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Sozial- und Pr~iventivmedizin M6decine sociale et pr6ventive 25, 66 - 72 (1980) Us et abus de m6dicaments: le potentiel et les limites de l'6ducation, de l'information et de la r6glementation J. Martin 2 1. Le m6dicament aujourd'hui Le m6dicament, efficace ou non, a sans doute occup6 de tout temps et dans toutes les soci6t6s une place tr6s importante dans ce qui ne s'appelait pas encore le <~syst~me de sant6~. Avec les autres composantes de ce syst~me, il a vu son importance croitre beaucoup au cours des derni~res d6cennies, notamment parce que le nombre de produits actifs et largement disponibles est devenu bien plus grand. Aussi parce que les cons6- quences 6conomiques de l'6volution r6cente font que les 616ments m6dico-sanitaires occupent une place de plus en plus grande dans le budget des m6nages et des colleetivit6s (moins de 3 % du produit national brut en Suisse en 1950, 7 % ~ 8 % actuellement, 10 % d'ici dix ~ quinze arts probablement). En 1975, selon des estimations bien inform6es, les d6penses de sant6 pour l'ensemble de la Suisse 6taient de l'ordre de 10 milliards de francs, et les 13,4 % de cette somme 6taient consacr6s aux m6dicaments (par ailleurs, eomme pour les autres 616ments du secteur sanitaire, on peut relever que les m6dicaments ne sont pas consid6rer seulement sous l'angle des d6penses mais que ce domaine fournit un certain nombre d'emplois - on sait quelle place l'industrie pharmaceutique occupe dans l'6conomie int6rieure et surtout ext6rieure de notre pays). 2. Usages d6sir6s et non d6sir6s des m6dicaments Les m6dicaments ont leurs caract~res d6sir6s et ceux qui le sont moins. 11 est admis ainsi que tout produit actif, dans un sens th6rapeutique d6sir6 par le m6decin, a aussi d'autres effets pharmacologiques, plus ou moins ennuyeux (et que l'on est amen6 h admettre dans une mesure variable selon que le b6n6fice th6rapeutique escompt6 est essentiel, voire vital, ou qu'il l'est moins). Ce qui est vrai des effets (sur un individu) d'un m6dica- ment l'est aussi des usages faits de ce m6dicament par l'individu, certains groupes, ou la soci6t6. Et, de la m6me fa~on que beaucoup d'efforts sont entrepris par l'industrie et le corps m6dical pour d6pister, circons- crire, diminuer, si possible 61iminer les effets secon- daires non d6sir6s des substances utilis6es en th6rapeu- tique, il apparah tr~s important d'en faire autant pour d6tecter, circonscrire et si possible 61iminer leurs usages ind6sirables. Il y a l~ toute une probl6matique du bon usage du mddicament (qui fait partie de celle Bas6 sur une conf6rence donn6e lors des Journ6es scientifiques de la Soci6t6 suisse de m6decine sociale et prdventive, sur le th/~rne ,Le m6dicament dans le contexte sanitaire actueb>, les 26 et 27 octobre 1979. a M6decin cantonal adjoint, Service de la sant6 publique, CH- 1001 Lausanne. La probl6matique du bon et du mauvais usage des m6dicaments est clairement multifactorielle et les divers secteurs concern6s doivent chacun faire leur part. Ce travail discute ies contributions poten- tielles de trois modes d'action. plus vaste du ~<bon usage des services de sant6>>, /i laquelle s'attache entre autres choses l'6ducation pour la sant6). Des exemples de mauvais usage de m6dicaments qui viennent ~ l'esprit sont: la consommation de routine de produits ~ base de ph6nac6tine, qui 6tait admise dans certaines indus- tries (tablettes /~ disposition gratuitement) et pro- voque des insuffisances r6nales graves; l'explosion dans le cours d'une d6cennie environ de la consommation de tranquillisants (aux Etats-Unis par exemple, l'augmentation a 6t6 de l'ordre de 20 fois, ce qu'on ne parvient gu6re ~ expliquer par une croissance correspondante des besoins m6dicale- ment justifi6s...); pr6s de nous aussi, la d6couverte par toute une jeu- nesse avide d'exp6rienees et de sensations nouvelles, en rapport avec une qu6te philosophique ou pas, du fait que de nombreux m6dicaments offraient des possibilit6s analogues ~ celles des drogues de s'offrir des <<voyages>~. D'abord au cours de huit ans de travail outre-mer, j'ai 6t6 frapp6 personnellement de r6aliser l'6tendue de ce probl~me. Je me souviens en particulier de ma vive surprise, alors que je tra- vaiUais dans un h6pital de la for6t amazonienne, de voir un sympathique hippie de passage me demander si nous avions dans notre pharmacie tel antitussif (suisse) connu et largement utilis6. Ce n'est que plus tard, apr6s lui en avoir remis un emballage sans aucune arri6re-pens6e, que j'ai appris que ce produit 6tait recherch6 en cas de p6nurie d'autres drogues susceptibles d'amener un <<high~> ou un <<trip~3; Sans vouloir engager une pol6mique, je peux aussi noter que, 6mu par cette exp6rience et ayant eu confirmation que le produit 6tait tr6s utilis6 '~ ces fins non th6rapeutiques, en Am6rique et ailleurs, j'avais h mon retour au pays 6crit une lettre circonstanci6e h la firme concern6e. Je posais notamment la question de savoir si les avantages possibles de ce m6dicament sur d'autres ~ m~me indica- tion justifiaient qu'il soit maintenu aussi largement sur le march6, alors que sont connus les abus auxquels il donne lieu. J'ai rec.u une r6ponse courtoise (ce produit 6tait et est toujours en liste C, c'est- h-dire qu'il peut &re obtenu librement sans ordonnance en phar- macie). 66

