Download pdf - Interview m albertini

Transcript
Page 1: Interview m albertini

Question pratique

© Editions Francis Lefebvre • BRDA 21/14

19BRDAQUESTION PRATIQUE 19BRDA

Action de groupe : les entreprises ont-elles échappé au pire ?

A contre-courant de ce qui est couramment admis, Me Marie Albertini voit dans l’action de groupe instaurée par la loi Hamon plusieurs points positifs pour les entreprises qui vont en être la cible. Décryptage.

A la différence de nombreux com-mentateurs, vous faites une lecture globalement positive du dispositif de l’action de groupe mis en place par la loi Hamon

Marie Albertini : En effet ! Je suis frappée par le caractère quasi unanimement négatif des juge-

ments portés sur l’ action de groupe. Qu’ il s’ agisse des associations de consomma-teurs ou des conseils des entreprises, nul n’ est satisfait. Appartenant à cette der-nière catégorie, je dois pourtant admettre –  si j’ adopte un point de vue réaliste  – que l’ introduction d’ une telle action en droit français était inéluctable. Après trente ans de tergiversations, il était temps de légiférer. Et quitte à le faire, il était important que, tout en satisfaisant aux principales demandes des associa-tions de consommateurs, le dispositif mis en place soit le moins dommageable possible pour les entreprises. Force est de constater que la loi de compromis à laquelle le législateur est parvenu mé-nage les droits des entreprises, même si, j’ en conviens, des interrogations per-sistent. Mais le cadre est appelé à évoluer.

Ne doit-on pas craindre que l’action instaurée ne connaisse les mêmes dérives que le système américain des class actions ?MA  : Je vois au moins trois différences importantes entre ce que l’ on appelle le système américain et l’ action de groupe à la française.Le premier point porte sur les titulaires de l’ action. Aux Etats-Unis, n’ importe quel avocat, même s’ il n’ a pas l’ ombre d’ une plainte, peut, sur n’ importe quel sujet, initier une class action en lançant un appel dans la presse afin d’ agréger suffisamment de plaignants. En France, seules 15 associations de consomma-teurs clairement identifiées peuvent agir. C’ est un point fondamental qui limite de façon importante le risque de multi-plication des actions de groupe suscep-tibles d’ être engagées. J’ ajoute que par-mi ces 15 associations, toutes n’ ont pas la taille et la solidité financière requises pour mener à bien des actions de groupe. Elles ont déjà clairement fait savoir

qu’ elles n’ auront pas les moyens de lan-cer 10 actions par an mais qu’ elles se li-miteront à 2 ou 3 actions, en choisissant bien leur sujet. De préférence un terrain où elles pensent qu’ elles ont de bonnes chances d’ aboutir.De ce point de vue, la première action de groupe engagée par UFC Que Choisir contre Foncia est emblématique puisque la plus grande association de consom-mateurs française s’ est engagée sur un terrain (ndlr : les frais sur les quittances de loyer) où elle avait déjà obtenu une condamnation dans le cadre d’ une ac-tion collective. Cela prémunit les entre-prises contre le risque de multiplication d’ actions fantaisistes ou abusives.La deuxième différence importante avec les class actions américaines réside dans l’ identification des consomma-teurs victimes. Aux Etats-Unis, le sys-tème dit «  de l’ opt out  » fait que tous les consommateurs concernés par un problème, comme par exemple le vice de fabrication d’ un rasoir, sont potentiel-lement des demandeurs dans le cadre de la class action engagée sauf s’ ils déclarent expressément ne pas en faire partie. En France, c’ est le système inverse qui a été retenu : les consommateurs doivent expressément déclarer vouloir faire partie de l’ action pour y être inclus. Là encore, cela limitera le nombre des plaignants.Sur ce point, on peut néanmoins re-gretter que la détermination du nombre de plaignants ne se fasse pas dès le début de la procédure, ce qui représente une difficulté pour l’ entreprise puisqu’ elle ne saura que tardivement à combien de plaintes individuelles elle aura affaire.Le dernier point porte sur les préjudices réparables. La loi Hamon prévoit que seuls les préjudices matériels à l’ occa-sion de la vente de biens ou de la four-niture de services sont réparables, ce qui exclut, à la différence de la procédure américaine, les dommages corporels, écologiques, ceux fait à l’ environnement ainsi que ceux qui relèvent du préjudice moral. Aux Etats-Unis, il existe en outre une autre catégorie qui n’ existe pas chez nous, celle des «  punitive damages  » (dommages et intérêts punitifs) qui n’ est pas seulement destinée à réparer

un préjudice mais aussi à sanctionner, le plus souvent lourdement, une entreprise qui s’ est mal conduite.

