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LE PIÉTON ET SON GPS

Une exploration urbaine de Nantes en parcours commentés

Hélène-Marie Juteau

Master 2 DYATER Département de géographie

Université Rennes II Juin 2014

Sous la direction de Hélène Bailleul

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LE PIÉTON ET SON GPS

UNE EXPLORATION URBAINE DE NANTES EN PARCOURS COMMENTÉS

Hélène-Marie Juteau

Master 2 DYATER Département de géographie

Université Rennes II Juin 2014

Sous la direction de Hélène Bailleul

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REMERCIEMENTS Nous remercions Hélène Bailleul, notre directrice de mémoire, pour son aide et ses précieux conseils. Merci également aux huit enquêtés de nous avoir consacré du temps et d’avoir participé à notre travail avec enthousiasme. Merci à Éric Le Breton pour son soutien. Merci à nos proches, amis et famille. Merci à mes parents.

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SOMMAIRE

Introduction 8 Chapitre I/ État de la littérature scientifique sur le rapport entre les technologies de l’information et de la communication et l’espace 11 Chapitre II/ Penser l’espace, l’individu et son GPS Le cadre conceptuel 19

1- Les quatre entrées conceptuelles 19

1-1 Le concept d’espace 19 1-2 Les usages et comportements des individus 20 1-3 Les représentations de l’espace 20 1-4 Les perceptions de l’espace 21

2- La méthode d’analyse d’enquête : l’analyse inductive 21

Chapitre III/ Parcours commentés accompagnés et en solitaire : une découverte de Nantes par des piétons La méthodologie d’enquête 23

1- Généralités et cadrage de l’enquête 23

1-1 L’enquête exploratoire 23 1-2 L’entretien semi-directif 24 1-3 Les méthodes des parcours commentés et de l’itinéraire 25 1-4 Le choix des cartes mentales comme outil d’analyse des représentations de l’espace 28 1-5 L’utilisation de la photographie dans les trajets urbains 30

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2- Présentation générale des enquêtés 31

2-1 Notre population 31 2-2 Présentation des enquêtés 32 2-3 Le protocole d’enquête 34 2-4 Les étapes de la journée d’enquête 35

Chapitre IV/ Les nouvelles représentations de l’espace des individus équipés du GPS. Les résultats d’enquête 43

1- Les rapports contradictoires des individus avec leur GPS 44

1-1 Les différents comportements et usages du GPS 44 1-2 Des discours ambivalents autour du GPS : de la sécurité à la surveillance 47 1-3 La prise de conscience de la perte de compétence 50

2- De la ville consommable à la découverte urbaine : les

différentes manières de pratiquer la ville 53

2-1 « La ville ça sert d’abord à consommer » 53 2-2 De la ville « fast food » à la ville dynamique 54 2-3 Naviguer en ville 55 2-4 Le GPS créateur de sérendipité 57

3- Les représentations communes de la ville 58

3-1 La ville, un espace d’émancipation et de libération 58 3-2 La ville, un centre animé 59 3-3 Le passage obligé 60

4- Maîtriser l’espace avec le GPS 63

4-1 Le trajet au centre de la mobilité 63 4-2 Être maître de ses déplacements : le GPS un outil d’engagement dans la mobilité 68

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5- Lire la ville avec le GPS : une autre manière de s’approprier l’espace 71

5-1 Donner du sens à l’espace et ses lieux 71 5-2 Savoir se repérer : les atouts du GPS 75 5-3 Les accompagnateurs du voyage 87 5-4 Les transports en commun, un moment à part du voyage 89

6- Les images du GPS

marquent les représentations de la ville 92

6-1 Le nouveau rapport à l’espace : passer du GPS à l’espace physique de la ville 92 6-2 Le GPS domine les perceptions et représentations de l’espace 97

7- Éléments de synthèse 102

Conclusion 109 Bibliographie 112

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INTRODUCTION

Dans la société hypermobile dans laquelle les individus sont dispersés, la mobilité est encadrée par divers outils qui rassurent. Ce sont des outils d’accompagnement des déplacements. Le GPS et le Smartphone en font partie. Ils pallient ce que l’on perd lorsque l’on bouge : le contact avec les autres, avec sa « base », la faible capacité d’action avec un corps embarqué ou en mouvement, la perte des points de repère, de sa situation, la perte de familiarité avec les lieux etc. Lorsque nous nous déplaçons, nous avons le choix de nous renseigner sur les lieux, les trajets, de consulter des guides de voyages, d’appeler un service de renseignement, une connaissance etc. Ce panel de possibilités rassurantes et organisatrices fait partie de la mobilité contemporaine. Le GPS et le Smartphone participent au changement de paradigme de la mobilité, qui consiste à penser qu’elle n’est plus un moment de perte mais un moment riche en possibilités. Dans ce cadre, les outils d’aide à la mise en action sont répartis en deux temps : ils ne sont pas forcément des outils numériques, mais nous concentrons nos propos sur ce type de média. Premièrement, ceux qui anticipent le mouvement et aident l’individu à construire sa mobilité. Ce sont les outils de préparation au voyage : les cartes communautaires, les sites de conseils ou forums, les sites de visionnage de l’espace en 360° (Gare 360°, Street View), les sites des transports qui mettent à disposition des plans des réseaux parfois interactifs (celui des TCL ou de la RATP), etc. Deuxièmement, ceux sont les outils qui accompagnent le déplacement, c’est-à-dire les outils nomades : le GPS, le Smartphone et ses applications. Quelle que soit leur forme (un jeu ou un plan), leur lien avec la mobilité ou leur utilité, elles sont toutes à considérer dans ce cadre. Nous nous penchons sur le second temps du cadre de la mobilité, plus exactement sur le GPS. Après avoir précédemment travailler sur les déplacements piétonniers en ville, la question du rôle du GPS dans les déplacements s’est posée. Nous mettons en lien cet outil nomade avec les représentations de la ville. L’espace est porteur de significations sociales et individuelles qui interviennent dans l’action des citadins. Chaque individu a donc sa propre représentation de l’espace qui l’entoure et c’est grâce à cela qu’il se l’approprie. Nos travaux s’inscrivent dans une démarche épistémologique entamée dans les années 1950 en géographie, notamment avec les travaux d’Eric Dardel sur la mise en récit de l’espace1. C’est ensuite la géographie américaine qui légitime la compétence de la discipline à s’emparer du concept, avec les travaux de Roger M. Downs et David Stea2 sur les pratiques individuelles de l’espace analysées par les cartes mentales. Ils inspirent notamment Antoine Bailly, un des spécialistes français des représentations de l’espace en géographie. Nos travaux s’inscrivent de plus dans une problématique centrale de la géographie sociale, celle de « l’appropriation de l’espace doit nécessairement se trouver sur le chemin de tout géographe qui interroge ce que l’on appelle généralement les rapports

1 Dardel E., Pinchemel P., Besse J-M., L’homme et la Terre Nature de la réalité géographique, éditons du CTHS, 1990, 199 p. 2 Downs R.M. and Stea D., Image and Environment, Aldine Publishing Co., Chicago, 1973, 439 p.

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espaces/sociétés, et que nous préférons appeler la dimension spatiales des sociétés »1. L’entrée par les représentations de l’espace et son appropriation nous permettent alors de penser l’espace de manière dynamique. Ces travaux s’inscrivent par ailleurs dans une réflexion déjà engagée sur la ville numérique, ou encore appelée ville 2.0, la ville hybride (Pierre Musso), soit la ville connectée à ses habitants et visiteurs. La ville numérique est en effet aujourd’hui au cœur des problématiques d’aménagement urbain et de la politique de la ville. L’accessibilité des services urbains est retravaillée avec le numérique, tout comme l’accès à la vie culturelle de la ville ou encore la citoyenneté et la place de la parole habitante. Le citoyen a accès à la vie publique comme cela ne l’a jamais été grâce aux données en libre services, aux médias et aux réseaux sociaux. Les chercheurs s’emparent de plus en plus du rapport entre les TIC et les usages de la ville. Ainsi, en 2011, Stéphanie Vuillemin s’interroge sur les modifications que l’utilisation des logiciels de navigation peut provoquer sur les systèmes de représentation de l’espace des individus2 . Nos travaux s’inscrivent dans cet axe de recherche. Notre objectif est d’apporter un éclairage sur la mobilité « augmentée » résolument inscrit dans une démarche de géographie sociale. Notre enquête apporte des éléments de réponse à la question suivante : en quoi la navigation urbaine assistée par le GPS influence-t-elle les systèmes de représentation de l’espace des piétons ? Nous comparons les représentations de l’espace d’usagers et de non-usagers du GPS lors de leurs déplacements dans un espace de découverte, à Nantes. Nous cherchons à comprendre les dimensions spatiales et sociales de l’évolution des représentations. Nous ne faisons qu’évoquer la préparation au voyage. Selon nous, peu d’études sont disponibles sur la question. Les recherches se concentrent sur les TIC et les transports, les territoires numériques, en particulier la ville numérique, ou encore le problème de fractures territoriales liées aux réseaux de télécommunication. Nous souhaitons tester les hypothèses suivantes :

• Avec le GPS, la préparation au voyage prend moins de temps, l’espace est vécu dans l’instant.

• Avec le GPS, l’espace est maîtrisé et anticipé et, par conséquent, plus rassurant. Les sentiments d’inconnu, de perte n’existent plus. L’espace est entièrement accessible.

• L’espace est considéré comme un passage obligé pour se rendre d’un lieu à un autre. Le GPS rend la mobilité fonctionnelle et vécue sous la forme de trajet d’un point A à B.

• Le GPS est un nouveau mode d’interaction et d’appropriation de l’espace urbain. C’est un outil qui brouille la lisibilité de l’espace, autant qu’il apporte de nouvelles clés de lecture de la ville.

• Il y a un déplacement des points du système de repérage des individus. Ils pensent l’espace non plus dans sa globalité, mais centré sur eux et leurs activités

• L’espace de référence devient l’espace virtuel, celui de la carte numérique.

1 Séchet R. et Veschambre V.(dir), Penser et faire la géographie sociale Contributions à une épistémologie de la géographie sociale, PUR, 2006, p. 295. 2 Vuillemin Stéphanie, « Quand l’ailleurs devient familier », in EspaceTemps.net, Dans l’air, 28.02.2011.

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• « L’engagement » dans l’espace est diminué. L’individu s’en imprègne moins. Cependant il développe une autre attention à lui.

• Les autres font moins l’objet de demande, ils sont une ressource aspatiale qui disparaît.

• Le temps prend une dimension centrale dans les déplacements. Il les conditionne.

Pour répondre à ces hypothèses, nous avons mis au point un protocole d’enquête particulier que nous détaillons dans le troisième chapitre du mémoire. Dans le premier chapitre nous présentons avant tout un état de la littérature scientifique analysant le rapport entre le GPS et l’espace. Nous exposons ensuite notre cadre conceptuel autour quatre entrées : l’espace, les usages et comportements des individus, les représentations et les perceptions de l’espace. Le quatrième chapitre est consacré à l’analyse de nos résultats d’enquête.

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Chapitre I

ÉTAT DE LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE SUR LE RAPPORT ENTRE LES TECHNOLOGIES DE

L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION ET L’ESPACE

Plusieurs approches abordent les TIC et l’espace. Nous en distinguons sept.

- L’approche par l’accessibilité et la fracture numérique Sur ce plan, de nombreux travaux portent sur l’accessibilité de l’espace lié au handicap ou aux difficultés d’insertion sociale. Nous pouvons évoquer les auteurs tels que Pascal Plantard, anthropologue des usages des TIC1, ou encore Craig Phillips, enseignant pour non-voyants et spécialiste de l’orientation et de la mobilité. Il s’est penché sur l’étude de l’apprentissage de l’usage du GPS par les non-voyants2.

- Les jeux vidéo et les mondes virtuels

Citons Hovig Ter Minassian3 qui décrit les différentes spatialités du jeu vidéo. Il différencie l’espace médiatisé du support numérique, l’espace du joueur et ceux autour du jeu vidéo (ceux de l’industrie du jeu vidéo, de l’environnement du joueur, etc.). Concernant l’analyse des échelles dans l’espace du jeu vidéo, Rudolph P. Darken et John L. Sibert s’intéressent au wayfinding et aux différentes manières de se repérer dans l’espace virtuel4. Les auteurs rendent compte de trois façons de trouver son chemin selon les joueurs : la « recherche naïve » (naive search), c’est-à-dire sans aucune connaissance a priori de l’espace, la « recherche indiquée » (primed search), pour laquelle le point d’arrivée est indiqué et enfin l’« exploration » (exploration), pendant laquelle il n’y a pas de point de chute. Nous pouvons la rapprocher de l’errance.

1 Plantard P. (dir), Pour en finir avec la fracture numérique, Fyp, coll. Usages, 2011, 168 p. 2 Phillips C. L., “Getting from here to there and knowing where: teaching global positioning systems to students with visual impairments”, in Journal of Visual Impairments & Blindness, oct-nov 2011, p. 675-680. 3 Ter Minassian H. et Rufat S. (dir), Espaces et temps des jeux vidéo, Éditions Questions Théoriques, coll. Lecture>Play, 2012, 291 p. 4 Darken R.P. et Sibert J. L., « Wayfinding strategies and behaviors in large virtual worlds », Conference on Human factors in computing systems (CHI), April 13-18, 1996 Vancouver, British Columbia, Canada, 16 p.

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- Les mondes communautaires et leur spatialité C’est notamment Howard Rheingold qui, en 2002, s’est spécialisé dans les communautés virtuelles, en y décrivant de nouveaux codes sociaux. Les idées particulièrement intéressantes pour notre travail sont celles de la « visibilité de l’autre », du problème de la saturation cognitive liée à l’accession et la stimulation de l’information diffusée en continu et enfin l’idée de « tribus itinérantes d’utilisateurs de téléphone » (rowing phone tribes)1.

- L’apprentissage de la ville et de la mobilité Nous faisons référence ici aux innovations telles que les urban games2 ou l’élaboration d’outils pédagogiques mis en place par la politique de la Ville, les missions locales ou les programmes de recherche privés3, pour inscrire la ville et la mobilité dans des logiques d’apprentissage et de mise en accessibilité.

- Le territoire numérique et ses imaginaires Olivier Jonas parvient à relier l’imaginaire du cyberespace avec l’aménagement du territoire, les modes de vie des individus et leur mobilité avec les TIC dans une étude pour le CERTU4. Pierre Musso est l’un des spécialistes des imaginaires des télécommunications. Les dernières recherches qu’il pilote au sein de la chaire « Modélisation des imaginaires, Innovation et Création » alimentent les réflexions sur les nouvelles représentations de la ville hybride.

- Les TIC et les perceptions de l’espace Les travaux sur la perception de l’espace et les TIC sont dispersés dans plusieurs disciplines : la géographie, la psychologie, les sciences de l’information et de la communication ou encore l’ergonomie. Cette dispersion de la recherche est significative d’un sujet qui rassemble différents types de questionnements mais qui actuellement ne connaît, selon nous, aucune analyse globale. Les recherches sont souvent trop ciblées et exploratoires voire pour les psychologues, expérimentales.

- La navigation et les TIC. La mobilité physique et la mobilité « virtuelle » Le sujet est traité en plusieurs axes. Les questions de la mobilité quotidienne et des TIC sont les plus récurrentes1. Elles posent le problème de la baisse ou de

1 Rheingold H., Smart mobs The next social revolution, Transforming cultures and communities in the age of instant access, Basic Books, 2002, p. XVII. 2 Voir les jeux urbains de Xilabs : www.xilabs.fr 3 Voir les travaux d’Eric Le Breton sur l’apprentissage de la ville et de la mobilité, avec le programme « Ville Lisible » de l’Institut pour la Ville en Mouvement. www.ville-en-mouvement.com 4 Jonas O., Territoires numériques. Interrelations entre les technologies de l'information et de communication et l'espace, les territoires, les temporalités, La documentation française, coll. Les dossiers du CERTU, 2001, 141 p.

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l’augmentation de la mobilité physique grâce aux TIC, ainsi que la manière dont les individus réorganisent leur vie quotidienne2. Très proche de cet axe, les travaux sur les TIC et le travail ont notamment été publiés par Valérie Fernandez et Laurie Marrauld3. Ils nous renseignent sur l’organisation des journées de salariés mobiles et l’évolution de leur spatialité grâce au téléphone portable. Un autre axe de recherche consiste à travailler sur l’effet de la géolocalisation. Il concerne tous les travaux sur la cartographie égocentrée, le GPS4. Enfin une des pistes des plus développées, surtout par les chercheurs anglo-saxons, se concentrent sur le wayfinding, c’est-à-dire le processus cognitif qui permet aux individus de trouver leur chemin, de construire un trajet et de se repérer. De nombreux travaux se penchent sur la question du GPS dans la voiture et se rapprochent de l’étude des représentations de l’espace. Peu de travaux s’intéressent aux piétons et aux TIC. Ce sont en tout cas des travaux expérimentaux. Souvent ces travaux concernent l’espace du quotidien. L’espace vécu de la découverte, le tourisme est peu étudié. Marie-Christine Lafond de l’Université de Laval, au Québec, étudie « Le design d’applications mobiles pour la navigation urbaine en contexte touristique ». Parmi nos lectures, quatre articles nous permettent de cadrer notre sujet :

1- En 2003, Andrew J. May, Tracy Ross, Steven H. Bayer et Mikko J. Tarkiainen, analysent l’information donnée par le GPS dans leur article « Pedestrian navigation aids : information requirements and design implications », publié dans Pers Ubiquit Comput, revue pluridisciplinaire, spécialisée dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

2- Le deuxième article est rédigé par des chercheurs japonais en psychologie, et

science de l’information, publié dans le Journal of Psychology, en 2008 : T. Ishikawa, H. Fujiwara, O. Imai, .i Okabe, “Wayfinding with a GPS-based mobile navigation system: a comparaison with maps and direct experience”.

3- G. Leshed, T. Velden, O. Rieger, B. Kot et P. Sengers, chercheurs en sciences de

l'information et de la communication, exposent les résultats d’une analyse de la perception de l'espace pendant la navigation en voiture accompagnée du GPS: “In-car GPS navigation engagement with and disengagement from the environment”, présenté au CHI en 2008.

4- Jae-Woo Chung et Chris Schmandt, sont deux chercheurs du MIT (Cambridge)

et présentent, dans l’article “Going my way: a user-aware route planner”, 1 Sur la mobilité et la vie quotidienne voir les réflexions de Alain Rallet, Anne Aguiléra et Caroline Guillot, « Diffusion des TIC et mobilité. Permanence et renouvellement des problématiques de recherche », in Flux, n°78, 2009, p. 7-16. 2 Voir l’article de Line T., Jain J., Lyons G., “The role of ICTs in everyday lives”, in Journal of Transport Geography vol. 19, 2011, p. 1490-1499. 3 Fernandez V. et Marrauld L., “Usages des téléphones portables et pratiques de la mobilité L’analyse de « journaux de bord » de salariés mobiles », in Revue française de gestion, 2012/7, n°226, p. 137-149. 4 Meng L., « Egocentric design of map-based mobile services », in The cartographic journal, The British Cartographic Society, vol. 42, n°1, juin 2005, p. 5-13.

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présenté lors de la Conference on Human factors in computing systems (CHI), en avril 2009, les résultats d’une experimentation d’un nouveau modèle de GPS

Pour chaque article nous présentons les éléments les plus pertinents en vue de nos recherches.

1- « Pedestrian navigation aids: information requirements and design implications »

Cet article est le résultat d’une enquête exploratoire. Les deux objectifs de cette étude sont, d’une part, l’acquisition d’une meilleure compréhension des informations dont les piétons ont besoin lors de la navigation, et d’autre part, l’identification des éléments qui doivent intervenir dans les applications mobiles d’aide au déplacement. May et al. interrogent les éléments fondamentaux de la navigation : les directions, les distances, le positionnement et les points de repère. Les auteurs soulignent avant tout quelques points intéressants sur les formes que prennent les indications du GPS. Ils remarquent notamment l’indication turn by turn, c’est-à-dire celle qui est donnée au fur et à mesure du trajet. Cette indication est efficace pour l’automobiliste, mais l’est-elle autant pour le piéton ? L’enquête se déroule à Loughborough, dans les Midlands de l’est du Royaume Uni. Elle s’organise autour de deux groupes de dix personnes. Les enquêtés du premier groupe font un parcours dans la ville et repèrent en marchant les éléments qui permettraient de guider un touriste dans le ville. Le second groupe les dessine sur un fond de plan de ville. L’analyse des résultats ne montre que peu de différences entre les deux groupes. Ce sont au final les points de repère qui structurent la navigation urbaine. Ce sont les feux tricolores, les indications piétonnes, les stations-services, les lieux publics, les parcs, les restaurants ou encore les pubs. Les individus du groupe « carte mentale », ont relevé plus de points de repère familiers en les indiquant, non par leur fonction, mais par leur nom. L’élément urbain qui suit les points de repère est la forme des rues. La distance et le nom des rues n’interviennent qu’à la fin du trajet, pour confirmer le point d’arrivée auprès d’un passant. Les auteurs retiennent donc les éléments suivant pour l’optimisation des applications de navigation :

- les points de repères personnalisés et nommés. - l’inutilité de la notion de distance pour le piéton. - l’indication doit être donnée à un moment particulier de la navigation : aux

points de décision, c’est-à-dire aux nœuds (croisement, changement de direction, milieu de chemin) tout en identifiant tout au long du chemin des points de repère.

- une information doit venir confirmer la décision prise lors de la navigation.

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2- “Wayfinding with a GPS-based mobile navigation system: a comparaison with maps and direct experience.”

Il s’agit d’une étude sur les comportements lors de la « navigation » quotidienne, c’est-à-dire la planification et l’organisation des déplacements impliquant une destination. Selon les auteurs, la navigation implique un processus cognitif en 3 étapes :

1- L’orientation dans l’espace (localisation et orientation). 2- La mise en place d’un plan de route. 3- La pratique du plan de route.

Avec ce processus, les individus acquièrent une connaissance de l’espace environnant via leurs représentations (connaissance subjective ou « internal representations »), et via les aides à la navigation (connaissance objective ou « external représentations ») Les auteurs donnent des éléments de repère sur le plan et le GPS. Les cartes et plans papier facilitent la compréhension de l’espace et aident lors du repérage spatial. Mais la connaissance qu’on en retire est liée à un type de trajet, une perspective. En outre le lien entre la carte, l’espace et le moi (notre position) est loin d’être évident d’où l’abondante littérature sur l’apprentissage des cartes. Les systèmes de navigation peuvent prendre différentes formes : les GPS à commandes verbales, les « static maps » comme celle de Google, proches des cartes interactives, le plan en 3D, les animations ou encore l’environnement virtuel. En général les études montrent qu’en termes de temps de trajet et de distance, les GPS à commandes verbales sont plus efficaces que les cartes routières, la 2D l’est plus que la 3D et les cartes plus que les plans aériens. L’étude exploratoire consiste en la comparaison de trois types d’aides lors de la navigation : le plan papier, le GPS sur Smartphone et l’aide oral donnée par un accompagnateur (direct experience). Ishikawa et al. enquêtent auprès de 66 étudiants, 11 hommes et 55 femmes, entre 18 et 28 ans. L’enquête est réalisée au Japon, à Chiba, dans la zone résidentielle de Kashiwa. Comme dans toute enquête exploratoire, la méthode est très précise. Elle s’organise en trois étapes : 1- Le questionnaire de départ, le Santa Barbara Sense-of-direction-scale. Il a pour objectif de connaître l’expérience de la personne avec le GPS, de connaître ses capacités à se repérer et son évaluation personnelle de son sens de l’orientation. 2- Les parcours avec GPS pour certains, avec le plan papier pour d’autres et enfin l’aide de l’accompagnateur. Le trajet est seulement indiqué pour le groupe des individus équipés du GPS. Le groupe équipé de plans n’a que le point de départ et d’arrivée. Les individus aidés par l’accompagnateur font le trajet deux fois : la première avec les indications de l’accompagnateur, la seconde fois sans. 3- A la fin du parcours les participants doivent estimer la direction du point de départ et dessiner un plan de route comme s’ils devaient à leur tour indiquer le chemin à quelqu’un.

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L’intérêt est de comprendre comment les utilisateurs trouvent leur chemin et acquièrent une connaissance spatiale. Les auteurs notent deux différences fondamentales entre l’usage du GPS et celui du plan : - avec le GPS, il s’agit de suivre la route indiquée en vérifiant que le curseur qui indique la position de l’utilisateur est toujours sur le chemin tracé (on est projeté sur le plan interactif). Avec la carte, l’enquêté vérifie lui-même sa position, il doit se positionner lui-même, ce qui implique un effort de réflexion pour faire le lien entre l’espace réel-sa représentation sur le plan-sa position. - le GPS ne montre pas toute la route. L’écran se met à jour au fur et à mesure, contrairement à la carte qui fait apparaitre le point de départ et d’arrivée. Les résultats rendent compte de la direction choisie, de la distance parcourue, du temps de trajet, du nombre d’arrêts et d’erreurs de direction. Les utilisateurs du GPS marchent plus longtemps. Ils n’ont pas pris les routes les plus courtes. Ils se sont aussi plus souvent arrêtés que les autres pour se réorienter. Ils sont plus lents que les enquêtés de la direct experience. Au sujet de l’acquisition de connaissance de l’espace, les résultats sont les mêmes : les usagers du GPS font plus d’erreurs. Ils sont moins précis dans leur dessin et ne parviennent pas à organiser l’espace parcouru. Les auteurs proposent de justifier ce résultat en prenant en compte le petit écran du Smartphone qui ne laisse pas entièrement visible le chemin. De plus, la nouveauté du système GPS peut expliquer les faibles taux de réussite. L’outil n’est pas encore approprié. Les utilisateurs du GPS sont plus occupés à regarder l’écran que l’espace environnant et perdent alors des informations que l’espace réel leur donne. Les « meilleurs » résultats se trouvent chez les enquêtés de la direct experience. Ils font l’effort de retenir, comprendre et apprendre l’espace qui les entoure, puisqu’ils n’ont pas d’aide par la suite. Nous considérons que l’intérêt de ces résultats est limité. Ils sont fortement déterminés par le manque d’appropriation de l’appareil.