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Sozial- und Pr~iventivmedizin M6decine sociale et pr6ventive 25, 66 - 72 (1980)

Us et abus de m6dicaments: le potentiel et les limites de l'6ducation, de l'information et de la r6glementation J. Martin 2

1. Le m6dicament aujourd'hui Le m6dicament, efficace ou non, a sans doute occup6 de tout temps et dans toutes les soci6t6s une place tr6s importante dans ce qui ne s 'appelai t pas encore le <~syst~me de sant6~. Avec les autres composantes de ce syst~me, il a vu son importance croitre beaucoup au cours des derni~res d6cennies, no tamment parce que le nombre de produits actifs et largement disponibles est devenu bien plus grand. Aussi parce que les cons6- quences 6conomiques de l '6volution r6cente font que les 616ments m6dico-sanitaires occupent une place de plus en plus grande dans le budget des m6nages et des colleetivit6s (moins de 3 % du produit national brut en Suisse en 1950, 7 % ~ 8 % actuellement, 10 % d'ici dix ~ quinze arts probablement) . En 1975, selon des estimations bien inform6es, les d6penses de sant6 pour l 'ensemble de la Suisse 6taient de l 'ordre de 10 milliards de francs, et les 13,4 % de cette somme 6taient consacr6s aux m6dicaments (par ailleurs, eomme pour les autres 616ments du secteur sanitaire, on peut relever que les m6dicaments ne sont pas consid6rer seulement sous l 'angle des d6penses mais que ce domaine fournit un certain nombre d 'emplois - on sait quelle place l ' industrie pharmaceut ique occupe dans l '6conomie int6rieure et surtout ext6rieure de notre pays).

2. Usages d6sir6s et non d6sir6s des m6dicaments Les m6dicaments ont leurs caract~res d6sir6s et ceux qui le sont moins. 11 est admis ainsi que tout produit actif, dans un sens th6rapeutique d6sir6 par le m6decin, a aussi d 'autres effets pharmacologiques, plus ou moins ennuyeux (et que l 'on est amen6 h admet t re dans une mesure variable selon que le b6n6fice th6rapeutique escompt6 est essentiel, voire vital, ou qu'il l 'est moins). Ce qui est vrai des effets (sur un individu) d 'un m6dica- ment l 'est aussi des usages faits de ce m6dicament par l 'individu, certains groupes, ou la soci6t6. Et, de la m6me fa~on que beaucoup d'efforts sont entrepris par l 'industrie et le corps m6dical pour d6pister, circons- crire, diminuer, si possible 61iminer les effets secon- daires non d6sir6s des substances utilis6es en th6rapeu- tique, il apparah tr~s important d 'en faire autant pour d6tecter, circonscrire et si possible 61iminer leurs usages ind6sirables. Il y a l~ toute une probl6matique du bon usage du mddicament (qui fait partie de celle

Bas6 sur une conf6rence donn6e lors des Journ6es scientifiques de la Soci6t6 suisse de m6decine sociale et prdventive, sur le th/~rne ,Le m6dicament dans le contexte sanitaire actueb>, les 26 et 27 octobre 1979.

a M6decin cantonal adjoint, Service de la sant6 publique, CH- 1001 Lausanne.

La probl6matique du bon et du mauvais usage des m6dicaments est clairement multifactorielle et les divers secteurs concern6s doivent chacun faire leur part. Ce travail discute ies contributions poten- tielles de trois modes d'action.

plus vaste du ~<bon usage des services de sant6>>, /i laquelle s 'a t tache entre autres choses l '6ducation pour la sant6). Des exemples de mauvais usage de m6dicaments qui viennent ~ l 'esprit sont:

la consommat ion de routine de produits ~ base de ph6nac6tine, qui 6tait admise dans certaines indus- tries (tablettes /~ disposition gratui tement) et pro- voque des insuffisances r6nales graves; l 'explosion dans le cours d 'une d6cennie environ de la consommat ion de tranquillisants (aux Etats-Unis par exemple, l 'augmentat ion a 6t6 de l 'ordre de 20 fois, ce qu 'on ne parvient gu6re ~ expliquer par une croissance correspondante des besoins m6dicale- ment justifi6s...); pr6s de nous aussi, la d6couverte par toute une jeu- nesse avide d 'exp6rienees et de sensations nouvelles, en rapport avec une qu6te philosophique ou pas, du fait que de nombreux m6dicaments offraient des possibilit6s analogues ~ celles des drogues de s 'offrir des <<voyages>~. D ' abo rd au cours de huit ans de travail outre-mer , j 'a i 6t6 frapp6 personnel lement de r6aliser l '6tendue de ce probl~me. Je me souviens en particulier de ma vive surprise, alors que je tra- vaiUais dans un h6pital de la for6t amazonienne, de voir un sympathique hippie de passage me demander si nous avions dans notre pharmacie tel antitussif (suisse) connu et largement utilis6. Ce n 'est que plus tard, apr6s lui en avoir remis un emballage sans aucune arri6re-pens6e, que j 'ai appris que ce produit 6tait recherch6 en cas de p6nurie d 'autres drogues susceptibles d ' amener un <<high~> ou un <<trip~3;

Sans vouloir engager une pol6mique, je peux aussi noter que, 6mu par cette exp6rience et ayant eu confirmation que le produit 6tait tr6s utilis6 '~ ces fins non th6rapeutiques, en Am6rique et ailleurs, j'avais h mon retour au pays 6crit une lettre circonstanci6e h la firme concern6e. Je posais notamment la question de savoir si les avantages possibles de ce m6dicament sur d'autres ~ m~me indica- tion justifiaient qu'il soit maintenu aussi largement sur le march6, alors que sont connus les abus auxquels il donne lieu. J'ai rec.u une r6ponse courtoise (ce produit 6tait et est toujours en liste C, c'est- h-dire qu'il peut &re obtenu librement sans ordonnance en phar- macie).

