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Les banques à statut coopératif ont-elles plus de capacité à résister à la crise financière et à la surmonter ? Yasmina LEMZERI, Mireille JAEGER et Jean-Noël ORY 1 Introduction En France, lors de la crise bancaire des années 1990, les banques coopératives se sont avérées beaucoup plus performantes et solides que les banques SA, ce qui leur a permis de gagner des parts de marché et (ou) d'accumuler des réserves, et d'acquérir des banques SA en difficulté. Cette forte compétitivité s'appuyait essentiellement sur une meilleure capacité à gérer le risque, avec un meilleur contrôle et une meilleure couver- ture, résultant en un moindre coût. L'exigence moins forte de rentabilité des capitaux propres permettait également soit de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux des banques SA pour une marge équivalente (gain de parts de marché), soit d'accumuler plus de ré- serves pour un tarif équivalent (meilleure couverture du risque et capacité à saisir les opportunités d'acquisition de banques en difficulté). Cet avantage concurrentiel pouvait être imputé à l'organisation et à la gouvernance associées au statut coopératif (Gurtner, Jaeger et Ory, 2006). Ces enchaînements favorables ne semblent plus être mis en œuvre dans le déroulement de la crise financière actuelle pour ce qui concerne les banques coopératives françaises. De fait, le modèle coopératif français s'est étiolé dans le secteur bancaire, avec l'hybri- dation des groupes coopératifs qui ont incorporé des véhicules cotés en bourse (y com- pris les têtes de groupes), et qui se sont progressivement alignés sur les critères et les modes de fonctionnement des banques à capital actions (Banques SA). Or, ce serait un avantage incomparable que de pouvoir s'appuyer sur des banques solides et résilientes dans la crise que nous traversons, et ceci au niveau mondial. C'est pourquoi nous nous proposons dans cet article d'analyser le comportement des grandes banques en essayant de comparer la résistance et la résilience des banques-SA et des banques coopératives face à la crise financière récente (2008-2010), en étendant notre analyse, outre le cas français, à dix autres pays européens et nord-américains. La résistance s'interprétera comme une relative insensibilité à la crise. Ainsi, nous cher- cherons si la situation des banques coopératives se dégrade moins pendant la crise. La résilience s'interprètera comme la faculté de vaincre l'adversité ou une situation de risque, donc de se redresser voire de rebondir après avoir subi la crise. L’étonnant pouvoir des coopératives ...209...

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Les banques à statut coopératif ont-elles plus de capacitéà résister à la crise financière et à la surmonter ?

Yasmina LEMZERI, Mireille JAEGER et Jean-Noël ORY1

Introduc tion

En France, lors de la crise bancaire des années 1990, les banques coopératives se sontavérées beaucoup plus performantes et solides que les banques SA, ce qui leur a permisde gagner des parts de marché et (ou) d'accumuler des réserves, et d'acquérir desbanques SA en difficulté. Cette forte compétitivité s'appuyait essentiellement sur unemeilleure capacité à gérer le risque, avec un meilleur contrôle et une meilleure couver-ture, résultant en un moindre coût. L'exigence moins forte de rentabilité des capitauxpropres permettait également soit de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux des banquesSA pour une marge équivalente (gain de parts de marché), soit d'accumuler plus de ré-serves pour un tarif équivalent (meilleure couverture du risque et capacité à saisir lesopportunités d'acquisition de banques en difficulté). Cet avantage concurrentiel pouvaitêtre imputé à l'organisation et à la gouvernance associées au statut coopératif (Gurtner,Jaeger et Ory, 2006).

Ces enchaînements favorables ne semblent plus être mis en œuvre dans le déroulementde la crise financière actuelle pour ce qui concerne les banques coopératives françaises.De fait, le modèle coopératif français s'est étiolé dans le secteur bancaire, avec l'hybri-dation des groupes coopératifs qui ont incorporé des véhicules cotés en bourse (y com-pris les têtes de groupes), et qui se sont progressivement alignés sur les critères et lesmodes de fonctionnement des banques à capital actions (Banques SA).

