ressource. Avec le RMI c'est différent, ça donne le temps de respirer. Mais tant qu'on est là... Ou alors on a un peu d'économies, comme j'ai moi, on peut se permettre. Moi je me permets, j'ai toujours une boite de réserve, donc je me dis demain sera un autre jour. La journée que j'ai perdue pour me soigner, c'est pour moi, c'est pour mon bien. Mais d'autres ne se permettent pas car ils sont complètement dans la rue. Donc soit ils ont un problème pour savoir où dormir (ils appellent le 115, mais après avoir écouté la musique pendant une heure ils sont découragés, et laissent tomber, donc il faut prévoir autre chose). Pour avoir la patience d'attendre il faut avoir franchi un certain seuil de stabilité Je pense que quand un SDF vient en consultation... vous voyez, il faut commencer à parler, comme on le fait là, pour commencer à comprendre un peu le système.... et après quand on aborde la maladie, le médecin il peut proposer une hospitalisation pour 1 semaine! Parce que moi je n'ai pas demandé, mais ça a pris des mois et des mois pour qu'on m'hospitalise. Et j'étais vraiment mal... et finalement on m'a hospitalisé. J'étais là pour les bronches et le mal de dos. Avant on me donnait un médicament pour le mal de dos sans savoir pourquoi « SDF/mal au dos ». Et finalement on m'hospitalise pour faire un bilan de santé: pour les bronches, radios, testes respiratoires. Donc selon vous il fallait que vous soyez hospitalisé depuis plus longtemps et ça a trop tardé Oui! Oui, car je dis que une maladie peut en cacher une autre. Finalement quand on a enfin mis la sonde dans l'estomac ils ont dit « oh là là! Il y a quelque chose! » Quand ils ont fait le test respiratoire, et ils ont découvert que c'était une maladie qui se soigne pas bien. Y'en a chez qui il suffit d'un traitement mais d'autres chez qui ça reste des années avant de se soigner Oui, c'était une bactérie résistante Voilà, mais ça s'est découvert après. On m'a dit « vous mangez pimenté », « oui », « c'est peut-être pour ça ». Et il a fallu des années pour faire un truc, ça faisait un an ou deux que j’avais mal. Mais

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quand j'ai été hospitalisé ils se sont dit que j'étais là, alors qu'on pouvait me faire la totale. C'est le médecin qui m'a hospitalisé qui m'a dit « vous restez, on va vous faire la totale, on va voir de quoi il s'agit vraiment, je vois vous ne venez pas pour rien, je vois que vous souffrez, mais vous avez d'autres choses ». Et finalement c'était la colonne, c'était tout ça. Mais tout ne relève pas d'une hospitalisation... Non, mais, comme le dit ce docteur « votre problème, vous les gens de la rue SDF, c'est que vous cachez votre maladie. Vous la cachez ou bien vous ne savez pas ce que vous avez ». Donc vous voulez dire qu'il faut encore plus se méfier des maladies des personnes à la rue car elles peuvent cacher leurs problèmes de santé. Donc si ils viennent c'est que Si ils viennent, moi je pense que ça veut dire qu'il y a vraiment quelque chose et qu'il faut les hospitaliser... parce qu'en plus on n'a pas leur historique, pas de dossier. Moi quand je viens, n'importe qui peut me soigner car il a mon historique dans le dossier. Quand il y a une historique les choses peuvent être claires, quand quelqu'un vient régulièrement chez le médecin ça peut être clair, mais si quelqu'un n'a pas d'historique et ne vient jamais chez le médecin, il faut se méfier énormément et se dire qu'il y a peut-être quelque chose de grave. Oui! Le docteur m'a dit ce jour-là « vous êtes SDF, est-ce que vous voulez rester? » J'ai dit oui, elle m'a hospitalisé le jour même en disant « J'ai une place pour une ou deux semaines pour faire toutes les analyses », j'ai dit merci. Parce qu'elle a vu qu'il y avait quelque chose de pas normal. Certains viennent avec des douleurs de dents mais vont cacher leur alcoolisme ou autre chose... ou une vraie maladie. Parce qu'ils ont honte de dire « j'ai ça ou j'ai ça » . Parce que la parole n'est pas facile? On coupe les ponts, on ne veut plus dire... Oui, ils ont peur... je connais des gens dans la rue, on leur propose de faire une prise de sang et ils ne veulent pas. Je leur dit « ton sang parle, si tu as quelque chose il parle! Ils vont demander la totale. Ils vont chercher le sida, l'hépatite.» Et ça fait peur? Oui, ils ne veulent pas qu'on trouve une maladie qui ne leur convienne pas. Parce que beaucoup ont des hépatites ou autre chose... mais je leur dit qu'ils mettent l'entourage en danger. Il y a des hépatites non contagieuse, d'autres contagieuses, alors quand ils boivent ensemble... je dis « moi quand je buvais je buvais toujours dans mon verre, je ne donnais jamais à personnes. Vous buvez dans la bouteille l'un derrière l'autre, mais vous pouvez attraper une maladie ». Et c'est comme ça que les gens se contaminent. Je vais quand même vous laisser aller à votre RDV! Je vous remercie beaucoup... Je suis très content. Parce que si vous pouvez tirer des conclusions positives! Comme je vous dit : il faut les mettre en confiance pour qu'ils parlent, parce que la plupart vont cacher... ou une maladie, en fait il y a une maladie plus grave derrière mais il a honte de la dire, il a honte La honte est forte Oui. Parce que pour lui, déjà il est SDF, il est rien! Alors si en plus on dit qu'il a une hépatite, le SIDA, un cancer! Moi je connais une fille qui s'est coupé les cheveux à cause de son cancer. Je lui dis « prend les bons côtés, profite encore » elle me dit « les gens me regardent ». Je lui dis « les gens me regardent moi aussi, et toi aussi tu les regarde! Tu es différente? Non. La maladie c'est intérieur, c'est pas marqué. Tu es plus jolie qu'avant. Tu sais Barthez il a fait raser la tête de toute la France! Moi aussi je me rase l'été, l'hiver je reste comme ça ». Quand on tombe sur des gens qui donnent un peu de moral, ça se passe pas trop mal. » (NDLA : raconte qu'il a participé à un reportage sur TF1 et dans Paris Match, grâce auquel un cousin l'a reconnu et a repris contact en écrivant à Paris Match qui a apporté la lettre au patient) « Il a transmis la lettre, et c'est comme ça que j'ai repris contact avec la famille Par Paris match Mais j'ai dit « si tu peux comprendre pourquoi, si tu connais mon historique d'avant: malade, un peu déçu de ma vie... C'est autre chose. Tu peux comprendre. » Et cette fameuse photo, je leur ai montré à la préfecture. J'ai dit, « regarde, quatre SDF, celui-là il est mort d'un problème cardiaque, vous ne lui avez pas

proposé de logement social. Mort dans la rue. M. X, on l'a tué dans la rue. M. Z, il a travaillé pour la préfecture, il avait une petite retraite, l'assistante sociale ne lui trouvait pas une petite chambre. » J'ai dit moi je suis SDF, je peux lui donner 200 ou 300 euros cash, mais on me dit que personne ne va accepter. L'autre là, W., il est à maison blanche dans un bâtiment pour SDF, c'est super, mais il trouve pas de travail alors qu'il est physicien, bac+9. Ils me disent « ah bon? ». Et moi j'ai une formation militaire, regardez mon historique de formation, j'ai fait EMAS, ils me disent « ah bon? C'est quoi EMAS? » C'est l’Ecole militaire des armes spéciales à Grenoble. Mais je ne travaille parce que je n'ai pas de papier de sécurité civile. Je suis plus compétent avec ces appareils de décontamination et tout que aucun. Moi je les regarde travailler au bord de la Seine et je rigole. Je dis « non, faites comme ça ». Ils disent « vous connaissez ça ? On vous embauche ». Et je dis « j’ai pas de papiers » Je dis, « vous avez un papier de responsable officier, je pourrais travailler dans la sécurité civile mais je vois pas de directeur, je vois personne au guichet », ils trouvent pas mes papiers. Dommage que j’aie pas mes papiers, parce que j’ai un dossier comme ça, avec un avis favorable, et on me retire le recipicé. Et c’est comme ça que je finis au tribunal. Mais on a parlé de mes médecins. Mes médecins d’ici, j’en suis content, Vous dîtes ce que vous voulez vous savez ! Non, c’est pas seulement moi. Parce que beaucoup de gens sont venus se soigner ici vous savez. Il fallait eux-mêmes franchir le pas pour se décider et les médecins ont beaucoup aidé. Pour moi au début, c’était un peu froid, pour dire honnêtement, mais quand ils ont vu que c’était pour une vraie maladie…. Parce que les médecins se disent « oh ! Y’en a beaucoup qui viennent pour un oui ou pour un non ! » Donc au début vous avez ressenti un à priori de la part des médecins qui disent qu’on vient pour un oui ou pour un non Comme on a dit, pour une personne qui est SDF comme moi, il faut faire un départ, au début il faut prendre le temps, pour le faire parler, pour refaire l’historique parce qu’on n’a aucun historique médical. Donc il faut le garder au moins une semaine pour le garder en observation. Parce que tant qu’il est là il peut faire toutes les analyses et tout, il peut jouer le jeu. Mais si on lui dit viens demain, fais la prise de sang. Il accepterait de rester vous pensez ? Tant qu’il est là il accepte Mai sis on lui dit de revenir Si vous lui dites de revenir… Moi je faisais les choses, à St Michel et tout. Mais y’en a beaucoup, ou là là, si on leur dit il faut aller à la pharmacie là-bas prendre le produit, il faut aller prendre RDV là-bas. Ou c’est fait le jour même, ou il faut y aller le lendemain, donc ça leur fait 2 jours euh… 2 jours pour aller voir les médecins, donc certains iront, d’autres non ! C’est ça le problème ! Je vous remercie beaucoup monsieur Commentaires sur entretien Patient très content de parler, se sent investi d’un rôle de parole pour la « communauté SDF ». Répète plusieurs fois hors micro l’iportance de témoigner de ça, de faire des propositions. M’encourage à « tirer des conclusions » pour « faire des porpositions ». Dis bien que d’autres n’auraient pas pris ce temps sur leur journée car ce n’est pas possible pour tout le monde. Pour lui c’est possible car il se sent un peu plus structuré et stable.

