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SIDA, SANTE,

DROITS DE L’HOMME

6eASSISES NATIONALES

Casablanca, les 27, 28 et 29 mai 2005

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DISCOURS D’OUVERTURE Pourquoi avoir choisi comme thème des 6èmes Assises de l’ALCS «Sida, santé et droits de l’homme» ? C’est parce que la rencontre entre la santé et les droits de l’homme a connu tout récemment un déve-loppement sans précèdent, qui a bouleversé le monde de la santé et ce grâce aux associations de lutte contre le sida et surtout, comme le souligne Dr Arnaud Marty-Lavauzelle, grâce aux personnes vi-vant avec le VIH qui jouent le rôle de réformateur social. C’est parce que, comme nous le verrons avec la présentation de Maître Alain Molla et celles des orateurs qui intervien-dront dans les différentes tables rondes tout au long du week-end, les droits de l’homme sont au cœur de la problématique de la préven-tion de l’infection à VIH et de l’accès aux traitements des PVAV dans les pays du Sud. La pandémie du sida illustre les liens inextricables entre santé et droits de l’homme. Partout dans le monde, les groupes sociaux les plus vulnérables à l’infection à VIH sont ceux qui font l’objet de discrimina-

tion et de marginalisation et les po-litiques de prévention basées sur la répression et la discrimination ont toujours été un échec. Dans ces pays, dans le domaine du sida, les atteintes aux droits de l’homme sont particulièrement courantes et graves : atteinte au droit à la confidentialité ; atteinte à la libre circulation ; atteinte au droit de se marier et de procréer ; at-teinte au droit à la santé ; atteinte au droit du travail. L’histoire de la lutte contre le sida nous a appris que les stratégies de modification des comportements qui réussissent le mieux à freiner la propagation du VIH sont celles qui responsabilisent les individus, qui protègent les groupes les plus vul-nérables en respectant les droits des individus. Convaincue qu’il ne peut y avoir de prévention sans respect des droits de l’homme, l’ALCS lutte contre toutes les formes de discrimination des PVAV et mène des actions de prévention auprès des groupes marginalisés les plus vulnérables à cette infection. L’ambition de l’ALCS est de convaincre les déci-deurs qu’il est possible de concilier le respect des libertés individuelles

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et les impératifs de santé publique, la protection des droits de la per-sonne et la prise en compte de l’intérêt général. C’est au nom du droit à la santé que l’ALCS s’est mobilisée pour dé-fendre le libre accès aux médica-ments génériques, seul moyen d’assurer l’accès au traitement dans notre pays. Ce combat, elle l’a me-né avec de nombreux acteurs de la société civile. Qu’il s’agisse du droit à la santé ou des actions de préven-tion, il est en effet illusoire de croire que l’ALCS peut atteindre seule ses objectifs. Notre lutte est indissociable de la lutte pour les droits de l’homme en général et de la lutte pour les droits de la femme dans notre pays. C’est pourquoi la présence parmi nous d’associations de défense des droits de l’homme et des droits de la femme est tellement importante. Pour protéger la dignité de ceux qui ont besoin d’information sur le VIH et pour prévenir la propaga-tion de l’infection, les droits suivant sont pertinents : • le droit à la non-discrimination

: pour que les personnes soient protégées contre les mauvais traitements si elles sont séropo-

sitives ou soupçonnées de l’être, ou si elles sont associées à un groupe marginalisé ;

• le droit à la vie privée : pour que les personnes soient proté-gées contre les tests obligatoires et pour que leur statut sérolo-gique demeure confidentiel ;

• le droit à l’éducation et à l’information : pour que les per-sonnes aient accès à l’éducation et à l’information sur la préven-tion du VIH ;

• le droit à la santé : pour que les personnes aient accès à des ser-vices de soins de santé, y com-pris les services pour les MST, et aux moyens de prévention.

Les stratégies d’action des gouver-nements devraient : • tenir compte des principes rela-

tifs aux droits de l’homme dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et programmes en matière de VIH/sida, avec la participation active des PVAV ;

• établir des cadres juridiques et administratifs appropriés, abro-geant les pratiques coercitives ou inutilement restrictives ;

• introduire ou renforcer des me-sures visant à interdire la dis-

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crimination et les abus liés au VIH/sida et à garantir la protec-tion juridique de la vie privée ;

• proposer des programmes d’enseignement et de formation aux fonctionnaires de l’administration, aux décideurs, aux employeurs, aux médias et au grand public, afin de souli-gner les dangers des préjugés et de la discrimination et promou-voir le respect des droits de l’homme ;

• œuvrer pour l’émancipation ju-ridique et politique et le renfor-cement du pouvoir des groupes défavorisés tels que les femmes, les travailleur(se)s du sexe, les détenus, etc., y compris à tra-vers l’abrogation de lois interdi-sant la formation de groupes d’auto-assistance ;

• légaliser les relations homo-sexuelles entre adultes consen-tants dans les pays où elles sont actuellement illégales ;

• dépénaliser la prostitution et légaliser les maisons closes ;

• mettre en place des campagnes de publicité sur le préservatif accompagnées de distribution gratuite ;

• associer les représentants des groupes communautaires aux programmes officiels afin de fa-ciliter la modification des com-portements ;

• consacrer davantage de moyens humains et financiers à la pro-motion des droits de l’homme en relation avec le VIH/sida, et renforcer l’engagement et l’action de la communauté in-ternationale.

Le respect des droits de l’homme exige aussi que nous évitions tout langage inapproprié. Aussi con-vient-il d’éviter les expressions « groupes à risque », « victimes du si-da », « sidéen » ; de même il ne faut pas identifier certains groupes par-ticuliers comme étant vecteurs de maladies. Le langage peut alimenter les préjugés et la discrimination et inciter à la violence ; il faut ainsi être particulièrement vigilant. Pr Hakima Himmich Présidente de l’ALCS ALLOCUTION

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Monsieur Pierre Bergé Chers amis, Tout d’abord, qu’il me soit permis ici de remercier avec chaleur l’ensemble de l’équipe de l’ALCS et tout particulièrement sa présidente, le Pr Hakima Himmich. C’est bien entendu avec un grand plaisir que je vous retrouve, vous savez mon at-tachement à votre association mais aussi à ce pays… Vous avez choisi un thème particu-lièrement intéressant pour vos As-sises : « Sida, santé et droit de l’homme ». Nous savons bien, nous acteurs de la lutte contre le sida, le lien fondamental entre les droits humains et l’accès à la santé ; entre les droits humains et la lutte contre le sida. Depuis le début de l’épidémie, nous l’avons appris, peut-être justement parce que fort peu d’autres maladies auront pro-voqué, hier et aujourd’hui, autant de mépris des droits les plus élé-mentaires pour chaque enfant, chaque femme, chaque homme sur cette terre. Et puis également parce que nous vivons la première pan-démie de l’ère moderne des droits

de l’homme. Enfin, parce que l’épidémie de sida soulève de nom-breuses questions liées aux droits de l’homme. En regardant le combat que nous avons mené et que nous menons encore, je voudrais attirer votre at-tention sur deux ou trois points particuliers à propos de cette dé-pendance entre le sida et les droits de l’homme : 1. L’efficacité des actions de san-

té, tant en matière de préven-tion que de soins, repose sur l’idée qu’elles doivent respec-ter la dignité et les droits hu-mains ;

2. Ensuite, il est traditionnelle-ment admis qu’il existe une in-terdépendance entre, d’une part combattre l’épidémie de sida dans le monde, et d’autre part défendre et garantir les droits humains, de tous, qu’ils soient ou non porteurs du vi-rus. Les efforts déployés pour prévenir la transmission du VIH et pour apporter les soins appropriés aux malades du sida sont non seulement compatibles avec les efforts destinés à promouvoir les

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droits humains, mais ils sont également complémentaires ;

A travers notre travail en France et dans 23 pays en développement, nous avons, à SIDACTION, de nombreuses occasions d’affronter cette problématique. Je voudrais, si vous le voulez bien, prendre rapi-dement trois exemples : 1. Certaines mesures de santé

publique compromettent ou encore violent certains droits humains. Ainsi l’égalité d’accès à la prévention, à l’information n’a-t-elle pas été la même pour les homo-sexuels que pour les hétéro-sexuels, mais l’on pourrait éga-lement citer les usagers de drogues ou encore les mi-grants. En somme, une dis-crimination s’est créée, venant s’ajouter à des discriminations antérieures que connaissaient bien les communautés ou les populations que j’ai citées ;

2. Les violations des droits de l’homme entraînent une baisse d’efficacité, voire annulent l’efficacité des actions de lutte

contre le sida. Ainsi dénier l’accès aux soins à des malades en situation irrégulière entraî-nera des conséquences non seulement pour les personnes concernées (et c’est déjà in-supportable) mais aussi pour toute la politique de santé pu-blique visant à contrôler la maladie ;

3. Enfin, en promouvant au sens large les droits humains, par exemple en renforçant l’acceptation d’une minorité au sein de la société, l’on favo-rise également son aptitude à s’informer, à prendre soin de ses membres, bref à lutter et donc à réduire sa « vulnérabili-té » à l’égard de l’infection à VIH.

Alors que faire ? Nous avons connu des progrès im-portants au cours de ces dernières années dans la lutte contre le sida. Les traitements contribuent évi-demment à l’allongement de la du-rée de vie des malades mais aussi à une amélioration de la qualité de leur vie. Je le vois bien autour de

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moi, les choses ont changé depuis presque 10 ans. Mais parallèlement, les progrès dans le domaine des droits humains, je ne les vois pas. Lorsque Paris a accueilli ce que l’on appelle aujourd’hui le « Sommet de Paris » à l’initiative de Mme Simone Veil, alors Ministre des Affaires So-ciales et de la Santé, près de 31 pays avaient une législation restreignant l’entrée et/ou la circulation des personnes vivant avec le VIH/sida sur leur sol. Aujourd’hui, ils sont plus de 100 ! Oui, aujourd’hui, si l’on est séropositif, on ne peut pas se rendre aux Etats-Unis ou en Chine… On ne peut pas émigrer au Canada… ni même songer à visiter l’Egypte ou bien Israël… En Alabama ou en France, les dé-tenus ont bien moins accès aux trai-tements et les conditions de déten-tion menacent gravement la vie et la santé des détenus séropositifs. Le Bangladesh alimente l'épidémie naissante du sida par les violents abus que commet la police contre les travailleurs sexuels, les utilisa-teurs de drogue par injection et les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes.

L'échec du gouvernement ougan-dais à protéger les femmes contre la violence domestique et la discrimi-nation augmente le risque de ces femmes de contracter le VIH. Et je pourrais multiplier à l’infini ces exemples qui nous affligent, qui nous meurtrissent, qui, enfin, nous révoltent. Alors, il faut, vite, très vite, renfor-cer nos actions communes en fa-veur des droits humains. Il n’existe à notre sens pas de meilleur pro-gramme de lutte contre le sida que celui qui s’appuie sur les Droits Humains. Ainsi l’on pourrait ima-giner de mieux impliquer à la fois les acteurs de la lutte contre le sida et les acteurs de la défense et de la promotion des droits humains. Ce n’est pas très innovant me direz-vous ! Non, en effet. Mais il faudra encore du temps avant que le monde ne considère la pandémie comme une crise des droits hu-mains. Les violations des droits humains comme facteur aggravant du VIH/sida sont largement ré-pandues en 2005, comme elles le sont depuis l'apparition de la mala-die. Cet aspect des choses reste malgré tout largement sous-estimé et peu pris en compte par les pro-

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grammes de lutte contre le VIH/sida, compromettant de ce fait l'efficacité des programmes na-tionaux. Avec l’aide de tous, en in-tégrant cette problématique dans le travail quotidien des professionnels de santé, des militants associatifs, des politiques (et notamment ceux en charge de la santé publique et des droits humains), l’on peut par-venir à offrir, à s’offrir, un monde meilleur, tout simplement.

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L’ETHIQUE A L’EPREUVE DU TEMPS Maître Alain Molla Pour ne rien vous cacher, c’est d'abord un « sujet à l’épreuve de mon ambition » ; ambition démesu-rée puisque je n’ai pas eu le temps de me consacrer autant que je le souhaitais à ce bilan. A propos d'éthique, « c'est le temps » qui précisément retient mon attention dans ce titre et des Assises nationales comme les vôtres marquent le temps d’une mobilisation associative qui force le respect. Seize années déjà … L’ALCS avait été créée par Ma-dame Himmich en 1988, précisé-ment sur la base d’un défi éthique, celui de la confidentialité et de l’anonymat, principes essentiels que Madame Himmich n'était pas par-venue à imposer au sein d’un « co-mité de lutte contre le sida » insuf-fisamment indépendant. J’avais eu la chance et l'honneur d’être sur cette même tribune à Ca-sablanca pour les premières Assises de l’ALCS, ce qui ne nous rajeunit guère, et je mesure le chemin par-

couru depuis et ce notamment dans le combat exemplaire pour l’accès aux molécules dans le monde non développé. Lors de ces Assises, je fus marqué par l’histoire de cette patiente du service hospitalier de Madame Himmich qui lui avait ex-primé sa peur d’être brûlée vive si son sida était révélé. L’histoire d’associations comme l’ALCS ou AIDES illustre la per-manence des défis éthiques car en terme de « santé publique » la mobilisation contre une épidémie comme celle du VIH/sida, maladie mortelle transmissible, fut forcé-ment à ses débuts en conflit avec une approche soucieuse du respect des droits des personnes. La santé publique vise classique-ment la protection de la santé du plus grand nombre, forcément au détriment des droits fondamentaux des individus, avec mise en quaran-taine, limitation de la liberté de la circulation, signalement aux autori-tés, exclusion du droit au logement, dépistage obligatoire, déclaration nominative des partenaires, bref tout l’arsenal hygiéniste qui consti-tue la santé publique. Le combat associatif a d’emblée eu la signification d’une remontée du

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courant, d’une résistance à la tradi-tion du contrôle sanitaire conçu comme un empiétement sur les droits fondamentaux à la vie privée et à la libre circulation. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme elle-même ne mentionne-t-elle pas la santé pu-blique comme un motif légitime de restriction des droits fondamentaux de la personne (article 29) ? La mobilisation associative contre l’épidémie fut : - d’abord, un réflexe de défense avec le recours au droit comme protection contre les discrimina-tions ; - ensuite, une démarche offensive de revendication citoyenne pour la dignité face aux formes variées de vulnérabilité sociale à l’épidémie et ce sous l’impulsion extraordinaire du regretté Jonathan Mann à la tête du programme mondial contre le sida de l'OMS. Ecoutez plutôt ce qu’il disait en 1987 à la Conférence Internationale de Washington : « Parce qu’ils ne ré-pondent pas aux besoins des populations quand, dans la majorité des pays où l’épidémie se répand, les femmes n’ont pas accès à l’éducation, à l’expression poli-

tique, à la santé, à l’égalité d’initiative dans les rapports sexuels, comment les systèmes de santé pourraient-ils répondre aux besoins quand l’homosexualité est encore punie dans de nombreux pays, clandestine généralement, stigmatisée tou-jours ; quand l’usage des drogues vous met dans l’illégalité » . Il évoquait ensuite toutes les catégories telles que les travailleurs sexuels, les détenus ou les migrants déjà touchés par l’épidémie et qui ne pouvaient ni légalement, ni socialement faire va-loir non seulement leurs besoins mais aussi leurs droits, leur parole, leur égale dignité de personne hu-maine. Tout était dit, le chemin tracé de la lutte contre le sida fut donc d’abord un combat juridique dé-fensif anti-discriminatoire puis en-suite un combat politique où les trajectoires individuelles sont deve-nues une expertise globale des sys-tèmes de santé comme l’avaient si brillamment compris dès le début de l’épidémie Daniel Defert puis Arnaud Marty-Lavauzelle. Le sida n’est pas seulement un vi-rus, il est un fait social, un phéno-mène politique et un extraordinaire révélateur de la double crise des droits de l’homme et de la santé