3- « In-car GPS navigation engagement with and disengagement from the environment »

L’objectif de cette étude est la mise en garde sur la perte d’attention et le désengagement des automobilistes vis-à-vis de l’espace. Le désengagement est la perte du contact corporel avec le paysage. Il a pour conséquence une perte de compétence lors de la navigation et un éloignement avec l’environnement et les autres personnes. Face à cette hypothèse, les auteurs considèrent l’utilisation du GPS (en voiture) comme un gain de liberté qui implique de nouvelles pratiques de l’espace, dans lesquelles le plan apparaît comme un élément de renseignement spatial fondamental dans l’appropriation de l’espace. Leshed et al. rejettent néanmoins le déterminisme technologique et sont attentif à ne pas reprendre les discours a priori sur les conséquences de l’usage du GPS. L’enquête est exploratoire. Elle se passe à New-York. Leur méthode repose sur l’observation de 10 automobilistes mis en situation. Elle concerne les pratiques quotidiennes de la ville. Plusieurs trajets sont organisés. Le but est de faire passer

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certains automobilistes par des autoroutes et des routes de campagne. D’autres doivent se rendre chez un ami ou bien à un rendez-vous en ville. Le temps de l’enquête dure entre 1 et 3 heures pour chaque enquêté. Il y a plusieurs passagers dans la voiture.

- Sur la navigation : L’enquête démontre que les individus perdent le réflexe de vérifier où se trouve le point d’arrivée. Ils entrent les informations dans le GPS sans savoir si le lieu se trouve au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest de la ville. Le temps calculé est un élément fondamental pour les conducteurs. Les usagers ont tendance à suivre le GPS sans prêter attention aux paysages traversés. Ils suivent aveuglément les instructions de l’appareil. Ce point est cependant nuancé par certaines attitudes d’enquêtés. Certains préfèrent vérifier les informations données.

- Sur l’orientation : Lorsque le GPS mène les conducteurs dans un espace inconnu, ils s’inquiètent d’être perdu. En ne reconnaissant pas l’environnement, ils perdent la confiance accordée au GPS. Ils sont désorientés. Ils choisissent alors de revoir le trajet en sélectionnant sur le parcours des points familiers. Cette désorientation provoque chez les individus un sentiment de perte de compétence. Le GPS fait en quelque sorte comprendre à l’individu qu’il ne peut plus se débrouiller seul puisqu’il ne reconnaît pas l’environnement. Certains refusent alors ce sentiment et préfère vérifier plus longuement sur le plan du GPS en zoomant et « dézoomant » sur la zone. Le GPS est largement utilisé pour la navigation quotidienne et dans des espaces connus. De fait, les utilisateurs sont souvent en désaccord avec l’appareil, n’approuvant pas les routes qu’il propose. Dans ce cas, ils utilisent seulement le plan du GPS, sans les instructions. Certains admettent que l’outil leur permet de découvrir certains lieux, même dans l’espace quotidien. En reliant les deux espaces, celui du GPS et l’espace physique, les individus prennent entièrement part à leur mobilité. Ils sont actifs.

- Sur l’expérience de la conduite : Le GPS altèrent les échanges avec les passagers. L’automobiliste, concentré sur la route et les indications du GPS, en oublie les autres. En outre, les interactions se font davantage avec l’appareil. Il devient un agent actif et personnalisé. Les individus le désignent avec des pronoms comme « il » ou « elle », selon la voix choisie. L’espace de référence devient celui du GPS. Il donne du sens à l’espace physique.

4- « Going my way: a user-aware route planner » Cet article est un compte rendu d’expérience. Schmandt et Chung testent avec des enquêtés un nouveau type de GPS. Ils partent du postulat que les individus se repèrent dans l’espace avec des lieux spécifiques : les lieux fréquentés habituellement, des établissements symboliques de la ville, les lieux de consommation. Leur compréhension de la ville ainsi que leur capacité à avoir une image mentale de celle-ci, à l’utiliser et la raconter, dépendent de ces points. Or le GPS propose principalement un mode de

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repérage structuré par la morphologie urbaine : les routes, les masses de bâti, les ronds-points ou encore le nom des rues. Aujourd’hui les GPS et notamment Google map propose de plus en plus de points de repère commerciaux. Néanmoins ces points restent impersonnels. L’application mise au point tente de personnaliser les indications du GPS : « Going my way attempts to give directions the way one’s friend might ». L’objectif du travail est avant tout de définir des points de repère significatifs pour les individus et de les intégrer par la suite aux trajets que propose le GPS. Leurs hypothèses de départ sont les suivantes : -Les individus se souviennent mieux des lieux lorsqu’ils sont situés dans une intersection -Les lieux de la ville sont particulièrement mémorables lorsqu’ils font partie d’une chaîne comme Starbucks -Le repérage se fait plus facilement quand un texte accompagne l’indication. Douze enquêtés participent à l’élaboration de points de repère dans la ville de Cambridge. Ils accompagnent chaque lieu choisis d’indications précises, sous forme de textes, ainsi que d’une description de l’emplacement du lieu et de son adresse précise. Suite à cette première étape, cinq individus de l’enquête précédente testent la nouvelle application. Ils peuvent utiliser divers modes de transport pour se rendre dans cinq lieux (restaurants, café, librairie etc.) répartis dans la ville de Cambridge. En moyenne, les enquêtés reconnaissent moins de huit points de repère. En somme, les directions sont plus simples à comprendre. Les individus considèrent de plus qu’ils étaient en mesure de deviner le point d’arrivée en fonction des points de repère donnés pendant le trajet. Ils admettent aussi avoir mémorisé le trajet jusqu’à destination. Cette étude nous montre que la parole des autres, puisqu’il s’agit ici de suivre un trajet décrit de la même manière que le ferait un accompagnateur, reste centrale dans le repérage. Les quatre articles détaillés ne traitent pas la question du rapport GPS-espace de manière exhaustive. Ils permettent cependant de relever les principaux questionnements et résultats d’enquêtes sur le sujet. Ils justifient de plus notre travail, en l’inscrivant dans une trame de recherche nouvelle. Notre cadre conceptuel se base sur cet état de l’art.

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Chapitre II

PENSER L’ESPACE, L’INDIVIDU ET SON GPS

LE CADRE CONCEPTUEL

1- Les quatre entrées conceptuelles Notre travail articule quatre entrées :

1- Le concept d’espace 2- Les usages et comportements des individus 3- Les représentations de l’espace 4- Les perceptions de l’espace

1-1 Le concept d’espace Nous distinguons avant tout l’espace comme réalité physique et subjective des individus et celui de l’interface du GPS, qui est une représentation abstraite de l’espace, un espace conçu par des experts et par la suite approprié par les usagers. L’usager est actuellement au cœur de la conception. Le statut de concepteur n’a plus les mêmes frontières qu’auparavant1. Il s’agit dans ce travail de comprendre comment ces deux formes d’espaces cohabitent et de quelles manières les individus passent de l’un à l’autre. Nous faisons de fait référence aux concepts et notions qui définissent l’espace :

- Le lieu comme point repérable, situé et identifiable, que l’on peut s’approprier et séparé d’un autre lieu par une distance et un temps.

- Les lieux et leur appropriation par les individus forment un territoire, notion que nous intégrons aussi à nos réflexions sur l’espace et le GPS.

- Le système de repérage propre des individus permet de relier ces lieux physiques entre eux selon une logique individuelle.

- La notion d’échelle est pour nous particulièrement pertinente. Nous explorons la manière dont les individus voient et se représentent l’espace à partir d’un plan interactif avec lequel il est possible de changer d’échelle en continu.

- Nous faisons brièvement référence à la notion de paysage, comme réalité perceptible, porteuse de significations fortes liées à une culture, une société et plus ou moins appropriable.

1 Sur le rapport concepteurs-usagers voir les travaux de Patrice Flichy et notamment son article « Technique, usage et représentations », in Réseaux, La Découverte, n°148-149, 2008/2, p. 147-174.

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Enfin nous considérons l’espace du point de vue des TIC et plus exactement du GPS. Nous utilisons les concepts

- de sérendipité : découverte d’un lieu, d ‘un élément urbain, faite par hasard ou en cherchant autre chose.

- de désengagement spatial : concept développé par Leshed et al.1. Le désengagement spatial consiste en l’altération de l’emprise et de l’attention à l’espace. Les capacités des individus à construire des cartes mentales de l’espace et à mémoriser les paysages traversés sont réduites,

1-2 Les usages et comportements des individus Par cette entrée, nous explorons le rapport des individus avec les TIC en général. Leurs comportements et leurs discours sont à prendre en compte. Nous nous sommes référé à la sociologie des usages, notamment aux travaux d’Alain Gras ou encore de Patrice Flichy (cf. bibliographie). Nous considérons aussi les habitudes de mobilité et d’usage de la ville. Pour comprendre les représentations des individus, il nous fallait pouvoir recueillir des informations sur leurs habitudes de vie. Les pratiques des individus ne peuvent être écartées de la recherche sur les représentations de l’espace.

1-3 Les représentations de l’espace Les représentations spatiales s’élaborent grâce aux éléments inhérents à l’espace et à ceux sélectionnés par l’individu lors des interactions avec l’espace pratiqué. Face à ce référentiel spatial, se trouve le référentiel a-spatial, qui englobe tous les éléments inhérents à l’individu (formation, degré de maîtrise de la mobilité, connaissance de langue, des codes, etc.). Traiter des représentations spatiales renvoie à prendre en compte la manière dont l’individu, à partir de l’espace concret, de sa mémoire de l’espace et des significations qu’il lui accorde, élabore une image de l’espace où des éléments sont reliés les uns aux autres. Les représentations spatiales sont des guides pour l’action et renvoie à des réalités abstraites et construites à partir de caractéristiques individuelles, collectives et de l’environnement/milieu. Partir du postulat que les TIC et plus exactement le GPS peuvent changer nos représentations spatiales, c’est considérer qu’entre la réalité spatiale et nos représentations de cette réalité, nous utilisons un outil, un substitut figuratif symbolique, qui nous apporte des informations simplifiées sur la réalité qui nous entoure et propose un référentiel spatial significativement différent du nôtre (d’où le dilemme concepteurs/utilisateurs). Il y a trois éléments fondamentaux à prendre en compte lorsque l’on fait le lien entre la représentation de l’espace et le GPS : l’information en temps réel, l’ « égocentrage » et le modèle cognitif de l’espace imposé à l’utilisateur. Nous considérons que les représentations de l’espace sont construites par les représentations collectives de l’espace, les ambiances de la ville, les cartes mentales et donc les images, les formes de la ville que l’on garde en mémoire, les significations individuelles accordées à la ville et ses lieux ; le parcours de vie de la personne et ses

1 Op cit., Leshed Gilly et al., 2008.

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pratiques de la ville, l’aspect affectif de l’espace et enfin l’espace ressenti par l’individu, l’espace vu par le corps, qui relève davantage de la perception.

1-4 Les perceptions de l’espace Les perceptions de l’espace renvoie à l’espace senti et ressenti de la ville, c’est-à-dire à la manière dont les individus voient, sentent, ressentent l’espace avec le corps et ses cinq sens. Cette entrée nous oriente vers les travaux de Jean-François Augoyard sur les déplacements piétonniers dans le quartier d’Arlequin à Grenoble1 et plus récemment vers les travaux du CRESSON et notamment de Rachel Thomas, sur les ambiances urbaines. Avec cette entrée nous abordons donc trois concepts importants :

- les ambiances - la lisibilité urbaine, c’est-à-dire le décodage de la ville, de ses sens et les

compétences de lecture d’un environnement - l’habiter, que nous ne faisons qu’effleurer en parlant de projection de l’habiter,

de l’imagination habitante comme appropriation de l’espace.

2- La méthode d’analyse d’enquête : l’analyse inductive Les catégories d’analyse de l’enquête sont inductives. La démarche vise à donner du sens aux nombreuses données recueillis qui prennent de nombreuses formes : données audio, photographies, cartes mentales, tracés des parcours et itinéraires. Le but de cette démarche est de remettre en question les hypothèses de départ au regard du terrain. L’analyse inductive est présentée par Mireille Blais et Stéphane Martineau2. Dans ce type de démarche, les objectifs de recherche guident l’analyse, et les catégories qui classent les résultats sont le produit de l’interprétation des données recueillis. Nous travaillons sur les représentations de l’espace. L’objectif est, autant que faire se peut, de comprendre la manière dont les individus voient le monde et quels sens ils lui donnent. Blais et Martineau nomment cette approche celle du « sujet héroïque », soit la « démarche phénoménologique qui vise à comprendre le sens que le sujet projette sur le monde »3. Ainsi, notre travail s’inscrit entre la démarche inductive et phénoménologique. Inductive parce que nos catégories découlent de notre terrain, elles ne sont pas préétablies, et phénoménologique parce que notre souci est d’explorer la manière dont les individus ressentent l’expérience de la découverte de l’espace avec et sans GPS. Maurice Merleau-Ponty considère la perception de l’espace comme, d’une part, « la connaissance qu’un sujet désintéressé pourrait prendre des relations spatiales entre les

1 Augoyard J –F., Pas à Pas Essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain, A la Croisée, Bernin, 1ère édition 1979, rééd. 2010, 224 p. 2 Blais M. et Martineau S., « L’analyse inductive générale : description d’une démarche visant à donner un sens à des données brutes » in Recherches qualitatives, vol. 26 (2), 2006, p. 1-18. 3 Ibid., p.3.

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objets et leurs caractères géométriques »1, d’autre part, comme notre implication, subjective qui consiste à nous projeter le monde. La perception présente un aspect objectif, en ce sens qu’elle découle du réel, et que le réel est indéniable. L’expérience de l’espace nous engage aussi profondément et nous créons alors une spatialité complexe, qui nous est propre, mêlant plusieurs mondes. Nous projetons notre vécu sur l’espace « objectif ». Ainsi si « l’espace est existentiel, nous aurions pu dire aussi bien que l’existence est spatiale, c’est-à-dire que, par une nécessité intérieure, elle s’ouvre sur un « dehors » au point que l’on peut parler d’un espace mental et d’un monde de significations et des objets de pensée qui se constituent en elles. »2 C’est pourquoi nous pouvons dire que le piéton projette ses mondes sur l’espace. Nous nous intéressons aux ambiances. Celles-ci sont le résultat des formes, de contextes et d’enjeux accordés aux espaces urbains. Elles émanent d’un lieu, mais c’est aussi nous en tant que piétons qui y participons. Elles convoquent ainsi les sensations et la perception et sont reliées aux notions de gêne, de confort et d’esthétisme. Notre corps s’en imprègne lorsqu’il est en marche. Aujourd’hui, les ambiances urbaines sont l’objet de nombreuses recherches. Elles sont au cœur des réflexions sur la ville. En France, le Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’Environnement Urbain (CRESSON, Grenoble) concentre les études sur les ambiances urbaines. Avec à sa tête la sociologue Rachel Thomas, le laboratoire se penche la notion d’ambiance en la déclinant sur plusieurs plans et parfois de manière expérimentale. L’intérêt est d’alimenter les innovations méthodologiques. L’environnement, les pratiques des individus, la mobilité, les imaginaires font partie des nombreuses entrées des travaux de recherche du CRESSON. Rachel Thomas aborde alors le « faire corps avec la ville »3. La sociologue entend par là le fait de pouvoir s’emparer d’elle, de s’en saisir en étant de passage. L’entrée par les ambiances nous a incité à choisir le parcours commentés comme un de nos dispositifs d’enquête. La position du chercheur in situ est en effet une méthode, proche de l’ethnographie, qui lui permet de s’imprégner des lieux pour vivre l’expérience sensible de l’espace.

1 Merleau-Ponty M., Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1ère édition 1945, rééd. 2011, p. 332. 2 Ibid., p. 346. 3 Thomas Rachel (dir), Marcher en ville Faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Éditions des archives contemporaines, Paris, 2010, 194 p.

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Chapitre III

PARCOURS COMMENTÉS ACCOMPAGNÉS ET EN SOLITAIRE :

UNE DÉCOUVERTE DE NANTES PAR DES PIÉTONS

LA MÉTHODOLOGIE D’ENQUÊTE

1- Généralités et cadrage de l’enquête

1-1 L’enquête exploratoire

Peu d’études sont disponibles sur le GPS et les représentations de l’espace. Ainsi notre enquête est exploratoire. L’enquête ne concerne les TIC pendant le voyage, c’est-à-dire en tant qu’auxiliaire du voyage. C’est pourquoi notre méthodologie d’enquête met en scène des trajets. Nous interrogeons les enquêtés dans des situations de mouvement. Nous analysons, avant tout, l’usage du Smartphone lors des déplacements, pour ensuite évaluer les différences de représentations mentales de l’espace entre les individus qui utilisent les outils d’aide au déplacement et ceux qui ne les utilisent pas. Nous testons des hypothèses dans un contexte donné. L’idée est de constater les effets qu’une variable indépendante – parcourir les rues de Nantes avec ou sans GPS -produit sur les individus. Ils sont placés dans des situations imposées. Dès lors, pour les besoins de l’enquête, nous provoquons parfois des comportements. L’exploration renvoie au caractère pilote de l’enquête. En effet, en France, notre question n’a pas encore été explorée. À notre connaissance, aucune enquête n’a été mise en place pour comprendre les effets des TIC sur les représentations mentales de l’espace du piéton. De nombreux travaux examinent le sujet aux USA et en Grande-Bretagne, notamment au MIT. Nous l’avons vu dans l’état de l’art (cf. p. 7). La plupart d’entre eux sont exploratoires et utilisent des méthodes d’enquêtes qui consistent en l’analyse du design de l’appareil mobile ou en des itinéraires et cartes mentales ou encore des journaux de bord. Notre dispositif d’enquête consiste en des parcours commentés accompagnés pour certains, et en solitaire pour d’autres, suivis les uns et les autres par un « atelier carte mentale ». Notre terrain se déroule à Nantes, pour plusieurs raisons. Premièrement, nous voulions travailler dans une grande ville. Deuxièmement, celle-ci devait être peu connue, voire inconnue des enquêtés, pour questionner non pas l’espace du quotidien mais l’espace vécu de la découverte. Ce choix particulier nous a permis de nous éloigner

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des travaux sur les TIC et la mobilité quotidienne. De plus, nous avons pensé que travailler sur un espace inconnu allait peut-être faciliter l’analyse des résultats et mettre davantage en avant les différences entre les « enquêtés TIC », c’est-à-dire ceux qui mobilisent le Smartphone lors des déplacements et le second groupe d’enquêtés, les non-usagers du GPS. Les représentations de l’espace quotidien sont, selon nous, plus complexes à étudier. Elles sont plus fournies en symboles, en souvenirs, en références autobiographiques etc. Nous voulions en quelque sorte éclaircir le terrain pour nous concentrer sur le lien entre espace et TIC.

1-2 L’entretien semi-directif

1-2-1 Quelques éléments de base de l’entretien Le choix de l’entretien semi-directif permet de cadrer l’exploration tout en laissant des marges de manœuvre et des possibilités d’expression aux enquêtés. Il instaure un équilibre entre le chercheur et l’enquêté, pour que ce dernier ne se sente pas dans un interrogatoire. Les questions ne doivent pas orienter les réponses des enquêtés. L’entretien ne doit pas non plus débuter par des questions sur le profil de la personne, c’est-à-dire sur son âge, sa profession, son cadre familial… Dans notre cas, ces informations étaient, le plus souvent, introduites dans l’entretien par l’enquêté lui-même. Pendant l’entretien, le chercheur doit maintenir un rôle particulier. Il doit être discret et réceptif. Il entre en empathie avec l’autre. L’idée est d’acquiescer à ce que l’enquêté dit, pour le laisser penser qu’il est en confiance et favoriser ainsi la discussion. Cette technique permet de comprendre le système de pensée de l’individu1. La difficulté est de rester dans la bonne position durant tout l’entretien : rester concentré sur le guide d’entretien, tout en suivant le discours de l’enquêté, ainsi que son attitude. Le chercheur doit prêter attention au choix de l’environnement. Le lieu est porteur de signification et participe de la construction du cadre de l’entretien2. Il doit écouter l’interviewé attentivement afin de traiter l’information contenue dans le discours en temps réel, de donner du sens aux paroles de l’enquêté selon le guide d’entretien et les hypothèses émises. C’est ce que Blanchet et Gotman appellent « l’écoute active ». Il doit aussi gérer ses interventions, les relances, pour favoriser le discours et éviter les digressions. Nous faisons référence ici à l’interaction pendant l’entretien et l’attention constante que le chercheur maintient durant le temps de l’échange. André Guittet, dans L’entretien3, décrit précisément cet interagir : cela touche au territoire, à la posture, au regard etc.

1-2-2 Nos entretiens Notre enquête vise « la connaissance d’un système pratique (les pratiques elles-mêmes et ce qui les relie : idéologies, symboles, etc.), [et nécessite] la production de

1 Kaufmann J-C., L’entretien compréhensif, coll. 128 Sociologie, Nathan, 1ère édition 1996, rééd. 2003, p. 51. 2 Blanchet A. et Gotman A., L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Nathan, 1992, p. 70. 3 Guittet A., L’entretien, Armand Colin, 1983, 2ème édition 1997, 158 p.

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discours modaux et référentiels, obtenus à partir d’entretiens centrés d’une part sur les conceptions des acteurs et d’autre part sur les descriptions des pratiques »1. Nous suivons cette méthode d’entretien décrite par Gotman et Blanchet en 1992. Notre travail consiste à obtenir des éléments de représentations de l’espace, de la mobilité des individus et des éléments de représentations de l’espace avec le GPS. En outre, nous interrogeons les individus sur leurs pratiques de la ville, leurs habitudes de mobilité, etc. pour construire notre analyse d’enquête de manière précise. Nos entretiens précèdent et complètent d’autres moyens d’enquêtes (les parcours et cartes mentales). Ils ont donc un rôle particulier. Ils nous servent à cadrer notre sujet d’une part, d’autre part à recueillir un discours global sur des thèmes qui s’entrecroisent dans notre problématique. Ils nous ont aussi permis d’introduire l’enquête et les autres dispositifs et de rassurer les enquêtés sur la démarche qui souvent leur paraissait stressante. Nous leur expliquions les étapes de la journée avec le plus de précisions possible en appuyant sur le fait qu’il ne s’agissait en rien d’un test, mais d’une enquête ouverte, où toutes les réponses étaient envisageables. De plus les itinéraires demandent à l’enquêté de prévoir avant tout un entretien (non-directif). Dans notre cas, nous avons fait le choix d’entretiens semi-directifs.

1-3 Les méthodes des parcours commentés et de l’itinéraire

Nous pouvons différencier deux sortes de « parcours »2 pendant lesquels l’enquête consiste en un trajet avec un individu : celle de Jean-Yves Petiteau, l’ « itinéraire » et celle définie par Jean-Paul Thibaud, le « parcours commenté ». L’une part d’une entrée « espace vécu », l’autre d’une entrée « ville sensible » et « ambiances urbaines », s’inscrivant ainsi dans les recherches du CRESSON. Dans les deux cas, la notion d’espace est réhabilitée et prend un sens et une importance particulière dans l’enquête. Il est un élément de départ. C’est pourquoi nous avons choisi de nous inspirer de ces méthodes.

1-3-1 L’itinéraire L’itinéraire est une démarche qui se déroule dans l’espace de l’habitant. L’enquête a pour but de recueillir la « parole habitante », comme un témoignage et un récit aussi « valables » que celui du spécialiste3. Le terrain d’origine est le territoire, ses mutations et la mobilité de ses habitants. Cette méthode apparaît dans un contexte de demande publique à partir des années 1970, alors que les aménageurs prennent conscience de l’importance de la parole, du vécu quotidien et des usages des habitants. Les commandes sont nombreuses et diversifiées. Elles concernent des recherches sur les représentations du centre-ville de Cholet4, les mutations périurbaines et les pratiques

1 Op .cit., Blanchet A. et Gotman A., 1992, p. 33. 2 Grosjean M. et Thibaud J-P., L’espace Urbain en Méthode, Editions Parenthèses, 2001, p. 63-99. 3 Petiteau J-Y. et Pasquier É., « La méthode des itinéraires : récits et parcours », Grosjean M. et Thibaud J-P., in L’espace Urbain en Méthode, Editions Parenthèses, 2001, p. 64. 4 Petiteau J-Y. en collaboration avec Le Roy F., Domaine humain-perception, dans le cadre de l’atelier d’urbanisme de Cholet, contrat « Ville moyenne de Cholet », 1975.

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des habitants de Nantes1, le thème du déménagement et la construction identitaire autour de la mobilité2, ou encore sur les territorialités des métiers et l’exemple de la coupure de l’espace de travail des dockers3. L’itinéraire est l’histoire de vie d’un habitant. Pour l’enquêteur, il s’agit de suivre la rhétorique de chaque enquêté. La méthode s’inscrit dès dans la lignée des travaux de Jean-François Augoyard4. L’habitant décide de la longueur de l’itinéraire. Il endosse le rôle de guide. Le trajet est précédé d’un entretien non-directif, pendant lequel le chercheur et l’enquêté font connaissance et instaurent un climat de confiance qui permet le bon déroulement du récit de vie spatialisé. Le roman-photo chronologique est un moyen de restitution des données, qui peut être accompagné d’une cartographie.

1-3-2 Le parcours commenté La méthode du parcours commenté diffère de la précédente sur plusieurs points. Un des exemples sur lequel nous nous sommes penché, est « La traversée polyglotte » du Forum des Halles, à Paris. C’est une étude du CRESSON sur les ambiances sonores et lumineuses du Forum5, réalisée en 1997 par J-P Thibaud et G. Chelkoff. Le but n’est pas ici de faire parler l’habitant sur son espace quotidien. D’ailleurs, le parcours commenté peut être envisagé par toutes sortes d’usagers de l’espace, dont les touristes. Le point de départ n’est pas l’espace connu, mais l’espace public. C’est une méthode d’enquête qui vise avant tout à observer et décrire l’espace public, à analyser sa dimension intersubjective, la place des autres pour l’enquêté. Elle s’inscrit dans les courants de réflexions et de recherches phénoménologiques et d’écologie de la perception. Là encore, l’expérience se fait forcément dans le mouvement. On accorde une grande importance à l’attention de l’enquêté, tout comme à ses gestes, ses postures, ses regards. Cette méthode permet au chercheur de se pencher sur la manière dont les individus, les passants, perçoivent l’espace public, cadre contextualisant l’expérience. « Marcher, percevoir et décrire » résument l’intention de la démarche. Ce qui compte avant tout, est de mettre en évidence les ambiances ressenties de la ville. Le discours de l’enquêté fait l’objet d’une analyse minutieuse. Il fait appel à sa conscience discursive. Toute la difficulté de ce travail revient à faire parler la personne, à ce qu’elle mette des mots sur ses sensations. Concrètement, le parcours commenté est précédé par un moment d’observation des lieux. Le contexte doit être étudié en amont. Les parcours sont ensuite réalisés en faisant varier les trajets.

