Transcript
Page 1: Distribution sélective en officine et parapharmacie des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle

Actualités pharmaceutiques

• n° 531 • décembre 2013 • 59

juridique

fi che

Mots clés - Conseil de la concurrence ; distribution sélective ; hygiène corporelle ; juridiction européenne ;

jurisprudence ; produit cosmétique

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.10.015

Distribution sélective en officine et parapharmacie des produits cosmétiques et d’hygiène corporelleAprès des années de procédure, la question de la distribution sélective des produits

cosmétiques et d’hygiène corporelle a été définitivement réglée, même si tous les

commentateurs s’accordent à dire que ce dossier avait été tranché par la juridiction

européenne précedemment.

L e Conseil de la concurrence s’était saisi d’office, en 2006, de pratiques mises en œuvre dans le sec-teur de la distribution des produits cosmétiques et

d’hygiène corporelle.L’instruction menée avait révélé que onze fabricants de produits cosmétiques1 avaient mis en place un réseau de distribution sélective dans le secteur des produits cosmé-tiques et d’hygiène corporelle. Dans le cadre de ces réseaux de distribution, les fabricants interdisaient à leurs distributeurs agréés de vendre les produits contractuels sur internet, ou leur imposaient des conditions restreignant substantiellement leur capacité à se lancer dans la vente en ligne.Les fabricants visés par la saisine du Conseil de la concurrence, à l’exception de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, ont proposé de s’engager à modifier substan tiellement leurs contrats de distribution.Le Conseil de la concurrence a donc accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par les fabri-cants, consistant notamment à modifier leurs contrats de distribution sélective, afin de prévoir la possibilité, pour les membres de leur réseau, de vendre leurs pro-duits sur internet [1,2].Il a aussi classé l’affaire pour les fabricants ayant accepté de modifier leurs contrats de distribution. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ayant refusé, la procédure contentieuse a suivi son cours.

Condamnation de la distribution sélective par le Conseil de la concurrenceLes contrats de distribution de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique relatifs à la distribution des produits cosmé-tiques et d’hygiène corporelle, concernant les marques Klorane, Avène, Galénic et Ducray, précisent que les ventes doivent être réalisées dans un espace physique et

que la présence d’un diplômé en pharmacie et obligatoire. Ils excluent ainsi, par conséquence, toute forme de vente sur internet.Le Conseil de la concurrence a condamné le labora-toire [3] pour restriction à la concurrence, notamment aux motifs que les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle ne sont pas des médicaments, que l’établis-sement d’un “diagnostic” revendiqué par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ne relève pas des prérogatives du pharmacien, sinon du médecin, et que le laboratoire ne démontrait pas en quoi le contact visuel entre le phar-macien et les utilisateurs du produit permettrait d’as-surer la “cosmétovigilance” qui imposerait aux professionnels de santé de constater et de signaler les effets indésirables des produits cosmétiques.Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a saisi, en 2009, la cour d’appel de Paris2, qui a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la question de distribution sélective.

Refus des contrats de distribution sélective par la CJUESans surprise, la CJUE est venue confirmer la décision du Conseil de la concurrence.

F Sur l’obligation imposée par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à ses distributeurs de « justifier de la pré-sence physique et permanente dans son point de vente, et pendant toute l’amplitude horaire d’ouverture de celui-ci, d’au moins une personne spécialement qualifiée par sa formation pour conseiller instantanément et sur le point de vente, le produit le plus adapté au problème spécifique d’hygiène ou de soin, notamment la peau et les phanères, qui lui est soumis », et sur l’engagement de ne vendre les produits « que dans un point de vente matérialisé et individualisé », la CJUE estime que de telles dispositions pourraient être conformes au droit de

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Caroline MASCRETMaître de conférences en droit pharmaceutique

Adresse e-mail : [email protected] (C. Mascret).

Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, Université Paris-Sud XI, 5 rue Jean-Baptiste-Clément, 92296 Châtenay-Malabry, France

Page 2: Distribution sélective en officine et parapharmacie des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle

Actualités pharmaceutiques

• n° 531 • décembre 2013 •60

fi chejuridique

Déclaration d’intérêts 

L'auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.

Références[1] Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 13 octobre 2011, C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique. http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?language=fr&num=C-439/09

[2] Décision 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle. www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/07d07.pdf

[3] Décision 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques. www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/08d25.pdf

la concurrence européen si les caractéristiques du pro-duit nécessitaient réellement une commercialisation exclusivement dans un point de vente physique pour la fourniture d’un conseil personnalisé ou alors de mises en garde par un échange direct entre le vendeur et le client. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

F De plus, la CJUE relève que la seule image de

prestige du produit ne peut justifier l’exclusion de sa commercialisation sur internet, cette “préservation d’image” n’étant pas une excuse légitime afin de res-treindre la concurrence.