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publique. Malgré de nombreux rebondisse-ments, contretemps et soubresauts, l’éthique du respect des personnes est restée un socle résistant à toutes les tempêtes et constitue une bous-sole en permanence à notre service. Le respect du consentement des personnes, le refus de la tentation de la coercition, le choix de l’éducation pour la santé et de la responsabilisation des individus malades ou vivant avec le VIH sont autant de principes éthiques qui ont pu et peuvent seuls garantir à ces individus un statut d’acteurs de san-té, à la fois de leur santé et de la santé publique. Le sida a permis de réinventer une santé publique plurielle, en y in-cluant tous les prétendus margi-naux classiquement exclus du champ traditionnel du soin. Cette éthique du respect du con-sentement du malade, à l’épreuve du temps, y compris depuis les nouvelles donnes thérapeutiques de 1996, résiste à toutes les agressions sur les thèmes aussi brûlants et permanents que ceux du dépistage, du secret médical, du désir d’enfant ou encore du choix thérapeutique. Le respect de la dignité des in-

dividus concernés fut et de-meure au service de la santé pu-blique, au profit de cette der-nière, jamais à son détriment. A cause du sida ou, paradoxe dou-loureux, grâce à lui, cette boussole nous a conduits sur le chemin de la reconnaissance sociale des ex-clus du système de santé. N’ayons pas d’état d’âme sur cette certitude, même si la lutte est en-core longue, même si les résultats sont lents à obtenir, même si l’épidémie est loin d’être vaincue. C’est vrai que c’est lent mais ce n'est pas à cause du respect des personnes mais bien plus à cause du partage scandaleusement inégal des richesses. Ne soyons pas tentés comme cer-tains par le constat que quelques pays hygiénistes du Nord de l’Europe notamment auraient de bons résultats. Le coût éthique dans ces pays y est considérable.

* * * Mais revenons aux vertiges du temps car tout ce que je viens d'évoquer est au programme des

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travaux de ces Assises. Revenons aux militants de nos associations qui sont soumis, depuis si long-temps, dans leur combat pour le respect des individus malades, face aux résistances multiples, à de rudes épreuves. Egrenons le temps où s’entrelacent nos états d’âme intimes et person-nels avec nos prises de conscience politiques d’un combat collectif. Quel toboggan que celui de nos états d’âme soumis à un si dur trai-tement depuis tant d’années ! Il y eut les balbutiements, avec : - l’ignorance et l’incrédulité face aux premières rumeurs sur l’injustice du « cancer gay » ; - l’étonnement, la réticence, quand il fallut comprendre que le plaisir sexuel ne serait plus jamais le même ; - le sentiment d’une intimité violée quand il fallut faire des pratiques du sexe un débat public ; - la fébrilité et le trac au moment de prendre la décision de faire son test ; - l’inquiétude, l’angoisse et la frayeur de découvrir que le virus était passé par nous ou par ceux qu’on aime ; - le soulagement gêné et malsain

pour ceux dont le statut sérolo-gique se révélait intact ; - le sentiment de frayeur, de pa-nique, d’injustice voire de culpabili-té quand le virus était débusqué. Il y eut l’effroi avec : - l’effarement, la souffrance et le deuil quand la maladie fit irruption pour frapper si fort et si long-temps ; - le désespoir pendant les années sans médicament ; - la colère face à l’indifférence et l’oubli des bien-portants et des bien-pensants ; - la peur des extrémistes qui choisi-rent notre sida ou celui de ceux qu’on aime pour affoler, humilier, exclure et discriminer. Il y eut l’espoir avec : - la ferveur retrouvée quand le soin est enfin arrivé ; - la révolte de découvrir que les médicaments ne seraient pas en nombre suffisant ; - la joie de voir enfin la vie triom-pher et la mort reculer ; - l’illusion d’un virus en voie d’être neutralisé ; - le rêve d’un plaisir sans entrave en voie d’être retrouvé. Il y eut la désillusion avec : - la découverte des contraintes de

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l’observance ; - l’inquiétude et la déception de sa-voir que l’efficacité thérapeutique pouvait s’échapper ou être dans l’impasse ; - la mauvaise conscience perma-nente de savoir que notre malheur n’est rien comparé à celui de ceux qui sont nés ailleurs qu’en Occi-dent. Il y eut, il y a la régression avec : - le constat que le choix entre bana-lisation et dramatisation est tou-jours aussi difficile; - la découverte qu’après 20 ans d’épidémie la volonté d’exclure reste encore en embuscade ; - la lassitude et les tentations brû-lantes du relâchement et du déni ; - l’impatience d’en finir ; - la tristesse de savoir que ce n’est pas fini. Toujours au fil du temps, l'éthique telle que définie ci avant est restée notre feuille de route.

* * * Ce n’est jamais fini... et les défis éthiques sont multiples et mutants. Si je devais caractériser devant vous, très arbitrairement, un défi éthique contemporain, je parlerai

volontiers d’altérité et d’intimité. Un des grands défis d’aujourd’hui est de réussir plus que jamais la combinaison subtile et douloureuse entre l’altérité et l’intimité. Ainsi pourrons-nous affronter plus serei-nement la terrible question de l'incrimination de la prétendue transmission volontaire du VIH. Je m'explique. L’altérité nous renvoie à la dou-loureuse question de la transmissi-bilité, le sida étant une maladie transmissible au sens médico-légal. Cette transmissibilité, même si elle est plus rassurante que la notion de contagion (car elle reste maîtri-sable), porte en germe le risque d’exclusion et une source terrible d’inquiétude et de peur, avec la rencontre permanente entre l’individu infecté et la société. Sont en vis-à-vis les individus infec-tés d’abord, eux qui ont peur de la maladie qui les habite, de son évo-lution et peur des autres aussi, ceux qui ont le pouvoir de les exclure en même temps que le devoir de les soigner. En face de ces individus ensuite, une société qui a peur de l’épidémie est en situation défen-sive, d’inquiétude ; le cancer de l’autre ne déclenche que la compas-

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sion, le sida de l’autre peut déclen-cher la peur, la panique, le rejet. L'altérité sur fond de transmis-sibilité, c'est potentiellement le positionnement des malades en coupable. L'intimité ensuite : le sida nous a propulsés dans l’intimité des gens et forcé à redéfinir l’espace pu-blic et l’espace privé. Principalement transmissible par la rencontre sexuelle (car la transmis-sion mère–enfant n’est que le pro-longement de la rencontre sexuelle et la transmission par la seringue est strictement mécanique), il a im-posé une nouvelle approche de la sphère privée. Il a forcé les personnes mais aussi les systèmes, les groupes, les socié-tés, de même que les religions à parler de l’intimité sexuelle jusque dans les détails les plus tabous rela-tifs aux liquides corporels tels que le sang, le sperme, les sécrétions vaginales ainsi que leurs supports tels que les muqueuses vaginales, anales et celles de la verge. Il nous a forcés à parler de l’intimité, l’intimité de tous, pas seulement celle des marginaux que constituent les homosexuels ou les usagers de drogue, déjà victimes

des préjugés les plus violents ; mais aussi l’intimité de madame et mon-sieur tout le monde : - le mari irréprochable bon époux, bon père que personne n’imagine trompant sa femme et qui pourtant va devoir parler de son infidélité si le virus surgit sur fond dramatique de transmission à l’épouse ou à l’enfant à naître ; - le jeune homme de bonne famille à qui personne dans ce contexte de pudeur et de discrétion, ne parlera de sexualité, qui va devoir affronter le groupe familial, si sa vie intime est propulsée sur le devant de la scène par la rencontre avec le virus à travers celle éventuelle d’une prostituée ou du multi partenariat propre à cette période de la décou-verte de son corps et de la séduc-tion facile. Cette intimité est la source même des impératifs d’anonymat et de se-cret, notamment pour construire le cadre optimum nécessaire au dépis-tage et aux soins.

* * * L’éthique à l’épreuve d’aujourd’hui, c’est donc de ré-ussir la combinaison entre l’altérité et l’intimité en faisant

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en sorte que jamais la protection de l'intimité ne soit perçue comme une menace pour l'autre. Il nous faut, en même temps que développer le cadre optimum du dépistage volontaire, construire, apprendre, apprivoiser une culture de révélation volontaire, une cul-ture d’écoute, une culture de par-tage, une culture de vérité. A trop se taire, faute de savoir comment l’autre va réagir et dans la crainte de perdre la tendresse, le désir ou l’affection de l’autre, à trop taire sa séropositivité, la personne vivant avec le VIH n’est-elle pas sur le chemin névrotique du déni et de l’oubli ? A trop s’abstenir de questionner l’autre, les personnes séronégatives ou pensant l'être ne sont-elles pas sur le chemin du transfert de la res-ponsabilité sur le silencieux ? Nous avons longtemps insisté sur le droit de ne pas dire son statut sé-rologique ou sa séropositivité et, en miroir, pour ceux qui sont séroné-gatifs, l’obligation de ne rien de-mander à l’autre. Nous avions raison car c’était et ce-la reste une discipline, un dispositif de protection contre les extrémistes

et hygiénistes de tout poil qui rê-vaient et rêvent encore de télesco-per le consentement et l’autonomie de la volonté pour une législation de rupture du secret médical, de coercition sur le dépistage au nom d’une santé publique comprise comme la priorité absolue pour le plus grand nombre. Nous avions raison, l’obligation de déclarer sa séropositivité qui plane sur ce sujet reste « un effroi » et comme le dit Christian Saout «On a trop connu en Europe le temps où nous passâmes de la stigmatisation aux stig-mates ».

* * * Mais peut-on un temps s’arrêter là pour réfléchir et constater qu’à trop s’en remettre à la protection d’une norme juridique collective garantis-sant le secret et le silence, à trop craindre les dégâts du dit et du dire, on a peut-être contribué à une cul-ture de la dissimulation, on a peut-être sans discernement suffisant abandonné les individus dans une camisole de silence et à l’inconfort du non dit. Vincent Pelletier, Directeur Géné-ral Adjoint de AIDES, aux Etats

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Généraux des personnes touchées par le VIH en novembre 2004 à Pa-ris, avait courageusement prononcé la phrase suivante : « Vouloir oublier la maladie et la peur qu’elle génère de con-taminer ou de sur contaminer, c’est parfois oublier cette prévention obligée, contrainte, contraignante, qui en est inséparable ». La question du « dire ou du ne pas dire » ou encore du « taire ou du ne pas taire » pour une personne séro-positive d’une part, et la question d’apprendre à demander ou ne pas demander, à croire ou ne pas croire, pour les personnes séronégatives d'autre part, notamment dans le couple, dans la famille, dans le groupe social ou dans l’entreprise, restent cruciales. C’est au carrefour de cette altérité et de cette intimité que la transmis-sibilité du VIH réveille la culpabili-sation, voire la culpabilité de toute personne vivant avec le VIH. Déjà en 1990, le journal Le Monde en France avait titré à propos du drame des transfusés et des hémo-philes : « Le sida des innocents ». Certes, ils étaient innocents mais le contraire d’innocent, n’est-ce pas « coupable » et faut-il considérer que toutes les autres personnes vi-vant avec le VIH le sont donc ? Là

où il ne fallait voir que des victimes, on avait déjà hiérarchisé les bons malades et les mauvais. Comment sur ce sujet ne pas faire le lien avec la triste tempête qui fait rage en France sur le terrain de la criminalisation de la transmission du VIH ? Triste climat qui, je l’espère, ne ga-gnera pas votre pays où la re-cherche du coupable est donc de-venue celle du contaminateur qui n’aurait pas imposé le préservatif ou qui se serait tu sur son statut sé-rologique dans le cadre de l’intimité de la rencontre sexuelle. Aujourd’hui en France sévit une lutte fratricide par autorités judi-ciaires interposées où les séroposi-tifs et les séronégatifs s’affrontent. Les séronégatifs n’auraient plus au-cune responsabilité, seulement des droits, notamment celui de pour-suivre en justice la personne séro-positive qui les aurait contaminés. Parmi les séropositifs, il y aurait les bons qui sont contaminés et les mauvais qui sont des contamina-teurs comme si toute personne vi-vant avec le VIH n’avait pas, un jour, été contaminée. C’est un vaste sujet que je ne fais qu’ouvrir pour le refermer en émet-

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tant le vœu que cette guerre fratri-cide cesse le plus rapidement pos-sible, et que nous militants, car les associations aussi se déchirent sur cette question, nous mettions l’accent sur une seule certitude : c’est le sida et non les personnes contaminées qu’il faut com-battre. Mot d'ordre éthique, parmi tant d'autres : c’est le sida l’ennemi, pas le malade.