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- la liste peut facilement 6tre allong6e. Les informa- tions obtenues de ceux qui se pr6occupent de drogue et de toxicomanie en Suisse indiquent que, en plus des drogues ill6gales et des stup6fiants classiques, les produits trts ~<apprtci4s>> et utilists sont les amph6- tamines, les somnif~res (ceux ~ base de m6thaqua- lone et les barbituriques), en plus des tranquillisants et autres psychotropes d6jh mentionnts (ainsi que, comme dans l'exemple ci-dessus, des antiasthmati- ques, antitussifs, etc.).

11 y a ~ cet 6gard dans nos socittts un probl~me chro- nique actuellement sur lequel, pour des raisons real 61ucidtes, viennent parfois se greffer des ~vagues>>, des <<modes>> plus ou moins passagtres de consommation abusive d'un produit particulier. Cela a 6t6 le cas au printemps 1979 dans notre r6gion pour un analgtsique que des jeunes, entre autres en milieu scolaire, se sont mis & consommer par emballages entiers (voir plus bas).

3 . A b u s d e m 6 d i c a m e n t s : d e s c a u s e s d i v e r s e s

Rappelons quelles causes peuvent ~tre & l'origine de la consommation de mtdicaments dans des buts qui ne sont pas ceux normalement dtsirts (nous parlons ici de mtdicaments ~ordinaires>> et pas de stuptfiants classi- ques ou d'autres produits engendrant une dtpendance au sens strict): - continuation d'une habitude alors mtme que l'indi-

cation (de nature m6dicale) ~ la prise de m6dica- ments n'existe plus. Ayant ~ l'tpoque observ6 que l'on 6tait mieux en ayant pris tel produit, on tend vouloir assurer son bien-~tre en continuant h le prendre. C'est le cas par exqnple d'antalgiques;

- recherche des effets physiologiques/pharmacologi- ques du mtdicament, sans besoin mtdicah exemple surtout des amphttamines (dynamisme, vigueur, etc.), des tranquillisants, d'autres mtdicaments (antalgiques) ayant un effet secondaire euphorisant. C'est probablement la raison la plus frtquente d'abus;

-<~d6pendance>> psychologique (sujet controvers6, que l'auteur de ces lignes ne se sent pas comp6tent pour traiter);

- pression ~h faire comme los autres>>, notamment comme ses pairs (peer group pressure des Anglo- Saxons): les 6tudes psychosociologiques ont montr6 l'importance, en particulier parmi les jeunes, des modtles de comportement que l'individu trouve parmi ses camarades ou chez d'autres personnes ou groupes dits de rtftrence. Ce m6canisme joue un r61e marqu6 dans le dtbut de pratiques comme le tabagisme, l'alcoolisme, l'usage des drogues et la prise non justifi6e de mtdicaments. ]1 est certain que si, dans la situation rtcente dtcrite plus loin, la prise de l'analgtsique en question a pu prendre parfois Failure d'une <~activit6 de classe>> (tous les 61~ves ou presque en ing6rant en mtme temps), cela est d~ ce facteur;

- enfin, l'ennui, l'absence d' inttr t t vis-h-vis des possi- bilit6s coutumitres d'emploi de son temps, notam-

ment de ses loisirs. Selon des sptcialistes des ques- tions de drogue, un aspect <(embarrassant>> et inqui6tant ehez beaucoup de jeunes s'adonnant h de tels abus actuellement est le fait que leur motivation principale est de n'en avoir aucune!... Auparavant, on pouvait souvent relever une aspiration philoso- phique, une recherche (en soi positive) de modbles de vie autres. Mais, de plus en plus frtquemment, semble-t-il, et notamment h propos de consomma- tion abusive de mtdicaments, on s'y livre sans autre raison que <~a ou autre chose, quelle diff6renee est- ce que cela fait?>> I1 y a 1~ un probltme social, exis- tentiel, qui prtoccupe beaucoup les sptcialistes [1, 20].

La fig. 1 est une tentative de prtsentation synthttique des multiples facteurs (certains dtpendant surtout des <dournisseurs>>, d'autres des <<consommateurs>>) qui peuvent jouer un rble dans l'usage ad6quat ou inad6- quat de mtdicaments.

~ d Ccn~iP~e d'un :ble I~dagoqlque et Bon~ carrr~ni- Entourageet infor~r,~sain d't~to (~ig~nts) cat,on ~ig.~nt-

~igr~ [feedback Re~pn~billt~ clu C~,nci t~ce d'une poss ib l e ,~ f i a ,~ ) pat ien t

sabilit6 ~ i a l e Volont6 d'autonomle (pred., dlstrib.)

