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Presses Universitaires du Mirail Utopie et Histoire au Mexique. Les premiers chroniqueurs de la civilisation mexicaine (1520- 1569) by Georges BAUDOT Review by: André SAINT-LU Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 29 (1977), pp. 213-222 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40849776 . Accessed: 16/06/2014 21:50 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.181 on Mon, 16 Jun 2014 21:50:47 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Utopie et Histoire au Mexique. Les premiers chroniqueurs de la civilisation mexicaine (1520-1569)by Georges BAUDOT

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Presses Universitaires du Mirail

Utopie et Histoire au Mexique. Les premiers chroniqueurs de la civilisation mexicaine (1520-1569) by Georges BAUDOTReview by: André SAINT-LUCahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 29 (1977), pp. 213-222Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40849776 .

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COMPTES RENDUS

Georges BAUDOT. - Utopie et Histoire au Mexique. Les premiers chroniqueurs de la civilisation mexicaine (1520-Í569). Toulouse, Editions Privat, 1977, XII + 554 p.

Il revenait à Georges Baudot, depuis longtemps spécialisé dans le domaine de l'ethnohistoire mésoaméricaine, et aussi bon connaisseur des langues et des lettres du Mexique précortésien que de la vaste production historiographique et ethnographique consécutive à l'im- plantation espagnole en pays aztèque, de nous offrir, comme couron- nement de ses longues investigations, une étude systématique des premières chroniques de la civilisation mexicaine, élaborées par une poignée de missionnaires franciscains qu'une vocation apostolique nourrie de fortes espérances millénaristes prédisposait providen- tiellement à cette exploration des réalités humaines amérindiennes. Il est peut-être excessif d'affirmer, comme le fait l'auteur au début de l'Avant-propos, que « les sources authentiques de la plus grande partie de nos connaissances sur la civilisation précolombienne du Mexique central n'ont jamais été étudiées. » En revanche, il y a sans doute quelque modestie à ne revendiquer pour ce gros livre si abon- damment documenté, si exigeant dans sa démarche, si minutieux dans ses analyses, d'autre mérite que celui d'une « contribution à la réapparition des très grands textes qui fondent l'ethnohistoire du Mexique », et pour tout dire d'une simple « introduction » à la matière.

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L'essentiel de l'ouvrage porte sur les travaux, bien souvent muti- lés, voire perdus, mais patiemment identifiés et reconstitués par Georges Baudot sur de solides bases biographiques et bibliographi- ques, des quatre Franciscains - fray Andrés de Olmos, fray Toribio Motolinía, fray Martín de la Coruña et fray Francisco de las Navas - qui furent les pionniers, au Mexique, de la grande campagne de recherches ethnographiques entamée peu après la conquête paral- lèlement à l'évangélisation, et couronnée, dans la deuxième moitié du XVP siècle, par la monumentale Historia general de las cosas de la Nueva España de fray Bernardino de Sahagún. En « toile de fond » de ces remarquables enquêtes est d'abord retracé le contexte histo- riographique et le climat spirituel - découverte par les laïcs, puis par les religieux - dans lesquels elles prennent place et affirment leur spécificité. Et comme il s'ouvrait sur leur circonstance et leurs antécédents, nécessaire éclairage de leur gestation et de leur surpre- nant essor, le livre se termine sur l'étrange retour de fortune qui, à peine achevées, par l'effet d'une ombrageuse opposition officielle, ensevelit ces œuvres dans la longue nuit de l'oubli. Cette nuit d'où nous les voyons maintenant émerger.

Le chapitre I, consacré à « la découverte du Mexique par les laïcs et par la Couronne après la conquête », évoque successivement les premières informations rapportées par les conquérants eux-mêmes ou par des explorateurs : Cortés, Zuazo, Vázquez Coronado, le Conquistador anonyme; les diverses enquêtes, telle la Descripción de la Nueva España de 1532, ordonnées par la monarchie espagnole en vue de la connaissance concrète et de l'exploitation de ses nou- velles possessions; enfin certaines relations particulières dues par- fois au souci de préserver le souvenir du passé préhispanique, comme les précoces Anales históricos de la Nación mexicana - que Georges Baudot propose d'attribuer à D. Pablo Nazareo, seigneur de Xalto- can - , et plus souvent à des initiatives privées franchement inté- ressées. Encore que limités dans leur inventaire descriptif, trop rapides et superficiels dans leur observation des réalités du Nou- veau Monde, ces premiers écrits, de toute façon précieux, méritent largement l'attention comme précédents des grandes chroniques franciscaines auxquelles, d'une certaine manière, ils ont contribué à frayer la voie. On sera pleinement d'accord, notamment, sur l'inté- rêt « inestimable » du témoignage cortésien, quelles qu'en soient les déficiences et la subjectivité. Commandée par les nécessités et les promesses immédiates de la conquête, cette vision d'une civilisation encore intacte l'est aussi, et sans doute aurait-il été opportun d'insis- ter sur ce point, par les projets de colonisation que le conquérant,

