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Villiers de L Isle Adam - Contes Cruels-187

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Vera

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  • 1Les Demoiselles de Bienfilatre Monsieur Thodore de Banville.

    De la lumire !

    Dernires Paroles de Goethe.Pascal nous dit quau point de vue des faits, le Bien et le Mal sont

    une question de latitude . En effet, tel acte humain sappelle crime, ici,bonne action, l-bas, et rciproquement. Ainsi, en Europe, lon chrit,gnralement, ses vieux parents ; en certaines tribus de lAmrique on leurpersuade de monter sur un arbre ; puis on secoue cet arbre. Sils tombent, ledevoir sacr de tout bon fils est, comme autrefois chez les Messniens, de lesassommer sur-le-champ grands coups de tomahawk, pour leur pargner lessoucis de la dcrpitude. Sils trouvent la force de se cramponner quelquebranche, cest qualors ils sont encore bons la chasse ou la pche, et alorson sursoit leur immolation. Autre exemple : chez les peuples du Nord,on aime boire le vin, flot rayonnant o dort le cher soleil. Notre religionnationale nous avertit mme que le bon vin rjouit le cur . Chez lemahomtan voisin, au sud, le fait est regard comme un grave dlit. Sparte, le vol tait pratiqu et honor : ctait une institution hiratique, uncomplment indispensable lducation de tout Lacdmonien srieux. Del, sans doute, les grecs. En Laponie, le pre de famille tient honneur quesa fille soit lobjet de toutes les gracieusets dont peut disposer le voyageuradmis son foyer. En Bessarabie aussi. Au nord de la Perse, et chez lespeuplades du Caboul, qui vivent dans de trs anciens tombeaux, si, ayantreu, dans quelque spulcre confortable, un accueil hospitalier et cordial,vous ntes pas, au bout de vingt-quatre heures, du dernier mieux avectoute la progniture de votre hte, gubre, parsi ou wahabite, il y a lieudesprer quon vous arrachera tout bonnement la tte, supplice en voguedans ces climats. Les actes sont donc indiffrents en tant que physiques : laconscience de chacun les fait, seule, bons ou mauvais. Le point mystrieuxqui gt au fond de cet immense malentendu est cette ncessit native o setrouve lHomme de se crer des distinctions et des scrupules, de sinterdiretelle action plutt que telle autre, selon que le vent de son pays lui aurasouffl celle-ci ou celle-l : lon dirait, enfin, que lHumanit tout entire aoubli et cherche se rappeler, ttons, on ne sait quelle Loi perdue.

    Il y a quelques annes, florissait, orgueil de nos boulevards, certain vasteet lumineux caf, situ presquen face dun de nos thtres de genre, dont lefronton rappelle celui dun temple paen. L, se runissait quotidiennement

  • 2llite de ces jeunes gens qui se sont distingus depuis, soit par leur valeurartistique, soit par leur incapacit, soit par leur attitude dans les jours troublesque nous avons traverss.

    Parmi ces derniers, il en est mme qui ont tenu les rnes du char deltat. Comme on le voit, ce ntait pas de la petite bire que lon trouvaitdans ce caf des Mille et une nuits. Le bourgeois de Paris ne parlait de cepandmonium quen baissant le ton. Souvente fois, le prfet de la ville yjetait, ngligemment, en manire de carte de visite, une touffe choisie, unbouquet inopin de sergents de ville ; ceux-ci, de cet air distrait et souriantqui les distingue, y poussetaient alors, en se jouant, du bout de leurs sorties-de-bal, les ttes espigles et mutines. Ctait une attention qui, pour tredlicate, nen tait pas moins sensible. Le lendemain, il ny paraissait plus.

    Sur la terrasse, entre la range de fiacres et le vitrage, une pelouse defemmes, une floraison de chignons chapps du crayon de Guys, attifesde toilettes invraisemblables, se prlassaient sur les chaises, auprs desguridons de fer battu peints en vert esprance. Sur ces guridons taientdlivrs des breuvages. Les yeux tenaient de lmerillon et de la volaille.Les unes conservaient sur leurs genoux un gros bouquet, les autres un petitchien, les autres rien. Vous eussiez dit quelles attendaient quelquun.

    Parmi ces jeunes femmes, deux se faisaient remarquer par leur assiduit ;les habitus de la salle clbre les nommaient, tout court, Olympe etHenriette. Celles-l venaient ds le crpuscule, sinstallaient dans uneanfractuosit bien claire, rclamaient, plutt par contenance que parbesoin rel, un petit verre de vespetro ou un mazagran , puis surveillaientle passant dun il mticuleux.

    Et ctaient les demoiselles de Bienfiltre !Leurs parents, gens intgres, levs lcole du malheur, navaient pas

    eu le moyen de leur faire goter les joies dun apprentissage : le mtierde ce couple austre consistant, principalement, se suspendre, chaqueinstant, avec des attitudes dsespres, cette longue torsade qui correspond la serrure dune porte-cochre. Dur mtier ! et pour recueillir, peine etclairsems, quelques deniers Dieu ! ! ! Jamais un terne ntait sorti poureux la loterie ! Aussi Bienfiltre maugrait-il, en se faisant, le matin, sonpetit caramel. Olympe et Henriette, en pieuses filles, comprirent, de bonneheure, quil fallait intervenir. Surs de joie depuis leur plus tendre enfance,elles consacrrent le prix de leurs veilles et de leurs sueurs entretenir uneaisance modeste, il est vrai, mais honorable dans la loge. Dieu bnit nosefforts , disaient-elles parfois, car on leur avait inculqu de bons principeset, tt ou tard, une premire ducation, base sur des principes solides,porte ses fruits. Lorsquon sinquitait de savoir si leurs labeurs, excessifsquelquefois, naltraient pas leur sant, elles rpondaient, vasivement, avec

  • 3cet air doux et embarrass de la modestie et en baissant les yeux : Il y ades grces dtat

    Les demoiselles de Bienfiltre taient, comme on dit, de ces ouvrires qui vont en journe la nuit . Elles accomplissaient, aussi dignementque possible, (vu certains prjugs du monde), une tche ingrate, souventpnible. Elles ntaient pas de ces dsuvres qui proscrivent, commedshonorant, le saint calus du travail, et nen rougissaient point. On citaitdelles plusieurs beaux traits dont la cendre de Monthyon avait d tressaillirdans son beau cnotaphe. Un soir, entre autres, elles avaient rivalisdmulation et staient surpasses elles-mmes pour solder la spulturedun vieux oncle, lequel ne leur avait cependant lgu que le souvenir detaloches varies dont la distribution avait eu lieu nagure, aux jours de leurenfance. Aussi taient-elles vues dun bon il par tous les habitus de la salleestimable, parmi lesquels se trouvaient des gens qui ne transigeaient pas.Un signe amical, un bonsoir de la main rpondaient toujours leur regardet leur sourire. Jamais personne ne leur avait adress un reproche ni uneplainte. Chacun reconnaissait que leur commerce tait doux, affable. Bref,elles ne devaient rien personne, faisaient honneur tous leurs engagementset pouvaient, par consquent, porter haut la tte. Exemplaires, elles mettaientde ct pour limprvu, pour quand les temps seraient durs , pour seretirer honorablement des affaires un jour. Ranges, elles fermaient ledimanche. En filles sages, elles ne prtaient point loreille aux propos desjeunes muguets, qui ne sont bons qu dtourner les jeunes filles de la voierigide du devoir et du travail. Elles pensaient quaujourdhui la lune seuleest gratuite en amour. Leur devise tait : Clrit, Scurit, Discrtion ;et, sur leurs cartes de visite, elles ajoutaient : Spcialits.

    Un jour, la plus jeune, Olympe, tourna mal. Jusqualors irrprochable cette malheureuse enfant couta les tentations auxquelles lexposait plusque dautres (qui la blmeront trop vite peut-tre) le milieu o son tat lacontraignait de vivre. Bref, elle fit une faute : elle aima.

    Ce fut sa premire faute ; mais qui donc a sond labme o peut nousentraner une premire faute ? Un jeune tudiant, candide, beau, dou duneme artiste et passionne, mais pauvre comme Job, un nomm Maxime, dontnous taisons le nom de famille, lui conta des douceurs et la mit mal.

    Il inspira la passion cleste cette pauvre enfant qui, vu sa position,navait pas plus de droits lprouver quve manger le fruit divin delArbre de la Vie. De ce jour, tous ses devoirs furent oublis. Tout alla sansordre et la dbandade. Lorsquune fillette a lamour en tte, va te fairelanlaire !

    Et sa sur, hlas ! cette noble Henriette, qui maintenant pliait, comme ondit, sous le fardeau ! Parfois, elle se prenait la tte dans les mains, doutant

  • 4de tout, de la famille, des principes, de la Socit mme ! Ce sontdes mots ! . criait-elle. Un jour, elle avait rencontr Olympe vtue dunepetite robe noire, en cheveux, et une petite jatte de fer-blanc la main.Henriette, en passant, sans faire semblant de la reconnatre, lui avait dit trsbas : Ma sur, votre conduite est inqualifiable ! Respectez, au moins, lesapparences !

    Peut-tre, par ces paroles, esprait-elle un retour vers le bien.Tout fut inutile. Henriette sentit quOlympe tait perdue ; elle rougit, et

    passa.Le fait est quon avait jas dans la salle honorable. Le soir, lorsque

    Henriette arrivait seule, ce ntait plus le mme accueil. Il y a des solidarits.Elle sapercevait de certaines nuances, humiliantes. Ou lui marquait plus defroideur depuis la nouvelle de la malversation dOlympe. Fire, elle souriaitcomme le jeune Spartiate dont un renard dchirait la poitrine, mais, en cecur sensible et droit, tous ces coups portaient. Pour la vraie dlicatesse, unrien fait plus de mal souvent que loutrage grossier, et, sur ce point, Henriettetait dune sensibilit de sensitive. Comme elle dut souffrir !

    Et le soir donc, au souper de la famille ! Le pre et la mre, baissant latte, mangeaient en silence. On ne parlait point de labsente. Au dessert, aumoment de la liqueur, Henriette et sa mre, aprs stre jet un regard, ladrobe, et avoir essuy une larme respective, avaient un muet serrementde main sous la table. Et le vieux portier, dsaccord, tirait alors le cordon,sans motif, pour dissimuler quelque pleur. Parfois, brusque et en dtournantla tte, il portait la main sa boutonnire comme pour en arracher de vaguesdcorations.

    Une fois, mme, le suisse tenta de recouvrer sa fille. Morne, il prit surlui de gravir les quelques tages du jeune homme. L : Je dsireraisma pauvre enfant ! sanglota-t-il. Monsieur, rpondit Maxime, je laime, etvous prie de maccorder sa main. Misrable ! stait exclam Bienfiltreen senfuyant, rvolt de ce cynisme .

    Henriette avait puis le calice. Il fallait une dernire tentative ; elle sersigna donc risquer tout, mme le scandale. Un soir, elle apprit que ladplorable Olympe devait venir au caf rgler une ancienne petite dette :elle prvint sa famille, et lon se dirigea vers le caf lumineux.

    Pareille la Mallonia dshonore par Tibre et se prsentant devant lesnat romain pour accuser son violateur, avant de se poignarder en sondsespoir, Henriette entra dans la salle des austres. Le pre et la mre,par dignit, restrent la porte. On prenait le caf. la vue dHenriette,les physionomies saggravrent dune certaine svrit ; mais commeon saperut quelle voulait parler, les longues plaquettes des journaux

  • 5sabaissrent sur les tables de marbre et il se fit un religieux silence : ilsagissait de juger.

    Lon distinguait dans un coin, honteuse et se faisant presque invisible,Olympe et sa petite robe noire, une petite table isole.

