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  • aNGLEs D FVRIER 2015

  • par Alxis TSPRAS

    Ds le milieu des annes 1990, la Grce a connu un formidable essor. Cette croissance conomique avait comme principales caractristiques, pour les classes

    aises, un enrichissement gigantesque et non-imposable ; et, pour les pauvres, le surendettement et un chmage toujours croissant. Largent public tait pill de toutes les manires possibles le systme conomique se contentant, pour les- sentiel, de favoriser la consommation de biens imports depuis les pays europens dits comptitifs. Le modle argent bon march, main-duvre bon march tait dailleurs prsent, par les agences de notation, comme lexemple suivre pour toute conomie mergente un tant soit peu dynamique. Mais la crise de 2008 a tout boulevers. Les banques, suite leurs paris spculatifs, se sont retrouves dangereusement en-dettes, et nont d leur salut qu largent public ; mais cest sur leurs propres citoyens que les tats ont alors fait peser le poids du sauvetage des institutions bancaires. Le modle biai-s de dveloppement de la Grce sest effondr, et le pays ne pouvant plus emprunter sur les marchs sest retrouv dpendant des prts du FMI et de la Banque centrale euro-penne, qui se sont accompagns de mesures draconiennes. Ce programme, que les gouvernements grecs ont alors adopt sans broncher, comprend deux volets : celui de la stabilisa-tion, et celui des rformes. Des termes dont la connotation positive est destine masquer la catastrophe sociale quils provoquent.

    Ainsi, le volet stabilisation prvoit une fiscalit indirecte dvastatrice ; des cou-pes dans les dpenses publiques dune ampleur ingale ; le dmantlement de ltat-providence, notamment dans le do- maine de la sant, de lducation et de la scurit sociale ; ainsi que de nombreu-ses privatisations, jusqu celles des biens publics fondamentaux, comme leau ou l nergie. COLONIAL. Le volet rformes signifie la libralisation des licenciements, la sup- pression des conventions collectives, la cration de zones conomiques spcia-les et, de manire gnrale, la mise en place de rglementations censes per-mettre de puissants intrts conomi-ques dinvestir en Grce de faon pro-prement coloniale, dignes du Sud Soudan. Tout cela nest quune infime partie de ce que prvoit le Mmorandum grec savoir laccord sign par la Grce avec le FMI, lUnion europenne et la Banque centrale europenne.

  • Ces mesures taient censes ouvrir la voie une sortie de crise. Le programme rigoureux de stabilisation devait con- duire des excdents budgtaires autorisant la Grce de se passer de lemprunt, mais aussi de rembourser sa dette publi-que. Quant aux rformes, elles permettraient de regagner la confiance des spculateurs. Voyant ltat-providence dmante-l et le march du travail rempli de travailleurs bas cots, d-sesprs et sans protection, les affairistes se prcipiteraient pour investir leurs capitaux dans un pays transform en colo-nie. Ainsi devait advenir une nouvelle croissance celle qui nexiste nulle part si ce nest dans les Livres saints, ns des cerveaux les plus pervers du nolibralisme mondial. Ce programme tait cens sappliquer de manire immdiate, pour permettre la Grce de retrouver trs vite le chemin de la croissance ; mais, plus de quatre ans aprs la signature du Mmorandum, la situation va de mal en pis. La population senfonce dans la misre et, bien videmment, les impts ne sont pas pays tout simplement parce que la plupart des Grecs nont pas de quoi les payer. Les rductions dans les d-penses atteignent dsormais le cur mme de la cohsion sociale, crant les conditions dune vritable crise humanitaire. POUBELLES. Soyons plus prcis : il est question ici de gens man-geant dans les poubelles et dormant sur les trottoirs, de retrai-ts ne pouvant mme acheter leur pain, de mnages privs dlectricit, de malades nayant accs ni aux mdicaments ni aux soins ; et tout cela, au sein mme de la zone euro.

    Les investisseurs, videmment, ne sont pas venus, puisquun dfaut dsordon-n du pays reste possible. Et les con-cepteurs de ce Mmorandum, cha-que chec tragique, sont revenus imposer toujours davantage dimpts et de rduc-tions dans les dpenses. Lconomie hellne est entre dans le cercle vicieux de la rcession incontrle celle qui ne mne nulle part, si ce nest la destruction totale. Le plan de sauve-tage grec (un terme plaisant pour dcrire la destruction en cours) a toujours ignor un principe de base : lconomie est com- me une vache. Elle mange de lherbe et produit du lait. Il est impossible de rduire sa portion dherbe des trois quarts tout en exigeant quelle produise quatre fois plus de lait. La vache en mourrait, tout sim-plement. Et cest exactement ce qui arrive chez nous aujourdhui. Syriza a compris, ds le dbut, que laus- trit aggraverait la crise au lieu dy re-mdier. Lorsque quelquun se noie, on ne lui met pas des poids aux pieds

  • Quant aux talibans du nolibralisme, ils persistent dire, au-jourdhui encore, que tout va bien se passer. Ils mentent, et ils le sa-vent lexception des plus stupides dentre eux, naturellement. Mais il ne sagit pas de stupidit ou de dogmatisme. Des cadres haut placs du FMI lui-mme ont parl derreur dans la conception du pro-gramme de rigueur grec. Et cependant on poursuit lapplication du pro-gramme, avec un enttement inou, et celui-ci se durcit toujours davan-tage. Cest donc dautre chose quil sagit. En ralit, sauver lconomie grecque nest pas ce qui intresse lEu- rope ni, dailleurs, le FMI. Leur principal objectif est de faire du pro-gramme impos la Grce le modle suivre pour tous les Etats eu-ropens en situation de crise. Ce programme met dfinitivement fin ce qui, dans lEurope de laprs-guerre, est connu sous le nom de con-trat social. Peu importe si la Grce finit par faire dfaut et senfonce dans la misre. Ce qui compte, cest que dans un pays de la zone euro on discute dsormais ouvertement de salaires la chinoise, de suppression du droit du travail, de destruction de la scurit sociale et de privatisation intgrale des biens publics. Sous prtexte de combattre la crise, le rve des cerveaux nolibraux les plus pervers lequel, aprs les annes 1990, sest heurt la rsistance trs vive des soci-ts europennes devient enfin ralit. La Grce nest ainsi quune premire tape. En Espagne et au Portu-gal, les Mmorandums promeuvent dj des changements du mme type. Mais cest dans le Trait europen de stabilit, que lAllemagne souhaite voir appliquer lensemble de lUnion europenne, que cette stratgie est la plus visible : les pays membres ne sont plus libres de choisir leur politique conomique ; les principales institutions de lUnion ont dsormais le droit dintervenir dans les choix budgtaires et dimposer des mesures fiscales drastiques, afin de rduire les dficits. TANT PIS. Tant pis pour les coles, les crches, les universits, les h-pitaux publics, les programmes sociaux. Et si les peuples se servent de la dmocratie comme bouclier face laustrit, tant pis pour la dmo-cratie elle-mme. Soyons clairs. Lavenir europen, fait de banquiers heureux et de so-cits malheureuses, est dj planifi. Cest l un projet ambitieux mais qui nira pas bien loin, parce quaucun projet ne peut saccomplir sans le consentement des citoyens ni des garanties offertes aux plus faibles. Cela, llite dirigeante europenne actuelle semble lavoir ou-bli. Elle y sera pourtant confronte beaucoup plus rapidement quelle ne le croit. Car la fin du capitalisme nolibral rel cest--dire du capitalisme le plus agressif quait jamais connu lHumanit, et qui triomphe depuis deux dcennies est dsormais lordre du jour. Depuis le naufrage de Lehman Brothers, deux stratgies opposes de sortie de crise propo-sent deux approches diffrentes lconomie mondiale : la stratgie de lexpansion financire, par laugmentation de la masse montaire, la nationalisation des banques et la hausse des impts des riches ; et celle de laustrit, du transfert du fardeau de la dette bancaire aux tats puis sur les paules des couches moyennes et populaires, sur-taxes pour permettre aux plus riches de frauder le fisc. Les dirigeants europens ont choisi la seconde stratgie ; mais ils sont dj confron-ts aux impasses auxquelles elle conduit, et au conflit historique quelle provoque en Europe. Cet affrontement prend une apparence gogra-phique Nord contre Sud, mais cest au fond un affrontement de classe, qui renvoie aux deux stratgies opposes dcrites ci-dessus. La seconde stratgie, en effet, promeut la domination absolue et in-conditionnelle, du capital, sans se soucier de la cohsion sociale ni du bien-tre de tous ; la premire dfend lEurope de la dmocratie et des besoins sociaux. Laffrontement a dj commenc.