ENTRETIEN 14 : RENE Caractéristiques médico-sociales 60ans, français. Commerçant sur les marchés, vend des bijoux, n’a plus de bénéfice depuis 3ans, cumule les dettes. Location de son appartement. VIH depuis 10 ans N’a pas payé le RSI depuis 3 ans, ni aucune cotisation sociale. Ne sais pas si ses droits Sécu sont à jour. Donc vous me disiez que vous avez des difficultés… Des difficultés… disons j’y vais, j’y vais… depuis 3 ans je vais dans le mur là !

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Et je vais …à cause de la conjoncture quoi. Le travail ne marche plus, je suis commerçant, et donc ça descend ! Ça a commencé à descendre il y a 6 ans pour une autre raison et je me suis mis à faire les marchés. Au départ c’était très bien, et puis depuis 3 ans ça descend, ça descend, ça descend. Peut-être moi je gère mal les affaires aussi mais… j’ai 60 ans et jusqu’à présent j’ai toujours gagné de l’argent et depuis 3 ans j’en gagne plus. Et depuis 2 mois j’en gagne plus et j’en perds ! Tous les jours ! C'est-à-dire aujourd’hui je suis sorti et j’ai perdu de l’argent. Quand j’ai payé ma place de marché, l’essence, les frais : j’ai perdu de l’argent. C’est pour ça que je dis que je vais un peu dans le mur. Et je vois pas trop de solution. Alors peut-être que je suis moins énergique qu’avant, j’ai moins la pêche, euh…une baisse de volonté… je sais pas quoi ! Vous essayez de trouver des explications Ben oui, bien sûr, parce que c’est une situation qui en me convient pas, je n’ai jamais été comme ça donc euh…j’essaie de trouver des explications mais… Et vous avez toujours été sur les marchés ? Non, ça fait 6 ans ! Moi j’ai fait l’inverse des gens, en général ils montent, et moi je descends ! [rires] C'est-à-dire avant j’étais importateur, je gagnais très bien ma vie, après j’étais grossiste je gagnais toujours pas mal ma vie mais un peu moins qu’importateur, moins de liberté que l’importation. ET puis maintenant je fais les marchés et puis c’est … c’est la chienlit. Et vous avez encore de quoi vivre ? Les fins de mois commencent à être… Là ça commence à être pénible! Là justement j’en parlais avec le Dr X, il faut que je voie pour la Sécu parce que je suis pas sûr de l’avoir encore. Ca le panique un peu, il faut que je voie l’assistante sociale. Alors moi je panique moins parce que j’en ai tellement marre de tout … De tous les soucis de tous les côtés… je commence à avoir une carapace. C’est vrai que ma fille est indépendante donc j’ai moins de soucis de ce côté-là… Non le problème c’est … Et pourquoi vous n’auriez plus la Sécu ? Parce que je paie pas depuis 3 ans C'est-à-dire ? Je paie pas mes cotisations, ça s’appelle le RSI, c’est une sorte d’URSSAF pour les commerçants non sédentaires. Et donc depuis 3 ans je paie pas. J’ai payé un petit peu au départ et puis… de toute façon c’est ou je les paie eux, ou je mange ! Donc je préfère manger que les payer eux. Donc vous ne savez pas trop où vous en êtes ? Vous n’avez pas reçu de relance ? Si si ! Ils me relancent ! Je reçois régulièrement des courriers, avec les huissiers… et là c’est mon côté carapace parce que je connais beaucoup de gens : dès qu’ils voient une lettre d’huissier ils paniquent, moi je m’en fous complètement. Et c’est nouveau que vous vous en foutiez ? Disons… pas nouveau…même avant quand j’avais de l’argent j’étais toujours un peu sur la corde. Par exemple il y a 2 ans y’en a un qui est venu me réclamer 90 000 euros pour une histoire qui remontait à 18 ans. C’était une société que j’avais et que j’ai perdue, et malheureusement j’ai fait une petite erreur : j’étais en SARL et j’avais besoin d’un crédit de 500 000 francs pour acheter de la marchandise en extrême orient, et la banque m’a dit « tu signes une caution personnelle ». Comme j’étais pressé et que tout allait bien –j’avais pas de souci- j’ai dit « ok je signe » seulement après, tout a basculé, c’était en 91-92. Et après je me suis battu avec les avocats pour essayer de la faire sauter tout ça.. et puis après j’ai envoyé balader les avocats parce que chaque courrier c’était 5000 francs. Donc j’ai dit « tant pis on laisse courir » et là c’est mon côté « j’m’en fous » qui a repris le dessus. Et 18 ans après, j’ai vu arriver l’huissier qui m’a dit « voilà, vous devez 90 000euros ». Et coup de pot, ma situation a changé, je…. Vous savez dans le commerce on … on magouille pas mais on arrange toujours les choses à notre sauce… Donc je travaillais sur le nom de la société d’un ami et lui il a dû fermer sa société, c’est pour ça que je me suis retrouvé sans job il y a 6 ans et c’est pour ça que j’ai dû faire les marchés. Et là ….enfin… tout descend de jour en jour … Avant ça descendais d’année en année, puis de semestre en semestre puis de mois en mois…et maintenant c’est de jour en jour ! Maintenant j’en suis à vivre au jour le jour. Qu’est-ce que vous appelez vivre au jour le jour ? C'est-à-dire que je vais travailler pour manger. Alors, pff, ça m’inquiète pas plus que ça parce que, bon ...je peux encore emprunter de l’argent à la famille tout ça mais … faudrait pas que ça dure trop longtemps. Parce que d’un autre côté les huissiers ils sont toujours là hein. Ah oui parce que j’étais en train de dire (parce que des fois je dis un truc et puis hop ça saute !). Donc l’huissier il est venu, il a regardé ma maison et il commençait à se frotter les mains et je lui ai dit « non, vous inquiétez pas je suis en location ». Alors comme pour saisir quelqu’un ils sont obligés de passer par le tribunal, surtout pour des montants comme ça, et donc le tribunal a vu ma