    Henriette parla. Pendant son discours on entrevoyait, travers le vitrage,les Bienfiltre inquiets, qui regardaient sans entendre. la fin, le pre nyput tenir ; il entrebilla la porte, et, pench, loreille au guet, la main sur lebouton de la serrure, il coutait.

    Et des lambeaux de phrases lui arrivaient lorsque Henriette levait un peula voix : Lon se devait ses semblables ! Une telle conduite Ctaitse mettre dos tous les gens srieux Un galopin qui ne lui donne pas unradis ! Un vaurien ! Lostracisme qui pesait sur elle Dgager saresponsabilit Une fille qui a jet son bonnet par-dessus les moulins !qui baye aux grues qui, nagure encore tenait le haut du pav Elleesprait que la voix de ces messieurs, plus autorise que la sienne, que lesconseils de leur vieille exprience claire ramneraient des ides plussaines et plus pratiques On nest pas sur la terre pour samuser ! Elle lessuppliait de sentremettre Elle avait fait appel des souvenirs denfance ! la voix du sang ! Tout avait t vain Rien ne vibrait plus en elle. Unefille perdue ! Et quelle aberration ! Hlas !

    ce moment, le pre entra, courb, dans la salle honorable. laspect dumalheur immrit, tout le monde se leva. Il est de certaines douleurs quonne cherche pas consoler. Chacun vint, en silence, serrer la main du dignevieillard, pour lui tmoigner, discrtement, de la part quon prenait soninfortune.

    Olympe se retira, honteuse et ple. Elle avait hsit un instant, se sentantcoupable, se jeter dans les bras de la famille et de lamiti, toujours ouvertsau repentir. Mais la passion lavait emport. Un premier amour jette dansle cur de profondes racines qui touffent jusquaux germes des sentimentsantrieurs.

    Toutefois lesclandre avait eu, dans lorganisme dOlympe, unretentissement fatal. Sa conscience, bourrele, se rvoltait. La fivre la prit lelendemain. Elle se mit au lit. Elle mourait de honte, littralement. Le moraltuait le physique : la lame usait le fourreau.

    Couche dans sa petite chambrette, et sentant les approches du trpas, elleappela. De bonnes mes voisines lui amenrent un ministre du ciel. Lunedentre elles mit cette remarque quOlympe tait faible et avait besoin deprendre des fortifications. Une fille tout faire lui monta donc un potage.

    Le prtre parut.Le vieil ecclsiastique seffora de la calmer par des paroles de paix,

    doubli et de misricorde.

  • 6 Jai eu un amant ! murmurait Olympe, saccusant ainsi de sondshonneur.

    Elle omettait toutes les peccadilles, les murmures, les impatiences de savie. Cela, seulement, lui venait lesprit : ctait lobsession. Un amant !Pour le plaisir ! Sans rien gagner ! L tait le crime.

    Elle ne voulait pas attnuer sa faute en parlant de sa vie antrieure,jusque-l toujours pure et toute dabngation. Elle sentait bien que l elletait irrprochable. Mais cette honte, o elle succombait, davoir fidlementgard de lamour un jeune homme sans position et qui, suivant lexpressionexacte et vengeresse de sa sur, ne lui donnait pas un radis ! Henriette, quinavait jamais failli, lui apparaissait comme dans une gloire. Elle se sentaitcondamne et redoutait les foudres du souverain juge, vis--vis duquel ellepouvait se trouver face face, dun moment lautre.

    Lecclsiastique, habitu toutes les misres humaines, attribuait audlire certains points qui lui paraissaient inexplicables, diffus mme, dans la confession dOlympe. Il y eut l, peut-tre, un quiproquo, certainesexpressions de la pauvre enfant ayant rendu labb rveur, deux ou troisfois. Mais le repentir, le remords, tant le point unique dont il devait seproccuper, peu importait le dtail de la faute ; la bonne volont de lapnitente, sa douleur sincre suffisaient. Au moment donc o il allait leverla main pour absoudre, la porte souvrit bruyamment : ctait Maxime,splendide, lair heureux et rayonnant, la main pleine de quelques cus etde trois ou quatre napolons quil faisait danser et sonner triomphalement.Sa famille stait excute loccasion de ses examens : ctait pour sesinscriptions.

    Olympe, sans remarquer dabord cette significative circonstanceattnuante, tendit, avec horreur, ses-bras vers lui.

    Maxime stait arrt, stupfait de ce tableau. Courage, mon enfant ! murmura le prtre, qui crut voir, dans le

    mouvement dOlympe, un adieu dfinitif lobjet dune joie coupable etimmodeste.

    En ralit, ctait seulement le crime de ce jeune homme quellerepoussait, et ce crime tait de ntre pas srieux .

    Mais au moment o lauguste pardon descendait sur elle, un sourirecleste illumina ses traits innocents : le prtre pensa quelle se sentait sauve,et que dobscures visions sraphiques transparaissaient pour elle sur lesmortelles tnbres de la dernire heure. Olympe, en effet, venait de voir,vaguement, les pices du mtal sacr reluire entre les doigts transfigursde Maxime. Ce fut, seulement, alors, quelle sentit les effets salutaires desmisricordes suprmes ! Un voile se dchira. Ctait le miracle ! Par ce signevident, elle se voyait pardonne den haut, et rachete.

  • 7blouie, la conscience apaise, elle ferma les paupires comme pourse recueillir avant douvrir ses ailes vers les bleus infinis. Puis ses lvressentrouvrirent et son dernier souffle sexhala, comme le parfum dun lis, enmurmurant ces paroles desprance : Il a clair !

  • 8Vra Madame la comtesse dOsmoy.

    La forme du corps lui est plus essentielle que sa substance.

    La Physiologie moderne.LAmour est plus fort que la Mort, a dit Salomon : oui, son mystrieux

    pouvoir est illimit.Ctait la tombe dun soir dautomne, en ces dernires annes,

    Paris. Vers le sombre faubourg Saint-Germain, des voitures, allumes dj,roulaient, attardes, aprs lheure du Bois. Lune delles sarrta devant leportail dun vaste htel seigneurial, entour de jardins sculaires ; le cintretait surmont de lcusson de pierre, aux armes de lantique famille descomtes dAthol, savoir : dazur, ltoile abme dargent, avec la devise Pallida Victrix , sous la couronne retrousse dhermine au bonnet princier.Les lourds battants scartrent. Un homme de trente trente-cinq ans, endeuil, au visage mortellement ple, descendit. Sur le perron, de taciturnesserviteurs levaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches etentra. Ctait le comte dAthol.

    Chancelant, il monta les blancs escaliers qui conduisaient cette chambreo, le matin mme, il avait couch dans un cercueil de velours et enveloppde violettes, en des flots de batiste, sa dame de volupt, sa plissantepouse, Vra, son dsespoir.

    En haut, la douce porte tourna sur le tapis ; il souleva la tenture.Tous les objets taient la place o la comtesse les avait laisss la

    veille. La Mort, subite, avait foudroy. La nuit dernire, sa bien-aimestait vanouie en des joies si profondes, stait perdue en de si exquisestreintes, que son cur, bris de dlices, avait dfailli : ses lvres staientbrusquement mouilles dune pourpre mortelle. peine avait-elle en letemps de donner son poux un baiser dadieu, en souriant, sans une parole :puis ses longs cils, comme des voiles de deuil, staient abaisss sur la bellenuit de ses yeux.

    La journe sans nom tait passe.Vers midi, le comte dAthol, aprs laffreuse crmonie du caveau

    familial, avait congdi au cimetire la noire escorte. Puis, se renfermant,seul, avec lensevelie, entre les quatre murs de marbre, il avait tir sur luila porte de fer du mausole. De lencens brlait sur un trpied, devantle cercueil : une couronne lumineuse de lampes, au chevet de la jeunedfunte, ltoilait.

  • 9Lui, debout, songeur, avec lunique sentiment dune tendresse sansesprance, tait demeur l, tout le jour. Sur les six heures, au crpuscule,il tait sorti du lieu sacr. En refermant le spulcre, il avait arrach de laserrure la clef dargent, et, se haussant sur la dernire marche du seuil, illavait jete doucement dans lintrieur du tombeau. Il lavait lance sur lesdalles intrieures par le trfle qui surmontait le portail. Pourquoi ceci ? coup sr daprs quelque rsolution mystrieuse de ne plus revenir.

    Et maintenant il revoyait la chambre veuve.La croise, sous les vastes draperies de cachemire mauve broch dor,

    tait ouverte : un dernier rayon du soir illuminait, dans un cadre de boisancien, le grand portrait de la trpasse. Le comte regarda, autour de lui, larobe jete, la veille, sur un fauteuil ; sur la chemine, les bijoux, le collierde perles, lventail demi ferm, les lourds flacons de parfums quElle nerespirerait plus. Sur le lit dbne aux colonnes tordues, rest dfait, auprsde loreiller o la place de la tte adore et divine tait visible encore aumilieu des dentelles, il aperut le mouchoir rougi de gouttes de sang o sajeune me avait battu de laile un instant ; le piano ouvert, supportant unemlodie inacheve jamais ; les fleurs indiennes cueillies par elle, dans laserre, et qui se mouraient dans de vieux vases de Saxe ; et, au pied du lit, surune fourrure noire, les petites mules de velours oriental, sur lesquelles unedevise rieuse de Vra brillait, brode en perles : Qui verra Vra laimera.Les pieds nus de la bien-aime y jouaient hier malin, baiss, chaque pas,par le duvet des cygnes ! Et l, l, dans lombre, la pendule, dont il avaitbris le ressort pour quelle ne sonnt plus dautres heures.

    Ainsi elle tait partie ! O donc ! Vivre maintenant ? Pour quoifaire ? Ctait impossible, absurde.

    Et le comte sabmait en des penses inconnues.Il songeait toute lexistence passe. Six mois staient couls depuis

    ce mariage. Ntait-ce pas ltranger, au bal dune ambassade quil lavaitvue pour la premire fois ? Oui. Cet instant ressuscitait devant ses yeux,trs distinct. Elle lui apparaissait l, radieuse. Ce soir-l, leurs regardsstaient rencontrs. Ils staient reconnus, intimement, de pareille nature,et devant saimer jamais.

    Les propos dcevants, les sourires qui observent, les insinuations, toutesles difficults que suscite le monde pour retarder linvitable flicit de ceuxqui sappartiennent, staient vanouis devant la tranquille certitude quilseurent, linstant mme, lun de lautre.

    Vra, lasse des fadeurs crmonieuses de son entourage, tait venue verslui ds la premire circonstance contrariante, simplifiant ainsi, daugustefaon, les dmarches banales o se perd le temps prcieux de la vie.

  • 10

    Oh ! comme, aux premires paroles, les vaines apprciations desindiffrents leur gard leur semblrent une vole doiseaux de nuitrentrant dans les tnbres ! Quel sourire ils changrent ! Quel ineffableembrassement !

    Cependant leur nature tait des plus tranges, en vrit ! Ctaientdeux tres dous de sens merveilleux, mais exclusivement terrestres. Lessensations se prolongeaient en eux avec une intensit inquitante. Ils syoubliaient eux-mmes force de les prouver. Par contre, certaines ides,celles de lme, par exemple, de linfini, de Dieu mme, taient commevoiles leur entendement. La foi dun grand nombre de vivants aux chosessurnaturelles ntait pour eux quun sujet de vagues tonnements : lettreclose dont ils ne se proccupaient pas, nayant pas qualit pour condamnerou justifier. Aussi, reconnaissant bien que le monde leur tait tranger,ils staient isols, aussitt leur union, dans ce vieux et sombre htel, olpaisseur des jardins amortissait les bruits du dehors.