  • Face la crise, il existe donc bien un autre choix : que les soci-ts europennes se protgent contre la spculation du capital boursier ; que lconomie relle smancipe de limpratif du pro-fit ; que le montarisme et la politique fiscale autoritaire prennent fin ; que lon repense la croissance, avec pour premier critre lintrt de la socit ; quun nouveau modle productif soit inven-t, fond sur un travail dcent, llargissement des biens publics, et la protection de lenvironnement. Cette optique, de toute vi-dence, ne figure pas dans lagenda de discussions des dirigeants europens. Il revient aux peuples, aux travailleurs europens, aux mouvements des Indigns, de marquer de leur sceau le cours de lHistoire, et dviter le pillage et le fiasco grande chelle. Lexprience des annes passes conduit la conclusion sui-vante : il y a une thique de la politique, et une thique de lcono- nomie. Aprs 1989, lthique de lconomie sest mise dominer lthique de la politique et de la dmocratie. Tout ce qui tait dans lintrt de deux, cinq, dix groupes conomiques puissants a t considr comme lgitime, mme si cela se rvlait contraire aux droits humains les plus fondamentaux. Aujourdhui, notre devoir est de rtablir lhgmonie des principes thiques politiques et sociaux, contre la logique du profit. PAR TOUS LES MOYENS. Comment y parviendrons-nous ? Grce la dynamique des luttes sociales. Avant tout, en dtruisant une bonne fois pour toutes le carcan de la passivit sociale sur le-quel sest fonde la construction europenne, aprs 1989. Lintervention active des masses dans les affaires politiques est prcisment ce que redoutent les lites dominantes, en Europe comme dans le reste du monde. Faisons en sorte que leurs peurs deviennent ralit. Lorientation choisie par les milieux conomiques dominants est vidente ; laborons donc notre propre orientation politique et sociale. Et dfendons-la par tous les moyens, aussi bien l-chelle de lUnion europenne qu lchelle locale. Depuis les lieux de travail, les universits, les quartiers, jusqu laction com-mune et coordonne dans tous les pays europens. Cest une lutte de rsistance, qui ne sera victorieuse que si elle aboutit un programme alternatif pour lEurope. Aujourdhui, ce ne sont pas les pays dficitaires qui sopposent aux pays excdentaires, ni les peuples disciplins aux peuples irascibles. Lopposition se trouve entre lintrt des socits euro-pennes et lexigence du capital de raliser constamment des profits. Nous devons dfendre lintrt social des peuples. Sinon, lavenir pour nous et nos enfants se rvlera sinistre, incertain, et d-passera tous ce que nous avons d subir lors des dcennies prcdentes. Le modle de dveloppement construit sur le libre march a fait faillite. Dsormais, les puissances dominantes sattaquent la socit, ses acquis comme sa cohsion. Cest ce qui a eu lieu en Grce ; et cest lorientation voulue pour le reste de lEurope. D-fendons-nous donc par tous les moyens ncessaires. Et trans-formons les rsistances sociales, qui ne cessent dmerger et de crotre, en une affaire de solidarit et de stratgie collective. Lavenir nappartient pas au nolibralisme, ni aux banquiers, ni quelques dizaines de puissantes multinationales. Lavenir appar-tient aux peuples et aux socits. Il est temps douvrir la voie une Europe dmocratique, sociale et libre. Car il sagit l de la seule solution durable, raliste, et ralisable, pour que nous puis-sions sortir du malheur actuel

  • Une fois le gouvernement lu avec une bonne majorit, il me semble que l'on doit enfin pouvoir discuter du rglement dfini-tif de linfortune grecque en discutant dune nouvelle appro-che de la part du reste de l'Europe. Car la dpression conomique n'est pas qu'une dfaillance hellnique, c'est dabord une crise qui touche tout le continent. Si la Grce n'avait pas adopt leuro, elle n'en serait pas l. Sans doute serait-elle aussi en difficult, mais pas ce point. Si la France se trouve elle-mme dans une impasse, en raison de sa dette et de sa situation politique et sociale, elle le doit aussi l'organisation actuelle de la zone. La crise de 2008 est comparable celle de 1929 et l'on se souvient que la Grande Dpression avait libr des forces nfastes qui ont d-truit l'Europe. Or, nous n'avons jamais t autoriss traiter de cette crise comme d'une crise systmique.

  • L'Europe a toujours insist sur le fait que la crise en Grce lui tait spcifique. Nous devons enfin comprendre que si nous voulons une union montaire, nous devons crer un rseau de solidarits internes. Une victoire de Syriza serait l'occasion de traiter enfin la crise dans sa vraie dimension. Comment expliquez-vous la politique europenne de Franois Hol-lande ? Le Parti socialiste franais a une lourde responsabilit dans la faon dont la zone euro s'est structure. Il y a, depuis les annes 1990, la volont du PS de capturer la Bundesbank pour permettre la France d'tre riche au-del de ses propres limites. Cette volont a men une danse de la mort entre Paris et Francfort, ce qui a fait du Parti socialiste franais le complice de tous les errements. En ralit, la France est en guerre avec l'Allemagne, et cela conduit une vritable vassalisation de lHexagone, la cration de ce que j'appelle un Vichy post-moderne. Et le seul profiter de cette situation, c'est le Front National... Je crois qu'une victoire de Syriza en Grce reprsentera la dernire chance, pour Franois Hollande, de changer la donne. Quelles propositions ferez-vous la Troka ? Nous demanderons d'abord un dlai de 10 15 jours pour finaliser notre plan que nous voulons la fois trs dtaill et trs complet. Ce plan sera organis autour de quatre axes. Le premier pilier concernera la dette grecque. Nous voulons avancer des pro-positions que mme Wolfgang Schuble, le ministre fdral allemand des Finances, ne pourra refuser. Il n'y aura donc pas de dfaut, de coupes fran-ches dans la dette. Nous allons proposer une formule o le remboursement de la dette dpendra de l'volution du PIB nominal. L'ide, ce sera que l'Eu-rope devra tre notre partenaire dans la croissance, et plus compter sur notre misre. Le second pilier, ce sera les rformes. Car nous voulons en finir avec la klep-tocratie qui a ruin notre pays. Cela signifie : ne pas dtruire les emplois et les conditions de travail, ni vendre vil prix les entreprises nationales. Et le troisime pilier ? Il concerne l'investissement. Le problme de l'investissement en Grce ne peut pas concerner seulement la Grce. Syriza s'est engage maintenir un budget quilibr ; nous ne pouvons donc pas attendre de l'Etat grec qu'il r-solve, seul, ce problme fondamental. Il faut donc un plan ambitieux au niveau europen

  • Mais Jean-Claude Juncker n'a-t-il pas dj lanc un tel plan ? Je ne cesse pas de m'tonner de la stupidit de ses propositions. C'est comme donner de l'aspirine un homme mort. L'Europe dispose pourtant d'un instrument pour investir, la Banque europenne d'Investissement (la BEI) qui est aujourd'hui trop pusillanime dans ses actions, notamment parce qu'elle craint les verdicts prononcs par les agences de notation. Il faut donc librer la capacit d'action de la BEI pour entamer une nouvelle donne qui injecterait de 6 7 % du PIB de la zone euro dans l'conomie euro-penne. Et le dernier pilier du programme de Syriza ? Ce sera de grer enfin la crise humanitaire en Grce. Mais l encore, je pense qu'il faut rflchir au niveau europen. Aux Etats-Unis, les bons ali-mentaires ont permis de sortir de la pauvret des centaines de milliers de mnages. Pourquoi ne pas faire de mme dans lUE via les bnfices de l'Eurosys-tme, le rseau des Banques centrales de la zone? Cela crerait de la solidit politique en Europe, les gens pourraient constater concrtement les effets positifs de l'appartenance la zone euro. On a cependant l'impression que ce type de propositions risquent immanquablement de se heurter un refus, notamment allemand, puisque, Berlin, on ne veut pas d'une union des transferts... Je ne suis pas d'accord. Quoi que fasse ou dise l'Allemagne, elle paie, de toute faon. Et ds 2010, j'ai considr que nous n'avions pas, nous autres Grecs, le droit moral d'accepter de l'argent des contribuables allemands pour payer nos cranciers. En ralit, cet argent va dans un trou noir. Pour-quoi demander la Grce d'emprunter l'argent des contribuables allemands pour rembourser la BCE ? Parce que Jean-Claude Trichet, le plus mauvais banquier central quon ait jamais connu, l'a dcid jadis ? Prcisment, la Grce devra rembourser 6 milliards d'euros la BCE en juin. Le fera-t-elle ? Si nous avons l'argent, videmment. Sinon, il faudra discuter. Je voudrais nanmoins souligner combien cette ide de devoir rembourser la Banque centrale europenne est des plus insanes. On na jamais vu a. C'est une premire dans l'Histoire o cela n'est jamais arriv. La question que doit se poser l'Europe est : Pourquoi, par de telles dcisions, continue-t-on ali-menter des mouvements comme Aube Dore ou le FN ?

