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Communication Vers une psychiatrie cognitive de reme ´ diation sur le mode ` le de la me ´ decine physique et de re ´ adaptation Towards a cognitive psychiatry and rehabilitation, based on the model of physical medicine and rehabilitation Brice Martin a,b,c , Cle ´ lia Quile `s d,e,f , Vincent Schaer g, * a Service universitaire de re ´habilitation, centre hospitalier le Vinatier, 69677 Bron, France b Universite ´ Lyon-I, 69000 Lyon, France c CNRS, UMR 5229, France d Poˆle universitaire de psychiatrie adulte, centre hospitalier Charles-Perrens, 33000 Bordeaux, France e Universite ´ de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France f Inserm, U657, 33000 Bordeaux, France g Centre national de traitement MGEN, 2, rue du lac, 92500 Rueil-Malmaison, France 1. Introduction La deuxie `me moitie ´ du XX e sie ` cle a permis des e ´ volutions majeures de la compre ´ hension des troubles psychiques, de leur traitement et de l’adaptation des syste ` mes de soins. L’apparition Annales Me ´ dico-Psychologiques 172 (2014) 772–776 I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Disponible sur Internet le 22 septembre 2014 Mots-cle ´s : Reme ´ diation cognitive Re ´ adaptation Re ´ habilitation Re ´ tablissement Keywords: Cognitive remediation therapy Rehabilitation Recovery R E ´ S U M E ´ L’efficacite ´ re ´ elle mais incomple ` te et inconstante des psychotropes a longtemps confronte ´ le mode ` le de soin a ` la question de la re ´ insertion et de la prise en compte des sympto ˆmes re ´ siduels des patients. Depuis une trentaine d’anne ´ es, l’e ´ volution des connaissances the ´ oriques sur les troubles psychiques, tant au plan de la psychopathologie que des connaissances fondamentales, a toutefois permis d’envisager de nouvelles cibles the ´ rapeutiques. Avec le mode ` le de Wood, issu de la me ´ decine physique et de re ´ adaptation, ces connaissances permettent a ` la psychiatrie de formaliser un mode `le de soin de re ´ adaptation tenant compte des diffe ´ rents besoins du patient, pour lui permettre de revenir a ` un fonctionnement optimal dans son milieu et de se re ´ tablir du traumatisme de la maladie. Ce mode `le de re ´ adaptation psychiatrique, par ne ´ cessite ´ multidisciplinaire, constitue un profond renouvellement de la place du psychiatre dans les soins des patients atteints de troubles graves ou chroniques. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´ s. A B S T R A C T The actual but inconstant and partial efficiency of psychoactive drugs long exposed the care model to the issue of rehabilitation and treatment of patient’s residual symptoms. However, for the last thirty years, improvement of our theoretical knowledge on psychiatric diseases, as in psychopathology and in pure research, has enabled to think about new therapeutics. Moreover, the Wood’s model in physical medicine and rehabilitation gives psychiatry a new model for rehabilitation programs, in which patients’ needs are highly regarded in order for him to get back to an optimum global functioning, and to recover from illness’ trauma. This psychiatric cognitive and rehabilitation model, necessarily multidisciplinary, leads to deep change in psychiatrist’s job in treating patients with serious or chronic mental illnesses. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Schaer). Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.08.017 0003-4487/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s.

Vers une psychiatrie cognitive de remédiation sur le modèle de la médecine physique et de réadaptation

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Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 772–776

Communication

Vers une psychiatrie cognitive de remediation sur le modele de lamedecine physique et de readaptation

Towards a cognitive psychiatry and rehabilitation, based on the model of

physical medicine and rehabilitation

Brice Martin a,b,c, Clelia Quiles d,e,f, Vincent Schaer g,*a Service universitaire de rehabilitation, centre hospitalier le Vinatier, 69677 Bron, Franceb Universite Lyon-I, 69000 Lyon, Francec CNRS, UMR 5229, Franced Pole universitaire de psychiatrie adulte, centre hospitalier Charles-Perrens, 33000 Bordeaux, Francee Universite de Bordeaux, 33000 Bordeaux, Francef Inserm, U657, 33000 Bordeaux, Franceg Centre national de traitement MGEN, 2, rue du lac, 92500 Rueil-Malmaison, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Disponible sur Internet le 22 septembre 2014