1 Petiteau J-Y, Bienvenue G., en collaboration avec Cahier S., Le Roy F, Stoïca M., Habiter Nantes, quartiers populaires et habitat ouvrier du XIXème siècle à aujourd’hui, Paris, Plan urbain/Ministère de l’environnement, 1980. 2 Petiteau J-Y, (avec la participation scientifique de Alain Médam et de Michel Péraldi) Déménager, emménager dans l’ancien et le nouveau monde, Plan urbain/Ministère de l’environnement, 1995. 3 Petiteau J-Y, « Itinéraires : l’estuaire de la Loire », in Interlope la curieuse (Nantes), n°1, 1990 ; Petiteau J-Y, Rolland I., « Itinéraire de Jean Bricard », in Interlope la curieuse (Nantes), n°9/10, 1994. 4 Op cit. Augoyard J-F, 2010. 5 Chelkoff G. et Thibaud J-P, Ambiances sous la ville, Grenoble, Cresson/Plan urbain, 1997, multig.

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L’analyse se concentre sur la manière dont l’enquêté fait exister autrui, les « associations temporelles » (ce qu’un élément rappelle en mémoire), les « transitions perceptives » (s’il fait plus chaud, s’il y a plus de monde), le « champ verbal de l’apparence » (l’incertitude langagière) et enfin les « formulations réflexives » (celles concernant l’ « orientation perceptive » et « motrice »1).

1-3-3 Nos parcours commentés Nous nous sommes globalement inspiré de la méthode des parcours commentés. Une de nos entrées d’étude est la « ville sensible ». Elle est, selon nous, indispensable pour comprendre une partie des représentations. Nous devions travailler sur l’écologie de l’attention des individus, passage obligé lorsque l’on ajoute un objet numérique à l’intérieur d’un trajet. La perception de l’espace traversé a pu être étudiée grâce au parcours. Une des consignes données aux enquêtés était de faire une description précise de leurs sensations et perceptions de l’espace découvert. De plus, nous avons travaillé sur l’espace public, nous avons cherché à intégrer dans notre analyse la manière dont les autres sont perçus et intégrés dans le trajet par nos enquêtés. Nous n’avons pas eu à proprement parler d’observation préalable, si ce n’est lors du choix du tracé proposé aux enquêtés. Nous avons fait le choix d’imposer des points de repères obligés aux enquêtés pour avoir des éléments clairs de comparaison entre les deux groupes. Cependant notre méthode diffère des parcours commentés et se rapproche des itinéraires sur plusieurs points : premièrement, le nombre d’enquêtés. Notre échantillon est composé de huit individus. La méthode du parcours commenté, telle qu’elle est définit par Jean-Paul Thibaud, est efficace avec vingt enquêtés. Les études par itinéraires peuvent se baser sur des échantillons plus faibles2. Deuxièmement, la durée des parcours commentés dépasse les vingt minutes conseillées. Le premier parcours dure 1h30, en moyenne, le second en solitaire dure une heure. Troisièmement, nous avons ajouté au préalable des parcours, un long entretien semi-directif, d’une heure ou plus. Ce n’est pas un entretien non-directif, puisque l’intérêt n’était pas celui du récit de vie. Ces trois éléments confirment que notre but de recherche ne repose pas essentiellement sur les ambiances urbaines, mais sur les représentations de l’espace. Les seconds parcours commentés se faisaient en solitaire. Nous placions l’enquêté en situation d’autonomie, cela pour montrer comment l’individu réagi sans être gêné par la présence de l’enquêteur. De plus dans ce cas, la personne se retrouve active dans son déplacement, position qui influence la perception de l’espace3 et sa mémorisation, tout comme l’anxiété spatiale, davantage ressentie lorsque la personne est seule.

1 Op cit., Thibaud J-P, 2001, p. 87. 2 Les itinéraires sur les dockers cités plus haut en compte cinq. 3 Amar G. et al., (coord), Cognition & Mobilité, actes du séminaire 2006-2008 de la prospective RATP, n°158, 2010, 311 p.

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Les parcours commentés et itinéraires sont donc des méthodes d’enquête qui permettent de relever des éléments de représentation de l’espace. L’intérêt est de pouvoir revenir avec les enquêtés sur les trajets et de « réactiver l’image des lieux en mémoire afin d’apprécier les connaissances environnementales… »1. Couplés aux cartes mentales, dont nous détaillerons les principes plus loin, nous pensons avoir mis au point un moyen complet de récupérer des informations sur les points de repères des individus, sur leur lecture de la ville mais aussi sur leurs perceptions et leurs représentations.

1-4 Le choix des cartes mentales comme outil d’analyse des représentations de l’espace

La carte mentale est l’une des méthodes d’enquête qui permet de relever les

représentations de l’espace des individus. Elle désigne la mise en forme de la représentation mentale de l’espace d’un individu. C’est la représentation graphique d’une représentation mentale d’un espace. Il y a, d’une part, des éléments spatiaux intériorisés par les individus qui, d’autre part, sont exprimés sous la forme d’un dessin. C’est une façon de rendre compte d’une géographie subjective, d’une manière de voir, de ressentir et de s’approprier l’espace.

1-4-1 Les fondements de la carte mentale Dès 1913, Charles Trowbridge émet l’hypothèse que la manière dont les individus se déplacent renvoie à une cartographie mentale. Les cartes mentales sont dès le début associées à la mobilité des hommes. En 1960, l’urbaniste Kevin Lynch, dans The Image of the City 2 , choisit cette méthode pour analyser la centralité des lieux à Los Angeles, Boston et New Jersey. Il retient cinq composantes de la carte mentale : les chemins et les routes, les limites de la ville, soit, ses discontinuités, les nœuds, c’est-à-dire les points névralgiques de la ville, les quartiers, souvent bien délimités avec une identité propre et enfin les points de repère utiles à la navigation urbaine. Ces composantes sont une base qu’il convient encore aujourd’hui d’analyser. De la même manière, Gärling, Böök et Lindberg3, en 1984, catégorisent les informations que l’on peut recueillir à l’aide des cartes mentales en ajoutant une catégorie supplémentaire à celles de Lynch : le projet de déplacement. Dans ce cas, les auteurs distinguent deux types d’informations : ceux qui concernent les éléments physiques et ceux qui concernent les relations spatiales. Le projet de déplacement relie typiquement deux points en donnant du sens au déplacement : on parle de distance, de proximité… Gärling, Böök et Lindberg insistent sur les lieux, les relations spatiales, les points de repères et les points de références, qui diffèrent des premiers dans le sens qu’ils ne sont pas uniquement spatiaux mais sont de réels points sémantiques4.

1 Ramadier T., « Les représentations cognitives de l’espace : modèles, méthodes et utilité », Moser G., Weiss K. (dir), in Espace de vie Aspects de la relation homme-environnement, Armand Colin, 2003, p. 189. 2 Lynch K., The Image of the City, The MIT press, 1960, 194 p. 3 Gärling T., Böök A., Lindberg E., « Cognitive mapping of large-scale environments », in Environment and Behavior, 16 (1), 1984, p. 3-34. 4 Op cit., Ramadier T., 2003.

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1-4-2 Les cartes mentales, un outil du géographe Dans les années 1990, la géographie, notamment étrangère, se saisit des cartes mentales. Robert M. Kitchin1 et Reginald G.Golledge2 affirment, en 1994, que l’utilisation de cette méthode dans les enquêtes sur les comportements spatiaux est précieuse. En 1997, Bob Rowntree parle d’outil géographique de poids dans l’analyse de la perception et cognition de l’espace, s’il est doublé d’un entretien3. À son tour, Valérie Poublan-Attas4, dans sa thèse sur la déformation de représentations de l’espace par les transports en commun, utilise les cartes mentales comme méthodologie d’enquête. En 2003, Anne Fournand publie dans les Annales de Géographie un compte rendu de recherches menées à Garges-lès-Gonesse5. Elle utilise les cartes mentales avec des adolescents pour comprendre leurs représentations du quartier. Récemment, Servane Gueben-Venière6 revient sur l’utilisation des cartes mentales par la géographie de l’environnement. Elle donne notamment pour exemple ses propres recherches sur les représentations du littoral aux Pays-Bas. Ces quelques exemples montrent l’intérêt des cartes mentales et inscrivent nos travaux dans une continuité méthodologique.

1-4-3 L’analyse des cartes mentales En analysant une carte mentale, on cherche à comprendre sa structure, les éléments grâce auxquels l’individu a construit la carte. Shemyakin, en 1962, décrit deux types de représentations de l’espace : la « route map » qui suit le cheminement de la personne et « la survey map » qui expose un point de vue plus global et topologique. En 1970, Appleyard7 propose une typologie intéressante des cartes mentales : les « cartes séquentielles », dans lesquelles les éléments sont reliés entre eux par des axes et les « cartes spatiales », qui donnent l’importance aux seuls lieux. Un des éléments qui requiert aussi l’attention du chercheur lors de l’analyse des cartes mentales est la distorsion spatiale, c’est-à-dire la manière dont les individus déforment les relations entre les éléments. Pour Lynch, c’est ce qui renvoie à la lisibilité de l’espace, soit à la capacité d’un individu de lire les rapports dans l’espace physique pour ensuite les réorganiser sur une feuille blanche. Par distorsion, nous entendons

1 Kitchin R M., « Cognitive maps : what are they and why study them », in Journal of environmental and psychology, n°14, 1994, p.1-19. 2 Gärling, T., Golledge, R. G., « Environmental perception and cognition », in E. H. Zube & G. T. Moore (Eds.), Advances in environment, behavior, and design, Vol. 2, New York: Plenum Press, 1989, p. 203-236. 3 Rowntree B., « Les cartes mentales, outil géographique pour la connaissance urbaine. Le cas d’Angers », in Norois, n°176, 1997, p. 585-604. 4 Poublan-Attas V., L’espace urbain déformé : transports collectifs et cartes mentales, Thèse de doctorat soutenue le 12 juin 1998 à l’ENPC, sous la direction de Jean-Marc Offner, 377 p. 5 Fournand A., « Images d’une cité Cartes mentales et représentations spatiales des adolescents de Garges-lès-Gonesse », in Les Annales de Géographie, n°633, Armand Colin, 2003, p. 537-550. 6 Gueben-Venière S., « En quoi les cartes mentales, appliquées à l’environnement littoral, aident-elles au recueil et à l’analyse des représentations spatiales », in EchoGéo [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 26 septembre 2011, consulté le 10 avril 2014. URL : http://echogeo.revues.org/12573 ; DOI : 10.4000/echogeo.12573 7 Appleyard D., « Styles and methods of structuring a city », in Environment and behavior, 2, 1970, p. 100-117.

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aussi celles qui sont liées à la personne, à ses connaissances, à sa familiarité avec les lieux, à son expérience spatiale, mais aussi à sa mobilité, aux modes de transport utilisé… Bref, tout ce qui renvoie à la lisibilité sociale1. Concrètement, sur la carte, elles apparaissent sous la forme de vide, de déformation des rapports d’échelles, de lignes flottantes, d’erreurs de localisation et de morphologie, etc.

1-4-4 La place des cartes mentales dans notre dispositif d’enquête Les cartes mentales nous servent à comprendre les représentations individuelles d’un espace. Nous avons choisi cette méthode de récupération de données pour comparer les éléments qui diffèrent d’un groupe à l’autre et tenter de mettre en exergue les changements dus au GPS. Pour nous, les cartes mentales complètent et apportent une image supplémentaire aux relevés de données des entretiens et des parcours commentés. Nous avons opéré de la façon suivante : sur une feuille blanche, les 8 enquêtés devaient, pour les parcours accompagnés ou en solitaire, retracer le trajet. La consigne était précise et identique aux deux moments pédestres : « Pouvez-vous dessiner le trajet ? ». Nous nous sommes assuré que les individus se trouvent toujours dans les mêmes conditions, aient le même matériel, c’est-à-dire des crayons de couleurs. Nous avons enregistré les séances d’élaboration des cartes mentales ; les commentaires des enquêtés sont importants. Nous avons suivi les étapes du dessin en notant l’ordre chronologique des éléments dessinés.

1-5 L’utilisation de la photographie dans les trajets urbains

L’usage de la photographie dans les enquêtes de sciences humaines et sociales prend une ampleur particulière. En témoigne, la littérature participant à la réflexion et à l’intégration de cet outil dans les techniques d’enquête, en particulier en ethnologie et en anthropologie. Citons par exemple Luiz Eduardo Robinson Achutti pour l’ethnographie2, ou encore Michaël Meyer sur la photographie des espaces sociaux urbains3. En géographie, Eva Bigando a récemment publié un article traitant de la « photo elicitation interview », c’est-à-dire l’intégration de photographies pendant les entretiens4. En 2013, Sylvain Maresca et Michaël Meyer publient un Précis de Photographie : usage du sociologue5.

1 Op. cit., Ramadier T., p.187. 2 Achutti Luiz Eduardo Robinson, L’homme sur la photo. Manuel de photoethnographie, Paris, Téraèdre, 2004, 144 p. 3 Du May et Meyer Michaël, « Photographier les paysages sociaux urbains. Itinéraires visuels dans la ville », in ethnophiques.org, 17, 2008. 4 Eva Bigando, « De l’usage de la photo elicitation interview pour appréhender les paysages du quotidien : retour sur une méthode productrice d’une réflexivité habitante », in Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Politique, Culture, Représentations, document 645, mis en ligne le 17 mai 2013, consulté le 15 avril 2014. URL : http://cybergeo.revues.org/25919 ; DOI : 10.4000/cybergeo.25919 5 Maresca Sylvain et Meyer Michaël, Précis de photographie à l’usage des sociologues, coll. Didact Sociologie, PUR, 2013, 109 p.

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Notre technique d’enquête inclut volontairement la photographie. J-P Thibaud et J-Y Petiteau lui consacrent une place à part entière dans le dispositif d’enquête. La photographie sert surtout lors de la restitution des données. Dans les parcours comme dans les enquêtes, elle sert au chercheur à organiser ses données et, pour les itinéraires, à recréer les récits de vie des habitants de manière chronologique. Elle sert aussi à recontextualiser la parole de l’enquêté, à redonner du sens aux discours et à l’espace. Pour l’itinéraire, elle devient un roman-photo; pour le parcours commenté, elle est un témoignage visuel de l’ambiance urbaine. Nous avons tenu à ce que l’enquêté prennent les photographies. Nous voulions qu’il choisisse ce qui, selon lui, était important à photographier. Meyer et Maresca parlent de « photographie participative ». Cette technique « permet de travailler sur les représentations [que les personnes étudiées] se font d’elles-mêmes ou de leur situation »1. Avec cette méthode, nous donnons à l’enquêté un « pouvoir » supplémentaire favorisant le rapport de confiance et lui demandons de consacrer davantage d’attention au parcours. Cette demande a parfois été mal vécue. Le fait de prendre des photographies dans un espace de découverte renvoie forcément à la figure du touriste, que certains enquêtés ne voulaient pas assumer.

2- Présentation générale des enquêtés

2-1 Notre population

Nous nous sommes entretenu avec 8 personnes, 5 hommes et 3 femmes, âgés de 24 ans à 49 ans. Le protocole d’enquête durait une journée pour chaque personne. Nous avons construit deux groupes d’individus équitablement répartis : un avec les individus qui utilisent le Smartphone et le GPS, lors des déplacements, l’autre avec les individus qui se déplacent sans ces outils. L’usage ou le non-usage de l’appareil était notre seul critère de distinction des deux sous-groupes. Nous n’avons pas effectué de typologie plus fine pour de multiples raisons. D’une part, parce que les journées d’enquête étaient longues. Ce choix ne pouvait pas nous permettre d’expérimenter ces journées sur un échantillon varié et important. De plus notre intérêt n’était pas de prendre des types d’usagers pour point de départ. Cette démarche d’enquête nous a aussi forcée à enquêter avec des personnes faisant partie de notre large champ de connaissances. Il n’y a cependant ni amis ni proches.

1 Ibid., p. 55.

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2-2 Présentation des enquêtés ENQUÊTÉS TIC Fabrice, 26 ans Fabrice est célibataire, vit en colocation à Rennes et

travaille dans l’aménagement du territoire. Il a passé la première partie de sa vie dans une petite ville du Finistère à dominante rurale. Fabrice utilise l’IPhone depuis plus de 5 ans. Il en change lorsqu’un nouveau modèle sort. « L’IPhone a changé [sa] manière de vivre les déplacements » Fabrice a une bonne expérience du voyage et de la ville. Il a voyagé à l’étranger plusieurs fois et souvent seul, dans le cadre de ses études. La ville et les transports ne présentent pas a priori de grandes difficultés de compréhension L’expérience proposée à Fabrice est bien vécue. Il apprécie de découvrir Nantes. Il comprend l’étude et joue le jeu pour toutes les étapes.

Edouard, 28 ans Edouard est pompier professionnel à Rennes et vit en couple, dans une commune de 7000 habitants à 20 km de Rennes. Il n’apprécierait pas de vivre dans une ville plus grande, malgré les avantages pratiques. Il a toujours vécu dans des petites villes et pense que « l’éducation reçue conditionne souvent nos choix de lieux de vie. On désire ce que l’on a connu. ». Depuis un an, il a fait le choix de l’IPhone, le téléphone le plus pratique selon lui. Edouard voyage le plus souvent possible. Même s’il n’y vit pas, il connaît la complexité des grandes villes et cela de l’effraie pas. Il retrouve ses repères facilement. L’expérience proposée est vécue comme une course. Pendant le parcours en solitaire, Edouard court pour revenir le plus vite possible. Il s’éloigne cependant à quelques reprises du tracé du GPS pour visiter la ville.

Yannick, 27 ans Yannick vit en couple, dans une petite ville des Côtes d’Armor. Il a un enfant. Il possède un Smartphone Samsung. Lui aussi préfère les petites villes, en raison du confort de vie qu’elles procurent. Il a vécu dans le périurbain ou dans des petites villes. Yannick est commercial, il a l’habitude de se déplacer en voiture. Ses trajets sont toujours construits et préparés. Il connaît seulement les pourtours de Nantes, les Zones industrielles et artisanales. L’expérience est bien vécue, un peu appréhendée. Il est cependant rassuré de se déplacer à pied dans la ville. Il prend l’enquête comme une visite touristique et une découverte

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d’un futur lieu de promenade. Anne, 40 ans Anne vit en couple, à Rennes. Elle est chercheuse au CNRS.

Elle aime la ville et ne peut vivre ailleurs. Rennes est sans doute un peu trop petite pour elle. Elle a aussi vécu dans des petites villes pendant son enfance. Elle voyage beaucoup et n’a pas de mal à appréhender l’espace qu’elle ne connaît pas. Elle se perd rarement. Anne possède un BlackBerry. Elle utilise très souvent le GPS pour préparer et pendant ses déplacements. L’expérience que nous lui proposons est bien vécue.

ENQUÊTÉS SANS TIC Pierre, 24 ans Pierre est célibataire, vit en colocation à Cesson-Sévigné. Il

est étudiant en sociologie. Il ne possède pas de Smartphone, il n’en voit pas l’utilité. Pierre a toujours vécu à la campagne. La ville, c’était la découverte accompagnant le début de ses études. Il voyage peu, il n’aime pas ça. Ce qu’il aime dans la ville : la dérive. Il n’a pas d’inquiétude quant à la découverte d’une ville. Il s’approprie l’espace sans grande difficulté. La journée à Nantes est vécue comme une visite touristique. Il accepte avec une petite réserve de porter le boitier GPS.

Servane, 25 ans Servane est en couple et vit en colocation, à Rennes. Elle est étudiante en géographie. Rennes est la ville de ses études. Son objectif est de partir vivre à la campagne, elle n’aime pas la ville. Elle possède un Smartphone, mais l’utilise comme un simple téléphone. Très réfractaire aux évolutions technologiques, elle y voit « la perte de l’humain ». Servane voyage peu et visite rarement de nouvelles villes. Elle a beaucoup de difficultés pour se repérer et comprendre la manière dont une ville est construite. Elle se perd très souvent. Elle appréhende l’expérience, même si pour elle, se perdre est une habitude. Elle se prête au jeu avec quelques craintes. L’étape de la carte mentale est stressante.

Arthur, 26 ans Arthur est célibataire, vit à Rennes. Il est étudiant en langues. Il a vécu toute son enfance à la campagne. Il désire vivre en ville. Tout comme Pierre, la ville est découverte avec les études. La ville, c’est la liberté. Au moment de l’enquête, il ne possédait pas de Smartphone. Aujourd’hui il a fait le choix d’un IPhone, pour des questions pratiques. Il voyage très souvent et se déplace beaucoup. L’arrivée dans une ville inconnue ne pose pas problème. Il aime se perdre pour découvrir des coins.

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La visite de Nantes est agréable pour lui. À aucun moment il ne semble être dérangé par l’enquête et ses dispositifs.

Jean, 49 ans Jean est célibataire, a deux enfants. Il vit à Rennes depuis 10 ans. Il a beaucoup déménagé et a toujours vécu dans des grandes villes. Il aime vivre en ville Il n’a pas de Smartphone, il n’a pas eu l’occasion d’en acheter, mais serait intéressé. Il voyage beaucoup et comprend vite comment se repérer. L’expérience proposée est bien vécue. Il se prête au jeu.

2-3 Le protocole d’enquête

Notre terrain comporte de nombreuses étapes. La journée d’enquête demandait beaucoup d’attention de la part de l’enquêté mais surtout de la part du chercheur. Nous avons pris le risque de mettre en place de longues rencontres et d’articuler plusieurs méthodes d’enquête pour pouvoir analyser le mieux possible les représentations de l’espace. Les journées d’enquête s’organisent en 5 étapes.

1- L’entretien préalable au parcours commenté. 2- Le parcours commenté accompagné à Nantes : le trajet est choisi par

l’enquêteur, qui accompagne l’enquêté en le dirigeant, tout en lui laissant des marges de manœuvre. Il y a deux sortes de parcours : un avec et l’autre sans Smartphone

3- Le débriefing : réception de commentaires, questions supplémentaires, « atelier carte mentale »

4- Le parcours commenté en solitaire : l’enquêté doit passer par des points obligatoires indiqués sur une feuille. Il décide de son trajet. Il est seul. Il y a deux sortes de parcours : l’un avec Smartphone, l’autre sans

5- Le débriefing, avec un second « atelier carte mentale » Nous avons conscience que ces différentes étapes mettent les enquêtés dans des situations imposées. Néanmoins cette enquête est exploratoire et vise à comprendre les effets des TIC sur nos représentations. Même si nous convenons que nous pouvons parfois forcer certains usages, cela entre dans les limites de notre terrain. Les parcours devaient rendre compte, non seulement des descriptions des individus mais aussi de nos observations quant à l’utilisation du téléphone dans un environnement donné. Ce travail de terrain est comparatif, cela nous semble indispensable pour rendre compte d’une quelconque évolution des représentations. Lors de l’analyse nous avons pu mettre plus facilement en relief les « nouvelles » représentations des individus grâce à la présence du groupe sans TIC.

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Nous avons dû gérer les changements fréquents de contexte : le café, la voiture, Nantes, le restaurant… Il fallait donc créer des moments de pause (la voiture, le restaurant) et revenir ensuite à l’enquête. Il y avait un effort consacré à l’effacement et la reprise des rôles enquêtés/enquêteurs, à la remobilisation et la démobilisation de la personne.

• La journée d’enquête commençait à 9 h. • L’entretien précédant les parcours se déroulait toujours au même endroit, dans

un café. Pour chaque enquêté, ils ont duré approximativement 1 heure.

• Nous prenions ensuite la route pour Nantes, en voiture. Durant le trajet, aucune allusion n’était faite ni à l’enquête, ni à la ville de Nantes. Les sujets de conversation ne devaient pas rappeler à l’enquêté l’objet du voyage. Nous voulions réserver les moments de voyage comme des temps de pause, indispensables, selon nous, lors d’une enquête aussi longue.

• Une fois arrivés à Nantes, nous entamions le parcours. Nous équipions l’enquêté du matériel (micro-cravate et dictaphone ; GPS ; appareil photo). Le parcours durait 1 heure ½ en moyenne.

• À l’issue du parcours, nous nous rendions dans un restaurant. Avant le repas, nous leur demandions de dessiner la carte mentale de ce qu’ils avaient vu.

• Là encore le temps du repas était un vrai temps de pause de 1 heure environ.

• Nous nous rendions ensuite au point de départ du parcours commenté en solitaire, qui durait une heure.

• Nous nous retrouvions dans un café, pour finir la journée avec la carte mentale du parcours

• Nous quittions Nantes en fin de journée, généralement vers 17h30-18h. Tous les enquêtés ont apprécié de passer du temps à Nantes, de découvrir la ville. Nous pouvons cependant insister sur l’aspect chronophage et énergivore de cette journée, surtout pour l’enquêteur.

2-4 Les étapes de la journée d’enquête 2-4-1 L’entretien

Les parcours étaient précédés d’entretiens semi-directifs d’une heure ou plus pour une première approche avec les enquêtés. Ils nous ont servis à recueillir des éléments de généralité sur le sujet, à toucher de plus près les représentations des individus. Nous avons détaillé cette étape plus haut. L’entretien se passait toujours au même endroit, dans un lieu neutre, c’est-à-dire ni chez la personne ni chez le chercheur mais dans un café. A la fin de l’entretien, nous leur présentions les démarches à venir et leur demandions s’ils acceptaient d’être équipés d’un micro-cravate, d’un dictaphone, d’un GPS et d’un appareil photographique.

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Notre guide d’entretien aborde les thèmes suivants, en cohérence avec nos hypothèses de départ :

- La préparation au voyage. - L’attitude lors d’un voyage/trajet. - Le rapport à la ville. - Les habitudes de mobilité. - La conception du temps. - La perception de la ville. - Le rapport à l’autre dans la ville. - L’aspect économique de l’usage ou du non-usage du Smartphone. - L’apprentissage et la lisibilité de la ville.

Nous avons fait le choix de travailler sur des thèmes larges, afin de comprendre le mieux possible les représentations de l’espace des individus. L’enjeu ici est de bien introduire les thèmes de la recherche. Souvent, dans notre cas, les individus faisaient eux-mêmes les enchaînements. Nous choisissions le lieu de rendez-vous afin qu’il reste le même pour tous les enquêtés. Cela pour des raisons pratiques, notamment celle de la tranquillité. Le dictaphone n’était jamais entre nous mais sur le côté et peu visible, pour l’introduire discrètement dans nos échanges. Nous demandions l’accord aux enquêtés avant de lancer l’enregistrement.

2-4-2 Le parcours commenté accompagné L’unique trajet du parcours était dessiné par l’enquêteur. Il durait environ une heure et demie. Les parcours étaient enregistrés avec un dictaphone et une micro-cravate. Les enquêtés prenaient des photographies des éléments qui leur semblaient importants et frappants. Ils étaient équipés d’un GPS qui récupérait les données spatiales du trajet1. Deux types de parcours ont été comparés :

- Le parcours avec le GPS-Smartphone : Nous avons fait passer les enquêtés par des points stratégiques, par le centre et un quartier plus périphérique, par des endroits où les individus peuvent flasher des codes QR, des places, des lieux symboliques et connus ainsi que des lieux inconnus. Le trajet était entré dans le GPS au début du parcours, étape par étape. Nous avons utilisé à plusieurs reprises les transports en commun : le bus et le tramway. Les enquêtés TIC, prenaient les photos avec leur portable ou l’appareil photo, au choix. Nous leur avons aussi demandés de télécharger au préalable l’application mobile des transports en commun de la Tan (entreprise qui gère le service de transport de Nantes).

