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76 Nouvelles d’Arménie Magazine N°227 A Aujourd'hui paralysée de la main gauche après des soucis de santé, Eugénie Alecian n'a pas pour autant laissé de côté la musique qui rythme ses journées. Elle qui compose le matin dans une grande quiétude sonore, a gardé ses activités pédago- giques quatre jours par semaine pour les adultes et les bébés à Courbevoie. Tous les jours, elle prend un moment pour décou- vrir des œuvres musicales, qu'elle relaie sur sa page Facebook. Elle garde toujours un œil sur l'association Jardins de Musique, créée par sa mère pour initier le plus grand nombre à la musique. Eugénie Alecian a commencé sa carrière de concertiste dès l'âge de 3 ans, salle Cortot à Paris, fidèle à sa famille de musiciens depuis sept générations. L'enfant prodige à l'oreille absolue a donné des concerts dans le monde entier et enregistré plusieurs disques. Mais, en ce moment, ce qui occupe son temps, c'est la production du quatuor Akhtamar, un groupe de quatre jeunes femmes de 22 à 27 ans. Dix ans d’écriture Ces dernières se sont rencontrées au Conservatoire de Bruxelles, et seule la violoniste, la nièce d'Eugénie, a des origines armé- niennes. « Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas occupée de la composition à l'organisation de tournée », explique Eugénie Ale- cian calmement assise sur son canapé. C'est en les voyant se produire à l'UGAB, il y a quelques années, qu'elle a décidé de leur dédier son premier quatuor à cordes. « Normalement, j'écris assez rapidement - pour mon opéra, je n'avais mis que 3 ans. Là, ça m'a pris 10 ans ! » Si on lui dit souvent que ses racines armé- niennes influencent son travail musical, c'est la première fois qu'elle écrit « consciemment en tant qu'Arménienne ». Eugénie Alécian n'a rien de commun avec l'image caricaturale du compo- siteur incompris enfermé dans sa solitude. Le premier mouve- ment du quatuor a été composé en 2005, les suivants l'ont été dans les années qui ont suivi, parfois avec souffrance : « alors que je suis quelqu'un d'assez joyeux, j'ai eu cette fois une écriture assez dramatique, même si j'ai réussi à amener un peu de légè- reté en faisant rencontrer Komitas et la tarentelle ». Un enregistrement en Arménie ? Nous sommes jeudi, elle est encore toute retournée par son aller/retour à Bruxelles de lundi pour une vraie lecture de sa composition par le quatuor Akhtamar. « J'ai entendu une vérita- ble identité sonore esthétique, une vibration commune, comme si ce n'était qu'un seul instrument. Je n'ai jamais de ma vie res- senti une telle émotion, déclare Eugénie Alécian. Elles ont par- faitement compris l'esprit de ma composition, je leur ai beaucoup raconté ce que j'ai ressenti en Arménie, mon émerveillement devant Garni, ma peine profonde à Spitak, ma colère face à l'état de guerre ». Elle n'est pas retournée là-bas depuis son opéra de chambre en 2003, mais elle ira pour suivre le quatuor Akhtamar. « J'attends avec impatience une rencontre de ces quatre femmes avec le quatuor Komitas », confie celle qui a produit le célèbre quatuor en 1995. « Je ne suis jamais allée au Karabagh, mais mon partenaire en Arménie a parlé de nous au ministère de la Culture qui a décidé de nous faire jouer pour la fête nationale… Aller là- bas est devenu, non pas une évidence, mais une nécessité », enché- rit Eugénie Alécian. Elle espère faire avec les quatre filles un disque, « qui fera assurément boom ! ». « L'enregistrement vien- dra au bon moment. Mais au vu de l'amour des Arméniens pour la musique et leur professionnalisme, j'aimerais qu'il se fasse sur des terres arméniennes », espère la compositrice. Claire Barbuti CULTURE / musique classique / Paris Quand Komitas rencontre la tarentelle Eugénie Alecian C. B. Sa carrière de concertiste commence à l’âge de trois ans, sur la scène de la salle Cortot où elle interprète des petits morceaux de Bach. 60 ans plus tard, elle revient, le 31 mars, dans cette grande salle parisienne avec une œuvre magistrale qu’elle a composée spécialement pour le quatuor Akhtamar, formé de quatre jeunes femmes. NAM227_NAM_ 21/02/16 16:08 Page76