    Jean-Claude TRICHET, le plus mauvais banquier central de lHistoire, en bonne compagnie au Parlement europen

  • Mais la BCE fait pression sur la Grce en exigeant un accord avec la Troka. Pensez-vous qu'elle puisse, en cas de victoire de Syriza, bloquer l'accs des ban-ques grecques la liquidit ou, du moins, menacer de le faire comme dans le cas irlandais ? On peut voir l'attitude de la BCE sous deux aspects. Le pre-mier : la BCE fait pression sur la Grce. Le second : elle fait pression sur la Troka. Ce qu'elle veut, c'est un accord. Nous aussi. Alors, faisons en sorte qu'il y en ait un. Quant au cas ir-landais, je voudrais souligner que la situation est trs diff-rente. Si l'Irlande a accept de se soumettre aux injonctions de la Troka, c'est parce que le gouvernement irlandais d'alors n'a pas tent de rsister. Il sera jug ngativement pour cette for-faiture. Dautant que Jean-Claude Trichet a compltement ou-trepass son mandat, en forant l'Irlande transformer de la dette prive en dette publique. Il brlera en enfer pour cela ou, au moins, devrait-il tre jug devant un tribunal europen... Un gouvernement Syriza ne se comportera pas comme le gouver-nement irlandais de lpoque. Et si aucun accord n'est possible, ni trouv ? Alors, je le dis clairement : la mort est prfrable. Le vrai d-ficit de la Grce, c'est un dficit de dignit. C'est cause de ce manque de dignit que nous avons accept des mesures monstrueuses et cela a aliment le cercle vicieux de l'indignit qui, elle-mme, entretient le mcontentement, la peur et le res-sentiment. Tout ceci n'est pas bien. Nous devons retrouver no-tre dignit, l'esprit qui, le 28 octobre 1940, nous a fait dire non l'ultimatum de l'Italie mussolinienne. A ce moment-l, nous n'avions pas non plus les moyens de dire non et, pour-tant, nous l'avons fait. Qu'entendez-vous par la mort ? La sortie de la zone euro ? Le terme de mort est allgorique. Et comme toute allgorie, moins on l'explique et mieux on le comprend. Quant une sor-tie de la zone euro, je veux insister sur le fait que nous avons le droit dy rester. Nul ne peut nous le contester. Vous dites : La crise de 2008 signale la fin d'une poque pour l'conomie mondiale, celle o le double dficit amricain alimentait les excdents allemands et chinois ainsi que la croissance financire. Quelle est alors lpoque en train de natre et quel rle la victoire de Syriza peut jouer dans cette re nouvelle? Je ne sais pas quoi va ressembler l'conomie mondiale dans l'avenir. La croissance amricaine actuelle ne peut cacher deux ralits : les emplois crs sont souvent des emplois pr-caires, et le recyclage des excdents crs par les dficits amricains Wall Street n'est plus possible. Pour moi, l'l-ment dcisif sera la naissance de nouvelles Lumires. La Grce peut tre une petite lueur d'opportunit. Nous ne som-mes pas assez grands pour transformer le monde, mais nous pouvons forcer l'Europe changer

    Propos recueillis par Romaric GODIN

    Athnes, le 20 janvier 2015

  • usqu prsent, les juxtapositions politiques en Europe navaient exprim que des nuances. Sociaux-dmocrates, conservateurs, lib- raux et cologistes se compltaient et se combinaient aux diff-rents chelons et chelles de pouvoir. Leur point de fusion ? Une Europe de lextrme centre garante des liberts fondamentales

    pour le capital et dune subordination des politiques salariales au libre jeu de la concurrence. Cette poque prend fin. La victoire de Syriza restaure un contraste politico-gographique maximum. Contre le consensus du tout laustrit promu par les institutions eu-ropennes, le nouveau gouvernement grec est mandat pour oprer une rvolution des priorits : la discipline financire est seconde par rapport lurgence sociale ; la dignit et la souverainet dun peuple ne peuvent tre dissoutes. Maintenant, il nest plus quune seule question qui compte : comment Sy-riza va-t-elle tenir ses promesses ? Le combat qui sengage a des allures de face face entre David et Goliath. Lconomie grecque est dvaste. Politiquement, son gouvernement est isol sur la scne europenne.

    J

  • Si les amis sociaux-dmocrates de la dernire heure se sont presss pour fliciter Tspras, cest dans le but de mieux touffer la radicalit quil incarne. Surtout, larchitec- ture de lUnion conomique et montaire ainsi que la logi-que de la dette mettent les nouvelles autorits la merci de toutes les formes de chantages. A la Commission, la Banque centrale europenne et dans les capitales, faux amis et vrais adversaires alternent postures et impostures pour tenter damadouer lintrus et diviser son camp. AD VITAM Le compromis esquiss peut se rsumer de la sorte : allonger les chances de la dette grecque de ma-nire en rduire la charge immdiate en change de la poursuite des rformes structurelles cest--dire les priva-tisations, la libralisation de lconomie et laugmentation des recettes fiscales Si une convergence peut se faire sur ce dernier point (tant les riches Grecs sont habitus chapper limpt), pour le reste, ces propositions sont incompatibles avec le programme de Syriza. Etaler les chances dune dette que chacun sait insoutenable ? Cela revient maintenir ad vitam aeternam la Grce en tat de soumission vis--vis de ses cranciers. Inacceptable pour un gouvernement lu pour rendre justice un peuple spo-li. Libraliser davantage lconomie ? Impensable pour un parti qui sest engag rtablir le salaire minimum son niveau davant la crise, rinstaurer les rgles de ngocia-tions collectives, rembaucher des fonctionnaires et mettre un terme aux privatisations. Or dans la collision qui sannonce, Alxis Tspras a plu-sieurs atouts en main. Le premier, cest la faillite intellec-tuelle de la Troka. Le Premier ministre arrive la tte dun pays rendu exsangue par les politiques nolibrales qui, en Grce et en Europe, ont du point de vue des populations chou intgralement. Face la dflation qui sinstalle (le cauchemar conomique absolu), le continent se doit de chercher une alternative : annulation des dettes et relance des dpenses publiques sont la seule solution, et cest Sy- riza qui la porte. Le deuxime atout est politique. Plutt que de sallier avec un des partis du centre, Tspras a pris la tte dun gouver-nement prt assumer la confrontation avec les institutions europennes. De plus, les victoires appelant les victoires, les opposants laustrit sen trouveront renforcs dans dautres pays de la zone ( limage de Podemos en Espa-gne qui se rapproche du pouvoir). Laccession de la gauche radicale au pouvoir rend ainsi concevable face lInter-nationale du capital dont lUnion europenne est le nom un internationalisme des classes populaires. Le dernier atout est conomique. Les saignes imposes la Grce ont conduit au dsastre humain et au massacre des capacits productives que lon sait, mais la Grce peut dsormais se passer de ses cranciers. Le budget du pays hors remboursement de la dette est lquilibre tout comme son commerce extrieur. Ce nest pas un mince avantage dans le bras de fer qui sannonce. Car un chec des ngociations, voire une expulsion de leuro, serait bien moins douloureux pour les Grecs quil y a deux ans

    Cdric DURAND et Aurlie TROUV

  • lors que, dans les autres pays de lUnion europenne, les partis de gouvernement semblent se rsigner lessor de lextrme droite, Syriza a ouvert une autre perspective. Nul gauche na progress en Europe aussi vite que la formation grecque. Inexis-tante ou presque il y a quelque cinq ans (soit lore de la crise financire), lorganisation hellnique a ralis depuis deux ex-ploits la fois. Dune part, elle est apparue comme un parti cr-dible lexercice du pouvoir. Dautre part, elle est parvenue re-lguer le parti socialiste (le PASOK), coresponsable de la d-route gnrale, au rle de force dappoint. Lenjeu pos, et en partie atteint (avec le dclassement du parti social-dmocrate), la question demeure : la victoire dune autre gauche pourra-t-elle dboucher sur la rorientation gnrale des politiques europennes ? Vus dAthnes, les obstacles sont im-menses. Dans son pays, Syriza est seule contre tous ; en Eu-rope, aucun gouvernement ne lappuie. Lopinion publique europenne nous est plus favorable, estime cependant Nikos Filis, le directeur dI Avgi, journal dont Syriza est lactionnaire principal. Et les lites europennes constatent galement limpasse des stratgies suivies jusquici. Dans leur propre intrt, elles envisagent donc dautres politiques, car elles voient que "la zone euro" telle quelle est construite empche lEurope de jouer un rle mondial.

  • Une hirondelle annonce souvent le printemps qui a trop souffert de lhiver. Mais la cruaut dont Bruxelles na cess de faire preuve avec les consquences sociales et sanitaires quon a peine imaginer (manque de chauffage en hiver, pro-gression des maladies infectieuses, augmentation du nombre des suicides) nest pas prte de sarrter au prtexte dune soudaine posture compassionnelle. Et pourtant, il y aurait de quoi. PILEPSIE SOCIALE. Aprs cinq annes de traitement de choc, la Grce compte trois fois plus de chmeurs quavant (25,5 % de la population active) ; sa croissance est atone (0,6 % en 2014) suite une contraction de 26% de son PIB entre 2009 et 2013. Enfin, et pire que tout : la camisole sociale que la Troka a impos de force en vue de rduire prioritairement son endettement la, au contraire, fait exploser de 65%... Ce qui tait prvisible, puisque son niveau est calcul en propor-tion dune richesse nationale qui, elle, sest croule. Dans ce contexte affaiss, que prvoit Syriza pour en sortir ? Dabord un programme destin affronter la crise humani-taire qui raffecterait les dpenses et les priorits lintrieur dune enveloppe budgtaire globale inchange. Calcule trs prcisment, la gratuit de llectricit, des transports publics, dune alimentation durgence pour les plus pauvres, des vac-cins pour les enfants et les chmeurs serait ainsi finance par une lutte plus active contre la corruption ou la fraude. Celles-ci amputent les recettes de lEtat dau moins 10 milliards deuros par an, comme lavait dailleurs admis le dernier gouvernement conservateur en place.