Or, ce serait un avantage incomparable que de pouvoir s'appuyer sur des banques solideset résilientes dans la crise que nous traversons, et ceci au niveau mondial. C'est pourquoinous nous proposons dans cet article d'analyser le comportement des grandes banquesen essayant de comparer la résistance et la résilience des banques-SA et des banquescoopératives face à la crise financière récente (2008-2010), en étendant notre analyse,outre le cas français, à dix autres pays européens et nord-américains.

La résistance s'interprétera comme une relative insensibilité à la crise. Ainsi, nous cher-cherons si la situation des banques coopératives se dégrade moins pendant la crise.

La résilience s'interprètera comme la faculté de vaincre l'adversité ou une situation derisque, donc de se redresser voire de rebondir après avoir subi la crise.

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Comment justifier que les banques coopératives résistentmieux à la crise ? Analyse théorique

Une dépendance moins forte vis-à-vis des marchés financiers

Les banques à statut coopératif n’ayant pas émis de parts cotées en bourse, elles sontmoins soumises à la pression des marchés. Elles n'ont pas comme objectif prioritaire demaximiser la valeur boursière de leurs titres et sont moins incitées à s’orienter vers desprojets risqués (à espérance de rentabilité plus forte), ce qui tend à les rendre plus stables.Comme leurs titres ne sont pas négociables en bourse, elles n'ont pas à craindre d'êtresoumises à une OPA et ne peuvent donc faire l'objet d'un rachat hostile, même en casd’inefficience, ce qui leur évite de se focaliser sur des objectifs de performance à courtterme, source d'instabilité.

Des objectifs limitant la prise de risque

Alors que les banques à statut actionnarial se focalisent exclusivement sur la maxi -misation de la richesse des actionnaires, les banques à statut coopératif ont pour objectifde répondre au bien-être des sociétaires et de l’économie locale. Les taux offerts pourla rémunération de l’épargne et les taux requis en cas de prêts doivent être avantageuxpour le client-sociétaire par rapport à ce qu’il aurait obtenu dans un autre établissementde crédit. Ce désintérêt à l’égard de la recherche de profits fait qu’elles sont moinsincitées à prendre des risques que les banques à statut actionnarial. Les projets retenussont moins rémunérateurs mais aussi moins risqués ; ce qui se comprend car lespropriétaires sont à la fois clients et décisionnaires. Ils n’ont aucun intérêt à prendre plusde risque car rien ne les y incite. Ils ont pour objectif de préserver l’héritageintergénérationnel et de faire en sorte que cette tradition se perpétue. Les dirigeants desbanques coopératives sont moins incités à la prise de risque excessive, et cela a poureffet de sécuriser les dépôts (Rasmusen, 1988).

Une recherche de valorisation à long terme

Le profit est nécessaire pour assurer l’avenir et la pérennité de la banque. En s’abstenantde placer l’objectif de rentabilité dans leur politique de développement, les groupescoopératifs seraient voués à disparaître (Hansmann et Krackmann, 2001). Les coûtsd’exploitation qu’ils supporteraient seraient également trop élevés ce qui constitue unfrein à la rentabilité. Cependant, les coopératives dégagent un excédent financier dontun pourcentage est automatiquement mis en réserves. La différence entre les proprié -taires actionnaires et les propriétaires sociétaires réside dans la volonté de pérenniser lafirme. Les auteurs Allen et Gale( 2004) montrent que cette volonté peut aboutir à longterme à une valeur de la firme plus élevée qu’elle ne le serait si l’on se concentraitexclusivement sur une maximisation du profit.

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Proximité favorisant la réduction d’asymétrie d’information

Les réseaux coopératifs disposent d’une large implantation territoriale qui leur permetde bénéficier d’un avantage de proximité avec la clientèle. La tarification doit alors êtreliée au profil de risque du client. Cette proximité permet de réduire l’asymétrie d’infor-mation en faveur de la banque et d’anticiper sur des éventuels problèmes d’aléa moralqui pourraient survenir une fois les contrats signés (Amess, 2002).