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DROITS HUMAINS ET

SANTE PUBLIQUE

Table ronde n°1

PROPRIETE INTELLECTUELLE, COMMERCE INTERNATIONAL ET DROIT A L’ACCES AUX MEDICAMENTS, Dr Othoman Mellouk

Dr Othoman Mellouk (ALCS)

Santé et droits humains : l’exemple du VIH/sida Pr Hakima Himmich

DD ROITS HUMAINS ET LIBROITS HUMAINS ET LIB ERTES INDIVIDUELLESERTES INDIVIDUELLES ,, Afamia Kaddour

SS ANTE ET DROITS HUMAIANTE ET DROITS HUMAI NSNS :: LL ’’ EXEMPLE DU EXEMPLE DU VIVI H/H/ SIDASIDA ,, Pr Hakima Himmich

MOT DMOT D ’’ INTRODUCTIONINTRODUCTION ,, Dr Arnaud Marty-Lavauzelle

Modérateur : Dr Arnaud Marty-Lavauzelle et Pr Hakima Himmich

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Mot d’introduction Dr Arnaud Marty-Lavauzelle C’est un grand plaisir et un grand honneur d’être parmi vous. Le ren-dez-vous des Assises de l’ALCS re-présente pour moi un défi, une exi-gence et un enrichissement mutuel. Depuis de nombreuses années, nous collaborons et j’ai toujours souligné combien l’aide des pays du Sud aux pays du Nord avait été im-portante dans la lutte pour l’accès aux traitements afin de maintenir la pression dans nos propres pays. Mais aujourd’hui nous sommes par-tis peut-être pour écrire une his-toire très longue. Aucun d’entre nous ne pouvait imaginer que l’histoire de l’épidémie durerait au-tant de temps, nécessiterait le main-tien d’une prévention, requerrait l’acquisition de connaissances nou-velles. La situation s’est extrême-ment complexifiée, puisque main-tenant la gestion d’un traitement demande des connaissances très pointues. Les différents enjeux se sont également complexifiés, et nous sommes dans une situation chaotique, à la fois parce que les

choses vont mieux que nous ne le redoutions, et en même temps parce qu’elles sont bien pires à un niveau mondial que nous ne pou-vions l’imaginer. Alors nous sommes les cavaliers du vent, à la fois dans le passé, le présent, l’avenir. Le passé est fait de ter-ribles douleurs, de deuils ; le pré-sent est une action continuelle pour essayer de rester en vie ; l’avenir reste hasardeux, difficile, et les pro-cessus de reconstruction sont com-pliqués et douloureux. Je crois donc qu’une des définitions de la situa-tion, c’est la complexification et la dévitalisation. Pourquoi ? Parce qu’encore une fois le temps a passé, parce que beaucoup d’associations dans les pays du Nord, en particu-lier AIDES et ACT UP, sont des associations qui aujourd’hui sont calcifiées et ont un grand besoin de volontaires. Peut-être n’avons-nous pas su transmettre l’histoire de l’épidémie, redéfinir les choses avec les nouvelles générations ; en tout cas je crois que c’est une responsa-bilité qu’il faudrait assumer mainte-nant. Dans les pays du Nord, un des défis actuels, c’est aussi vieillir avec le VIH, essayer d’éprouver le temps passé dans ses deuils impos-

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sibles, essayer de retrouver le temps manqué, se reconstruire physique-ment, psychologiquement, avec tous les moyens possibles, dans l’espoir que toute cette aventure nous mène dans une société meil-leure, quels que soient les enjeux dramatiques de la mondialisation, et avec une vigilance particulière con-cernant la violation des droits des personnes qui menace chaque jour notre travail. Je vous remercie. Pr Hakima Himmich : Merci Ar-naud pour ce témoignage très émouvant. Je n’ai pas présenté Ar-naud parce qu’il n’y a pas besoin de présenter le Dr Arnaud Marty-Lavauzelle. Mais il y a peut-être parmi nous des jeunes volontaires qui ne le connaissent pas. Le Dr Arnaud Marty-Lavauzelle a marqué l’histoire de la lutte contre le sida non seulement en France mais dans le monde. Il l’a marquée en tant que deuxième président de l’association Aides. Il a initié les partenariats français avec les pays africains et a été le premier à lutter pour l’accès aux traitements. Nous lui devons énormément. Quand La-tifa Imane et moi l’avons rencontré

à Casablanca en 1990, ce fut une véritable révélation de la dimension humaine de cette lutte. Depuis nous ne nous sommes plus quittés et nous nous sommes souvent re-trouvés dans les enceintes des insti-tutions internationales. Vous allez peut-être avoir du mal à le croire, mais pendant des années, lorsque Arnaud et moi demandions l’accès aux traitements pour les pays du Sud, les représentants des institu-tions internationales, mais égale-ment les responsables des PNLS africains, nous traitaient tout sim-plement de fous. Donc merci beau-coup, Arnaud ! Santé et droits humains : l’exemple du VIH/sida Pr Hakima Himmich Le lien entre santé et droits de l’homme n’est pas une idée récente, il est implicite dans la Déclaration adoptée par la première Assemblée mondiale de l’OMS en 1948 : la santé y est définie comme « un état de bien être complet physique, mental et social » et non pas seulement comme l’absence de maladie ou d’infirmité. Pourtant les spécialistes

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de la santé et ceux des droits de l’homme ont longtemps travaillé séparément et ce n’est que récem-ment que des ponts ont été jetés entre les deux domaines. Progressi-vement, la santé a cessé d’être seu-lement synonyme de soins, si bien que les activités de santé sans réfé-rence aux droits de l’homme ne de-vraient plus être acceptables au-jourd’hui. Des études américaines ont montré que les problèmes de santé incluant des cancers, des ma-ladies cardiaques respiratoires et in-fectieuses sont liés de façon inextri-cable, bien sûr avec la pauvreté, mais à pauvreté égale, avec la dis-crimination sociale et les manque-ments aux droits de l’homme et à la dignité des personnes. Cette rencontre entre la santé et les droits de l’homme a connu tout ré-cemment un développement sans précèdent qui a bouleversé le monde de la santé et ce grâce aux associations de lutte contre le sida et surtout, comme le souligne Dr Arnaud Marty-Lavauzelle, grâce aux personnes vivant avec le VIH (PVAV) qui jouent le rôle de ré-formateur social. En effet, plus que toute autre situation, la pandémie du sida illustre les liens inextri-

cables entre santé et droits de l’homme en nous montrant com-bien une maladie que l’on peut pré-venir, responsable du décès de mil-lions de personnes qui n’ont pas accès au traitement, est de plus en plus le fruit de la discrimination so-ciale. C’est ainsi que partout dans le monde, les groupes sociaux les plus vulnérables à l’infection à VIH sont ceux qui font l’objet de discrimina-tion et de marginalisation. C’est le cas en Afrique subsaharienne où les femmes, du fait de leur vulnérabili-té socioculturelle et économique, payent un lourd tribut à l’épidémie, représentant plus de 50% des cas d’infection à VIH. Ces femmes, qu’elles soient prostituées ou ma-riées, n’ont pas la possibilité de se protéger de l’infection à VIH parce qu’elles ne peuvent imposer ni la fidélité, ni le préservatif, à leur par-tenaire. Les usagers de drogue sont décimés par l’infection à VIH en Russie, au Vietnam et ailleurs ; or cette infection n’est pas la consé-quence directe de l’usage de drogue, mais bien plutôt de la mar-ginalisation des usagers et de l’absence de politique de réduction des risques. C’est le cas des groupes qui font l’objet de répression et de

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discrimination en raison de leur orientation sexuelle, ou de leurs ac-tivités, comme les travailleur(se)s du sexe. C’est le cas également des réfugiés et des migrants clandestins. Dans de nombreux pays, le mythe du conflit entre les droits de l’individu et la santé publique fait de la répression le fondement de la prévention. Dans ces pays, dans le domaine du sida, les atteintes aux droits de l’homme sont particuliè-rement courantes et graves. Elles se caractérisent par : - l’atteinte au droit à la confidentia-lité, aussi bien par déclaration no-minale que par communication du résultat à l’entourage, alors que la confidentialité, élément essentiel de l’éthique médicale, est incluse dans le serment d’Hippocrate et dans la Déclaration de Genève de l’Association Médicale Mondiale (1948) - l’atteinte à la libre circulation avec interdiction d’accès à de nombreux pays, notamment les Etats-Unis, pour les personnes ayant une infec-tion à VIH mais également l’enfermement de ces personnes dans des sidatorium

- l’atteinte au droit de se marier et de procréer pour les PVAV comme c’est le cas dans certaines provinces en Chine - l’atteinte au droit à la santé. Les refus de soins aux PVAV, même en situation d’urgence, sont loin d’être exceptionnels, sans parler de la li-mitation de l’accès aux médica-ments génériques qui privent des millions de personnes de traite-ment. - l’atteinte au droit du travail. Les PVAV sont fréquemment confron-tés dans de nombreux pays à des licenciements abusifs, des refus d’emploi, des expulsions du pays d’accueil, etc. La prévention par la répression a pourtant été un échec total d’un point de vue de santé publique. Les pays pratiquant les contrôles aux frontières n’ont pas empêché l’épidémie de se développer chez eux. Dans tous les pays où elles sont exercées, les mesures de dis-crimination et de stigmatisation ont contraint les PVAV et les per-sonnes à risque à la clandestinité, les éloignant ainsi des campagnes de prévention et des centres de soins.

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La prévention de la transmission du VIH se fonde sur l’accès à l’information et au soutien. Elle re-pose aussi sur le sens des responsa-bilités de chacun. La protection des droits de la personne favorise la création d’un environnement de soutien, nécessaire pour encourager les individus à effectuer un test de dépistage, à changer leur compor-tement et s’ils sont séropositifs à bénéficier de soins. En matière de sida, les activistes d’abord, puis l’OMS et l’ONUSIDA, ont reconnu qu’il existait une relation critique entre le respect des droits humains et de la dignité et la vulnérabilité au VIH. Cette analyse a amené les spécia-listes de la lutte contre le sida à deux conclusions. Premièrement, la prévention du sida est essentielle-ment un problème d’individus, de relations sociales ; la façon dont les sociétés traitent les individus est dé-terminante. Deuxièmement, les po-litiques de prévention de l’infection à VIH n’ont aucune chance de suc-cès si elles ne respectent pas les droits de l’homme et les droits des PVAV. Qu’en est-il au Maroc ? L’ALCS se bat depuis sa création pour l’accès

au traitement des PVAV que nous considérons comme un droit. Dans ce combat, nous avons trouvé un grand soutien auprès des militants des associations françaises et je rends tout particulièrement hom-mage à un pionnier de ce combat, le Dr Arnaud Marty-Lavauzelle qui a défendu ce droit à un moment où aucune instance internationale, ni d’ailleurs nationale, ne voulait en entendre parler. Je rends aussi hommage à Sidaction, l’association que préside Monsieur Pierre Bergé, qui a été la première association, et pendant longtemps la seule, à fi-nancer la prise en charge des PVAV dans les pays du Sud. Paral-lèlement au combat pour l’accès au traitement, l’ALCS lutte contre toutes les formes de discrimination des PVAV et mène des actions de prévention auprès des groupes marginalisés les plus vulnérables à l’infection à VIH. Pour cela, il nous a fallu sortir de nos bureaux, aller à la rencontre des individus et nous mettre à l’écoute de leurs besoins. Tâche difficile dans une société où les choses se font mais ne se disent pas, où le groupe étouffe les indivi-dualités et où le droit à la différence se paye très cher. L’ALCS est une

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structure où les utilisateurs des ser-vices de l’association, les personnes vivant avec le VIH, les travail-leur(se)s du sexe, sont présents comme acteurs sur le terrain et par-ticipent, de façon significative, à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de l’association. Notre souci d’efficacité nous a éga-lement amenés à prendre en charge des problèmes qui ne relèvent pas toujours directement du sida mais qui en font le lit. Car comment ai-der les femmes marocaines à se protéger sans parler des facteurs socio-culturels qui les fragilisent ? Comment faire de la prévention auprès des travailleur(se)s du sexe sans leur offrir un espace de parole, d’écoute et de reconnaissance ? Comment soutenir les personnes vivant avec le VIH sans militer pour un meilleur système de soins ? Comment lutter contre le sida sans interroger notre société, notre cul-ture ? Les volontaires et les salariés de l’ALCS, issus d’horizons divers, se doivent d’obéir à une éthique fon-dée sur le respect de l’autre, de ses choix et de sa différence. Nous at-tendons des volontaires de l’ALCS qu’ils soient des militants pour le

droit à la différence, pour le droit à la liberté de choix. L’ambition de l’ALCS est de con-vaincre les décideurs qu’il est pos-sible de concilier le respect des li-bertés individuelles et les impératifs de santé publique, la protection des droits de la personne et la prise en compte de l’intérêt général. Si, con-trairement à ce qui se passe dans de nombreux pays de la région, la légi-slation marocaine est conforme aux recommandations de l’OMS et res-pecte l’éthique et les droits des PVAV, c’est beaucoup grâce à la vigilance de l’ALCS, et à feu Oth-man Akalay, militant des droits de l’homme et directeur du PNLS de 1990 à 1993. Il a fallu se battre, au sein du Comité National de lutte contre le sida, pour que les déclara-tions de cas de sida ne soient pas nominatives, pour qu’il n’y ait pas de test VIH obligatoire, pour que des certificats de séronégativité ne soient pas demandés aux frontières, comme l’exigeaient cer-tains médecins, membres de ce comité. Faut-il en conclure qu’il n’y a au-cune atteinte aux droits des PVAV au Maroc et des droits des per-sonnes en général ? Sûrement pas.

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Régulièrement et c’est arrivé encore récemment, nous recevons au ser-vice des maladies infectieuses du CHU à Casablanca des patients à un stade terminal, qui se savent sé-ropositifs depuis des années, qui ont été diagnostiqués en Europe, vivent au Maroc depuis 5-6 ans et n’ont jamais osé consulter, par crainte du non respect de la confi-dentialité et de la discrimination. Cette crainte est malheureusement justifiée par le non respect du se-cret médical de la part de nom-breux médecins. Nous avons éga-lement eu fréquemment à déplorer des refus de soin aux PVAV. Le comportement des autorités n’est pas toujours conforme aux posi-tions du Ministère de la Santé mais l’ALCS a tout récemment fait un grand pas en avant et facilité les ac-tions de prévention de proximité, en convainquant les autorités de l’inutilité et du caractère contre-productif de la fouille des per-sonnes suspectées de s’adonner à la prostitution ; la possession de pré-servatif ne devrait désormais plus être considérée comme une preuve de racolage. Il en est de même pour les tests VIH imposés à des préve-nus ou des détenus.

Dans le Maroc qui se construit, le devenir et l’efficacité de nos actions sont étroitement liés aux choix so-ciaux et politiques du pays et nous avons un rôle à jouer dans le com-bat pour un Maroc respectueux des droits des individus et garantissant la protection juridique de la vie pri-vée ; c’est pourquoi la participation à ces Assises d’associations de dé-fense des droits de l’homme est ex-trêmement importante.