    L, les deux amants sensevelirent dans locan de ces joies languideset perverses o lesprit se mle la chair mystrieuse ! Ils puisrentla violence des dsirs, les frmissements et les tendresses perdues. Ilsdevinrent le battement de ltre lun de lautre. En eux, lesprit pntraitsi bien le corps, que leurs formes leur semblaient intellectuelles, et que lesbaisers, mailles brlantes, les enchanaient dans une fusion idale. Longblouissement ! Tout coup le charme se rompait ; laccident terrible lesdsunissait ; leurs bras staient dsenlacs. Quelle ombre lui avait pris sachre morte ? Morte ! non. Est-ce que lme des violoncelles est emportedans le cri dune corde qui se brise ?

    Les heures passrent.Il regardait, par la croise, la nuit qui savanait dans les cieux : et la Nuit

    lui apparaissait personnelle ; elle lui semblait une reine marchant, avecmlancolie, dans lexil, et lagrafe de diamant de sa tunique de deuil, Vnus,seule, brillait, au-dessus des arbres, perdue au fond de lazur.

    Cest Vra, pensa-t-il. ce nom, prononc tout bas, il tressaillit en homme qui sveille ; puis,

    se dressant, regarda autour de lui.Les objets, dans la chambre, taient maintenant clairs par une lueur

    jusqualors imprcise, celle dune veilleuse, bleuissant les tnbres, etque la nuit, monte au firmament, faisait apparatre ici comme une autretoile. Ctait la veilleuse, aux senteurs dencens, dun iconostase, reliquairefamilial de Vra. Le triptyque, dun vieux bois prcieux, tait suspendu, parsa sparterie russe, entre la glace et le tableau. Un reflet des ors de lintrieurtombait, vacillant, sur le collier, parmi les joyaux de la chemine.

  • 11

    Le plein-nimbe de la Madone en habits de ciel, brillait, rosac de la croixbyzantine dont les fins et rouges linaments, fondus dans le reflet, ombraientdune teinte de sang lorient ainsi allum des perles. Depuis lenfance, Vraplaignait, de ses grands yeux, le visage maternel et si pur de lhrditairemadone, et, de sa nature, hlas ! ne pouvant lui consacrer quun superstitieuxamour, le lui offrait parfois, nave, pensivement, lorsquelle passait devantla veilleuse.

    Le comte, cette vue, touch de rappels douloureux jusquau plus secretde lme, se dressa, souffla vite la lueur sainte, et, ttons, dans lombre,tendant la main vers une torsade, sonna.

    Un serviteur parut : ctait un vieillard vtu de noir : il tenait une lampe,quil posa devant le portrait de la comtesse. Lorsquil se retourna, ce fut avecun frisson de superstitieuse terreur quil vit son matre debout et souriantcomme si rien ne se ft pass.

    Raymond, dit tranquillement le comte, ce soir, nous sommes accablsde fatigue, la comtesse et moi ; tu serviras le souper vers dix heures. propos nous avons rsolu de nous isoler davantage, ici, ds demain. Aucunde mes serviteurs, hors toi, ne don passer la nuit dans lhtel. Tu leurremettras les gages de trois annes, et quils se retirent. Puis, tu fermeras labarre du portail ; tu allumeras les flambeaux en bas, dans la salle manger ;tu nous suffiras. Nous ne recevrons personne lavenir.

    Le vieillard tremblait et le regardait attentivement.Le comte alluma un cigare et descendit aux jardins.Le serviteur pensa dabord que la douleur trop lourde, trop dsespre,

    avait gar lesprit de son matre. Il le connaissait depuis lenfance ; ilcomprit, linstant, que le heurt dun rveil trop soudain pouvait tre fatal ce somnambule. Son devoir, dabord, tait le respect dun tel secret.

    Il baissa la tte. Une complicit dvoue ce religieux rve ? Obir ?Continuer de les servir sans tenir compte de la Mort ? Quelle trange ide ! Tiendrait-elle une nuit ? Demain, demain, hlas ! Ah ! qui savait ?Peut-tre ! Projet sacr, aprs tout ! De quel droit rflchissait-il ?

    Il sortit de la chambre, excuta les ordres la lettre et, le soir mme,linsolite existence commena.

    Il sagissait de crer un mirage terrible.La gne des premiers jours seffaa vite. Raymond, dabord avec stupeur,

    puis par une sorte de dfrence et de tendresse, stait ingni si bien tre naturel, que trois semaines ne staient pas coules quil se sentit,par moments, presque dupe lui-mme de sa bonne volont. Larrire-penseplissait ! Parfois, prouvant une sorte de vertige, il eut besoin de se direque la comtesse tait positivement dfunte. Il se prenait ce jeu funbre etoubliait chaque instant la ralit. Bientt il lui fallut plus dune rflexion

  • 12

    pour se convaincre et se ressaisir. Il vit bien quil finirait par sabandonnertout entier au magntisme effrayant dont le comte pntrait peu peulatmosphre autour deux. Il avait peur, une peur indcise, douce.

    DAthol, en effet, vivait absolument dans linconscience de la mort desa bien-aime ! Il ne pouvait que la trouver toujours prsente, tant la formede la jeune femme tait mle la sienne. Tantt, sur un banc du jardin, lesjours de soleil, il lisait, haute voix, les posies quelle aimait ; tantt, lesoir, auprs du feu, les deux tasses de th sur un guridon, il causait aveclIllusion souriante, assise, ses yeux, sur lautre fauteuil.

    Les jours, les nuits, les semaines senvolrent. Ni lun ni lautre nesavait ce quils accomplissaient. Et des phnomnes singuliers se passaientmaintenant, o il devenait difficile de distinguer le point o limaginaire et lerel taient identiques. Une prsence flottait dans lair : une forme sefforaitde transparatre, de se tramer sur lespace devenu indfinissable.

    DAthol vivait double, en illumin. Un visage doux et ple, entrevucomme lclair, entre deux clins dyeux, un faible accord frapp au piano,tout coup ; un baiser qui lui fermait la bouche au moment o il allait parler,des affinits de penses fminines qui sveillaient en lui en rponse cequil disait, un ddoublement de lui-mme tel, quil sentait, comme en unbrouillard fluide, le parfum vertigineusement doux de sa bien-aime auprsde lui, et, la nuit, entre la veille et le sommeil, des paroles entendues trsbas : tout lavertissait. Ctait une ngation de la Mort leve, enfin, unepuissance inconnue !

    Une fois, dAthol la sentit et la vit si bien auprs de lui, quil la prit dansses bras : mais ce mouvement la dissipa.

    Enfant ! murmura-t-il en souriant.Et il se rendormit comme un amant boud par sa matresse rieuse et

    ensommeille.Le jour de sa fte, il plaa, par plaisanterie, une immortelle dans le

    bouquet quil jeta sur loreiller de Vra. Puisquelle se croit morte, dit-il.Grce la profonde et toute-puissante volont de M. dAthol, qui,

    force damour, forgeait la vie et la prsence de sa femme dans lhtelsolitaire, cette existence avait fini par devenir dun charme sombre etpersuadeur. Raymond, lui-mme, nprouvait plus aucune pouvante,stant graduellement habitu ces impressions.

    Une robe de velours noir aperue au dtour dune alle ; une voix rieusequi lappelait dans le salon ; un coup de sonnette le matin, son rveil,comme autrefois ; tout cela lui tait devenu familier : on et dit que la mortejouait linvisible, comme une enfant. Elle se sentait aime tellement !Ctait bien naturel.

  • 13

    Une anne stait coule.Le soir de lAnniversaire, le comte, assis auprs du feu, dans la chambre

    de Vra, venait de lui lire un fabliau florentin : Callimaque. Il ferma le livre ;puis en se versant du th :

    Douschka, dit-il, te souviens-tu de la Valle-des-Roses, des bords de laLahn, du chteau des Quatre-Tours ? Cette histoire te les a rappels, nest-ce pas ?

    Il se leva, et, dans la glace bleutre, il se vit plus ple qu lordinaire. Ilprit un bracelet de perles dans une coupe et regarda les perles attentivement.Vra ne les avait-elle pas tes de son bras, tout lheure, avant de sedvtir ? Les perles taient encore tides et leur orient plus adouci, commepar la chaleur de sa chair. Et lopale de ce collier sibrien, qui aimait aussi lebeau sein de Vra jusqu plir, maladivement, dans son treillis dor, lorsquela jeune femme loubliait pendant quelque temps ! Autrefois, la comtesseaimait pour cela cette pierrerie fidle ! Ce soir lopale brillait comme sielle venait dtre quitte et comme si le magntisme exquis de la belle mortela pntrait encore. En reposant le collier et la pierre prcieuse, le comtetoucha par hasard le mouchoir de batiste dont les gouttes de sang taienthumides et rouges comme des illets sur de la neige ! L, sur le piano, quidonc avait tourn la page finale de la mlodie dautrefois ? Quoi ! la veilleusesacre stait rallume, dans le reliquaire ! Oui, sa flamme dore clairaitmystiquement le visage, aux yeux ferms, de la Madone ! Et ces fleursorientales, nouvellement cueillies, qui spanouissaient l, dans les vieuxvases de Saxe, quelle main venait de les y placer ? La chambre semblaitjoyeuse et doue de vie, dune faon plus significative et plus intense quedhabitude. Mais rien ne pouvait surprendre le comte ! Cela lui semblaittellement normal, quil ne fit mme pas attention que lheure sonnait cettependule arrte depuis une anne.

    Ce soir-l, cependant, on et dit que, du fond des tnbres, la comtesseVra sefforait adorablement de revenir dans cette chambre tout embaumedelle ! Elle y avait laiss tant de sa personne ! Tout ce qui avait constituson existence ly attirait. Son charme y flottait ; les longues violences faitespar la volont passionne de son poux y devaient avoir desserr les vaguesliens de linvisible autour delle !

    Elle y tait ncessite. Tout ce quelle aimait, ctait l.Elle devait avoir envie de venir se sourire encore en cette glace

    mystrieuse o elle avait tant de fois admir son lilial visage ! La doucemorte, l-bas, avait tressailli, certes, dans ses violettes, sous les lampesteintes ; la divine morte avait frmi, dans le caveau, toute seule, en regardantla clef dargent jete sur les dalles. Elle voulait sen venir vers lui aussi ! Etsa volont se perdait dans lide de lencens et de lisolement. La Mort nest

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    une circonstance dfinitive que pour ceux qui esprent des cieux ; mais laMort, et les Cieux, et la Vie, pour elle, ntait-ce pas leur embrassement ?Et le baiser solitaire de son poux attirait ses lvres, dans lombre. Et le sonpass des mlodies, les paroles enivres de jadis, les toffes qui couvraientson corps et en gardaient le parfum, ces pierreries magiques qui la voulaient,dans leur obscure sympathie, et surtout limmense et absolue impressionde sa prsence, opinion partage la fin par les choses elles-mmes, toutlappelait l, lattirait l depuis si longtemps, et si insensiblement, que,gurie enfin de la dormante Mort, il ne manquait plus quElle seule !

    Ah ! les Ides sont des tres vivants ! Le comte avait creus danslair la forme de son amour, et il fallait bien que ce vide ft comblpar le seul tre qui lui tait homogne, autrement lUnivers aurait croul.Limpression passa, en ce moment, dfinitive, simple, absolue, quElledevait tre l, dans la chambre ! Il en tait aussi tranquillement certain quede su propre existence, et toutes les choses, autour de lui taient satures decette conviction. On ly voyait ! Et, comme il ne manquait plus que Vra elle-mme, tangible, extrieure, il fallut bien quelle sy trouvt et que le grandSonge de la Vie et de la Mort entrouvrt un moment ses portes infinies ! Lechemin de rsurrection tait envoy par la foi jusqu elle ! Un frais clatde rire musical claira de sa joie le lit nuptial ; le comte se retourna. Etl, devant ses yeux, faite de volont et de souvenir, accoude, fluide, surloreiller de dentelles, sa main soutenant ses lourds cheveux noirs, sa bouchedlicieusement entrouverte en un sourire tout emparadis de volupts, belle en mourir, enfin ! la comtesse Vra le regardait un peu endormie encore.