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76 Nouvelles d’Arménie Magazine N°227

AAujourd'hui paralysée de la main gauche après des soucis desanté, Eugénie Alecian n'a pas pour autant laissé de côté lamusique qui rythme ses journées. Elle qui compose le matindans une grande quiétude sonore, a gardé ses activités pédago-giques quatre jours par semaine pour les adultes et les bébés àCourbevoie. Tous les jours, elle prend un moment pour décou-vrir des œuvres musicales, qu'elle relaie sur sa page Facebook. Ellegarde toujours un œil sur l'association Jardins de Musique, crééepar sa mère pour initier le plus grand nombre à la musique.Eugénie Alecian a commencé sa carrière de concertiste dès l'âgede 3 ans, salle Cortot à Paris, fidèle à sa famille de musiciensdepuis sept générations. L'enfant prodige à l'oreille absolue adonné des concerts dans le monde entier et enregistré plusieursdisques. Mais, en ce moment, ce qui occupe son temps, c'est laproduction du quatuor Akhtamar, un groupe de quatre jeunesfemmes de 22 à 27 ans.

Dix ans d’écriture Ces dernières se sont rencontrées au Conservatoire de Bruxelles,et seule la violoniste, la nièce d'Eugénie, a des origines armé-niennes. « Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas occupée de lacomposition à l'organisation de tournée », explique Eugénie Ale-cian calmement assise sur son canapé. C'est en les voyant seproduire à l'UGAB, il y a quelques années, qu'elle a décidé deleur dédier son premier quatuor à cordes. « Normalement, j'écrisassez rapidement - pour mon opéra, je n'avais mis que 3 ans. Là,ça m'a pris 10 ans ! » Si on lui dit souvent que ses racines armé-niennes influencent son travail musical, c'est la première foisqu'elle écrit « consciemment en tant qu'Arménienne ». EugénieAlécian n'a rien de commun avec l'image caricaturale du compo-siteur incompris enfermé dans sa solitude. Le premier mouve-

ment du quatuor a été composé en 2005, les suivants l'ont étédans les années qui ont suivi, parfois avec souffrance : « alorsque je suis quelqu'un d'assez joyeux, j'ai eu cette fois une écritureassez dramatique, même si j'ai réussi à amener un peu de légè-reté en faisant rencontrer Komitas et la tarentelle ».

Un enregistrement en Arménie ?Nous sommes jeudi, elle est encore toute retournée par sonaller/retour à Bruxelles de lundi pour une vraie lecture de sacomposition par le quatuor Akhtamar. « J'ai entendu une vérita-ble identité sonore esthétique, une vibration commune, commesi ce n'était qu'un seul instrument. Je n'ai jamais de ma vie res-senti une telle émotion, déclare Eugénie Alécian. Elles ont par-faitement compris l'esprit de ma composition, je leur ai beaucoupraconté ce que j'ai ressenti en Arménie, mon émerveillement devantGarni, ma peine profonde à Spitak, ma colère face à l'état deguerre ». Elle n'est pas retournée là-bas depuis son opéra dechambre en 2003, mais elle ira pour suivre le quatuor Akhtamar.« J'attends avec impatience une rencontre de ces quatre femmesavec le quatuor Komitas », confie celle qui a produit le célèbrequatuor en 1995. « Je ne suis jamais allée au Karabagh, mais monpartenaire en Arménie a parlé de nous au ministère de la Culturequi a décidé de nous faire jouer pour la fête nationale… Aller là-bas est devenu, non pas une évidence, mais une nécessité », enché-rit Eugénie Alécian. Elle espère faire avec les quatre filles undisque, « qui fera assurément boom ! ». « L'enregistrement vien-dra au bon moment. Mais au vu de l'amour des Arméniens pourla musique et leur professionnalisme, j'aimerais qu'il se fasse surdes terres arméniennes », espère la compositrice. ■

Claire Barbuti

CULTURE / musique classique / Paris

Quand Komitasrencontrela tarentelle

Eugénie Alecian

C.

B.

Sa carrière de concertiste commence à l’âgede trois ans, sur la scène de la salle Cortot oùelle interprète des petits morceaux de Bach.60 ans plus tard, elle revient, le 31 mars,dans cette grande salle parisienne avec uneœuvre magistrale qu’elle a composéespécialement pour le quatuor Akhtamar,formé de quatre jeunes femmes.