    Les travaux publics cotent quatre cinq fois plus cher quailleurs en Eu-rope, remarque par exemple Nikos Fi-lis et pas seulement parce que la Grce compte normment dles et dispose dun relief plus accident que celui de la Belgique. De son ct, lconomiste Yannis Mi-lios (lun des responsables de Syriza) souligne un autre cataclysme qui cor-rompt le pays : 50.000 Grecs ont trans-fr ltranger plus de 100.000 euros chacun, alors que le revenu dclar de 24.000 dentre eux tait incompatible avec un placement dun tel montant. Pourtant, depuis deux ans, seuls 407 de ces fraudeurs, signals aux autorits d Athnes par le FMI, ont t contrls par le fisc. Le programme durgence humanitaire de Syriza, dun montant estim 1,9 mil-liard deuros, se double de mesures sociales destines relancer lactivi- t : cration de 300.000 emplois publics sous forme de contrats dun an renou-velables, rtablissement du salaire mi-nimum son niveau de 2011, augmen-tation des plus petites retraites

  • Cot estim pour lensemble de ce dispositif, qui inclut aussi des allge-ments fiscaux et des abandons de crances pour les mnages et entreprises surendettes : 11,4 milliards deuros, financs par autant de recettes nouvelles. NON NGOCIABLES. Ces mesures, insiste Yannis Milios, ne seront pas ngo-cies. Ni avec dautres partis ni avec les cranciers du pays : Elles sont une question de souverainet nationale, elles najoutent rien notre dficit. Nous comptons donc mettre en uvre cette politique quoi quil advienne, par ail-leurs, sur le terrain de la rengociation de la dette. Lorsquil sagit des 320 milliards deuros de la dette grecque, Syriza est en revanche dispose parlementer. Mais, l encore, en faisant le pari que plu-sieurs Etats nattendent quune occasion pour lui emboter le pas. Le pro-blme de la dette, insiste Y. Milios, nest pas un problme grec, mais un pro-blme europen. En ce moment, la France et dautres pays parviennent payer leurs cranciers, mais uniquement parce que les taux dintrt sont ex-trmement bas. Cela ne va pas durer. Et rien quentre 2015 et 2020, la moiti de la dette souveraine espagnole, par exemple, devra tre rembourse. Dans ces conditions, la mise sur pied dune Confrence europenne sur la dette (rclame il y a deux ans par Alxis Tspras) serait devenue une hy-pothse plausible. Dsormais soutenue par le ministre des Finances irlan-dais, elle a pour avantage pdagogique de renvoyer un prcdent : celui de 1953, qui avait vu lAllemagne bnficier de leffacement de ses dettes de guerre, dont celles dues la Grce. Une fois fait ce rappel historique mali-cieux, Syriza enchane en esprant que la Confrence rclame deviendra la solution alternative qui enterrera laustrit pour de bon... Comment ? En entrinant labandon dune partie de la dette des Etats, en rchelonnant ce qui reste pour en transfrer lessentiel la BCE, qui le refinancerait. Une vi-sion compltement irraliste ? Syriza, en tous cas, sy accroche. Linstitution prside par Mario Draghi ne sest-elle pas montre trs accommodante lorsquil sest agi de secourir les banques prives ? Au point dailleurs que celles-ci se sont dgages de leurs crances grecques, dont la quasi-totalit est dornavant dtenue par les Etats membres de la zone euro... Voil qui confre ces derniers un singulier pouvoir, en particulier lAllema-gne et la France. Or Angela Merkel na pas attendu son tour pour soffus- quer de ce que le contribuable allemand serait la principale victime dune re-ngociation de la dette grecque, puisque son pays en dtient plus de 20 %. Elle ne laccepterait pas, son ministre des Finances Wolfgang Schuble ne cesse de le rpter.

  • La position franaise est plus floue et filoue, comme souvent. Dun ct, on dit ne pas carter lide dun rchelonne-ment des remboursements (Michel Sa-pin, ministre des Finances). De lautre, on somme Athnes de respecter les engagements qui ont t pris (Franois Hollande), et de continuer mener les rformes conomiques et politiques n-cessaires (Emmanuel Macron, le minis-tre de lEconomie). TOCSIN. Quant la droite europenne, elle sonne dj le tocsin partout ailleurs quen Allemagne. Il faut mettre fin aux pro- vocations grecques, a ainsi affirm le mi- nistre autrichien, Hans Jrg Schelling. Pour le ministre belge des Finances Jo-han Van Overtveldt, les Grecs n'ont d autre choix que de poursuivre les assai-nissements et restructurations. Et ne doi- vent pas oublier que sengager dans une union montaire, cest prendre des en-gagements forts de discipline budgtai-re, de flexibilisation de lconomie. Dailleurs, cest eux de trouver une so- lution qui renforce la zone euro. Jai en-tendu le Premier ministre Alxis Tspras dclarer quil allait mettre en uvre son programme gouvernemental et ignorer les exigences des pays de "la zone euro". La Grce doit poursuivre le programme de rformes, dans son propre intrt et celui de toute "la zone". Le premier ministre finlandais Alexander Stubb ? Il a oppos un non retentis-sant toute demande dannulation de la dette, pendant qu Paris le quotidien con- servateur Le Figaro sinterrogeait avec l- gance : La Grce est-elle partie une nou-velle fois pour empoisonner lEurope ?. Deux jours plus tard, le mme journal a- vait fait ses comptes : Chaque Franais paierait 735 euros pour leffacement de la dette grecque. Une affirmation premptoire mais men-songre que Jean-Marie Harribey, du Con-seil scientifique dAttac-France, aura beau jeu de rpudier totalement. Selon lancien professeur de sciences conomiques l universit de Bordeaux, il nen coterait m- me pas 4,5 euros par citoyen de lHexa- gone. Mais bon, plus cest gros, mieux a passe. Puisqu chaque fois, il est dans le rle des grands mdias de faire mousser l opinion pour mieux la lessiver

    Laurence ANGELLI et Serge HALIMI

  • our pouvoir entrer dans la zone euro en 2001, Athnes devait faire valoir : un dficit public annuel infrieur 3 % du PIB, une dette publique infrieure 60 %. La ralit est qu' cette date la Grce n'y satisfaisait pas : pour donner le change, elle maquillera ses comptes publics grce aux

    experts de Goldman Sachs, venus de New York l'aider fausser ses bilans. Eurostat, l'Office statistique de l'Union europenne, avait pourtant t dument averti du subterfuge. Rien n'y a fait. La Commission euro-penne avait-elle t dupe ? Absolument pas, selon un Jean-Luc Dehaene, pris de remords rtrospectifs. Tous les Commissaires taient au courant. Dautant quil suffisait dexaminer les adjudica-tions bihebdomadaires athniennes pour dcouvrir le pot aux roses. Pas grave : lessentiel, ctait que le pays allait s'inscrire dans un cercle vertueux, bnficier des fonds structurels europens et, sur-tout, ouvrir son march aux produits nord-europens. AFFAIRISME. Lentreprise Siemens, par exemple. Cette firme a tir un pactole ahurissant des prts europens accords la Grce par les banques, principalement allemandes. La multinationale germani-que et ses associs internationaux ont, de cette manire, vendu Athnes la digitalisation des centres tlphoniques de l'OTE (lorga- nisme grec des tlcommunications) ; le systme de scurit C4I achet l'occasion des (pharaoniques et dispendieux) Jeux olympi-ques de 2004 et qui n'a jamais fonctionn ; le matriel des chemins de fer grecs SEK ; le systme de tlcommunications Herms pour l'arme ; de coteux quipements pour les hpitaux destins llite hellnique. Etc, etc De mme Thyssen-Krupp a vendu Athnes des sous-marins pour 5 milliards d'euros. La Grce, cette immense superpuissance, a ainsi t l'un des cinq plus gros importateurs d'armes en Europe entre 2005 et 2009 l'achat d'avions de combat (dont 26 Mirage 2000 la France) reprsentant lui seul 38% du vo-lume de ses importations. Les dpenses militaires grecques ont mme culmin 4% du PIB en 2009 (contre 2,7% pour la Grande-Bretagne ; 2,4% pour la France et 1,4% pour l'Allemagne). Au sein de l'OTAN, seuls les tats-Unis dpensaient proportionnellement plus d'argent qu'Athnes pour leur dfense militaire (4,7% du PIB). Les affaires entre le Nord europen et la Grce n'ont dailleurs pas cess avec le dclenchement de la crise de la dette publique. En 2010, la Grce a achet la France six frgates de guerre (2,5 mil-liards d'euros) et des hlicoptres de combat (400 millions). Ces lu-cratives transactions commerciales auraient-elles pu avoir lieu sans l'appartenance de la Grce la zone euro ? Probablement pas : le volume des prts avancs par les banques trangres la Grce a t multipli par 4 entre 2000 et 2007. Ce soudain engouement des prteurs pour la Grce n'avait qu'une explication : l'assurance que, en cas de problme, les citoyens europens seraient mis contribu-tion pour payer les pertes du secteur financier. C'est exactement ce qui est arriv.