    Roger ! dit-elle dune voix lointaine.Il vint auprs delle. Leurs lvres sunirent dans une joie divine,

    oublieuse, immortelle !Et ils saperurent, alors, quils ntaient, rellement, quun seul tre.Les heures effleurrent dun vol tranger cette extase o se mlaient, pour

    la premire fois, la terre et le ciel.Tout coup, le comte dAthol tressaillit, comme frapp dune

    rminiscence fatale. Ah ! maintenant, je me rappelle ! dit-il. Quai-je donc ? Mais tu

    es morte ! linstant mme, cette parole, la mystique veilleuse de liconostase

    steignit. Le ple petit jour du matin, dun matin banal, gristre etpluvieux, filtra dans la chambre par les interstices des rideaux. Lesbougies blmirent et steignirent, laissant fumer crement leurs mchesrouges ; le feu disparut sous une couche de cendres tides ; les fleursse fanrent et se desschrent en quelques moments ; le balancier de lapendule reprit graduellement son immobilit. La certitude de tous les objets

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    senvola subitement. Lopale, morte, ne brillait plus ; les taches de sangstaient fanes aussi, sur la batiste, auprs delle ; et seffaant entre lesbras dsesprs qui voulaient en vain ltreindre encore, lardente et blanchevision rentra dans lair et sy perdit. Un faible soupir dadieu, distinct,lointain, parvint jusqu lme de Roger. Le comte se dressa ; il venait desapercevoir quil tait seul. Son rve venait de se dissoudre dun seul coup ;il avait bris le magntique fil de sa trame radieuse avec une seule parole.Latmosphre tait, maintenant, celle des dfunts.

    Comme ces larmes de verre, agrges illogiquement, et cependant sisolides quun coup de maillet sur leur partie paisse ne les briserait pas, maisqui tombent en une subite et impalpable poussire si lon en casse lextrmitplus fine que la pointe dune aiguille, tout stait vanoui.

    Oh ! murmura-t-il, cest donc fini ! Perdue ! Toute seule ! Quelleest la route, maintenant, pour parvenir jusqu toi ? Indique-moi le cheminqui peut me conduire vers toi !

    Soudain, comme une rponse, un objet brillant tomba du lit nuptial, sur lanoire fourrure, avec un bruit mtallique : un rayon de laffreux jour terrestrelclaira ! Labandonn se baissa, le saisit, et un sourire sublime illuminason visage en reconnaissant cet objet : ctait la clef du tombeau.

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    Vox populi Monsieur Leconte de Lisle

    Le soldat prussien fait son caf dans une lanterne sourde.

    Le sergent HoffGrande revue aux Champs-lyses, ce jour-l !Voici douze ans de subis depuis cette vision. Un soleil dt brisait

    ses longues flches dor sur les toits et les dmes de la vieille capitale. Desmyriades de vitre ? se renvoyaient des blouissements : le peuple, baigndune poudreuse lumire, encombrait les rues pour voir larme.

    Assis, devant la grille du parvis Notre-Dame, sur un haut pliant de bois, et les genoux croiss en de noirs haillons, le centenaire Mendiant, doyende la Misre de Paris, face de deuil au teint de cendre, peau sillonnede vides couleur de terre, mains jointes sous lcriteau qui consacraitlgalement sa ccit, offrait son aspect dombre au Te Deum de la fteenvironnante.

    Tout ce monde, ntait-ce pas son prochain ? Les passants en joie,ntaient-ce pas ses frres ? coup sr, Espce humaine ! Dailleurs, cethte du souverain portail ntait pas dnu de tout bien : ltat lui avaitreconnu le droit dtre aveugle.

    Propritaire de ce titre et de la respectabilit inhrente ce lieudes aumnes sres quofficiellement il occupait, possdant enfin qualitdlecteur, ctait notre gal, la Lumire prs.

    Et cet homme, sorte dattard chez les vivants, articulait, de temps autre,une plainte monotone, syllabisation vidente du profond soupir de toutesa vie :

    Prenez piti dun pauvre aveugle, sil vous plat !

    Autour de lui, sous les puissantes vibrations tombes du beffroi, dehors,l-bas, au-del du mur de ses yeux, des pitinements de cavalerie, et,par clats, des sonneries aux champs, des acclamations mles aux salvesdes Invalides, aux cris fiers des commandements, des bruissements dacier,des tonnerres de tambours scandant des dfils interminables dinfanterie,toute une rumeur de gloire lui arrivait ! Son oue suraigu percevait jusqudes flottements dtendards aux lourdes franges frlant des cuirasses. Danslentendement du vieux captif de lobscurit mille clairs de sensations,

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    pressenties et indistinctes, svoquaient ! Une divination lavertissait de cequi enfivrait les curs et les penses dans la Ville.

    Et le peuple, fascin, comme toujours, par le prestige qui sort, pour lui,des coups daudace et de fortune, profrait, en clameur, ce vu du moment :

    Vive lEmpereur ! Mais, entre les accalmies de toute cette triomphale tempte, une voix

    perdue slevait du ct de la grille mystique. Le vieux homme, la nuquerenverse contre le pilori de ses barreaux, roulant ses prunelles mortes vers leciel, oubli de ce peuple dont il semblait, seul, exprimer le vu vritable, levu cach sous les hurrahs, le vu secret et personnel, psalmodiait, auguraiintercesseur, sa phrase maintenant mystrieuse :

    Prenez piti dun pauvre aveugle, sil vous plat !

    Grande revue aux Champs-lyses, ce jour-l !Voici dix ans denvols depuis le soleil de cette fte ! Mmes bruits,

    mmes voix, mme fume ! Une sourdine, toutefois, temprait alors letumulte de lallgresse publique. Une ombre aggravait les regards. Lessalves convenues de la plate-forme du Prytane se compliquaient, cettefois, du grondement loign des batteries de nos forts. Et, tendant loreille,le peuple cherchait discerner dj, dans lcho, la rponse des picesennemies qui sapprochaient.

    Le gouverneur passait, adressant tous maints sourires et guid parlamble-trotteur de son fin cheval. Le peuple, rassur par cette confiance quelui inspire toujours une tenue irrprochable, alternait de chants patriotiquesles applaudissements tout militaires dont il honorait la prsence de ce soldat.

    Mais les syllabes de lancien vivat furieux staient modifies : le peuple,perdu, profrait ce vu du moment :

    Vive la Rpublique ! Et, l-bas, du ct du seuil sublime, on distinguait toujours la voix

    solitaire de Lazare. Le Diseur de larrire-pense populaire ne modifiait pas,lui, la rigidit de sa fixe plainte.

    me sincre de la fte, levant au ciel ses yeux teints, il scriait, entredes silences, et avec laccent dune constatation :

    Prenez piti dun pauvre aveugle, sil vous plat !

    Grande revue aux Champs-lyses, ce jour-l !Voici neuf ans de supports depuis ce soleil trouble !Oh ! mmes rumeurs ! mmes fracas darmes ! mmes hennissements !

    Plus assourdis encore, toutefois, que lanne prcdente : criards, pourtant.

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    Vive la Commune ! clamait le peuple, au vent qui passe.Et la voix du sculaire lu de linfortune redisait, toujours, l-bas, au seuil

    sacr, son refrain rectificateur de lunique pense de ce peuple. Hochant latte vers le ciel, il gmissait dans lombre :

    Prenez piti dun pauvre aveugle, sil vous plait ! Et, deux lunes plus tard, alors quaux dernires vibrations du tocsin, le

    Gnralissime des forces rgulires de ltat passait en revue ses deux centmille fusils, hlas ! encore fumants de la triste guerre civile, le peuple,terrifi, criait, en regardant brler, au loin, les difices :

    Vive le Marchal ! L-bas, du ct de la salubre enceinte, limmuable Voix, la voix du

    vtran de lhumaine Misre, rptait sa machinalement douloureuse etimpitoyable obscration :

    Prenez piti dun pauvre aveugle, sil vous plat !

    Et, depuis, danne en anne, de revues en revues, de vocifrations envocifrations, quel que ft le nom jet aux hasards de lespace par le peupleen ses civats, ceux qui coutent, attentivement, les bruits de la terre, onttoujours distingu, au plus fort des rvolutionnaires clameurs et des ftesbelliqueuses qui sensuivent, la Voix lointaine, la Voix vraie, lintime Voixdu symbolique Mendiant terrible ! du Veilleur de nuit criant lheure exactedu Peuple, de lincorruptible factionnaire de la conscience des citoyens,de celui qui restitue intgralement la prire occulte de la Foule et en rsumele soupir.

    Pontife inflexible de la Fraternit, ce Titulaire autoris de la ccitphysique na jamais cess dimplorer, en mdiateur inconscient, la charitdivine, pour ses frres de lintelligence.

    Et, lorsque enivr de fanfares, de cloches et dartillerie, le Peuple, troublpar ces vacarmes flatteurs, essaye en vain de se masquer lui-mme son vuvritable, sous nimporte quelles syllabes mensongrement enthousiastes,le Mendiant, lui, la face au Ciel, les bras levs, ttons, dans ses grandestnbres, se dresse au seuil ternel de lglise, et, dune voix de plus enplus lamentable, mais qui semble porter au-del des toiles, continue de criersa rectification de prophte :

    Prenez piti dun pauvre aveugle, sil vous plat !

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    Deux auguresSurtout, pas de gnie ! (Devise moderne.)

    Jeunes gens de France, mes de penseurs et dcrivains, matres dunArt futur, jeunes crateurs qui venez, lclair au front, confiants en votre foinouvelle, dtermins prendre, sil le faut, cette devise, par exemple, queje vous offre : Endurer, pour durer ! vous qui, perdus encore, sous votrelampe dtude, en quelque froide chambre de la capitale, vous tes dit, toutbas : presse puissante, moi tes milliers de feuilles, o jcrirai despenses dune beaut nouvelle ! vous avez le lgitime espoir quil voussera permis dy parler selon ce que vous avez mission de dire, et non dyressasser ce que la cohue en dmence veut quon lui dise, vous pensez,humbles et pauvres, que vos pages de lumire, jetes lHumanit, payeront,au moins, le prix de votre pain quotidien et lhuile de vos veilles ?

    Eh bien, coutez le colloque bizarre et dapparence paradoxale, (quoique du plus incontestable des ralismes), qui sest tabli,rcemment, entre un directeur certain de lune de ces gazettes et lun de nosamis, lequel stait dguis un jour, par curiosit, en aspirant journaliste.

    Cette scne, ayant lair, en mon esprit, de se passer toujours, et toutesautres, de ce genre, ne devant tre, au fond, tacites ou parles, que lamonnaie de celle-l (lternelle !) je me vois contraint, vous qui tesprdestins la rnover vous-mmes, de la placer au prsent de lindicatif.

    Pntrons en ce cabinet, presque toujours dun si beau vert, o ledirecteur, un de ces hommes qui traitent les honntes bourgeois de matire abonnable , est assis devant sa table, un coude appuy sur lebras de son fauteuil, le menton dans la main, paraissant mditer et jouantngligemment de lautre main avec le traditionnel couteau divoire.

    Apparat un garon de salle : il remet une carte ce penseur.Celui-ci la prend, y jette un coup-dil distrait, puis, hausse dinquiets

    sourcils et, aprs un tressaillement lger, se remettant : Un Inconnu ? murmure-t-il ; peuh ! quelque Gascon, se vantant

    pour arriver jusqu moi. Tout le monde est connu, aujourdhui, perc jour. Et quelle mine a ce monsieur ?