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au-delà de ses préoccupations militaires, avait constamment à l'es- prit, et qui avivaient son attention. Qu'il n'ait guère saisi les arca- nes des mythes aztèques, c'est le contraire qui eût été étonnant. Nous ne sommes pas sûr, toutefois, que soit correctement interprétée (p. 11) la façon dont le capitaine espagnol rapporte l'évocation par Moctezuma des prophéties relatives au retour de Quetzalcoatl. Peut- on même être assuré de la réalité d'une telle évocation ? Par leur mise en scène très étudiée et leur reproduction en style direct, les discours du souverain mexicain, qui ne sont rien de moins que des déclarations, non sollicitées et d'autant plus suspectes, de totale allé- geance au roi d'Espagne, perdent trop de leur vraisemblance aux yeux de l'historien pour qu'on puisse en tout état de cause faire fond sur leur littéralité. Ne serait-ce que pour sa version somme toute plus objective de ces premiers contacts et de bien d'autres scènes significatives, on regrette un peu que la Historia Verdadera de Ber- nal Díaz del Castillo, si riche par ailleurs d'observations curieuses, ait été laissée de côté pour une simple question de chronologie au demeurant discutable (l).

Le chapitre II, qui traite de « la découverte spirituelle du Mexique par les Frères Mineurs », s'attache d'abord à retracer l'arrière-plan apostolique et eschatologique de l'activité des Franciscains en Nou- velle Espagne. Nourris des espérances millénaristes qui plongeaient leurs racines dans la pensée de saint François d'Assise, le fondateur de l'ordre, elle-même inspirée des rêveries apocalyptiques de l'abbé cistercien Joachim de Flore, et renouvelée au début du XVIe siècle par l'esprit réformiste de la custodie du Saint Evangile d'Extréma- dure devenue province de saint-Gabriel en 1519 - l'année même de l'entreprise cortésienne - , les premiers missionnaires séraphiques du Mexique ne pouvaient manquer de découvrir dans ce pays la terre d'élection d'une nouvelle chrétienté qu'il leur appartenait de fonder au plus vite pour hâter l'avènement de l'Eglise spirituelle. D'où leur souci de préserver les indigènes, modèles à leurs yeux de pauvreté évangélique, de la corruption des Espagnols. De là tous leurs efforts pour maintenir la salutaire barrière linguistique en apprenant eux-mêmes les idiomes vernaculaires. De là aussi, paral- lèlement à l'extirpation de l'idolâtrie et à l'enseignement du chris-

(1) II est douteux que la chronique de Gomara (publiée en 1552) ait eu dans la genèse de la Historia verdadera le rôle déterminant qu'on lui a sou- vent attribué. Et la date de 1568 indiquée par Bernai Díaz ne nous renseigne que sur l'achèvement (approximatif) de l'ouvrage, non sur l'époque de sa mise en chantier et l'étalement de son élaboration. Quant à distinguer, dans le foisonnement de la narration, ce qui a pu être acquis de seconde main de tout ce qui provient d'observations directes, ce n'est possible, au mieux, que très partiellement.