Stratégie de diversification du portefeuille de prêts

Vues comme des soutiens à l’économie locale, les banques coopératives peuvent alorsêtre moins enclines à procéder au rationnement de crédit, notamment en période decrise financière. Elles ont pour habitude de prêter aux PME-PMI implantées sur leursecteur territorial. Les PME sont souvent considérées comme fragiles, proches de lafaillite, et les coopératives savent prendre des risques en leur accordant des prêts,qu'elles limitent grâce à la diversification de leur portefeuille de crédits, et à une meil -leure connaissance de leur clientèle liée à la proximité.

Implantation territoriale en soutien à l’économie locale

Les administrateurs qui sont élus en qualité de représentants des sociétaires, et qui sontde ce fait les preneurs de décisions au niveau local, sont souvent des chefs d’entreprise.Ils ont alors pu expérimenter la difficulté pour une PME-PMI à faire financer un projet, ycompris lorsque les indicateurs du bilan sont positifs et que le carnet de commandes estplein à court et moyen termes. De plus, les sociétaires sont également souvent desentrepreneurs qui peuvent potentiellement être confrontés à des difficultés de finan -cement. On attend alors d’une banque qui se revendique comme agissant dans l’intérêtdes sociétaires, non soumise à un objectif prioritaire de recherche de profit, qu’elle suiveles projets de ses clients y compris dans des phases économiques complexes.

Impartageabilité des réserves favorisant la stabilité

Les réserves des coopératives sont impartageables. Elles appartiennent à la coopérativeet les sociétaires, pourtant propriétaires, n’ont aucun droit sur elles. Rien ne les incitedonc à encourager leurs administrateurs à entreprendre des projets risqués. D’autant plusque cette accumulation de réserves annuelles est un avantage certain en termes de sta-bilité financière ; elle peut servir à atténuer les fluctuations intervenant au cours de l’ac-tivité bancaire (Amess, 2002) et se traduire par une réduction du risque de faillite. Cedispositif permet aux banques à statut coopératif de contribuer à la stabilité financière.

Une politique de rémunération moins liée à la performance.

Les banques à statut coopératif n'utilisent pas de système de rémunération lié à la valeurboursière (tel que les stock-options ou l'attribution d'actions). Ainsi, les dirigeants nesont pas incités à prendre plus de risques dans le but de maximiser leurs revenus, comme

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dans les banques à statut actionnarial. La rémunération liée au capital, de nature option-nelle, et destinée à aligner les objectifs des dirigeants sur ceux des actionnaires, est eneffet très perverse et incitative à la prise de risque, car elle ne joue que positivement, encas de succès, mais ne pénalise pas en cas d'échec (Beltratti et Stulz, 2011).

Au total, ces éléments nous laissent penser que les banques coopératives :

� devraient se révéler plus stables et plus résistantes face à la crise financière, car mieuxcapitalisées et disposant d'actifs moins risqués ;

� devraient maintenir leurs prêts et continuer à soutenir l'économie plus que lesbanques à statut actionnarial ;

� devraient avoir avant la crise une performance financière moins forte, maisrelativement plus stable après le déclenchement de la crise.

C'est ce que nous allons tenter de vérifier.

Méthodologie

Démarche

On veut vérifier s'il existe des différences de résistance, de stabilité face à la crise et derésilience entre banques coopératives et banques SA, qui peuvent s'expliquer par desfacteurs d'organisation, de stratégie financière ou de gouvernance. Celles-là doivent êtreévaluées en contrôlant l'influence du pays d'implantation, car elles peuvent être dueslargement à des caractéristiques propres aux pays (institutionnelles, réglementaires,macro-économiques ou conjoncturelles).

Le modèle, estimé en cross section sur un échantillon de banques appartenant à 11 pays,est de la forme suivante :

Indicateur de résistancei= constante + α coop

i+ ∑ β

pD

ip+ ε

i, où coopi est une variable

dummy qui prend la valeur 1 si la banque i est une coopérative. Les Dip sont des dummiesreprésentant le pays. Le coefficient α et le t de Student associé nous indiquent si globa-lement les coopératives sont plus résistantes que les banques SA (signe positif), quandon contrôle le pays d'implantation (par des effets fixes-pays)

Une analyse détaillée des moyennes et variations, par pays, de l'indicateur, pour chaquecatégorie de banque, permet d'affiner les résultats (Tableau 2).