F Cependant, la CJUE reconnaît qu’une distribution

sélective pourrait se justifier à titre individuel, de façon cependant dérogatoire au droit communautaire en vigueur, sur le fondement de certains critères, notam-ment si un accord a pour but de contribuer à améliorer la distribution des produits ou alors de promouvoir le progrès technique ou économique, sans toutefois que cet accord puisse imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre cet objectif, et donne à l’entreprise la possibi-lité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence.

F Or, la cour a estimé ne pas avoir assez d’éléments pour se prononcer sur cette exemption à titre individuel et a donc laissé à la cour d’appel de Paris cette difficile tâche.

F La cour d’appel de Paris, à l’aune des conclusions de la CJUE, était donc en mesure de rejuger cette affaire. Il pouvait être imaginé que le laboratoire allait de nou-veau avancer des arguments, tels que la protection de son réseau de distribution contre le parasitisme, c’est-à-dire de façon concrète la contrefaçon, ou de nouveau celui de la protection du consommateur contre un mau-vais choix de produit en l’absence de conseils person-nalisés. Mais ces arguments avaient déjà été écartés par le Conseil de la concurrence en octobre 2008.

Premières conséquences de la jurisprudence européenne en FranceLes autres juridictions n’ont pas attendu la décision de la cour d’appel de Paris pour se prononcer sur ces sujets. La cour d’appel de Toulouse a ainsi rendu un arrêt très intéressant sur ce thème3. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique avait attaqué l’un de ses distributeurs agréés aux Antilles, Cypria Center, parapharmacies, pour non-respect du contrat, la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ayant fait constater par huissier la non-présence d’un pharmacien au sein de l’établisse-ment, alors que le contrat avec le distributeur agréé prévoit, rappelons-le, l’obligation de justifier de la pré-sence physique et permanente dans son point de vente d’un titulaire du diplôme de pharmacien.S’attarder sur les considérations de la cour d’appel présente un intérêt. Les juges estiment en effet que la clause litigieuse, en ce qu’elle exige la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie, est dispropor-tionnée car non justifiée par de telles nécessités, dès lors que les cosmétiques sont soumis à une réglementation qui garantit qu’ils ne présentent pas de danger pour la santé des consommateurs et que leur commercialisa-tion n’exige pas de précautions supplémentaires comme en matière de médicaments. De plus, il est constant que les produits dermocosmé-tiques n’entrent pas dans le monopole des pharma-ciens, même s’ils peuvent, à l’occasion, être prescrits par un médecin, qu’ils sont soumis pour leur fabrication, leur conditionnement et leur étiquetage à des règles strictes garantissant a priori leur innocuité pour la santé, et que, dès lors, le conseil d’utilisation sollicité le cas échéant par le consommateur peut être dispensé par toute personne ayant bénéficié d’une formation adéquate, en dermatologie ou cosmétologie par exemple.Enfin, en dehors de leur notoriété, il n’est pas établi que les produits Pierre Fabre Dermo-Cosmétique nécessi-tent, sur le plan de la santé des utilisateurs, des conseils particuliers par rapport à la concurrence. La cour a donc débouté Pierre Fabre Dermo-Cosmétique de sa demande de condamnation de la parapharmacie pour non-respect du contrat.

Décision de la cour d’appel de ParisSans aucune surprise, la cour d’appel de Paris, le 31  janvier 20134, a fait application de la grille d’analyse définie par la CJUE. En rejetant les arguments avancés par le laboratoire, elle a jugé que la clause du contrat de distribution sélective, en interdisant de façon totale et absolue à ses distributeurs agréés de commercialiser sur internet les produits contractuels, constitue une restriction justifiée de la concurrence. w

Notes1 Pierre Fabre (Avène, Klorane, Ducray, Galénic, Furterer, Dorance), Bioderma, Caudalie, Cosmétique Active France (L’Oréal : Vichy, La Roche Posay, Phas, Inneov), Expanscience, Johnson & Johnson Consumer France (Roche, Neutrogena…), Liérac, Nuxe, Œnobiol, Rogé Cavaillès, Uriage.2 La cour d’appel de Paris est la juridiction d’appel du Conseil de la concurrence.3 Cour d’appel de Toulouse du 17 janvier 2012 ; n° 2012/15, 10/02386.4 Cour d’appel de Paris du 31 janvier 2013 ; RG 2008/23812.

La présence sur le lieu de vente de produits cosmétiques d’un diplômé en pharmacie est non justifi ée dès lors que les cosmétiques sont soumis à une réglementation qui garantit qu’ils ne présentent pas de danger pour la santé des consommateurs.

© F

otol

ia.c

om/B

elah

oche


Recommended