    Cest un jeune homme, monsieur. Diable ! Faites entrer.Linstant daprs apparat notre jeune ami.Le directeur se lve et de sa voix la plus engageante : Cest bien un inconnu que jai lhonneur de parler ? murmure-t-il.

  • 20

    Jamais je neusse os me prsenter sans ce titre, rpond le soi-disantplumitif.

    Veuillez bien prendre la peine de vous asseoir. Je viens vous offrir une petite chronique dactualit, un peu leste,

    naturellement Cela va sans dire. Venons au fait. Votre prix serait de combien la ligne ? Mais, de 3 francs 3 fr, 50 ? Nest-ce pas ? rpond, gravement, le

    nophyte.(Soubresaut du directeur.) Permettez : le Montpin , le Hugo mme, le du Terrail enfin,

    ne se payent pas ce taux-l ! rplique-t-il.Le jeune homme se lve et, dun ton froid : Je vois que M. le directeur oublie que je suis to-ta-le-ment inconnu !

    dit-il.Un silence. Rasseyez-vous, je vous prie. Les affaires ne se traitent pas comme cela.

    Je ne disconviens pas que, par le temps qui court, un inconnu ne soit, eneffet, un oiseau rare : toutefois

    Jajouterai, monsieur, interrompt, dun ton dgag, laspirant crivain, que je suis, oh ! mais sans lombre de talent, dune absence de talentmagistrale ! Ce quon appelle un crtin dans le langage du monde. Monseul talent, cest dtre rompu aux arcanes des boxes anglaise et irlandaise,un peu serres. Quant la Littrature, je vous le dclare, cest pour moilettre close et scelle de sept cachets.

    Hein ? scrie le directeur tremblant de joie, vous vous prtendez sanstalent littraire, jeune prsomptueux !

    Je suis en mesure de prouver, sance tenante, mon impritie en lamatire.

    Impossible, hlas ! Vous vous vantez ! balbutie le directeur,videmment remu au plus secret de ses plus vieux espoirs.

    Je suis, continue ltranger avec un doux sourire, ce qui sappelle unterne et suffisant grimaud, dou dune niaiserie dides et dune trivialit destyle de premier ordre, une plume banale par excellence.

    Vous ? Allons donc ! Ah ! si ctait vrai ! Monsieur, je vous jure dautres ! reprend le directeur, les yeux humects et avec un

    mlancolique sourire.Puis, regardant le jeune homme avec attendrissement : Oui, voil bien la Jeunesse, qui ne doute de rien ! le feu sacr !

    les illusions ! Du premier coup, lon se croit arriv ! Aucun talent,dites-vous ? Mais, savez-vous bien, monsieur, quil faut, de nos jours, tre

  • 21

    un homme des plus remarquables pour navoir aucun talent ? un hommeconsidrable ? que, souvent, ce nest quau prix dune cinquantainedannes de luttes, de travaux, dhumiliations et de misre que lon y arriveet que lon nest, alors, quun parvenu ? jeunesse ! printemps de la vie !Primavera della vita ! Mais moi, monsieur, moi, qui vous parle, voicivingt ans que je cherche un homme qui nait pas de talent ! Entendez-vous ? Jamais je nai pu en trouver un. Jai dpens plus dun demi-million cette chasse au merle blanc : je me suis emball dans cette folleentreprise ! Que voulez-vous ! Jtais jeune, candide, je me suis ruin. Toutle monde a du talent, aujourdhui, mon cher monsieur ; vous tout comme lesautres. Ne nous surfaisons pas. Croyez-moi, cest inutile. Cest vieux jeu,cest ficelle, cela ne prend plus. Soyons srieux.

    Monsieur, de tels soupons Si javais du talent, je ne serais pas ici ! Et o seriez-vous donc ? me soigner, je vous prie de le croire. Le fait est, gazouille, alors, le directeur en se radoucissant et toujours

    avec son fin sourire, le fait est que mon garon de salle, tenez, le gracieuxque ma remis votre carte (un licenci s lettres, sil vous plat, et palmcomme tel hein ! comme cest beau la Science ! De nos jours cela mne tout !) nest rien moins que lauteur de trois ou quatre magnifiquesouvrages dramatiques et, passez-moi le mot, littraires , couronns, enfin,dans maints concours de linstitut de France sur des centaines dautres,reprsents de prfrence, naturellement aux siens. Eh bien, le malheureuxna voulu suivre aucun traitement ! Aussi, de laveu de ses meilleurs amis,nest-ce, en ralit, quun fol qui ne saurait arriver rien. Ils le dclarent,avec des larmes dans la voix, un ivrogne, un bohme, un proxnte, un filouet un rat, en ajoutant, les yeux au ciel : Quel dommage ! Mon Dieu,je sais bien qu Paris. o il est convenu que tout le monde est dshonorle matin et rhabilit le soir, cela ne tire pas consquence ; au fond,cest mme une rclame ; mais sa maladroite insouciance nen sachantpas extraire une fortune, avouez quil est lgitime quon lui en veuille.Cest donc par pure humanit que je daigne le soustraire, momentanment, lhospice. Revenons vous. Inconnu et sans lombre de talent, disons-nous ? Non, je ne puis y croire. Votre fortune serait faite et la mienne aussi.Cest six francs la ligne que je vous offrirais ! Voyons, entre nous, qui megarantit la nullit de cet article ?

    Lisez, monsieur ! articule, avec fiert, le jeune tentateur. On voit que vous vous chappez de lAdolescence dhier peine,

    monsieur ! rpond, en riant, le directeur : nous ne lisons que ce que noussommes dcids ne jamais publier. On nimprime que la copie dmentillisible. Et, tenez, la vtre semble, vue de pince-nez, entache dune

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    certaine calligraphie, ce qui est dj dassez mauvais augure. Cela pourraitvous faire souponner de soigner ce que vous faites. Or, tout journaliste,vraiment digne de ce grand titre, doit ncrire quau trait de la plume,nimporte ce qui lui passe par la tte, et, surtout, sans se relire ! Va commeje te pousse ! Et avec des convictions dues seulement lhumeur du momentet la couleur du journal. Et marche ! Il est bien vident quun bon journalquotidien, sans cela, ne paratrait jamais ! On na pas le loisir, cher monsieur,de perdre du temps rflchir ce que lon dit, lorsque le train de la provinceattend nos ballots de papier : enfin, cest vident cela ! Il faut bien quelabonn se figure quil lit quelque chose, vous comprenez. Et si vous saviezcomme le reste, au fond, lui est gal !

    Rassurez-vous, monsieur : cest le copiste Vous faites copier ! Malheureux ! Plaisantez-vous ? Ma copie tait non seulement illisible, mais surcharge de telles fautes

    dorthographe et de franais que, ma foi pour le premier article jaipens

    Raisons de plus, au contraire, pour me lapporter telle quelle ! Lediamant ne saura donc jamais sa valeur ? Les fautes dorthographe, defranais ! Ignorez-vous que lon ne peut obtenir des protes quils ne lescorrigent pas, ce qui enlve, souvent, tout le sel dun article ? Mais cestprcisment l ce naturel, ce montant, ce primesautier que prisent si fort lesvrais connaisseurs ! Le citadin aime les coquilles, monsieur ! Cela le flatte deles apercevoir. Surtout en province. Vous avez eu le plus grand tort. Enfin ! Et lavez-vous soumise quelque expert, cette chronique ?

    Vous lavouerai-je, monsieur le directeur ? Doutant de moi-mme, carje nai pas de gnie, Dieu merci

    Peste ! je lespre bien ! interrompt le directeur aprs un coup dilfurtif sur un revolver plac ct de lui.

    Aprs avoir cherch le type devant reprsenter la bonne moyenne desintelligences publiques pour cette grande preuve, mon choix sest arrt surmon (tant pis, je dis le mot !) sur mon pipelet , lequel est un vieuxcommissionnaire auvergnat, blanchi le long des rampes, surmen par lessursauts nocturnes et quune trop exclusive lecture denveloppes de lettresa rendu, littralement, hagard.

    Eh ! eh ! grommelle, alors, le directeur, devenu trs attentif, lechoix tait, en effet, aussi subtil que pratique et judicieux. Car le publicraffole, remarquez ceci, de lExtraordinaire ! Mais, comme il ne sait pas trsbien en quoi consiste, en littrature (passez-moi toujours le mot), ce mmeExtraordinaire dont il raffole, il sensuit, mes yeux, que lapprciation dunportier doit sembler prfrable, en bon journalisme, celle du Dante. Etquel verdict a rendu lhomme du cordon, sil vous plat ?

  • 23

    Transport ! Ravi ! Aux anges ! Au point de marracher ma copie desmains pour la relire lui-mme, craignant davoir t dupe de mon dbit. Cestlui qui ma fourni le mot de la fin.

    Lcervel ! Au lieu de me ladresser directement ! Voyez-vous,un penseur la dit, ou aurait d le dire, lidal du journaliste, cest,dabord, le Reporter, ensuite le Fruit sec, sourcils froncs jentends froncsnaturellement, comme on frise), qui insulte dune faon grossire et auhasard, et qui se bat de mme, avec les nafs qui nen lvent pas les paules. pour faire consacrer, par la lchet publique, sa rageuse mdiocrit. Ce duodu chanteur et du danseur est la vie de tout journal qui se respecte un peu.En dehors des articles de ces deux Colonnes, tous autres ne devraient secomposer que de mots de la fin enfils, comme des perles, au hasard dupetit bonheur. Le Public ne lit pas un journal pour penser ou rflchir, quediable ! On lit comme on mange. Allons, je me dcide parcourir votreaffaire : oui, voyons, si la valeur nattend point chez vous (comme la sibien dit je ne sais plus quel auteur latin) le nombre des annes

    Voici le manuscrit ! dit lcrivain rayonnant et en tendant son uvreavec un air de fatuit juvnile.

    Au bout de trois minutes, le directeur tressaille, puis rejette, avec ddain,les feuilles volantes sur la table.

    L ! gmit-il avec un profond soupir ; jen tais sr ! Encore unedception : mais je ne les compte plus.

    Hein ? murmure, comme effray, le jeune hros. Hlas ! mon noble ami, mais cest plein de talent, a ! Je suis fch de

    vous le dire ! a vaut trois sous la ligne, et encore parce que vous tesinconnu. Dans huit jours, si je linsre, ce sera gratis, et, dans quinze, ce seravous qui me payerez, a moins que vous ne preniez un pseudonyme. Maisoui, mais oui ; soyons srieux, la fin ! Vous ntes pas srieux, et, je levois, vous ne pourrez que bien difficilement le devenir, ayant, par malheur,cette qualit de talent qui fait que vous tes (pardon de lexpression) uncrivain et non pas un impudent malvat sans conscience ni pense, ainsique vous vous vantiez tout lheure de ltre, pour surprendre ma religion,ma bienveillance, ma caisse et mon estime.

    Non ! balbutie, dun visage atterr, le prtendu aspirant de la plumequotidienne, vous devez commettre une erreur il y a malentendu. Vousnavez pas lu avec attention

    Mais cela empeste la Littrature faire baisser le tirage de cinq milleen vingt-quatre heures ! scrie le directeur. La qualit seule du style, vousdis-je, constitue le talent ! Un million de plumitifs peuvent, dans un journal,tracer lexpos dune soi-disant ide Ah ! black upon white ! Un seulcrivain savise-t-il de lnoncer, son tour et sa manire, cette ide, dans

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    un livre ? tout le reste est oubli. Plus personne ! Lon dirait un coup de ventsur du sable. Certes, cest fort nigmatique : mais, quy faire ? cest ainsi. Donc, si vous tes un crivain, vous tes lennemi-n de tout journal.