    P

  • A partir de 2010, la Grce est lobjet dattaques spculatives concertes, organi-ses par des marchs financiers dchains, lesquels exigent des taux dintrt exorbitants en contrepartie de financements servant rembourser sa dette. Athnes se retrouve vite au bord de la cessation de paiement. La Troka inter-vient alors avec un plan catastrophe qui savrera catastrophique. Cest le fameux Mmorandum par lequel des crdits sont octroys la Grce, condition que les prts servent rembourser ses cranciers prioritaires, savoir dans lordre : les banques franaises, allemandes, italiennes... Des cr-dits assortis de mesures daustrit dune brutalit rare. PROTECTORAT. 2012 ? Comme la crise sociale et financire a encore empir, les missaires plnipotentiaires envoys par la Commission, la BCE et le FMI au titre de dirigeants du protectorat quest devenue la Grce organisent une restructuration de la dette due aux cranciers privs (les banques). Ces derniers soudain conscients que, aprs avoir tant gagn, il faut sans doute faire un geste sinon ils perdront tout nont dautres choix que dentriner une dcote de 107 milliards sur leurs crances. Mais cet allgement de la dette prive sont adosses de nouvelles exigences imposes par les fondamentalistes de la Troka. Le fardeau de la dette sen trouvera encore alourdi. De 130 milliards. Bilan ? Avant la crise, seule une minorit de Grecs avait bnfici de la crois-sance tire par la dette. Et aprs la crise ? Tous les sacrifices seront supports par une population dj la peine, une stratgie punitive pargnant les profi-teurs qui avaient eu soin de placer largent de leurs profits Genve, Londres et Francfort. Dire, aujourdhui, Les Grecs doivent payer, cest confirmer le sort dvolu jus-quici aux victimes habituelles : souffrir toujours plus. Une attitude il pour il, dent pour dent, une sorte dconomie biblique qui est en passe de faire som-brer le continent tout entier. Plus laustrit choue, plus elle est prescrite. Autres leons Dsormais, Le Mcanisme europen de stabilit, la BCE et le FMI ont pris rang de cranciers principaux les banques et autres institutions financires prives ayant t, de la sorte, soustraites aux alas dune position dominante et dominatrice. Les avances consenties par lEurope pour aider la Grce ? Pour lessentiel, elles sont retournes dans les poches des banquiers. Ds juin 2012, le Financial Times pouvait affirmer que, des 165 milliards daide gnreuse, la Grce nen avait vu que quinze. Par contre, lensemble des conditionnalits imposes au pays par ses prtendus sauveurs nauront fait que lenfoncer toujours plus dans la dpression. Ainsi, la Troka a exig des gouvernements en place lappli-cation chaque anne dau moins 800 mesures librales, censes librer une socit pas assez comptitive. Rduction drastique des allocations socia-les ; dmantlement de la Fonction publique ; dpeage du systme hospitalier ; dconstruction du Code du travail, des conventions collectives, des salaires minimaux Sans compter un programme inou de privatisations avec la mise en vente la dcoupe des ports, des marinas, des biens immobiliers et patri-moniaux nationaliss. Bnfices esprs : 19 milliards destins payer les cranciers, plus les recettes lies la dmultiplication insense des taxes et impts en tous genres (depuis le premier Mmorandum de mai 2010, la pres-sion fiscale globale a t accrue de 900%). Rsultat : un dpt de bilan, avec une dette publique passe de 113% en 2009 177% du PIB aujourdhui. Une dette insoutenable qui ne pourra jamais tre rembourse. Il faudrait, la Grce, au moins vingt ans pour la ra-mener 60% du PIB et encore, condition de dgager un excdent budg-taire primaire annuel compris entre 8,4% et 14,5% du produit intrieur, ce quaucun pays au monde na jamais atteint Une dette est une dette, c'est un contrat. Faire dfaut, restructurer, changer les termes du "Mmorandum", a ne va pas. Une semaine avant les lections du 25 janvier 2015, la directrice du FMI, Christine Lagarde, avait admonest Syri-za : non, a ne va pas !

    Jean FLINKER

  • dimanche 25 janvier, Syriza la Coalition de la gauche radicale [Synaspisms Rhizospas-tiks Aristers] fait un carton.

    Le maillon le plus faible de la zone euro, ce sont les lecteurs, avait prvenu la gazette des marchs, The Financial Times. Ce sera pire que le communisme, ce sera le chaos total !, avait annonc ananti John Sporter (le grant de Capital Group, lun des plus grands fonds de pension au monde) Mais voil : Syriza a sduit par ses promesses. Parmi celles-ci, des mesures qui parlent au cur des gens : le courant lectrique gratuit pour trois cent mille mnages ; la cration de 300.000 emplois ; le rtablissement du sa-laire minimal 751 euros (abaiss 586 euros depuis 2012) ; la gratuit des soins de sant pour tous. Cot es-tim de ce programme humanitaire : douze milliards d'euros. Des dpenses qui prennent contre-sens toute la logique austricide impose jusque-l. MANDAT. Au terme dun dimanche victorieux, Alxis Ts- pras proclame : Aujourd'hui, nous avons mis fin l'aus-trit. Le mandat donn par le peuple signifie la fin de la Troka. Cinq jours aprs, le nouveau ministre des Fi-nances dclare renoncer aux sept milliards deuros at-tendus de lUE. Selon Ynis Varoufkis, il ny aurait pas de logique critiquer "le Memorandum" tout en deman-dant son extension.

    Les sept milliards, nous nen voulons pas ; ce que nous voulons, cest repenser tout le programme dorthodoxie budg-taire administr par lAllemagne (avec lappui de ses acolytes). Dornavant, nous ne vivrons plus pour la prochaine tranche de prts, comme le drogu qui attend sa prochaine dose. Mais ce nest pas tout : lautre grande revendication du gouvernement peine install, cest la rengociation de la dette. On sait que les rserves de la Grce sont insuffisantes pour permettre au pays de faire face aux paiements prvus dbut juillet. Au total, ce sont 23 milliards deu- ros que la Grce devrait verser. Pour les nouvelles autorits, une restruc-turation du capital et des intrts dus est urgente, absolument ncessaire. Elle im-plique que soit efface la moiti de la det- te dtenue par les institutions publiques, soit 100 milliards deuros, car lheure n est plus aux demi-mesures

    LE

  • "La zone euro" nest pas un tripot dans lequel chacun pourrait jouer comme il le veut. Un Trait est un Trait, avait amor-c le quotidien allemand Bild. Ds le 4 fvrier, les rtorsions se mettent donc pleuvoir. La BCE ? Elle coupe les vivres aux banques grecques tant don-n quil nest pas possible, lheure ac-tuelle, danticiper une issue positive pro-longeant le programme daide internatio-nal dont bnficie Athnes. La Banque centrale europenne, en signifiant quelle fermait les robinets liquidits de la Grce, nest ni dictatoriale ni inhumaine, expliquera, bate, Batrice Delvaux (lditorialiste en chef du journal Le SOIR). Pour lancienne stagiaire au FMI, la BCE se doit de montrer quelle peut tre crative, mais quelle nest pas irres-ponsable. Son contrat, ici, tait clair : elle pouvait prter la Grce si celle-ci res-pectait une srie de conditions. Ce nest plus le cas, elle arrte donc son finance-ment. Logique et surtout sain.