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tianisme qui constituaient l'essentiel immédiat de leur mission, leur intérêt pour une connaissance approfondie du passé culturel de ces populations avec lesquelles ils espéraient édifier le nouveau Royau- me. Bien qu'il s'agisse ici, au moins dans leurs grands traits, de faits déjà connus (2), on saura gré à Georges Baudot d'avoir métho- diquement reconstitué ce substrat spirituel des grandes chroniques ethnographiques du Mexique sans quoi leur floraison serait inexpli- cable. Complétant ce chapitre, un aperçu nous est donné des inévi- tables oppositions, en face des généreuses entreprises franciscaines, d'un monde colonial aux préoccupations beaucoup plus temporelles, auxquelles pourtant feraient écho, sur la question des langues et plus fondamentalement sur celle, empoisonnée, de la rationalité des indi- gènes, plusieurs voix discordantes parmi les religieux eux-mêmes. Le cas ici rappelé des très sévères jugements portés sur les capa- cités des naturels par le Dominicain Betanzos, qui d'ailleurs se rétracterait avant de mourir, ne saurait toutefois faire oublier que dans le même temps toute une élite très active de Frères Prêcheurs, les Minaya, Garces, Las Casas, se mobiliseraient, aux côtés des meil- leurs Franciscains, pour la défense des peuples calomniés du Nou- veau Monde.

« Tres o cuatro frayles emos escrito de las antiguallas y cos- tumbres questos naturales tuvieron ». C'est à ce premier groupe de chroniqueurs auxquels celui qui fut « leur âme et leur cons- cience », fray Toribio Motolinía, faisait allusion, par la phrase qu'on vient de lire, dans une lettre à Charles Quint à bien des égards fameuse, que Georges Baudot consacre les six chapitres cen- traux (III à VIII) de son étude, où il s'applique à reconstruire suc- cessivement la vie et l'œuvre - double approche hérissée de cons- tantes difficultés - de ces fondateurs trop oubliés de l'ethnographie américaniste. On ne saurait rendre compte par le menu de ces eru- dites investigations. On observera simplement qu'elles se fondent, pour les parties biographiques, sur une documentation imprimée et inédite largement renouvelée, et pour les analyses et synthèses biblio- graphiques, sur un inventaire aussi exhaustif qu'il peut l'être et sur un regroupement très calculé des matériaux directement - mais pas toujours facilement - accessibles, ou reconstitués par l'intermé-

(2) Aux ouvrages cités en référence, il conviendrait d'ajouter d'autres tra- vaux spécialisés de Marcel Bataillon comme : « Evangélisme et millénarisme au Nouveau Monde », dans Courants religieux et humanisme à la fin du XV* et au début du XVI* siècle, Paris, P.U.F., 1959, p. 25-36, ou « L'esprit des évangélisateurs du Mexique », cours du Collège de France résumé dans Y An- nuaire du Collège de France, 1950, p. 229-234, ainsi que la récente thèse de Jacques Lafaye, Quetzalcoatl et Guadalupe, Paris, Gallimard, 1974.

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diaire d'ouvrages plus tardifs auxquels ils ont servi de sources très souvent littérales. Ainsi resurgissent des brumes de l'oubli les figures et les écrits de fray Andrés de Olmos « l'initiateur », celui dont un frère d'habit, le chroniqueur Mendieta, écrira plus tard qu'il fut « la fuente de donde todos los arroyos que de esta materia han tratado emanaban », personnage qui reste mystérieux, mais dont on a les preuves qu'il fut, avec son grand Traité des antiquités mexicaines, son Arte de la langue náhuatl, ses adaptations des lit- tératures indigènes et ses ouvrages doctrinaux, un promoteur infati- gable dans tous les domaines de la préparation séraphique de l'avè- nement du Royaume avec les Mexicains; de fray Toribio Motolinía, la personnalité centrale et la plus marquante du groupe, la plus légendaire aussi, qui réussit à concilier une longue et parfois turbu- lente carrière apostolique, d'ailleurs entretenue par d'irréductibles espérances millénaristes, avec un labeur historiographique et ethno- graphique dont la Historia de los indios de la Nueva España et les Memoriales, tels qu'ils ont pu nous parvenir, ne donnent qu'une idée mutilée du fruit définitif, à savoir cette grande chronique per- due, probablement intitulée Relación de las cosas, idolatrías, ritos y ceremonias de la Nueva España, qui traitait à la fois du Mexique précortésien et de celui des évangélisateurs, et dont le contenu complet est ici reconstruit; de fray Martín de la Coruña, auteur identifié de la Relación de Michoacan, acquis lui aussi aux espoirs millénaristes, et qui annonce Sahagun par son recours systématique aux informateurs indigènes les plus sûrs; enfin de fray Francisco de las Navas, dernier porte-parole des grands illuminés désireux de bâtir une société utopique, dont la chronique en deux parties des structures sociales indigènes - à laquelle s'ajoute un calendrier tlaxcaltèque - n'est connue qu'à travers la Breve y sumaria relación de l'auditeur Alonso de Zorita.