situation, il ont vu que j’étais chômeur presque en fin de droit et donc ils ont radié la dette. Les 90 000 euros ont sauté. Mais y’a d’autres dettes. Y’a donc le RSI, l’URSSAF qui veut amener les huissiers, y’a la taxe professionnelle de l’année dernière que j’ai toujours pas payée, y’ a les huissiers, là y’a la nouvelle qui arrive et que je pourrai pas payer donc y’aura encore les huissiers… Et puis à chaque fois c’est jamais les même affaires, c’est pas regroupé alors vous avez un huissier pour chaque truc. Y’a les PV de la voiture, ça c’est les huissiers aussi. Et pour le logement ? Ça commence à craindre là… j’ai trois mois de retard. Pourtant c’est pas une question de… je suis pas fainéant, je me lève, je vais toujours bosser à 4 h du matin, mais après il se passe rien ! Donc le logement, je crois que je vais réussir à …J’ai un coup de pot parce que c’est des anciens commerçants qui me louent la maison… Mais…faudrait que ça revienne… j’espérais pour les fêtes mais…Vous voyez je suis sorti ce matin, je suis encore tout trempé, j’ai pris l’eau sur la tronche, j’ai fait 60 euros ! 40 euros de place, 10 euros d’essence : il reste rien. ET donc voilà…ça s’enfonce ! Et puis… c’est vrai que je suis pas motivé. Normalement j’aurais dit « bon, ça ça va plus, je pars sur autre chose « mais là… y’a peut-être un brouillage dans ma tête, je sais plus quoi faire. Avant c’était facile, surtout dans le commerce. On voulait se faire de l’argent, il suffisait d’avoir une petite idée et puis on y allait. Mais maintenant… c’est compliqué. Même il y a 6 ans, mon copain qui m’a prêté la société pour travailler, il m’a annoncé le vendredi que le lundi il fermait la boite. Ca a pas été très cool mais bon, il m’a rendu des services pendant des années, ben… j’ai dis « c’est pas grave je vais faire les marchés. Du jour au lendemain je me suis retourné, j’ai retrouvé du boulot et j’ai gagné de l’argent. J’étais au chômage au départ pour toucher un peu plus… mais je suis jamais resté sans travailler. Mais là, ça devient de plus en plus compliqué, et je fais le maximum ! Et parlez-moi un peu de votre santé… Ben la santé, physiquement, par rapport à mon traitement je vais bien, donc tout va bien…. C’est docteur X qui vous suit ici ? Oui oui. Donc, je trouve que je suis même mieux qu’avant, je résiste à plein de trucs, je suis jamais malade, donc y’a pas de problème. Après… y’a les dents qui vont plus, j’ai perdu un œil, je vois plus clair d’un œil, bon c’est vrai que y’a plein de trucs qui vont pas mais c’est pas du physique. Je peux porter les colis tout ça. Vous ne vous sentez pas diminué physiquement au jour le jour. Non, pas du tout. Au contraire. Après pour l’œil apparemment c’est le nerf optique qui est touché donc y’a rien à faire. En fait je ne sais pas ce eu vous avez… vous avez une maladie chronique ? J’ai le… le HIV. Qui a été diagnostiqué récemment ou ? Non il y a 10 ans. D’accord. Et vous avez d’autres problèmes de santé ? Hypertension, ça c’est le truc de vieux (rires), cholestérol aussi, mais c’est pas dramatique... L’hypertension je l’avais depuis longtemps mais on a mis 10 ans à s’en apercevoir. J’avais des maux de crâne depuis 10 ans, certains médecins m’ont dit que j’avais la sinusite, bon, d’accord, mais je comprenais pas, les médicaments faisaient rien. Jusqu’au jour où j’ai été voir un cardiologue et avec le Holter il a vu que je montais à 23 ! Donc il m’a donné du Lodoz, j’ai eu un pot énorme car j’ai eu le bon traitement dès le départ, et depuis j’ai plus mal au crâne. Et tout ça, qu’est-ce que ça implique dans votre vie ? … Quel temps, quelle énergie ça prend ? Les traitements, les RDV… ? HIV, les traitements, tout ça je gère avec le Dr X, donc y’a pas de souci. Pour moi c’est plusieurs prises de sang tous les 6 mois, un RDV avec le Dr X tous les 6 mois et oui, ça s’arrête là. C’est pas très compliqué. Et au quotidien, les traitements ? Au quotidien, les traitements… ça me gêne pas, c’est une habitude à prendre, j’y pense même plus. Et puis la maladie en elle-même, ben oui elle me gêne pour les rapports que je peux avoir avec les autres. C’est une maladie que je cache aussi ! C’est un peu gênant donc euh… Oui c’est une maladie qu’on cache encore… Ben… manque de pot…. Je m’en rends compte parce qu’au départ je l’ai cachée parce que… Y’avait aucune raison que j’aille le chanter sur les toits « oui j’ai le SIDA j’ai le SIDA ! ». Donc au départ j’en n’ai parlé à personne, même ma fille

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étais pas au courant. En fait, elle le savait que je… Je savais pas… je savais pas qu’elle le savait mais elle le savait. Mais il y a un an que je lui en ai parlé moi. On n’en parle même pas. Je l’ai emmenée ici, je lui ai dit « tu sais pourquoi je suis là ? » Elle me fait « oui » Mais on en parle jamais. Mais voilà le… pff… le, le problème avec le… de pas en parler… si j’en parle ça pourrait devenir dramatique la vie de tous les jours pour moi. Parce que je vois les réflexions des gens et parfois je me dis « ben mon coco ! Si tu savais qui t’as en face de toi ». Quand j’entends je me dis « si tu savais qui t’as en face ». Parce que les gens sont un peu cons à ce niveau là… des réflexions… quand ils voient passer un clochard « il a peut-être le SIDA faut pas le toucher », c’est encore vachement primaire, c’est à ce stade-là. Et moi pour eux je suis sain donc y’ a pas de problème. Et vous préférez que ça reste comme ça Ben… pff… de toutes façons après c’est des discussions… surtout dans le milieu du travail ! Celui-là il a le SIDA ! Gnin gnin gnin… et puis après y’a des tensions, et puis ça dégénère tout le temps… et puis moi je suis calme mais faut pas me prendre la tête donc le mieux c’est de pas en parler. Et puis l’autre problème c’est avec les femmes, c’est un gros problème ! Parce que le quotidien je m’en, fous. Souvent j’ai des réflexions de gens… on pourrait croire que ça me blesse mais ça me blesse pas du tout, j’y prête pas attention. Mais avec les femmes c’est un gros problème. Ça m’a bousillé toute ma vie : je peux plus me remettre en couple ! Moi-même je me vois pas annoncer à une copine … parce que y’a toujours l’échéance fatale du préservatif : « on l’arrête, on l’arrête pas.. » et moi-même je me vois pas annoncer « on peut pas l’arrêter parce que … ». Donc à chaque fois je mets un terme à mes… A vos relations A mes relations. Et ça c’est pesant pour vous C’est très pesant parce que quelques fois j’aurai bien aimé me remettre en couple, et ça, je sais que c’est pas possible. Vous vous dites que c’est pas possible Ah non, je veux même pas essayer ! Pff… Donc… je laisse tomber. Je passe à autre chose. Je passe à une autre après. Mais ce que je dis c’est que c’est de plus en plus dur… (rires) à trouver ! En ce moment j’ai une copine mais là ça fait déjà un moment que je la vois plus… je trouve des prétextes pour plus la voir. Elle comprend pas ce qui m’arrive mais… voilà ! Faut que je lui dise et je préfère pas lui dire. Et vous allez trouver une manière d’esquiver Oui, je dis que ça va pas au boulot, et puis en plus c’est un peu vrai donc euh… et puis voilà, on va passer à autre chose. Mais le gros problème c’est que passer à autre chose ça devient de plus en plus dur. Avant, quand j’avais 20 ans c’était facile, 40 ans un peu moins et puis 60 c’est plus compliqué ! Et avez-vous l’impression qu’il y a des liens entre cette situation dont vous me parlez, ces difficultés de couple, et vos difficultés professionnelles, il y a un lien ? … Ou alors c’est un cumul de soucis… ? Tout se cumule de toute façon : le travail, les rapports avec les gens, les rapports avec ma copine. C’est compliqué. Et moi je trouve que je tiens le coup ! Et il y a des jours où je me dis « comment tu fais pour tenir le coup comme ça ? » Moi je fais le marché de Z, et j’ai beaucoup de clientes qui sont d’une clinique de… elles sont dépressives et quand ils les laissent sortir c’est qu’elles vont un peu mieux. Et quand je discute avec elles et je leur dit « qu’est-ce que j’aimerais bien péter les plombs comme vous ». On en discute et puis elles me disent « c’est mieux de ne pas péter les plombs comme ça », et moi je me demande pourquoi je tiens le coup comme ça ? Et ça m’énerve. Quelque part c’est bien, parce que je gère tout, mais quelques fois c’est pesant. On a envie de se dire « allez, on arrête tout, je pète les plombs, je deviens inconscient… », à la limite, devenir inconscient. Ça veut dire quoi péter les plombs ? C’est devenir inconscient ! Pas se suicider hein ! Je suis pas suicidaire. Inconscient ? Ben… arrêter d’avoir tous ces problèmes. Ne plus se soucier ? Oui, ne plus se soucier de tout ça. Parce que même si je le montre pas au quotidien, pff… y’a des jours où j’en ai marre. Et puis c’est vraiment une accumulation de tout. Ma boîte aux lettres c’est un de mes gros problèmes : j’ouvre jamais ma boîte aux lettres ! Enfin, je l’ouvre tous les 2 mois. Des fois j’ai