1' info~t~.on r~r Scns ib i l i~ t ion h l ' 6 t to l c~ ie m~Iti- factor l~tamment Ix~y~1~lale~ de la ~ladie Par t ~c~]~ition du

Patient at~ co&ts R'_~gl~ntat ion

i f t F.ed~les ~ u l t u t e l s D~gi '~ d n or~a aon r e ~'q' du pt~blic (~,ille, peer groups, ~i6t6} s'info~r

&

Envi~o~nt Inad~nqua t (st[ess, malaises ~ndi- Manque d'e~prit tions ~io-4co~igues)criti~ quant A la qua*

I n f o~ t l on l l t 6 ~de l ' ~n fo~ t~on r, : c ~ s , divo~s pu~tie difficile ~1 cernprerv3re Idlu~ inte~prttati~

erro~e) Hise ~ di~ozitu3n D4pc~da~ ~ratuite d~ r~.3ic, du patient DifZ|~]t6s de ~nt6

~di~rges mOdalit, { ~ t de ~nt@ / ~ntale et r~ciale)

~lypragr~sie Pubi~ct t4 (di~=~s I o n s , divers pubtiea)

Hisc h di~pozitu3n ~ratulte d~ r~.dic.

(di~rges mockalitts} Philo~hie de Inttr~:ts ~ t I.on

~ - rc i .~ I~echer ehe 4e Ef lots s~n ~-cur e~-mir ~les''

I~I~ATI(~ DU C~ ~ F ~ INF~LVLNrf strR L'US~ D~ ~DICA~nV~

- Plus un fa:teu[ ust P [~che d'u~ c~t6g~rie d' "~t~r=", plus ~1 c]tp~nd de cette c~t~gorie

~ Plus un facteur est pr~he dlu~ cattgOrie d'u~9~, plus ii fa~ri~er ce type d'~ge

- Les # indiq~ont que l'~[[et pest ~trP da~ ]fun oll 1{aJtre ~en~

4 . V o i e s e t m o y e n s d ' a c t i o n e n v u e d ' u n m e i l l e u r

u s a g e d e s m ~ d i c a m e n t s

La t~che qui nous a 6t6 proposte par les organisateurs de ces Journtes est de discuter dans les grandes lignes ce qu'on peut attendre, dans la lutte contre l'abus des mtdicaments, de l'information, de l'tducation et de la rtglementation (nous ne toucherons ce dernier aspect que britvement). Que faut-il entendre sous ces termes: a) L'information concerne (selon le dictionnaire Robert) les <<renseignements ou 6v6nements qu'on porte ~ la connaissance d'une personne, d'un public>>. Elle a donc pour but de transmettre certains messages dont on souhaite qu'un individu, un groupe, une nation, aient connaissance. Ce but ne comprend en cons6quence pas comme 616ment attendu une modifi-

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cation d'attitudes ou de comportements parmi les <<receveurs~. I1 est clair cependant que la possibilit6 n'est pas exclue que l ' information favorise, provoque un tel changement 1. Mais cela n'est pas le but premier (h propos d'information dans le monde actuel, voir [21]). Dans le m~me ordre d'idres, dans un processus d'in- formation <~strict~, l ' informateur (! ' rmetteur) , mrm e s'il imagine que son message peut entrainer une modi- fication pratique, ne pr~juge pas du sens (de l 'orienta- tion) qu'elle prendrait. A l 'opposr, on rappellera ci- dessous que l 'objet de l ' rducation est d 'amener un changement, et cela dans un sens drtermin6 h l 'avance. b) L'~ducation (toujours selon Robert) est la ~mise en oeuvre des moyens propres ~t assurer la formation et le drveloppement d'un 6tre humain,~. Et le but de l ' rdu- cation sanitaire, qui nous concerne ici, est la mise en oeuvre des moyens propres h promouvoir des attitudes et des comportements favorables ~ la santr. Cela en rapport, entre autres, avec la consommation de diverses substances (dont les mrdicaments), la fa~on de se nourrir, le fait de se maintenir en bonne forme physique, les relations que l 'on a avec son entourage personnel et professionnel, la fa~on dont on se corn- porte au volant d 'un vrhicule, etc. c) La r~glementation est une modalit6 bien diffrrente des deux prrcrdentes , puisqu'elle implique l'rtablisse- ment de r~gles, d'obligations qui dr terminent de quelle fa~on peuvent 6tre produits, commercialisrs, accom- plis, utilisrs, des biens ou des services. Dans le domaine des mrdicaments, il s'agit en particulier de prescriptions concernant: - l 'appareil et, dans une certaine mesure, les mrthodes de production, - les exigences auxquelles des substances nouvelles doivent satisfaire pour 6tre mises sur le march6 (preuves de leur efficacit6 et de leur innocuit6 - rela- tive, cf. supra), - la vente de ces mrdicaments (notamment chez nous la question des listes A, B, C, D et E), - la publicit6 admissible.

5. L' information Mrme si elle n 'en est bien souvent pas drnu6e, on peut dire que l ' information est, parmi les trois domaines envisagrs, celui qui est le moins charg6 de jugements de valeur, celui qui oriente ou qui censure le moins. C'est de lh en fait que drcoulent certaines de ses limites: - un problrme s6rieux est celui de la trop grande quantitd d'information disponible et, par suite, celui de la s~lection des donnres transmises. De plus en plus, en effet, nous sommes soumis hun flux ininterrompu d'in- formations de natures et de provenances diverses (un vrritable bombardement) , qui drpasse nos capacitrs

1 Pensons par exemple aux informations que nous recevons sur des situations d'urgence, dans notre pays ou ailleurs, telles une catas- trophe naturelle, les conditions que connaissent des milliers de rrfugirs, et qui, heureusement, drclenchent des actes de soutien.