    Pour Tspras et les siens, cest un retour sur terre, brutal et rapide, mais invitable. Sils souhaitent rester dans leuro, ils doivent accepter des compromis : renoncer leffacement de la dette ; accepter la re-mise en ordre budgtaire; libraliser certains pans de lconomie. Pour ce qui est de la tutelle de la Troka, il y a srement un "habillage" trouver [] Tspras doit accepter ce qui est raisonnable. Autrement dit : si la Grce ne poursuit pas les rformes (sur lesquelles ses prc-dents dirigeants staient engags), la BCE est prte asphyxier le pays rcalcitrant. Pour accentuer la pression et montrer qui gouverne, lagence de nota-tion Standard & Poors y met aussi du sien en abaissant dun cran, du jour au lendemain, la note du pays, ce qui fera monter les taux dintrts auxquels la Grce devra emprunter sur les marchs interna-tionaux. INTGRALEMENT. Quimporte. Face lintransigeance des autres par-tenaires europens, le premier discours du chef de gouvernement, devant la Vouli (le Parlement), ne fait aucune concession. Avec une certaine gravit, Alxis Tspras raffirme vouloir mettre en uvre ses promesses de campagne dans leur intgralit. Le bras de fer est engag. Pour le FMI et la BCE, non seulement la Grce doit poursuive les rformes mais elle doit procder des co-nomies supplmentaires pour parvenir dgager un excdent budg-taire primaire (hors paiement des intrts de la dette) de 4,5% du PIB afin quelle puisse rembourser tous ceux qui lui ont prt

  • Le ministre des Finances allemand ? Wolfgang Schable refuse tout amnagement du Mmorandum avec la Grce. Il nest pas le seul cam-per sur une ligne dure : la Finlande, les Pays-Bas ou lAutriche ne sont pas plus enclins au compromis. Mme engeance : le PPE, la formation qui re-groupe tous les partis de la droite clricale, fait pression pour que Syriza nobtienne rien de plus que ce quaurait obtenu le Premier ministre conserva-teur Antonis Samaras. GRAND CART. Florilge. Syriza nest pas un ogre pour lEurope, mais la voix de la raison. Cest le rveil-matin qui tirera lUnion de son somnambu-lisme (Alxis Tspras, 7 janvier). Le nouveau gouvernement est prt col-laborer et ngocier une solution juste qui bnficie tous (Tspras, 26 jan-vier). Se disant la tte dun gouvernement de salut national, prt ver-ser son sang pour restaurer la dignit des Grecs, le Premier ministre pr-cise : Nous nentrerons pas dans un affrontement mutuellement destructeur, mais nous ne poursuivrons pas une politique de soumission La Grce fait des propositions, elle ne reoit plus dordres, et donns par email en plus (28 janvier) Mercredi 4 fvrier, Bruxelles, au bout dune journe sans solution, Ts-pras se dit toutefois trs optimiste : Lhistoire de lUnion europenne est faite de dsaccords mais, la fin, il y a un compromis. Lobjectif est la fois de respecter la souverainet du peuple grec, et de respecter les rgles de lUnion europenne. Le grand cart. Mais aprs deux semaines de sollicitations, les positions des 18 autres pays amis restent toujours aussi unanimement inflexibles. Une fermet formule schement par le ministre belge, le NVA Johan Van Overtveldt (Le point de dpart, cest lacceptation entire du Programme daide. Aprs, on peut commencer discuter) ou, en plus rond, par son collgue socialiste fran-ais Michel Sapin : Nous souhaitons un dialogue. Avec deux principes : le respect de la volont du peuple grec, mais aussi le respect par la Grce de toutes les rgles europennes. Cependant, la veille de lEurogroupe, le ministre des Finances Ynis Varou-fkis veut encore croire une embellie: Tant les Grecs que le reste de lUE feront tout ce quil faut pour viter un rsultat qui affaiblisse lunit de la zone euro.

    Jeroen DIJSSELBLOEM et Ynis VAROUFKIS

  • Mais la runion du 16 fvrier tournera court, les Grecs butant sur des interlocuteurs intransigeants. Menteur ! : tel sera le qualificatif hurl par un Varoufkis, fou de rage, ladresse de Jeroen Dijsselbloem habitu la courtoisie rgnant pesamment au sein du club intermi-nistriel. Ctait incroyable. On a vraiment cru quils allaient en venir aux mains, raconte un tmoin de la scne. Le 16, lEurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro, plus la Banque centrale europenne et le Fonds montaire international) a lanc un ultimatum en bonne et due forme la Grce : elle a sept jours pour accepter la prolongation du Programme (ou Mmo-randum) actuel qui lui assure un financement pour faire face ses prochaines chances en change de nouvelles coupes budgtaires et des hausses dimpts. Sinon, elle devra se dbrouiller seule. Cest a ou rien. Pour le Prsident de lEurogroupe, le Nerlandais Je-roen Dijsselboem, faire partie de "la zone" signifie quil faut respecter lensemble des accords dj passs. Il ny a pas dalternative la prolongation du Programme, renchrit le Commissaire europen aux Affaires co-nomiques, Pierre Moscovici. Une exigence rejete par Ynis Varoufkis qui la juge absurde et inaccepta-ble. Pourtant, en coulisse, dautres dlibrations sont dj en train de samorcer. Le volontariste ministre des Fi-nances grec laisse entendre quil est prt signer une proposition mdiane prsente par la Commission. Cet accord reconnatrait la gravit de la crise humanitaire et accorderait une extension de laccord de prt as-sorti de conditionnalits. En change, le gouverne-ment hellne sengagerait ne pas appliquer pendant six mois son propre programme, la seule condition de ne pas se voir imposer des mesures crant de la rcession, comme la hausse de la TVA ou une baisse des retraites les plus faibles. EXTENSION. Jeudi 19 fvrier. La Grce demande offi-ciellement lextension pour six mois de laccord d assistance financire, que ses cranciers europens lui sommaient daccepter avant la fin de la semaine. Pour la premire fois, le front europen fait semblant de se fissurer. Pour la Commission europenne, cest un signal positif qui pourrait ouvrir la voie vers un compro-mis raisonnable. Mais dans le mme temps, Berlin, le porte-parole du ministre des Finances allemand r-itre les mises en demeure : Il ne sera pas accept quon se lance dans une extension de laide sans appli-quer les rformes convenues. En tous cas, mme en cherchant bien, il est impossible de trouver dans le communiqu final de lEurogroupe ce qui justifierait la conclusion trs personnelle du mi-nistre Varoufkis : La Grce a mis, derrire elle, "le Mmorandum". Au contraire, la Grce semble entriner tous les diktats (qui lui ont t fixs par les autres Etats europens) en demandant explicitement lextension de laccord-cadre dassistance financire, soutenu par un ensemble dengagements

    LE DIKTAT DU 20 FVRIER

    Par lAccord du 20 fvrier, la Grce sengage remplir pleinement toutes ses obligations envers ses partenaires. Athnes promet dassurer les excdents adquats afin de garantir la viabilit de sa dette sur la base des rsolutions de lEurogroupe de novembre 2012. La Grce ne rvoquera aucune des mesures dj dcides, mnera leur terme les privatisations prsentement engages, ne procdera aucun changement susceptible davoir un effet ngatif sur les objectifs budgtaires, la reprise conomique ou la stabilit financire tels quvalus par la Commission, la BCE et le Fonds montaire international LAccord prvoit le remboursement intgral, et temps, des crditeurs. Et raffirme lallgeance dAthnes la tutelle des Institutions (le nouveau nom donn la Troka) Laction du gouvernement Syriza et sa capacit mettre en uvre son programme se retrouvent ainsi compltement neutralises. Le cadre du Mmorandum est maintenu dans sa quasi intgralit. En fait, le gouvernement grec accepte de ne prendre aucune mesure unilatrale qui pourrait mettre en danger les objectifs budgtaires fixs par ses cranciers...

  • Dautant que cet accord ne pourra tre confirm quune fois tabli par le gouvernement grec un plan daction prcis et quil soit agr par les Institutions [sic]. Une expression qui reflte, en somme, la seule concession sur laquelle les Grecs auront eu satisfaction : celle de ne plus parler de Troka. Mais ce sont bien les trois structures concernes la Commission euro-penne, la Banque centrale et le FMI qui resteront les interlocuteurs et les vrificateurs de lexcution parfaites des rformes souscrites. De surcrot, la Grce renou-velle son engagement sans quivoque honorer ses obligations financires envers ses cranciers temps et dans leur entiret. Une prcision solennelle laquelle les 18 taient trs attachs. Une reddition de Syriza ? Pour Ynis Varoufkis, pas du tout : Comme Ulysse, il faut parfois sattacher au mt pour rsister aux tentations des sirnes. Une capitulation? Le ministre Wolfgang Schuble, qui a finalement russi faire imposer aux Grecs tout ce quil voulait, reconnaissait en spcialiste que le gouverne-ment Syriza aura sans doute quelque difficult expli-quer laccord son lectorat. On ne saurait mieux dire. GAGNER. On ne mne un combat que si on a une chance de le gagner, ironise un diplomate europen. Le gouvernement Syriza a oubli ce principe diplomatique de base et vient de subir une dfaite en rase campa-gne

    Wolfgang SCHUBLE

    Aprs un mois de psychodrame, trois Eurogroupes et un Conseil europen des chefs dEtat, Athnes se rsout le 25 fvrier passer sous les fourches cau-dines de ses cranciers. Dans un long document envoy Bruxel-les, Syriza dtaille les rformes structurel-les exiges par la zone euro et le Fonds montaire international quelle accepte de mettre en uvre, en change dune nouvelle aide de 7 milliards deu-ros. Mais lhonneur est sauf : il a t ac-cept que la Coalition radicale puisse appliquer une partie de son programme (notamment lassistance aux plus dmu-nis) pour autant que cela nait aucune in- cidence sur le plan budgtaire En ralit, les ngociations sont loin d tre termines. Ainsi, Christine Lagarde, la directrice gnrale du FMI, a soulign ( lunisson de la BCE) labsence den-gagements clairs de la Grce dans un certain nombre de secteurs, peut-tre les plus importants comme laugmentation de la TVA, la rforme du systme de re-traite, louverture des secteurs ferms la concurrence, la rforme du march du travail ou encore les privatisations. Laccord de lEurogroupe ne veut pas dire approbation des rformes telles que prsentes par les autorits hellnes, a surenchri le Commis socialiste Pierre Moscovici. Au final, la Grce reste donc sous la surveillance de ses curateurs. Pis, elle na pas russi obtenir un allge-ment de sa dette ou du surplus budg-taire primaire que les Institutions exi-gent et qui grvent ses marges de ma-nuvre. Mais rien nest dfinitivement jou. Pour le porte-parole du gouvernement Gavril Sakellardis, les ngociations sont une course dendurance, pas un sprint.