L'échantillonLes données permettant de mener les analyses descriptives proviennent de la baseBankscope (Bureau Van Dijk). Les pays retenus sont la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Finlande, l’Autriche, le Canada et les

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États-Unis. Tous les groupes coopératifs européens ont été intégrés dans la base. Concer-nant le Canada et les États-Unis, seuls les plus grands groupes coopératifs ont été prisen compte, malgré la présence d'une multitude de petites coopératives bancaires, parsouci d'homogénéité avec les groupes européens et pour permettre la comparaison avecles groupes à statut actionnarial, généralement de plus grande taille. Concernant lesgroupes à statut actionnarial, nous avons constitué un échantillon de 30 banques im-plantées dans les mêmes pays que les banques à statut coopératif. Les banques à statutactionnarial retenues sont celles qui disposent de la plus grande taille d’actifs. Nous dis-posons alors au final d’un échantillon de 49 banques, soit 30 à statut actionnarial et19 à statut coopératif.

Période d'analyseLes indicateurs de résistance ou de résilience sont observés sur la période 2006-2010 ; lamesure est effectuée en fin d'année (disponibilité des statistiques comptables). L'année2006 donne une situation de référence avant le début de la crise finnacière. Cette dernièrese déclenche en mars-avril 2007. D’abord, l'évolution des indicateurs entre décembre2006 et décembre 2008 mesure la résistance à la crise et permet d'observer ladétérioration de la situation de la banque au cours de la première année de crise. Puis,entre décembre 2008 et décembre 2010, elle permet de mesurer la résilience et d'observercomment les banques parviennent à surmonter la crise.

Spécification des indicateurs de résistance et de résilience face à la crise

Une banque sera considérée comme résistante si elle peut limiter son risque de faillite, sison activité se maintient et en particulier son incitation à faire des prêts, et si elle parvientà préserver une rentabilité suffisante de ses actifs et de ses fonds propres.

La résilience caractérise sa capacité à rebondir, et au moins à retrouver le niveau d'activitéantérieur.

Comment mesurer la résistance ou la résilience à la crise?

Nous retiendrons trois indicateurs : l'un qui mesure la solidité financière, le second ledynamisme de l'activité au service de l’économie, et le troisième la performancefinancière :

� Pour analyser si les banques se sont fragilisées, si leur risque de faillite a augmenté,nous retiendrons le zscore ainsi que son taux de variation. Cet indicateur mesure ladistance à la faillite : plus il est fort, plus la banque est éloignée de la faillite. Formule :z= (K+µ)/ σ où K représente le ratio capitaux sur actif total, µ représente la rentabilitédes actifs et σ représente l’écart-type de la rentabilité des actifs. On voit que le zscoretient compte simultanément de la capitalisation de la banque et de la rentabilité de sesactifs.

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Pour voir si les banques ont pu maintenir leur niveau d'activité, nous observerons le tauxde variation des prêts accordés (t_loans). Cet indicateur est également significatif du rôleéconomique et social de la banque, qui justifie que les autorités de tutelle se soient mo -bilisées pour les renflouer ou pour assurer leur liquidité.

La capacité à préserver les profits, ou une certaine rentabilité, peut se mesurer à partirdu taux de rentabilité financière (roe, return on equity). Le roe est un indicateur deperformance financière et peut servir aussi à mesurer la résistance des banques à la criseet leur capacité de rebond.

Spécification des variables

Pour analyser la résistance à la crise ou la résilience, les variables seront spécifiées entaux de variation (sauf le roe). Elles seront calculées en 2006 (en niveau), pour avoir uneidée de la situation de départ, en 2008, 1re année de crise, et sur 3 ans, de 2008 à 2010.Les variables qui ont une nature de rendement resteront sous cette forme.