d'absorption (<<information overloads>). Souvent done, il y a trop de messages h disposition pour que le desti- nataire puisse en faire un usage utile. Dans le domaine du m6dicament, c'est vrai dr ja pour les prescripteurs (mrdecins) et cela l'est ~ fortiori pour les consomma- teurs/patients [9, 12, 17]. A tel point qu 'on ne peut placer que des espoirs limitrs dans I 'information vis- h-vis du public, ~ cause de la somme des connaissances prralables nrcessaires pour comprendre suffisamment les donnres fournies; - d a n s ces conditions de surcharge de donnres, l'indi- vidu auquel on voudrait (nranmoins) transmettre une information relativement complete sur des mrdica- ments ferait forcrment une srlection, dont on ne pour- rait contr61er qu'elle est judicieuse. Le risque est (cela se passe aussi en 6ducation, d'ailleurs) que soient choisis plus ou moins exclusivement les messages qui plaisent, qui arrangent, h l'exclusion des autres. En pratique, cela n'est pas forcrment le choix approprir ; - typiquement, la simple information n'inclut pas de possibilit6 de feedback (information en retour, h l'in- tention de l ' rmet teur) et c'est une lacune grave quant l 'impact potentiel que l 'on peut esprrer (voir ci-des- sous et [21]. Le receveur de l ' information reste donc grnrra lement passif; - on n'a habituellement pas de contr61e des effets de ce qui est transmis (rvaluation); il faut relever cepen- dant qu'il y a souvent aussi absence d'rvaluation dans des programmes d 'rducation; - pas rarement enfin, l ' information c~de h la tentation du ~<sensationneb~, de parler de ce qui frappe plut6t que de ce qui est utile. Ce qui p r r ~ d e ne signifie pas que l ' information ne peut jouer un r61e valable, en particulier par l ' intermr- diaire de professionnels de la sant6 (qui peuvent l'in- clure dans un processus ~ducatif). Mais, en el le-mrme, elle est certainement insuffisante: on ne sait pas, parmi les messages dont ils sont ~arrosrs>~, ce que les gens ret iennent et comment ils utilisent ce qu'ils retiennent.

6 . L ' r d u c a t i o n ( p o u r l a s a n t 6 )

Ses caractrristiques majeures incluent les 616ments suivants (voir [10]): - elle est un ensemble de mesures visant h l'adoption par l'individu ou le groupe d'attitudes et de comporte- ments favorables ~ une sant6 optimale; - elle est par consrquent orientre, elle a des objectifs ddterrnin~s (qui peuvent 6tre plus ou moins prrcis); elle implique un choix drl ibrr6 des messages qui doivent amener le compor tement souhaitr. Ainsi, l ' important rapport d 'une Commission officielle canadienne dit: <d'rducation sur les drogues (dans un sens large, savoir y compris les mrdicaments) englobe plus qu 'une simple transmission d'information: elle comprend la srlection des donnres, le syst~me, le but et la perspec- tive des programmes d'rducation~ [ 18]; - elle comporte une possibilit6 de feedback (rrtroin- formation ou rr troaction), de rragir ~ l ' information reque, de la discuter, le cas 6chrant de manifester son drsaccord et de recevoir des rrponses. La recherche en

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sciences de la communication a montr6 que, quand cette condition est remplie, l'adoption de nouvelles attitudes (ou comportements) sera plus aiste, rnieux accept6e, et se maintiendra mieux. Le receveur de Fin- formation doit donc jouer un r61e actif; - dtcoulant notamment des 616ments ci-dessus, l ' tdu- cation pour la sant6 ntcessite un contact interpersonnel (un hun ou en petit groupe), sptcialement pour rendre possible les 6changes impliquts par le feedback. Quant aux limites de l'tducation, elles sont en rapport avec: - le besoin d'investissement en ressources humaines et mat6rielles (choix des informations ~ transmettre, 61a- boration approfondie des messages, besoin d'6duca- teurs en hombre suffisant pour permettre le contact personnel, etc.), - la formation des 6ducateurs, qui doivent poss6der les compttences p6dagogiques voulues et la capacit6 de rtagir adtquatement aux circonstances (questions, critiques, etc.), - l'6ducation devrait ~tre un effort de longue haleine, elle ne peut gutre rtussir sous forme d'actions ponc- tuelles isoltes.

7. Les ~cagents~ de l ' tduca t ion pour ia sant6 Dans les pays anglo-saxons sptcialement, ainsi que dans les rtgions qu'ils ont influenctes, ce domaine a vu l'apparition de professionnels sp6cialists, habituelle- ment de niveau universitaire, les 6ducateurs sanitaires (health educators). Bien qu'il existe certains souhaits dans ce sens, tel n'est gtn6ralement pas le cas pour l'instant en Europe continentale. Darts plusieurs pays, on tend pluttt a y renoncer et ~ insister pour que l'tducation h la sant6 soit mieux enseign6e et pratiqu6e parmi les tfiches des professions mtdico-sanitaires tra- ditionnelles [14]; cela n'exclut pas d'ailleurs la dtsira- bilit6 au niveau d'un pays de disposer des services de quelques 6ducateurs sanitaires professionnels, pour des ff~ches d'enseignement, de programmation et d'6valuation. Dans tousles cas, il faudrait que s'enga- gent plus r6gulitrement et plus dynamiquement dans cette 6ducation, apr~s y avoir dtd formds: - les m6decins (de cabinet et hospitaliers) et leurs

collaborateurs/trices (y compris les infirmi~res de sant6 publique tout sp6cialement),

- les pharmaciens (et leurs collaborateurs, ainsi que les droguistes) qui ont sfirement un r61e d'impor- tance h jouer, s'ils veulent bien s'y attacher [8, 22, 24],

- les autres travailleurs du domaine m6dico-social, - les enseignants (voir ci-dessous), - les parents et l'entourage (compte tenu de limites

6voqu6es plus haut en parlant d'information).