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Nouvelles d’Arménie Magazine N°227 77

NAM: Qu'est-ce que vous appréciez particulièrement dans la musiquearménienne, en tant qu'auditrice et musicienne ?Ondine Simon, altiste : J'ai toujours beaucoup apprécié lesmusiques qui sortent de l'univers classique, aspirant à un mondetout autre, nous faisant découvrirde nouvelles sonorités et traditions.La musique arménienne nous per-met d'entrer dans ces sonorités dif-férentes et, de ce fait, ajouter unpanel de couleurs important à notrequatuor. Elle représente pour moila liberté et la découverte. Cesdanses, ces chants, ces mélodiessont d'une finesse et d'une douceurqui ne peuvent que nous enchanter. Travailler cette musiqueest encore différent car cela nous pousse à chercher, et je suis trèsheureuse de pouvoir goûter aux deux sensations.

NAM: Vous avez choisi de nommer votre quatuor Akhtamar. Pourquoiest-ce apparu comme une évidence pour vous?Astrid Wauters, violoncelliste : Avant d'avoir choisi notre nom,nous jouions déjà les magnifiques Miniatures de Komitas, quisont devenues très vite la signaturede notre quatuor. Grâce à cettemusique nous avons découvert laculture arménienne et aussi l'îleAkhtamar et sa légende, qui a donnéson nom à un disque d'Eugénie Alé-cian. Akhtamar a une sonorité riche,arménienne, et un sens poétique.La légende de Tamar est en mêmetemps universelle. Exactementcomme la musique que nous voulons transmettre. Akhtamarest donc un lien parfait entre notre musique de signature etnotre quatuor. C'est notre identité.

NAM: Avez-vous des craintes et/ou des attentes avant de vous rendreen Arménie et au Haut-Karabagh ? Comment imaginez-vous le publicarménien?Coline Alecian, violoniste : Mon père est Arménien, né enFrance. Je ne connais pas (encore !) la langue arménienne, etmon lien avec cette culture s'est fait par la musique, avanttout. Voilà 5 ans que nous jouons avec le quatuor les Miniaturesde Komitas arrangées par SergueyAslamazyan. Nous avons toujoursété impressionnées de voir que, s'ily a des Arméniens dans le public, ilsles reconnaissent instantanément.Je vais aller pour la première fois enArménie, c'est très émouvant pourmoi. Nous avons conscience destensions qui existent encore, notam-ment au Haut-Karabagh -et ces ten-sions s'expriment dans l'œuvre d'Eugénie - mais nous voyageonsavec et pour la musique : Komitas a recueilli les mélodies fol-kloriques de toute une région, nous sommes fières d'interprétercette magnifique musique, trop peu jouée encore, et je croisque le public arménien sera heureux d'entendre qu'un jeunequatuor franco-belge contribue à la transmission de cette culture.

NAM: Eugénie Alecian dit que c'était la première fois qu'elle « composeen étant pleinement consciente de le faire en tant qu'Arménienne ».Est-ce difficile de réussir, en tant que non-Arménienne, à s'approprier unetelle composition?Juliette Roeland, violoniste : Cette composition est effective-ment imprégnée d'un souffle particulier qui m'a frappée dès lapremière lecture. Les références à la musique de Komitas parexemple m'ont tout de suite interpellée, puisque je jouais déjà sesœuvres au sein d'Akhtamar. Les influences arméniennes m'ontsauté aux yeux, même si certainesallusions plus subtiles ont nécessitéles explications d'Eugénie (commepar exemple dans le deuxièmemouvement qui exprime enmusique les événements catastro-phiques de l'histoire récente dupays). L'appropriation de cettecomposition s'est donc en partiefaite grâce aux échanges avec lacompositrice qui a eu à cœur de nous expliquer toute la dimen-sion personnelle (et donc bien sûr arménienne) que ce quatuoravait pour elle. Mais je pense que cette appropriation ne seracomplètement achevée que lors de la tournée en Arménie, où laculture du pays se révélera pleinement à moi. ■

Propos recueillis par Claire Barbuti

Concerts•Jeudi 31 mars à 20h30Salle Cortot - 78 Rue Cardinet 75017 Paris•Samedi 2 avrilMoulin d'Andé 65 Rue du Moulin, 27430 Andé•Tournée en mai en Arménie et au Karabagh

Quatuor Akhtamar. Leur signature : les Miniatures de Komitas. JEN

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