1 Suite à un incident technique, nous avons malheureusement perdu les données GPS de nos enquêtés. Elles n’étaient cependant pas indispensables à l’analyse des résultats d’enquête.

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Pendant le parcours, nous avions prévu des questions de relance afin de récupérer le plus d’informations possibles et de faire parler les enquêtés. Elles questionnaient leur orientation, leur perception, les ambiances, leur rapport au GPS, aux autres.

• «Où sommes-nous ? Décrivez-moi ce que vous voyez ? • Savez-vous où nous sommes par rapport au point de départ ? • Dans quelle direction allons-nous ? • Des questions de qualification du lieu : Aimez-vous cet endroit ? Pourquoi ?

Vous rappelle-t-il quelque chose ? • Avez-vous l’impression d’être toujours à Nantes ? • Comprenez-vous ce que le GPS vous indique ? • Pourquoi utilisez-vous à ce moment votre téléphone ? • Que voyez-vous ? A quoi cet endroit vous fait-il penser ? • Lorsque l’on passe une borne : cela vous donne-t-il envie de vous arrêter ?

Pourquoi ? • Avez-vous l’impression de trouver votre chemin rapidement ? • Qu’est-ce que le GPS vous indique ? Qu’est-ce que la borne vous raconte ? • Comment vous sentez-vous ? Avez-vous l’impression d’être perdu ? • Avez-vous l’impression d’être sur une île (île de Nantes, un point du trajet) »

Les grandes étapes du parcours étaient les suivantes :

• Départ école d’architecture sur l’île de Nantes : nous souhaitions partir de l’île pour travailler sur son effet discontinu

• Quai de la fosse : dans la continuité. Il mène au centre piéton, espace très fourni en ruelles, repères etc.

• Place de la bourse : les places sont en principes des éléments forts de repérage. L’objectif n’était pas de perdre nos enquêtés, mais de leur donner des points de repères précis.

• Place du commerce

• Place royale

• Saint Nicolas : tout comme les places, l’église est un monument important pour l’orientation.

• Arrêt du Tram ligne 2 vers Orvault Grand Val, « Place du cirque » : nous voulions intégrer les transports en commun pour deux raisons. Étudier leur effet tunnel et marquer une pause dans le parcours.

• Tram jusqu’à « Saint Félix Faure »

• Faire le tour de l’église Saint Félix

• Retour jusque « Vincent Gâche »

• Vers la galerie des machines : lieu symbolique de la ville de Nantes. Nous avons recueilli leurs impressions et sensations. Nous avons observé leurs attitudes par rapport au Smartphone : de quelle manière ils l’utilisent, ce qu’ils regardent, ce qu’ils entendent à certains moments, la manière dont ils s’arrêtent et lisent l’information donnée par le GPS ou le service mobile. Nous avons prêté attention à la façon dont ils nous parlaient lors du trajet, observé les interactions entre l’individu,

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l’espace, l’outil et les autres, dont nous-mêmes. L’enquêté pouvait Twitter ou accéder à un réseau social.

Plan du parcours commenté accompagné

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- Le parcours sans Smartphone : Le trajet était le même. Les consignes aussi. Les individus étaient guidés oralement par l’enquêteur. A part la direction, ils n’avaient aucune autre indication. Ils devaient se débrouiller seul pour se repérer. Le trajet n’était pas dirigiste. Les enquêtés avaient des points de repères, mais libre à eux de choisir leur chemin. Les questions de relance étaient les mêmes, à l’exception de celles concernant le Smartphone, ainsi que les observations.

2-4-3 Débriefing et carte mentale Après le parcours, nous nous installions dans un restaurant, peu bruyant et le même pour tous les individus. Nous recueillions leurs impressions, là encore ils étaient enregistrés. Nous avons pu leur poser des questions supplémentaires :

• « Avez-vous l’impression que vous pourriez refaire le trajet sans aide ? • Le Smartphone vous a-t-il aidé ? »

Les enquêtés avaient à leur disposition une feuille vierge de format A3 (le parcours étaient assez long et complexe et exigeait selon nous ce format) et une palette de crayons de couleur. Ils étaient enregistrés et commentaient leur dessin. Nous notions dans l’ordre les éléments qui apparaissaient, sous forme de liste. La consigne était la suivante : « Pouvez-vous dessiner le trajet que vous venez de faire ? » Nous rassurerions l’enquêté sur l’idée d’un test ou d’un contrôle. Selon l’individu enquêté, nous abordions ce point avec beaucoup de tact. L’exercice peut parfois être mal vécu, lorsque la personne considère qu’elle ne sait pas dessiner, par exemple.

2-4-4 Le parcours commenté en solitaire Les enquêtés étaient seuls pour le second parcours commenté. Ils devaient passer par des points obligatoires, mais décidaient entièrement du trajet. Ils étaient enregistrés et munis d’un GPS embarqué. Le trajet durait environ une heure. Les enquêtés prenaient des photos. Pour qu’ils ne soient pas gênés de parler sans être accompagnés, nous leur fournissions des oreillettes de téléphone qui pouvaient donner l’impression qu’ils étaient en ligne avec un interlocuteur. Là encore, il y avait deux types de parcours :

- Le parcours commenté en solitaire avec Smartphone : les enquêtés utilisaient l’outil comme ils le voulaient ; le trajet n’avait pas été rentré dans le GPS. Ils devaient parler seuls et commenter à voix haute ce qu’ils faisaient, voyaient, ce qu’ils ressentaient…

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- Le parcours commenté en solitaire sans Smartphone : nous leur notions seulement les points par lesquels ils devaient passer, sans autre aide.

Avant de débuter, nous donnions aux enquêtés une note avec les points de repères et quelques consignes. Voici ce qui était indiqué aux « enquêtés TIC » : « Vous allez effectuer un parcours commenté seul. Vous disposez de votre Smartphone que vous pouvez utiliser à votre convenance. Vous êtes enregistré avec le dictaphone. Vous êtes muni d’un GPS qui enregistre votre trajet. Lors du parcours, vous pouvez vous procurer tous types d’aides pour trouver les points repères (téléphone, plan, personnes). Vous prenez des photographies de ce qui vous intéresse sur le trajet. Je vous demande d’expliquer toutes vos actions. De mettre en mots tout ce que vous faîtes, ce que vous voyez, ainsi que toutes vos impressions, sensations, toutes les idées qui vous viennent à l’esprit en passant par tel ou tel endroit. Si un lieu vous rappelle un souvenir, s’il vous fait penser à quelque chose, pourquoi vous le trouvez agréable ou au contraire déplaisant. Vous pouvez décrire tout ce que vous voyez et percevez, ce que vous entendez et ressentez, toutes les difficultés que vous rencontrez sur le chemin. J’aimerais que vous décriviez la manière dont vous utilisez le Smartphone, si c’est le cas, et pourquoi, comment et avec quoi vous vous repérez. Le point de départ est la gare de Nantes. Les autres points de repères sont les suivants :

• Gare sortie Sud, vous arrivez devant une exposition temporaire de photographies, flashez les QR codes, dites ce que vous en pensez.

• La cité des congrès

• Stade Marcel Saupin

• Le boulevard Malakoff

• Les tours marrons

• L’arrêt de bus « Madrid », n°58, proche du pont Eric Tabarly

• Retour à la gare en transport en commun (bus et tram) » Nous avons souhaité faire un trajet complètement différent du parcours commenté accompagné. Les enquêtés ne passaient pas dans les rues piétonnes mais dans de grands espaces où domine la voiture. Puisque nous travaillons sur la ville sensible et les représentations de la ville, nous tenions à amener les individus dans une autre ambiance de la ville. Les « tours marrons » font partie des grands ensembles du quartier Malakoff. L’idée était aussi de trouver un espace avec des QR codes facile d’accès : l’accès sud de la gare.

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Nous voulions aussi leur faire prendre les transports en commun, pour les mêmes raisons que pendant le parcours : voir à quel point ils composent une rupture avec l’espace. Les transports en commun servaient aussi à raccourcir le chemin du retour, pour ne pas alourdir la marche. La Loire et l’Erdre pouvaient leur servir de repère.

Plan du parcours commenté en solitaire

2-4-5 Débriefing et carte mentale Nous nous donnions rendez-vous, à la fin de chaque parcours, au même endroit. Nous nous installions dans un café calme. Nous faisions un petit débriefing. Comme pour le parcours, nous posions ce type de questions :

• « Comment vous sentez-vous ? Racontez-moi votre trajet ? • Vous êtes-vous perdu ? • Qu’avez-vous ressenti ? • Avez-vous l’impression d’avoir retenu votre chemin ? • Avez-vous demandé de l’aide ? • Vous êtes vous servi des plans de ville ? • Avez-vous appelé quelqu’un ? • Le téléphone vous a-t-il aidé ? Comment l’avez-vous utilisé ?»

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En répondant à la même consigne : « Pouvez-vous dessiner le trajet que vous venez de faire ? », sur une feuille de format A4, (le trajet étant plus court et plus facile), les enquêtés dessinaient le trajet avec une palette de crayon de couleur. Ils étaient enregistrés et commentaient leur dessin. Nous notions dans l’ordre les éléments qui apparaissaient, sous forme de liste.

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Chapitre IV

LES NOUVELLES REPRÉSENTATIONS DE L’ESPACE DES INDIVIDUS ÉQUIPÉS DU GPS

LES RÉSULTATS D’ENQUÊTE

Six catégories ressortent de l’analyse du terrain :

1- Le rapport contradictoire des individus avec leur GPS 2- De la ville consommable à la découverte urbaine : les différentes manières de

pratiquer la ville 3- Les représentations communes de la ville 4- Maîtriser l’espace avec le GPS 5- Lire la ville avec le GPS : une autre manière de s’approprier l’espace 6- Les images du GPS marquent les représentations de la ville

Nous avons choisi de suivre l’ordre de ces catégories pour présenter les résultats, et nous reviendrons à l’issue de cette présentation sur une synthèse des thématiques. Avant tout, nous devons préciser un point sur les QR codes. Le QR code est un code barre qui une fois flashé par l’appareil mobile, renvoie à une page internet, à une vidéo en ligne ou encore une information géographique sur un plan. Les QR codes étaient intégrés au processus d’enquête. Néanmoins dès les premiers temps sur le terrain, nous avons pu constater que les individus n’en n’avaient pas ou très peu l’usage. D’une part parce qu’ils sont très peu visibles dans la rue. D’autre part, parce qu’ils sont considérés comme des supports de publicités. L’information qui y est rattachée n’est pas, selon tous les enquêtés, une information « valable » et « utile ». Nous avons donc fait le choix de les écarter de l’analyse, puisqu’ils ne sont pas des éléments numériques permettant aux individus d’appréhender l’espace. Nous ne remettons pas en question leur rôle à jouer dans l’appropriation urbaine, bien au contraire. Ils pourraient devenir des points de repères judicieux une fois mis en avant et introduit dans une trame cohérente.

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1- Les rapports contradictoires des individus avec leur GPS

Le rapport qu’entretient l’individu avec le Smartphone et le GPS est un facteur explicatif de la manière dont les individus appréhendent l’espace et se le représentent. Bien que le contexte de l’enquête soit l’espace de la découverte, l’appareil que nous introduisons dans notre travail est utilisé quotidiennement par les individus. Nous nous rapprochons alors dans ce point des réflexions sur les techniques dans la vie quotidienne1. Dans ce premier point, nous revenons sur les différents comportements observés avec le Smartphone et le GPS, ainsi que sur les discours qui entourent l’usage ou le non usage de ces outils. Nous décrivons aussi le sentiment des usagers d’une perte de compétence transmise à l’appareil.

1-1 Les différents comportements et usages du GPS Nous avons observé pendant les parcours que le rapport au Smartphone et l’utilisation du GPS diffèrent selon les individus. L’appropriation et l’intégration de l’objet dans la marche et la recherche des points de repères ne sont pas les mêmes pour les quatre individus du groupe des « enquêtés TIC ». Nous pouvons décrire six profils de rapports à l’outil. Ils ne sont pas indépendants les uns des autres. Ces profils nous renseignent sur la manière dont les individus appréhendent l’espace et permettent d’aborder les premiers éléments qui modifient les représentations de l’espace des individus.

1-1-1 Le joueur

L’enquête avec Fabrice fait ressortir le caractère ludique de l’outil. Bien qu’il considère le GPS comme un guide essentiel et irremplaçable lors de ses déplacements, Fabrice le sort de sa poche à diverse reprises pour « vérifier même si c’est inutile ». Cette impression d’inutilité mentionnée dans son discours renvoie à l’un des aspects qui définissent le jeu : agir, prendre du plaisir, sans fin utilitaire.

« J’aime bien l’avoir dans la main et regarder l’écran, passer à une autre application. Ça m’amuse. », [Fabrice, 26 ans, « enquêté TIC »]

1 En 1992, Alain Gras s’interroge sur l’imaginaire des technologies de la vie quotidienne. Il pose la question suivante : « le paysage peint par les techniques au quotidien propose-t-il un autre symbolisme ? Est-il inculcation de nouveaux principes adaptés aux macro-systèmes ? ». Gras A., Joerges B., Scardigli V, Sociologie des techniques de la vie quotidienne, L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 1992, p. 11-18 Nos questionnements sont proches de ceux d’Alain Gras, si ce n’est que notre entrée est spatiale. Alain Gras souligne que la réflexion sur les technologies de la vie quotidienne s’inscrit (en sociologie) dans une interprétation à long terme des imaginaires qui « accompagne [nt] la description des faits ».

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Dés lors, le repérage et la découverte de l’espace sont associés au jeu. Ils ne sont pas organisés selon cette dimension, elle n’est pas structurante, mais la présence de l’outil permet à Fabrice d’appréhender l’espace inconnu à travers l’idée du plaisir et du jeu.

1-1-2 Le curieux

Très proche de ce premier profil, le curieux est celui qui prend plaisir à la découverte. Nous ne considérons pas que ce profil soit déterminé par l’outil. Cependant nous pensons qu’il permet d’exacerber des comportements déjà existants. La personne désirant de voir et de connaître la ville trouve en l’outil un dispositif riche capable d’augmenter la possibilité de nouvelles découvertes. Il justifie la quête de l’individu et l’attise. Anne apprécie de découvrir les lieux de la ville. Lorsqu’elle se trouve dans un endroit, elle regarde sur le GPS ce qui s’y trouve autour.

« J’aime pouvoir savoir ce qui m’entoure. C’est tout l’intérêt du GPS, voir au-delà, échapper à notre vision réduite. Je vois ce qui me tente le plus et j’y vais. », [Anne, 40 ans, « enquêtée TIC »]

Le GPS n’est plus dans ce cas un simple outil de guidage, mais il accompagne la navigation urbaine. Dans ces deux premiers cas, nous notons l’idée d’accession au plaisir de la ville grâce à l’outil. La ville est envisagée comme un espace de plaisir.

1-1-3 L’outil personnage L’individu peut aussi faire entrer l’outil dans une interaction dans laquelle le Smartphone est personnifié. On lui parle, on le nomme, le congratule lorsqu’il donne l’information demandée, on l’insulte quand il se trompe et il redevient alors simple machine. Là encore, Fabrice est celui qui incarne le mieux ce profil. La plupart du temps, il utilise d’ailleurs le robot « Siri » de son Iphone qui permet la commande vocale. On peut penser que ce lien particulier qui lie l’homme et la machine est d’autant plus chargé en affects et attentes. Le Smartphone est un appareil complexe, qui peut garder en mémoire l’information intime, nous mettre en relation avec les autres, de nous guider dans l’espace… C’est un appareil auquel on accorde une confiance particulière, c’est pourquoi parfois le « bug » de la machine est mal vécu. En outre, il est une présence qui pallie l’ennui et la peur d’être seul. Servane compare le téléphone portable à la cigarette. Il pallie la solitude et le sentiment de crainte, de honte et de gêne vis-à-vis des autres. En 2006, les philosophes et psychanalystes Miguel Benasayag et Angélique Del Rey rendent compte de la peur d’être seul1 et de son palliatif : le téléphone portable. Leur question de départ est de savoir quels sont les effets psychologiques et anthropologiques de la généralisation du portable sur les individus. En nous permettant de nous connecter à l’autre de manière instantanée, les auteurs soulèvent le rôle de connecteur du téléphone et la dépendance qu’il instaure.

1 Benasayag M., Del Rey A. Plus jamais seul, Le phénomène du portable, Bayard, Paris, 2006, 111 p.

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1-1-4 Le pragmatique Ce profil désigne l’individu qui considère le GPS et le Smartphone comme un soutien ponctuel et efficient. Edouard ne sort son Smartphone de sa poche que lorsqu’il l’estime utile. Il retient l’information et utilise l’appareil de façon à en dépendre le moins possible. L’intégration dans le repérage d’autres aides (autre personne, le plan de ville) est alors plus fréquente. La gestion du cheminement peut aussi parfois laisser place au hasard mais, souvent, Edouard opère un raisonnement logique pour prendre la décision d’une direction.

« Là, je n’utilise pas mon GPS, je préfère faire sans. Ce n’est pas utile. Si je réfléchis bien… on doit se rendre sur une place… il devrait y avoir un parking, pas mal de monde… Place de la Bourse… donc un gros bâtiment ancien… », [Edouard, 28 ans, « enquêté TIC »]

Ce genre de réflexions nécessite forcément une pratique et une connaissance préalable de la ville.

1-1-5 Le compulsif À l’inverse, le compulsif fait de l’outil une utilisation non calculée et quasiment non intentionnelle. De manière automatique, on utilise l’appareil sans garder en tête l’information donnée. Yannick vérifie sans cesse son positionnement sur le GPS, l’information disponible. Il ne contrôle pas son utilisation. Même s’il garde l’information en tête, celle-ci doit être vérifiée, « pour être sûr » : sûr de suivre le bon chemin, de ne pas se perdre. Ce profil est lié à une représentation de l’espace anxiogène. Le fait d’être dans une ville inconnu, de ne pas en maîtriser tous les accès, de ne pas savoir par où se diriger panique. Le GPS sert alors autant à montrer le chemin qu’à rassurer et donner l’impression d’être dans un lieu connu. L’outil est utilisé en fonction de la manière dont on aborde l’espace. C’est l’individu qui accorde telle ou telle place à l’outil et son rôle dans la navigation. Dans le cas du compulsif, le GPS est omniprésent du fait du rapport anxiogène que Yannick a avec l’espace.

1-1-6 L’innovateur Le dernier profil se rapproche de « l’usager innovant » de Patrice Flichy1, qui invente de nouveaux usages en détournant les fonctions de l’outil. Fabrice est un innovateur. Peut-être peut-on mettre ce profil en parallèle avec celui du joueur. Le joueur, comme l’innovateur, est celui qui explore l’appareil, qui prend plaisir à manipuler l’objet et à en développer tous ses usages.

1 Op cit., Flichy P., 2008, p. 168.

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1-2 Des discours ambivalents autour du GPS : de la sécurité à la surveillance

Dans tous les entretiens, la sécurité est le sujet qui légitime le mieux l’utilisation du téléphone portable.

« Le portable, ben c’est sécurisant. T’es jamais perdu, t’as l’impression que c’est indispensable et si tu l’oublies et que tu reviens chez toi après, tu te rends compte que finalement t’en avais pas besoin. », [Servane, 25 ans, « enquêtée sans TIC »]

« Je préfère avoir mon GPS quand je me déplace, c’est plus sur. », [Edouard, 28 ans, « enquêté TIC »]

Les individus se représentent le déplacement dans l’espace comme un moment de prise de risque. Un moment où tout peut arriver et où nous sommes seuls face à ce risque. L’insécurité revient systématiquement dans le discours lorsqu’on aborde le téléphone portable1.

« Ca m’embête de ne pas avoir mon portable quand je sors. Plus pour des raisons de sécurité, si j’ai besoin de joindre quelqu’un en cas de souci, si quelqu’un a besoin de me joindre. C’est quand même bien d’être en lien directement avec les gens. En plus vu que je me perds tout le temps… », [Servane, 25 ans, « enquêtée sans TIC »]

Le téléphone portable et, plus exactement, la possibilité d’être en lien avec l’autre tout le temps, sont rassurants. Il est vu comme un outil de gestion du risque, qui donne par conséquent à la mobilité un caractère contraignant. Elle est vue comme une rupture avec l’autre, qu’il faut pallier. La sécurité, c’est être ou pouvoir être en contact avec l’autre. Face à la légitimation de la présence rassurante du téléphone et du GPS pour les usagers, les enquêtés expriment tous leur peur de la surveillance :

« Je n’utilise pas le GPS parce que je redoute que l’on puisse retrouver ma position, même si j’ai rien fait de mal, c’est une atteinte à ma vie privée. », [Jean, 49 ans, « enquêté sans TIC »]

« Ce qui me fait peur ? Être tracée, être surveillée. », [Anne, 40 ans, « enquêtée TIC »]

1 Concernant l’insécurité, W. Ackermann, R. Dulong et H.-P. Jeudy font une analyse intéressante du discours sur l’insécurité en partant des imaginaires dans l’ouvrage Imaginaires de l’insécurité, Librairie des Méridiens, coll. Réponses sociologiques, 1983, 122 p.

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En 2002, la sociologue Magali Bicaïs traite justement de l’acceptabilité sociale de la localisation1. Dans cet article, elle se penche notamment sur les utilisateurs pour qui la localisation a des objectifs clairs : se repérer, être retrouvé, savoir où est l’autre. C’est un gain de temps, qui laisse place cependant au doute et à la méfiance. Le « flicage » et le sentiment de surveillance sont aussi très présents dans les imaginaires. Certains parlent de « laisse électronique » Dans notre enquête, les deux groupes sont concernés. Les utilisateurs enquêtés par la sociologue font référence au roman de George Orwell, 19842, comme étant la limite à ne pas dépasser. La peur de la localisation fait aussi référence à la peur d’un contrôle unique de l’accès et de l’utilisation des informations fournies. Notre enquête révèle de la même manière que l’objet en lui-même cristallise la peur et le manque de confiance en la technologie. Enfin une autre crainte qui concerne les deux groupes est la peur de la dépendance. Les utilisateurs comme les non-utilisateurs ont le sentiment de perdre le contact avec l’espace. Nous ne parlons ici que du sentiment, nous verrons plus loin qu’il n’est pas forcément justifié.

« J’ai peur qu’on regarde plus le GPS que la ville. C’est pour ça que j’utilise ni plan, ni GPS quand je n’ai pas d’impératif de temps. Plus t’es assisté, moins tu te poses de questions et moins tu connais l’espace. », [Arthur, 26 ans, « enquêté sans TIC »]

Toute une partie des représentations des TIC est fondée sur un sentiment d’anxiété. L’utilisation des TIC est souvent anxiogène. On accepte la facilité qu’elles promettent, tout en admettant dans le même discours la perte d’emprise et de perception de l’espace et par conséquent la crainte que l’usage devienne non plus un choix mais une obligation. Sur ce point le discours des non-usagers est particulièrement réfractaire. Derrière l’outil se cache pour certains l’idéologie du progrès et un système de contrôle de l’individu qui réduirait les libertés.

« Je n’ai pas envie d’être dans ce système, ça ne m’intéresse pas. Non, je préfère jardiner. Je ne veux pas être connectée, je ne veux pas être dans le réseau. Ça me stresse, je me sentirais obligée de quelque chose. Contrainte à un rythme, à suivre le flux. C’est un refus de participer à la technologie. Quand je vois les gens se précipiter sur des Iphone, je me dis qu’il y a un gros problème, c’est ridicule et grave en fait. Il y a un problème humain, celui de se décentrer de ses priorités. C’est plus du discours idéologique. », [Servane, 25 ans, « enquêté sans TIC »]

Bien que Servane rejette l’objet pour les significations qu’elle lui donne, elle rencontre beaucoup de difficultés lors du repérage. Elle avoue que le GPS serait pour elle un outil utile. Cependant, elle considère incohérente l’association piéton-GPS et accepte l’utilisation du GPS dans la voiture.

1 Bicaïs M., « Acceptabilité sociale et représentations de la localisation », in Les cahiers du numérique, 2002/4 vol. 3, p. 85-99. 2 Orwell G., 1984, Gallimard, 1972, 438 p.

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Pierre met en parallèle les TIC et la ville contemporaine en considérant que ce sont deux résultats du progrès, auquel il n’adhère pas. Il ressent un malaise à utiliser le GPS et les TIC. Il se sent déshumanisé. Son discours est politisé. Pour lui le Smartphone et le GPS sont deux outils créés et entretenus par le système capitaliste, auquel il est radicalement opposé. Jean et Arthur, les deux autres « enquêtés sans TIC », tiennent des discours plus modérés. Jean n’en voit pas l’utilité. Il a 49 ans. Il a construit un système de repérage qui ne nécessite pas le GPS et a davantage le réflexe d’utiliser un plan. Arthur, quant à lui, admet cette crainte de la dépendance mais à travers des propos plus pondérés. Nous avons pensé au moment de l’enquête qu’il pourrait être dans une phase de transition, c’est-à-dire prêt à utiliser le GPS s’il en avait besoin. Aujourd’hui, Arthur possède en effet un Iphone et utilise le GPS. Nous pouvons élaborer une typologie des non-usagers sur l’acceptabilité de l’outil, en tenant compte de nos connaissances sur le sujet et de nos enquêtes :

- Les individus qui refusent le « système », comme Servane ou Pierre. - Ceux qui n’y ont pas accès, les exclus (les personnes âgées, les personnes

handicapés, les catégories sociales les plus défavorisées par exemple) ; les personnes en difficulté d’intégration (les étrangers qui ne maîtrisent pas la langue et donc les codes qui vont avec, etc.)

- Ceux qui n’en ressentent pas le besoin, qui ont construit leur système de repérage dans lequel ils sont à l’aise, comme Jean.

- Ceux qui sont en cours d’acceptabilité du système, les « transitaires ». Ils sont soit tiraillés par leurs idées soit en pleine découverte ; les peu curieux, qui découvriront peut-être par hasard ou un jour par envie, comme Arthur.