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Droits humains et libertés indi-viduelles Afamia Kaddour Dès sa découverte, l’infection à VIH a été associée à des groupes spécifiques rejetés socialement : les homosexuels et les utilisateurs de drogues par voie intraveineuse. Aussi toutes les personnes infectées par le VIH ont-elles été identifiées à ces groupes et ainsi stigmatisées, sans même que l’on s’interroge sur leurs modes de contamination. C’est seulement quand les modes de transmission de la maladie ont été mieux connus que les politiques de prévention ont été améliorées et que beaucoup d’actions ont été menées en direction des groupes dits vulnérables. Face à l’infection à VIH, les socié-tés arabes sont confrontées à de grands défis. Elles doivent d’une part trouver un équilibre entre les valeurs sociales héréditaires et l’obligation de protéger les per-sonnes vulnérables, et d’autre part, interdire toute discrimination en-vers les personnes vivant avec le

VIH afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux. Mon intervention se divisera en deux parties. Je présenterai tout d’abord les principaux axes d’une politique de prévention efficace, puis j’exposerai les droits et les de-voirs des personnes vivant avec le VIH. Dans ma première partie, je vais tenter de montrer quel doit être le contenu d’une politique de préven-tion efficace. Une telle politique implique de protéger les personnes vulnérables de toute relation sexuelle forcée et de mettre en oeuvre des actions spécifiques en-vers les groupes victimes de discri-mination. Les femmes, les enfants, les pri-sonniers sont particulièrement vul-nérables. Dans les pays arabes, la femme lutte toujours pour obtenir l’égalité avec l’homme. Le mariage, contrat inégalitaire, met la femme à la merci de l’homme ; la femme est obligée de se soumettre aux désirs et exigences de son mari ; elle n’a notamment pas le pouvoir d’imposer à son mari l’usage du préservatif. De même, la protection de la femme contre le harcèlement

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sexuel est insuffisante en l’absence de texte législatif. En raison de leur situation économique précaire, les bonnes sont particulièrement expo-sées. Les proxénètes doivent éga-lement être sévèrement sanction-nés. Les enfants sont théoriquement protégés par la loi, mais l’application effective de la loi nécessite de disposer d’institutions spécialisées en charge de la protec-tion des enfants et d’instaurer des mécanismes juridiques permettant d’instruire efficacement les plaintes déposées. L’existence de telles si-tuations doit amener les gouverne-ments à réfléchir à la possibilité d’autoriser l’avortement en cas de transmission du VIH de la mère au fœtus. Enfin il faut également pro-téger les prisonniers de tout acte de violence à l’intérieur des établisse-ments pénitenciers. La lutte contre le VIH/sida doit permettre de mettre fin aux situa-tions intolérables décrites ci-dessus et favoriser ainsi un progrès social. Je vais maintenant examiner les dé-fis que représente la prévention de l’infection à VIH auprès des groupes victimes de discrimination, les homosexuels en particulier. Les homosexuels sont rejetés sociale-

ment dans les pays arabes. Nombre de discours en appellent aux valeurs familiales et religieuses et condam-nent tout comportement contraire à ces valeurs. Les politiques fon-dées sur ces discours sont en con-tradiction avec la promotion des droits humains. En outre, elles sont incapables de susciter une modifi-cation des comportements ; ce n’est pas en culpabilisant les individus qu’on peut les amener à modifier leurs comportements. Ces poli-tiques sont même contre-productives. Stigmatisés, considérés comme hors la loi, les homosexuels sont en effet contraints à la clan-destinité, ce qui rend difficile la mise en œuvre d’actions de préven-tion et accroît leur vulnérabilité. C’est pourquoi la plupart des pays ont désormais adopté des pro-grammes de prévention qui visent non pas à protéger la société des homosexuels, mais à protéger les homosexuels du VIH, ce qui im-plique de tisser des relations de confiance et de proximité avec eux, loin de tout jugement et visée mo-ralisatrice. En conclusion de cette première partie, je voudrais souligner que la meilleure politique de prévention

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ne repose pas sur le contrôle des mœurs, mais consiste à protéger les individus de l’infection à VIH et ce dans le respect de leurs orientations sexuelles. Dans ma deuxième partie, je vais parler des droits de la personne vi-vant avec le VIH puis de ces de-voirs, car il n’y a pas de droit sans devoir. Les droits de la personne vivant avec le VIH sont : a) les droits liés à la santé L’accès aux traitements en fait par-tie. Il relève de la responsabilité des pays arabes qui doivent s’engager en faveur de leurs malades. Mais l’accès aux traitements se joue éga-lement au niveau international en lien avec d’une part le droit à la santé, et, d’autre part, le droit des brevets. Les détenteurs de brevets peuvent-ils refuser l’accès aux trai-tements à tous les malades démunis ou ont-ils une obligation de se-cours ? Suite à l’attitude de pays comme l’Afrique du Sud qui n’ont pas hésité à recourir aux médica-ments génériques pour faire baisser le prix des traitements, le Ministre libanais de la santé a annoncé une diminution de 7 à 20% du prix des antirétroviraux.

b) le droit à la confidentialité. L’infection à VIH touche à la vie intime de l’individu : aussi la société n’a-t-elle pas à connaître l’identité des personnes contaminées et les individus ont le droit révéler ou non leur statut sérologique à leur entourage. Beaucoup préfèrent d’ailleurs se taire de peur d’être confrontés à des réactions hostiles. La jurisprudence française a ainsi considéré que révéler la séropositi-vité de quelqu’un sans son consen-tement constituait une violation de sa vie privée. Il est également inter-dit de pratiquer des tests de dépis-tage à l’insu des individus, comme cela a pu être fait dans certains hô-pitaux. Il faut souligner que la con-fidentialité n’est pas un obstacle à la mise en œuvre d’une politique effi-cace de prévention. Dans les pays arabes, la protection de la vie privée est encore faible et des textes de lois spécifiques seraient nécessaires pour garantir le respect du droit à la confidentialité. Les personnes vivant avec le VIH ont toutefois le devoir d’informer leur(s) partenaire(s) afin de leur évi-ter tout risque de contamination. c) les droits liés à la non discrimination

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Dans de nombreux pays dans le monde, le droit du travail interdit toute discrimination et les per-sonnes vivant avec le VIH sont protégées par la loi. Malheureuse-ment la plupart des pays arabes res-tent réticents à adopter des lois si-milaires. D’autre part, il faut condamner tout acte inhumain qui vise à identifier par une marque physique les per-sonnes vivant avec le VIH ou à les isoler. De tels actes sont interdits à l’échelle mondiale ; toutefois les comportements discriminatoires persistent, notamment dans les pri-sons ; de même la pratique de l’isolement des malades n’a pas dis-paru partout dans le monde. Si la société doit ainsi garantir les droits des personnes vivant avec le VIH, celles-ci ont en contrepartie des devoirs. Certains pays ont ainsi fait le procès des « contaminateurs volontaires » qui se sont rendus coupables de non-assistance à per-sonne en danger en dissimulant leur état sérologique à leur(s) parte-naire(s). Certains acteurs de la lutte contre le sida ont suggéré que c’était au médecin de révéler la sé-ropositivité d’un patient à son par-tenaire. C’est oublier un peu vite

que le médecin est tenu au secret professionnel. Pr Hakima Himmich : Merci beaucoup, Madame Afamia Kad-dour, d’avoir accepté de venir au Maroc pour partager avec nous ces 6e Assises. Votre intervention est une véritable bouffée d’oxygène. Il est tellement rare d’entendre les dé-fenseurs des droits humains dans la région Maghreb Moyen-Orient. Non qu’ils n’existent pas, mais leur parole est trop souvent étouffée par l’intégrisme, par le wahhabisme, par les nombreuses dictatures en place. Merci infiniment, vous nous re-donnez du courage ! Nous poursui-vrons avec plaisir la collaboration avec votre association.

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Propriété intellectuelle, com-merce international et droit à l’accès aux médicaments Dr Othoman Mellouk Je vais vous parler du problème de la propriété intellectuelle et de l’accès aux médicaments. C’est un sujet d’actualité au niveau interna-tional. Pendant plus d’un an, ce fut également un sujet d’actualité au Maroc avec les négociations de l’accord économique de libre-échange avec les Etats-Unis, accord contre lequel l’ALCS s’est forte-ment mobilisée. Aujourd’hui, même si cet accord a été signé, la lutte pour l’accès aux médicaments continue. En 1978, l’OMS lançait son fameux slogan « Santé pour tous en l’an 2000 ». L’objectif était très ambi-tieux, des actions furent mises en place, notamment les politiques des médicaments essentiels et les trans-ferts de technologie vers les pays en développement pour assurer la dis-ponibilité des médicaments. Où en sommes-nous 27 ans plus tard ? Aujourd’hui, le tiers de la popula-tion mondiale n’a pas accès ou dis-

pose d’un accès insuffisant aux mé-dicaments essentiels. En Afrique, ce chiffre est supérieur à 50%. 60% des décès sur ce continent sont dus aux maladies infectieuses et parasi-taires. Dans les pays européens, ces mêmes maladies sont responsables de 5% des décès seulement. 40000 personnes meurent chaque jour dans le monde faute d’accès aux médicaments. 6 maladies causent la majorité de ces décès : la pneumo-nie, la diarrhée, le VIH/sida, le pa-ludisme, la rougeole et la tubercu-lose. Or ces maladies ne devraient plus tuer aujourd’hui. Il est en effet possible de les traiter mais les trai-tements ne sont pas disponibles dans les pays du Sud. Alors qu’auparavant les gens mouraient pour des raisons scientifiques, la médecine étant incapable de faire face à ces maladies, aujourd’hui les gens meurent pour des raisons économiques. En effet, le principal obstacle à l’accès aux médicaments est leur coût. Celui-ci est directe-ment lié aux brevets qui limitent la concurrence des médicaments gé-nériques. En effet, dès qu’on intro-duit des génériques sur le marché, s’instaure une concurrence qui en-traîne une diminution des prix.

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Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi l’objectif de la santé pour tous en l’an 2000 n’a-t-il pas pu être atteint ? Pourquoi les politiques des médicaments essentiels n’ont-elles pas produit les résultats escomp-tés ? La réponse est simple : parce qu’au droit à la santé qui commençait à émerger à la fin des années 1970 s’est substitué un nouveau droit, à savoir le droit de la propriété intel-lectuelle. Il est ainsi question de droit des deux côtés : d’une part le droit des populations à vivre, et d’autre part, le droit des multina-tionales à faire des profits, des pro-fits extraordinaires. L’industrie pharmaceutique est en effet l’une des industries les plus rentables au monde. Aux Etats-Unis, ses profits sont supérieurs à ceux réalisés dans le secteur de la banque ou de la fi-nance. Elle s’est opposée au droit à la santé pour protéger ses profits, notamment en militant pour l’introduction des droits de proprié-té intellectuelle dans les accords commerciaux, au premier rang les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’OMC a été créée à Marrakech en 1994. Elle succède au GATT (General

Agreement on Tariffs and Trade ou Accord général sur les tarifs doua-niers et le commerce) qui regrou-pait initialement 23 pays. Au-jourd’hui, plus de 140 pays sont membres de l’OMC. Beaucoup d’économistes estiment que ce fut une erreur d’inclure la propriété in-tellectuelle dans les accords de l’OMC. En effet, la propriété intel-lectuelle ne concerne pas le com-merce en lui-même. Certains ont avancé que les droits de propriété intellectuelle permettaient de régler les litiges commerciaux. En réalité, l’introduction des droits de proprié-té intellectuelle dans les accords de l’OMC, défavorable aux pays pauvres, est le fruit du lobbying de l’industrie pharmaceutique, très proche des Ministères du Com-merce dans les pays industrialisés. Les accords commerciaux reposent normalement sur des avantages mutuels ; or dans le domaine de la propriété intellectuelle, les pays pauvres ont fait des concessions unilatérales ; ils ont donné mais n’ont quasiment rien reçu. Ainsi, alors qu’auparavant la réglementa-tion et la protection des droits de propriété intellectuelle étaient gé-rées principalement par

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l’Organisation Mondiale de la Pro-priété Intellectuelle (OMPI), c’est désormais l’OMC qui en a la charge. Le GATT ne prenait pas en compte le degré de protection, chaque pays avait sa propre législa-tion et déterminait librement son régime de propriété intellectuelle. Au Maroc, jusqu’en décembre der-nier, il n’y avait pas de brevet sur les médicaments, seuls les procédés de fabrication pouvaient être proté-gés par des brevets. De nombreux pays disposaient d’une législation similaire. L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC), si-gné dans le cadre de l’OMC, uni-formise au niveau international les droits de propriété intellectuelle. Il est souvent écrit que l’OMC im-pose un ensemble de règles. En réalité, l’Accord sur les ADPIC ins-taure un cadre général qui fixe une protection minimale, et laisse une certaine marge de liberté aux pays. Il offre en effet des flexibilités pour protéger la santé publique. Ces flexibilités furent difficiles à obte-nir. Une fois intégrées dans l’Accord sur les ADPIC, les pays riches, Etats-Unis et Union euro-

péenne en tête, ont tenté par tous les moyens d’empêcher les pays pauvres d’y recourir. Aujourd’hui encore, ils continuent à essayer d’en limiter l’utilisation. L’Accord sur les ADPIC impose aux pays d’accorder des brevets de 20 ans pour toutes les inventions dans n’importe quel domaine tech-nologique, y compris donc pour les produits pharmaceutiques. Il est toutefois possible dans certaines si-tuations de passer outre le droit des brevets et d’émettre ce qu’on ap-pelle des licences obligatoires ou dans le langage de l’OMC « l’usage gouvernemental ». Si un pays es-time avoir besoin d’un médicament donné pour résoudre un problème de santé publique, il peut émettre une licence d’office qui lui permet d’utiliser l’invention sans l’autorisation du détenteur du bre-vet moyennant seulement le verse-ment de royalties. L’Accord sur les ADPIC prévoit également des li-cences obligatoires qui fonction-nent selon le même principe. La principale différence réside dans le fait que les licences d’office doivent être utilisées uniquement dans le cadre de programme de santé pu-blique ; cela signifie notamment

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que les médicaments génériques fa-briqués dans le cadre de licences d’office ne peuvent pas être en vente libre dans les pharmacies. L’Accord sur les ADPIC autorise également les importations paral-lèles. Il convient de bien différen-cier les importations parallèles des importations de génériques. L’importation parallèle consiste à importer un médicament breveté d’un pays où il coûte moins cher. Par exemple, un produit donné d’un laboratoire coûte 100 dh au Maroc, alors qu’en Espagne il coûte seulement 80 dh. Le Maroc a inté-rêt à l’acheter en Espagne pour réa-liser une économie. Ce faisant, le Maroc ne contrevient pas au droit des brevets puisque c’est le labora-toire lui-même qui a mis le médi-cament à ce prix-là sur le marché espagnol. Le laboratoire est déjà ré-compensé pour son invention en Espagne et le Maroc n’a donc pas à lui verser de royalties. Il existe éga-lement dans l’Accord sur les ADPIC des exceptions au droit des brevets telles que l’exception Bolar. Cette exception autorise les fabri-cants de médicaments génériques à effectuer les tests cliniques pour démontrer la bioéquivalence avec le

médicament original avant l’expiration du brevet. Une fois le brevet expiré, le médicament géné-rique peut ainsi être mis immédia-tement sur le marché. Le recours à ces différentes flexibilités a été con-firmé dans la Déclaration de Doha en 2001. Les pays disposaient de différents délais pour appliquer l’Accord sur les ADPIC. Les pays en dévelop-pement avaient jusqu’au 1er janvier 2005, les pays les moins avancés (PMA) jusqu’au 1er janvier 2006 avec une possibilité de prolonga-tion jusqu’en 2016. Un système de mail box était cependant prévu par l’Accord sur les ADPIC. L’OMC a demandé aux pays qui ne déli-vraient pas de brevet sur les médi-caments avant la création de l’OMC à l’instar du Maroc de mettre en place un système de boîte à lettres fictive pour stocker les demandes de brevet déposées par les labora-toires entre 1995 et 2005. Pendant 10 ans, les demandes de brevet se sont ainsi accumulées. Au début de l’année, cette boîte à lettres a été ouverte au Maroc et les premiers brevets sur les médicaments ont été délivrés.