8. A propos de ia r t g l e m e n t u t i o n Nous ne nous 6tendrons pas sur ce sujet, dont les caract6ristiques sont assez claires, mais voulons relever qu'il s'agit d'un moyen a double tranchant. En effet, on pourrait penser que, afin de dirninuer les probltmes associ6s au mauvais usage de mtdicaments, il suffit

de promulguer des directives suffisamment restrictives et rigides (cela est relativement souvent d i t e t 6crit). Mais cela irait h l'encontre de ce que nous voyons comme un objectif majeur dans le contexte sanitaire actuel, dans une perspective de mtdecine sociale et prtventive: la responsabilisation du patient et du public en gdn~ral vis-fa-vis de la santt, y compris une certaine autonomisation par rapport au syst~me sanitaire [13, 15, 23]. Cela doit aussi valoir, sans doute, en ce qui concerne le m6dicament. Compte tenu de la situation que nous connaissons (probltmes 6conomiques, <<mtdicalisation~ jugte excessive de divers aspects de notre vie), il n'est pas souhaitable que l'individu ne puisse plus (avec l'avis, le cas 6chtant, du pharmacien et d'autres) dtcider de son propre chef d'une certaine automtdication, pour un rhume, une toux de quelques jours, un 6tat ftbrile btnin, un 6pisode de constipation, etc. On irait ~t fin contraire en rendant indispensables dans tous ces cas une consultation et une ordonnance mtdicales. La question de la mise en liste B (prescription n6ces- saire) de certains m6dicaments d'usage courant a 6t6 soulevte ~ nouveau chez nous lors de la vague d'abus de mtdicaments d6crite plus bas. Pour notre part, et tout en 6tant certainement favorable h un contr61e suf- fisant de la dispensation des mtdicaments, nous avons le sentiment que les vrais probltmes et les solutions 6ventuelles sont dans une notable mesure ailleurs.

9. U n e s i tuat ion r~cente dans ie canton de V a u d - V a g u e d'abus d'un m ~ d i c a m e n t sp~c i t ique parmi les j e u n e s Vers mai 1979, diverses informations parvenaient, de la part d'enseignants et de personnes s'occupant de toxicomanes, au Service de la sant6 publique du canton de Vaud et au Groupe de travail interdtpartemental ~Drogue dans les 6coles~). Elles indiquaient l'appari- tion r6cente et, semble-t-il, rapide d'une vague d'abus d'un m6dicament particulier, antalgique connu ~t base de propyph6nazone, d'un barbiturique et de caftine (produit de liste C). Cette mode pr6occupante semblait toucher surtout la rtgion lausannoise, quoique quel- ques rapports dans le mtme sens nous soient parve- nues d'autres rtgions du canton (sur la situation dans d'autres pays voisins, voir [5, 7]). Cette consommation abusive trait parfois impression- nante (ingestion de 10 h 20 comprim6s avant de partir

l'tcole) et prenait mtme la forme d'une <<activit6 de classe)~ (chaque 616ve ou presque avalant son tube h la rfcrtation... - il est arriv6 qu'on doive renvoyer une classe h la maison, la majorit6 de ses membres n' t tant plus en mesure de suivre utilement la legon). I1 y avait manifestement un c6t6 <<mode)~ (anglais fad) au pht- nomtne, dont on pouvait se demander combien de temps il durerait. Cette situation posait la question des moyens ~ disposi- tion et de l'opportunit6 de leur mise en oeuvre. On pouvait envisager: - communiqu6 h la presse (d'information et d'avertis-

sement, mais qui 6vite d' t tre alarmiste): l 'idte rut

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discutEe h plusieurs reprises. Elle fut finalement laissEe de c5t6, en particulier parce qu'on arrivait la porte des vacances (aussi h cause des limites de la simple information ~ grande 6chelle - voir ci-dessus - probl~me du choix des indications ~ diffuser, risque d'6tre mal compris, interpr6tation sensation- naliste possible);

- organisation de reunions avec les classes touchEes et/ou les parents des El~ves (lh aussi, la proximit6 des vacances ne permettait gu~re de le faire de faqon satisfaisante);

- action aupr~s des pharmaciens: apr~s une rencontre avec des responsables de l'association profession- nelle, le Service de la sant6 publique adressait une circulaire h t o u s l e s pharmaciens du canton, leur demandant d'etre particuli~rement attentifs h la vente du m6dicament en question et d'autres simi- laires et de garder ~t l'esprit leur responsabilitE p6da- gogique et sociale/a cet 6gard;

- action aupr~s d'autres groupes directement concemEs: il fut d6cidE d'organiser h la rentr6e sco- laire une r6union of~ furent convoqu6s des responsa- bles scolaires, les m6diateurs-drogue [3, 11] et les m6decins scolaires. Cette rencontre (30 aofit 1979), ~t laquelle particip~rent les deux conseillers d 'Etat responsables de l'instruction publique et de la sant6 publique (ce qui souligna de fa~on utile l 'importance accordEe au probl~me), vit plusieurs exposes sur la situation et permit une large discussion.