    Christine LAGARDE

  • Alxis TSPRAS et Manolis GLEZOS

    Au sein de Syriza pourtant, beaucoup de militants (et non des moindres) vont faire tat de leur profond dsappointement quant aux rsultats pro-duits par cette stratgie gradualiste. Tel le dput europen Manolis Gle-zos. Dans une Lettre ouverte au picrate, l'homme (qui avait t le dra-peau nazi de l'Acropole en 1941) s'estime dj trahi par le gouvernement, appelle refuser les compromissions et demande aux militants de dci-der. Changer le nom de la Troka en "Institutions", celui du Mmorandum en "Accord" et celui des cranciers en "partenaires" ne change en rien la situation antrieure. Tout comme on ne peut changer non plus le vote du peuple grec aux lections du 25 janvier. Il a vot pour ce que Syriza avait promis : abolir le rgime daustrit, qui nest pas seulement une stratgie de loligarchie allemande mais aussi de celle des autres pays europens cranciers; abolir les "Mmorandums" et la Troka. Au lendemain des lections, en une fois, voil ce que nous allions faire. Un mois est pass et cette pro-messe nest toujours pas transforme en acte. Dommage et encore dom-mage. Pour ma part, je demande au peuple grec de me pardonner davoir contri-bu cette illusion. Mais, avant que le mal ne progresse, avant quil ne soit trop tard, ragis-sons. Avant toute chose, par le biais dassembles extraordinaires, dans toutes les organisations, quel quen soit le niveau, les membres et les amis de Syriza doivent dcider sils acceptent ou pas cette situation. Daucuns prtendent que, pour obtenir un accord, il faut savoir cder. Mais, entre loppresseur et loppress, il ne peut tre question de com-promis, tout comme cela est impossible entre loccup et loccupant. La seule solution, cest la libert

    Jean FLINKER

  • par Frdric LORDON

    il y a longtemps que lEurope sest enferme dans un pige : la nasse des Traits libraux. Ceux-ci ne laissent que deux voies de sortie possibles. Soit leffondrement financier, sous le poids des contradictions internes lUnion. Soit un accident politique qui ren-verse la table. La premire issue ayant t temporairement enraye, il ne reste que la seconde raison qui conduit les institutions de lUE regar-der la dmocratie, non comme un tat normal de la vie politique, mais comme une source permanente de menaces, dont ltouf- fement justifie tous les moyens. Dans ce contexte pernicieux se peut-il que les espaces de mortifi-cation o ont t relgues les instances politiques nationales d peu prs tous les pays laissent la moindre chance de rompre la situation, hors bien sr dun soulvement en bonne et due forme ? Lexprience Syriza, si tant est quelle ait lieu, nous donnera rapi-dement une rponse. Car disons-le tout net : pour Syriza, le gosse se prsente par le sige. Il est vrai que le parti dAlxis Tspras sest lui-mme mis dans un mauvais cas, soutenir avec la plus complte inconsquence et son projet de revenir sur le Mmo-randum qui lui impose une austrit perptuit, et son dsir de rester dans leuro. Il y avait l une contradiction que son aile gauche, incarne par des conomistes comme Stathis Kouvelakis, navait pas manqu de relever, et depuis quelque temps dj : la marge des accommodements avec lAllemagne sur la dette grec-que a t puise avec la restructuration impose aux cranciers privs. Imaginer quelle pourrait tre tendue aux cranciers pu-blics, a fortiori quand on compte parmi ceux-ci la BCE, tient du rve veill. PERSCUTION. On savait que lexprience Syriza serait une leon de choses en politique, la mise nu des ressorts fondamentaux de la puissance et de la souverainet. Nous y sommes et encore plus vite que prvu.

  • Comme on pouvait sy attendre, le lieu nvralgique du rapport de force se trouve Francfort, la Banque centrale euro-penne. Ce quaucun Article des Traits europens ne per-met juridiquement mettre la porte un Etat-membre cest la BCE, hors de toute procdure, par une opration entire-ment discrtionnaire sans aucun contrle dmocratique, qui le peut. Et qui vient den donner lavant-got, dix jours peine aprs larrive au pouvoir dun gouvernement malsant, port par un mouvement populaire ayant le front de rclamer la fin de labsurde tourment auquel le pays a t soumis par notre chre Europe, un pays en situation de crise humanitaire au cur de lUnion et, plus encore, par lUnion, un pays pour lequel, aprs quelques autres, il faudrait maintenant songer formaliser juridiquement lide de perscution conomique et nommer les perscuteurs. L contre, le peuple grec sest donn un gouvernement lgitime, mandat pour faire cesser cet tat de perscution. Un gouvernement souverain. Comme on le sait depuis longtemps, depuis le dbut en fait, la question de la souverainet, la rponse europenne est non. Le Prsident de la Commission Jean-Claude Juncker a lui-mme livr sa vision terminale de la politique : Il ne peut y avoir de choix dmocratique contre les Traits euro-pens, a dclar cette bouche dor cent heures aprs la victoire lectorale de la Coalition radicale. Il doit donc tre dsormais suffisamment clair que la leon de choses a voir avec deux conceptions absolument diffrentes de la dmo-cratie : la dmocratie comme asservissement aux Traits, con- tre la dmocratie comme souverainet populaire. En mme temps, nous savons maintenant jusquo va lextrmisme li- bral europen. Dans une interview laquelle on na probablement pas assez prt attention, le futur ministre des Finances Ynis Varouf-kis avait lch une phrase qui vaut son pesant de significa-tion : Nous sommes prts mener une vie austre, ce qui est diffrent de laustrit... Et en effet, cest trs diffrent, foncirement diffrent mme. Entre la vie austre et laust- rit, il y a labme qui spare une forme de vie pleinement assume et la soumission une tyrannie technique. Car il est certain que la sortie de leuro naurait rien dun dner de gala. Mais cest faire de la politique, et au plus haut sens du terme, que de prendre tmoin le peuple et de lui mettre en mains les termes de son choix : nous pourrions bien, en effet, tre plus pauvres un moment mais, dabord, sous une tout autre rpartition de leffort, et surtout en donnant cette vie aus-tre la signification hautement politique dune restauration de la souverainet, peut-tre mme dun profond changement de modle socio-conomique. En tout cas pour la premire fois depuis trs longtemps, il y a la tte dun pays europen des gens qui savent ce que cest vraiment que la politique une histoire de force, de dsirs et de passions, soit lexact contraire des comptables qui gouvernent partout ailleurs. TENDANCE. Lalternative pour Syriza est donc des plus crues : plier ou tout envoyer patre. Mais que veut Tspras exacte-ment ? Tendanciellement de moins en moins, semble-t-il. En deux ans, Syriza est pass dune remise plat complte du Mmorandum un trs raisonnable rchelonnement de la dette dtenue par les cranciers publics