Mots-cles :

Remediation cognitive

Readaptation

Rehabilitation

Retablissement

Keywords:

Cognitive remediation therapy

Rehabilitation

Recovery

R E S U M E

L’efficacite reelle mais incomplete et inconstante des psychotropes a longtemps confronte le modele de

soin a la question de la reinsertion et de la prise en compte des symptomes residuels des patients. Depuis

une trentaine d’annees, l’evolution des connaissances theoriques sur les troubles psychiques, tant au

plan de la psychopathologie que des connaissances fondamentales, a toutefois permis d’envisager de

nouvelles cibles therapeutiques. Avec le modele de Wood, issu de la medecine physique et de

readaptation, ces connaissances permettent a la psychiatrie de formaliser un modele de soin de

readaptation tenant compte des differents besoins du patient, pour lui permettre de revenir a un

fonctionnement optimal dans son milieu et de se retablir du traumatisme de la maladie. Ce modele de

readaptation psychiatrique, par necessite multidisciplinaire, constitue un profond renouvellement de la

place du psychiatre dans les soins des patients atteints de troubles graves ou chroniques.

� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

The actual but inconstant and partial efficiency of psychoactive drugs long exposed the care model to the

issue of rehabilitation and treatment of patient’s residual symptoms. However, for the last thirty years,

improvement of our theoretical knowledge on psychiatric diseases, as in psychopathology and in pure

research, has enabled to think about new therapeutics. Moreover, the Wood’s model in physical

medicine and rehabilitation gives psychiatry a new model for rehabilitation programs, in which patients’

needs are highly regarded in order for him to get back to an optimum global functioning, and to recover

from illness’ trauma. This psychiatric cognitive and rehabilitation model, necessarily multidisciplinary,

leads to deep change in psychiatrist’s job in treating patients with serious or chronic mental illnesses.

� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (V. Schaer).

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.08.017

0003-4487/� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

1. Introduction

La deuxieme moitie du XXe siecle a permis des evolutions

majeures de la comprehension des troubles psychiques, de leurtraitement et de l’adaptation des systemes de soins. L’apparition

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des psychotropes a partir des annees 1950 a renouvele lesperspectives de la therapeutique medicale, de la psychotherapieet de la recherche. Les connaissances medicales et psychologiquesont evolue, se sont voulues plus systematiques, et insistentdesormais sur le caractere multifactoriel des troubles et sur leurpotentielle reversibilite. Dans la societe, la desinstitutionalisationdue au cout exorbitant de la politique asilaire, les experiences de lapsychiatrie communautaire, de la psychotherapie institutionnellevoire de l’antipsychiatrie ont apporte a partir des annees 1960 et1970 de nombreux elements sur l’evolution des troubles et sur lesprises en charge non medicales. Par ailleurs, depuis les annees1980, les mouvements d’usagers ont insiste a leur tour sur lesdroits et les libertes des personnes malades et de leur entourage, etsur leur volonte d’etre impliques directement dans le processus desoins (« rien sur nous sans nous »). L’ensemble de ces evolutionspermet depuis une vingtaine d’annees de repenser les soinsproposes aux patients souffrant de troubles psychiatriqueschroniques, et de les rapprocher de conceptions issues de lamedecine physique et de readaptation.