On sera largement d'accord, tant sur la méthode que sur les résul- tats, avec d'aussi savantes et aussi minutieuses elucidations. Tout au plus peut-on proposer, comme gage de l'intérêt qu'on y a trouvé, quelques corrections ponctuelles et quelques amorces de réflexion. De la réalité du premier voyage qu'aurait effectué Motolinía au Gua- temala (fin 1527-début 1529), de sa brève rencontre avec Olmos, lui-même en mission dans ce pays, et a fortiori de la fondation, à cette époque, d'un monastère franciscain à Santiago de los Caballeros (cf. p. 126 et 254-255), il ne nous semble pas, s'il est vrai que « la meilleure source » reste fray Francisco Vázquez, chroniqueur bien tardif (début du XVIIIe siècle) et notoirement tendancieux de la pro- vince franciscaine du Guatemala, que l'on puisse être aussi assuré que le paraît Georges Baudot, malgré quelques précautions formel-

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les. Jusqu'à plus ample informé, il conviendrait, pensons-nous, d'insister davantage sur le caractère hypothétique de ces faits (3).

A propos de la mission franciscaine envoyée par le vice-roi Men- doza dans la région de Tabasco, sous la conduite de fray Jacobo de Tasterà (cf. p. 276), il y aurait lieu de rectifier légèrement la date de départ (vers 1535 et non 1537), et de préciser un peu mieux la locali- sation, le texte laissant croire (voir aussi p. 278) qu'il s'agissait d'une mission « guatémalienne », alors qu'elle avait pour objet l'évangélisation du nord-ouest du Yucatan (4).

Sur l'entreprise lascasienne de conquête évangélique dans la « Tierra de guerra » guatémaltèque, devenue Vera Paz en 1547, on corrigera quelques inexactitudes. Il est un peu approximatif, en effet, de dire (p. 196) que Las Casas, présenté à l'évêché de Chiapas en 1543, y tentera « un peu plus tard » son expérience d'attraction pacifique, alors que cette action avait été engagée, quoique secrè- tement, dès 1537; ou encore (p. 283) qu'elle était «enfin ouverte- ment en cours » au début de 1545, quand on sait que les Dominicains, presque un an plus tôt, avaient réussi à prendre pied à Coban. Et surtout, il est faux de prétendre (p. 137) qu'à partir de 1546, l'affaire « commençait à s'avérer un échec imposant », puisqu'elle était alors en excellente voie et recevrait l'année suivante sa consécration offi- cielle. Ce n'est guère que dix ans plus tard que les Frères prê- cheurs, pour n'avoir su rester fidèles à l'esprit lascasien, enregistre- raient leurs premiers revers.

Une autre date à rectifier : celle de la rencontre entre Las Casas et Motolinia au monastère franciscain de Tlaxcala (voir p. 138 et 274) : c'est le 15 août 1538 (et non 1539), comme il est bien précisé dans la Apologética Historia, chap. 64, qu'eut lieu cette entrevue, déjà difficile si l'on en croit le témoignage de Motolinia. Las Casas avait quitté le Guatemala au mois de mai de la même année pour assister au chapitre provincial de Mexico qui allait se réunir le 24 août. Son séjour en Nouvelle Espagne se prolongea peut-être plus qu'il ne l'aurait voulu, mais de toute façon sa présence à San- tiago de los Caballeros est de nouveau attestée début septem- bre 1539 (5).

(3) A la version de Vázquez, passablement suspecte et d'ailleurs assez floue, on pourrait opposer la réfutation, à tout prendre ni plus ni moins crédible, du Dominicain fray Francisso Ximénez (Historia de la Provincia de San Vicente de Chiapa y Guatemala, vers 1721, Guatemala, 1929-1931, t. I, p. 142 sq.).

(4) On connaît, sur cet épisode, la version fortement dramatisée que Las Casas a donnée dans la Brevísima Relación de la Destrucción de las Indias. Pour une relation moderne, voir R.S. Chamberlain, The Conquest and Colo- nization of Yucatan, Washington, 1948, p. 311-313.

