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    MDIALOG N49 MARS 200438

    Vers une conomiede la connaissance ?

    LES TIC, LA FORMALISATION ET LE PARTAGE DES SAVOIRS

    DDynamique du savoir, gestion des connaissances, intelligence collectiveTrois concepts qui traduisent la part croissante de limmatriel dans la productiondes richesses. Comme le souligne le Commissariat gnral au Plan,la comptitivit des entreprises repose dsormais sur les comptences de leurs ressources humaines et leur capacit se doter dune organisation apprenante.Les TIC y jouent un rle important.On retrouve des considrations analogues propos de lefficacit du systme ducatif.

    Dans son rapport sur La France danslconomie du savoir le Commissariat Gnralau Plan indique qu lchelle de lentreprise,il est de plus en plus clair que lavantage comp-titif repose avant tout sur les comptences de sesressources humaines et la capacit se doterdune organisation apprenante, quil a pour prin-cipal ressort la dynamique du savoir et descomptences, quil suppose le partage dessavoirs (1). En effet, la part de limmatriel, dutravail intellectuel et de la recherche-dveloppe-ment dans les processus de cration desrichesses et dans les richesses elles-mmes necesse de crotre. Le changement est dans laquantit des savoirs produits, la complexit desproduits fabriqus et lorganisation des acteursdans la dynamique de la production des connais-sances. Les TIC ont contribu acclrer cettetendance dans les vingt dernires annes. Celavaut pour tous les secteurs conomiques, quilsproduisent des biens industriels classiques, desservices ou de la connaissance. Le consensus sefait pour dire que nous sommes entrs danslconomie de la connaissance.

    Trois approches complmentaires caractri-sent lconomie de la connaissance. Unepremire met laccent sur linnovation, laccl-ration du rythme des innovations, la capacit innover qui suppose ractivit et qualit. Unedeuxime souligne le caractre collectivementdistribu du mode de production de la connais-sance, dont le rle saccrot sans cesse. Les

    Jean-Pierre ARCHAMBAULTSCRN [CNDP] Mission Veille Technologique

    (1) Commissariat Gnral auPlan, La France dans l'conomiedu savoir : pour une dynamiquecollective, La DocumentationFranaise 2003.

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    entreprises se doivent dtre apprenantes, dansun dcloisonnement recherche-production, etune mise en relation avec les partenaires ext-rieurs, une mise en rseau de lentreprise quidevient entreprise tendue. La gestion et ledveloppement des connaissances deviennent deplus en plus des objectifs en soi. Il faut capita-liser les connaissances. Dabord reprer lesconnaissances cruciales. Puis les prserver, cest dire les modliser, les formaliser et lesconserver. Ensuite les valoriser au service dudveloppement de lentreprise, en les rendantaccessibles selon des rgles de confidentialit,les diffuser, les exploiter, les combiner, en crerde nouvelles. Il faut bien entendu les actualiser.On parle de Knowledge Management. Toutprojet de ce type ncessite la construction dunsystme dinformation stratgique capable dac-qurir linformation, la traiter, la visualiser, ladiffuser la bonne personne et cela au moyendune interface unique de recherche dinforma-tions. Pour une troisime approche, les externa-lits de connaissance jouent un rle central, parleur croissance massive, avec le caractre diffi-cilement contrlable des connaissances codi-fies, manipulables comme de linformation.

    CRER UN SAVOIR COLLECTIF

    Les TIC sont au cur des processus en cours.Elles favorisent lacclration de linnovation,des procds et des produits, car elles sont destechnologies gnriques : outils de simulation, devisualisation, de conception, de modlisation, detraitement de limage, de calcul, des technologiesdevenues incontournables et massivement utili-ses. Elles sont le support une production pluscollective et plus interactive du savoir. Ellespermettent des pratiques innovantes en rseau,dans des intranets ou dans le grand Internet . Ycontribuent les outils de communication de base,(ml, visio-confrence...), les outils de travailpartag (partage dapplications, forum, ditionpartage...), les outils daccs au savoir (portails,listes de diffusion, FAQ, Wiki, moteurs derecherche), enfin les outils de workflow quipermettent le suivi des projets (gestion des tches,agendas). Les TIC systmatisent laccumula-tion du savoir, dans des bases de donnes, lint-gration des connaissances et leur mobilisation.Elles entranent une baisse des cots de transmis-sion et de reproduction, de stockage et de codifi-cation des savoirs tacites. La tche est difficilecar, pour une large part, le savoir tacite est local,difficile expliciter et codifier, spcifique,difficile reproduire pour obtenir un avantagecomptitif. Lintelligence artificielle est un outilpuissant de codification, permettant dtendre