des grosses surprises. Vous ne voulez pas l’ouvrir C’est une sorte de TOC ! C’est une sorte de déni Oui parce que je sais qu’il va y avoir des relances, des machins… ce soir faut que je l’ouvre d’ailleurs parce je sais qu’il y’a … sinon, si j’ai pas un courrier... je suis capable de piocher le courrier qui m’intéresse et puis de laisser… De prendre uniquement la carte postale ! Oui, c’est ça ! Si c’est le reste, ou là là… Mais je sais aussi que c’est pas bon. Par exemple les impôts tout ça, faut discuter avec eux. Mais j’en ai marre de discuter avec eux dans le vide, parce que de toute façon ils en ont rien à foutre de ce qu’on leur raconte. Tout ce qu’ils veulent c’est leur pognon. Donc c’est compliqué. Est-ce que vous avez l’impression que si les choses étaient plus simples sur le plan matériel, financier, ce serait plus facile intérieurement de gérer les problèmes dont vous me parliez, dus au VIH Le VIH ? J’ai pas de problème avec le VIH ! Vous me parliez des difficultés de relation de couple, des femmes Non c’est pas ça, parce que j’ai toujours été un peu indépendant. Mais comme j’ai plein de problèmes, me retrouver avec quelqu’un ça pourrait me réconforter. Mais sinon, si j’avais pas de soucis, moi je m’en fous ! Je vais revivre comme avant. Si j’ai un peu d’argent je vais repartir à Bangkok, en Thaïlande, à Séoul, partout, comme quand je travaillais : j’allais en Chine, au Brésil, partout ! Ce que j’ai toujours fait. C’est à dire : moi j’ai toujours eu une vie où j’ai euh… j’ai été marié une dizaine d’années mais j’ai toujours… Vous étiez indépendant J’avais qu’une idée c’était de vivre ma vie ! Donc euh… Et vous avez le sentiment que votre maladie est stable, vous prenez bien votre traitement, vous n’avez pas l’impression que votre situation influence le cours de votre maladie. Non. Par contre, je sais pas où j’en suis avec la sécurité sociale. Ce qui s’est passé c’est que ma fille a eu de gros problèmes au mois d’août, elle a pété les plombs, bon, pour d’autres soucis, elle, elle a des problèmes de gamine. Elle avait pas de mutuelle donc je lui en ai cherché une et je me suis dit « je vais en prendre une pour moi ». Parce que du fait que je suis soigné à 100% et que en dehors de ça je suis jamais malade, j’ai pas besoin de mutuelle ! Pourquoi je vais payer une mutuelle ? Comme les temps sont durs j’ai fait sauter l’autre mutuelle, qui me réclame déjà des sous d’ailleurs. Et donc j’ai pris une mutuelle en même temps que ma fille. Et quand j’ai demandé le papier de la sécurité sociale pour avoir la mutuelle, ils m’ont refusé le papier. Ils m’ont dit « quand vous paierez ce que vous devez on vous donnera le papier ». Donc c’est là que je pense que j’ai un problème de sécurité sociale. Faut que je voie une assistante sociale pour ça. Parce que le toubib il panique pour ça là. Il a peur qu’on me trouve 50 ou 60 0000 euros de médicaments à payer. Parce que le problème que j’ai aussi c’est que : quand ma fille s’est retrouvée à l‘hôpital au mois d’août et qu’elle avait pas de mutuelle on a dit ou là là ! Y’a un souci, parce que ça coûte cher ! Je lui ai dit « il faut que tu prennes une mutuelle ». Ma fille elle a 24 ans, mais faut que je fasse un peu tout pour elle quand même ! Et donc j’ai vu l’assistante sociale de l’hôpital, on a discuté un peu. Moi je paie 1200 euros de loyer. J’i dit « elle peut avoir au moins la CMU ? » Elle m’a dit « ben non monsieur, vous payez trop de loyer ». Et voilà, on est dans un engrenage, et le loyer j’ai pas demandé ! Je suis obligé de me loger. Au départ je payais 1000 et puis tous les ans on augmente. J’avais les APL, c’est la première fois de ma vie que je prenais les APL, c’était il y a pas longtemps. Et puis comme c’est passé à 1200 par mois, on a plus le droit aux APL. On vous enfonce … déjà l’augmentation ça m’arrange pas et en plus on vous enlève les APL, donc c’est comme si j’avais eu une augmentation de 300 euros de loyer en fait. Quand vous dites « je suis peut-être un peu moins battant… » vous faites le lien avec votre VIH ? Non, parce que comme je le vis très bien et que je me sens bien soigné… et puis quand je pense à ça je me vois pas… enfin je me trompe peut-être hein… je me vois pas malade du SIDA. De toute façon je ne suis pas malade du SIDA, je suis porteur du virus, c’est tout! C’est ça aussi que beaucoup de gens ne comprennent pas. On comprend quand on est dedans en fait. Vous ne vous sentez pas malade Non je ne me sens pas malade.

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Au contraire ! Bon, y’a le fait de faire les marchés aussi, ça m’a requinqué ! Parce que avant j’avais un métier qui était un peu plus sédentaire. Là, faire les marchés, faut être costaud quand même, parce que faut porter les colis : j’ai perdu du poids, j’ia pris du muscle… Ça vous maintien finalement Ca me maintien en forme ouai. Donc vous ne vous sentez pas malade en fait, vous vous sentez porteur de quelque chose et ça a des répercussions dans votre vie personnelle et dans votre suivi. Oui. Mais ça vous fait peur parfois ? Est-ce que vous pensez à des choses qui peuvent vous arriver Non, non. Au début oui. Quand on me l’a annoncé je voyais tout en noir hein… mais après … là non… Quand on vous l’a annoncé c’était Ben c’était dramatique. Oh, oui, dramatique… mais j’ai tenu le coup tout seul, sans psy, sans rien, j’ai géré tout seul. Même le Dr X voulait que j’aille voir un psy et tout ça mais j’ai dit « non, je vais gérer tout seul » et je l’ai fait. Il y a des choses qui ont changé dans votre vie quand on vous l’a annoncé ? Non… non… Parce que y’a un autre problème: moi je me suis retrouvé tout seul avec ma fille en 92, ce qui correspond à ma perte de société. Donc plus de sous, plus de femme, c’était… (rires) c’était quand même lié ! Donc je me suis retrouvé à élever ma gamine, elle avait 4ans ½ à l’époque. Donc j’avais d’autres euh soucis… mon souci c’était elle, fallait que je la gère. Donc j’ai réussi à la gérer jusqu’au bout. Maintenant elle s’en sort à peu près toute seule, ça va. Mais donc à l’époque, je pensais plus à ma fille qu’à moi. Aujourd’hui votre souci c’est … Ben, mon soucis c’est que je vois bien que ça baisse, ça baisse… ça descend tous les jours, tous les jours et puis je peux plus faire ce que je faisais avant… j’avais quand même une belle vie avant… j’ai pas non plus une mauvaise vie, je suis pas malheureux mais… j’aimerais bien re-voyager… Par exemple il y a 3 mois j’ai un ami qui m’a dit qu’il partait en Polynésie pour prendre un bateau et il m’a dit « ben viens avec nous, ta fille elle se débrouille toute seule « j’ai dit « ben oui mais j’ai mon loyer, faut que je gère… j’ai mes problèmes matériels de tous les jours ». Manque de pot, à chaque fois qu’il est dans une île il m’envoie un texto « je suis aux Fidji » il me remue le couteau dans la plaie tous les jours ! (rires). Et vous avez un médecin traitant Non/ Et vous venez voir le Dr X tous les … Tous les 6 mois. J’ai demandé à faire un an mais ils ont pas voulu. Moi, moins je le vois mieux je me porte hein ! Et puis je le vois plus viellir que moi ! Je me faisais la réflexion tout à l’heure ! Je l’ai vu il y a 10 ans, je sais pas quel âge il a, il est un peu plus jeune que moi mais… il vieillit plus vite que moi. Donc c’est votre seul médecin ? Ben oui, les autres j’en ai pas besoin. Donc vous n’avez pas de problème d’accès aux soins. Ben jusqu’à maintenant y’avait pas de problème mais là, là… Ça pourrait commencer à poser des problèmes ? Oui là ça pourrait commencer à poser des problèmes. A moins que je me remette à payer la… les charges… et pour payer les charges il faudrait que le boulot reprenne Pardonnez-moi de dresser un tableau un peu noir mais : imaginons que vous n’avez pas de sécu : vou svou sdiriez qu’il faut quadn même absolument aller voir le Dr X et renouveler vos traitements ou vous feriez comme pour le reste et vous seriez capable de fuir en quelque sorte ? Ah non ! Je suis obligé d’avoir un traitement Vous ne seriez pas capable de remettre le traitement à plus tard ? Non ! Là je chercherai à me soigner quand même. Ah non, non, non pour ça y’a pas de problème. C’est pas sur le même plan que d’autres choses que vous pouvez esquiver Ah non non, ça n’a rien à voir. Non, là c’est un truc euh... j’ai toujours un suivi… par exemple en 10 ans, j’ai jamais… à part une fois, c’était technique, c’est-à dire qeu je me suis retrouvé en province et j’avais pas mes médicaments sur moi

donc j’ai pas pu les prendre. Mais c’est pas la trithérapie qui m’a gêné, c’est la tension qui m’a gênée. La trithérapie je l’ai reprise le lendemain et puis voilà. Mais ça m’est arrivé une fois en 10 ans ! Donc euh… non, je suis bien ce problème là. Donc vous êtes très sérieux sur votre prise de traitement Oui. Donc les choses n’ont pas toutes la même place… Ben… Non mais c’est normal, vous n’êtes pas le seul vous savez ! (rires) Et bien je vais vous laisser parce que ça fait un petit moment qu’on discute et votre fille vous attend. Je vous remercie beaucoup. C’est important pour nous de prendre le temps de parler de la façon dont vous vivez les choses, parce que les situations sont très diverses, les façons de vivre les choses sont multiples… Ben oui parce que moi je le vis pas trop mal, mais j’imagine qu’il y a des gens qui doivent très mal le vivre. Et physiquement et moralement !