2. Psychotropes et renouvellement des enjeux de soins

L’apparition des psychotropes au tournant des annees 1950 apermis pour la premiere fois aux psychiatres d’apporter unsoulagement symptomatique notable aux patients souffrant detroubles psychiques graves. En reduisant de facon spectaculairele nombre d’hospitalisations en un peu plus d’un quart de siecle,l’apparition des psychotropes a egalement permis de soulager unsysteme asilaire a bout de souffle. Sous l’effet de courantsideologiques aussi bien que de necessites economiques, lareduction considerable sur la meme periode du nombre de litsdisponibles a pu avoir pour resultat un fonctionnement des soinsparfois decrit comme le « syndrome du tourniquet ». Cetteexpression, qui designe les allers et retours des patients entre unmilieu hospitalier tres structure et un milieu ouvert moinsprepare, temoigne des difficultes d’adaptation qu’a connues lesysteme de soins face a des troubles psychiatriques sensiblementameliores mais encore fluctuants, aussi bien que des difficultesrencontrees par les patients pour la prise en compte de leurstroubles residuels dans leur reinsertion [14]. En effet, praticienset patients se sont trouves confrontes a l’efficacite reelle maisinconstante et incomplete de la chimiotherapie. Dans le cas de laschizophrenie, 20 a 30 % des patients ne repondraient pas autraitement par neuroleptiques [2], tandis que plus de la moitieconserveraient des symptomes psychotiques a minima audecours des episodes aigus [12]. Par ailleurs, malgre leurmeilleure tolerance neurologique, les traitements de deuxiemegeneration engendrent une proportion similaire d’interruptiontherapeutique [9]. Les memes difficultes se rencontreraient dansle traitement du trouble bipolaire, pour lequel le traitement nepermettrait un soulagement symptomatique total qu’un peuplus de la moitie du temps [7], ou dans celui de l’episodedepressif majeur, dont un peu plus du tiers ne repondrait pas aune strategie en deux temps de traitement par antidepresseurs[15].

Il n’est donc pas surprenant que se soit developpe commealternative au modele medical dominant le courant de larehabilitation psychosociale pour accompagner les patientssouffrant de troubles psychiatriques. Ce mouvement, qui definitson action comme le « processus qui facilite le retour d’un individua un niveau optimal de fonctionnement autonome dans lacommunaute », voulait insister sur les forces de l’individu plutotque sur sa maladie, et viser particulierement a sa readaptation al’education, au travail, aux loisirs et au logement, sujets souventsecondaires dans le projet medical [3].

3. Renouvellement de la comprehension des troublespsychiques

L’evolution des connaissances en psychologie cognitive et enneuropsychologie, confrontees aux donnees de champs theoriquesproches, a permis depuis une trentaine d’annees de tenter deformaliser de nouvelles bases psychopathologiques permettantd’expliquer ou de relier entre eux les symptomes classiques.L’interet de cette approche est notamment de permettre ladefinition progressive de cibles precises pour la therapeutique,comme le montre l’exemple des schizophrenies. Dans ces troubles,les modeles d’Hemsley (1977) sur le traitement de l’information,puis de Frith (1992) sur la representation interne des intentionspropres et d’autrui constituent des exemples d’une comprehensionrenouvelee des troubles psychotiques proposee par les sciencescognitives [5]. De ces modeles emergent des applicationsdesormais reconnues dans la prise en charge de ces troubles,comme la remediation cognitive qui permet d’en pallier lesdifficultes frequentes en matiere de neuro-cognition, de cognitionsociale ou de metacognition.

En parallele a ces apports cliniques, la comprehension destroubles psychiques a beneficie des apports des recherches engenetique et en neurosciences pour mieux apprehender lacomplexite de leur developpement et leur polymorphisme. Lemodele « vulnerabilite-stress » (Ciompi) formalise ainsi l’appari-tion d’une maladie psychique comme produit de l’interaction dedeux dimensions indispensables :

� une vulnerabilite neuropsychologique, propre a chaque individu,regroupant la predisposition genetique, les anomalies neuro-developpementales et les variances du fonctionnementneurophysiologique ;� des stresseurs environnementaux, ensemble aspecifique

incluant les complications obstetricales et perinatales, lestraumatismes de l’enfance et de l’adolescence, les stress deperformance, l’exposition a des substances psychoactives, etc.