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Pour se mettre en conformité avec l’Accord sur les ADPIC, le Maroc a adopté une nouvelle loi sur la pro-priété intellectuelle, la loi 17/97. Votée en 2000, cette loi est entrée en application le 18 décembre 2004. Le Maroc a-t-il profité des flexibili-tés offertes par l’Accord sur les ADPIC afin de protéger la santé publique ? La réponse est négative. Pourquoi ? Il faut savoir que dans la plupart des pays en développe-ment, comme cela a été le cas au Maroc, les nouvelles lois sur la pro-priété intellectuelle ont été rédigées avec l’aide d’agences étrangères de coopération. Cette pratique s’appelle de l’assistance technique. Elle permet en fait aux pays indus-trialisés de promouvoir leurs propres intérêts en matière de pro-priété intellectuelle. Le Maroc n’a donc pas profité de toutes les flexi-bilités. La loi 17/97 interdit les im-portations parallèles. Elle ne pré-voit pas d’exception Bolar ; celle-ci serait toutefois ajoutée dans le nou-veau Code de la pharmacie, ce qui est une bonne chose. Les méca-nismes de versement de royalties ne sont pas clairement définis. Les li-cences obligatoires sont condition-nées ; pendant les 4 premières an-

nées d’un brevet, le Maroc ne peut pas émettre de licence obligatoire. Or une telle disposition n’est pas présente dans l’Accord sur les ADPIC. Le contenu de la « mail box » a été communiqué récemment à l’ALCS grâce aux démarches du Pr Him-mich auprès de l’Office marocain de la propriété industrielle et com-merciale (OMPIC). Elle contenait plus de 800 demandes de brevets. Ces demandes ont quasiment toutes été accueillies favorable-ment. Des brevets abusifs ont été délivrés. Par exemple, un brevet du laboratoire Glaxosmithkline (GSK) a été déposé auprès de l’Office eu-ropéen des brevets en 1993 et au Maroc en 1998. Or la nouveauté constitue un des principaux critères de brevetabilité. Un produit déjà breveté en 1993 n’est pas nouveau et l’OMPIC ne devrait pas lui ac-corder un brevet. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore étudié en détail le contenu de la mail box ; nous allons le faire très prochaine-ment. Il est fort probable que des médicaments aujourd’hui dispo-nibles au Maroc à un prix raison-nable aient été brevetés ou le soient

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prochainement et voient donc leur prix augmenter fortement. La question de la propriété intellec-tuelle ne se joue pas seulement à l’OMC, elle concerne également les accords économiques bilatéraux de libre-échange. Si l’Union euro-péenne négocie des accords avec beaucoup de pays, les champions du monde en la discipline restent cependant les Etats-Unis. Les délais de négociation avec les Etats-Unis sont extrêmement courts. Lors-qu’un pays négocie avec l’Union européenne, des étapes, des rendez-vous sont fixés ; avec les Etats-Unis, ce sont des négociations accé-lérées et les accords signés ont un effet quasi immédiat puisqu’ils en-trent en vigueur l’année qui suit la négociation, si bien que les pays n’ont pas le temps de s’y préparer. En outre, les Etats-Unis proposent un package complet qui est à pren-dre ou à laisser et exercent une forte pression sur leur interlocu-teur. Au sein de l’OMC, un pays comme le Maroc peut résister parce qu’il est aux côtés de dizaines d’autres pays ; seul face aux Etats-Unis, la configuration est totale-ment différente. Les accords avec les Etats-Unis sont définitifs, alors

qu’à l’OMC il est toujours possible de continuer à négocier et de révi-ser les accords. Enfin, en cas de li-tige avec les Etats-Unis, le pays concerné se retrouve directement devant les tribunaux ; il n’y a pas de commission d’arbitrage comme à l’OMC. Quel est le contenu de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis en matière de propriété intellec-tuelle ? Cet accord est défavorable à l’accès aux médicaments. Différents éléments méritent d’être soulignés : - l’extension du domaine de la bre-vetabilité - l’exclusivité des données d’enregistrement pour une durée de 5 ans L’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) impose aux compagnies pharmaceutiques de soumettre des données prouvant l’innocuité et l’efficacité de leurs produits : ce sont les données d’enregistrement. En instaurant l’exclusivité des données d’enregistrement, l’accord de libre-échange impose aux producteurs de génériques de refaire des essais pour produire ces données, ce qui est tout à la fois coûteux, inutile et non éthique.

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- l’extension de la durée des brevets La durée des brevets peut être pro-longée en cas de nouvelles indica-tions thérapeutiques ou en cas de retard d’obtention de l’AMM. - la limitation des conditions de dé-livrance des licences obligatoires L’accord de libre-échange limite l’octroi de licence obligatoire aux cas d’extrême urgence sanitaire. - l’interdiction des importations pa-rallèles Que pouvons-nous faire ? La loi 17/97 est entrée en vigueur, les brevets sur les médicaments exis-tent désormais au Maroc. L’accord de libre-échange avec les Etats-Unis a été signé et approuvé par le Congrès américain et le Parlement marocain. Il faut toutefois séparer les deux problèmes. La loi 17/97 est une loi nationale, ce sont les lé-gislateurs marocains qui l’ont rédi-gée. S’il y a une volonté politique forte, cette loi peut être amendée, et il est urgent de le faire. En effet, le contexte international est au-jourd’hui favorable. Cette loi a été rédigée entre 1997 et 2000 à un moment où le contexte internatio-nal était défavorable. C’était l’époque du procès contre l’Afrique du Sud, des menaces contre l’Inde

et le Brésil. Aujourd’hui, tout le monde, aussi bien l’OMC que les agences des Nations Unies, s’accorde à dire que les pays en dé-veloppement doivent utiliser toutes les souplesses et flexibilités prévues par l’Accord sur les ADPIC. Il faut donc les inscrire dans la loi maro-caine. Concernant l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, il faut être très vigilant lors de sa mise en application et s’appuyer au maxi-mum sur la lettre d’entendement qui a été échangée entre les deux pays suite aux pressions de la socié-té civile. Selon les experts, cette lettre n’a certes pas une grande va-leur juridique car elle ne fait pas partie de l’accord, mais il est tout de même possible de l’utiliser pour limiter au maximum les consé-quences négatives de l’accord. Nous devons également étudier le contenu de la « mail box » pour connaître les brevets délivrés, et es-sayer d’utiliser les flexibilités que constituent les licences d’office et ce le plus vite possible. Il serait in-téressant d’organiser sur le modèle de ce qui se fait en Afrique du Sud une campagne nationale pour l’accès aux médicaments en mobili-sant la presse et en impliquant le

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maximum d’interlocuteurs. Il ne faut pas en effet se focaliser uni-quement sur le sida. Les droits de propriété intellectuelle restreignent l’accès aux traitements pour de nombreuses autres pathologies telles que les hépatites, le cancer, etc. Je connais des cancérologues qui en sont réduits à faire seule-ment du diagnostic. En se basant sur l’examen de la « mail box », nous devons pouvoir dire que tel médicament est breveté et coûte tant, et demander au Ministère de la Santé une licence obligatoire pour obtenir un traitement moins cher. Dans l’immédiat, il faut organiser un atelier national sur la propriété intellectuelle et l’accès aux médica-ments où la société civile, les fabri-cants de médicaments génériques, les experts du Ministère de la Santé ainsi que les experts internationaux seraient présents. Beaucoup de pays sont en train d’organiser de tels ate-liers avec le soutien de l’OMS et du PNUD. Malheureusement, pour bénéficier de leur soutien, le gou-vernement marocain doit en faire la demande. Nous avons rencontré Monsieur le Ministre de la santé le mois dernier et nous lui avons de-mandé la tenue d’un tel atelier.

Nous n’avons pas encore reçu de réponse définitive. La mobilisation à l’échelle régionale et internatio-nale doit également se poursuivre. L’administration américaine veut instaurer une zone de libre-échange pour toute la région Moyen-Orient Afrique du Nord d’ici 2013. Lors des négociations et de la signature des accords de libre-échange, chaque pays se bat tout seul. Il faut donc passer à un mouvement glo-bal mondial pour lutter contre les accords de libre-échange avec les Etats-Unis comme avec d’autres pays. Dr Arnaud Marty-Lavauzelle : Merci beaucoup, Othoman Mel-louk, pour cet exposé brillant et complet, qui témoigne d’un enga-gement militant sans faille.

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DEBAT Un participant : Je suis membre de l’association algérienne de pro-tection contre le sida. Notre asso-ciation a été créée en 1998. Quand on voit le travail réalisé par l’ALCS, on se dit qu’on aimerait bien être la 17e section de l’association, en fai-sant abstraction des frontières ! Pr Hakima Himmich : Vous ve-nez d’utiliser une expression qui, j’en suis sûre, a plu à Arnaud Mar-ty-Lavauzelle. Quand l’ALCS a été créée, on disait qu’elle était la sec-tion d’outre-mer de Aides ! Nous sommes bien sûr à votre disposi-tion pour toute collaboration. Un participant : Pourquoi certains pays exigent-ils le test de dépistage à l’entrée sur leur territoire ? Quel est le rôle de l’ALCS et des autres associations face à ce phénomène ? Pr Hakima Himmich : C’est comme si vous me demandiez pourquoi les droits de l’homme ne sont pas respectés à travers le monde. Comme l’a développé

Alain Molla hier, et comme je l’ai dit moins brillamment ce matin, beaucoup de pays pensent qu’il y a une contradiction entre le respect des droits des personnes vivant avec le VIH et la santé publique. Ils appliquent des règles qui étaient va-lables pour la peste ou le choléra. Or ce sont des épidémies de nature totalement différente et qui durent à peine quelques jours ; soit on meurt, soit on guérit. Certains pays continuent à appliquer ce vieux schéma à l’infection à VIH. Il faut dire que ces pays ne sont pas les champions du respect des droits de l’homme en général. Un participant : Ce qui caractérise notre société, c’est l’exclusion, l’analphabétisme et la pauvreté. Dans son discours destiné à l’étranger, le gouvernement maro-cain insiste sur le respect des droits de l’homme. C’est un discours de façade car la réalité est totalement différente ; le gouvernement bafoue les droits de l’homme en menant une politique sécuritaire, en favori-sant les classes aisées de la société et en laissant de plus en plus de gens tomber dans la pauvreté. Je propose que nous luttions pour la

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défense des droits humains en par-tenariat avec d’autres associations et que nous menions des actions de plaidoyer pour obliger le gouver-nement à assurer ses obligations sur le plan social. Les associations n’ont en effet pas les moyens de se substituer à l’Etat. Nous devons également former des réseaux na-tionaux et internationaux pour combattre la mondialisation sau-vage, responsable de l’augmentation de la pauvreté. Un participant : J’ai une question pour le Dr Mellouk. J’ai eu l’occasion d’assister à une journée de réflexion organisée par l’association Attac sur l’accord éco-nomique de libre-échange entre les Etats-Unis et le Maroc. Qu’a fait l’ALCS après le vote récent de la loi en Inde ? Un travail en réseau avec d’autres associations a-t-il été me-né ? Dr Othoman Mellouk : Le Parle-ment indien a récemment voté une loi sur la propriété intellectuelle. L’ALCS a suivi tout le débat suscité par la préparation et le vote de cette loi. Nous avons écrit à Monsieur l’Ambassadeur de l’Inde au Maroc à

plusieurs reprises. Nous avons éga-lement écrit au premier Ministre indien, au chef du Parlement, ainsi qu’aux laboratoires pharmaceu-tiques. Pour la première fois, mais c’est passé complètement inaperçu malheureusement, un Marocain vi-vant avec le VIH a adressé person-nellement une lettre à Monsieur l’Ambassadeur de l’Inde. Malgré nos efforts, la loi a été votée en Inde et elle va restreindre l’accès aux médicaments. Concernant l’Inde, l’ALCS n’a pas travaillé au niveau national, mais davantage dans le cadre de coalitions interna-tionales. Je devais moi-même partir en Inde pour rejoindre des acti-vistes du monde entier juste avant le vote au Parlement, mais je n’ai finalement pas pu m’y rendre. Ce qui s’est passé en Inde dépasse un peu tout le monde. Ce que l’industrie pharmaceutique a réussi avec l’Inde équivaut en terme d’impact à la signature de 50, 60, voire 100 accords de libre-échange. On sait que l’Inde est le premier producteur de génériques au monde, et donc la principale source d’approvisionnement pour les pays en développement. Le vote de la loi

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indienne est véritablement un gros coup de l’industrie pharmaceutique. Un participant : Il faut que l’ALCS puisse aller dans les mai-sons closes pour faire de la préven-tion et également voir ce qui s’y passe. A Marrakech, il existe des maisons closes où des mineurs sont exploités sexuellement. Dr Othoman Mellouk : Je ne pense pas que cela soit le rôle de l’ALCS. En tant qu’acteur de la so-ciété civile, nous pouvons suivre ce qui se passe et dénoncer les situa-tions lorsque c’est nécessaire et je vous assure que nous ne nous en privons pas. La question de l’exploitation sexuelle des mineurs est très délicate, et je doute qu’on soit les mieux placés pour traiter le problème. Devons-nous aller voir des mineurs pour leur dire d’utiliser des préservatifs ? Devons-nous al-ler voir les pédophiles eux-mêmes ? Il y a des associations qui sont spé-cialisées dans le travail auprès des enfants. Nous collaborons avec elles. Nous avons ainsi déjà travaillé avec Bayti, l’AMESIP ou encore avec Atfalouna. Ce que nous avons obtenu la semaine passée est ex-

traordinaire. Le préservatif n’est dé-sormais plus considéré comme une preuve de flagrant délit et nos in-tervenants sont désormais identifiés par des cartes et ainsi à l’abri de toute arrestation. Ainsi, nous con-damnons et dénonçons l’exploitation sexuelle des mineurs mais nous pensons que d’autres as-sociations sont mieux armées que nous pour travailler avec les en-fants. Pr Hakima Himmich : Je vou-drais apporter une précision au ni-veau de la terminologie. Nous n’avons pas à attendre que les per-sonnes qui vivent de leur corps soient reconnues officiellement pour les appeler travailleur(se)s du sexe. C’est une question de respect. La terminologie est très importante. La preuve en est que tous les inté-gristes s’offusquent que l’on parle de travailleur(se)s du sexe. Afamia Kaddour : Je voudrais faire plusieurs remarques. Premiè-rement, il faut mettre en place dans les écoles une éducation sexuelle respectueuse des droits humains. Pour assurer cet enseignement, le corps enseignant doit recevoir une

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formation spécifique. Deuxième-ment, je voudrais souligner que chez nous, au Liban, tous les hommes de religion, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, ont un comportement similaire : ils refu-sent d’intégrer la problématique des droits humains dans leurs discours. Troisièmement, je pense qu’il fau-drait réglementer le travail du sexe, ce métier le plus vieux du monde. Avant la guerre, cette activité était règlementée au Liban ; aujourd’hui la situation a beaucoup évolué avec l’arrivée de nouvelles travailleuses, pour la plupart clandestines. Des lois seraient nécessaires pour les protéger contre les réseaux mafieux de prostitution. Un participant : Le travail du sexe doit être considéré comme du tra-vail informel et il faut que nous nous battions aux côtés d’autres as-sociations pour le respect du droit à la santé reproductive. Derrière ce terme de « santé reproductive », il est en fait question de sexualité et de liberté de choix. Pr Hakima Himmich : Votre re-marque est tout à fait pertinente. L’ALCS ne peut atteindre seule ses

objectifs. C’est pourquoi nous avons invité aux Assises les associa-tions de défense des droits humains et de défense des droits des femmes. Il est en effet primordial de travailler en réseau avec toutes les associations concernées. Un participant : Ma question est la suivante : quelle est la priorité de l’ALCS au niveau stratégique ? Est-ce la prévention ? Est-ce la défense des droits de l’homme ? Est-ce la défense des droits des personnes vivant avec le VIH ? Pr Hakima Himmich : Vous pouvez demander à ceux qui sont à l’ALCS depuis longtemps. Réguliè-rement, nous nous disons qu’il ne faut plus lancer de nouvelles ac-tions, qu’il faut arrêter d’innover. En réalité, nous menons toujours plusieurs actions en même temps et c’est ce qui nous a permis d’avancer jusqu’à présent. Nous ne sommes pas en France où il existe une asso-ciation spécialisée dans l’écoute, une autre dans l’action auprès des travailleur(se)s du sexe, une autre encore dans la collecte de fonds, etc. Nous sommes la seule associa-tion au Maroc dans le domaine du sida à s’intéresser à l’accès aux trai-