ENTRETIEN 15 : ALAIN Caractéristiques médico-sociales Homme de 65 ans, français d’origine Ancien cadre, a connu 10 ans de « galère » Retraité Vit dans un appartement Diabète de type 2 Sécurité sociale, 100% ALD et mutuelle Est-ce que vous pouvez me parler de votre santé… Alors moi, déjà j’ai toujours été très automédication. Je m’occupais pas de ma santé… enfin… je voulais pas m’en occuper. Et ce qui s’est passé c’est qu’au même moment il s’est passé trois choses. En 98 j’ai eu coup sur coup : un licenciement, négocié, mais qui venait du rachat de ma boîte. Ca a été un gros choc parce que j’avais passé 30 ans dans cette boîte. Deuxième cho ça a été le décès de mon frère, cancer généralisé… suivi 3 mois plus tard du décès de ma mère. Euh… l’ensemble m’a couché… énormément. Ça a été très dur. Et là, les vieux démons que j’avais réussi à exorciser, comme l’alcool par exemple, et ben… ils sont remontés tout de suite. Comme un palliatif. Vivant seul, étant divorcé, me retrouver seul avec ma bouteille le soir ça m’a emmené très vite euh… sur un an… à ce qui est, malheureusement un logement pour plus en plus de personnes aujourd’hui, c’est-à-dire, la rue. Perte de l’appartement, tout ça… le classique habituel quoi. Là, j’ai touché le fond. Enfin, ce que j’appelle mon fond. La santé c’est devenu, à cette époque-là… très secondaire. J’ai tenu dix jours et puis j’ai trouvé la force d’aller frapper à la porte d’un service, c’était Nanterre. Et c’est là qu’on m’a découvert, ce que moi je savais depuis longtemps : mon diabète, plus la neuropathie, l’insuffisance rénale… enfin, tout s’est déclaré. J’avais déjà des complications que je laissais de côté, je prenais sur moi ! Des complications ? J’avais des fourmis dans les pieds en permanence. J’ai compris que c’était la neuropathie. Je le savais parce eu ma famille avait un diabète grave. Mais j’avais jamais eu de diagnostic. Les médecins ça n’existait pas pour moi ! « Ils font chier les docteurs », c’était ça pour moi ! La neuropathie, tout ça, ça n’existait pas pour moi. C’était pas ‘’la santé passe après’’, c’était ‘’le boulot passe avant tout’’. J’ai ruiné l’enfance de mes enfants avec ça. J’ai toujours privilégié la carrière à ce qui aurait pu être le principal, c’est-à-dire ma famille… et le diabète, ma santé. Et ça, je l’ai payé trente ans après. Et quand je me suis retrouvé dans la rue, je me suis trouvé pas si fort que ça quoi. Beaucoup de choses se sont écroulées, beaucoup de convictions… ‘’ça arrive qu’aux autres’’, c’est fini ! C’est peut-être ce qui m’a permis de rebondir. Je suis devenu un consommateur de toubibs. Au moindre bobo je consulte depuis 2001 ou j’ai eu la chance, je pèse mes mots, de rencontrer le Dr X. C’est pour ça que ça continue. Ça a été longtemps mon diabète, et quand il m’a fait comprendre qu’en regard du règlement il fallait mieux que j’aie un médecin traitant en ville, j’en ai pris un, mais je l’ai gardé comme diabéto. Pourquoi c’était une chance ?

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De l’avoir rencontré lui ? Oui Parce qu’il a tout compris tout de suite. Tout compris c’est quoi ? Il m’a compris moi. Il a compris mon fonctionnement, et puis il est humain, il juge pas. Et ça, ça fait partie de votre métier, c’est le cœur de votre métier, vous êtes là pour aider, pas pour juger, et lui, il le fait très bien. Mais quand je dis ça, c’est parce que y’en a d’autres qui le font pas aussi bien ! Y’a des bons et des mauvais médecins. La différence elle est dans la confiance que je peux mettre dans le médecin. Et donc, comme je vous disais, quand on m’a fait comprendre que le réseau c’était plus pour moi, parce que j’en étais à un autre stade de ma réinsertion, c’était normal, j’ai pris un médecin traitant en ville. Et donc le déclencheur ça a été… Le déclencheur ça a été le médecin rencontré. Vous avez plutôt frappé à une porte sociale que médicale Oui ! A une porte sociale, pas médicale ! Ma santé, je m’en foutais. C’était la 5ème roue du carrosse. Je me doutais bien qu’il y avait quelque chose mais je voulais pas savoir ! (…) C’était boulot, boulot, boulot ! Mais vous aviez des symptômes importants ? Ah non ! Mais je savais que j’avais quelque chose, mais quelque chose que je voulais pas voir. J’avais peut être peur, y’avait peut-être ça aussi. Je sentais bien que c’était pas normal de pas avoir de suivi mais je m’en foutais. D’accord. Et donc l’assistante sociale m’a proposé une place en hébergement dans le centre de Nanterre. Je sais pas si vous connaissez mais c’est pas… mais c’est mieux que la rue ! Quand vous êtes début mars euh… et puis y’a à manger! Parce que c’est pas facile de faire la manche. C’est pas facile quand on a vécu comme ça euh… Et puis je suis allé dans un autre foyer parce que le responsable il a bien vu que j’étais pas fait pour ça. L’autre foyer c’était cinq étoiles à côté. Et puis après je suis allé au Formule 1, puis au Sofitel, puis au Novotel, puis à l’hôtel… et aujourd’hui j’ai un appartement. La boucle est bouclée, de mon pépin. Elle aura mis 10 ans. C’est pas grand-chose 10 ans. Le bénéfice que j’en tire c’est que… déjà j’ai compris, faut pas hésiter à affronter ce qui se passe dans la vie. Avant j’osais pas affronter ce qu’il y avait en moi. L’alcool ben… c’est trop facile ! Ca mène à rien. Depuis ben… c’est fini ! Et ça, j’ai compris. Et puis y’a des gens qui m’ont fait comprendre ça. D’ailleurs ça m’a permis de me réorienter professionnellement, en conseiller de réinsertion professionnelles, ça étonnera personne ! Et j’avais un contrat aidé, il allait être renouvelé en CDI et l’entreprise a découvert que le patron était parti avec la caisse. Donc ils ont fait sauter les CDD. Donc je suis passé à la trappe pour la deuxième fois. A ce moment-là j’étais au foyer Z. Masi cette exclusion ça a pas duré longtemps car au bout de 4 mois j’ai été hospitalisé d’urgence à la Pitié pour un mal perforant plantaire. Et j’ai eu une amputation de deux orteils. Donc aujourd’hui j’ai retrouvé mon envie de me battre. Bon, là je suis à la retraite, mais pendant 3 ans je me suis vraiment battu pour retrouver un boulot. Mais là on se heurte à un seul critère, c’était… l’âge. Et votre santé, à cette époque ? Ben elle était bonne car elle était sous contrôle. J’avais plus de problème avec ça ! Elle était contenue pas les médecins… et puis comme j’avais plus trop de boulot ben… j’avais du temps. Et durant ces années vous avez eu des freins dans l’accès aux soins ? Ce qui aurait pu être déstabilisant, mais que j’étais mûr pour supporter, c’était 1 mois d’hospitalisation à la Pitié plus 10 mois en rééducation… c’est lourd… c’est fauteuil roulant, c’est béquille… si ça avait été à la période où j’étais dans le trou, j’aurais peut-être fait une « TS ». Donc vous avez trouvé… Dans ma chute j’ai trouvé des éléments salutaires pour m’en sortir. » (NDLA : parle longuement de ses petits-enfants, de son By Pass) « Et pour le régime dans les années difficiles ? Au foyer y’avait pas de problème parce que y’avait entrée, plat, légumes, dessert. Mais quand vous êtes à l’hôtel et que vous avez que l’AAH, et ben vous faîtes pas ! Parce que c’est chiant ! Vous devez cuisiner à un mètre cinquante de votre lit. Donc c’est sandwich, panini… enfin, surtout conserves ED : raviolis, cassoulet ! Par contre le traitement ? Ah non ! Ca a jamais été un souci ! Et si je veux voir mes petits enfants pour 15