Pour étudier la résilience (la capacité à rebondir, à rattraper son retard), on pourracalculer le taux de variation ou la performance sur les 2 années 2009 et 2010, suivantla première année de crise.

zscore 2006 : il s’agit de la valeur prise par le zscore en 2006

t_zscore08 = ∆zscore06-08/zscore06 : on mesure ici le taux de variation du zscore entre2006 et 2008

t2_zscore = ∆zscore08-10/zscore08 : on mesure ici le taux de variation du zscore entre2008 et 2010

t_loans08 = ∆loans06-08/loans06 : cet indicateur permet de connaître le taux de varia-tion des prêts octroyés par la banque entre 2006 et 2008

t2_loans = ∆loans08-10/loans08 : cet indicateur permet de connaître le taux de variationdes prêts octroyés par la banque entre 2008 et 2010

ROE2006 : il s’agit de la rentabilité des capitaux (Return On Equity) réalisée par unebanque en 2006

ROE2008 : il s’agit de la rentabilité des capitaux (Return On Equity) réalisée par unebanque en 2008

ROE2010 : il s’agit de la rentabilité des capitaux (Return On Equity) réalisée par unebanque en 2010

ROE06-07 : cet indicateur permet de mesurer la rentabilité cumulée des capitaux d’unebanque sur une période de deux années, 2006 et 2007

ROE06-08 : cet indicateur permet de mesurer la rentabilité cumulée des capitaux d’unebanque sur une période de trois années, de 2006 à 2008

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ROE09-10 : cet indicateur permet de mesurer la rentabilité cumulée des capitaux d’unebanque sur une période de deux années, 2009 et 2010

ROE06-10 : cet indicateur permet de mesurer la rentabilité cumulée des capitaux d’unebanque sur une période de cinq années, de 2006 à 2010

Analyses et résultats

Des banques coopératives en situation plus favorable, plus solidementcapitalisées, juste avant la crise

Comme période pré-crise, nous retenons l’année 2006. Celle-ci étant suffisammentéloignée de 2008, année de début de crise officielle, cela permet de considérer le niveaudes indicateurs avec une certaine objectivité. Le premier constat que l’on peut dressersur l’année 2006 est relatif au zscore (Tableau 1) : il est nettement plus élevé chez lesgroupes à statut coopératif puisqu’il dépasse celui présenté par les groupes à statutactionnarial de douze points. Ce qui confirme la théorie qui décrit les groupes à statutcoopératif comme acteurs contribuant positivement à la stabilité financière. On noteracependant qu’ils présentent en parallèle une rentabilité des capitaux inférieure à celleréalisée par les groupes à statut actionnarial. En dépit du fait que cette rentabilité soitinférieure, on relève toutefois qu’elle est élevée, ce qui remet en question les propos lescaractérisant comme des entités ne réalisant que peu de profit.

Nous poursuivons la comparaison au travers des moyennes établies par pays et parstatut. Pour renforcer les mesures de différences d’impact de structure de propriété enprenant en compte la situation géographique, nous nous appuyons également sur lestests économétriques en incluant respectivement en variable endogène le zscore de 2006puis la rentabilité des capitaux (ROE) de 2006. Les modèles estimés sont les suivants :

Zscore2006= constante + 20,52 coopi+ ∑ β

pD

ip+ ε

i(équation 1 du tableau 2) (2,10)

ROE06 = constante + -4,592 coopi+ ∑ β

pD

ip+ ε

i(équation 10 du tableau 2) (-2,76)

En 2006, période pré-crise, il apparaît que la majorité des groupes à statut coopératifdisposent d’un zscore plus élevé que ceux présentés par les groupes à statut actionnarial.Seuls les groupes à statut coopératif implantés en Espagne, au Royaume-Uni et auPortugal ont un zscore inférieur à leurs homologues à statut actionnarial (Tableau 3), cequi peut s’expliquer par une capitalisation moindre. L’apport en stabilité financière desbanques à statut coopératif est confirmé par la régression avec un coefficient élevé trèssignificatif. Les niveaux de rentabilité relatifs aux groupes à statut coopératif sont élevés ;mais, à l’exception des groupes à statut coopératif autrichiens, tous présentent unerentabilité des capitaux inférieure à celle réalisée par les groupes à statut actionnarial.La moindre performance financière moindre se confirme d’ailleurs par l’analyseéconométrique avec un coefficient négatif hautement significatif.