Pour illustration, la definition des troubles schizophreniques aoscille au XX

e siecle entre maladie biologique, dysfonctionnementpsychologique et construction sociale ; les avancees que nousvenons tres brievement d’evoquer permettent desormais derassembler ces perspectives dans une « trajectoire dedeveloppement » et de considerer leur apparition commel’emergence rare au-dela d’un seuil symptomatique d’un desequi-libre du systeme biologique, cognitif et comportemental, sousl’effet de l’environnement [6,16] (Fig. 1).

La notion de « trajectoire » permet d’attirer notre attention surl’interet d’une intervention precoce si possible, et sur lavulnerabilite engendree par les symptomes residuels ; elle permetcependant aussi d’envisager le role de facteurs protecteurs arenforcer, et des cibles therapeutiques.

3.1. Modele de Wood

Le modele medical classique s’appuie sur l’usage principal d’unetechnique therapeutique pour une pathologie donnee, conduisantsoit a la guerison (avec ou sans sequelles), soit a l’echec.L’apparition de traitements permettant de stabiliser des troublesseveres sans parvenir a une remission fonctionnelle complete acependant remis en cause cette vision de la maladie. La distinctionoperee par Wood (1973) entre quatre niveaux d’atteinte distinctsd’un individu par sa maladie a permis d’apprehender differemmentles soins a apporter dans de telles situations.

Le premier niveau, medicalement classique, reste celui de lapathologie, c’est-a-dire de la lesion ou anomalie causant lamaladie. C’est le moins accessible a l’heure actuelle dans les

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Fig. 1. Relation vulnerabilite-stress dans les troubles schizophreniques [16].

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troubles psychiatriques. Le deficit correspond a la perte oul’anomalie d’une fonction particuliere, secondaire a la pathologieet aux lesions qui la caracterisent. Dans le cas de la schizophrenie, ils’agirait, par exemple, des alterations du fonctionnement cerebralconduisant aux troubles cognitifs ou aux symptomes delirants. Letroisieme niveau d’impact d’une maladie sur l’individu est celui del’invalidite. Il s’agit de l’incapacite d’accomplir une activiteconsideree comme normale pour tout etre humain. On peut, parexemple, considerer la perte des habiletes sociales comme uneinvalidite touchant les personnes souffrant de schizophrenie.Enfin, le quatrieme niveau d’impact est celui du handicap, c’est-a-dire, du desavantage resultant de l’invalidite qui empeche lapersonne d’assumer un role considere comme normal pour unindividu selon son age, sa culture, etc. Le chomage ou ladesinsertion sociale sont des exemples de handicap dans laschizophrenie, resultant potentiellement de l’invalidite en matiered’habiletes sociales.

Il importe dans ce modele de souligner le caractere fluctuantdes differentes atteintes : du fait de l’evolution de la pathologie etdes deficits, mais aussi de l’invalidite (toutes les habiletes ne sontpas requises de la meme maniere a des ages differents) et surtoutdu handicap (les roles sociaux a endosser pouvant varier avec letemps, comme les regards sur la personne).

3.2. Le modele de readaptation psychiatrique

Le developpement du modele de readaptation psychiatrique apour objectif d’aider les personnes aux prises avec une incapacitepsychique a surmonter cette incapacite, en tenant compte desdifferents niveaux d’impact de leur maladie et en leurpermettant de beneficier des interventions adaptees a leursbesoins. Il s’agit d’un processus ouvert, ou la notion medicale de

Tableau 1Interventions et objectifs de la readaptation psychiatrique [1].

Niveau d’impact Intervent

Pathologie Lesion Traitemen

Deficit Anomalie fonctionnelle

Invalidite Incapacite activite ordinaire humaine Readapta

Handicap Desavantage dans l’accomplissement

social et personnel

Rehabilita

Retablisse

guerison ou de cure s’efface au profit des notions de soin etd’accompagnement.