En quoi l’encadrement mis en place limite-t-il le périmètre de l’action ?MA : D’ abord, la loi Hamon donne une définition du consommateur susceptible de se joindre à une action de groupe  : il s’ agit d’ une personne physique qui n’ agit pas dans le cadre de sa profession. C’ est une précision importante parce que cela exclut les personnes morales du champ de l’ action de groupe.Ensuite, le type de faits pouvant donner lieu à une action de groupe est limité aux manquements à une obligation légale ou contractuelle à l’ occasion de la vente d’ un bien ou d’ un service, ce qui exclut tout ce qui relève de la pure responsabi-lité délictuelle. Enfin, comme je l’ ai déjà précisé, le dommage réparable est cir-conscrit au dommage patrimonial.

En somme, le dispositif mis en place au-rait pu être pire pour les entreprises ! A quoi ont-elles notamment échappé ?MA  : Deux points de procédure en fournissent une illustration. Ils sont im-portants à relever car ils ont des consé-quences en termes de gestion des contentieux et devraient permettre aux en- treprises de gérer plus efficacement et à moindre coût les litiges pouvant faire l’ objet d’ une action de groupe.Le premier concerne le tribunal compétent. Le décret précise que l’ action doit être initiée devant le TGI du siège social de l’ entreprise. C’ est un avantage car plutôt que d’ avoir des actions engagées dans toute la France, les entreprises n’ auront à gérer qu’ une seule procédure – même si elle est importante –,

27

Spécialisée en contentieux com- mercial, responsa- bilité des produits, risques industriels et sanitaires et assu- rances, Marie Albertini a participé à la création de Reed Smith Paris en 2005.

MARIE ALBERTINIAvocate associéeReed Smith, Paris

Page 2: Interview m albertini

BRDA 21/14 • © Editions Francis Lefebvre

20 BRDA Question pratique20 BRDA QUESTION PRATIQUE

devant un seul tribunal. Cela évite aussi le «  forum shopping  » qui aurait permis aux associations d’ aller plaider devant les tribunaux dont les décisions leur se-raient plus favorables.Second point, une fois qu’ une action de groupe aura été jugée pour certains manquements, une autre action ne pour-ra pas être engagée pour les mêmes faits. Pour la période considérée, les faits repro- chés à Foncia par exemple ne pourront pas donner lieu à une autre action enga-gée par une autre association. A l’ issue de la procédure, ces faits seront purgés. Cela évitera la multiplication des contentieux.Ne craignez-vous pas que la procé-dure limite la recherche de solutions amiables, l’entreprise devant signer l’accord de médiation sans savoir combien de consommateurs devront au final être indemnisés ?

MA : La médiation est prévue après l’ in-troduction de l’ action de groupe mais avant que l’ entreprise ne sache combien de personnes, et donc quel montant, elle va devoir indemniser. C’ est une vraie dif-ficulté pour les entreprises et il est diffi-cile de savoir comment elles vont la gérer.Mais il y a peut-être un parti positif à ti-rer de la pratique américaine. Aux Etats-Unis, plus de 80 % des class actions se terminent par des transactions, celles-ci pouvant être conclues avant même l’ in-troduction de l’ action.Le seul fait que l’ action de groupe existe devrait conduire les entreprises à trou-ver des solutions amiables en amont. A titre préventif, parce que l’ action de groupe va devenir un risque straté-gique pour les entreprises et qu’ elles vont devoir être plus attentives aux plaintes et veiller en amont aux traitements

des réclamations de consommateurs mécontents. Mais aussi à titre curatif, par l’ instauration de médiateurs au sein des entreprises et des fédérations d’ entreprises.On peut donc penser que les entreprises se tourneront vers la médiation avant même qu’ une action de groupe soit en-gagée. Cela présenterait pour avantage d’ éviter les aléas du procès et la publicité faite autour.Je pense que même dans le cadre d’ une action de groupe déjà engagée, accep-ter la médiation peut se révéler positif en termes d’ image pour l’ entreprise. Cela atteste qu’ elle est d’ accord pour trouver une solution, qu’ elle n’ est donc pas procédurière et ne cherche pas à toute force à mener la procédure jusqu’ à sa fin, ce qui pourra prendre plusieurs années.