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Il apparaît alors que les groupes à statut coopératif qui présentent une forte capitalisationcontribuent plus à la stabilité financière.

Une meilleure capacité des banques coopératives à résister à la crise financière

Pour étudier la résistance à la crise, nous nous focalisons sur les variations des indicateursde stabilité financière, de rentabilité et de contribution au financement de l’économieentre 2006 et 2008. Concernant la rentabilité, nous approfondirons l’analyse en nousappuyant également sur la performance réalisée sur la période 2006-2007 et la rentabi-lité observée en 2008.

Sur cette période, on constate que les groupes à statut coopératif ou actionnarial onttous deux enregistré une évolution négative de leurs indicateurs (Tableau 1). Cependant,la dégradation du zscore des groupes à statut coopératif est bien inférieure à celle desgroupes à statut actionnarial. Ceci qui montre que les groupes à statut coopératif ontmieux résisté à la crise. De plus, entre 2006 et 2008, leur rentabilité des capitaux s’estdétériorée de façon plus atténuée que les groupes à statut actionnarial ; ces derniers pré-sentent en plus une rentabilité négative en 2008. En période de crise, on note que quelleque soit la forme de propriété, la taille des prêts accordés évolue de façon positive. Maiscette hausse est plus importante chez les groupes à statut actionnarial.

Comme précédemment, nous renforçons l’analyse des comparaisons de moyennes selonle statut et la situation géographique par une analyse économétrique. Nous nous ap-puyons pour cela sur les régressions suivantes :

t_zscore08 = constante + 10,37 coopi+ ∑ ß

pD

ip+ ε

i(équation 4 du tableau 2) (1,78)

t_loans08 = constante - 14,62 coopi+ ∑ ß

pD

ip+ ε

i(équation 7 du tableau 2) (-2,1)

ROE06-07 = constante - 9,4 coopi+ ∑ ß

pD

ip+ ε

i(équation 13 du tableau 2) (2,34)

ROE06-08 = constante + 5,83 coopi+ ∑ ß

pD

ip+ ε

i(équation 14 du tableau 2) (0,46)

ROE08 = constante + 13 coopi+ ∑ ß

pD

ip+ ε

i(équation 11 du tableau 2) (1,46)

En se focalisant sur la variation du zscore entre 2006 et 2008 selon le statut et le pays, onconstate qu’à l’exception de ceux implantés au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et au Portugalles groupes à statut coopératif ont enregistré une dégradation de leur indicateur. Cependant,cette dégradation n’a été supérieure à celle subie par les groupes à statut actionnarial qu’enItalie et en Autriche. Ceci signifie que les groupes à statut coopératif ont fait preuve de plusde résistance en matière de contribution à la stabilité financière, sauf en Italie et en Autriche(Tableau 3). Cela se confirme au travers de l’analyse économétrique puisque le coefficientaffecté à la variation du zscore est positif et significatif.

Toujours en période de crise, et plus particulièrement en 2008, on constate que tous lesgroupes à statut actionnarial ont subi une baisse drastique de leur rentabilité par rapport à

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celle réalisée en 2006, puis sur la période 2006-2007. Au Portugal, aux Pays-Bas et auxÉtats-Unis, les groupes à statut coopératif ont enregistré une amélioration de leurindicateur de performance financière. De plus, hormis au Canada, en Finlande, auRoyaume-Uni et en Italie, les groupes à statut coopératif ont certes vu leur rentabilitéévoluer de façon négative, mais dans de moindres proportions que les groupes à statutactionnarial. Ceci montre que les groupes à statut coopératif ont fait preuve d’une plusgrande résistance à la crise en parvenant à maîtriser leur performance financière(Tableau 3). Nous en avons de nouveau la confirmation par le biais de l’analyse éco -nométrique où le coefficient, de négatif et significatif sur la période 2006-2007 passe àpositif mais non significatif en 2008.