    La connaissance nest pas

    l'information

    Le domaine de la connaissance comprend la foisles activits dlibres de production de savoirs(R&D, ducation, communication, information) etles activits de production et des usages desbiens et des services, qui sont l'occasion d'unapprentissage et d'une production de savoirs parla pratique et l'usage.Kenneth Arrow, prix Nobel d'conomie en 1972,est l'origine d'une premire conception cono-mique de la connaissance qui conduit l'assimiler la notion d'information. Elle est difficilementcontrlable. Elle se diffuse et est utilise par destiers sans compensation pour les auteurs. Il y adonc des externalits positives. Elle est un biennon rival. Ainsi, le thorme de Pythagore ne sedtruit pas dans l'usage qui en est fait. On nepeut pas fixer le prix de la connaissance commepour un bien matriel ou immatriel li unsupport (le livre par exemple) car on ne peut pass'appuyer sur les cots marginaux de reproduc-tion et de diffusion qui sont quasiment nuls. Elleest cumulative, les progrs reposant sur sa diffu-sion. La connaissance a les caractristiques d'unbien public. D'un rendement social lev sup-rieur au rendement priv, il y a intrt ladiffuser un prix nul, assurer un financementpublic de l'ducation, de la formation et de larecherche. Mais la connaissance ne s'identifie pas l'information. L'information est constitue d'unflux de messages qui existent indpendammentdes individus. En revanche la connaissance nces-site une activit cognitive de la part de l'agentqui slectionne, traite, interprte des messagespour en produire de nouveaux. Elle est attache des individus. Une partie de la connaissancepeut tre objective , codifie, c'est diretraduite en messages. On pense aux savoirsscientifiques. Une partie reste tacite, le savoir-faire de l'artisan, son tour de main. Le rapportavantage/cot peut tre dfavorable la codifi-cation en l'tat des techniques de codification carles savoirs tacites et comptences sont incor-pors dans les individus et les organisations. ce titre ils sont difficilement transfrables.

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    teurs et son appropriation fut rapide.Demble, la gestion des mises jour a tentirement dcentralise, certaines commu-nauts allant mme jusqu utiliser des dispo-sitifs de travail collaboratif. Cette solutionpermet avant tout aux quipes de gagner dutemps, les responsables de la plate-formeesprent amliorer encore le retour sur inves-tissement en dployant des processus mtierplus complexes(2). Le CNRS, avec son projetDatagrid, a pour objectif de relier plusieurscentaines de milliers de machines lhorizon2007, car dici l les besoins en puissance decalcul vont exploser sous la demande desphysiciens des particules. Datagrid a dores etdj permis dacclrer les calculs, bien sr,mais l nest pas lessentiel. Les chercheursont surtout pu croiser des statistiques quilstaient incapables de croiser car elles taientstockes sur deux machines distinctes. Autreexemple mais il en est une infinit dautres,lInstitut Pasteur. Employant plusieurs milliersde personnes, majoritairement des chercheurs,il est le type mme de lorganisation o le

    partage du savoir est la fois frquent et trans-versal. La fondation a donc souhait tabler surloutil informatique pour faciliter la collabora-tion de ses quipes (dirigeantes, administra-tives et de recherche), et plus particulirementltablissement, via une solution dagendapartag, de runions de travail. Pour quel bn-fice ? Un gain de temps considrable : loutilremplace de multiples envois et rceptions decourriels.