Le premier objectif de la readaptation psychiatrique est doncd’arriver a reduire et controler pathologie et deficits lies a lamaladie psychique. C’est l’aspect le plus lie au role medicaltraditionnel, et on utilise classiquement pour ce niveau de soin leterme de « traitement ». Le deuxieme objectif de soin est lareadaptation (ici dans un sens restreint) qui a pour but de pallierl’invalidite induite par les troubles. Il s’agit pour le sujet malade deretrouver ou d’acquerir des « savoir-faire » bloques par la maladie,de developper et/ou entraıner des habiletes variees lui permettantde retrouver les moyens d’agir en tenant compte de ses deficits etde ses capacites. La rehabilitation vise par la suite a « retablir lapersonne dans ses droits, dans l’estime publique et dans laconsideration d’autrui », c’est-a-dire, a reduire le handicapresultant de la maladie. Il s’agit de modifier les perceptions etles attitudes alimentees par les prejuges, aussi bien de la partd’autrui envers la personne malade que de la personne maladeenvers elle-meme. Enfin, le retablissement est un processus actifnon limite de redefinition identitaire, fonde sur l’experiencesubjective de la personne, lui permettant de sortir de l’identite demalade en ayant surmonte la maladie [1] (Tableau 1).

Ces niveaux d’intervention sont plus complementaires quechronologiquement distincts. L’intensite de l’exploitation dechacun des niveaux par l’equipe soignante a un moment donnedependra des possibilites offertes par le projet du patient et parl’evaluation de son etat de sante.

4. Traitement

Le traitement psychotrope est l’element dont l’efficacite est lamieux evaluee. Cette efficacite depend cependant de l’adhesion au

ion Objectif recherche

t Controler les causes et les symptomes

tion Developper de nouvelles habiletes

tion Retrouver les moyens d’agir (favoriser la reinsertion sociale)

ment Processus de redefinition identitaire

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principe du traitement, de l’observance et de la tolerance desmolecules. Par ailleurs, il n’est pas sans risque et implique unesurveillance clinique et biologique adaptee. Enfin, et c’est la toutl’objet du processus de readaptation psychiatrique, aucun medica-ment ne peut a l’heure actuelle developper les habiletes de lapersonne et lui fournir les appuis exterieurs necessaires a sa viedans la communaute.

En complement, l’efficacite de la psychoeducation a etemontree pour de nombreuses pathologies. Il s’agit de fournirune information adaptee a propos de la maladie et des soins a lapersonne et a son entourage, sous une forme permettant sonappropriation personnelle, notamment par l’echange avec les pairset ce qu’il implique de decentration et de modelage. L’objectif estde favoriser des changements de comportements pour mieux gererla maladie et ses consequences personnelles et familiales, etinsuffler l’espoir.

Enfin, le traitement doit fournir un environnement socialapaisant et sur, propre a apaiser une crise et a maintenir laremission ulterieure. L’instauration d’une relation de confiance, lasurveillance et le reconfort des symptomes, la reduction desstimulations, l’attention portee a la sante corporelle et a l’hygienepeuvent entrer dans cet apaisement initial.

4.1. Readaptation

La readaptation psychiatrique vise a permettre au patient derevenir a un niveau de fonctionnement autonome optimal dans sonmilieu – comme on l’a dit plus haut, a retrouver un « savoir-faire »lese ou non acquis du fait de la maladie. Differents auteurs ontformalise des principes, issus de la rehabilitation psychosociale,servant de guide a des interventions guidees par l’eclectisme et lepragmatisme. Les deux interventions fondamentales sont lerenforcement des habiletes de la personne et le developpementdes soutiens environnementaux. L’amelioration des capacites etdes habiletes des personnes constitue une preoccupationessentielle ; on cherche a maximiser la sante autant qu’a reduirela maladie, dans les environnements precis qui sont frequentes,avec un effort tout particulier sur les conditions residentielles,educationnelles et professionnelles. On insiste egalement sur l’ideeque soutenir temporairement la dependance peut entraıner uneamelioration du fonctionnement autonome du patient. Dans cetteperspective, il peut etre necessaire initialement de faire pour lapersonne ce qu’elle n’est pas en etat d’accomplir (delivrance dutraitement, mesures d’aide sociale, etc.), avec pour objectif des quepossible de le faire avec elle (prise du traitement, demarches, etc.).Dans un deuxieme temps, le developpement de meilleurescapacites d’adaptation permettra aux intervenants de faire fairepar la personne les actions necessaires a l’amelioration de sa sante,pour arriver finalement a la laisser faire. L’implication desindividus suivis constitue le dernier point essentiel ; le manquede motivation doit faire rechercher des alternatives, en ayantconscience que le processus de motivation peut prendre du temps,et ne peut s’appuyer que sur un espoir raisonnable, elementessentiel du processus [1]. L’apprentissage, le reapprentissage ou lacompensation de taches domestiques ou administratives indis-pensables sont autant de terrains sur lesquels pourra s’exercer untravail de readaptation en psychiatrie, au meme titre que laremediation de troubles cognitifs eventuels, l’entraınement deshabiletes sociales, l’amelioration de la communication familiale oula definition et la realisation d’un projet de logement, de formationou de travail.