Deux questions sur les sociétés coopérativesLes questions sur les sociétés coopératives sont difficiles à résoudre, tant les textes les régissant sont épars et souvent étrangers au droit commun.« L’appel expert », service de renseignement juridique par téléphone créé par le groupe Editions Lefebvre-Sarrut (ELS), répond à deux questions posées par les praticiens sur ce thème.

Les sociétés coopératives ne constituent pas une forme de société particulière, mais relèvent du droit commun des sociétés, le-quel s’ entend des articles 1832 et suivants du Code civil, du droit des sociétés civiles ou du droit des Sociétés commerciales, du droit des sociétés à capital variable et, en-fin, des règles relatives à la forme sociale adoptée par la société coopérative.Il convient néanmoins d’ apporter une nuance importante à ce principe : ce droit commun s’ applique sous réserve que ni les règles propres à chaque type de coo-pérative ni la loi générale sur la coopé-ration (Loi 47-1775 du 10-9-1947portant statut de la coopération) n’ y dérogent.

En cas d’augmentation de capital par incorporation de réserves dans une coopérative de commerçants détaillants, peut-il y avoir attribution gratuite inégalitaire de parts ?Le statut particulier des sociétés coopéra-tives de commerçants détaillants est conte-nu dans les articles L 124-1 et suivants du Code de commerce.Ces coopératives sont obligatoirement constituées sous la forme d’ une société ano-nyme (SA) à capital variable.De l’ examen de ce statut particulier et de la loi-cadre sur la coopération, il ressort qu’ une augmentation de capital par in-corporation de réserves dans une société coopérative de commerçants détaillants est possible (contrairement au cas de la SCOP)

mais limitée à un plafond maximal : lors de la première opération, 50 % des réserves disponibles à la clôture de l’ exercice précé-dent  ; lors des opérations suivantes, 50 % de l’ accroissement des réserves à compter de l’ incorporation précédente (Loi 47-1775 art. 16, al. 3 et 4).Par ailleurs, les statuts d’ une société coopé-rative peuvent prévoir l’ émission de parts sociales qui confèrent à leurs détenteurs des avantages particuliers. Ils doivent détermi-ner les avantages attachés à ces parts, dans le respect des principes coopératifs (Loi 47-1775 art. 11). Il ne nous paraît pas contraire aux principes coopératifs que les statuts prévoient une attribution de parts gratuites supérieure pour les titulaires d’ une certaine catégorie de parts sociales.Si les statuts n’ ont rien prévu, une telle opé-ration devrait en principe être effectuée selon les règles applicables aux SA de droit commun. Dans ces sociétés, une augmenta-tion de capital par incorporation de réserves réalisée par attribution gratuite d’ actions s’ effectue en principe au prorata des droits des actionnaires dans le capital ancien.

Le boni de liquidation d’une société coopérative de production (SCOP) peut-il être attribué à une association loi de 1901 ?En droit commun des sociétés, le boni de liquidation d’ une SARL ou d’ une SA (la SCOP devant obligatoirement revêtir l’ une de ces deux formes sociales) est réparti entre

les associés soit selon les modalités statu-taires, soit en proportion de leurs droits dans le capital social (C. com. art. L 237-29).En droit des coopératives, il existe un prin-cipe général selon lequel les biens de la coo-pérative ne peuvent pas être partagés entre ses associés  ; ils ne peuvent être attribués qu’ à un groupement poursuivant une acti-vité similaire (principe de l’ attribution dé-sintéressée, repris par l’ article 20 de la loi 78-763 du 19 juillet 1978 relative aux SCOP).Ainsi, l’ actif net subsistant doit, après paie-ment du passif et remboursement des parts libérées, être dévolu, soit par les statuts soit, à défaut de prévision statutaire, par décision de l’ assemblée générale, à une ou plusieurs SCOP, ou à une ou plusieurs unions de SCOP ou fédération de SCOP, ou encore à une per-sonne morale de droit public ou à une œuvre d’ intérêt général, coopératif ou profession- nel ne poursuivant pas un but lucratif.La question est donc de savoir si une as-sociation loi de 1901 est susceptible d’ être considérée comme une œuvre d’ intérêt gé-néral ne poursuivant pas un but lucratif.Une association loi de 1901 sera susceptible de constituer une œuvre d’ intérêt général selon la formulation de son objet statutaire, et elle le sera probablement si elle a été reconnue d’ utilité publique ou remplit les conditions pour l’ être.L’ actif net subsistant d’ une SCOP peut, par conséquent, être dévolu à une association loi de 1901 dont l’ objet correspond à la pour-suite d’ un but d’ intérêt général.

28


Recommended