    MESURER LIMMATRIEL

    Limmatriel se quantifie plus difficilementque le matriel, en tous cas pas avec les mmesinstruments. Lconomie, de plus en pluscomplexe au fur et mesure quelle incorporedu savoir, est trs naturellement confronte desproblmes de mesure, de chiffres, de pertinencedes statistiques...(3), dune manire paradoxale silon songe toute la puissance de calcul, demodlisation, de simulation des ordinateurs.Dj, dans les annes 1990, conomistes etchercheurs sinquitaient du fait que lamliora-tion de la qualit et de la fonctionnalit des ordi-nateurs ntait pas prise en compte dans lesindices des prix. En consquence, linflationtait surestime et la productivit sous-estime.Pour corriger le phnomne, des pays, dont laFrance, ont dvelopp et appliqu une mthodedite hdoniste qui value les prix non pluspour le produit dans son ensemble mais pourchacune des ses caractristiques (taillemmoire, vitesse). Mais pas tous les pays.

    cette opration dessavoirs tacites de plus enplus complexes.

    Dans cette conomiede la connaissance, descommunauts depratiques, communautsprofessionnelles, voient lejour, spontanment ousous limpulsion du mana-gement. Elles jouent unrle important. Plus oumoins informelles, trans-verses et ouvertes, adap-tes la crativit, laconfiance, lchange, ladiscussion, elles facilitent la fois la transmission desavoirs tacites bass surlexprience et des savoirsexplicites acquis par laformation. La circulationde cette information creeffectivement un savoircollectif qui peut servir de base au perfectionne-ment professionnel et la rsolution deproblmes dans laction.

    Le groupe Thals, groupe industriel sil enest, constitue une bonne illustration des muta-tions conomiques en cours et du rle centraljou par les TIC. Thals fabrique des systmesdinformation, de contrle des missiles, desradars, des sonars, des quipements de naviga-tion, etc. Le transfert des connaissances mtierest vital car les activits du groupe couvrentune trentaine de domaines commerciaux diff-rents, la fois civils et militaires et partagentcertains champs dexpertise, tels que larecherche et dveloppement logiciel, llectro-nique, lingnierie et systme, ou encore lalogistique. La direction du groupe a mis enplace il y a quelques annes des communautsde pratiques visant favoriser le transfert deconnaissances mtier. En vue de faciliter ceprocessus horizontal de partage dinforma-tions, Thals a lanc rcemment un projet degestion des connaissances qui repose sur uneinfrastructure de portail, comportant un moteurde recherche coupl un mcanisme dindexa-tion, ainsi quun systme de classification,dont la taxonomie est personnalisable en fonc-tion des problmatiques mtier de chaquecommunaut. Le tout est connect directementaux bases de connaissances et sources dedonnes locales ou centrales de Thals. Lescommunauts de pratique existant depuis djune dizaine dannes, les avantages du nouveloutil ont t rapidement perus par les utilisa-

    Des communauts de pratiques facilitent la fois la transmission de savoirs tacites bass sur lexprience et des savoirs explicitesacquis par la formation.

    (2) Antoine Crocher-Damais,JDNet 9 dcembre 2002,http://solutions.journaldunet.com(3) Voir, ce sujet, le supplmentEconomie du Monde du 6 janvier2004.

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    Difficile alors de faire des comparaisons inter-nationales ! Si un service sur Internet, gratuit, sesubstitue un service payant traditionnel, ainsilachat dun journal, le PIB diminue

    Il y a galement des problme de mesure dutemps de travail et de la charge de travail. Onnestime pas la charge de travail dun logiciel ennombre de lignes de programme. Dune maniregnrale, linformatisation est bien davantageque lautomatisation des processus de fabrica-tion, elle est le dveloppement de linteractivitinformationnelle entre les hommes par linter-mdiaire des ordinateurs. Comment mesurer ?En se rfrant au temps homogne, squentiel,prvisible et pr-dterminable du travail indus-triel, mesur par les horloges et les chrono-mtres ? Mais le temps de linnovation, de larecherche, de la prise de dcision, de linitiativeface lvnement imprvu (toutes choses dor-navant assistes par ordinateur ) est htro-gne, discontinu, alatoire, imprvisible. Il y aquelque part une contradiction entre lacontrainte temporelle et la qualit du produit oudu service.