4.2. Rehabilitation

Les interventions de la rehabilitation visent a modifier lesperceptions et les attitudes alimentees par les prejuges a propos

des maladies mentales. La stigmatisation emane bien sur du regardd’autrui et de la societe sur les incapacites et ce qui singularise lapersonne malade, mais aussi de la perception devalorisee d’elle-meme que peut avoir la personne – du fait de sa maladie commedes consequences de celles-ci sur son parcours social. Des etudesont montre que l’auto-stigmatisation chez les patients etait unfacteur suffisamment puissant pour reduire dans leur retablisse-ment ulterieur les effets normalement positifs, d’une part, del’espoir suscite par les soins et, d’autre part, d’une estime de soifavorable [10]. La rehabilitation est ainsi un enjeu a trois niveaux :

� nous interroger sur nos valeurs et nos attitudes par rapport a lamaladie et a la faiblesse ;� valoriser dans nos interventions la personne et ses reussites

(plutot que pointer ses defaillances) pour lui permettre deretrouver un sentiment d’emprise sur la realite et de dignite ;� agir enfin sur la societe pour diminuer les prejuges et faciliter

l’acces aux soins et aux services.

Sur ce dernier point, la reconnaissance de la notion de handicappsychique par la loi du 11 fevrier 2005 a constitue un progresautant qu’une incitation a renforcer les actions de rehabilitationdirigees vers les institutions. Le travail de sensibilisation et departenariat avec les differents intervenants amenes a detecter lespersonnes a risque ou a intervenir aupres des personnes maladespeut en effet faciliter le recours aux soins ou ameliorer l’efficacitedes demarches d’accompagnement ou de compensation prevuespar la loi, et faciliter ainsi la prise en charge medicale et lareinsertion des malades.

4.3. Retablissement

Le concept de retablissement a ete introduit dans le prolonge-ment des travaux sur la readaptation et la rehabilitation, pourpallier l’impossibilite d’une classique restitutio ad integrum dansdes troubles chroniques comme la schizophrenie en psychiatrie[11]. Le retablissement peut etre approche de maniere « objective »comme l’aboutissement d’une evolution suffisante, pour lequel descriteres pourraient etre etablis. Liberman et al. [8] ont, parexemple, propose a propos de la schizophrenie que soit considerecomme retabli un patient presentant pendant deux ans uneremission symptomatique associee a un fonctionnement socialsatisfaisant (emploi la moitie du temps, vie independante,relations sociales extrafamiliales satisfaisantes, gestion des tachesdomestiques et administratives basiques). Cette approche plutotmedicale est dependante des criteres et des seuils choisis, mais al’avantage de permettre une evaluation simplifiee en routine, doncune meilleure integration dans les conceptions et les pratiquessoignantes.