Concernant la contribution au financement de l’économie, on constate de façonétonnante qu'elle est en forte croissance en moyenne pour l'ensemble des banques :seules 20% d’entre elles diminuent leurs prêts sur 2006-2008. Le taux de croissance deceux-ci est de 30% sur 2006-2010 en moyenne. On peut penser que c'est l'effet despolitiques de soutien des banques par les autorités de tutelle. Globalement, l'évolutiondes prêts a été significativement moins forte pour les coopératives de 2006 à 2008, maisselon les pays la situation est contrastée : on note qu’à l’exception du Royaume-Uni, tousles groupes à statut coopératif ont une évolution positive de leur volume de prêtsoctroyés en 2006 et 2008. Cependant, cette variation n’est supérieure à celles desgroupes à statut actionnarial qu’en Autriche, en Finlande, aux Pays-Bas et aux États-Unis(Tableau 3). Cette moindre performance en termes de variation de volume de prêtsaccordés se retrouve dans la régression où le coefficient est négatif et significatif.

Les groupes à statut coopératif, en contrôlant le pays, ont donc montré plus de résis -tance en période de crise que les groupes à statut actionnarial. Il convient alors de voirquel a été le comportement en termes de résilience selon le statut et le pays en périodepost-crise.

Les banques SA semblent avoir été plus résilientes à la crise financièreque les banques coopératives

L’analyse se fonde ici encore sur les comparaisons de moyennes entre pays et selon lestatut des banques. Le comportement des banques coopératives est analysé à traversl'estimation du coefficient de la variable dummy coop dans les équations économétriquessuivantes :

t2_zscore = constante + 15,91 coopi+ ∑ β

pD

ip+ ε

i(équation 5 du tableau 2) (0,63)

t2_loans = constante + 8,43 coopi+ ∑ β

pD

ip+ ε

i(équation 9 du tableau 2) (0,68)

ROE09-10 = constante + 6,61 coopi+ ∑ β

pD

ip+ ε

i(équation 15 du tableau 2) (0,99)

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Le coefficient de la variable coopérative n'étant pas significatif, on ne peut conclure queles banques coopératives et les banques-SA se différencient par leur capacité à surmonterla crise. Cependant, à nouveau, la situation est contrastée entre les pays, ce qui apparaîtà travers les comparaisons de moyennes.

L’étude de la capacité à faire preuve de résilience s’appuie sur les variations des indi -cateurs entre 2008 et 2010, mis à part l’analyse de la performance financière où, denouveau, nous décomposons l’année 2008 et la période 2009-2010. On s’intéresse enpremier lieu à l’évolution du zscore. On constate que les groupes à statut coopératifsitués en Espagne, Italie et au Portugal ont subi une dégradation de leur zscore. De plus,seuls ceux situés au Canada, en Finlande, en France et aux Pays-Bas ont accusé unevariation du zscore supérieure à celle des groupes à statut actionnarial (Tableau 3). Ilapparaît donc qu’en moyenne, les groupes à statut actionnarial font preuve de plus derésilience en période post-crise en termes d’apport en stabilité financière, ce qui seconcrétise par des taux de variation positifs très élevés. Il faut cependant remarquer qu'ilest normal que les banques coopératives rebondissent moins fortement, puisque leursituation s’était moins dégradée dans l'année qui a suivi le déclenchement de la crise.Pour autant, au vu des chiffres de 2010, il apparaît que les banques SA dans cettedeuxième période font plus que compenser la détérioration initiale de leur situation etcomblent en partie leur retard vis-à-vis des banques coopératives.

La performance financière annuelle de tous les groupes à statut actionnarial situés enAutriche, au Canada, en Espagne, au Portugal et aux États-Unis s’améliore fortement enpériode post-crise par rapport aux rentabilités réalisées en 2008. Cependant, celle desautres groupes à statut coopératif s’améliore également dans des proportions diverses.Ainsi, seuls ceux situés en Allemagne, en Finlande, en France, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis présentent une rentabilité supérieure à celle enregistrée par leurshomologues à statut actionnarial (Tableau 3). On constate aussi, dans de nombreux pays,une plus grande capacité de résilience des groupes à statut actionnarial en termes deperformance financière, même si, de nouveau, cela ne se vérifie pas via la régressionmenée car le coefficient estimé n’est pas significatif.