Dans le courant de l 'automne, l'impression a 6t6 que la r s'est quelque peu calm6e, sans qu'on puisse pr6dire l'6volution ultErieure. Sur le plan pratique, les mesures prEvues ~ court et moyen terme sont: - ~r continu de la situation (notamment par les m6diateurs-drogue), - poursuite de l'action aupr~s des pharmaciens (en particulier, d6nonciation de ceux qui se montrent (<per- missifs>> dans leurs ventes - c e l a n e s ' a p p l i q u e e n fait gu~re actuellement au produit principalement incri- mine puisqu'il est en liste C), - 6tude de la possibilit6, dans des cas comme celui-ci, de mettre certains m6dicaments sous ordonnance a) ~ titre temporaire b) pour la vente aux mineurs - information des enseignants par le canal du Bulletin du Ddpartement de l'instruction publique, que tous re~oivent (divers articles), - i n c l u s i o n de la question abus de m6dicaments/ drogue au programme des prochaines rencontres des enseignants avec les parents d'61~ves (avec accent sp6- cial sur les classes ~ haut risque), -E labora t ion de fiches techniques ~<REunion de pa ren t s - information drogues> dans ce but, - coordination et collaboration permanentes avec les instances de prise en charge de la toxicomanie (Centre du Levant surtout) et les mEdecins et infirmi~res sco- laires. Nous sommes conscients que ce programme n'a rien de bien extraordinaire et accueillerions volontiers toutes critiques et suggestions complEmentaires h son 6gard.

Par ailleurs, l'exp6rience dira quels r6sultats peuvent 6tre obtenus de cette fa~on et nous orientera peut-~tre vers d'autres actions. Nous chercherons aussi h tirer parti des travaux faits ~ l '6tranger [4, 6, 16, 25]. Enfin, il convient de signaler que le Conseil d 'Etat vaudois a 6t6 saisi au d6but de 1979 d 'une motion demandant l'introduction de l'6ducation pour la sant6

l'6cole, ~ laquelle une r6ponse (tout ~ fait construc- tive, selon les informations dont nous disposons) sera donn6e prochainement. Les mesures qu'elle proposera pourraient ~tre un utile adjuvant en ce qui coneerne le probl6me des abus de m6dicaments [2].

1 0 . E n g u i s e d e c o n c l u s i o n

Dans leur rapport au Ministre fran~ais de la Sant6 sur le gaspillage des m6dicaments, les trois experts man- dat6s mettent <<en cause clairement le comportement des cinq partenaires directement concern6s par le m6dicament: l'industrie pharmaceutique, les pouvoirs publics, les m6decins, les pharmaciens et, au bout de la chaine, les malades. Les responsabilit6s du gaspillage sont incontestablement partag6es par ces cinq groupes... Les reproches qui sont adress6s h l'industrie pharmaceutique concernent particuli6rement le nombre des m6dicaments et la publicit6 qui exerce une pression excessive sur les prescripteurs>~ (citation de Mddecine et Hygiene [19]. Ce qui est dit ci-dessus du gaspillage des m6dicaments s'applique aussi bien h leur abus. Comme toujours en sant6 publique, ~1 faut penser multidisciplinaire et mul- tisectoriel, et il faut agir multidisciplinaire et multisec- toriel (fig. 1 et 2). Au vu des r61es respectifs des diff6- rents groupes dans la gen6se du probl6me et de leurs moyens d'action (action qui peut 6tre une certaine retenue, s'agissant de publicit6 par exemple), chacun doit apporter sa contribution. En ce qui concerne les possibilit6s que nous avons 6voqu6es, il y a sans doute une place pour la r6gtemen- tation (comme cela est d6j~ le cas), mais nous n'en attendons pas beaucoup de b6n6fices suppl6mentaires dans la mesure o~ elle v a h l 'encontre de la responsabi- lisation individuelle. 11 y a une place pour l 'information, qui nous parait plus grande vis-a-vis des professionnels de sant6 que des <da'ics>>. Les premiers en effet ont en principe 6t6 pr6- par6s ~t parcourir rapidement une certaine masse d'in- formations et h s61ectionner ce dont ils peuvent faire leur profit, ce qui n'est gu~re le cas du grand public (du moins dans le domaine m6dico-pharmaceutique). Si elle est cependant envisag6e, une information h large 6chelle devrait vouer beaucoup d'attention ~t la s61ec- tion des messages les plus importants et h leurs impli- cations pratiques (directement utilisables). La forme des messages dolt pouvoir 6tre saisie ais6ment. C'est dans l'6ducation ainsi que nous l'avons caract6- ris6e (avec des objectifs d6finis, une orientation vers l 'adoption de cornportements plus favorables ~t la sant6, un contact personnel, une possibilit6 de feedback) que nous voyons le champ d'action off devraient surtout se porter nos efforts. Cette 6ducation doit d'abord 6tre le

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Fig. 2

tent-s.

Eliologie multifactorielle de la maladie

Pour rdsoudre un probl~me de sante" ou, plus

d'un groupe, il y a lieu le plus souvent par consgquent d'agir sur diffdrents dl~rnents, ~ plu- sieurs niveaux:

~cEtiologie~ multihtctorielle du changement (de la gutrison)

fait de multiples professions du domaine mtdical et m6dico-social: mtdecins, infirmi~res, pharmaciens, etc. Les enseignants aux difftrents niveaux, primaire, secondaire, professionnel, ont aussi un rtle h jouer ~a condition qu'ils soient formts ~t le faire (et disposent du mat6riel ptdagogique voulu). Les parents et l'en- tourage enfin sont des agents importants d'6ducation pour la sant6 mais il est vraisemblable que, s'agissant des mtdicaments, leur contribution ne peut que rester assez gtntrale (r~gles, et exemple surtout, d'une saine hygiene de vie). Au terme de cette discussion, il y a lieu de reconnaitre que les abus de mtdicaments et autres substances rel~- vent (en partie tout au moins) de ce qu'il faut bien appeler un probl~me de socittt. A c e titre, ils posent toute la question des comportements marginaux par rapport aux modules de conduite socialement approuvts/admis (ces derniers ne constituant pas for- ctment, il s'en faut parfois de beaucoup, ce qu'on appellerait un style de vie sain...). Mais, m~me si ce constat peut 6tre fait et qu'il faille en tenir compte, cela ne veut pas dire qu'on ne puisse travailler valablement h la solution des probl~mes existants dans un secteur donn6 - celui de la sant6 en ce qui nous concerne. Les moyens ~ disposition ont chacun leur potentiel et leurs limites. A nous d'utiliser au mieux les potentiels en tenant compte des limites! Ce faisant, souvenons-nous que la sant6 publique (la