Une approche plus « subjective » a parallelement ete proposee,pour envisager le retablissement comme un processus dynamique.Ce modele, plus psychologique, s’appuie sur l’etude destemoignages de personnes s’etant « remises » de maladiepsychiatrique severe pour decrire les evolutions de l’identiteportee par la personne au decours de cette « catastrophepsychologique » qu’est sa maladie [13]. Quatre elements indis-pensables a ce processus sont etablis sur la base de cestemoignages et constituent donc de fait des objectifs therapeu-tiques potentiels, accessibles, par exemple, aux psychotherapies :

� l’espoir comme catalyseur ;� la redefinition positive de son identite, qui necessite de

distinguer ce qui releve de la maladie de ce qui releve de soi,mais permet de lutter contre ces deux consequences de lamaladie que sont la perte d’identite propre (alienation) et sa non-prise en compte (stigmatisation) ;

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� la redecouverte d’un sens a la vie, c’est-a-dire, la conception denouveaux buts et de nouvelles valeurs ;� enfin, la possibilite de prendre une part de responsabilite

personnelle (empowerment) dans sa remission par la gestion desa sante, de ses choix de vie, voire de certains risques mesures.

De plus, differentes etapes psychologiques sont alors identifia-bles dans ce processus de retablissement (du moratoire a lacroissance), ce qui pourrait permettre aux soignants de mieuxadapter leurs interventions en fonction des capacites mobilisableschez la personne malade [4]. Ce point nous permet d’insister sur laplace indispensable de la psychotherapie dans les soins dereadaptation psychiatrique : les Therapies Cognitivo-Comporte-mentales et leurs evolutions recentes (Therapie d’Acceptation etd’Engagement, ACT, ou Therapie Comportementale Dialectique,CBT, par exemple) permettront au patient de retrouver uneinfluence sur ses symptomes ; les Therapies Systemiques four-niront une aide souvent precieuse dans l’apaisement de l’environ-nement relationnel ; les psychotherapies narratives seront quant aelles un appui au processus de retablissement. L’ensemble de cestechniques renforceront utilement la reconnaissance desressources du patient et sa destigmatisation, pour mieux develop-per son autonomie.

5. Conclusion

Esquisser les evolutions recentes des connaissances theoriques,cliniques et therapeutiques permet de mesurer l’ampleur deschangements a apporter a nos representations des maladiespsychiques, des personnes souffrant de ces maladies, et des soins aleur apporter, ce dont temoigne egalement l’implantation inegaleet tres graduelle des modalites de readaptation psychiatrique dansles centres de traitement. Les maladies que nous traitons sont lefruit d’un processus conjuguant des facteurs variables, aboutissantfinalement rarement a une expression symptomatique et par la aune attention medicale. En ce sens, normalite et pathologie neconnaissent pas de solution de continuite clinique, et si l’expe-rience des patients est certainement qualitativement differente decelle d’autrui, elle n’est en aucun cas amoindrie. Quant aux soins,leur objectif n’est plus de stabiliser une maladie au pronosticineluctable, mais de permettre l’identification des facteurs devulnerabilite et de stress pour lesquels il existe des optionstherapeutiques, et de permettre d’appliquer ces options dans lecadre opportun. Plus largement, ils visent a reduire les symptomes,mais surtout le handicap constitue par ces derniers quand ilssubsistent. Du point de vue institutionnel, ces soins impliquentnecessairement par leur diversite un travail multidisciplinaireentre des professionnels apportant des registres d’expertise

specifiques. Dans la mesure ou le medecin ne peut pretendremaıtriser l’ensemble de ces registres d’expertise, les soins dereadaptation psychiatrique s’eloignent considerablement dumodele traditionnel, centre autour de la prescription d’un acteou d’un medicament. Ils necessitent au contraire une etroitecollaboration aussi bien dans l’evaluation que dans l’elaboration duprojet de soin, puis dans l’intervention therapeutique et dansl’accompagnement quotidien. Si l’on se rappelle que ce travail desoins « sur mesure » doit se fonder sur des connaissances recentes,inclure autant que faire se peut le patient lui-meme (doncbeneficier d’une relation therapeutique de qualite), et etre ouvertsur les partenaires non psychiatriques, on mesure a quel point laposition de garant des soins et du cadre tenue par le medecin dansce modele n’est en rien inferieure a la position centrale, maissouvent isolee, tenue dans les modeles anterieurs.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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