Le Smartphone fait partie d’un système décrit comme contraignant, stressant. C’est une mise en réseau obligatoire dans la une société de surveillance. D’ailleurs, Servane oppose à cela la nature « je préfère jardiner ». Du point de vue des non-usagers comme des usagers, utiliser le Smartphone c’est adhérer à un système de valeurs, à une idéologie, celle du progrès technique et à une représentation du monde : connexion, réseau, surveillance, sécurité… Ce sont des mots qui reviennent dans tous les entretiens1. Dans les mêmes entretiens, nous relevons ce genre de contradictions :

« Mon GPS j’ai une confiance aveugle en lui »// « il faut se méfier, il peut te perdre. » « Je me repère plus facilement avec lui, c’est plus simple »// « c’est un piège, tu perds quelque chose, c’est sûr. « Tu passes à côté de plein de chose. »

1 Ces résultats renvoient à l’environnement tel qu’il est représenté au sein du cadre socio-technique de Flichy. Le cadre socio-technique est formé du cadre de fonctionnement (« savoirs et savoirs faire mobilisés dans l’activité technique ») et du cadre d’usage. Ce cadre a une fonction symbolique et cognitive. Il organise aussi les interactions entre les acteurs et l’objet technique (op cit, Flichy P., 2008, p. 164-165).

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« Il m’énerve parfois » « Sale machine » //« merci tu es trop sympa »

Ces contradictions montrent à quel point le rapport avec l’outil est complexe et ne relève pas d’une simple acceptation ou d’un simple refus. Son appropriation est fortement symbolique et subjective1. L’utilisation d’une machine suppose de devoir lancer une commande, un ordre. C’est un rapport parfois difficile à accepter (Servane). En outre, l’erreur n’est pas tolérable, puisque la fonction principale attribuée à la machine est l’accomplissement d’une demande. C’est pourquoi la réaction de l’individu face à la machine est agressive en cas d’erreur2. Tous les utilisateurs sont traversés par ces ambivalences. Ils peuvent avoir confiance en lui, reprendre le discours qui accompagne la conception et la vente du GPS, mais gardent parfois de manière inconsciente une méfiance à l’égard de la technologie. Cette méfiance vient parfois d’une constatation mais le plus souvent il s’agit de reprises des représentations du GPS. L’outil technique est alors d’autant plus difficile à analyser qu’il renvoie à plusieurs discours et modes d’appropriation : celui du travail ou a contrario celui de l’intimité. Face à cela, il joue aussi le rôle de repère social et spatial, tout en renvoyant au domaine plus pratique de la technique, aux représentations qu’en a l’utilisateur (méfiance/confiance ; sécurité/surveillance ; gestion technique/émotions). Le Smartphone apparait comme une plateforme sur laquelle plusieurs significations se croisent. L’intime, le travail, le lien aux autres et à l’espace se confondent avec la technique.

1-3 La prise de conscience de la perte de compétence L’un des éléments à prendre en compte dans l’acceptabilité de l’outi est le sentiment de perte de compétence, proche de la peur de la dépendance. Les usagers disent se reposer sur l’objet, d’où l’usage modéré d’Édouard du GPS. Selon lui, il faut limiter l’usage pour de ne pas créer le besoin systématique, la dépendance et par conséquent, la perte de compétence en repérage. Pour d’autres, comme Yannick, l’attention se focalise alors sur l’objet.

« Je pars de Rennes, je vais en Vendée, avec le GPS je l’ai fait 15 fois. Tu m’enlèves ça, je saurais le faire, mais c’est pas instinctif. Tu sens que ça a un bon côté, mais derrière, tu perds des choses. Quand tu es à pied c’est un peu le même principe, mais tu contrôles quand même plus de choses. », [Yannick, 27 ans]

Le rapport avec le GPS n’est pas le même en voiture. Pendant la marche, le piéton n’est pas un corps embarqué. La perception du voyage est plus libre, plus riche. Cependant l’idée de perte reste présente. Selon la manière dont on s’approprie l’objet,

1 Comme l’écrit Josiane Jouët, dans le rapport rationnel homme-machine, il y a une forte appropriation et subjectivité. Jouët J., L’écran apprivoisé Télématique et informatique à domicile, CNET, 1987, 160 p. 2 C’est ce que souligne Gisèle Prassinos dans son texte « Les machines infernales », in Gras A. et Moricot C. (dir), Technologies du quotidien La complainte du progrès, Autrement, coll. Sciences en société, 1992, n°3, p. 87-91.

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ce transfert de compétence est plus au moins bien vécu. Alors que certains le refusent, d’autres l’acceptent, au point de ne plus pouvoir s’en passer. Néanmoins, la présence de l’objet est toujours significative d’une perte et d’un abandon à la machine et par conséquent, d’une perte de lien avec l’espace. L’outil se place entre l’espace et l’individu. Il est perçu comme un élément de rupture avec lui, contrairement au plan papier. Une tendance générale se décline chez tous les enquêtés : l’ambivalence entre l’acceptation de l’outil et la méfiance envers les nouvelles technologies. Nous avons pu établir une typologie d’usagers du GPS grâce à nos huit enquêtés : le joueur, le curieux, l’outil comme personnage, le pragmatique, le compulsif et enfin l’innovateur. Ces types ne sont pas étanches. Certains individus se reconnaissent dans plusieurs types. En outre, elles n’ont pas pour objectif de décrire de manière exhaustive et définitive les différents comportements d’usagers. Alain Gras considère que l’introduction des technologies dans la vie quotidienne doit être mise en parallèle avec l’avènement de la société de consommation. « Les réflexions complexes et contradictoires qui suggèrent la croissance de la société de consommation valent évidemment pour les technologies de la vie quotidienne puisque celles-ci fondent l’existence de celle-là »1. C’est ce qui ressort du discours de nos enquêtés. L’appropriation et les usages du GPS concentrent de nombreuses contradictions. En outre, le lien entre consommation et TIC et d’autant plus patent que le GPS est perçu comme un outil permettant d’accéder à la ville consommable.

1 Op cit. Gras A., 1992, p. 11.

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Parcours commenté accompagné d’Edouard « Il faut savoir garder le GPS dans sa poche pour visiter une ville »

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2 De la ville consommable à la découverte urbaine : les différentes manières de pratiquer la ville

Nos enquêtés ont tous fait référence à la ville comme un lieu de consommation. Nous avons pu constater dans les discours et la pratique que le GPS et le Smartphone sont des outils qui facilitent les pratiques de consommation et exacerbent la représentation de la ville consommable. Nous revenons sur cette représentation commune à tous nos enquêtés, pour ensuite insister sur le rôle du GPS dans la ville « fast-food ». Pour remettre en cause cette idée, nous aborderons les formes de navigation urbaine et la manière dont le GPS peut créer une autre logique que celle de la consommation : la sérendipité.

2-1 « La ville, ça sert d’abord à consommer » Nos huit enquêtés ont une représentation de la ville très fortement marquée par la consommation. C’est une des raisons pour laquelle Servane rejette la ville en lui opposant la campagne paisible, sans mise en scène continuelle du désir d’achat et de possession. Pour Pierre, la ville est un espace de sollicitations constantes.

« Je suis toujours choqué quand je me balade en ville. On a de plus en plus de lieux de passage, de consommation, où la marchandise a le droit de cité et où l’être humain est rejeté dès lors qu’il n’est pas vu comme un consommateur. La ville pour moi, c’est un endroit où tu as de moins en moins d’humain et de plus en plus de marchandises. », [Pierre, 24 ans]

Yannick imagine la ville comme un « grand parc d’attraction rempli de choses, de magasins. Tu peux tout trouver dans une ville ». Ainsi quel que soit le sens que l’on donne à la consommation, que la ville soit considérée comme un espace de consommation ludique et un espace d’exclusion sociale. Elle est pensée comme le résultat des modes de vie de la société de consommation. Dans cette représentation, les commerces sont des points de repères indispensables à la ville.

« Les magasins ce sont des points de repères assez faciles, tu retiens facilement le Gaumont, le Mcdo et puis ceux que tu aimes bien, quoi. », [Arthur, 26 ans]

« Imagine une ville sans magasin… on aurait du mal à se repérer… », [Servane, 25 ans]

Tout comme les enquêtés TIC, les non-usagers se repèrent aussi par les magasins. La ville est structurée par ses commerces et le réseau de commerces que chacun se construit. Dans une ville que l’on découvre, les aménités urbaines servent de points d’accroche. Ce sont des espaces appropriables, qui peuvent nous ressembler. Un espace

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commercial est un lieu que l’on peut considérer comme sien. Les représentations de la ville sont fondées sur l’idée qu’elle est une ressource. Yannick et Edouard s’y rendent lorsqu’ils ont un achat particulier à faire.

2-2 De la ville « fast-food » à la ville dynamique Lorsqu’il utilise le GPS, Fabrice s’imagine la ville comme « espace consommable, une ville fast-food ». L’outil sert à rendre la ville entièrement accessible dans le seul but d’en être rassasié, de pouvoir la consommer.

« Avec le GPS je m’approprie plus la ville, plus vite, mais en même temps je ne retiens rien. Avec le GPS tu t’appropries la ville de manière impersonnelle, c’est la ville consommable, la ville fast-food. T’as faim, tu consommes et tu es calé. », [Fabrice, 26 ans]

La comparaison de l’appropriation de la ville à la consommation de nourriture rapide montre bien que la signification donnée au GPS amène à penser la ville autrement. On accède à son contenu plus rapidement, on peut la comprendre plus facilement mais le contenu qui est proposé est considéré comme un contenu standard. La ville devient un produit de consommation de masse. Sa perception, sa pratique et sa représentation sont elles aussi considérées comme standardisées.

« Ce qui me gêne avec le GPS, c’est que le trajet qu’il me donne sera le même pour des milliers de personnes. Du coup, ça donne l’effet d’une ville identique pour tout le monde. », [Anne, 40 ans]

La ville elle-même est consommable. Le lien avec la ville ne s’établit pas de la même manière avec le GPS. D’ailleurs les « enquêtés TIC » ont pris très peu de photographies des trajets, qu’ils aient utilisé un appareil photo ou leur téléphone. D’une part, parce que l’objet accapare l’attention. D’autre part, parce que son utilisateur aborde l’espace différemment. Il se sent plus pressé et l’accès immédiat à l’information sur l’environnement lui donne l’envie ou la possibilité d’accéder à toujours plus de choses, de lieux… En outre, les commerces indiqués par le GPS peuvent, pour certains utilisateurs, devenir des points de repère. Les cartes mentales de Fabrice sont explicites : la Fnac, le restaurant Subway, et Maître Kanter, Europcar. Ces commerces et restaurants sont tous situés sur le GPS. C’est de cette manière de Fabrice les repère et les garde en mémoire après les avoir situés dans l’espace physique. Proche de l’idée de ville « fast-food », Antoine Picon nous parle des représentations de la ville numérique1. Il se pose la question de savoir ce que ces nouvelles représentations cartographiques veulent dire et quelles représentations, en termes d’imaginaire, les individus ont de la ville 2.0. De quels sens cette ville est-elle porteuse ? Réfutant la thèse de la postmodernité, Picon préfère l’expression de « surmodernité », soit une modernité exacerbée, conséquence de l’ère industrielle, portée par le numérique. Son hypothèse est la suivante : la ville numérique permettrait 1 Picon A., « Ville numérique, ville événement », Flux, n°78, oct. - déc. 2009, p. 17-23.

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l’exacerbation d’une ville événementielle, caractéristique de l’urbanité contemporaine. C’est en quelque sorte l’événement qui devient le point de repère dans la ville. La pratiquer, c’est suivre ce qui s’y passe. La ville se voit de manière dynamique et la gestion de l’information est primordiale. Picon analyse la forme de représentation de la ville aujourd’hui et sa cartographie, révélatrices de la façon de penser, de voir et d’imaginer la ville dans une société. Il distingue ainsi deux manières de recevoir l’information. D’abord via « les terminaux » qui diffusent en temps réel de l’information sur ce qui se passe dans la ville, les « nouveaux dispositifs panoptiques », outils à la fois de surveillance et de communication en temps réel. Deuxièmement, Antoine Picon interroge le GPS, cet autre écran qui fournit de l’information personnalisée et ciblée sur l’individu. La cartographie « remplit une fonction de médiation symbolique entre ces systèmes et l’expérience urbaine quotidienne »1. C’est un outil qui a pour but de stocker, d’améliorer la fonction de guidage mais aussi de recevoir des publicités. La ville événement est une ville où la consommation est un des critères d’urbanité.

« En plus du GPS, j’utilise tout un tas d’appli, sur le trafic, les transports, sur la presse, sur les magasins qui m’envoient des offres… Comme ça je suis ce qui se passe, je suis au courant quoi. », [Fabrice, 26 ans]

Le GPS, les applications du Smartphone sont faites pour que l’information personnalisée diffusée en continu permette à l’individu de sentir qu’il est au centre du mouvement urbain. Elle instaure de fait une dépendance à ce flux d’informations, sans lequel on considère être en dehors de ce mouvement.

2-3 Naviguer en ville La ville n’est pas seulement considérée comme un lieu de consommation ou un espace consommable. Elle est aussi un espace de navigation retiré de toute logique consommatrice. Nous faisons référence à trois types de navigation urbaine : la flânerie, l’errance et la dérive. Pierre, Anne, Arthur et Jean sont particulièrement concernés par la navigation urbaine et cela de manières différentes. Arthur considère la ville comme un espace libre à parcourir, en prenant le temps.

« J’ai envie d’aller par là, ça m’attire, c’est beau […] J’ai envie de passer par les escaliers, c’est cool. […] La ville, j’y vais au feeling, quand je n’ai pas de rendez-vous. Je marche en prenant mon temps, je découvre des nouveaux lieux sympa, je regarde les gens, je vais là où ils vont, je traverse les foules… J’observe et je me pose des questions. J’essaie de me perdre dans la ville, de perdre mes repères. Ensuite je cartographie la ville mentalement. Je cherche à trouver mon chemin seul. », [Arthur, 26 ans, pendant le parcours commenté accompagné]

1 Ibid., p.19.

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« Je suis bien dehors, quand je vois les autres. Je leur imagine des vies. Je me demande ce qu’ils sont et ce qu’ils font. », [Jean, 49 ans]

Jean et Arthur représentent typiquement le flâneur décrit par Baudelaire1. Ils sont solitaires et observent non pas la ville en elle-même, mais ce qui s’y passe. Pierre pratique l’errance urbaine.

« Parfois je mets ma musique sur mes oreilles et je marche n’importe où dans la ville, je me laisse porter, je me perds. Je le faisais surtout quand je vivais au Chili. Des fois je marche aussi sans rien ou je bois en marchant, en fin de journée. J’essaie de trouver des endroits qui sont au centre mais où il n’y a jamais personne. Ces endroits qui font peur à tout le monde, parce qu’il n’y a pas de convivialité, ils sont pensés pour que personne n’y vienne. Parfois c’est sordide, mais j’aime bien. En fait, tu joues avec les ambiances. Il y a des jeux de lumières, c’est apaisant. C’est seulement à certaines heures de la journée, les débuts de soirées avec ce ciel couchant et les lumières qui s’allument… C’est esthétique. J’aime cette ambiance éthérée, en attente. Ça a un côté temps arrêté…Un instant sacré ou quelque chose comme ça. », [Pierre, 24 ans]

L’errance est définie par Paola Berensteins-Jacques2 selon trois principes fondamentaux : la capacité de se perdre, la lenteur et « la prégnance de la corporéité »3, le corps de l’individu se confond avec celui de la ville. Lors de ses errances, Pierre boit parfois, se laisser aller à la musique et construit une « corpographie »4 particulière, c’est-à-dire une cartographie de la ville élaborée par son expérience corporelle. « Les errances urbaines seraient donc un type spécifique d’usage de l’espace public, qui n’ont été ni pensées ni planifiées par les spécialistes de l’espace urbain, et qui se situent en marge de l’urbanisme. Elles seraient aussi et surtout, par rapport à ce champ disciplinaire et de pratiques sur la ville, une posture particulière »5. L’errant est celui qui expérimente la ville de l’intérieur et qui interroge ses usages. Jean et Anne pratiquent la « dérive urbaine ». La dérive urbaine a été définie par Guy Debord en 19566. Ce procédé situationniste implique des règles et une préparation. C’est une technique qui consiste à passer par des ambiances, en suivant au hasard les formes de la ville et ses affects. La dérive est forcément urbaine, il s’agit de traverser les significations riches des centres. Elle peut se faire seul ou à plusieurs. C’est un exercice ludique et constructifs, qui demande, avant le départ, une certaine connaissance et interrogation sur l’espace, d’où l’usage de cartes. L’un des intérêts de cette démarche est l’élaboration d’une nouvelle sorte de cartographie, « une cartographie influentielle », qui donne du sens aux ambiances urbaines. Le cas d’Anne est

1 Baudelaire C., Le peintre de la vie moderne, Editions du Sandre, 2009, 105 p. 2 Berenstein-Jacques P., « Errances urbains », in Thomas R. (dir), Marcher en ville Faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Editions des Archives Contemporaines, 2010, 194 p. 3 Ibid., p. 143 4 Ibid., p. 142 5 Ibid., p. 141 6 Debord G., « Théorie de la dérive », in Lettres nues, n°9, décembre 1956.

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particulièrement intéressant. On aurait pu penser que cette forme de navigation qui suppose une acceptation du hasard, d’un laisser aller aux formes de la ville, impliquerait l’abandon du GPS. Or les règles de la dérive urbaine stipulent bien que l’usage de la carte est essentiel. De la même manière, quand Anne part en dérive, elle réfléchit à l’espace qu’elle va parcourir et emmène son GPS avec elle. Elle ne l’utilise que rarement pour garder une représentation de l’espace, pour construire sa propre cartographie en marquant les lieux qui lui semblent particulier.

« Quand je pars, je prends mon GPS avec moi. Je marche longtemps, parfois une heure, deux ou plus sans le regarder. Alors je me pose toujours la question : « tiens, cet endroit me parle, qu’est ce qu’il y a autour ? Où est-ce dans la ville ? Pourquoi c’est là ?... Et là je sors mon GPS. Je me dis pas où je suis, je m’en fiche, je suis pas là pour ça ! », [Anne, 40 ans]

La dérive d’Anne redonne alors aux ambiances et surtout aux lieux une importance forte, que le GPS soutient. Son usage ne relève pas d’une logique de consommation ni de situation de son propre corps, mais d’une logique de création d’une nouvelle cartographie personnelle de lieux. Le GPS est ici un marqueur qui permet l’appropriation de la ville par ses ambiances.

2-4 Le GPS, créateur de sérendipité Assez proche de cette idée d’attention accordée aux lieux, nous pouvons aussi considérer que le GPS est un outil de sérendipité. Edouard n’hésite pas à quitter le chemin prévu par le GPS pour se rendre, par exemple, au Passage Pommeraye indiqué sur l’écran. Les noms des commerces, des points touristiques et historiques de la ville qui sont indiqués par le GPS et plus exactement par Google Map, interpellent l’utilisateur. Ils l’amènent à faire des détours pour découvrir un lieu. Le GPS rend le marcheur curieux de l’espace qu’il traverse et lui donne des repères qu’il n’aurait pas eus sans lui.

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3- Les représentations communes de la ville Certaines représentations de la ville sont les mêmes d’un groupe à l’autre. Pour sortir du critère consumériste de la ville, nous traitons ici d’autres représentations communes aux deux groupes. Premièrement, la ville est avant tout un espace de liberté. De plus, les enquêtés ont formulé leurs représentations de la ville sur la base de son centre historique et animé. Enfin, elle est aussi subie.

3-1 La ville, un espace d’émancipation et de libération Pour Arthur qui a vécu son enfance et son adolescence dans une petite ville, en milieu rural, la ville résonne comme un espace d’émancipation de la vie familiale et de l’adolescence. C’est la possibilité de ne plus se libérer de la voiture des parents, c’est voir ses amis sans contrainte d’horaires. La ville réorganise les sociabilités, les émancipe des distances longues de l’espace rural. L’espace urbain n’est pas contraignant ; au contraire il réactive les activités et les déplacements : plus de sorties, plus de visites… À condition de maîtriser l’espace environnant, c’est-à-dire les codes spatiaux, les transports et ses principes de fonctionnement. Jean voit la ville comme une ressource de diversité inépuisable.

« Il y a des gens tous différents, des vies, des tas d’endroits, c’est riche. Je m’y sens libre parce que je n’y suis pas contraint. A Paris, par exemple, j’ai marché des heures, surtout la nuit, et j’ai toujours découvert quelque chose. », [Jean, 49 ans]

La marche, la diversité spatiale et sociale, l’émancipation de la famille sont autant d’éléments qui fondent la représentation de la ville comme espace de liberté. L’individu prend tout son sens dans la ville.

« Je crois que ce qui rend libre dans la ville, c’est tout ce monde, l’impression d’anonymat. Ça peut aussi mettre mal à l’aise, on peut ressentir une sorte d’absurdité… Mais dans le fond qu’on aime ou pas être en ville, l’idée est la même. On est un individu parmi d’autres et le regard de l’autre est le regard d’un inconnu, on est comme libéré du poids de la connaissance qui règne dans les petites villes où tout le monde se connaît. », [Anne, 40 ans]

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3-2 La ville, un centre animé 3-2-1 La ville, un grand parc d’attraction La ville est aussi considérée comme un espace de plaisir et de divertissement.

« La ville pour moi, c’est le centre, les commerces, les concerts et les potes. Je suis en quête de divertissements. », [Fabrice, 26 ans] « Pour moi c’est la proximité, la fête, les quartiers chics et pittoresques, les rues pavées, le marché, les bars. Quand je suis arrivé en ville, je pouvais voir qui je voulais quand je voulais, il me suffisait de marcher. C’est ça qui m’a marqué, je venais de la campagne. Plus besoin de voiture. Je pouvais profiter de la vie et m’amuser comme je le voulais. », [Arthur, 26 ans]

La découverte, l’exploration sont un plaisir pour Arthur. Il s’amuse à s’y perdre. La ville est un espace ludique, qu’on visite, qu’on admire ou bien dans lequel on s’amuse. Le GPS reprend cette dimension ludique des représentations de la ville. Les urban games, les jeux urbains sur Smartphone ou tablette numérique se développent de plus en plus. L’idée est de transformer la ville en terrain de jeu, d’y inscrire des règles pendant un temps. Certains sont géolocalisés et permettent d’articuler le plan du GPS avec l’espace de la ville. GPS Invaders, produit par Xilabs, est un jeu dans lequel des monstres apparaissent sur le GPS. Le joueur doit les éviter en se déplaçant dans la ville. Street view et Google Earth sont deux manières de faire du tourisme interactif, d’accéder à des lieux pour le plaisir. Un des enquêtés nous confie avoir utilisé Google Earth pour localiser des piscines privées et s’y baigner. C’est en cela que l’urbain est opposé à la campagne par nos enquêtés. Divertissement, consommation, activités, mouvement et liberté s’opposent à la tranquillité rurale.

« La ville, c’est les magasins, les activités, le mouvement, tu ne peux pas t’ennuyer. Par contre c’est stressant. Tu es sans cesse attiré par quelque chose. », [Yannick, 27 ans]

3-2-2 Le centre urbain Là encore, hormis pour Jean et Anne, la représentation des villes passe par le centre urbain. Pendant les deux parcours, les enquêtés se sont éloignés du centre historique à deux reprises. La première, pour rendre dans le quartier Saint Felix, au nord du centre et la seconde lorsqu’ils ont traversé le quartier Malakoff, au sud-est de la gare. Ces deux moments nous ont permis de constater que les quartiers périphériques du centre n’étaient pas entièrement intégrés dans la ville par les individus.

« …euh là, je ne sais plus où on est… C’est moche ces immeubles, je préfère être en ville. », [Arthur, 26 ans, pendant le parcours commenté accompagné, à Saint Félix]

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« Là, je ne vois pas l’intérêt d’être ici, on est dans du résidentiel, il n’y a rien, je n’ai plus l’impression d’être à Nantes, mais dans une zone résidentielle quelconque. », [Servane, 25 ans, pendant le parcours commenté accompagné] « Mon impression… euh… Et si on retournait en ville ? », [Edouard, 28 ans, pendant le parcours commenté accompagné] « Alors là, je me sens loin de tout, entouré de ces grands immeubles. L’ambiance est bizarre. Il n’y a personne… Je vais vite retourner dans le centre. », [Yannick, 27 ans, pendant le parcours en solitaire, à Malakoff]

Ces deux quartiers sont dominés par la fonction habitat. Le premier est un quartier de petites propriétés et de petits immeubles. L’autre au contraire est l’ancienne cité de la ZUP de Beaulieu récemment rénovée. Ces quartiers sont à 10-15 minutes du centre historique et pourtant les enquêtés pensent être en dehors de la ville et n’acceptent pas cet aspect « désertique », « où il n’y a rien à voir », parce que tout ce qui représente la ville est absent, le reste ne fait pas sens et par conséquent on perd ses repères. La représentation du centre-ville est fondée sur des éléments comme les rues piétonnes, les petites rues sinueuses, les magasins, les « beaux immeubles », c’est-à-dire le plus souvent anciens, des pavés, du monde, des places qui doivent être entourées de commerces.

3-3 Le passage obligé La ville est subie et appréciée pour ses fonctionnalités. C’est le cas pour Servane, qui souhaite quitter Rennes le plus tôt possible. Elle y est pour ses études. Ça n’a pas été un choix pour elle, mais une obligation de quitter la petite ville où vivent ses parents.

« Ce n’est pas un rejet de la ville, mais ce n’est pas un choix qui me plait je suis en ville pour mes études. La ville ça ne me parle pas. Peut-être que je vois les rues pareilles parce que je pense qu’elles le sont. Pour moi une rue de ville c’est du bâti, commerces, trottoirs. », [Servane, 25 ans]

Elle cherche ce qui « fait le moins ville » en ville : les arbres, les prairies, etc., tout ce qui lui rappelle la nature et qui est associé à la campagne pour elle.

« Je ressens toujours la même chose quand je suis dans une ville, un sentiment qui ne varie pas, contrairement à la campagne. Je suis traversée par plus de sentiments. La ville ne me crée pas beaucoup de sentiments. C’est pas que je n’aime pas ça, mais ça ne me crée pas d’émotions, sauf dans une belle ville comme Lisbonne, je m’émerveille devant tout. C’est plus par commodité que je me déplace en ville ou pour m’aérer. Ce n’est pas la ville qui me détend, c’est la marche. », [Servane, 25 ans]

La ville est forcément opposée à la campagne. Le discours contre la modernité accompagne la représentation de la ville. Une belle ville est celle qui a des bâtiments anciens, de la nature. Les villes contemporaines sont froides et peu rassurantes. Elles

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ne sont pas humaines, selon elle. Elle préfère les petites villes, les grandes villes ne sont pas assez « intimes ». Servane cherche dans l’espace un rapport de proximité, d’attachement. Elle tente toujours de retrouver ce rapport intime qu’elle ressent dans des lieux peu habité, où tout le monde se connaît. C’est pourquoi elle trouve Nantes sans intérêt.