ans encore, c’est clair que je dois prendre mes médicaments ! Mais à cette époque vous vous projetiez ? Non, pas tant que ça ! On voit à 6 mois, on sait pas si ça va être renouvelé, on sait pas comment chercher… et donc on se traite pas pour gagner 15 ans… Pourquoi vous preniez votre traitement ? La vraie prise de conscience ça a été les 11 mois d’hospitalisation…parce que le fauteuil… oula ! Alors quand on sort on n’a pas envie d’y retourner. On voit les autres qui ont eu pire. Et avant ? On réalise, pas, y’a un médecin qui vous dit qu’il faut prendre les traitements mais bon… on se rend pas compte. Et le fait de devoir aller à l’hôpital ? Oh ben on n’aime pas parce que faut attendre, et puis on est obligé d’y être parce qu’on n’a pas de sous. Chez un médecin de ville on a l’impression d’être mieux reconnu qu’à l’hôpital. Mais à l’hôpital y’a une médecine à deux vitesses ! On me dit ‘’vous avez du fric ou pas de fric ? Du fric, rendez-vous dans 8 jours, pas de fric, rendez-vous dans 4 mois. Alors moi je gueule ! Parce que moi je peux gueuler hein… On peut gueuler quand on n’est pas bien ? Oh non… oh non. C’est parce que j’ai repris du poil de la bête ! Mais quand j’étais dans mon trou, je disais rien ! Mais quand j’étais pas en galère je m’en foutais de ma santé donc je peux pas comparer. Est-ce que vous avez l’impression que votre maladie a joué sur votre insertion ? Euh… je réfléchis… non je crois pas que ça a changé. A part mes orteils y’avait rien qui… et puis dans ma « chute », je distingue la maladie et le reste. C’est pas la maladie qui m’a fait chuter. Et dans votre parcours après cette chute, est-ce que la maladie… Non ! Mon parcours il aurait été le même. Et par rapport à votre situation, vous n’avez pas vu de frein dans la santé Non, non ! A part le régime… Ah oui ! Ça oui ! Si vous mettez le régime dedans. Mais c’est parce que je suis pas tombé sur un médecin lambda ! Je suis tombé sur un réseau qui avait d’autres préoccupations que le stéthoscope. C’est la prise en charge de la personne à la rue et ça participe à la réinsertion. Vous avez senti que c’était important de… D’être entouré ! Il fallait que ça soit cohérent. Plus vous êtes fragile, plus faut que ça soit solide autour de vous. Vous avez frappé à une porte sociale et ça a été un tout. La prise en charge est devenue globale. Et en même temps en vous c’est devenu global C’est clair, c’est clair… Non mais j’espère vous avoir bien raconté mon expérience, même si c’est maladroit… Y’a cinq ans j’aurais pas pu, parce que y’a de l’émotion… et là ça remonte d’ailleurs (rires et larmes). Bon ben je vais m’arrêter parce que là… Mais c’est une expérience et il faut s’appuyer sur l’expérience pour partager ça… Je vous souhaite une bonne suite. Je vous remercie de votre confiance…

ENTRETIEN 16 : FATOUMATA Caractéristiques médico-sociales Femme, 50 ans En France depuis 10ans Titre de séjour pour soin au départ puis titre de séjour Diplôme d'état d'auxiliaire de vie HTA rebelle Sécu + mutuelle + 100% J'aimerais comprendre comment votre maladie et votre situation sociale sont en lien.

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Parlez-moi de votre santé tout d'abord... quels sont vos soucis de santé? J'ai de l'hypertension, et mon hypertension est rebelle et sévère, donc on ne parvient pas à la stabiliser, à trouver les médicaments. Il a fallu beaucoup de temps. Là ça commence à aller. Mais ça a pris du temps quand même, au moins sept ans. Là ça commence à se stabiliser mais je reste quand même sous traitement et avec des contrôles tout le temps. Je me fais contrôler et tout. Et il y a d'autre chose? Pour l'instant, un problème de thyroïde. Qui est récent? Oui, depuis 4 ans Et je vous entendais parler de régime Oui le régime c'est autre chose mais on considère que je suis en surpoids, avec toutes ces maladies là il faut que je perde du poids et je ne parviens pas à stabiliser. Je vois des diététiciennes: quand je fais un régime ça marche mais après je n'arrive pas à stabiliser. Et en quoi ça vous embête dans la vie cette hypertension? Justement ça m'embête parce que prendre des médicaments tous les jours ça... ça m'embête. Qu'est-ce qui vous embête? Ben... ce qui est embêtant c'est tous les jours être en train de prendre des comprimés, c'est pas agréable! C'est pas agréable Non! Et puis quand la tension atteint un certain niveau aussi ça perturbe... donc la fatigue...tout ça… Donc au quotidien vous pensez souvent à votre hypertension Bien sûr! Et ça vous pèse Oui ça me peine parce que je me dis c'est pas comme d'autres maladies qu'on peut soigner et puis ça s'arrête... parce que ça s'arrête pas un jour! Donc justement ça reste toujours dans la tête, on y pense toujours. C'est le principe de la maladie chronique Voilà! Qui ne se soigne pas qui ne se soigne pas Et vous auriez aimé avoir une maladie qui se guéri Voilà. Mais vous vous dîtes que ça va rester toute votre vie Et ça va rester toute ma vie. C'est ce qu'on me dit, parce que même quand ça a commencé à baisser je me suis dit « ah, peut être que je ne prendrai plus de médicament ». Non! On a plutôt un peu diminué, mais ça ne s'arrêtera pas selon ce qu'on m'a dit. Et ça ça vous fait peur? Ça vous angoisse? Ça vous gêne? Ça vous agace? Oh... c'est un peu agaçant parce que déjà le poids qu'on m'a accusé, enfin pas « m'accusé » mais que j'arrive pas à stabiliser, c'est parce que y’a des jours où on est complètement détraqué, on se jette sur ce qui ne faut pas. Comme je vous ai expliqué je fais parfois un régime bien bien bien, je perds du poids, et puis un matin... on en a marre, ça fait comme une petite dépression. Bon après...ça redevient calme. Donc ce qui est dur c'est de tenir dans la durée. » (NDLA : Interruption entretien pour prise de RDV) « De tenir dans la durée. S'il fallait faire un seul régime ça irait mais là il faut tenir... Oui... On tient et puis à un moment on lâche Voilà! On tient, on lâche... déjà avec le métier qu'on fait, qui n'est pas facile non plus Et vous pouvez me parler de votre situation sociale? De vos difficultés... Aaaah des difficultés j'en ai eu hein! Et c'est pas terminé, mais j'en ai eu! Parce