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tements et à la défense des droits des personnes vivant avec le VIH. Nous continuerons donc à nous battre sur tous les fronts. Gaëlle Krikorian, consultante pour l’ALCS : Je voudrais juste faire un petit commentaire à pro-pos de la question qui a été posée sur l’Inde. J’imagine que lorsqu’on commence à parler de propriété in-tellectuelle, beaucoup d’entre vous se disent qu’il s’agit de quelque chose de très compliqué qui se joue au niveau international. Je pense qu’il est important de comprendre que lorsqu’on parle de propriété in-tellectuelle, on parle en fait de droits, notamment du droit à la santé et du droit aux médicaments. Ces droits sont définis par des lois nationales dépendantes d’accords internationaux ou comme l’a dit Othoman d’accords bilatéraux comme l’accord entre les Etats-Unis et le Maroc. Ces accords sont porteurs de nombreuses obliga-tions, en général plutôt défavo-rables aux pays pauvres et favo-rables aux pays riches et à leur industrie. Mais ces accords confè-rent également des droits ; ce sont les flexibilités dont parlait Otho-

man. Que signifient ces droits ? Dans le cas du Maroc, ce sont les droits des Marocains à avoir accès à des médicaments abordables. Mais il faut que les citoyens rappellent à leur gouvernement qu’il doit utiliser les flexibilités prévues par l’OMC. Sinon l’accès aux médicaments risque de devenir de plus en plus difficile ; les médicaments ne seront pas accessibles aux plus pauvres. Alors même si les débats sur la propriété intellectuelle peuvent pa-raître parfois lointains, il faut se rappeler que les enjeux sont extrê-mement concrets, que les malades sont directement concernés. Pour revenir à la question posée sur l’Inde, je tiens à souligner que l’Inde a adopté une législation qui va au-delà des normes fixées par l’OMC. L’Inde, comme le Maroc, dispose de flexibilités qui lui per-mettent de contourner les brevets pour continuer à fabriquer des gé-nériques et les donner à sa popula-tion. Il faut donc utiliser ces droits que constituent les flexibilités et donner l’exemple à l’Inde, faire pression en tant que malade pour avoir accès à des médicaments gé-nériques, continuer à travailler avec les malades indiens pour qu’ils fas-

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sent pareil dans leur pays, inciter le gouvernement marocain à collabo-rer avec le gouvernement indien et à définir des stratégies communes. Dr Othoman Mellouk : Merci, Gaëlle ! Gaëlle travaille avec nous depuis plusieurs années sur le dos-sier des médicaments génériques. C’est notamment grâce à elle que nous avons pu mener l’analyse du texte complexe de l’accord écono-mique de libre-échange avec les Etats-Unis. Nous avons adressé cette analyse aux députés du Parle-ment. Un participant : J’ai une série de questions pour notre invitée liba-naise. Quelles sont vos proposi-tions pour lutter contre les viola-tions des droits individuels ? Quelle est la situation épidémiologique au Liban ? Existe-t-il des associations spécialisées dans la lutte contre le sida ? Quel est le lien entre la reli-gion et le respect des droits de l’homme ? Existe-t-il des lois qui règlementent les tests de dépis-tage ? Afamia Kaddour : Il n’existe pas au Liban de système de déclaration

obligatoire des maladies infec-tieuses. Le nombre de cas de sida est estimé à 700. Les prestations de santé sont gratuites, mais les per-sonnes vivant avec le VIH souf-frent de stigmatisation. Une seule association travaille spécifiquement dans le domaine du sida, mais les autres associations qui luttent pour la défense des droits individuels sont également amenées à travailler sur le problème du sida. Les hommes de religion condamnent tous l’homosexualité, la consomma-tion de drogue et le travail du sexe. Le poids des religions est très fort. Par exemple, lorsque deux per-sonnes de religion différente sou-haitent se marier, elles sont obligées d’aller à l’étranger. La laïcité est re-fusée au Liban. Les militants du monde arabe doivent donc s’entraider et collaborer dans la lutte pour la laïcité. Un participant : Cette probléma-tique « Sida, santé et droits de l’homme » est nouvelle pour les mi-litants des associations de défense des droits de l’homme. Il faut col-laborer avec ces associations afin qu’elles adoptent des plans d’action qui viendront compléter la lutte de

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l’ALCS. Le fondement de cette lutte, ce sont les droits humains dans leur universalité et leur globa-lité.

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POLITIQUE DE PREVENTION ET DISCRIMINATION

Table ronde n°2

L’L’ ESTIME DE SOI DANS LESTIME DE SOI DANS L ’’ APPROCHE DE PROXIMITAPPROCHE DE PROXIMIT E AUPRES E AUPRES

DES POPULATIONS VULNDES POPULATIONS VULN ERABLESERABLES ,, Amine Boushaba

DD ROITS DES FEMMES EN ROITS DES FEMMES EN MAMA TIERE DE SEXUALITE ETIERE DE SEXUALITE E T DE SANTE T DE SANTE

REPRODUCTIVEREPRODUCTIVE ,, Dr Hicham El Asli

AA TTEINTES A LA VIE PRTTEINTES A LA VIE PR IVEE DES PERSONNES VIVEE DES PERSONNES V IVANT AVEC LE IVANT AVEC LE

VIH/VIH/ SIDASIDA :: QUELLES REPONSES JURQUELLES REPONSES JUR IDIQUES ET SOCIALESIDIQUES ET SOCIALES ?? Marc Morel

PP LACE DE LA PREVENTIOLACE DE LA PREVENTIO N AUPRES DES POPULATN AUPRES DES POPULAT IONS IONS

VULNERABLES DANS LE VULNERABLES DANS LE PLPL AN STRATEGIQUE NATIOAN STRATEGIQUE NATIO NALNAL ,, Dr Hamida Khattabi

Modérateur : Eric Fleutelot

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La place de la prévention auprès des populations vulnérables dans le plan stratégique national de lutte contre le sida Dr Hamida Khattabi Je remercie vivement le Pr Hakima Himmich de me donner une nou-velle fois la parole. Depuis plu-sieurs années, le Programme natio-nal de lutte contre le sida et la Direction de l’épidémiologie ont toujours répondu présent lors de ces importantes manifestations que sont les Assises nationales de l’ALCS. Les Assises constituent pour le Ministère de la Santé l’occasion de mettre en exergue un certain nombre de ses réalisations dans le cadre de la lutte contre le sida, mais également de réaffirmer son attachement au partenariat pri-vilégié avec l’ALCS, un partenariat fructueux et exemplaire. Le Pr Himmich et le comité d’organisation des Assises m’ont proposé comme sujet « La place de la prévention auprès des popula-tions vulnérables dans le plan stra-tégique national de lutte contre le sida » ; j’ai toutefois préféré vous

présenter les principales réalisations du Ministère de la Santé aussi bien en matière de prévention auprès des groupes vulnérables que d’accès aux traitements pour les personnes vivant avec le VIH. Je voudrais d’ailleurs souligner combien la col-laboration avec l’ALCS a été indis-pensable pour atteindre nos objec-tifs. Je voudrais également remercier Madame Jroundi qui a d’abord travaillé à l’ALCS avant de devenir responsable du PNLS. J’ai énormément appris auprès d’elle. Permettez-moi également de rendre hommage au Dr Jawad Mahsour, ancien directeur du Département de l’épidémiologie, qui a initié la collaboration avec l’ALCS. Je présenterai tout d’abord la situa-tion épidémiologique au Maroc, puis les objectifs de la stratégie na-tionale, et enfin les principales réa-lisations. Concernant la situation épidémio-logique au Maroc, nous avons pu mettre en place un certain nombre de systèmes de surveillance épidé-miologique. Ces systèmes nous permettent de mesurer l’évolution de l’épidémie, ou du moins de faire des estimations. Le premier sys-tème repose sur les déclarations de

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cas de sida faites par les médecins traitants. Jusqu’à l’an passé, près de 85% des déclarations provenaient du pôle d’excellence de Casablanca, c’est-à-dire du service des maladies infectieuses du Pr Himmich au CHU Ibn Rochd. Avec l’équipe du Pr Himmich, nous avons travaillé sur une décentralisation du système de prise en charge ; aujourd’hui, des centres référents commencent ainsi à émerger dans le pays. La surveil-lance sentinelle constitue le second système de surveillance. Elle a été mise en place en 1993. Chaque an-née, nous suivons un certain nombre de groupes de la popula-tion, parmi lesquels les porteurs IST, les femmes enceintes, et les tuberculeux. Le troisième système de surveillance est la surveillance transfusionnelle. Depuis 1988, tout don de sang est contrôlé afin d’éviter les risques de contamina-tion par le VIH. Depuis 1993, c’est également le cas pour les hépatites B et C. La surveillance transfusion-nelle permet de mesurer la préva-lence de l’infection à VIH auprès des donneurs de sang. Enfin, la surveillance de deuxième généra-tion constitue le quatrième et der-nier système de surveillance. Il

s’agit de surveiller la prévalence dans les groupes vulnérables, de mesurer leurs connaissances en ma-tière de VIH et d’analyser leurs comportements. Le Maroc comptait au 31 décembre 2004 1587 cas de sida déclarés. Le premier cas de sida a été diagnosti-qué en 1986. On observe depuis cette date une progression régulière de l’épidémie avec plusieurs pics, notamment en 1998, 2002 et 2004. Comment expliquer ces pics ? Ils sont tous liés à des phases intenses de communication autour de la ma-ladie. En 1998 a été commémorée la Journée mondiale du sida ; l’introduction de la trithérapie au Maroc a alors donné lieu à de nombreuses actions de communi-cation. En 2002, on a de même beaucoup parlé de l’initiative Ac-cess de l’ONUSIDA en faveur de la baisse du prix des traitements anti-rétroviraux. Enfin, 2004 est l’année de la campagne nationale de com-munication sociale. Grâce aux systèmes de surveillance mis en place, nous disposons d’un certain nombre d’informations concernant la prévalence dans dif-férents groupes de la population. C’est le cas notamment pour les

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professionnel(le)s du sexe ; en 2003, la prévalence dans ce groupe était estimée à 2,27%. Il faut souli-gner que le Maroc a été parmi les premiers pays en 2003 à instaurer cette surveillance de deuxième gé-nération auprès des profession-nel(le)s du sexe suite aux recom-mandations de l’OMS en 2002. Ceci a été possible grâce à la colla-boration de l’ALCS qui organise des consultations IST pour les pro-fessionnel(le)s du sexe dans ses dif-férentes sections. La surveillance de deuxième génération a également été mise en place auprès des déte-nus grâce au soutien de l’administration pénitentiaire. Dans le cadre de la surveillance sentinelle, on observe une tendance à l’augmentation de la prévalence chez les femmes enceintes. J’en viens maintenant à la stratégie nationale de lutte contre le sida. Je voudrais rappeler combien l’environnement politique et juri-dique national est favorable à la lutte contre l’épidémie. Première-ment, on note un engagement poli-tique au plus haut niveau. Sa Majes-té Mohammed VI a présenté le plan stratégique national lors de la session extraordinaire des Nations

Unies à New York en juin 2001. Il a inauguré en 2002 l’hôpital de jour pour le suivi des personnes vivant avec le VIH à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. Récemment, au mois d’avril 2005, il a visité le ser-vice des maladies infectieuses dirigé par le Pr Himmich. Deuxièmement, le Maroc a publié un nouveau code de la famille garant des droits de la femme. C’est une fierté pour le pays car on ne peut pas parler de prévention auprès des femmes sans disposer d’un cadre légal adéquat. Enfin, le dernier facteur détermi-nant est l’application du quota pour la représentation des femmes au Parlement. Il faut également noter que la réac-tion du Ministère de la Santé face au sida a été précoce. Le premier programme national de lutte contre le sida a été mis en place dès 1988. De même s’est instaurée très tôt une collaboration entre l’ALCS et le Ministère de la Santé. Celui-ci a en effet toujours su qu’il ne pouvait pas tout seul combattre efficace-ment le sida. Le programme national de lutte contre les IST/sida comprend trois actions principales :

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- la prise en charge des IST à tra-vers l’approche syndromique Les IST ont longtemps constitué un problème majeur de santé pu-blique. Jusqu’à récemment, on comptait environ 350000 nouveaux cas d’IST chaque année. C’est pourquoi la lutte contre les IST et l’amélioration de leur prise en charge ont été inscrites comme priorité dans le programme natio-nal. - les activités IEC ciblées en privi-légiant une approche multisecto-rielle - le dépistage et la prise en charge des personnes infectées par le VIH L’objectif global du plan stratégique national de lutte contre le sida 2002-2004 est double : couvrir par des activités de prévention de quali-té 200000 personnes appartenant aux groupes vulnérables ; prendre en charge 800 personnes vivant avec le VIH. Les groupes vulné-rables sont ainsi au cœur de l’action du Ministère de la Santé. Ils ont été identifiés au niveau local par les as-sociations. En lien avec les groupes vulnérables, des zones prioritaires ont été choisies. Passons maintenant aux principales réalisations. Des guides nationaux

de référence ont été élaborés : prise en charge syndromique des IST ; diagnostic et prise en charge de l’infection par le VIH/sida ; éduca-tion formelle ; éducation par les pairs pour les groupes vulnérables ; dépistage volontaire anonyme et gratuit ; gestion des déchets pointus et tranchants. Ces guides visent à définir des normes claires de quali-té. Tous ces guides, à une exception près, ont été élaborés en étroite col-laboration avec l’ALCS et l’équipe du Pr Himmich au CHU Ibn Rochd. Le guide de la prise en charge syndromique des IST a no-tamment été implanté au niveau de toutes les formations sanitaires. Mais une telle action restait insuffi-sante car beaucoup de groupes vul-nérables ne viennent pas dans les centres de santé. Aussi est-ce grâce aux centres de dépistage anonyme et gratuit de l’ALCS que nous avons pu atteindre ces groupes. En matière de prévention, un grand événement a eu lieu au Maroc en juin 2004, à savoir le lancement de la campagne nationale de commu-nication sociale. Pour la première fois, nous avons communiqué non seulement autour de l’existence du sida et des moyens de prévention,