« Le problème c’est que c’est dispersé, et je préfère quand c’est plus fermé, petit. La proximité, c’est plus chaleureux. », [Servane, 25 ans]

Servane est aussi celle qui a le plus de difficultés à se repérer. Peut-être y-a-t il un lien entre son rapport à la ville et ses compétences de repérage ? D’une autre manière, Yannick nous parle aussi d’un aspect urbain qu’il rejette : le stress. Il y fait référence en plusieurs points : la circulation ; Yannick est commercial et imagine tous ses déplacements en voiture. Pour lui, une ville comme Nantes est stressante en voiture ; ensuite, la difficulté à se repérer ; enfin l’omniprésence des citadins. Nous avons décrit quatre représentations urbaines qui peuvent être communes aux deux groupes d’enquêtés : la ville émancipatrice, la ville centre, la ville divertissante et enfin la ville subie. Nous avons considéré la ville consommable et la découverte urbaine comme deux manières de pratiquer la ville que les groupes pouvaient partager. Nous concentrons à présent notre analyse sur la manière dont le GPS, ses usages et le sens qu’on lui donne change les représentations de l’espace de ses utilisateurs.

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Parcours commenté accompagné de Yannick

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4- Maîtriser l’espace avec le GPS Une de nos hypothèses de départ considérait le GPS et le Smartphone comme des outils rassurants pour leur utilisateur. Nous pensions qu’ils permettaient aux individus d’accéder à un espace encadré et maîtrisé. Nous entendons par « maîtrise de l’espace » le sentiment rassurant de ne pas pouvoir se perdre et de pouvoir rapidement s’approprier l’inconnu et l’imprévisible. La navigation spatiale est plus ou moins évidente selon les individus. Nous traitons la question de la maîtrise de l’espace à travers plusieurs points. Nous amorçons la réflexion en décrivant la manière dont les individus préparent le voyage et ce que le GPS change à cette préparation et au reste du trajet. Nous abordons ensuite le GPS comme un outil d’aide à l’engagement dans la mobilité.

4-1 L’espace du GPS au centre de la mobilité 4-1-1 La préparation au voyage Pour mieux comprendre la navigation urbaine, nous avons interrogés nos enquêtés sur leur préparation au « voyage », c’est-à-dire les étapes qui précèdent le trajet. Lors cette préparation, tous les enquêtés utilisent Google Map. Servane est la seule à se servir systématique d’un plan papier en plus du plan virtuel et des indications de son entourage.

« Google Map, c’est plus facile, plus rapide et plus adapté à toi. Tu tapes une adresse, ou même juste le nom d’un lieu et c’est bon. », [Servane, 25 ans]

L’outil mobilisé varie selon la nature du trajet. Un voyage à l’étranger, un trajet touristique amène les individus (TIC et non TIC) à utiliser un plan. Le plan papier est un objet ludique.

« La carte papier c’est plus un plus gadget, c’est le plaisir de faire et revoir ensuite son trajet. Ça laisse une trace. Pour les vacances c’est génial. », [Yannick, 27 ans]

Pour les trajets quotidiens ou occasionnels, Google Map ou Michelin sont les ressources auxquelles les individus font appel. L’idée de gadget n’est plus associée au Smartphone; c’est à présent la carte l’objet « inutile » mais amusant. Dans les représentations, elle ne sert plus qu’à immortaliser un trajet et qu’à laisser une marque concrète d’un passage. Mais les sites de cartographie interactive sont pour tous les enquêtés le moyen le plus fiable de prévoir un trajet

« Tu peux zoomer, on te calcule le temps, tu peux savoir combien d’essence tu vas utiliser, avoir des idées du lieu où tu vas… Même si en fait, c’est pas ce que je préfère, j’aime bien garder la surprise. […] J’utilise Google Map surtout quand j’ai un impératif de temps, quand je dois aller chez le médecin et que je

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ne sais pas par quel chemin passer. Ensuite je marque les rues principales, les grands axes et c’est tout, ça me suffit. » [Yannick, 27 ans]

Le plan interactif est préféré dans ce sens qu’il permet d’organiser rapidement le déplacement. L’important pour l’utilisateur est que les indications indispensables au trajet soient données dans l’instant. En ce qui concerne Google Street View, les individus n’en ont pas une utilisation automatique. Les enquêtés l’utilisent pour se « balader » ou par curiosité. La balade peut être une découverte touristique virtuelle, ou bien un repérage pour un futur lieu de vacances, ou de visites. Google Street View (GSV) sert aussi à visualiser les lieux d’un rendez-vous pour ne pas se perdre sur le chemin. Cette ressource d’information paysagère apparaît à deux étapes du voyage. Pendant la préparation mais aussi pendant le voyage, pour valider sa position et affiner la recherche d’une adresse une fois engagée dans une rue par exemple. Les photographies en 360° de l’espace servent de repères parlant pour l’individu. Cependant le recours à GSV arrive en dernier recours le plus souvent. Si le GPS ne suffit plus à se repérer, s’il n’y a personne à qui demander le chemin. C’est à ce moment que l’individu visualise et cherche dans l’espace de GSV pour se localiser. La présence du GPS provoque deux réactions lors de la préparation au voyage. Soit il l’allège, le temps qui lui est consacré est moins long, parce que l’on peut observer le trajet en temps réel, soit, au contraire, il le rallonge. Yannick passe beaucoup de temps à vérifier et préparer ses trajets. Il utilise le GPS de manière compulsive. L’outil mobile favorise le besoin continuel de vérification de la localisation. Cependant même à l’étape de la préparation au voyage, Yannick calcule précisément son parcours. Les plans interactifs ne font qu’augmenter son besoin de maîtrise du trajet. Nous ne disons pas que le GPS est la source de cette attitude. Yannick présente une forte anxiété spatiale, qui est peut-être due à son métier de commercial. Les rendez-vous doivent s’enchaîner parfaitement dans son planning et il doit calculer et maîtriser l’espace pour ne pas se perdre. Les habitudes de mobilité influencent certainement la représentation de l’espace des individus. Le fait de conduire favoriserait le système de repérage avec les grands axes urbains. L’outil rassure l’enquêté et, paradoxalement, entretient cette anxiété spatiale. Le repérage dans l’espace lors de la préparation se déroule de plusieurs manières. C’est un effort de mémorisation du trajet. Rappelons que nous parlons d’espace de la découverte. Nous distinguons deux représentations : celle « vue d’en haut », celle « vue d’en bas ». A cette étape, l’usage du Smartphone ne change rien aux représentations. Pour certains, il s’agit de se repérer avec les grands axes. C’est la première étape dans la prise en main de l’espace. Ils construisent un réseau de base duquel découle le cheminement vers le point d’arrivée1.

1 Ce système de repérage est exploré par Jean Pailhous avec le cas des chauffeurs de taxi dans La représentation de l’espace urbain : l’exemple du chauffeur de taxi, PUF, Paris, 1970, 102 p.

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« Je prépare mon trajet soit sur le portable, soit sur l’ordinateur. Et là, j’essaie de me repérer par rapport à des noms de rue que je connais. La plupart du temps, je vais dans des rues paumées, donc j’essaie de repérer les deux, trois rues les plus importantes et après des notions toutes bêtes : première à droite, après je tourne à gauche. », [Yannick 27 ans]

D’autres parviennent à photographier l’image morphologique de la ville en regardant un plan avant de partir.

« Quand je prépare mon trajet, je prend un plan ou un carte Google Map, souvent c’est Google parce que je peux l’avoir tout de suite sous la main. Je regarde et j’enregistre les formes des rues, je me positionne, je fais le trajet dans ma tête et c’est bon c’est enregistré. », [Anne, 40 ans]

« Quand je dois aller quelque part, je ne prépare pas beaucoup. Je regarde un plan Google Map et je le mémorise », [Jean, 49 ans]

Ces première vues de la ville consistent en des vues « d’en haut ». D’autres enquêtés mettent la priorité sur les points de repère. Quelques soient les représentations de l’espace, les individus ont le réflexe de se pencher sur un plan interactif, c’est-à-dire sur une vue globale de la ville et cela qu’ils savent ou pas lire le plan. C’est un premier contact rassurant avec l’espace qui amorce le mouvement.

4-1-2 Passer de l’espace énigmatique à l’espace du contrôle avec le GPS

« Avec le téléphone, tu as tout à portée de main, c’est simple de bouger. Tu as la ville pour toi. La ville seulement, en campagne ça ne sert à rien, juste pour trouver ton chemin », [Arthur, 26 ans]

Le GPS cristallise les principes d’organisation de la société urbaine postmoderne : l’accessibilité, l’instantanéité, la rapidité et l’anticipation, la possibilité d’agir dans l’instant présent sans temps mort, le mouvement perpétuel. Il n’est plus seulement un outil d’aide à la navigation. C’est un moyen d’accéder à la ville. Pour les non-usagers, l’espace prend des allures plus mystérieuses, il interroge, il est énigmatique.

« L’énigme des gens qui n’ont pas de GPS, c’est de savoir si t’as bien pris la bonne route. Tu choisis une route et arrivé au milieu tu te demandes si c’est la bonne. T’es tenté de faire machine arrière mais tu peux savoir qu’une fois arrivé au bout. Parfois tu fais demi-tour avant de savoir et tu t’en veux encore plus après. », [Arthur, 26 ans]

Le piéton avance à tâtons, sans être sûr du chemin. Le GPS apporte l’assurance de vérifier instantanément, de ne plus attendre, d’être rassuré sur le champ. Chez les non-usagers, il faut attendre un point de ressource (un plan ou une personne). Durant ce délai, l’espace interroge et offre plus de possibilité à l’imagination et au hasard. Le non-

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usager développe des tactiques d’anticipation. Il cherche des indices dans l’environnement ; lorsqu’il trouve un plan, il cherche le prochain point d’accroche mais aussi ceux qui suivent et garde l’information en tête. Le GPS réduit, pour certains et selon l’usage qu’on en a, cet effort de mémorisation.

« On arrive pas loin de la place de la bourse, j’ai vu l’hôtel de la bourse. », [Arthur, 26 ans]

Le GPS change la manière d’appréhender l’espace en ce sens qu’il le rend plus sécurisant et maîtrisable. L'individu n’est plus dans un espace incertain. La relation à l'espace et au monde est encadrée par cet outil de connexion au territoire et à un réseau relationnel. Être seul et dans l'inconnu n'existe plus. Mais, dans le même temps, l'outil entretient cette relation anxiogène avec l'espace. Le fait d'être accompagné pour un objet technique qui relie l’individu à son propre monde lui rappelle sans cesse qu’il en est séparé physiquement. En nous coupant du monde, en étant entre nous et le monde, l'outil amène à se représenter l'espace comme étant insécure. La découverte en tant que telle n'est plus possible. L'outil fixe les règles de notre rapport au monde. Les utilisateurs ont conscience de perdre des liens fondamentaux avec l’espace mais en contrepartie gagne ce sentiment de sécurité, gagnent de la vitesse... Même si ce n’est pas toujours le cas:

« Avec le Smartphone et le GPS tu peux aller direct au but. Tu prends moins le temps de regarder autour de toi, tu loupes des choses, mais question rapidité, il y a pas mieux. », [Yannick, 27 ans]

4-1-3 Du sentiment d’impossibilité de se perdre Lors de la découverte d’un espace, l’absence de familiarité, la méconnaissance des lieux et le manque de repère sont des éléments fondamentaux de l’anxiété spatiale1. De là, peuvent découler les erreurs de navigation. Un individu qui ne connaît pas l’espace parce qu’il présente des codes inconnus, ou parce qu’il n’a pas l’expérience du voyage, peut perdre sa capacité rationnelle d’observer l’environnement et de prendre la bonne direction. La perte procure une gêne vis-à-vis de l’autre, celui qui sait.

« Quand je me perds je rigole, je me trouve ridicule, surtout que c’est répétitif. Je me sens bête… Un peu comme quand je suis toute seule à attendre. Quand tu es seul tu as peur d’avoir l’air bête. Tu as peur que les gens pensent que tu attends quelqu’un, peur que les gens te regardent… », [Servane, 25 ans]

La relation à l’espace ne consiste pas seulement en un lien entre l’individu et l’environnement. Autrui est un repère, qui peut être considéré comme une aide ou à l’inverse comme une gêne ou encore comme un point de référence qui conditionne notre manière d’être. Le GPS rassure et donne surtout le sentiment de ne jamais être perdu. Bien qu'il soit en réalité possible de se perdre avec cet outil, il est toujours possible de localiser sa position, de savoir où se trouve le lieu recherché, de savoir où

1 Sur ce point voir : Chang H. H. « Wayfinding strategies and tourist anxiety in unfamiliar destinations », in Tourism Geographies, 2012, p. 1-22.

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est l’autre. Même si l’usager ne parvient pas à mettre en relation le point localisé et l’espace concret de la ville, il prend conscience que ce point qui le représente se trouve quelque part. Cet élément prime.

« Quand je me perds, ça m’arrive, je me dis que au moins mon GPS sait où je suis. Alors même si je ne parviens pas comprendre où je suis, déjà il y a ce petit point. », [Anne, 40 ans]

Selon Angelique Del Rey et Miguel Benasayag, le téléphone n’accompagnerait pas le néo-nomadisme, mais sédentariserait les déplacements1. Le fait de pouvoir rester connecté à l’autre, de préserver le connu et de pouvoir agir à distance sur son espace, transformerait la forme des déplacements. La mobilité perdrait, en quelque sorte, de son caractère mobile, c’est-à-dire l’idée d’être séparé d’autres espaces. Cette ubiquité que nous procure le téléphone alimenterait « le sacrifice de l’instant ». Chaque instant servirait à prévoir le prochain, les individus refusant de vivre la situation présente puisque tout serait vécu dans la projection. Les auteurs parlent de la « virtualisation du temps », c’est-à-dire l’illusion de la simultanéité et dans le même temps la négation de la situation. Il provoquerait de plus une angoisse de rater un moment précieux. En faisant référence à la castration symbolique, en psychanalyse, les auteurs décrivent cette angoisse comme la peur de ne pas tout avoir, de rater le tout. Le mobile crée cette névrose en donnant l’illusion permanente que nous sommes à un endroit et qu’ailleurs se passe autre chose à laquelle nous ne pouvons assister.

« Tant que j’ai mon téléphone, je ne suis pas perdu. », [Edouard, 28 ans] 4-1-4 Un espace multi-formes : savoir surfer et mettre en commun deux

espaces La mise en relation du plan du GPS et de l’espace physique demande un effort aux enquêtés. Il arrive que les usagers ne parviennent pas à mettre en cohérence les deux espaces. Ils s’aident de la morphologie des rues, de leur nom. Mais ces éléments ne sont pas forcément suffisants pour comprendre le plan du GPS. Dans ce cas, les enquêtés se tournent, commencent un cheminement en suivant l’avancée du point affiché et rebroussent chemin quand ils s’aperçoivent que le point quitte le trajet prévu par le GPS. La maîtrise d’une image qui bouge avec la personne n’est pas facile. Comprendre l’information du GPS relève donc d’une certaine compétence. Si le repérage dure trop longtemps, l’appareil est mis de côté au profit d’une autre aide.

« Suivre le trajet du GPS, c’est pas toujours évident. Parfois je ne vois pas le rapport entre le plan et la rue. Dans ce cas, je demande aux gens. », [Anne, 40 ans]

1 Op. cit., Del Rey Angélique et Benasayag Miguel, p. 8.

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4-2 Être maître de ses déplacements : le GPS un outil d’engagement dans la mobilité

4-2-1 Entre mobilité active et mobilité passive La mobilité active, contrairement à la mobilité passive, désigne la manière dont les individus entreprennent leurs trajets. Ils sont actifs lorsqu’ils prennent les décisions de repérage, de cheminement. Ils sont passifs, lorsqu’ils se laissent guider par les autres, et n’ont pas le reflexe de prendre des initiatives de direction. Les « enquêtés TIC » sont actifs lors du déplacement. Ils ont cette ambivalence de confier une partie, voire pour certains, tout le trajet, au GPS, mais gardent le contrôle sur le parcours. Le GPS donne à celui qui le tient, le rôle de référent lors des déplacements accompagnés.

« C’est moi qui gère quand on bouge. Comme je suis le seul à avoir un Iphone, tout le monde compte sur moi. Et je sais que je n’ai pas le choix. », [Fabrice, 26 ans]

En contrepartie, les usagers ont le sentiment de se reposer sur l’objet, d’où l’impression de perte de compétence.

« J’ai une confiance aveugle en mon GPS. Avec lui je me laisse guider, c’est simple. Mais ça fait peur quand, parce que sans lui, maintenant, je ne pourrais pas refaire certains trajets, c’est sur », [Anne, 40 ans]

Chez les non-usagers, seule Servane ne prend pas activement partie à sa mobilité. Elle compte davantage sur la présence de l’autre. Pendant le parcours commenté accompagné, elle répète tout le long du chemin qu’elle ne sait pas par où aller.

« Inconsciemment, je compte sur toi, je sais que je ne suis pas seule, ça me rassure dans les directions à prendre. […] Je ne suis jamais sûre en fait, je vais souvent au hasard. […] On arrive aux machines [de l’île] mais si tu ne m’avais pas demandé j’aurais pas fait gaffe. J’avais oublié qu’on allait aux machines. Je ne suis pas active, tu es là. Je me laisse mener. Quand je sens que les gens en ont marre de faire pour moi, je fais. », [Servane, 24 ans]

En effet, pendant le parcours en solitaire, Servane parvient à trouver son chemin, notamment grâce aux passants qu’elle interroge. Pierre, Jean et Arthur sont, eux, très actifs. Nous ne disons pas qu’il faut avoir un GPS pour s’engager activement dans la mobilité. Néanmoins, l’appareil rend actif ceux qui le possèdent. Il crée l’envie du voyage, l’envie de prendre le trajet en main.

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4-2-2 L’enhardissement de soi grâce au GPS Nous pouvons affirmer que le GPS, même s’il peut entretenir chez certains le rapport anxiogène à l’espace, contribue à enhardir son utilisateur et à augmenter sa mobilité. L’outil cadre le trajet et désinhibe l’individu de ses difficultés à comprendre le fonctionnement spatial de la ville. Le GPS et le Smartphone donnent des compétences aux individus : celle d’être plus sûr du chemin, de pouvoir être connecté avec l’autre, de pouvoir gérer l’imprévu. Ces compétences favorisent la mobilité.

« Sans aucun doute, je me déplace plus depuis que j’ai mon GPS. J’ai le sentiment de pouvoir aller n’importe où sans inquiétude, sans me perdre. Du coup J’ai plus envie de me déplacer », [Anne, 40 ans]

« Le GPS, ça a changé ma vie. Je ne me perds plus, je gère tout au dernier moment. C’est super ! Je bouge beaucoup plus qu’avant, parce que ça facilite la vie. Quand je suis dans un endroit et que je veux aller ailleurs, je sais que je peux », [Fabrice, 26 ans]

4-2-3 De l’autonomie à l’individualisation des trajets : créer une ville à soi Une autre compétence acquise par le GPS et le Smartphone est l’autonomie durant le voyage. Les quatre enquêtés équipés ont moins demandé leur chemin aux passants. Ils ne sont pas servis des plans disponibles dans la ville, sauf ceux des transports. Ils ont préféré prendre plus de temps sur le GPS. Ce gain d’autonomie est précieusement gardé et entretenu. Il est indéniable que l’autre prend moins de place dans le cheminement des usagers. Ce gain d’autonomie est d’autant plus satisfaisant qu’il s’accompagne d’une personnalisation de l’information. Anne fait certes référence au côté standardisé du GPS, mais le fait d’être géolocalisé donne accès à des données centrées sur l’individu1. La cartographie de l’usager est personnelle et peut ensuite être partagée et la ville devient personnalisée et personnalisable, en témoigne l’expérience de dérive d’Anne (cf. p. 56-57). Le GPS est donc un outil qui permet d’acquérir des compétences et une sécurité qui augmente les mobilités individuelles. Il remet aussi le lieu au centre de la mobilité. Pouvoir passer du GPS à l’espace physique, pouvoir marquer un lieu comme point de repère… Ces actions permettent à l’individu une appropriation du lieu.

1 Sans réduire le Smartphone géolocalisé à ses perspectives commerciales, Antoine Picon met en avant une cartographie de la ville individuelle grâce à laquelle l’individu visualise ses propres pérégrinations. Il fait référence au travail des situationnistes pour qui la ville est avant tout perçue. (Op cit. Picon Antoine, 2009, p. 20)

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Parcours commenté en solitaire d’Anne

ville. Le GP

« J’aime explorer la ville. Le GPS m’aide beaucoup pendant mes explorations »

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5- Lire la ville avec le GPS : une autre manière de s’approprier l’espace

Le Smartphone est un espace numérique sur lequel il est possible de se projeter facilement. Il est visible et lisible, pour peu que l'on sache décoder la matrice donnée. Il permet d'exprimer ses fantasmes, rêves et désirs. C’est un espace miroir dans lequel il est facile de partager ses idées. Nous abordons ce qui permet aux individus de comprendre la ville à travers le sens qu’ils donnent et qu’ils ont de l’environnement. Nous revenons aussi sur les systèmes de repérage et le rôle du GPS. Nous consacrons ensuite un temps aux « autres » comme élément d’aide à la lecture de la ville. Enfin, nous nous arrêtons sur le moment du transport collectif comme un temps à part du voyage.

5-1 Donner du sens à l’espace et ses lieux Nous débutons ce point par des éléments de généralité qui concernent les deux groupes, pour ensuite nous concentrer sur les effets du GPS.

5-1-1 Etre familier avec l’espace Par familiarité nous entendons le fait de connaître la ville en elle-même, mais aussi le fait de connaître les codes et l’organisation spatiale des villes. Servane se sent plus en sécurité dans les villes françaises, parce que les codes socio-culturels, les signes sont visibles et acquis. Elle explique son manque d’attention au repérage par cet effet de connaissance. Lorsqu’elle est perdue, elle ne l’est pas entièrement. Elle peut aller vers les autres, trouver des indices dans l’espace qui auront du sens. De la même manière, Arthur fait référence à la familiarité des villes avec les formes urbaines.

« La ville, j’y vais au feeling. Je pense que les villes guident inconsciemment : la taille des rues, les commerces, la foule… Je sais pas trop comment expliquer… mais parfois quand tu cherches un truc, tu sais que c’est par là. », [Arthur, 26 ans]

La morphologie des villes est un système élaboré que les individus intègrent. En mobilisant les formes urbaines des villes qu’ils connaissent ils peuvent faire des ponts, des liens logiques entre ces formes et la ville qu’ils découvrent. Ils intègrent à leur découverte des images urbaines mémorisées, des connexions entre des espaces.

« Place du Commerce ? Je dirais par là. Les rues sont un peu plus grandes, elles doivent mener à une place. Je pense que place du Commerce c’est une grande place, donc j’imagine qu’on va tomber sur des grands magasins… », [Jean, 49 ans]

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Les représentations de l’espace sont aussi structurées par des logiques : rues piétonnes=centre ; élargissement des rues piétonnes = grande place = magasins chics = architecture etc. Selon l’utilisation que l’on a du GPS, il peut intervenir dans ce raisonnement de lien spatial. Si Edouard cherche son chemin en laissant souvent de côté l’appareil, Yannick suit le GPS sans commenter ni déduire par où il doit aller.

5-1-2 La pratique d’une ville La ville s’approprie et prend sens avec sa pratique. Cette pratique de la ville consiste à connaître les endroits qu’on fréquente, concerne tout le monde. Mais pour Servane le repérage dans la ville n’est pas évident. Elle peut y parvenir seulement lorsqu’elle a suffisamment pratiqué l’espace. Elle parle de « mémoire de l’expérience ».

« Avec la pratique, j’arrive quand même à faire le lien entre les séquences. C’est en me trompant que j’y arrive à la fin, à force d’échec, j’enregistre. Il faut que je repasse souvent au même endroit pour visualiser les choses, sinon je confonds tout. Est-ce un manque de concentration ? Un besoin de plus de temps ? », [Servane, 24 ans]

Le repérage est fortement lié chez Servane au rapport affectif avec l’espace. Servane subit la ville. Elle tente d’y construire un lien intime fort, ponctué par l’habitude. C’est lorsqu’elle recrée ce lien que l’espace fait sens pour elle et qu’elle parvient à retenir les éléments qui forment un lieu et la manière d’y aller. Voilà pourquoi à Nantes, Servane a l’impression de perdre ses repères. Elle perd non pas les repères spatiaux, puisqu’elle ne se perd pas. Mais elle perd ses repères affectifs. Son système de repérage est fortement dominé par l’affect, sans cela, il est « défaillant » selon ses propres mots. Sa perception de ses capacités de repérage augmente ses difficultés. Elle ne se fait pas confiance et se tend même ses propres pièges1.

« Comme je sais que je suis nulle, quand je me dis que c’est par là, je vais dans l’autre sens, comme ça je suis sûre d’y arriver. », [Servane, 24 ans]

5-1-3 Les expériences urbaines et les souvenirs : outils de déchiffrage de la ville Proche de l’idée de familiarité, l’aisance avec laquelle l’individu se déplace dans une ville qu’il ne connaît pas, vient de son expérience urbaine. Servane est peu mobile et Yannick pratique une mobilité particulière, il se déplace en voiture et dans les zones artisanales et industrielles pour son métier. Ce sont les deux enquêtés qui ont le moins l’habitude de pratiquer l’expérience du voyage en ville. Or nous remarquons qu’ils sont ceux qui doutent le plus pendant les parcours. Les autres enquêtés voyagent beaucoup et surtout dans des villes. Ils acquièrent très vite des repères ou des signes qui font sens. Cette expérience apporte aux individus une maîtrise des codes qui serviront à déchiffrer l’espace inconnu.

1En 2013, Hsuan-Hsuan Chang conclut que le repérage est fortement influencé par la perception que l’individu a de ses difficultés à se repérer.

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Un autre outil de déchiffrage et de mise en sens de l’espace est la mobilisation des souvenirs. Elle va permettre de faire des liens affectifs entre un lieu et un événement et un nouvel endroit.

« La scène Michelet ! J’ai des potes qui ont joué là ! C’est une scène reconnue pour les artistes qui commencent, comme le Mondo Bizzaro à Rennes. », [Arthur, 26 ans] « Ce pont m’a fait penser à un pont à Budapest. Quand tu vas dans un endroit étranger, tu mobilises ce qui te parle, tu recherches là ce que tu trouves dans les lieux qui te sont chers. », [Servane, 24 ans, Pont Aristide Briand] « Cette place me fait penser au petit square qu’il y a avait en bas de chez moi quand je vivais à Paris. », [Jean, 49 ans, place de la Bourse]

Cette mobilisation des connaissances permet de comparer les lieux connus avec ceux que l’on découvre. Ce lien sert à l’élaboration du système de points de repère individuel. D’ailleurs, Arthur fait bien apparaître la Scène Michelet sur sa carte mentale (cf. p. 95).