    Si encore vous naviez que de lesprit : a se vend toujours un peu,a. Mais le pire, cest que vous laissez pressentir dans lon ne sait quoi devotre phrase que vous cherchez dissimuler votre intelligence pour ne paseffaroucher le lecteur ! Que diable, les sens naiment pas quon les humilie !La puissance impressionnante de votre style naturel transparat, encore uncoup, sous cet effort mme, attendu quil ny a pas dorthopdie capablede gurir dun vice aussi essentiel, aussi rdhibitoire ! Vous imprimer ?Mais jaimerais mieux copier le Bottin ! Ce serait plus pratique. En un mot,vous avez lair, l-dedans, dun monsieur qui, sachant que telle femme,dont il convoite la dot, a le got des bancroches, affecte une claudicationmensongre pour se bien faire venir de la dame, ou dun trange collgienqui, pour sattirer lestime et le respect de ses professeurs, de ses camarades,se ferait teindre les cheveux en blanc. Monsieur, les quelques pages queje viens de parcourir me suffisent pour savoir trs bien qui jai affaire. Personne nest dupe aujourdhui ! Le public a son instinct, son flair, aussisr que celui dun animal. Il connat les siens et ne se trompe jamais. Ilvous devine. Il pressent que, sachant au mieux la valeur, la significationrelle et sombre de vos crits, vous regardez son apprciation, loge oublme, comme la poudre de vos bottines ; quenfin ses vagues et insoucieuxpropos votre gard sont, pour vous, comme le gloussement dun dindonou le bruit du vent dans une serrure. Le visible effort que, pouss parquelque dtresse financire, sans doute, vous avez commis ici pour vousniveler ses ides linsulte horriblement. La gaucherie de votre humilitde commande a des hsitations meurtrires pour les bouffissures de sonapathique suffisance. Votre pouvantable coup de chapeau lui crase le nezen paraissant lui demander laumne : cela ne se pardonne pas, cela, delecteur auteur. Les hommes de gnie peuvent, seuls, se permettre, dansleurs livres, de ces familiarits alors tolrables, car sils prennent quelquefoisleur lecteur aux cheveux et lui secouent la bote osseuse dun poing calmeet souverain, ce nest que pour le contraindre relever la tte ! Mais,dans un journal, monsieur, ces faons-l sont, au moins, dplaces : ellescompromettent lavenir de la feuille aux yeux du Conseil dadministration.En effet, voici linconvnient de pareils articles.

    Le bourgeois, en les parcourant dun cerveau brouill par les affaires,carquille les yeux, vous traite, tout bas, de pote , sourit in petto et sedsabonne, en dclarant, tout haut, que vous avez beaucoup de talent ! Ilmontre ainsi, dune part, que vos crits ne lont pas atteint ; de lautre, il vousassassine aux yeux de ses confrres qui le devinent, prennent ce diapason,

  • 25

    vous embaument dans les louanges et, de confiance ou dinstinct, ne vouslisent jamais, car ils ont flair, en vous, une me, cest--dire la chose quilshassent le plus au monde. Et cest moi qui paye !

    (Ici le directeur se croise les bras en regardant, son interlocuteur avec desyeux ternes) :

    Ah ! est-ce que vous prenez le Publie pour un imbcile, par hasard ?Vous tes tonnant, ma parole dhonneur ! Il est dou dun autre genredintelligence que vous, voil tout.

    Cependant, rpond, en souriant, le littrateur dmasqu, il semblerait,en vous coutant, que, de nous deux, celui qui outrage le plus sincrementle public ce nest pas moi ?

    Sans aucun doute, mon jeune ami ! Seulement, je le bafoue, moi, dunemanire pratique et qui me rapporte. En effet, le bourgeois (qui est lennemide tout et de lui-mme) me rtribuera toujours, individuellement, pour flattersa vilenie, mais une condition ! cest que je lui laisse croire que cest son voisin que je parle. Quimporte le style en cette affaire ? La seule devisequun homme de lettres srieux doive adopter de nos jours est celle-ci : Soismdiocre ! Cest celle que jai choisie. De l, ma notorit. Ah ! cest quenfait de bourgeoisie franaise, nous ne sommes plus au temps dEustachede Saint-Pierre, voyez-vous ! Nous avons progress. LEsprit humainmarche ! Aujourdhui le tiers tat, tout entier, ne dsire plus, et avec raison,quexpulser en paix et son gr ses flatuosits, acarus et borborygmes.Et comme il a, par lor et par le nombre, la force des taureaux rvoltscontre le berger, le mieux est de se naturaliser en lui. Or, vous arrivez,vous, prtendant lui faire ingurgiter des bonbonnes dalos liquide dans descoquemars dor cisel. Naturellement il regimbera, non sans une grimace,ne tenant pas ce quon lui purge, de force, lintellect ! Et il me reviendra,tout de suite, moi, prfrant, aprs tout reboire mon gros vin frelat dansmon vieux gobelet sale, vu lhabitude, cette seconde nature. Non, pote !aujourdhui la mode nest pas au gnie ! Les rois, tout ennuyeux quilssoient, approuvent et honorent Shakespeare, Molire, Wagner, Hugo, etc. ;les rpubliques bannissent Eschyle, proscrivent le Dante, dcapitent AndrChnier. En rpublique, voyez-vous, on a bien autre chose faire que davoirdu gnie ! On a tant daffaires sur les bras, vous comprenez. Mais celanempche pas les sentiments. Concluons. Mon jeune ami, cest triste dire,mais vous tes atteint de beaucoup, dnormment de talent. Pardonnez-moi ma rude franchise. Mon intention nest pas de vous blesser. Certainesvrits sont dures entendre, votre ge, je le sais, mais du courage ! Jecomprends, japprouve, mme, leffort inou que vous avez, dis-je, commisdans la rprhensible action de cet article : mais, que voulez-vous ! cet effortest strile : il est impossible de devenir une canaille sincre : il faut le don !

  • 26

    il faut lonction ! cest de naissance. Il ne faut pas quun article infmesente le haut-le-cur, mais la sincrit, et, surtout, linconscience : sinonvous serez antipathique : on vous devinera. Le mieux est de vous rsigner.Toutefois, si vous ntes pas un gnie (comme je lespre sans en tre sr), votre cas nest pas dsespr. En ne travaillant pas, vous arriverez peut-tre. Par exemple, si vous vouliez vous constituer, sciemment, plagiaire,cela ferait polmique, on vendrait, et vous pourriez alors revenir me voir :sans cela, rien faire ensemble. Tenez, moi, moi qui vous parle, je vousle dis tout bas : jai du talent tout comme vous : aussi, je ncris jamaisdans mon journal ; je serais rduit, en trois jours, la mendicit. Dailleurs,jai mes raisons pour ne pas crire le moindre livre, pour ne pas imprimerla moindre ligne qui pourrait faire peser sur mon avenir le soupon dunecapacit quelconque ! Je ne veux, derrire moi, que le nant.

    Quoi ! pas mme dix lignes ? interrompt le littrateur, dun air tonn. Non. Rien. Je tiens devenir ministre ! rpond, dun ton premptoire,

    le directeur. Ah ! cest diffrent. Et je laisse crier au paradoxe ! Et ce que je vous dis est tellement absolu,

    au point de vue pratique, voyez-vous que si le portefeuille des Beaux-Arts, par exemple, dpendait, en France, du suffrage universel, vous seriezle premier, tout en haussant les paules, voter pour moi. Mais oui, maisoui ! Soyons srieux, que diable ! Je ne plaisante jamais. Allons, laissez-moivotre manuscrit tout de mme.

    Un silence. Permettez, monsieur, rpond alors lInconnu, en ressaisissant son

    travail sur la table, vous faites erreur, ici. En politique, mes ides sont autresquen journalisme, et je ne comprendrais, au portefeuille en question, quunhomme dune droiture, dune capacit, dun savoir et dune dignit despritdes plus rares. Or, en dehors de la feuille que vous dirigez, il y a en Francedes journalistes dont la probit dfie lentranement vnal de lpoque, dontle style sonne pur, dont le verbe flambe clair et dont lutile critique rectifiesans cesse les jugements inconsidrs de la foule. Je vous atteste que, danslhypothse dont vous parlez, je donnerais ma voix, de prfrence, lundentre eux.

    Je crois que vous vous emballez, mon jeune ami : la probit na pasdpoque !

    La sottise non plus, rpond le littrateur avec un lger sourire. Peuh ! Quand vous aurez mon ge, vous rougirez de ces phrases-l ! Merci de me rappeler votre ge ; en vous coutant, je vous aurais cru

    plus jeune.

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    Hein ? mais, il me semble que vous cherchez la petite bte en ceque je dis, monsieur ?

    (Ici, linconnu se lve.) Monsieur le directeur ma prouv quen cherchant la petite on trouve

    parfois la grande, rpondit distraitement. Dites donc ? Votre impertinence mamuse, mais do vient cette

    subite aigreur ?(Ici le jeune passant regarde son vis--vis dun coup dil de boxeur, si

    froid quun lger frisson passe dans les veines de lhomme au fauteuil.) Soit, je serai franc, rpond-il. Quoi ! je viens vous offrir une

    ineptie cent fois infrieure toutes celles que vous publiez chaque jour,une filandreuse chronique suintant la suffisance repue, le cynisme quiet, lanullit sentencieuse, lidal du genre ! une perle, enfin ! Et voici quau lieude me rpondre oui ou non, vous maccablez dinjures ! Vous maffublezdes pithtes les plus ridiculisantes ! Vous me traitez, brle-pourpoint, delittrateur, dcrivain, de penseur, que sais-je ? Jai vu le moment o sansaucune provocation de ma part (Ici notre ami baisse la voix en regardantautour de lui comme craignant les coutes) o vous alliez me traiterd homme de gnie ! Ne niez pas : je vous voyais venir. Monsieur,on ne traite pas, comme cela, dhommes de gnie, des gens qui ne vousont rien fait. Chez vous, ce ne fut pas tourderie, mais calcul mchant.Vous savez fort bien quun tel propos peut avoir pour fatales consquencesde priver un innocent de tout gagne-pain, de le rendre lexploitation et larise de tous. Vous pouviez refuser mon article, mais non le dprcier enle dclarant entach de gnie. O voulez-vous que je le porte, maintenant !Oui, jai sur le cur ce procd de mauvaise guerre, je lavoue ! Et jevous avertis que si vous bruitiez sur mon compte daussi venimeusescalomnies, comme je ne tiens pas mourir de faim, de misre et de hontesous les demi-sourires approbateurs et les clins dyeux encourageants dubal de domestiques o je me trouve dans la vie, je saurais vous amenersur le terrain, nen doutez pas, ou des excuses dictes. Brisons l.Ces quelques paroles, ne me paraissant prsenter quimparfaitement, entrenous, les prodromes dune amiti naissante, souffrez que je prenne cong langlaise, en vous prvenant ( titre gracieux et pour votre gouverne) qulescrime jai longuement tudi lart de ne jamais donner ni recevoir decoups de manchette et quun brevet de courage convenu peut coter pluscher avec moi. Serviteur.

    Et, remettant son chapeau, puis allumant une cigarette, le littrateur seretire, lentement.

    Une fois seul :

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    Me fcherai-je ? se demande, voix basse, le directeur : bah ! soyonsphilosophe. Socrate, ayant remport le prix de courage la bataille dePotide, le fit dcerner, par ddain, au jeune Alcibiade : imitons ce sage dela Grce. Dailleurs, ce jeune homme est amusant, et sa petite pique ne medplat pas. Jadis, jai eu a moi-mme.

    (Ici notre homme tire sa montre.) Cinq heures ! Voyons, soyons srieux. Que mangerai-je bien ce

    soir, mon dner ? Un turbotin ? oui ! un peu truit ? Non ! saumoneaux ? Oui, plutt. Et comme entremets ?