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mais nous avons également affiché partout le préservatif. Le plan stratégique national compte 4 phases : - sensibilisation et prise de

conscience - information sur les modes de

transmission et de prévention - lutte contre la stigmatisation et

la discrimination - promotion du dépistage ano-

nyme et gratuit. Nous venons d’achever la phase 3 et nous sommes aujourd’hui en plein lancement de la phase 4. L’apport de l’ALCS a une nouvelle fois été déterminant : l’association a été pendant longtemps la seule as-sociation au Maroc à proposer des tests de dépistage anonymes et gra-tuits. Le guide national de référence a été élaboré par l’ALCS afin de mettre à niveau toutes les autres as-sociations. Depuis deux ans, deux autres associations, à savoir l’OPALS et la Ligue, proposent ce type d’activité. L’ALCS reste ce-pendant leader avec 2847 tests réa-lisés au cours de l’année 2004. La prévention de proximité compte également parmi les principales réa-lisations. Le Ministère de la Santé a

bénéficié de la longue expérience de l’ALCS en matière d’éducation par les pairs auprès des groupes vulnérables et a implanté cette acti-vité en partenariat avec les autres associations et les départements gouvernementaux à caractère so-cial. Je voudrais maintenant parler de l’accès aux traitements. C’est lors de la conférence internationale de Vancouver en 1996 qu’ont été pré-sentés pour la première fois les ré-sultats de la trithérapie. Suite à cette conférence, le Pr Himmich a insisté auprès du Ministère de la Santé pour que la trithérapie soit intro-duite au Maroc. Pendant plusieurs mois, nous avons ainsi travaillé avec le Pr Himmich sur la réalisa-tion d’un consensus national. Les recommandations du consensus de Marrakech élaboré en novembre 1997 ont été traduites en circulaire en 1998, date de l’introduction de la trithérapie au Maroc. Le Maroc a pu bénéficier de l’Initiative ACCESS mise en place par l’ONUSIDA pour accélérer l’accès aux antirétroviraux. L’ALCS a éga-lement demandé l’abolition des droits de douane et de TVA sur les antirétroviraux. Le Ministère de la

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Santé a transmis sa demande au Ministère des Finances et obtenu gain de cause. En 2003, en dépit de l’IAA, des patients au Maroc se trouvaient cependant toujours sur liste d’attente pour obtenir les anti-rétroviraux. C’est l’inclusion du Maroc en juin 2003 dans le pro-gramme d’appui du Fonds Mondial pour la lutte contre le sida, la tuber-culose et le paludisme qui a permis la généralisation de la trithérapie. Depuis 1998, le coût de la trithéra-pie a considérablement diminué puisqu’il est passé de 13000 dh mensuels par malade à 800 dh. Au-jourd’hui, 926 malades sont sous traitement. Je terminerai mon intervention en mentionnant les partenaires du PNLS. Au niveau national, ce sont les comités régionaux et provin-ciaux intersectoriels, les associa-tions médicales et associations de développement (OPALS, LM-LMST, AMJCS, AMSED, AMPF, CRM), les départements gouver-nementaux (Education nationale, Secrétariat de la Jeunesse, Justice, Entraide Nationale, Communica-tion, Habbous), et des acteurs du secteur privé (Ordre national des médecins, CGEM). Au niveau in-

ternational, ce sont le Fonds Mon-dial de lutte contre le SIDA, la Tu-berculose et le Paludisme, les agences onusiennes (OMS, UNFPA, PNUD, UNICEF, UNESCO, UNIFEM, FAO), la Banque Mondiale, les agences de coopération belge, française, alle-mande, américaine, et enfin l’Union européenne.

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Atteintes à la vie privée des per-sonnes vivant avec le VIH/sida : quelles réponses juridiques et sociales ? Marc Morel Depuis le début de l’épidémie, les demandes ayant trait au respect des droits des personnes, à savoir l’accès aux droits, la lutte contre les discriminations, et la protection de la vie privée, ont été au cœur des préoccupations des personnes at-teintes et de leurs proches. Dès son origine, l’association SIDA INFO SERVICE a pris comme axe ma-jeur de développement de son ac-tion la promotion des droits des personnes. Notamment, parce que outre le nombre croissant d’appels, on a considéré que la lutte contre l’épidémie passait nécessairement par la défense des droits. SIDA INFO SERVICE a donc décidé en partenariat avec AIDES de créer en 1993 une ligne d’information juri-dique, SIDA INFO DROIT, mise en commun de l’expertise juridique de AIDES et du savoir faire de SIDA INFO SERVICE. Le champ d’intervention de SIDA INFO

DROIT s’est progressivement élar-gi aux problématiques connexes : - aux hépatites en premier lieu. Les personnes atteintes par une hépa-tite C sont globalement confrontées aux mêmes types d’exclusion que les personnes séropositives au VIH - aux droits des malades et aux dis-criminations fondées sur l’état de santé. On voit ainsi des personnes atteintes d’autres pathologies graves (cancer par exemple) nous appeler. - aux demandes ayant trait à la re-connaissance des droits des homo-sexuels (lutte contre l’homophobie et reconnaissance des couples de même sexe) et plus généralement à tout ce qui a trait aux discrimina-tions fondées sur l’orientation sexuelle. Voyons les grandes tendances des appels de SIDA INFO DROIT lors de l’année 2004. Depuis plus de 10 ans maintenant, près de 4 ap-pels sur 5 concernent quatre do-maines : l’accès aux assurances et aux prêts ; le monde du travail ; les droits sociaux ; les droits des per-sonnes (droits des malades et at-teintes à la vie privée). Viennent ensuite le droit de la famille (appels concernant le divorce, la garde d’enfant, l’assistance à la procréa-

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tion médicalement assistée, et le PACS) et le droit des étrangers (ac-cès à un titre de séjour, accès aux soins). Puis des thèmes moins fré-quemment abordés mais récur-rents : demandes relatives aux pro-blèmes financiers, au logement, à la transfusion sanguine et à la pénali-sation de la transmission dite vo-lontaire. 1) Premier domaine de sollicitation depuis l’ouverture de la ligne, l’accès aux assurances représente un appel sur trois en France. Comment pourrait-il en être autre-ment alors que les progrès théra-peutiques permettent aux per-sonnes de s’inscrire dans le temps à moyen et long terme et de faire des projets (achat d’un ordinateur, d’une voiture, d’un bien immobi-lier, projet professionnel) et que face à cette évolution considérable, les assureurs et les banques modi-fient difficilement leur position en refusant dans la majorité des cas d’assurer et donc de prêter à des personnes séropositives ? Plus de deux tiers des personnes nous ap-pellent au sujet du questionnaire médical ; deux types de question sont récurrents :

- est-il légal et normal qu’une assu-rance pose la question de savoir si un test de dépistage du VIH a été fait et quel en est le résultat ? On constate que les personnes ressen-tent souvent ces questions, même si elles sont légales, comme une at-teinte à leur vie privée et à leur in-timité. - que répondre au questionnaire ? Doit-on déclarer ou non sa séropo-sitivité ? Autrement dit, ai-je une autre alternative que de ne pas dé-clarer ma séropositivité pour obte-nir le crédit ? Qu’est ce que je risque ? « J’ai fait une demande de prêt et elle a été rejetée parce que je suis séropositif. Si j’avais su… » « Dans le cadre d’un prêt immobilier, la banque me demande de remplir un ques-tionnaire médical. On me pose la question de savoir si j’ai fait un test et quel en est le résultat. Je trouve cela scandaleux ! C’est une véritable atteinte à ma vie pri-vée…. » « Mon mari est séropositif depuis 4 ans. Je suis quant à moi séronégative. On fait un emprunt immobilier. On était à la banque lorsque l’on nous a demandé de remplir un questionnaire médical très dé-taillé…mon mari était paniqué, en plus

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devant le banquier…on a prétexté un rendez-vous. Maintenant, on ne sait vraiment pas quoi faire. Si on déclare sa séropositivité, on va nous refuser le prêt et en plus tout le monde va se demander pourquoi…, par ailleurs mentir, ça on ne veut pas, on ne l’a jamais fait. Vous nous conseillez quoi ? » On note beaucoup d’appels tradui-sant l’inquiétude des personnes quant au non respect de la confidentialité des informations médicales. Loin d’avoir baissé les bras et forts de notre expérience, nous avons participé activement depuis 4 ans maintenant au travail de réflexion et à l’élaboration d’une convention qui permet selon cer-taines conditions l’accès à l’assurance et au prêt. C’est no-tamment en nous unissant avec des associations agissant dans le do-maine d’autres pathologies que nous pourrons réussir à faire évo-luer les assureurs et les banquiers. Mais ne nous y trompons pas, c’est sous la pression et avec l’aide indis-pensable des pouvoirs publics que nous pouvons y parvenir. 2) Les personnes rencontrent de multiples difficultés et ceci à tous

les niveaux de la vie profession-nelle. « Je suis convoqué à la médecine du tra-vail dans le cadre d’une embauche. Je me demande si je dois dire que je suis séropo-sitif. J’ai peur que mon employeur l’apprenne et que je perde mon em-ploi… » « Je suis technicien de laboratoire. J’ai fait état de ma séropositivité au médecin du travail. Il m’a déclaré inapte à ce poste. J’ai réintégré le labo en qualité de secré-taire, je trouve cela inadmissible ! C’est vraiment n’importe quoi ! » « Peut-on être licencié quand on est en ar-rêt maladie ? » « Suite à l’annonce de ma séropositivité à mon employeur, j’ai vu ma situation pro-fessionnelle se dégrader ! Bien noté, ayant même bénéficié de promotions, j’ai reçu depuis lors plusieurs avertissements » Les difficultés s’articulent autour de trois temps principaux : - difficulté à obtenir un emploi On constate qu’il est souvent préfé-rable de ne pas faire état de sa sé-ropositivité lors de son embauche et ceci même à la médecine du tra-vail, qui ne représente pas l’espace de confiance et d’échange qu’elle devrait être. Elle est souvent perçue comme étant au service des em-ployeurs et comme étant globale-

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ment incompétente en matière de VIH, voire même à l’origine de l’exclusion. - difficulté à conserver son emploi, à suivre un traitement lourd et à obtenir un aménagement du travail (aménagement de poste, de durée, mi-temps thérapeutique) Inscrire une pathologie chronique dans un travail à long terme et ob-tenir le cas échéant un aménage-ment de poste est très complexe. Ainsi, comment expliquer des ab-sences sans avoir à dévoiler la na-ture de la maladie ? Comment ne pas éveiller le doute chez l’employeur? Près de la moitié des personnes qui nous appellent ont été confrontées à un licenciement directement in-duit par leur séropositivité. Force est de constater que pour beaucoup de personnes, le VIH fait toujours peur. On note un rejet de la part de l’employeur mais aussi parfois de la part de certains collègues. - difficulté à se réinsérer et à reprendre une activité professionnelle De plus en plus de personnes, ayant arrêté de travailler pour des raisons de santé, envisagent la re-

prise d’une activité professionnelle mais ne sont plus en mesure ou ne souhaitent plus exercer leur activité antérieure. Si le droit du travail met à disposi-tion des salariés de nombreux ins-truments juridiques tels que la loi de juillet 1990 interdisant les dis-criminations relatives à l’état de santé, la pratique nous montre que cela n’est pas suffisant. Nécessaire mais pas suffisant. Ainsi, on compte seulement trois cas de con-damnation pour discrimination liée à la séropositivité en 15 ans, en rai-son notamment de la difficulté à prouver la discrimination. Les actes discriminatoires sont évidemment rarement écrits et sauf cas excep-tionnel non revendiqués. Aussi, nous savons tous que la lutte contre les discriminations passe par un changement des comporte-ments, ce qui est plus difficile que de voter une loi par ailleurs essen-tielle. La France vient de mettre en place en ce début d’année 2005 une instance de lutte contre les discri-minations : la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Les personnes peu-vent la saisir directement et elle les aide à apporter la preuve de la dis-

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crimination pour pouvoir notam-ment soit aboutir à une médiation, soit aller en justice. Car c’est parfois l’ultime solution pour faire valoir ses droits et aussi pour garder l’estime de soi après avoir été meur-tri et stigmatisé, même si la dé-marche est lourde, difficile et coû-teuse. 3) En matière de droits sociaux, les demandes sont toujours plus nom-breuses et ceci d’autant plus si on les met en parallèle avec les appels ayant trait aux problèmes financiers et au logement. Cette augmentation s’explique : - une précarisation toujours plus grande des personnes touchées - un manque de lisibilité des droits sociaux (multiplicité des presta-tions, complexité des procédures à suivre et dysfonctionnements ré-currents) « Je sors de l’hôpital…Après 10 mois de démarches, je me suis vu refuser l’AAH. Je suis catastrophé. » « Je suis en arrêt maladie depuis août 1999. Je touche des indemnités journa-lières qui s’élèvent à 500 euros/mois. C’est très juste, existe-t-il des aides que je pourrais solliciter? »

« Le médecin conseil m’a dit que j’étais maintenant en état de retravailler. D’accord, ça va mieux mais je suis très fatigué…je suis incapable de retravailler et en plus je ne veux plus faire mon précé-dent métier ! » L’état de santé des personnes s’étant sensiblement amélioré grâce aux progrès thérapeutiques, nombre d’entre elles redoutent de perdre leurs prestations sociales (AAH, pension d’invalidité par exemple). En effet, si elles vont mieux, sont-elles pour autant à même de reprendre une activité professionnelle ? Enfin, beaucoup d’appels ont trait à la possibilité de cumul des presta-tions. Le flou de certains textes d’une part et les pratiques des ser-vices sociaux d’autre part aboutis-sent à des situations très contras-tées et discrétionnaires. 4) Les appels concernant les droits des personnes concernent essentiel-lement les droits des malades (dans plus de deux tiers des cas) et les at-teintes à la vie privée. Quelques exemples significatifs : - les refus de soins par des soi-gnants

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C’est le cas des dentistes notam-ment : l’ordre des chirurgiens den-tistes vient tout récemment (22 mars 2005) et sur la demande de AIDES et de SIDA INFO SERVICE de rédiger une circulaire à l’ensemble des professionnels leur rappelant qu’un refus de soins ne peut en aucun cas être justifié par l’état de santé d’un patient. - le dépistage Depuis 1987, des textes légaux in-terdisent tout dépistage à l’insu dans les hôpitaux ; la même inter-diction existe dans les prisons de-puis 1989. Tout dépistage doit être soumis au consentement de la per-sonne. Toute violation de cette procédure constitue une atteinte à la vie privée et peut faire l’objet de poursuites. - l’impossibilité d’accéder à son dossier médical Une loi permet depuis mars 2002 un accès direct à son dossier médi-cal sans qu’il soit nécessaire de pas-ser par un médecin. - les violations récurrentes du secret professionnel et plus globalement le non respect de la confi-

dentialité. La loi précise que toute personne a droit au respect de sa vie privée et au secret des informa-tions la concernant. Le secret est très large puisqu’il couvre l’ensemble des informations con-cernant la personne portées à la connaissance d’un professionnel de santé, de tout membre du person-nel d’un établissement de santé et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec un établis-sement de santé. Toute violation du secret professionnel est punie de prison et d’amende. - la divulgation d’information con-cernant son état de santé par des voisins, des amis, des collègues de travail, des membres de la famille. Toute divulgation d’information re-lative à l’état de santé, qu’elle soit fausse ou vraie, peut donner lieu à des poursuites judiciaires. « J’ai dit à mon dentiste que j’étais séro-positive et il m’a dit qu’il ne pourrait plus me soigner… » « J’ai demandé à avoir communication de mon dossier médical. On a fini plusieurs mois plus tard par m’envoyer copie d’une feuille de température !