(5) Voir là-dessus notre étude La Vera Paz. Esprit évangélique et Colo- nisation, Paris 1968, lre partie, ch. 2.

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Concernant les rapports entre Motolinia et fray Bartolomé, Geor- ges Baudot accorde toute l'importance qu'elle mérite à la fameuse lettre à l'empereur du VT février 1555 dans laquelle le Franciscain, ayant pris connaissance presque coup sur coup du sévère Confesio- nario lascasien, et de plusieurs autres traités édités à Seville par le Dominicain, épanche ses griefs trop longtemps contenus sans doute (6). Relevons ici une inadvertance significative : ce n'est pas à la Brevísima Relación de la Destrucción de las Indias, comme le laisse entendre l'auteur p. 304, que s'en prend Motolinia dans sa lettre (passage reproduit dans la note 185), mais, de façon très claire, au Tratado de los esclavos et à YOctavo Remedio, imprimés aussi à Seville en 1552. Confusion qui ne surprendra pas, tant il est vrai qu'évoquer la figure de Las Casas c'est avoir à l'esprit, automati- quement, le plus violent de ses pamphlets. Mais une question se pose aussitôt : comment se fait-il que Motolinia ne s'insurge pas contre la Brevísima Relación ? On a pu supposer qu'il ne l'avait pas lue à la date de sa lettre (7) : hypothèse à nos yeux peu probable (8), étant donné que la Brevísima faisait partie des huit opuscules récem- ment édités. Nous inclinerions à penser que le Franciscain, l'ayant lue, évitait d'en parler. On sait que ce réquisitoire met fortement l'accent sur les atrocités des guerres de conquête. Certes Motolinia aurait pu dénoncer le constant parti pris d'épouvanté de la relation lascasienne; il aurait eu du mal, toutefois, à réfuter la vérité fon- cière de certains épisodes tragiques, à commencer par ceux de la conquête du Mexique, que Cortés lui-même, ce héros exemplaire selon les Franciscains, avait rapportés à l'empereur dans ses Cartas de relación. Encore que Fray Toribio ne la reniât pas même dans ses horreurs, puisqu'il la tenait pour providentielle (9), la conquête,

(6) Aux éditions citées p. 302-303, note 182, on ajoutera la reproduction, pas meilleure que les autres, qui figure en tête du t. 2 de la Crónica de fray Francisco Vázquez, Guatemala 1938. Et comme commentaire de ce texte célèbre, voir surtout Bataillon, Etudes sur Bartolomé de las Casas, Paris, 1966, p. XIV, XVIII, 69, 153, 238, 277 sq., 310, et du même auteur, Las Casas et la défense des Indiens, Paris, Juilliard, 1971, p. 40-43. Le texte de la lettre, tel qu'il est édité, n'est pas exempt d'erreurs. Proposons, dans le passage cité par Baudot p. 304, note 186 (et aussi p. 381), de lire : « en aquel libro que di », et non : « en aquel libro que dio ».

(7) Cf. Bataillon, Etudes..., op. cit., p. 284, note 27. (8) Le doute vient, un moment, lorsqu'on rencontre, reproduite par Moto-

linia, l'expression « el estiércol de las plazas » - image chez Las Casas du mépris des Espagnols pour les Indiens - , qui se trouve dans le prologue de la Brevísima; mais la même formule figure aussi dans YOctavo Remedio : cf. B.A.E., t. CX, p. 88a.

(9) On sait par Bernai Díaz del Castillo (Historia Verdadera, eh. 174) que le massacre de Cholula, un des faits les plus sombres de la geste cortésienne, paraissait excusable aux yeux de Motolinia, puisqu'il avait en fin de compte contribué au succès de l'entreprise.

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de toute façon, relevait d'un passé déjà lointain dont il n'était nulle- ment nécessaire de rappeler, fût-ce pour les justifier, les drames trop réels (10). En revanche, les formes établies d'exploitation colo- niale, non pas tant l'esclavage, dont Motolinia avait raison de souli- gner qu'il était alors en régression, mais l'indéracinable encomienda, que Las Casas avait stigmatisée dans VOctavo Remedio, et dont il s'employait vers 1555 à mettre en échec la « perpétuité », apparais- saient aux missionnaires - à certains d'entre eux tout au moins - comme la condition d'une permanence espagnole qui leur garantis- sait en même temps la possibilité de mener à son terme leur indécli- nable mission apostolique.