    L-dessus, ressaisissant son couteau divoire, le directeur de la feuillepolitique, littraire, commerciale, lectorale, industrielle, financire etthtrale se replonge dans ses opimes et absconses mditations. Et il seraitimpossible den pntrer limportant objet, car, ainsi que le fait remarquer,fort judicieusement, un vieux proverbe mozarabe : Le flambeau nclairepas sa base.

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    LAffichage cleste Monsieur Henry Ghys.

    Eritis sicut Dii

    (Ancien Testament.)Chose trange et capable dveiller le sourire chez un financier : il Vagit

    du Ciel ! Mais entendons-nous : du ciel considr au point de vue industrielet srieux.

    Certains vnements historiques, aujourdhui scientifiquement avrs etexpliqus (ou tout comme), par exemple le Labarum de Constantin, lescroix rpercutes sur les nuages par des plaines de neige, les phnomnesde rfraction du mont Brocken et certains effets de mirage dans les contresborales, ayant singulirement intrigue et, pour ainsi dire, piqu au jeu unsavant ingnieur mridional, M. Grave, celui-ci conut, il y a quelquesannes, le projet lumineux dutiliser les vastes tendues de la nuit, etdlever, en un mot, le ciel la hauteur de lpoque.

    quoi bon, en effet, ces votes azures qui ne servent rien, qudfrayer les imaginations maladives des derniers songe-creux ? Ne serait-cepas acqurir de lgitimes droits la reconnaissance publique, et, disons-le(pourquoi pas ?), ladmiration de la Postrit, que de convertir ces espacesstriles en spectacles rellement et fructueusement instructifs, que de fairevaloir ces landes immenses et de rendre, finalement, dun bon rapport, cesSolognes indfinies et transparentes ?

    Il ne sagit pas ici de faire du sentiment. Les affaires sont les affaires. Ilest propos dappeler le concours, et, au besoin, lnergie des gens srieuxsur la valeur et les rsultats pcuniaires de la dcouverte inespre dont nousparlons.

    De prime abord, le fond mme de la chose parait confiner limpossibleet presque linsanit. Dfricher lazur, coter lastre, exploiter les deuxcrpuscules, organiser le soir, mettre profit le firmament jusqu cejour improductif, quel rve ! quelle application pineuse, hrisse dedifficults ! Mais, fort de lEsprit de progrs, de quels problmes lHommene parviendrait-il pas trouver la solution ?

    Plein de cette ide et convaincu que si Franklin, Benjamin Franklin,limprimeur, avait arrach la foudre au ciel, il devait tre possible, fortiori, demployer ce dernier des usages humanitaires, M. Grave, tudia,voyagea, compara, dpensa, forgea, et, la longue, ayant perfectionn leslentilles normes et les gigantesques rflecteurs des ingnieurs amricains,

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    notamment des appareils de Philadelphie et de Qubec (tombs, faute dungnie tenace, dans le domaine du Cant et du Puff), M. Grave, disons-nous, sepropose (nanti de brevets pralables) doffrir, incessamment, nos grandesindustries manufacturires et mme aux petits ngociants, le secours dunePublicit absolue.

    Toute concurrence serait impossible devant le systme du grandvulgarisateur. Quon se figure, en effet, quelques-uns de nos grands centresde commerce, aux populations houleuses, Lyon, Bordeaux, etc., lheureo tombe le soir. On voit dici ce mouvement, cette vie, cette animationextraordinaire que les intrts financiers sont seuls capables de donner,aujourdhui, des villes srieuses. Tout coup, de puissants jets demagnsium ou de lumire lectrique, grossis cent mille fois, partent dusommet de quelque colline fleurie, enchantements des jeunes mnages, dune colline analogue, par exemple, notre cher Montmartre ; cesjets lumineux, maintenus par dimmenses rflecteurs versicolores, envoient,brusquement, au fond du ciel, entre Sirius et Aldbaran, lil du taureau sinon mme au milieu des Eyades, limage gracieuse de ce jeune adolescentqui tient une charpe sur laquelle nous lisons tous les jours, avec un nouveauplaisir, ces belles paroles : On restitue lor de toute emplette qui a cessde ravir ! Peut-on bien simaginer les expressions diffrentes que prennent,alors, toutes ces ttes de la foule, ces illuminations, ces bravos, cetteallgresse ? Aprs le premier mouvement de surprise, bien pardonnable,les anciens ennemis sembrassent, les ressentiments domestiques les plusamers sont oublis : lon sassoit sous la treille pour mieux goter cespectacle la fois magnifique et instructif, et le nom de M. Grave, emportsur laile des vents, senvole vers limmortalit.

    Il suffit de rflchir, un tant soit peu, pour concevoir les rsultats decette ingnieuse invention. Ne serait-ce pas de quoi tonner la Grande-Ourse elle-mme, si, soudainement, surgissait, entre ses pattes sublimes,cette annonce inquitante : Faut-il des corsets, oui, ou non ? Ou mieuxencore : ne serait-ce pas un spectacle capable dalarmer les esprits faibles etdveiller lattention du clerg que de voir apparatre, sur le disque mmede notre satellite, sur la face panouie de la Lune, cette merveilleuse pointesche que nous avons tous admire sur les boulevards et qui a pour exergue : lHirsute ? Quel coup de gnie si, dans lun des segments tirs entre le vde lAtelier du Sculpteur, on lisait enfin : Vnus, rduction Kaulla ! Quelmoi si, propos de ces liqueurs de dessert dont on recommande lusage plus dun titre, on apercevait, dans le sud de Rgulus, ce chef-lieu du Lion,sur la pointe mme de lpi de la Vierge, un Ange tenant un flacon la main,tandis que sortirait de sa bouche un petit papier sur lequel on lirait ces mots :Dieu, que cest bon !

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    Bref, un conoit quil sagit, ici, dune entreprise daffichage sansprcdents, responsabilit illimite, au matriel infini : le Gouvernementpourrait mme la garantir, pour la premire fois de sa vie.

    Il serait oiseux de sappesantir sur les services, vraiment minents, quunetelle dcouverte est appele rendre la socit et au Progrs. Se figure-t-on, par exemple, la photographie sur verre, et le procd de Lampascopeappliqus de cette faon, cest--dire cent mille fois grandis, soit pourla capture des banquiers en fuite, soit pour celle des malfaiteurs clbres ? Le coupable, dsormais facile suivre, comme dit la chanson, ne pourraitmettre le nez la fentre de son wagon sans apercevoir dans les nues safigure dnonciatrice.

    Et en politique ! en matire dlections, par exemple ! Quelleprpondrance ! Quelle suprmatie ! Quelle simplification incroyable dansles moyens de propagande, toujours si onreux ! Plus de ces petits papiersbleus, jaunes, tricolores, qui abment les murs et nous redisent sans cessele mme nom, avec lobsession dun tintouin ! Plus de ces photographies sidispendieuses (le plus souvent imparfaites) et qui manquent leur but, cest--dire qui nexcitent point la sympathie des lecteurs, soit par lagrment destraits du visage des candidats, soit par lair de majest de lensemble ! Car,enfin, la valeur dun homme est dangereuse, nuisible et plus que secondaire,en politique ; lessentiel est quil ait lair digne aux yeux de ses mandants.

    Supposons quaux dernires lections, par exemple, les mdaillons deMM. B et A fussent apparus tous les soirs, en grandeur naturelle, justesous ltoile de la Lyre ? Ctait l leur place, on en conviendra !puisque ces hommes dtat enfourchrent jadis Pgase, si lon doit en croirela Renomme. Tous les deux eussent t exposs l, pendant la soirequi et prcd le scrutin ; tous deux lgrement souriants, le front voildune convenable inquitude, et, nanmoins, la mine assure. Le procddu Lampascope pouvait mme, laide dune petite roue, modifier toutinstant lexpression des deux physionomies. On et pu les faire sourire lAvenir, rpandre des larmes sur nos mcomptes, ouvrir la bouche, plisserle front, gonfler les narines dans la colre, prendre lair digne, enfin tout cequi concerne la tribune et donne tant de valeur la pense chez un vritableorateur. Chaque lecteur et fait son choix, et pu enfin, se rendre compte lavance, se ft fait une ide de son dput et net pas, comme on dit, achetchat en poche. On peut mme ajouter que, sans la dcouverte de M. Grave,le Suffrage universel est une espce de drision.

    Attendons-nous, en consquence, ce que lune de ces aubes, ou mieux,lun de ces soirs, M. Grave, appuy par le concours dun gouvernementclair, commencera ses importantes expriences. Les incrdules aurontbeau jeu dici l ! Comme du temps o M. de Lesseps parlait de runir des

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    Ocans (ce quil a fait, malgr les incrdules). La Science aura donc, iciencore, le dernier mot et M. Excessivement-Grave laissera rire. Grce lui,le Ciel finira par tre bon quelque chose et par acqurir, enfin, une valeurintrinsque.

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    Antonie Nous allions souvent chez la Dath : nous y faisions de la morale et

    quelquefois pis.

    Le prince de Ligne.Antonie se versa de leau glace et mit son bouquet de violettes de Parme

    dans son verre : Adieu les flacons de vins dEspagne ! dit-elle.Et, se penchant vers un candlabre, elle alluma, souriante, un papelito

    roul sur une pince de phresli ; ce mouvement fit tinceler ses cheveux,noirs comme du charbon de terre.

    Nous avions bu du Jerez toute la nuit. Par la croise, ouverte sur lesjardins de la villa, nous entendions le bruissement des feuillages.

    Nos moustaches taient parfumes de santal et, aussi, de ce quAntonienous laissait cueillir les roses rouges de ses lvres avec un charme tour toursi sincre, quil ne suscitait aucune jalousie. Rieuse, elle se regardait ensuitedans les miroirs de la salle ; lorsquelle se tournait vers nous, avec des airsde Cloptre, ctait pour se voir encore dans nos yeux ?

    Sur son jeune sein sonnait un mdaillon dor mat, aux initiales depierreries (les siennes), attach par un velours noir.

    Un signe de deuil ? Tu ne laimes plus.Et, comme on lenlaait : Voyez ! dit-elle.Elle spara, de son ongle fin, les fermoirs du mystrieux bijou : le

    mdaillon souvrit. Une sombre fleur damour, une pense, y dormait,artistement tresse en cheveux noirs.

    Antonie ! daprs ceci, votre amant doit tre quelque enfant sauvageenchan par vos malices ?

    Un drille ne vous baillerait point, aussi navement, pareils gages detendresse !

    Cest mal de les montrer dans le plaisir !Antonie partit dun clat de rire si perl, si joyeux, quelle fut oblige de

    boire, prcipitamment, parmi ses violettes, pour ne point se faire mal. Ne faut-il pas des cheveux dans un mdaillon ? en tmoignage ? dit-

    elle. Sans doute ! sans doute ! Hlas ! mes chers amants, aprs avoir consult mes souvenirs, cest

    lune de mes boucles que jai choisie et je la porte par esprit de fidlit.

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    La Machine gloire S. G. D. G. Monsieur Stphane Mallarm.

    Sic itur ad astra !

    Quels chuchotements de toutes parts ! Quelle animation, mle dunesorte de contrainte, sur les visages ! De quoi sagit-il ?

    Il sagit ah ! dune nouvelle sans pareille dans les annales rcentesde lHumanit.

    Il sagit de la prodigieuse invention du baron Bottom, de lingnieurBathybius Bottom !

    La Postrit se signera devant ce nom (dj illustre de lautre ct desmers), comme au nom du docteur Grave et de quelques autres inventeurs,vritables aptres de lUtile. Quon juge si nous exagrons le tributdadmiration, de stupeur et de gratitude qui lui est d ! Le rendement desa machine, cest la Gloire ! Elle produit de la gloire comme un rosier desroses ! Lappareil de lminent physicien fabrique la Gloire.

    Elle en fournit. Elle en fait natre, dune faon organique et invitable.Elle vous en couvre ! nen voult-on pas avoir : lon veut senfuir, et celavous poursuit.