5-1-4 La projection de l’habiter : « J’aimerais habiter là » Tous les enquêtés ont évoqué leur désir ou non d’habiter à Nantes et un des quartiers parcourus. La découverte d’une ville nécessite de s’y projeter. Le réflexe est de considérer si on pourrait ou non y habiter. La représentation que les individus ont d’un espace passe par l’habiter

« C’est moche ici, ça n’a rien de charmant, j’aimerais pas habiter ici, ça fait vieux, les couleurs, les bâtiment. Je vais même prendre une photo du genre de quartier dans lequel je n’aimerais pas vivre. Moi, j’aime vivre dans les centres, là c’est excentré, loin des commerces… », [Arthur, 26 ans, dans le quartier Saint Félix]

S’imaginer vivre dans un endroit est une des entrées de l’appropriation et de la mise en sens de l’espace. Cette projection renvoie aux représentations de la ville qui, pour nos enquêtés, ne doivent pas être réduites à une simple fonction d’habitat. En s’y projetant ou pas, ils réaffirment que la ville est pour eux un espace multiple.

5-1-5 L’architecture parlante L’architecture, la forme du bâti sont des éléments porteurs de significations et de représentations fortes. Quand nos enquêtés découvrent le quartier Malakoff, ils réagissent de la même manière. L’endroit est plus désert que le centre-ville. Ils sont face à de grandes tours qui leur donnent l’impression d’être dans une « cité ». L’endroit est pour eux peu rassurant. Le quartier a pourtant été entièrement réhabilité et ne présente aucun risque. Pourtant l’aspect du bâti provoque en eux un malaise. De plus, ils sont seuls, l’enquêteur n’est pas présent.

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« Ziva c’est la cité ici… », [Arthur, 26 ans] « Euh… où tu m’emmènes là ? C’est quoi cet endroit, c’est pas super rassurant…J’ai un peu peur quand même… », [Yannick, 27 ans, s’adressant à l’enquêteur]

L’architecture est porteuse de sens. Les tours de Malakoff renvoient forcément dans les représentations de la ville au « cité » des banlieues « chaudes », alors qu’il n’en est rien. La fonction accordée à un bâtiment peut aussi être considérée comme incohérente avec son architecture. C’est ce que relève Fabrice en découvrant la Fnac, place du Commerce.

« Le palais de justice devrait être là où est la Fnac ! Ce serait plus approprié ! », [Fabrice, 26 ans] « C’est marrant ils ont réhabilité des vieux bâtiments en magasin. C’est mieux quand c’est plus typique, traditionnel. », [Arthur, 26 ans]

Cette incohérence interpelle et fait ensuite partie des lieux gardés en mémoire.

5-1-6 L’espace signifié Nous nous concentrons à présent sur le rôle du GPS et du Smartphone dans la lisibilité de la ville. Avec le Smartphone, la ville est plus lisible et compréhensible. Centrée sur l’individu, elle offre un panel de possibilités que le GPS et les cartes communautaires rendent réel.

« Quand j’arrive dans une ville que je ne connais pas et même une ville que je connais, si elle est grande, je ne sais pas quoi faire, où aller… Du coup je sors mon couteau suisse et là je vois tous les endroits qui pourraient me plaire », [Fabrice, 26 ans]

Le GPS rend possible l’engagement dans la ville. Il n’est pas simplement un outil technique qui retire des compétences, il en donne et permet à son utilisateur de construire un espace qui a du sens. De manière instantanée, la ville devient cohérente avec les goûts et les attentes de chaque individu. L’outil permet d’accéder à la ville avec un bon ciblage. Il donne de l’information, il permet de la stocker et de marquer les lieux. L’utilisateur peut créer un réseau de lieux personnalisés, qu’il peut partager avec d’autres. C’est en cela que le GPS renouvelle notre relation et notre représentation de l’espace. La ville est partageable, elle peut être vécue à plusieurs sans qu’il y ait cospatialité. La ville est structurée par le trajet du GPS mais les lieux y sont centraux. Le GPS redonne au temps et au lieu une place centrale dans l’appropriation de l’espace.

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5-1-7 De la lisibilité spatiale à la réappropriation territoriale : retrouver l’échelle humaine de l’action.

Le Smartphone et le GPS permettent de s’approprier une ville dont la complexité, due à sa taille et sa diversité, rend sa lecture et sa pratique parfois impossibles. Ils sont une manière de redécouvrir et d’explorer l’espace. Le Smartphone et le GPS ne sont pas des formes d’aliénation et de déconnexion au territoire. Ce sont de nouveaux connecteurs sociaux et territoriaux. Un Smartphone fonctionne comme une plateforme qui organise les actions individuelles par rapport à celles des autres et par rapport aux lieux. Il n’est pas le seul moyen de créer l’interaction, mais il suit et accompagne les changements de rythmes et d’organisation territoriale des individus. La ville est plus lisible, plus maitrisable et compréhensible. Elle est reconsidérée à travers une échelle humaine, un référentiel personnel. Le GPS permet de dépasser l’échelle spatiale de la ville et de reconstruire un rapport territorial à l’espace. L’un des enjeux du GPS est la relecture du territoire à travers des significations personnalisées, qui vont permettre l’action et la pratique de la ville. L’espace du Smartphone est un espace sur lequel il est possible de se projeter, d’exprimer ses fantasmes, ses idées, ses avis… C’est un espace sur lequel les individus peuvent inscrire leur personnalité. C’est un espace de libre choix, puisqu’il est maîtrisé. En passant par lui, l’outil va permettre de recréer un lien fort avec l’espace physique1.

5-2 Savoir se repérer, les atouts du GPS 5-2-1 Se situer, une nécessité et un réflexe chez les utilisateurs du GPS Internet rend son importance à la situation. Dans la société en réseau, il n’a jamais été aussi important d’être bien situé. Internet repose sur la localisation. « Les téléphones sont devenus de puissants dispositifs techniques qui assurent la connexion et la contextualisation spatiale. […] Se situer est en effet l’une des fonctions élémentaires de la géolocalisation. Elle permet de contextualiser une carte, de l’égocentrer, de simplifier son usage et sa lisibilité. Aussi la carte représente une étape élémentaire, qui permet de nous situer dans un environnement plus large, composé de multiples réalités. […] La convergence d’Internet, de la téléphonie mobile et de la géolocalisation est donc un puissant dispositif de virtualisation des territoires »2, c’est-à-dire d’accroissement du potentiel et de la lisibilité des espaces. Notre enquête montre que le GPS donne à son utilisateur le besoin de toujours pouvoir savoir où il se trouve. Pour certains enquêtés comme Yannick, se situer devient un réflexe..

1 C’est ce que Boris Beaude décrit en parlant d’Internet. C’est un espace de synchorisation, qui permet de mettre en commun des actions et des individus dispersés. En outre, Internet permet une hybridation de l’espace en complétant l’espace matériel de tout son potentiel interactionnel. L’hybridation ne veut donc pas dire mélange de deux espaces mais complexification de notre être au monde1, dans Internet changer l’espace changer la société, Editions Fyp, coll. Société de la connaissance, 2012, p. 219. 2 Ibid. p. 221

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« Là, je vérifie si je suis bien sur le chemin… » ; « Voyons voir où on est… » ; « Il faut que je regarde où je suis sur le plan »

Ces phrases reviennent fréquemment pendant les parcours des quatre enquêtés équipés. Le GPS rassure. Mais il permet aussi de renforcer le lien avec l’espace. En visualisant sa position, l’utilisateur prend conscience de la place qu’il a dans l’espace. Il en fait partie. La place devient un enjeu dans le rapport à l’espace1. À l’inverse, Servane ne parvient pas à trouver sa place et à se situer.

« Je me sens nulle part, pas située, je ne peux pas te dire dans quel sens je suis. Je pourrais me perdre, tout dépend de l’endroit où je dois aller. Je ne me rends pas compte d’être au nord du point de départ. », [Servane, 24 ans]

5-2-2 Les différents systèmes de repérage des individus La capacité à se situer dépend aussi du système de repérage. Un système de repérage est personnel. Il combine des éléments de représentations collectives mais aussi des éléments uniquement liés à la personne, à son parcours de vie, ses goûts… Chacun élabore une structure qu’il mobilise à chaque déplacement, ou bien dés lors qu’il fait référence à un lieu. Il y a une hiérarchie propre à chaque individu dans les points de repère et la mise en place de tactiques pour se repérer. On peut mobiliser le bâti, la forme de l’espace, le plan, l’aide aux passants, les couleurs ou encore la végétation, comme Servane. Ses cartes mentales. lSes prises de photographies montrent que les arbres, les oiseaux et les passants apparaissent comme des points de repère très significatifs. Tous les enquêtés ont une base de repérage fondée sur les bâtiments administratifs, les places et lieux emblématiques d’une ville comme le clocher, les grandes infrastructures comme les ponts. Pour Arthur, c’est notamment la gare qu’il prend pour premier point de repère. Elle symbolise l’entrée et le départ d’une ville.

« C’est le lieu par lequel on arrive et on repart facilement. », [Arthur, 26 ans]

1 Ceci n’est pas sans rappeler la thèse de Michel Lussault selon laquelle l’espace et la manière dont on l’occupe sont fondamentaux dans les rapports de pouvoir et la construction identitaire. Lussault M. , De la lutte des classes à la lutte des places, Grasset, Coll. Mondes vécus, 2009, 221 p.

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Parcours commenté accompagné de Servane

« Ce qui me parle ? Les couleurs, les arbres, les éléments naturels et anciens dans la ville. Il faut que le lieu me paraisse atypique pour que je puisse m’en souvenir »

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L’autre élément de base du paysage urbain est la station de bus, de métro et de tramway. La trame des transports en commun d’une ville est une ligne sur laquelle se trouvent tous les points de repère qui structurent la ville des piétons. Ce sont, par exemple, les noms des arrêts qui vont remplacer le nom des lieux et des rues. Ce seront les points de rencontre… Ce mode de repérage fonctionne en rayonnage. Telle station rayonne sur une distance et réunit tous les lieux qui sont dans son rayon. Pour Arthur, plus l’espace est riche en bâtiments et en commerce, plus il est difficile de trouver son chemin. Les repères se trouvent plus facilement dans un espace vide et ouvert.

« Avec la cité des congrès je me suis emmêlé les pinceaux. L’espace est plus condensé, donc t’as envie d’aller partout. », [Arthur, 26 ans]

C’est ce que l’écologie de l’attention nomme la « saturation cognitive ». Le trop plein d’informations fait perdre ses repères. On accuse souvent les TIC de provoquer cette saturation cognitive. Néanmoins nous avons pu observer qu’elle ne concernait pas forcément nos « enquêtés TIC ».

« Même sur un plan c’est difficile de se repérer, parce qu’il y a trop de choses c’est un peu déroutant en fait. Ton attention elle est attirée par tout et du coup tu es dérouté de la route que tu dois prendre à la base. Moins l’attention est attirée, plus c’est facile de se repérer. », [Arthur, 26 ans]

Pour certains, au contraire, les commerces et la diversité des éléments urbains sont importants pour le repérage. Quand nous arrivons dans la zone d’habitation de Saint Félix, le paysage se trouble. Il n’y a pas d’élément d’appropriation possible. La maison, l’immeuble sont des constructions dans lesquelles on se projette difficilement puisqu’ils sont inaccessibles. Les commerces, les places sont des lieux que l’on peut traverser, visiter, dans lesquels on peut acheter, agir. On peut en prendre possession un moment. L’habitation renvoie forcément au domaine du privé dans lequel on n’a pas le droit d’entrer, qui ne représente donc aucun intérêt personnel.

« Comme élément de repère, je n’ai pas grand-chose… je me perds là, je suis dispersée, je ne retiens rien du tout… C’est le côté des villes que j’aime pas. C’est la ville fonctionnelle : route, places, maisons. Ça n’a pas de charme.», [Servane, 24 ans]

Pour les enquêtés équipés du GPS, la difficulté est plus grande quand nous arrivons dans des endroits sans commerce, ni lieu susceptible d’être indiqué. La seule manière de se repérer est de comprendre la morphologie des rues.

« Le problème avec le téléphone, c’est que tu te repères avec gauche, droite, des angles droits, comme dans une voiture. Alors que si tu demandes aux gens, ils te disent : « vous voyez le bureau de tabac, vous prenez à droite, ensuite vous aurez une jolie maison verte. », [Yannick, 27 ans]

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Lors du parcours, les individus équipés du GPS peuvent se repérer avec les magasins et les formes urbaines. Ils doivent faire un effort d’abstraction pour rendre cohérentes et utiles les informations reçues. Il leur manque une information personnalisée. Nous avons constaté à l’aide des cartes mentales que nos enquêtés ont quatre manières de construire leur image mentale de l’espace.

1- L’espace géométrique : Pierre se représente le parcours commenté accompagné en liant les éléments par des formes géométriques, notamment des triangles. Il dessine sa carte mentale en refaisant le trajet dans sa tête mais en indiquant sur la feuille, seulement les points de repères, qu’il relie ensuite par deux triangles calés dans deux axes horizontal et vertical (cf. la carte mentale du parcours accompagné de Pierre, p. 80). Le tracé du trajet apparaît à la fin. L’espace parcouru est séparé du cheminement.

2- L’espace en séquence : Servane ne parvient pas à relier les différentes séquences des parcours. Elle dessine lieux/quartiers séparément du reste. Elle est capable de se souvenir de manière détaillée des espaces du trajet, mais ne peut pas reconstruire le cheminement et organiser de manière hiérarchique, selon la temporalité du parcours, ses souvenirs (cf. la carte mentale du parcours accompagné de Servane p. 81-82).

« Je vois des lieux, des séquences, mais ils ne sont pas connectés. Ce n’est pas comme un cheminement, mais chose par chose. Je n’ai pas une vision globale. », [Servane, 24 ans]

3- L’espace en plan :

Fabrice a une représentation de l’espace en plan, c’est-à-dire que tout en dessinant le cheminement, il trace un plan proche de celui du GPS. Anne et Jean ont eux aussi cette représentation de l’espace. On y trouve cependant plus de distorsions (cf. la carte mentale du parcours commenté accompagné de Fabrice p. 86).

4- L’espace en cheminement : Edouard et Yannick se placent entre la représentation de l’espace en séquence et celle en plan. Ils parviennent à relier les éléments des parcours entre eux, mais leur point de vue est celui du marcheur. Ce peut-être une des conséquences du GPS. Les individus suivent le cheminement proposé par l’outil en ayant un point de vue égocentré sur l’espace (cf. la carte mentale du parcours accompagné de Edouard, p. 83-84).

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Carte mentale du parcours commenté accompagné de Pierre

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Parcours commenté accompagné de Servane

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Parcours commenté accompagné de Édouard

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5-2-3 Le jeu d’échelles Zoomer et « dézoomer » sur la carte permet aux individus de mieux comprendre la forme de la ville. La forme de Nantes, avec son île, est tout de suite intégrée par les enquêtés (cf. carte mentale ci-après). Ils gèrent trois sortes de connaissance spatiale en même temps : la vue d’ensemble, la vue par séquences du cheminement et les repères de l’espace concret et du GPS. Après le besoin de se situer, celui de pouvoir passer d’une échelle à l’autre est le réflexe de tous les utilisateurs. Ce changement rapide de point de vue donne accès à une connaissance globale de la ville et permet de mettre en relation son positionnement avec l’ensemble de l’environnement. La lecture de la ville se fait donc sur plusieurs plans. Lorsqu’ils utilisent l’application de la Tan pour prendre le tram, les enquêtés équipés du Smartphone ne la comprennent pas. Le problème réside dans le fait qu’il n’est pas possible de visualiser l’ensemble de la ville sur un plan. Les indications sont seulement des directions et des numéros de tram. Avec le GPS, les usagers acquièrent le reflexe et le besoin de relier les lieux entre eux, dans un souci de connaissance mais aussi de maîtrise du trajet. La carte mentale de Fabrice montre la facilité avec laquelle il fait le lien entre les différents points de repère du parcours commenté accompagné. Le point de vue choisi est celui de la vue en plan. La distorsion spatiale est faible. Le GPS lui permet aussi de comprendre la forme particulière de l’espace que nous traversons. Il intègre l’île de Nantes à son dessin. Aucun des « enquêtés sans TIC » n’y a fait référence.

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Carte mentale du parcours commenté accompagné de Fabrice

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5-2-4 Le déplacement des points de repère Le Smartphone et le GPS opèrent un changement des repères. L’espace et ce qui s’y trouve, ne sont pas le premier recours de repérage. Il y a un déplacement de l’attention. L’individu peut de suite faire appel au cadre d’accompagnement de la mobilité. Le téléphone devient le cadre de référence, cadre dans lequel l’individu choisit la meilleure option, celle qui lui correspond le plus (un appel, le GPS). Il construit une hiérarchie d’options qui le remettront sur le chemin et le reconnecterons à la ville, le resitueront. Anne, Yannick et Fabrice ont eu le reflexe de rentrer dans le GPS les points de repère que nous leur donnions, sans même évaluer le paysage au préalable. Seul Edouard l’a fait Il a cherché à se situer seul en regardant autour de lui. Nous pouvons donc en conclure que le GPS devient pour certains, le premier espace de référence. En outre, la géolocalisation place l’individu au centre du système de repérage. Dès lors, on ne se repère plus par rapport à tel ou tel élément du paysage, mais par rapport à notre propre position. Mettre l’individu au centre de la représentation est assez révélateur de l’importance que la société lui accorde aujourd’hui. La représentation de l’espace se fait par rapport à l’individu. C’est la raison pour laquelle il donne à son utilisateur un sentiment de puissance et de contrôle de l’espace.

5-3 Les accompagnateurs du voyage 5-3-1 Le GPS, un outil de lisibilité urbaine mobile Le plan, le GPS et la signalisation sont des outils d’aide à la lisibilité urbaine. Nous l’avons vu le passage du plan au GPS se fait pour de multiples raisons : information mieux ciblée, obtenues plus rapidement ou encore plus compréhensible. Néanmoins, il est important de noter que ces outils restent parfois illisibles pour certains. Savoir les utiliser relève d’une compétence. Servane ne maîtrise pas cette compétence. Devant un plan, elle est incapable de se situer et de comprendre par où aller. L’avantage du GPS est que la compréhension du fonctionnement d’un plan n’est plus indispensable.

« Parfois j’ai du mal à comprendre les plans, ils sont confus. Avec le GPS, c’est plus simple, il faut suivre ce qu’il te montre », [Anne, 40 ans]

5-3-2 Les autres sont des points de repère Pour les non usagers, les autres sont des ressources essentielles du voyage. La découverte de l’espace se fait à travers le discours des autres : ceux de la rencontre auquel on demande le chemin, ceux qui sont connectés à nous, qui nous guident de loin, ou ceux qui accompagnent. Le décodage en solitaire dure alors beaucoup moins longtemps. C’est aussi parfois une solution de facilité.

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« Mon repère, c’est les gens. Je préfère demander aux gens, c’est ce que je fais le plus. Avant comme pendant le voyage, mon repère c’est les gens. », [Servane, 24 ans]

« C’est plus simple de demander aux gens dans la rue. », [Edouard, 28 ans]

Comme Servane, Arthur et Edouard utilisent cette tactique pour se repérer. Les autres sont des points de repère et des éléments rassurants dans le paysage urbain. Dès lors que les passants deviennent rares, les enquêtés ressentent un malaise, un sentiment d’illégitimité dans un espace désert. Une des représentations de la ville est celle d’un espace densément peuplé. Lorsque l’on est en ville, on s’attend à être entouré, c’est un repère sur lequel on compte. Un espace désert devient inquiétant et déstabilisant.

« Etre en ville est rassurant parce qu’ il y a des gens. Je me sens moins perdu. », [Jean, 49 ans]

Sur ce point le smartphone est réellement un facteur de changement de représentation. Les autres ne sont plus vu comme une ressource première, ils existent mais ont moins d’importance. L’aide peut aussi venir d’une personne plus lointaine. C’est ce que nous nommons la ressource de la base. Lorsqu’elle croît être perdu pendant le parcours en solitaire, Servane nous appelle pour nous demander des indications supplémentaires. Dans ce cas, le correspondant répond en reprenant des éléments de repérage donnés et en lui décrivant séquence par séquence l’environnement qu’elle doit voir et la direction qu’elle doit prendre. L’accompagnant est une ressource que l’on interroge. De la même manière qu’avec le GPS, on se tourne vers lui lorsque l’on n’est pas sûr du chemin emprunté. Ce point confirme notre idée de faire, en complément des parcours, des itinéraires.

« Je me sens plus désorienté que quand j’étais avec toi. Je ne sais pas si c’est parce que tu n’es pas là ou pas, je ne sais pas. », [Arthur, 26 ans]

« Je suis pas sûr d’aller dans la bonne direction… Je cherche sur ton visage… Je pense que c’est en bas. », [Yannick, 26 ans]

Ces trois ressources ne disparaissent pas avec le GPS. Sur ce point les parcours commentés en solitaire nous ont été particulièrement utiles pour comparer l’attitude des enquêtés accompagnés et seuls. Qu’ils soient munis du GPS ou pas, ils ont tous avoué ou ressenti une perte de repère lorsque nous les avons laissés seuls. Certains ont paniqué, d’autres ont mis plus de temps à se repérer et ont fait appel aux passants de manière presque systématique.

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5-4 Les transports en commun, un moment à part du voyage Les transports en commun, comme les outils d’aide à la mobilité, sont codifiés et leur fonctionnement peut être difficile à comprendre. Edouard maîtrise ces codes. Lorsqu’il cherche le tramway pendant le parcours commenté accompagné, il l’entend klaxonner et se dirige vers lui. Il regarde le plan des lignes et trouve sans difficulté le nom de l’arrêt que nous lui donnons. Yannick et Servane sont plus inquiets à ce moment du parcours commenté. Il leur faut plus de temps et de concentration. Pour Yannick, ils sont une épreuve.

« C’est super simple. Par contre, j’ai tendance à en faire une montagne, si j’ai pas tous les éléments. Il faut vraiment que je sache quand j’y rentre, le nombre de stations. Une fois que j’ai tout ça, je peux être tranquille, mais au final, c’est toujours, assez simple. », [Yannick, 27 ans]

Les transports en commun sont par définition réservés à ceux qui en maîtrisent les mécanismes et qui connaissent la ville, à ceux qui on l’habitude d’être mobile et n’ont plus peur d’utiliser cet espace de transport codé.

« Les TC ça crée une coupure avec l’environnement, donc ça me perd, je ne palpe plus le trajet. », [Servane, 24 ans]

Pour certains enquêtés les TC représentent une épreuve. Il faut calculer stratégiquement le trajet, comprendre le fonctionnement de l’automate pour acheter les tickets, trouver l’appareil à bord pour composter le titre de transport, etc. À Nantes, le tram est considéré comme un espace ouvert et convivial. Tous soulignent qu’il est agréable de pouvoir observer le paysage, contrairement au métro. Cependant, bien que l’environnement soit visible, l’effet tunnel du transport reste une réalité comme en témoigne la carte mentale de Yannick ci-dessous. Les espaces qui suivent les trajets en tramway sont dessinés sous la forme de bulles. Le trajet en tramway est occulté. Savoir lire la ville, c’est projeter sens ou accéder aux significations de l’espace. La familiarité, la pratique et l’expérience de la ville sont à la base de cette appropriation. Le Smartphone et le GPS sont des outils qui permettent de donner à leur utilisateur des éléments de lecture de la ville. Ils rassurent et créent aussi des compétences. Ils apportent un nouveau moyen de voir l’espace, et permettent de changer de point de vue rapidement. L’espace et le repérage sont centrés sur l’individu. Les images mentales présentent néanmoins des éléments de l’espace très liés entre eux et pour certains, des éléments géomorphologiques (l’île de Nantes, pour Fabrice).

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Parcours commenté accompagné de Yannick

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6- Les images du GPS marquent les représentations de la ville

Le GPS s’interpose entre l’individu et l’espace. Il en modifie sa perception. Nous faisons référence ici à l’ « engagement » dans l’espace décrit par Gilly Leshed et al1, c’est-à-dire à l’attention et à l’intérêt que l’individu lui porte. Nous explorons ensuite ce que les utilisateurs voient de l’espace au prisme du GPS.

6-1 Le nouveau rapport à l’espace : passer du GPS à l’espace physique de la ville

6-1-1 Les ruptures entre deux espaces Durant les parcours commentés, les non-usagers ont davantage prêté attention à l’environnement. Ils relèvent plus de détails lors de la visite : des oiseaux, des éléments du décor urbain, des personnes et les cartes mentales sont plus fournies en détails et anecdotes individuelles (cf. les cartes mentales de Servane et Fabrice, ci-après). Les utilisateurs du GPS sont focalisés sur la recherche du point de repère demandé. L’espace est appréhendé par le trajet. Ils décrivent très peu l’espace parcouru et accordent plus de temps et d’attention à relier l’espace du GPS et l’espace physique. Ils cherchent à se situer ou à comparer une rue du GPS avec celle qu’ils empruntent.

« En suivant le GPS on ne regarde pas autour, j’ai vu essentiellement ce qui était indiqué sur le GPS, les magasins, mais le reste… C’est traitre ! », [Edouard, 28 ans]

Concernant les ambiances de la ville, les sensations exprimées sont moins nombreuses que pour les « enquêtés sans TIC ». Le fait d’être focalisé sur le but à atteindre et l’outil coupe en partie l’enquêté de son environnement présent. Dès lors, il s’opère une rupture entre les deux espaces. En suivant l’espace qui guide (le GPS), on renonce, par choix, en partie à l’espace physique de la ville. Les ruptures entre les deux espaces se concrétisent aussi par des ruptures morphologiques. Les enquêtés sont étonnés faces aux incohérences du GPS.

« Le carré de pelouse, bah en fait c’est une fontaine, je ne m’attendais pas à ça… », [Yannick, 27 ans]

L’espace anticipé et imaginé grâce au GPS n’est pas retrouvé. D’où parfois la difficulté de passer de l’espace abstrait du GPS à l’espace physique. Ces incohérences impliquent des difficultés. Si le GPS pointe de nouveaux points de repère pour son usager, ce dernier doit être en mesure de faire un tri dans l’information donnée.

1 Op cit., Leshed G., Velden T., Rieger O., Kot B. et Sengers P., 2008.

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Les ruptures entre les éléments sont moins visibles sur les cartes mentales que pour les enquêtés sans GPS. Les cartes de Servane sont particulièrement discontinues et disproportionnées. Celles d’Arthur décrivent des vides. Les cartes mentales des « enquêtés TIC » sont elles aussi vides à certains endroits. Mais ce vide n’est pas vécu de la même manière. Pour Arthur il signifie un manque d’information. Pour les enquêtés équipés du GPS, ce vide est « assumé » puisque c’est le trajet qui est mis en avant et non l’espace de la ville.

6-1-2 La prise de conscience de la perte d’attention Certains enquêtés se sentent piégés par le GPS.