Cette collusion objective avec les intérêts coloniaux, conséquence d'une vocation aussi sincère dans ses aspirations spirituelles qu'ac- commodante avec les réalités matérielles de la colonisation, ne tra- duisait sans doute pas une unanimité de tendances chez les Frères Mineurs. Bien des choses restent obscures dans la fin de carrière de Motolinia. Est-ce vraiment le même homme, à moins d'un an d'intervalle, qui dénonce le dénonciateur Las Casas et vante la dou- ceur de la domination espagnole dans sa lettre à Charles Quint du l*r février 1555, et qui signe en bonne place, le 20 novembre de la même année, une autre lettre, collective, au Conseil des Indes dans laquelle les Franciscains, en termes lascasiens (n), se font les défenseurs des indigènes opprimés ? Il est vrai que par-delà ce vibrant plaidoyer, le clergé séculier et d'abord l'épiscopat était visé autant ou plus que la monarchie ou les colons. Il reste que fray Tori- bio, un peu plus tard, allait être désavoué et durement sanctionné (puisque puni de prison) par ses frères d'habit. Georges Baudot y voit (p. 313) « une réaction maladroite des autorités séraphiques » aux « excès des espérances millénaristes » de Motolinia. On doit conclure en tout cas que celui-ci était désormais - mais depuis quand ? - un isolé parmi les siens. Etait-ce uniquement son anti- lascasisme épidermique qui le poussait, en février 1555, à faire l'apo- logie de la colonisation ? Est-il tout à fait sûr que la lettre collective du 20 novembre de cette année-là porte exactement témoignage des

(10) La lettre, cependant, dans sa dernière partie, évoque la modération de Cortés dans les combats. Il est vrai que Cortés ne fut pas un des conquistadors les plus cruels. Mais quand le Franciscain fait observer qu'il préférait blesser que tuer, et que, selon lui, « más temor ponia ir un indio herido que quedar dos muertos en el campo », on ne peut s'empêcher de songer, par exemple, aux cinquante malheureux messagers tlaxcaltèques à qui il fit couper les mains avant de les renvoyer chez eux.

(11) « Está el cordero a los pechos de la madre que aun no tiene lana y ya le quieren tresquilar, y pluguiese a Dios que no fuese desollar » (c'est nous qui soulignons). Nous ne voyons pas très bien pourquoi Georges Baudot estime que ce n'est pas là « le style » de Las Casas.

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« soucis les plus significatifs du crépuscule de sa vie » (p. 310) ? Avec ce Motolinia vieillissant, l'utopie millénariste ne perd-elle pas cette générosité première si perceptible quelque vingt ans plus tôt dans les admirables plaidoyers indigénistes d'un Fuensalida ou d'un Tasterà, et toujours sensible dans l'authentique esprit évangéli- que d'un fray Andrés de Olmos, cet autre vétéran resté fidèle, lui, au meilleur de sa vocation ? Il nous semble que ces questions valaient au moins d'être posées.

Le chapitre IX et dernier aborde l'importante et déroutante question de la confiscation des chroniques mexicaines et de l'interdit des travaux ethnographiques. A cette fin est d'abord évoquée la pro- hibition officielle, en 1577-1578, de l'œuvre à peine achevée de fray Bernardino de Sahagún, décision aussitôt étendue rétroactive- ment à celles de ses prédécesseurs. L'ampleur réelle de ces mesures, et leur apparente incohérence, ne vont pas sans soulever quelques problèmes, la question primordiale restant évidemment celle de leur raison d'être. Georges Baudot analyse et regroupe opportunément en faisceau un ensemble de circonstances propres à expliquer les inquiétudes de la Couronne : cortésianisme toujours inconditionnel des Franciscains à l'époque de la conspiration séparatiste de Mar- tin Cortés, révoltes indigènes dans plusieurs régions périphériques, renouveau des prétentions des descendants de Moctezuma, influence sur le Conseil des Indes de la politique anti-indienne du vice-roi Toledo au Pérou (12). Quant à la relative soudaineté du revirement de la tendance officielle, il ne fait guère de doute à nos yeux qu'elle s'explique essentiellement par la disparition, en 1575, du licencié Juan de Ovando, président hors de pair du Conseil des Indes. Après sa mort Philippe II allait aveuglément « amputer le Mexique - selon l'heureuse formule finale de Baudot - d'une grande part de son identité, parce qu'il ne voulait y voir qu'un avatar lointain et rassurant de l'Espagne. »