Enfin, après avoir montré des signes de faiblesse sur la contribution au financement del’économie en période de crise, il semblerait que les groupes à statut coopératif tendentà inverser la tendance. En effet, ceux situés en Allemagne, Autriche et au Royaume-Unienregistrent une variation négative de leur volume de prêts entre 2008 et 2010. AuPortugal, l’évolution est positive mais est inférieure à celle des groupes à statutactionnarial. Mais tous les groupes à statut coopératif situés dans les autres paysprésentent un taux de variation de volume de prêts supérieur à celui des banques à statutactionnarial (Tableau 3). La résilience des groupes à statut coopératif en qualité de

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contributeur au financement de l’économie en période post-crise serait alors plus forte.Mais comme précédemment, cette conclusion ne peut être tirée que par le biais descomparaisons de moyennes par pays, le coefficient issu de la régression n’étant passignificatif.

Globalement, on peut admettre qu’en période post-crise, au travers de la comparaisondes moyennes par pays, les groupes à statut actionnarial font preuve de plus de résilienceque les groupes à statut coopératif. Certes ces derniers ont su rebondir en accentuantleur offre de prêts ; mais les groupes à statut actionnarial ont montré plus de capacité àredresser les indicateurs qui s’étaient fortement dégradés en période de crise, parvenantainsi à combler l’important retard sur les groupes à statut coopératif.

Conclusion

Qu'ils soient à statut coopératif ou à statut actionnarial, tous les groupes bancaires ontété touchés par la crise dans des proportions diverses. Il s’avère cependant qu’avant ledébut de la crise, les groupes à statut coopératif semblaient mieux armés pour y résister.Plus fortement capitalisés, présentant des niveaux de contribution à la stabilité plusélevés que ceux des groupes à statut actionnarial, ils présentaient des avantages laissantbien augurer de leur aptitude à y faire face. L’analyse descriptive et économétrique nousa permis de confirmer cette hypothèse. Quelle que soit la période étudiée, les groupes àstatut coopératif affichent un zscore significativement plus élevé que les groupes à statutactionnarial. Au cours de la crise, les groupes à statut coopératif ont fait preuve derésistance en affichant des évolutions de ratio positives ou négatives mais dans demoindres proportions que les groupes à statut actionnarial. Mais en période post-crise,les groupes à statut actionnarial semblent avoir fait preuve de plus de résilience. Leursindicateurs qui s’étaient fortement dégradés en période de crise ont connu unredressement stupéfiant ; ils sont parvenus à combler le retard qui s’était creusé parrapport aux groupes à statut coopératif, même s’ils restent encore en deçà. Mais en dépitde l’infériorité qui demeure sur certains indicateurs, c’est surtout la capacité de résiliencequi est marquante. Les banques à statut actionnarial se sont fait renflouer par les États,au même titre certes que les banques à statut coopératif. Mais il est possible qu’ellesaient su en profiter pour entamer une profonde restructuration qui leur a permis deredresser leurs indicateurs et rattraper leur retard. À l’issue de ce papier, beaucoup depoints seront intéressants à approfondir ; notamment l’étude des facteurs expliquant lesdifférences de comportement entre les banques à statut coopératif et actionnarial,notamment ceux qui relèvent de l'organisation et de la gouvernance des groupes.

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Tableau 1 : Analyse descriptive globale avec GSC : Groupes à Statut Coopératifet GSA : Groupes à Statut Actionnarial

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Tableau 2 : Résultats des régressions menéesIndicateur de résistancei = constante + α coop

i+ ∑ β

pD

ip+ ε

i, où coopi est une

variable dummy qui prend la valeur 1 si la banque i est une coopérative.L’indicateur de résistance figure dans la ligne « variable expliquée».

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Tableau 3: Évolution des indicateurs par pays.

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Tableau 3: suite

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