« Le problème c’est qu’on a des informations mais on ne voit pas ce qui se passe ! Tu prends moins le temps de regarder autour de toi. Tu loupes des choses, c’est un piège. », [Anne, 40 ans]

Le GPS, selon l’utilisation qu’on en a, empêche de s’abandonner entièrement à la ville parce qu’il suppose de suivre un cheminement, de vérifier sa position… Les individus ont le sentiment de perdre leur emprise sur l’espace. L’utilisation du GPS est vécue comme un gain en efficacité, en échange d’une perte d’attention à l’espace.

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Carte mentale du parcours en solitaire de Servane

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Parcours commenté accompagné de Arthur

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6-2 Le GPS domine les perceptions et les représentations de l’espace

6-2-1 L’espace normalisé du GPS reconfigure les images mentales de la ville Lorsque les usagers du GPS font référence au trajet indiqué, ils répètent :

« Normalement, on devrait être « Quai de la Fosse » »; « normalement, il va y avoir un Manpower »; « si il y a une droguerie, c’est qu’on est bon », [Yannick, 27 ans ; Edouard, 28 ans et Fabrice 26 ans]

Le cheminement se vit sous forme de réussite ou d’erreur. Le GPS devient la norme à respecter et à valider. L’emploi du futur et de l’adverbe « normalement » révèle que le parcours est anticipé et que pour valider sa position, celle-ci doit être conforme aux indications du GPS. Dès lors, la balade se transforme en « jeu de piste » sérieux, pendant lequel, le but est de réussir à maintenir le symbole qui représente l’usager sur le trajet prévu. Cette remarque est à relativiser selon l’intensité d’utilisation du GPS. Yannick est très concentré sur l’appareil, la conversation est souvent coupée pour valider sa position, les arrêts sont fréquents. Edouard est quant à lui plus détendu. La norme remarquable dans le discours et l’attitude des enquêtés se vérifie dans les cartes mentales. Celles-ci montrent que les usagers du GPS ont une représentation de l’espace qui se fixe davantage sur le trajet. L’image abstraite offerte par le GPS influence directement la représentation de l’espace de l’individu. Le trajet dessiné reprend, par exemple, les éléments urbains routiers tels que les ronds-points, les routes. Sur les cartes mentales qui suivent (p. 99-100) nous remarquons que les éléments routiers sont présents sur les deux premières, celles de Fabrice et Yannick et moins sur la dernière, celle de Pierre. Le trajet est structuré par les axes de communication que le GPS a donné à voir à Yannick et Fabrice. Pierre dessine un trajet moins structuré. Il n’y a pas d’axes mais seulement les points de repère qui lui ont été donnés. Ainsi l’analyse des cartes mentales nous permet d’affirmer que les individus équipés du GPS rationalisent l’espace. Ils structurent leurs cartes mentales avec des éléments routiers disproportionnés par rapport aux éléments bâtis. Les dessins de Yannick et Fabrice sont parlants. De plus, ils construisent leurs cartes mentales autour du trajet. Les points de repères sont ceux que nous leur avons donnés ou bien ceux du GPS. Il n’y a pas d’éléments visuels dessinés. Les formes du bâti et des autres points de repères sont géométriques. Servane, Pierre et Arthur font apparaître davantage d’éléments d’appropriation, notamment dans les formes perceptives chez Servane (le clocher sur la carte mentale de parcours commenté accompagné, p. ?) ou bien la déformation des noms des lieux (« atelier de l’éléphant » pour la Galerie des machines, pour Arthur). La mise en récit des parcours est plus riche et longue chez les « enquêtés sans TIC ». Ils racontent plus précisément ce qu’ils ont vu, à qui ils ont parlé, la manière dont ils sont parvenus à trouver leur chemin. Les récits des « enquêtés TIC » sont plus rapides et plus concentrés sur le trajet. Le GPS est un outil de lisibilité urbaine rationalisant. Mais encore une fois, ces affirmations sont à relativiser en fonction de l’individu, de ses usages de l’appareil et de son rapport à la ville.

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6-2-2 Les significations du GPS mobilisées dans la mobilité Nous faisons l’hypothèse que si les utilisateurs du GPS avaient fait le parcours sans l’outil, ils auraient noté autant de détails et auraient été aussi engagés spatialement que les non-utilisateurs. Il faudrait le vérifier dans une autre enquête. Les représentations de l’objet technique viennent, en quelque sorte, percuter celles de l’espace. Elles viennent faire pression sur les comportements lors d’activités. Elles refondent les attitudes. Le GPS est un outil utilisé dans la vie quotidienne pour accéder le plus rapidement possible à un point. Sans adhérer au déterminisme technique, nous pensons que l’outil cadre un minimum l’action de l’individu qui l’utilise en dehors du cadre quotidien. Il fait écho à une forme de comportement. L’utilisation du GPS conditionne l’individu et le fait adopter un mécanisme de fonctionnement lors du déplacement : plus exactement, ce n’est pas l’outil qui engendre un mode d’action mais la signification que l’individu donne à l’outil et les représentations qui encadrent l’outil. Yannick a une vision professionnelle du GPS. Toutes ses réponses sont orientées par son travail de commercial. Pour lui, l'imaginaire du GPS est presque entièrement construit autour du travail. Les significations liées à l’objet apparaissent au cours des interactions concrètes entre les individus et l’espace. Le chemin est sans cesse vérifié, recalculé. Il suit attentivement le trajet proposé comme il le fait dans sa voiture. Son rapport à l’outil est construit sur le rapport GPS-Voiture-Conducteur.

« Pour moi le GPS ça renvoie au travail, à la vitesse… », [Yannick, 27 ans] C’est pourquoi nous considérons que ce n’est pas tant le GPS qui modifie les représentations de l’espace, mais l’usage et le sens qu’on lui accorde dans l’interaction espace-homme-GPS.

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Carte mentale du parcours en solitaire de Fabrice

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Carte mentale du parcours en solitaire de Yannick

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Carte mentale du parcours en solitaire de Pierre

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7- Éléments de synthèse Le tableau synthétise les principaux résultats de l’analyse de terrain autour de quatre entrées conceptuelles de notre travail :

1- la cognition, 2- les perceptions de l’espace, 3- les représentations des individus, 4- les comportements et usages des individus.

Nous ajoutons un code couleur pour faire le lien avec les six catégories de l’analyse :

 

1- La cognition

La signification des lieux  

Il s’agit du rôle de la familiarité et de la pratique d'une ville dans sa connaissance et son appropriation. Dans le processus de mise en signification de l'espace nous retenons aussi ce réflexe de projection dans l'espace par l'habiter. L'architecture, la forme du bâti, l'allure générale du lieu traversé sont porteurs de sens et de représentations socialement et culturellement véhiculées Lire la ville est une compétence. Celle que l'on acquière en faisant l'expérience du voyage, l'expérience urbaine.. Le GPS et le Smartphone redonnent une place centrale au lieu et au temps de la ville.  

La réappropriation territoriale  

Le GPS et le Smartphone sont des outils qui permettent à l'individu de se réapproprier l'espace. C’est l’action de créer du territoire sur une échelle

 

1- Le rapport à l’outil numérique

2- De la ville consommable à la découverte urbaine

3- Les représentations communes de la ville

4- Maîtriser l’espace avec le GPS

5- Lire la ville avec le GPS

6- Les images du GPS marquent les représentations de l’espace

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humaine et non plus spatiale de la ville.  

Se situer, une nécessité  

Le GPS impose un besoin continuel de savoir où l'on se trouve. Pouvoir se situer devient une nécessité et un réflexe. La vérification de la situation dans la ville ponctue le déplacement. Elle fait partie intégrante de la mobilité. A fortiori et selon le rapport qu'entretient l'individu avec son Smartphone, le GPS empêche une découverte "sauvage" de la ville. Si la position est inconnue, le déplacement est interrompu  

Le système de repérage  

Nous faisons référence aux systèmes de repérage propre à chaque individu. Chacun élabore et hiérarchise les étapes du repérage selon un logique personnelle. Nous décrivons quatre vues de l’espace : l’espace plan, l’espace en séquence, l’espace géométrique et l’espace en cheminements  

Le déplacement des points de repères  

La présence du GPS impose un changement de repère. Il devient la référence spatiale. L'espace référent est centré sur l'individu. L'individu, son espace et ses activités deviennent centraux.  

L'espace à échelles multiples  

L'utilisateur du GPS apprend à gérer les échelles du plan du GPS. Pouvoir "Zoomer" et "dézoomer" permet à l'individu d'accéder à la ville et ses lieux à travers des sens multiples. Ce jeu d'échelles, intégré par les usagers, est essentiel aux déplacements.  

L'image du GPS  

Les usagers du GPS décrivent dans leurs dessins un espace routier. Ils structurent leurs cartes mentales avec le plan que le GPS leur a fourni lors des trajets.  

La mémoire des lieux

Le GPS et le Smartphone sont considérés par les utilisateurs comme des moyens de conserver l'information. Le GPS n'influence pas la capacité de l'individu à se souvenir, à mobilier ses souvenirs, et à garder en mémoire l'information du trajet. Au contraire, il peut aider à ancrer l'information.

Le sentiment de perte de compétence

Les usagers du GPS ont le sentiment de perte et de transfert de compétences au GPS et au Smartphone. Cette perte de compétence peut être réelle. Elle est souvent exagérée dans le discours. En outre, elle est vécue comme la mise en place d'un contrat, un don pour la sécurité du moment.

 

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2- Les perceptions de l’espace

L'engagement spatial

Les individus enquêtés avec le GPS décrivent moins de détails et remarquent moins les éléments du paysage parcouru. L'attention portée à l'environnement est réduite par la présence du GPS et du Smartphone. Leur concentration se fixe davantage sur l'outil et surtout sur le but du trajet.

Les ruptures morphologiques

Il existe de nombreuses ruptures morphologiques pendant les parcours. L'individu s'attend par exemple à arriver sur un carré de pelouse, mais c'est une place qui apparaît.

La réaffirmation de la prédominance de la

temporalité

Les distances ne comptent plus. C'est le temps donné par le GPS qui organise les déplacements. Il n'y a plus de lien temps-distance. D'autant plus que le jeu d'échelle trouble la perception des distances.

Le GPS : un guide qui modifie la façon de percevoir l’espace

Les idées et représentations véhiculées par le GPS orientent la manière de vivre le trajet.

3- Les représentations des individus

Entre sécurité et surveillance : le GPS et ses représentations mouvantes

Les discours et les attitudes concernant l'outil technique sont contradictoires chez les "enquêtés TIC" comme chez les non usagers. « Avec les GPS je suis sûr de ne pas me perdre, par contre, je me sens suivi »

La ville centre

La ville est représentée par son centre, souvent piéton et ancien. Lorsque les enquêtés quittent le centre pendant les parcours, ils n'ont plus l'impression d'être en ville et rejettent parfois fortement ces espaces.

La ville divertissante

La ville est pour certains considérée comme un "grand parc d'attraction", pour d'autres comme un lieu d'errance, de flânerie. La dimension divertissante de l'espace fait partie des représentations urbaines.

La ville émancipatrice

La ville est le premier espace de liberté de la jeunesse. Elle est synonyme de liberté, d'émancipation, d'autonomie et de rencontres.

La ville subie

La ville est un passage obligé pour les études. Dans ce cas, elle est plus ou moins subie et on aspire à la quitter pour la "campagne".

 

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La ville fast food

Le GPS et le Smartphone exacerbent l'idée de ville consommable. Pour les deux groupes, elle est un lieu de consommation. Pour certains, le Smartphone et le GPS permettent une appropriation rapide et impersonnelle de la ville. Ils créent la ville fast food.

La ville dynamique

Pour dépasser l’idée de ville fast-food, nous considérons le GPS comme un outil pour voir la ville comme un élément en perpétuellement mouvement.

La ville accessible

L'une des représentation communes des "enquêtés TIC" est celle de la ville accessible, c'est-à-dire une ville dans laquelle il est possible d'accéder à un lieu sans se perdre; une ville où les endroits qui font sens pour l'individu sont pointés; une ville aux limites et frontières limitées, une ville lisible.

La ville émancipée

C'est aussi grâce aux outils techniques que la ville devient prévisible. C’est une ville dont l'inconnu est réduit pour y faciliter le déplacement.

La ville partageable

Autre représentation commune aux "enquêtés TIC" : la ville de « l’individu connecté » est une ville partageable et identifiable par et pour les autres.

L'espace normalisé Le plan du GPS devient la norme spatiale. Les discours des "enquêtés TIC" sont ponctués de "normalement" pour anticiper les moments du trajet.

L'espace maîtrisé

Pour les usagers, l'idée est de pouvoir maîtriser l'espace. La ville accessible, émancipée et partageable est une ville dont l'espace et l'organisation est sous contrôle. C'est dans ce cadre que la mobilité est envisagée.

La négociation de la perte

L'idée qu'il est impossible de se perdre avec un GPS ressort de tous les discours des "enquêtés TIC". Le GPS apporte un tel sentiment de sécurité que l'idée de perte n'existe plus.

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4- Les comportements et usages des individus

Les différents comportements avec le

Smartphone

Le rapport à l'outil technique change selon la personne. Nous pouvons décrire le joueur, le curieux, l’outil personnage, le pragmatique, le compulsif et l’innovateur.

La navigation urbaine

La ville peut être un espace de navigation (flânerie, errance) pendant laquelle l'intérêt est donné à la perte, non plus vécue comme une angoisse mais comme un moyen d'accéder à la ville. Le GPS est par principe exclu de cette démarche

Le GPS, déclencheur de sérendipité urbaine

Les informations indiquées sur le GPS (lieux touristiques, commerces, restaurants) sont prises en compte par l'utilisateur. Certains peuvent déviés du trajet indiqué pour se rendre dans un lieu qui les interpelle. Le GPS prend alors le rôle de "sérendipiteur". Il permet l'accès à un lieu qui n'aurait peut-être pas été découvert sans lui.

La préparation au voyage

La préparation au voyage précède le moment du voyage. Nous faisons référence aux outils employés (Google Map) et à la manière dont l'information est sauvegardée pour le temps du voyage (visualisation de plans, tactiques)

La mobilité accompagnée Le GPS renvoie aux outils d'aide à la mobilité: le plan, l'accompagnateur actif, l'inconnu informateur

La mobilité engagée

L'usage du GPS permet aux individus de s'engager entièrement dans leur mobilité. Certes ils déchargent certaines compétences à l'appareil, mais l'intention et l'importance accordée aux trajets les mobilisent. Ils sont d'autant plus actifs qu'ils ont le sentiment d'être aux commandes de leur mobilité.

L'enhardissement de soi

Le GPS et le Smartphone encouragent la mobilité. Ils permettent d'enhardir la personne en la décomplexant de ses peurs (la perte, la solitude, la peur des retards) et construisent une nouvelle représentation de la mobilité. Ils osent bouger dans des espaces nouveaux.

L'individualisation des déplacements

Les déplacements avec le GPS sont vécus individuellement. Les possesseurs de l'outil, même accompagnés, entreprennent seuls les trajets. Ils osent bouger seuls.

Le cas des transports

Le moment du transport est à part dans le trajet. Il nécessite la connaissance et la maîtrise de codes. Il est aussi une rupture avec l'espace (l'effet tunnel). Dans ce cas, le GPS amenuise cette rupture.

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Concernant la cognition de l’espace, les individus donnent aux lieux des significations particulières selon leur familiarité et leur pratique de la ville, selon sa forme et son architecture. Lire la ville relève d’une compétence que le GPS accroît. Il permet aux individus de se réapproprier l’espace en lui donnant des significations propres à leurs usages et envies. Le GPS révèle au lieu toute sa centralité dans l’espace de la ville. Il peut être marqué et garder en mémoire dans l’appareil. La ville n’est plus appréhendée comme une masse difficile à saisir, mais comme un espace sur lequel sont rassemblés des points parlants. L’échelle devient une notion primordiale pour l’utilisateur. C’est un moyen de comprendre et de s’approprier l’espace, moyen qui devient à force d’utilisation un réel besoin pour certains. Chaque individu élabore son propre système de repérage. Sans GPS, les enquêtés ont compter sur les autres personnes et les ressources physiques rencontrées sur le chemin (plan, panneaux routiers). Chez les enquêtés équipés du GPS, le centre de l’attention se fixe sur la position de l’usager et l’espace du GPS. Les points de vue en plan et en cheminement deviennent les deux principales manières de mémoriser l’espace. Les vues abstraites (géométriques) et les vues en séquences ne concernent que les enquêtés sans GPS. Bien que le GPS donne à ses utilisateurs le sentiment de perdre des compétences, celui-ci permet surtout d’en gagner. Les individus ont une meilleure accessibilité et compréhension de l’espace, une rapidité d’action et de gestion de l’imprévu, une connexion à l’autre en continu… Son utilisation elle-même relève d’un savoir-faire. Sur la perception de l’espace, le GPS provoque une perte d’attention à l’environnement. Les enquêtés sans GPS sont plus sensibles aux évènements, aux détails qu’ils rencontrent sur le chemin. L’attention de l’utilisateur est focalisée sur le GPS et plus exactement sur le trajet à suivre. Néanmoins le désengagement spatial est moins fort que lors de l’utilisation du GPS en voiture, pour une raison : le piéton reste maître de son corps. Ce que représente le GPS : le gain de temps, l’efficacité ou encore la garantie de trouver le point d’arriver le plus facilement possible, modifie la manière de vivre le cheminement. Il existe des représentations communes aux deux groupes d’enquêtés. Les individus se représentent la ville par son centre. C’est un espace d’émancipation ou de divertissement pour certains et un espace subi pour d’autres. Les usagers du GPS voient surtout la ville comme un espace dynamique qu’il faut savoir suivre pour s’y intégrer. En outre, la ville est vue comme un espace accessible et sous contrôle. Paradoxalement, la sécurité qu’il apporte aux individus entretient le rapport anxiogène avec l’espace, en devenant un outil indispensable lors du déplacement. En outre, l’espace représenté a tendance à se standardiser. Les images mentales sont structurées par les éléments routiers qui sont mis en avant sur le plan du GPS. La norme et la référence se construisent autour de l’espace du GPS. Les représentations de l’espace des enquêtés sans GPS sont plus personnalisées. Elles sont construites d’éléments uniques perçus et imaginés pendant le déplacement.

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Enfin, du point de vue des usages et des comportements des individus, le GPS renouvelle le rapport à la ville. La ville est un espace riche et grâce au GPS la possibilité de découverte peut être augmentée. Bien que les déplacements soient fortement individualisés, les autres ne sont pas niés pour autant. Au contraire, ils restent une ressource de base, quelque soit la forme de leur présence (appels, passants, accompagnateurs). Nous parlons des autres individus qui aident celui qui cherche son chemin. C’est une catégorie floue qui ne reflète pas entièrement la réalité. Nous avons conscience que les individus que l’on sollicite ne peuvent pas être décrits aussi simplement. Nous centrons cependant notre attention sur le comportements des et usages des individus équipés et non équipés du GPS. Le GPS enhardit la personne dans sa mobilité. Elle augmente les compétences individuelles et permet de créer une confiance en soi pendant le déplacement. Par conséquent, le GPS est un outil qui crée l’envie et favorise la mobilité.

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CONCLUSION L’enquête a permis de répondre à nos hypothèses :

- Les enquêtés équipés du GPS consacrent moins de temps à la préparation au voyage, puisqu’ils ont la possibilité de réagencer leur mobilité au dernier moment. Cependant, cela dépend avant tout du rapport que l’individu entretient avec l’espace. S’il est anxieux, le GPS entretient ce rapport anxiogène à l’espace.

- Nous avons pu vérifier que le GPS provoque, chez les individus équipés, un sentiment de maîtrise de l’espace et l’idée qu’il n’est plus possible de se perdre. L’outil permet à son utilisateur de se représenter un espace rassurant, accessible et lisible. Il redonne aux lieux de la ville une place centrale dans l’appropriation de l’espace, en permettant à l’utilisateur de construire son propre espace de significations.

- En contrepartie, la ville est normalisée par les images du GPS. Les représentations de l’espace des individus sont structurées par les éléments saillants du plan du GPS. Ils concentrent leur attention sur le trajet plus que sur l’environnement qu’ils traversent.

- Les repères des individus changent avec l’outil. Le « moi » et sa situation deviennent les premières références spatiales et l’espace du GPS prime sur l’espace physique.

- L’engagement dans l’espace est modifié mais nous ne pouvons pas parler de désengagement, au contraire. Le GPS pousse les individus à découvrir autrement l’environnement urbain. Ils sont certes moins attentifs à certains moments, mais sont tout autant, sinon plus, engagés dans la mobilité et l’espace parcouru, et cela grâce à la gestion et la mise en relation de l’interface et de l’espace physique.

- Enfin les autres, le passant, l’accompagnateur, ne disparaissent pas des interactions. Ils restent des référents dans le système de repérage.

L’utilisation du GPS lors des déplacements piétons apporte des modifications dans les représentations de l’espace. Elles sont cependant à nuancer selon l’usage que les individus font de l’appareil. En outre, nous pensons qu’elles ne sont pas persistantes. Ces modifications sont présentes seulement lorsque l’individu utilise le GPS. Ils persistent quelques contradictions dans notre analyse. La première concerne le rapport qu’entretient l’individu avec l’appareil. Il le rejette en même temps qu’il l’intègre à ses usages. Le rapport à l’outil parfois conflictuel pourrait renvoyer à un contrat : le gain de sécurité et d’assurance contre la perte de l’entière responsabilité des choix lors des déplacements. La deuxième contradiction est celle autour du gain de temps. Il est admis que le GPS permet de gagner en rapidité. Ce n’est pas le cas pour le piéton. L’usage du GPS est plus déconstruit que celui de l’automobiliste. Le plan interactif sert à la découverte, il est parcouru et exploré. Le trajet n’est pas forcément suivi et ce n’est pas une voix qui guide. Le corps du piéton n’est pas embarqué, il reste alors maître du cheminement. La troisième interrogation porte sur la personnalisation

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de la ville. Nous avons pu dire que le GPS permet une autre appropriation de la ville. Grâce à lui l’espace est redécouvert à travers les propres aménités des usagers. Face à cela nous avons aussi découvert que les représentations de l’espace sont standardisées. L’information personnalisée et donnée par le GPS n’est pas créée par l’individu. Elle n’est pas le résultat d’une découverte personnelle. Elle est avant tout perçue comme une information reçue par l’appareil. Enfin la dernière contradiction est celle de l’individualisation de la mobilité et l’omniprésence des autres qui semble en être un palliatif. L’enquête a su faire écho aux articles que nous avons présentés dans le premier chapitre. Elle nous a permis de remettre en cause l’article de Toru Ishikawa, Hiromichi Fujiwara, Osamu Imai, Atsuyuki Okabe, (“Wayfinding with a GPS-based mobile navigation system: a comparaison with maps and direct experience »). Les auteurs considérent que le GPS provoque une perte de repère des individus et brouille la lisibilité de l’espace. Ce n’est pas le cas. Nous avons retrouvé beaucoup de résultats évoqués dans le travail de Leshed, T. Velden, O. Rieger, B. Kot et P. Sengers, (“In-car GPS navigation engagement with and disengagement from the environment”), tout en relativisant le désengagement spatial. Notre protocole d’enquête s’est déroulé en plusieurs étapes : l’entretien, les parcours commentés accompagnés et en solitaire et les atelier cartes mentales à la suite des parcours commentés. Il a présenté quelques limites : la longueur des journées, le déplacements dans une autre ville, son coût. Notre échantillon ne compte de plus que huit enquêtés. Nous avons pu néanmoins recueillir suffisamment de données pour élaborer une analyse d’enquête riche et sérieuse. Nous retenons la méthode des parcours commentés. Elle est, selon nous, la meilleure manière de comprendre les représentations de l’espace des individus. En leur faisant découvrir Nantes, nous avons constaté que la parole de nos enquêtés était libre. En outre, en passant une journée entière avec eux, nous sommes parvenu à créer un rapport enquêteur-enquêté suffisamment sûr pour qu’ils puissent se livrer le mieux possible. Les cartes mentales nous ont permis de récolter des images significatives de la représentation qu’ils se sont faites des trajets. Nous considérons cependant qu’elles viennent se rajouter aux données des parcours. Leur analyse est approximative, selon nous. Nous souhaitions poursuivre sur ce sujet, en vérifiant d’une part la persistance du changement des représentations de l’espace qu’implique le GPS. Nous suggérons de faire des parcours commentés avec et sans GPS aux mêmes enquêtés, afin de pouvoir comparer deux stades chez une même personne. En outre, il faudrait aussi au préalable définir des catégories d’usagers précises pour comparer les résultats entre eux. Nous envisageons d’autre part, dans le cadre d’une thèse, de penser la question des représentations de l’espace avec les TIC dans une problématique plus large. Il s’agirait de développer la notion de « cadre » de la mobilité évoquée en introduction et comprendre la mobilité et les imaginaires des individus postmodernes en intégrant à notre enquête des usages numériques plus variés que la simple utilisation du GPS. Enfin il serait intéressant qu’un tel sujet puisse avoir un écho sur un terrain étranger.

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Nous pensons aux mégalopoles chinoises, vastes et difficilement lisibles et où le numérique et notamment l’usage du Smartphone prennent une place considérable. Enfin, concernant l’évolution du GPS, nous considérons qu’il serait judicieux de revoir la morphologie des plans piétons en y indiquant des codes couleurs, de l’information personnalisée et surtout des éléments urbains pratiqués lors de l’activité piétonne, et non pas des éléments routiers.

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Le GPS est un outil ancré dans les pratiques de mobilités urbaines. Nous disposons de peu d’informations concernant son usage et son influence sur les représentations de l’espace par les piétons. La nécessité d’identifier la place du GPS dans la perception de l’espace des citadins conduit à choisir une approche pluridisciplinaire au croisement de la géographie sociale, de la sociologie des usages et des sciences de l’information et de la communication. Grâce à une enquête basée sur des parcours commentés à Nantes, nous analysons les usages du GPS et la manière dont les individus passent d’un espace numérique à l’espace physique de la ville.

Mots clés : Représentation, perception de l’espace, usages, GPS, piéton, parcours commenté, Nantes

The GPS is a tool commonly used by people to get around the city. We still know little about how pedestrian use the GPS and its effects on the individual representations of space. Identifying the part of GPS in users’ spatial perceptions requires a multidisciplinary approach at the interface between social geography, sociology of uses and information and communication sciences. Through our study and the method of commented walks, we analyse the uses of GPS and the way people switch digital space with physical space.

Key words: Spatial perception and representation, uses, GPS, pedestrian, commented walks, Nantes

« Avec le GPS et le Smartphone, on a tout à portée de main, c’est simple de bouger. On a la ville pour soi. En campagne, ça ne sert à rien, juste pour trouver ton chemin. Le problème, c’est qu’on a des informations mais on ne voit pas ce qui se passe ! On prend moins le temps de regarder autour de soi. On passe à côté de certaines choses, c’est un piège. » [Anne, 40 ans]