On s'attardera peu sur l'appareil de consultation placé en fin d'ouvrage : chronologie, bibliographie, index et tables. Certaines œuvres sont citées dans des éditions peu accessibles : nous pensons

(12) Sur ce dernier point, il n'est peut-être pas sans intérêt d'observer que Motolinia, dans sa lettre du lep février 1555, développait déjà, à propos des « usurpateurs » aztèques, un réquisitoire comparable à celui que présenterait Toledo pour disqualifier la tyrannie incaïque. On ne peut manquer d'être frappé, d'un autre côté, par les étroites ressemblances entre l'antilascasisme du Franciscain, dont il faudrait, une bonne fois, sonder les profondeurs, et celui, seize ans plus tard, de l'anonyme de Yucay, dont le célèbre Parecer - aussi célèbre, et pour cause, que la lettre de Motolinia - sera la pièce maîtresse de l'information <c tolédienne » (cf. Bataillon, « Comentario a un famoso Parecer contra Las Casas », dans Etudes..., op. cit., p. 273 sq.).

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Page 11: Utopie et Histoire au Mexique. Les premiers chroniqueurs de la civilisation mexicaine (1520-1569)by Georges BAUDOT

222 C. DE CARAVELLE

notamment au Diccionario d'Alcedo, aux Cartas de Indias publiées par le Ministerio de Fomento ou à la Crónica de Cervantes de Sala- zar, qui figurent pourtant dans la B.A.E. S'il est bien, d'autre part, d'avoir reproduit, chemin faisant, plusieurs textes d'archives, un catalogue général des documents cités aurait pu rendre quelques services. Signalons pour finir, au niveau d'une rédaction par ailleurs élégante, un certain nombre d'hispanismes (intenter, approximation, apportation...), rançon de la spécialité de base de l'auteur, et quel- ques lourdeurs « pédagogiques », au demeurant fort excusables chez un chercheur qui est aussi un enseignant. Si défauts il y a, il va sans dire qu'ils n'affectent d'aucune façon la qualité foncière de cette importante étude, que nul ne pourra ignorer désormais qui s'inté- resserait aux premiers chroniqueurs de la civilisation mexicaine.

André SAINT-LU.

Albert GARCIA. - La découverte et la conquête du Pérou, d'après les sources originales. - Paris, Klincksieck, 1975. - XVIII - 778 p. (Coll. Publications de l'Université de Paris X-Nanterre, Série A, Thèses et Travaux, 30).

L'ouvrage de A. Garcia est le fruit d'un travail considérable. L'au- teur a dépouillé, avec un soin exceptionnel, les dix-neuf sources im- primées de la découverte et de la conquête du Pérou. Il s'agit uni- quement de textes de chroniqueurs et d'historiens espagnols du XVIe siècle, appelés communément Historiadores primitivos depuis Francisco de Jerez (1523) jusqu'à Juan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamaygua (1620). C'est à partir de ces sources originales que le récit est élaboré. C'est dire que la méthode suivie par M. Gar- cia se situe dans la solide tradition de la critique interne des textes. M. Garcia fait revivre pour neus un moment important du passé colo- nial hispanique, tel qu'il a été vu ou ressenti par des témoins directs, pour la plupart, de la conquête. On se doutait, à la lecture des chro- niqueurs les plus connus, notamment de Tinca Garcilaso de la Vega, que certains témoignages n'étaient pas également dignes de foi. C'est pourquoi l'auteur, dont l'attention avait été attirée, à plusieurs reprises, par les contradictions que Ton peut relever entre divers récits de la conquête, a voulu, en confrontant les textes, restaurer pour nous, non point surtout ce que l'on appelle abusivement la véri- té historique, mais la vérité psychologique, interne, subjective de chacun des auteurs ou des témoins du drame. Nous ne sommes donc

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