que dans tout ça j'étais sans papier en plus, quand ça a commencé, ce qui fait que avec ça en plus aussi ça faisait encore... c'était encore pire! Il suffisait que … déjà avec mon hypertension qui n'était pas bien, je pouvais être à 18 ou 19, et puis je suis une émission de télévision où l'on parle des sans-papiers, des gens qu'on va expulser et tout... je me sens directement concernée et vous voyez ce que ça fait... ça fait monter la tension. La peur fait monter la tension. Donc vous faites un lien direct. Vous pensez que votre situation a aggravé votre maladie Oui je crois... je crois. Il y avait un cumul des deux Oui un cumul des deux parce qu'on restait toujours avec la peur au ventre, on avait toujours peur... Par exemple, tu te poses toujours la question: « maintenant que j'ai vu le bout du tunnel au moins pour ma santé, maintenant à cause des papiers on va me renvoyer. Si je rentre c'est pour crever parce que j'aurai pas les mêmes soins ». Tout ça, ça trotte, ça trotte. « Voir le bout du tunnel » ça veut dire J'ai eu des soins qui m'ont beaucoup aidé, et donc même quand on parlait des problèmes de papiers, tout ça, l'affolement n'était plus le même. Parce qu’au début j'avais peur de ne pas pouvoir continuer à suivre mon traitement et être expulsée. Et après? Bon, quand j'ai eu les papiers ça a commencé à se calmer. C'est pas pour dire que ça a joué directement sur mon état de santé, mais quand même, l'angoisse s'était un peu calmée. Quand même. Et en ce moment vous avez un logement? Oui j'ai un logement Et c'est une structure...? Non c'est un logement particulier. Et justement j'ai demandé à la mairie pour voir si on pouvait me loger. Il y a 3 semaines j'ai écrit au maire parce que je suis logée au rez-de-chaussée à côté des poubelles donc depuis 2 ans il y a des souris dans mon appartement. Donc je suis là avec les souris qui montent et qui descendent... je peux pas en vouloir au bailleur parce que j'ai pas le choix d'autre chose. Il a fait ce qu'il pouvait, on a fait venir des dératiseurs plusieurs fois mais elles partent pas donc... Et dans votre logement pour pouvez faire votre régime par exemple? Vous avez une cuisine? Oui, j'ai un logement décent, fonctionnel j'ai une petite cuisine. Et avec les revenus que vous avez, le régime est une difficulté ou c'est plutôt dans la tête? C'est dans la tête! Vous ne sentez pas de difficultés directes pour faire le régime par rapport à votre situation Non, pas en tant que telles. Par rapport à ma situation, ce qui peut me détraquer peut-être un peu c'est mon travail. Parce qu'il y a des heures où je ne suis pas chez moi alors que pour le bon suivi du régime il faut toujours manger à des heures précises et mange sain. Donc c'est un peu ça aussi... Et par rapport à votre traitement, vous avez l'impression que votre situation peut vous gêner? Non, je les ai toujours dans mon sac, je me suis fixé de les prendre à une certaine heure le matin. Et vous avez un revenu en ce moment? Oui. Depuis combien de temps Oh, ça fait 10 ans que je suis en France! Quand j'avais pas de papiers je faisais un peu de quoi vivre aussi Et avez-vous l'impression que c'est facile d'avoir des rendez-vous, de voir des médecins? Quand vous avez besoin de voir un médecin, c'est compliqué ou ça se passe bien? Ici en France? Oui Bon... pff... non... les difficultés c'est que, tu dois attendre un peu, on te donnera pas un RDV quand tu veux mais tu auras quand même un RDV.

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Donc moyennant un peu d'attente Oui et ça dépend où tu vas. Dans les hôpitaux tu attends un peu, chez les médecins dans les cabinets du attends moins … donc c'est comme ça! Et vous n'êtes pas allée dans des cabinets ? Si. Et vous avez un médecin traitant? Oui, dans mon quartier. Et depuis longtemps? Depuis toujours parce que c'est lui qui m'avait orienté vers le Dr X. Et donc vous avez eu rapidement l'AME quand vous êtes arrivée en France? Non. Et comment avez-vous fait alors? Ben je suis allée voir le médecin, j'ai payé ma consultation et tout. Et comme lui-même avait constaté que mon problème de tension était très grave, il a préféré que je sois à l'hôpital en même temps. A l'époque le Dr X. était à Max Fourestier, à Nanterre. Et puis dans le réseau on m'a guidé dans les papiers. J'ai commencé à avoir une prise en charge par le réseau. Et puis on m'a fait un certificat médical avec des examens que j'avais à faire et que j'ai fait. Parce que j'avais des problèmes d'artères bouchées. Donc finalement ça vous a presque aidé à avoir des papiers? Bien sûr! C'est pas « presque »! C'est ça qui m'a donné des papiers parce que on m'a donné des papiers dans le cadre des soins. Donc vous avez un titre de séjours pour soins Oui, c'est l'année dernière qu'on m'a changé de statut parce que mes résultats de soins s'amélioraient. A chaque fois il fallait passer par lui pour avoir l'évaluation et un certificat. Donc le médecin conseil a arrêté le renouvellement de titre de séjour. Du côté de la préfecture, comme ils voyaient que j'étais bien intégrée, que je travaillais, que j'avais une maison, ils m'ont demandé de faire un changement de statut qui m'a été accordé. Donc pour vous, l'accès au soin s'est toujours plutôt bien passé, depuis votre généraliste Oui mon médecin généraliste m'a bien aiguillé, il m'a envoyé vers le Dr X. Donc ça n'a pas été une galère Non, je ne peux pas dire que ça a été une galère, je dirais plutôt que j'ai eu de la chance, j'ai été bien prise en charge. Je connais des gens qui ont galéré, mais ça n'a pas été mon cas. Et grâce à quoi, selon vous? Grâce à quoi je n'ai pas galéré? Oui. Quelle a été votre chance, par rapport à d'autres? La chance que j'ai eue c'est de tomber sur un premier médecin qui a été à mon écoute, qui m'a écoutée, qui a compati à mon problème de santé, dans un premier temps. Parce que quand il a vu que j'avais un problème de santé délicat d'un côté et en plus un problème de papiers de l'autre côté, ça devait s'empirer parce que les deux partaient... Il m'a donc orientée vers l'hôpital parce que à la préfecture on ne considérait que le certificat médical de l'hôpital et les examens. C'est pour ça que le Dr X m'a fait faire tous ces examens pour confirmer qu'il y avait un problème et c'est tout ce dossier qu'on apporte à la préfecture et que le médecin conseil voit. Ils ont fait la feuille, tout, les traitements. Et dans ce réseau l'accueil a toujours été bon, ils écoutent... Oui, vous pouvez parler, ils écoutent. Et vous comprenez bien les explications sur les maladies, les traitements ou ce n'est pas toujours clair? Bon à chaque fois on me dit de perdre un peu de poids. Quand j'ai mal aux genoux on me dit de perdre un peu de poids... Mais c'est bien expliqué? Oui! On m'a orientée plusieurs fois chez les nutritionnistes. Oui oui... (rires) Bon, je vais vous laisser y aller car vous m'avez dit que vous deviez partir travailler. Je vous remercie beaucoup ! Merci !

ENTRETIEN 17 : JEAN Caractéristiques médico-sociales Homme de 68 ans, français d’origine, Retraité, vit dans un appartement qu’il a eu en héritage. Maladie de Menière et dépression ancienne. Sécurité sociale, Est-ce que vous pouvez me parer de votre santé et me dire ce que ça implique dans votre vie ? Je n’ai jamais eu de problème de santé jusqu’à l’âge de 32 ans où j’ai commencé à perdre l’audition. On m’a fait une IRM pour vérifier que c’était pas un… neurinome, mais c’en n’était pas un. A partir de là l’enfer a commencé parce que quand vous avez une crise de vertiges forte vous tenez pas debout, et quand vous avez les vomissements vous ne pouvez faire qu’une chose : vous allonger et attendre que ça passe Et ça, ça a été l’enfer. C’est tellement désagréable que vous vous dites que y’a que la mort qui peut vous sortir de là » Donc après avoir tâtonné avec différents médicaments, Vastarel, Bêta Serc. Entre ça et puis… j’avais quand même un côté un peu dépressif donc je prends aussi Efexor. Ca ça m’a mis en place, mais comme sur des rails ! J’ai essayé plusieurs fois, parce que vous savez quand vous êtes bien vous voulez réduire mais… ça marche pas. J’allais mieux alors j’ai essayé de réduire, le bêta serc j’en prends plus qu’un et ça va, l’Efexor je suis passé de 4 à 3… Pour ça je suis vraiment content. Et pourquoi vous consultez ici ? Je viens ici parce que le docteur X c’est mon généraliste. Il connaît un peu tout de ma vie parce que je l’ai rencontré à Nanterre, c’est à dire que moi j’ai vécu…. 37 ans avec une personne qui était un garçon. Il avait des problèmes vasculaires il a fait un AVC puis un autre qui a été fatal, il est resté 3 mois dans le coma. Pendant 3 mois je suis allé le voir à l’hôpital. Et j’ai une amie assistante sociale qui m’a dit qu’elle connaissait là-bas un médecin très bien. Je suis allé le voir et il a été pour moi… tout ! Un père, un frère. On savait que l’issue serait pas bonne parc que l’EEG était pas bon. Donc là j’ai cessé de travailler parce que j’étais mal en point. Vous faisiez quoi avant ? J’étais archi d’intérieur. Donc j’ai arrêté de travailler, je faisais quand même des petits boulots, et puis… et puis à partir de là, ben … ben là je me suis retrouvé… quand on travaille pas c’est…. Parce que vous savez quand vs êtes dans cet état-là vous êtes incapable de réagir. C’est terrible à dire. Même si vous avez fait des études, si… c’est tellement difficile… que… enfin vous êtes en dehors de tout quoi ! C’est quand même grâce au Dr X que j’ai… et de son assistante… elle s’occupait de faire les demandes les papiers, les machins, j’ai eu la CMUc. Bon là je touche pas vraiment la CMU parce que je touche une petite retraite du tps ou j’ai travaillé… J’ai 68 ans. Et j’ai un complément de CMU, en plus j’ai eu cet héritage de la mère de cet ami… qui arrive à son terme parce qu’il est mort et elle est morte 8 ans après. Donc là ça va aller mais… vous savez ! C’est une question de philosophie de la vie. Parce que vous savez, moi j’ai eu la chance inouïe de vivre 37 ans avec la même personnes, en plus un garçon, parce que ça c’est pas facile… un homme et une femme déjà c’est pas facile mais deux garçons, y’a même pas de mariage, même si…. enfin, y’a 37 ans, l’homosexualité c’était pas terrible ! Et maintenant bon… les 3mois dans le coma, à l’hôpital ça m’a apporté beaucoup et ça m’a fait réfléchir beaucoup. Vous disiez que c’était grâce au réseau et au docteur que vous êtes remontés parce que dans cet état… de quel état vous parlez ? Je parlais de l’état de tristesse, de l’état du ciel qui vos tombe sur la tête. Quand vous perdez quelqu’un avez qui vs avez vécu 37 ans et que vous savez que… même si y’a toujours un espoir mais bon… Mais ces 3 mois ça a été formidable pour parler parler parler avec lui…Tout ça, ça vous forge. Sur le coup vous êtes désemparé. Mais personne ne peut rien pour vous. Et donc vous avez arrêté de travailler Après j’avais plus de revenus, j’étais aidé un peu par la famille bien sûr et… Vous aviez un logement ? J’avais la chance d’avoir la mère de Michel qui m’avait laissé l’appartement. Donc j’avais un toit. Pas de revenus mais… à 60 ans vous savez, sauf si vous êtes fantaisiste … mais moi c’est pas mon cas, tout me fait plaisir, j’avais pas besoin de… donc à ce niveau-là j’étais pas atteint. Mais je savais même pas que ça existait la CMU.