J " S sant6 du public) est un etat d esprtt plu que des techni- ques, une attitude plut6t que des recettes. Pour qu'un progr~s rtel intervienne, il faut que les personnes concerntes par la consommation abusive de mtdica- ments, notamment ceux qui les ~dournissent)) h divers titres, soient suffisamment sensibilis6s aux dangers qu'elle repr6sente et s'engagent, sur le plan 6thique comme sur le plan pratique, ~ mettre en ~euvre les moyens susceptibles d'apporter les changements ntcessaires.

Rtsum6 De la m~me fa~on que les mtdicaments ont sur une personne donnte des effets souhaitds (thtrapeutiques) et d'autres qui ne le sont pas (effets secondaires), il y a des usages dtsir ts et non dtsir ts

des m6dicaments par les individus et la soci6t6. Des exemples sont donnts et leurs causes 6voqutes. Parmi les moyens d'action/i disposition, il y a l'information, l'6duca- tion et la r6glementation. Pour l'auteur, tes difficult6s de rinforma- tion sont I'absence d'objectifs en termes d'attitudes ou de comporte- ments, l'absence de feedback, la question du choix des informations, la tentation du sensationnel. L'tducation pour la sant6 r tpond/ t ees critiques (elle dolt avoir des objectifs clairs, permettre le feedback par le contact interpersonnel, etc.) mais elle exige plus de moyens, sp6cialement pour la formation adtquate des personnes (nom- breuses) qui en sont chargtes. La rtglementation est certainement utile, encore qu'elle ailte dans une certaine mesure ~ l'encontre de la responsabilisation souhaitable du consommateur. Les divers groupes concem6s doivent s'engager, 6thiquement et pratiquement, h utiliser ces possibilitts dans route la mesure de leurs moyens. L'article dtcrit encore une vague rtcente d'abus d'un m6di- cament analg6sique parmi la jeunesse dans le canton de Vaud.

Zusammenfassung Gebrauch und Missbrauch von Medikamenten: M//glichkeiten nnd Grenzen der Erziehung, der Information und der Reglementierung So wie Medikamente auf eine bestimmte Person erw/inschte (thera- peutische) und unerwtinschte Wirkungen haben ktnnen, gibt es einen erwiinschten und unerwiinschten Gebrauch yon Medikamen- ten durch Individuen und die Gesellschaft. Die Frage wird anhand yon Beispielen n/iher erl~iutert. Unter den Massnahmen zur Bek~impfung von Missbrauch und F6r- derung eines angemessenen Verhaltens stehen Information, Erzie- hung und Reglementierung im Vordergrund. F/it den Autor bringt die Information Probleme mit sieh, wie ein Fehlen yon Zielsetzun- gen im Sinne yon Einstellungen oder Verhaltensweisen, das Fehlen einer Kontrolle, die Frage der Auswahl tier Informationen und die Versuehung, das Sensationelle in den Vordergrund zu stellen. Die Gesundheitserziehung geht auf diese Kritiken ein (indem sie klare Zielsetzungen verfolgen muss, ein Feedback durch pers6nliehen Kontakt e r l aub t . . . ) . Sie erfordert jedoch mehr Mittel, besonders f/ir eine angemessene Ausbildung der (zahlreichen) Personen, die daran mitarbeiten m/issen. Reglementierung kann sicher von Nut- zen sein, doch widerspricht sic in gewissem Masse der erwiinschten f.)bertragung der Verantwortung an den Konsumenten. Die verschiedenen betroffenen Gruppen m/issen sich ethisch und praktisch darauf festlegen, diese Mittel im Rahmen der Mtgfichkei- ten voll auszusch6pfen. Der Artikel beschreibt schliesslich eine neu- liche Welle yon Schmerzmittelmissbrauch unter Jugendlichen im Kanton Waadt.

Summary Use and Misuse of Therapeutic Drugs: Possibilities and Limits of Education, Information and Regulation Medicines have on a given person desired (therapeutic) effects and undesired (secundary) effects. Similarly, there are desired use and undesired use (abuse) of pharmaceutical drugs by individuals and society. Examples are given and their causes evoked. The means available to fight abuse and promote adequate behavior are particularly information, education, and regulation. For the au- thor, the problems with information are the absence of objectives in terms of attitudes and behaviors, the absence of feedback, the diffi- culty in selecting information and the temptation of giving prefer- ence to the "thrilling". Health education answers these criticisms (it should have clear objectives, allows for feedback through interper- sonal con tac t . . . ) , but requires more resources, especially for the adequate training of the (numerous) persons who have to provide it. Regulation is certainly useful, although it goes to an extent counter to the desirable responsabilization of the consumer. The various sectors concerned must commit themselves, ethically and practically, to use these means to the full extent of their possibil- ities. The article also describes a recent wavelike fad with the abu- sive consumption of a popular analgesic drug among youth in the part of Switzerland xvhcrc the author works.

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