  • Avec Pablo IGLESIAS, le dirigeant de Podemos,

    Il est certain qu ce degr daffadissement, pour ne pas dire de renonciation, les contradictions sont moins aiguises Il nest pas moins vident que toute en-treprise de dlestage rel de la dette, et daffranchissement des rformes soi-disant indispensables, conduirait une jection de fait de la zone euro, dont on remarquera quil nest nul besoin dun Article (en loccurrence manquant) des Traits europens pour y procder, ainsi que le cas chypriote a commenc den faire la dmonstration : il suffit la BCE de mettre le systme bancaire grec sous embargo concrtement : de lui interdire laccs au refinancement pour lui faire connatre dans les 24 heures une tension dilliquidit telle que la reconstitution en urgence dune banque centrale nationale serait le seul moyen de le sauver de leffondrement complet. Laquelle reconstitution quivaudra celle dune monnaie nationale (la drachme), puisquil ne saurait tre question que la BCE reconnaisse comme euros des missions montaires en provenance dune Banque centrale grecque redevenue tout--coup autonome. Ce sera donc leuro et la camisole, ou bien aucun des deux. Or rien ne semble prparer ce second terme de lalternative si lon considre et la drive politique de Syriza et le prtexte que lui donnent des sondages assurant que la population grecque demeure trs attache la monnaie unique. Et pour cause : Syriza, dri-vant, a de fait abandonn le principe de produire leffort requis pour ancrer labandon de leuro dans lopinion comme une option possible, conformment par exemple une stratgie daffrontement gradu, au bout de laquelle larme ultime de la sortie est indique comme fermement intgre larsenal densemble. Cest donc peu dire quon nen revient pas de ces abandons successifs, lesquels ont conduit un mouvement prometteur une normalisation aussi rapide pour le condamner brve chance de douloureuses dsillusions : car il faut avoir un gros moral pour imaginer que de simples oprations de rchelonnement, poli-tique conomique globalement invariante, pourrait avoir quelque effet significatif sur lconomie grecque, dont on rappellera tout de mme quelle a perdu 25% de PIB depuis 2008 soit un score qui qualifie pour les annales de la Grande D-pression faon Etats-Unis annes 30, mais sans New Deal pour en sortir. On nen revient donc pas mais en fait, si, on en revient trs bien. MAGNTISME. Car il ny a l rien dautre que leffet crasant des institutions du parlementarisme, dont le jeu rgl condamne irrsistiblement les disrupteurs poli-tiques, soudainement magntiss par lobjectif lectoral, ncessairement trahir tout ce qui a fait leur entre en scne fracassante avant dinflchir leur course vers le centre, la manire dont Syriza a entrepris de rcuprer les troupes ato-mises du Pasok un destin que Podemos connatra son tour, nen pas dou-ter (mais cest en ralit dj fait).

  • Aprs deux ans ddulcoration dj si prononce, ne serait-il pas de lordre du miracle politi-que que Syriza ait la ressource interne den revenir sa radicalit premire pour envisager nouveau une sortie de leuro au cas probable o la rengociation du Mmorandum ne dboucherait que sur des changements marginaux et cosmtiques ? La politique ntant pas exactement le lieu dlection du miracle, lcrasement sous le poids des institutions europen-nes et du parlementarisme national runis, et labandon de fait de toute ambition den finir avec la contrainte nolibrale, sont bien le rsultat prvisible de cette chronique dune norma-lisation annonce. Rude mais salutaire leon de choses pour tous les partis de la (vraie) gauche qui nen finis-sent pas de se perdre dans le rve dune transformation de leuro enfin mis au service des peuples moyennant la constitution dune majorit politique progressiste au sein mme des institutions europistes, une chimre dont Syriza leur montrera bien vite linanit et le cot politique. En vrit, la leon sera, terme, cuisante pour tout le monde. Car un gouvernement Syriza, dconfit et ramen une austrit peine adoucie, sera moins la dmonstration en acte de la qualit des compromis europens quune preuve dfinitivement accablante : la zone euro est une prison qui ne connait pas les remises de peine. SALUT. Cest clair : le salut pour Syriza ne viendra ni de quelque compromis europen, ni dune chimrique reconstruction institutionnelle froid, promesse aussi vide de ralisme politique que faite pour tre renvoye des horizons perptuellement repousss. Mais linanit des fausses solutions nexclut pas quil y en ait de vraies. Puisquil y a toujours une alternative. En loccurrence, non pas caler le pied de table avant de passer dessous mais la renverser. Pour tous ceux qui, au loin, contemplent dans un mlange dinquitude, de doute et despoir ce qui peut advenir en Grce, il ne reste quune chose faire vraiment : contre la force gravi-tationnelle des institutions qui sefforce de ramener les dviants leur ordre, rappeler Syri-za, en ce point de bifurcation o elle se trouve, tout ce qui dpend delle et qui est consid-rable : contester vraiment laustrit de la seule manire possible, la rupture, signifier la face de lUnion la sdition ouverte davec son ordre nolibral, cest--dire crer un vnement librateur, pour le peuple grec, mais aussi pour tant dautres qui esprent avec lui

  • est-il pas grand temps douvrir les yeux ? Oui, les autorits qui se trou-vent la tte de lEurope incarnent

    un fascisme nouveau. Ce fascisme, ce nest plus celui, expressif et assum, qui a fait du 20me sicle lun des grands moments de la laideur politique; il sagit plutt dun fascisme mou et retors, dissimulant ses intentions mau-vaises derrire un langage qui se voudrait de raison. Mais la raison que manifestent tous ceux qui, aujourdhui, se trouvent for-cs de discuter avec le Premier ministre grec Alxis Tspras est, au fond, une raison d-lirante. A nombre dgards. En premier lieu, la raison europenne est dlirante sur le plan politique : chaque nou-veau geste pos par les autorits de Bruxel-les affiche davantage de mpris envers les principes sur lesquels elles prtendent se fonder par ailleurs. Il ne peut y avoir de choix dmocratique contre les Traits euro-pens En proclamant aussi ouvertement que les Traits sont soustraits tout vote dmocratique, le Prsident de la Commission na plus cherch le cacher : la dmocratie, en Europe, nest quun mot vide. Peu im-porte que Jean-Claude Juncker ait point une dfinition juridique (tant il est vrai que les Traits sont ngocis entre Etats et non entre populations) : il sagit l dune dcla-ration de rengat.

    Non, lEurope ne vous appartient pas, peu-ples dEurope ; pas plus quelle nappar- tient aux gouvernements que vous avez lus si ceux-ci ne marchent pas au rythme cadenc que nous souhaitons leur impo-ser. Tel tait le message que Juncker sou-haitait faire passer et qui a t entendu. Deuximement, la raison europenne est dlirante du point de vue conomique : ce que les autorits europennes sont en train de faire advenir, cest tout simple-ment la ruine dun continent entier. Ou, plutt : la ruine de la population dun conti-nent entier lheure o la richesse glo-bale de lEurope, en tant quentit mar-chande, ne cesse de crotre. Les sommi-ts conomiques europennes en ten-tant de dmontiser le programme avan-c par Syriza, pourtant dune impeccable rationalit conomique le disent l aussi sans ambages. Ce qui les intresse, cest la perptuation dun statu quo financier permettant au capitalisme, dans son ca-ractre le plus dsincarn et le plus ma-niaque, de continuer produire une ri-chesse abstraite. Il nest pas important que la richesse en Europe profite aux citoyens ; en revanche, il est dune impor-tance croissante quelle puisse continuer circuler et toujours davantage.

    N

  • Troisimement, la raison europenne est dlirante du point de vue de la rai-son elle-mme. Derrire les diffrents appels au raisonnable, que le nou-veau gouvernement grec devrait adopter, se dissimule en vrai la soumission la folie la plus complte. Car la raison laquelle se rfrent les politiciens europens (pour justifier notamment des mesures daustrit extrmistes lencontre de leur population) repose sur un ensemble daxiomes pouvant tout aussi bien dfinir la folie. Ces axiomes sont, tout dabord, le refus du principe de ralit le fait que la raison des autorits europennes tourne dans le vide, sans contact aucun avec ce qui peut se produire dans le monde concret. Cest, ensuite, le refus du principe de consistance le fait que les arguments utiliss pour fonder leurs dcisions sont toujours des arguments qui ne tien-nent pas debout, et sont prcisment avancs pour cela (voir lexemple ca-ractriel de laustrit, prsente comme rationnelle du point de vue cono-mique alors que tout le monde sait que ce nest pas le cas). Cest, enfin, le refus du principe de contradiction le fait que lon puisse remonter aux fon-dements mmes des dcisions qui sont prises, et les discuter (possibilit suscitant aussitt des ractions hystriques de la part des dirigeants de lUE). Ce dlire gnralis, qui contamine les oligarques europens, doit tre inter-rog. Pourquoi se dploie-t-il de manire si impudique sous nos yeux ? Pour-quoi continue-t-il faire semblant de se trouver des raisons, lorsque ces rai-sons nont plus aucun sens ne sont que des mots vides, des slogans creux et des logiques inconsistantes ? La rponse est simple : il sagit bien de fas-cisme. Il sagit de se donner une couverture idologique de pure convention, un discours auquel on fait semblant dadhrer pour activer une autre opra-tion. Une opration dordre : il sagit de sassurer de la domestication toujours plus dure des populations europennes de ce quelles ne ragiront pas aux mesures de plus en plus violentes prises contre elles. Les gouvernements des diffrents pays de lUnion ont t lus pour appliquer les valeurs dmocratiques dont ils avaient bard leur serment lectoral. Mais leur programme cach est totalement antagonique : ce sont des gouverne-ments qui souhaitent la fin de la dmocratie, car la dmocratie ne les arrange pas. Tout le reste nest que prtexte. Or, ce que les nouveaux dirigeants grecs tentent de raliser, cest rintroduire un peu de ralisme donc un peu de dmocratie au milieu de linvraisem- blable dlire politique, conomique et rationnel dans lequel baigne la cons-truction europenne. Mais, ce faisant, ils rendent apparente lampleur de la crapulerie rgnant dans les autres pays du continent et, cela, on ne le leur pardonnera jamais

    Laurent DE SUTTER Professeur de thorie du Droit, la Vrije Universiteit te Brussel

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