    Bref, la Machine-Bottom est, spcialement, destine satisfaire cespersonnes de lun ou de lautre sexe, dites Auteurs dramatiques, qui, prives leur naissance (par une fatalit inconcevable !) de cette facult, dsormaisinsignifiante, que les derniers littrateurs sobstinent encore fltrir du nomde Gnie, sont nanmoins jalouses de soffrir, contre espces, les myrtesdun Shakespeare, les acanthes dun Scribe, les palmes dun Gthe et leslauriers dun Molire. Quel homme, ce Bottom ! Jugeons-en par lanalyse,par la froide analyse de son procd, au double point de vue abstrait etconcret.

    Trois questions se dressent a priori :1 Quest-ce que la Gloire ?2 Entre une machine (moyen physique) et la Gloire (but intellectuel)

    peut-il tre dtermin un point commun formant leur unit ?3 Quel est ce moyen terme ?Ces questions rsolues, nous passerons la description du Mcanisme

    sublime qui les enveloppe dune solution dfinitive.Commenons.1 Quest-ce que la Gloire ?

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    Si vous adressez pareille question lun de ces plaisantins faisant laparade sur quelque trteau de journal et vers dans lart de tourner endrision les traditions les plus sacres, sans doute il vous rpondra quelquechose comme ceci :

    Une Machine Gloire, dites-vous ? Au fait, il y a bien une machine vapeur ? et la gloire, elle-mme, est-elle autre chose quune vapeur lgre ? quune sorte de fume ? quune

    Naturellement, vous tournerez le dos ce misrable jeannin, dont lesparoles ne sont quun bruit de la langue contre la vote palatale.

    Adressez-vous un pote, voici, peu prs, lallocution qui schapperade son noble gosier :

    La Gloire est le resplendissement dun nom dans la mmoire deshommes. Pour se rendre compte de la nature de la gloire littraire, il fautprendre un exemple.

    Ainsi, nous supposerons que deux cents auditeurs sont assemblsdans une salle. Si vous prononcez, par hasard, devant eux, le nom de : Scribe (prenons celui-l), limpression lectrisante que leur causera cenom peut, davance, tre traduite par la srie dexclamations suivante (cartout le monde actuel connat son Scribe) :

    Cerveau compliqu ! Gnie sduisant ! Fcond dramaturge Ah !oui, lauteur de lHonneur et lArgent ? Il a fait sourire nos pres !

    Scribe ? Utt ! Peste ! ! ! Oh ! oh ! Mais ! Sachant tourner le couplet ! Profond, sous un aspect riant ?

    En voil un qui laissait dire ! Une plume autorise, celle-l ! Grandhomme : il a gagn son pesant dor !

    Et rompu aux ficelles du Thtre ! etc Bien. Si vous prononcez, ensuite, le nom de lun de ses confrres, de

    Milton, par exemple, il y a lieu desprer que 4, sur les deux centspersonnes, cent quatre-vingt-dix-huit nauront, certes, jamais parcouru nimme feuillet cet crivain, et 2, que le Grand-Architecte de lUnivers peut,seul, savoir de quelle faon les deux autres simagineront lavoir lu, puisque,selon nous, il ny a pas, sur le globe terraqu, plus dun cent dindividus parsicle (et encore !) capables de lire quoi que ce soit, voire des tiquettes depots moutarde.

    Cependant, au nom de Milton, il sveillera, dans lentendementdes auditeurs, la minute mme, linvitable arrire-pense dune uvrebeaucoup moins intressante, au point de vue positif, que celle de Scribe. Mais cette rserve obscure sera nanmoins telle, que, tout en accordantplus destime pratique Scribe, lide de tout parallle entre Milton et cedernier semblera (dinstinct et malgr tout) comme lide dun parallle

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    entre un sceptre et une paire de pantoufles, quelque pauvre quait t Milton,quelque argent quait gagn Scribe, quelque inconnu que soit longtempsdemeur Milton, quelque universellement notoire que soit, dj, Scribe. Enun mot, limpression que laissent les vers, mme inconnus, de Milton, tantpasse dans le nom mme de leur auteur, ce sera, ici, pour les auditeurs,comme sils avaient lu Milton. En effet, la Littrature proprement ditenexistant pas plus que lEspace pur, ce que lon se rappelle dun grandpote, cest lImpression dite de sublimit quil nous a laisse, par et traversson uvre, plutt que luvre elle-mme, et cette impression, sous le voiledes langages humains, pntre les traductions les plus vulgaires. Lorsque cephnomne est formellement constat propos dune uvre, le rsultat dela constatation sappelle la Gloire !

    Voil ce quen rsum rpondra notre pote ; nous pouvons laffirmerdavance, mme au tiers tat, ayant interrog des gens qui se sont mis dansla Posie.

    Eh bien ! nous nhsiterons pas rpondre, nous, et pour conclure, quecette phrasologie, o perce une vanit monstrueuse, est aussi vide que legenre de gloire quelle prconise ! Limpression ? Quest-ce que cest quea ? Sommes-nous des dupes ? Il sagit dexaminer, avec une simplicitsincre et par nous-mmes, ce quest la Gloire ! Nous voulons faire lessailoyal de la Gloire. Celle dont on vient de nous parler, personne, parmi lesgens honorables et vraiment srieux, ne se soucierait de lacqurir, ni mmede la supporter ! lui offrt-on dtre rtribu pour cela ! Nous lesprons,du moins, pour la socit moderne.

    Nous vivons dans un sicle de progrs o, pour employer, prcisment,lexpression dun pote (le grand Boileau), un chat est un chat.

    En consquence, et forts de lexprience universelle du Thtre moderne,nous prtendons, nous, que la Gloire se traduit par des signes et desmanifestations sensibles pour tout le monde ! Et non par des discourscreux, plus ou moins solennellement prononcs. Nous sommes de ceux quinoublient jamais que tonneau vide rsonne toujours mieux que tonneauplein.

    Bref, nous constatons et affirmons, nous, que plus une uvredramatique secoue la torpeur publique, provoque denthousiasmes, enlvedapplaudissements et fait de bruit autour delle, plus les lauriers et lesmyrtes lenvironnent, plus elle fait rpandre de larmes et pousser dclats derire, plus elle exerce, pour ainsi dire, de force, une action sur la foule,plus elle simpose, enfin, plus elle runit, par cela mme, les symptmesordinaires du chef-duvre et plus elle mrite, par consquent, la GLOIRE.Nier cela, serait nier lvidence. Il ne sagit pas ici dergoter, mais de sebaser sur des faits et des choses stables ; nous en appelons la conscience

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    du Public, lequel, Dieu merci ! ne se paye plus de mots ni de phrases. Etnous sommes srs quil est, ici, de notre avis.

    Cela pos, y a-t-il un accord possible entre les deux termes (enapparence incompatibles) de ce problme (de prime abord insoluble) : Unepure machine propose comme moyen datteindre, infailliblement, un butpurement intellectuel ?

    Oui !LHumanit (il faut lavouer), antrieurement labsolue dcouverte du

    baron, avait, mme, dj trouv quelque chose dapprochant : mais ctaitun moyen terme ltat rudimentaire et drisoire : ctait lenfance de lart !le balbutiement ! Ce moyen terme tait ce quon appelle encore de nosjours, en termes de thtre, la Claque .

    En effet, la Claque est une machine faite avec de lhumanit, et, parconsquent, perfectible. Toute gloire a sa claque, cest--dire son ombre, sonct de supercherie, de mcanisme et de nant (car le Nant est lorigine detoutes choses), que lon pourrait nommer, en gnral, lentregent, lintrigue,le savoir-faire, la Rclame.

    La Claque thtrale nen est quune subdivision. Et lorsque lillustrechef de service du thtre de la Porte-Saint-Martin, le jour dune premirereprsentation, a dit son directeur inquiet : Tant quil restera dan ? lasalle un de ces gredins de payants, je ne rponds de rien ! il a prouvquil comprenait la confection de la Gloire ! Il a prononc des parolesvritablement immortelles ! Et sa phrase frappe comme un trait de lumire.

    miracle ! Cest sur la Claque. cest sur elle, disons-nous, et pas surautre chose, que Bottom a puissamment abaiss son coup dil daigle !Car le vritable grand homme nexclut rien : il se sert de tout en dpassantle reste.

    Oui ! le baron la rgnre, sinon innove, et il la fera, enfin, sanctionner,pour nous couvrir de lexpression mme des journaux.

    Qui donc, surtout parmi le gros du public, a pntr les mystres, lesressources infinies, les abmes dingniosit de ce Prote, de cette hydre, dece Briare quon appelle la Claque ?

    Il est des personnes qui, avec le sourire de la suffisance, pourront trouver propos de nous objecter que : 1 La Claque dgote les auteurs ; 2 quelleennuie le Public ; 3 quelle tombe en dsutude. Nous allons, simplement,leur prouver, linstant mme, que, si elles nous disent des choses pareilles,elles auront perdu une occasion de se taire quelles ne retrouveront peut-tre jamais.

    1 Un auteur dgot de la Claque ? Dabord, o est-il cet homme-l ?Comme si chaque auteur, le jour dune premire, ne renforait pas encorela Claque avec ses amis, autant quil le peut, en leur recommandant de

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    soigner le succs . Ce quoi les amis, tous fiers de cette complicit (monDieu ! bien innocente), rpondent, invariablement, en clignant de lil et enmontrant leurs bonnes grosses mains franches : Comptez sur nos battoirs.

    2 Le Public ennuy de la Claque ? Oui : et de bien dautres chosesquil supporte, cependant ! Nest-il pas destin au perptuel ennui de tout etde lui-mme ? La preuve en est sa prsence mme au Thtre. Il nest l quepour tcher de se distraire, le malheureux ! Et pour essayer de se fuir lui-mme ! De sorte que dire cela, cest, au fond, ne rien dire. Quest-ce que celafait la Claque que le Public en soit ennuy ? Il la supporte, la stipendie et sepersuade quelle est ncessaire, au moins pour les comdiens . Passons.

    3 La Claque est tombe en dsutude ? Simple question : Quand doncfut-elle jamais plus florissante ? Faut-il forcer le rire ? Aux passages quiveulent tre spirituels et qui vont faire long feu, on entend, tout coup, dansla salle, le petit susurrement dun rire touff et contenu, comme celui quicontracte un diaphragme surcharg par livresse dune impression comiqueirrsistible. Ce petit bruit suffit, parfois, pour faire partir toute une salle.Cest la goutte deau qui fait dborder le vase. Et comme on ne veut pasavoir ri pour rien ni stre laiss entraner par personne, on avoue quela pice est drle et quon sy est amus : ce qui est tout. Le monsieur qui afait ce bruit cote peine un napolon. (La Claque.)

    Sagit-il de pousser jusqu lovation quelque murmure approbatifchapp, par malheur, au public ? Rome est toujours l. Il y a le Oua-Ouaou .

    Le Oua-Ouaou, cest le bravo pouss au paroxysme ; cest un abrviatifarrach par lenthousiasme, alors que, transport, ravi, le larynx oppress,on ne peut plus prononcer du mot italien bravo que le cri gutturalOua-Ouaou. Cela commence, tout doucement, par le mot bravo lui-mme,articul, vaguement, par deux ou trois voix : puis cela senfle, devient brao,puis grossit de tout le public trpignant et enlev jusquau cri dfinitif de Br-oua-ouaou ; ce qui est presque laboiement. Cest l lovation.Cot : trois pices dor de la valeur de vingt francs chacune (Encorela Claque !)

    Sagit-il, dans une partie dsespre, de dtourner le taureau et dedistraire sa colre ? Le Monsieur au bouquet se prsente. Voici ce que cest.Au milieu dune tirade fastidieuse que rcite la jeune premire, pouvantedu silence de mort qui rgne