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En quoi ça vous a aidé ? Vous savez, c’est difficile d’aller mendier, entre guillemets. Parce que j’avais vraiment aucun revenu. Donc j’ai été aidé par ma famille mais… de temps en temps un chantier, de temps en temps… ça allait. Mais vous êtes dans une boulle. De toutes façons dans la vie si vous avez un souci, soit vous vous accrochez soit vous tombez. Et si quelqu’un vous tend la main…euh… et ça a été le cas avec le Dr X qui m’a présenté l’assistante sociale. Donc l’assistante sociale m’a aidé et lui il a fait toutes les démarches tous les papiers… On pense que la CMU c’est pour les rigolos, mais moi je peux vous dire que ceux qui ont la CMU ils la méritent hein… mais… c’est compliqué hein, les démarches sont compliquées. Donc vous avez rapidement été épaulé par quelqu’un Ah oui ! Vous avez toujours pu accéder à des soins ? Oui oui. Mais j’ai pu parce que j’ai payé. C’est à dire ? Ben, le médecin en bas de chez moi, c’était 28 euros, ben je les payais ! Vous savez vaut mieux ça que d’aller au cinéma. Parce que pour moi c’était vital. Parce que vous n’aviez plus de couverture Oui oui, je me souviens plus bien mais à un moment je devais payer. C’est comme les dents. Y’a 5 ans j’avais les dents pourries. Non parce que j’avais souvent des rages de dents, enfin des abcès et quand je venais le médecin il me disait « j’aime pas beaucoup vous donner des antiinflammatoires tous les 2 mois, allez chez votre dentiste » mais je disais « j’ai pas de dentiste » je suis même venu ici à l’hôpital et elle m’a dit , « ou là la… mais la y’a trop de choses à faire, moi je peux pas faire ça, allez chez votre dentiste » « mais j’ai pas de dentiste ». Et là c’est des dépenses… 150 euros la radio, 300 euros pour ci ou ça… On me dit ‘’on va vous faire une note pour votre mutuelle, ‘’mais j’ai pas de mutuelle’’ ah bon, ben alors c’est 100 euros. Et pour la suite il me disait pas, parce qu’il n’osait pas me dire qu’il voulait pas me prendre. Parce que vu le prix des implants, 3000 euros, ils le font pas sous CMU. » (NDLA : raconte pendant 20 minutes les allers et venues entre différents dentistes qui ne voulaient pas effectuer les soins ou bien présentaient des factures très élevées) « Et ça vous a pesé Ah oui, ça a été… pff… jusqu’au jour où j’ai eu un abcès, en bas de chez moi il m’a envoyé chez un spécialiste qui m’a arraché une dent et qui m’a dit « c’est soigné » mais en fait pas du tout. Et j’ai payé de ma poche ! J’avais essayé d’aller dans … vous savez les écoles de médecine…mais j’ai pas réussi à trouver, j’avais essayé d’appeler une fois en cherchant, mais j’avais pas… j’avais pas réussi… Peut-être que vous n’aviez pas très envie ? Ah si si, parce que vous savez quand vous avez mal aux dents, quand vous avez une rage de dent c’est…. Donc je suis resté de 2005 jusqu’à 2011 sans soin de dents, à me faire arracher une dent par-ci des antibios par là… Jusqu’à ce qu’un ami me dise « mais tu sais j’ai un plan en Arménie », mais c’était loin puis on m’a parlé d’une organisation pour se faire soigner en Hongrie. » (NDLA : raconte longuement les devis, les différents séjours en Hongrie pour les traitements successifs, et la somme finale : 15000 euros pour 6 implants, toutes les dents soignées) « Le reste ça allait, pour mes traitements on se débrouillait, mais les dents… les 2 ou 3 dernières années je mangeais comme un lapin, mes dents de devant… Pendant toutes ces années quand vous avez un abcès, ça vous bouffe la dent et après la dent elle est foutue. Donc je venais voir le docteur qui me disait ‘’ j’aime pas beaucoup vous donner des anti-inflammatoires tous les deux mois’’. Et, mis à part vos problèmes dentaires, pendant la période difficile vous avez le sentiment d’avoir été bien pris en charge Oh oui oui. Mais ça a été ma chance de tomber sur cette équipe du réseau ASDES. Parce qu’au début je me disais mais c’est quoi cet hôpital sordide… mais dans un hôpital très propre de Paris mais surchargé, j’aurais jamais eu toute cette aide. Je vous remercie de votre récit.

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GLOSSAIRE

AAH : Allocation Adulte Handicapé

ALD : Affection Longue Durée

AME : Aide Médicale d’Etat

ASDES : Accès aux Soins, accès aux Droits et Education à la Santé

AVC : Accident vasculaire cérébral

BPCO : Bronchopneumopathie Chronique Obstructive

CDI : Contrat à durée indéterminée

CMU : Couverture Maladie Universelle

CMUc : Couverture Maladie Universelle complémentaire

HLM : Habitation à loyer modéré

HTA : Hypertension artérielle

LHSS : Lit Halte Soins Santé du Samu Social

PASS : Permanences d’Accès aux Soins de Santé

RDV : Rendez-vous

SDF : Sans domicile fixe

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RESUME

Contexte: Les personnes en situation sociale précaire et porteuses de maladies

chroniques semblent rencontrer des difficultés dans la gestion de leur santé. Leur prise

en charge est souvent complexe pour les médecins.

Objectif: A partir du seul point de vue de ces patients, nous avons voulu explorer leur

façon de vivre cette double situation et interroger ainsi les pratiques médicales.

Méthode: 17 entretiens semi-dirigés ont été réalisés auprès des patients concernés qui

consultaient dans les PASS de l’Hôtel-Dieu(75) et de Corentin Celton(92). Ces entretiens

portaient sur leur vécu du quotidien et des soins.

Résultats: Parcours de vie, pathologies et vécus étaient variés. Ils ont montré que la

maladie chronique et la situation sociale interagissent selon des effets de cumuls,

d’aggravations réciproques et de cercles vicieux, au plan pratique et psychologique. Les

conditions de survie priment sur une pathologie au long cours et empêchent la gestion

optimale de la santé, source d’anxiété en plus. La mauvaise santé peut être perçue

comme un frein à l’insertion. Les patients souffrent moralement de ces accumulations

de soucis. Ils attendent des médecins une écoute sans préjugés, un dialogue, une

reconnaissance de leurs singularités et ils étaient satisfaits de la prise de parole

proposée ici.

Discussion: Les résultats suggèrent fortement le caractère indispensable d’une écoute

ouverte et approfondie dans la prise en charge médicale des publics démunis. Ils

amènent à réfléchir sur la nécessité d’un «savoir être» du médecin. Sans négliger

l’importance du savoir médical, ce temps d’écoute permet de créer un lien afin de

rechercher, avec les patients, la «santé bonne» pour chacun.

MOTS CLES : Précarité, vulnérabilité sociale, maladie chronique, vécu, Permanence

d’Accès aux Soins de Santé, étude qualitative, paroles de patients, relation médecin

patient, accès aux soins.

DISCIPLINE : Doctorat en Médecine Générale

ADRESSE : Faculté de Médecine Paris-Descartes, 15 rue de l’école de médecine 75270 PARIS Cedex 06 www.medecine.parisdescartes.fr

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