    La cration de la valeur dcoule trs large-ment des synergies entre les diffrentes compo-

    santes du capital immatriel (comptences,connaissances, savoir-faire particuliers, qualitdu capital humain, capital clients, marques).Il faut repenser les normes de la comptabilittraditionnelle. Les outils informatiques sont lesbienvenus ! Mais ils ne peuvent pas tout. Si lesTIC constituent la facette formelle, procdu-rale de lconomie du savoir, il en est une autre,informelle sociale et culturelle, qui relve delanimation et de la motivation des commu-nauts professionnelles. Cette facette infor-melle nous ramne aux problmatiques desrseaux humains, des rencontres, des compor-tements, des attitudes, des identits, desvaleurs partages, de la reconnaissance Et ilpeut y avoir des contradictions. Quen est-il eneffet du sens du partage, de lincitation et delintrt cooprer, de la mise en commun desconnaissances quand, dans le mme temps, onconstate des volutions vers des modes dermunration individualise et des mises enconcurrence des salaris ?

    De par sa nature mme et ses missions, l'cole entretient unerelation organique avec la connaissance. Mais l'cole n'est pasune entreprise. Son temps est le temps long, celui de la forma-tion dun individu de lenfance lge adulte. On y retrouvetoutefois, d'une manire partielle, des problmatiques de l'co-nomie de la connaissance. Daprs le rapport du Haut Conseil de lvaluation, les pratiquesenseignantes effectives sont actuellement trs mal connues (1). Ilfaudrait dvelopper et capitaliser les observations, les tudes etles recherches permettant dapprcier lefficacit de ces pratiques,organiser la diffusion des rsultats, inciter les enseignants senemparer pour accrotre lefficacit du systme ducatif.Il existe des thories pdagogiques mais la pdagogie est unepratique (un art...), avec ses savoirs et savoir-faire tacites, diffici-lement transfrables, contrairement aux savoirs disciplinaires plusformaliss. Il faut penser la formation continue des enseignants entenant compte de ces particularits. Ainsi, dans un rapport sur laformation des enseignants au XXIme sicle (2), Jean-Paul deGaudemar prcise que celle-ci doit recourir davantage lorgani-sation dchanges professionnels entre agents [...] au dialoguecritique avec ses pairs . Dans un rapport de l'Inspection gnralesur la formation initiale et continue des matres, Roger-FranoisGauthier souligne qu' elle doit mettre fortement laccent sur la

    pratique professionnelle, non pour inciter le matre en formation reproduire des recettes acquises par compagnonnage, mthodedont on connat les vertus et les limites, mais pour lui permettredacqurir une connaissance du mtier en mme temps que lesmoyens de lexercer (5). Des enseignants, des associations, des communauts, notam-ment disciplinaires mettent leurs productions pdagogiques surla Toile. Derrire ces ressources, il y a toujours une pratiqueprofessionnelle. Les changes auxquels leur mise en ligne donnelieu sont autant d'occasions pour asseoir des modalits particu-lires, hybrides de formation continue. Des perspectives nouvelles de travail coopratif se profilentavec les Espaces Numriques de Travail (ENT), qui peuvent sedfinir comme le prolongement sur les rseaux de la commu-naut ducative. Avec leurs outils informatiques de travailpersonnel et collectif, les ENT permettront de franchir une tapenouvelle dans la mutualisation, la coopration et le partage desressources, la mise en commun des comptences et des connais-sances, pour des modalits nouvelles de travail et de formationrenforant les anciennes.

    (1) Avis du Haut Conseil de lvaluation de lcole n7, JanvierFvrier 2003.(2 Jean-Paul de Gaudemar, Pour la formation continue au XXIme sicle, 1998.(3) Rapport sur la formation initiale et continue des matres, IGEN, fvrier 2003.

    Dans le systme ducatif aussi


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