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« J’ai une aide ménagère qui a dit à deux personnes que j’avais le sida et l’information s’est propagée. Aujourd’hui, tout le monde le sait ! Je veux porter plainte. » Viennent ensuite les demandes concernant : - la lutte contre l’homophobie et le PACS (partenariat civil entre deux personnes de sexe opposé ou de même sexe) - la pénalisation de la transmission dite volontaire du VIH. Gardons à l’esprit que c’est la maladie qu’il faut combattre et non les malades. Si l’on simplifie à l’extrême, on peut regrouper les problématiques abor-dées autour de deux domaines : les discriminations liées à l’état de san-té (refus d’assurance, exclusion du travail, non respect des droits des malades, atteinte à la vie privée) ; les discriminations liées à l’orientation sexuelle. J’ajouterai que l’intérêt d’une ligne d’information et de conseil juri-dique est triple : 1/ c’est un outil pour connaître et faire valoir ses droits 2/ cela constitue un observatoire des difficultés juridiques et sociales auxquelles se heurtent les per-

sonnes atteintes par le VIH, et plus globalement les personnes atteintes par une pathologie chronique évo-lutive 3/ c’est un levier pour revendiquer de nouveaux droits Les différents exemples abordés soulignent qu’il est possible de faire évoluer les choses. Des lois doivent être votées pour interdire les com-portements de rejet et de discrimi-nation. Mais au-delà, ce sont les mentalités qu’il est nécessaire de faire progresser. Pour cela, une plus grande visibilité des personnes sé-ropositives est nécessaire. Il n’y a pas de progrès sans visibilité. Aussi me semble-t-il important et nécessaire de renforcer les partena-riats Nord/Sud dans le domaine des droits des malades, des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations.

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Droits des femmes en matière de sexualité et de santé repro-ductive Dr Hicham El Asli La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes consacre les droits des femmes en matière de sexualité et de santé reproductive. Le droit in-ternational relatif aux droits de l’homme reconnaît que la jouis-sance d’un état de santé optimal, y compris la santé reproductive, est un des droits fondamentaux de tout être humain. La santé reproductive ne se limite pas seulement à l’absence d’infection et de maladie mais signifie que les femmes ont la capacité d’avoir des rapports sexuels et d’en tirer plaisir, de pro-créer, de mener leur grossesse à terme, de contrôler leur fertilité, et ce en toute sécurité. A l’heure ac-tuelle, des millions de femmes vi-vent dans des conditions qui com-promettent leurs droits en matière de santé reproductive. Dans de très nombreuses régions du monde, les coutumes existantes, les lois en vi-

gueur et l’insuffisance de l’information et des services de san-té ne permettent pas le respect des droits des femmes en matière de santé reproductive et de sexualité. De nombreuses sociétés attribuant un statut inférieur aux femmes con-sidèrent qu’un taux élevé de morta-lité maternelle est naturel et inévi-table. Deux remarques s’imposent. Premièrement, la mortalité mater-nelle est largement évitable. Deu-xièmement, elle est le point culmi-nant d’une discrimination permanente subie par les jeunes filles et les femmes dans maintes régions du monde. En général, celles-ci sont défavorisées par rap-port aux jeunes garçons ; elles re-çoivent une alimentation, des soins de santé et une éducation de moindre qualité. Elles souffrent également d’un accès insuffisant à l’information dont elles auraient besoin pour faire des choix éclairés tout au long de leur vie. Le droit de déterminer librement sa sexualité, y compris le droit de refuser d’avoir des rapports sexuels, est un facteur essentiel pour garantir les droits des femmes en matière de santé repro-ductive et sexuelle. Même lors-qu’une femme a accès à des infor-

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mations fiables, à des services de santé, ses droits restent théoriques si son statut domestique inférieur ne lui permet pas de se protéger, par exemple en obtenant l’accord de son partenaire pour l’abstinence ou l’utilisation d’un préservatif. Les adolescentes, sensibles aux pres-sions de nature sexuelle exercées sur elles, sont exposées à des risques de grossesse indésirable et sont vulnérables à l’infection à VIH. Il s’agit là de questions fon-damentales tant au Nord qu’au Sud. Aux Etats-Unis par exemple, la grossesse chez les adolescentes est un problème croissant. Le taux de grossesse chez les adolescentes y est ainsi plus élevé que dans tous les autres pays industrialisés ; les adolescentes afro-américaines sont les plus touchées. Chez de nom-breuses adolescentes, la grossesse est le fruit de rapports sexuels avec des adultes, et non avec des adoles-cents. De plus, des enquêtes révè-lent que la première relation sexuelle pour beaucoup de jeunes filles résulte d’un viol ou d’un acte incestueux. Le risque croissant d’infection à VIH accentue la né-cessité urgente pour les femmes de contrôler leur activité sexuelle. Par-

tout dans le monde, et particuliè-rement en Afrique subsaharienne, la prévalence du sida s’accroît plus vite chez les femmes que chez les hommes. Les jeunes filles et les femmes sont particulièrement vul-nérables car les hommes ont ten-dance à croire qu’elles sont moins susceptibles d’être contaminées. Elles peuvent ainsi être incitées ou obligées à avoir des relations sexuelles avec de multiples parte-naires. Les jeunes filles et adoles-centes laissées sans protection suite au décès de leurs parents, emportés par le sida, ou bien en raison de tensions sociales, sont les plus ex-posées aux agressions sexuelles et à l’infection à VIH. Les femmes ont souvent été la cible de politiques démographiques na-tionales ou internationales visant à contrôler leur fertilité. En 1994, les travaux de la Conférence interna-tionale sur la population et le déve-loppement qui s’est tenue au Caire ont montré que les inégalités entre les femmes et les hommes dans la vie publique et privée peuvent avoir de profondes répercussions sur la démographie, et plus largement sur le succès du développement du-rable. La capacité de planifier le

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nombre et l’espacement des nais-sances influe non seulement sur les fonctions procréatrices des femmes, mais également sur leur rôle productif, c’est-à-dire leur apti-tude à participer à la vie écono-mique, culturelle, sociale et poli-tique de leurs communautés. En janvier 1995, 139 Etats avaient rati-fié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, mais certains avaient as-sorti leur ratification de réserves of-ficielles concernant le droit de la famille et les règles régissant le ma-riage. En dépit de ces réserves, le respect des autres dispositions de la Convention par les pays signataires représente le début d’un processus positif et suscite l’espoir que l’ensemble de la communauté in-ternationale finira par reconnaître que le développement durable ne peut devenir une réalité tant que toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, aussi bien dans la vie privée que publique, n’ont pas été éliminées.

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L’estime de soi dans l’approche de proximité auprès des popula-tions vulnérables Amine Boushaba La vulnérabilité de certaines catégo-ries de population au VIH/sida n'est pas le fruit du hasard. On en trouve bien souvent la cause dans une vulnérabilité sociale initiale. Les relations sexuelles ou affectives entre hommes ou entre femmes, tout comme le travail sexuel, sont des délits. Elles représentent à la fois une transgression de la loi et de la norme sociale dominante, si bien que les personnes concernées font l’objet d’un opprobre quasi général. Je me souviens des premiers entre-tiens que Habib et moi avions réali-sés en 1993 déjà auprès de jeunes prostitués masculins à Marrakech et Casablanca. Très souvent, les jeunes auxquels on parlait du sida pour la première fois nous répon-daient que la maladie était déjà en eux. Ils parlaient en fait de leur orientation sexuelle. « Que pouvez-vous faire pour nous en guérir ? » nous demandaient-ils. Ils avaient tellement intériorisé le mépris que

leur témoignaient leur famille, leur entourage et la société en général qu’ils pensaient tout simplement mériter leur sort. Subir la violence et/ou le viol d’un frère, d’un cou-sin, d’un oncle, ou servir d’exutoire sexuel aux autres jeunes du quar-tier, était vécu par eux comme une situation normale et ordinaire. Ils n’avaient aucun droit, ils n’étaient personne et n’osaient même pas espérer accéder à la dignité. Jusqu’au jour où cela devient into-lérable et c’est la fugue, parfois à 13, 14 ou 15 ans. Cette fugue mène le plus souvent au trottoir, au parc, bref au travail sexuel. Mais ce n’est pas la fin du calvaire, car tout re-commence avec beaucoup plus de violence. Face à autant de misère humaine et de détresse sociale, nous nous trouvions totalement dé-semparés. Ce schéma n’est pas propre aux jeunes garçons, on le retrouve éga-lement chez les travailleuses du sexe. Mêmes abus, même violence, même rejet pour ces femmes qui se sont placées ou ont été placées de l’autre côté de la frontière du mode de vie socialement légitime. Elles sont dénigrées, certes parce que prostituées, mais avant d’être des

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prostituées, ce sont des femmes qui ont perdu leur respectabilité en perdant leur vertu. Comment une personne n’ayant aucune estime d’elle-même, aucune vision du fu-tur, aucune envie d’être peut-elle penser à se protéger et encore plus à protéger l’autre ? Comment une personne méprisée, marginalisée, noyée dans des problèmes de sur-vie, peut-elle prendre le temps, avoir la disponibilité d’esprit pour nous écouter, nous autres acteurs de lutte contre le sida avec nos dis-cours militants à mille lieues de sa vie quotidienne ? Il nous a fallu du temps pour réali-ser que nos actions ne pouvaient être efficaces que si elles étaient complétées par un travail en pro-fondeur sur l’estime de soi : ac-compagner ces personnes, les écou-ter, les aider à relever la tête, leur offrir un espace d’écoute et d’expression. Un tel travail ne pa-raissait pas a priori directement lié au VIH/sida. Il nous a fallu du temps pour convaincre nos struc-tures elles-mêmes, pour surmonter les résistances qu’opposaient cer-tains de nos militants qui ne com-prenaient pas la pertinence de la démarche et craignaient que les ac-

tions ne débordent leur cadre initial et ne se transforment en revendica-tion identitaire ou en approche syndicale du travail sexuel. Aussi un grand hommage doit-il être rendu à Hakima Himmich et Latifa Imane qui, dès le début, ont très courageu-sement soutenu cette démarche. A partir de 1996, l’estime de soi a été complètement intégrée à nos actions de prévention de proximité. Cette démarche tout à fait nova-trice dans le contexte socioculturel de la région nous a d’ailleurs valu une reconnaissance internationale. Elle est basée sur l’approche parti-cipative, et surtout sur le respect des choix et des modes de vie des individus avec une abstention de tout jugement moral. La dimension communautaire de l’ALCS, la for-mation initiale de nos volontaires basée sur le non jugement et le res-pect de la différence ainsi que sur la confidentialité ont certainement fa-cilité l’intégration des profession-nel(le)s du sexe dans nos structures. Donner de l’information sur les lieux de drague, distribuer des pré-servatifs et du gel, discuter avec les bénéficiaires sur le terrain est certes très important et c’est ce que nous avons toujours fait. Cependant,

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pour susciter un changement dans les comportements, il fallait passer à un cap supérieur et compléter le travail de terrain par un travail plus structuré et plus approfondi au sein même de nos sections. Les personnes contactées sur le ter-rain sont orientées vers l’ALCS où elles reçoivent un accueil personna-lisé. Elles peuvent visionner des films documentaires, se procurer des préservatifs, effectuer des tests de dépistage et des consultations IST ou tout simplement discuter avec les volontaires. C’est aussi dans les locaux de l’ALCS qu’a lieu la suite logique du travail de pré-vention réalisé sur le terrain. Les bénéficiaires peuvent échanger sur le mode interactif leurs expériences de la prostitution et inciter les nou-veaux venus ou les moins expan-sifs à prendre la parole. Nous avons pu constater sur le ter-rain combien ces personnes pou-vaient être exclues du système en raison de leurs activités, de leurs moeurs, de leurs origines sociales et parfois même en raison de leur ap-parence physique. Elles éprouvent ainsi de la crainte ou tout du moins une certaine appréhension envers toute structure à caractère officiel.

Pour aider ces personnes à surmon-ter leur appréhension et les inciter à se rendre au siège de l’association, des séances de convivialité sont ré-gulièrement organisées. Ces séances se déroulent le samedi après-midi. Même si les questions relatives au VIH/SIDA sont abordées par le biais de jeux et de concours, ces séances gardent un caractère festif avec musique, chant et danse, le but étant de familiariser cette popula-tion avec les structures de l'ALCS et d'instaurer un climat de con-fiance. Ces séances connaissent un réel succès auprès des bénéficiaires qui en parlent largement autour d’eux. Ceci nous a poussés à réflé-chir longuement à notre approche de la prévention et à l'intérêt de la convivialité, voire même du lu-dique, dans les techniques d'infor-mation et de sensibilisation des personnes marginalisées et généra-lement très peu scolarisées. Dans un contexte social qui ne brille pas par sa tolérance et son ouverture d’esprit, ces séances sont relativement difficiles à organiser, particulièrement pour le groupe des travailleurs sexuels. Tout d'abord, la réussite de nos actions dépend en

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grande partie du contrat de con-fiance établi avec les bénéficiaires et de notre discrétion. En dépit de nombreuses sollicitations média-tiques, nous ne communiquons donc qu’avec beaucoup de pru-dence. Organiser des séances de ce genre, parfois bruyantes et assez colorées, peut nous attirer une pu-blicité qui serait très dommageable pour la pérennité de nos actions, voire susciter des réactions vio-lentes dont les premières victimes seraient les usagers. Nous avons tous encore en mémoire quelques expériences malheureuses ; il est en effet déjà arrivé que la presse traite de l’homosexualité sur le mode du sensationnalisme et que les réac-tions des autorités soient particuliè-rement violentes (rafles géantes, ar-restations, prisons, etc.). En second lieu, étant une structure de préven-tion et de prise en charge des per-sonnes affectées par le VIH, l’ALCS est ouverte à des publics extrêmement différents, il s'agit donc de trouver un équilibre et de parvenir à une bonne gestion de l’espace, ce qui n’est pas toujours facile. Des réunions thématiques sont aussi organisées, elles s'articulent

autour de discussions sur des thèmes en relation avec les préoc-cupations quotidiennes du public ciblé : le vécu de l'homosexualité au Maroc, de la prostitution, la vie des mère-célibataires, le rôle des usa-gers et leur implication dans le pro-jet, etc. Ces réunions ont pour ob-jectif de faire un travail en profondeur sur l’estime de soi et de créer des liens d’entraide entre les membres du groupe. Il est impor-tant de noter que les sujets des dé-bats sont proposés par les bénéfi-ciaires eux-mêmes. Il est ainsi possible de créer une vraie dyna-mique de groupe et des liens de so-lidarité entre les personnes d’un même milieu. Concernant l'information juridique, la sensibilisation des bénéficiaires à leurs droits, nous avons recours aux services d’avocats, d’assistantes so-ciales, d’acteurs et actrices sociaux travaillant sur les questions de la femme. Les bénéficiaires appren-nent à connaître leurs droits, à sa-voir exactement à quel moment ils sont en situation d’illégalité. Ils sont ainsi mieux armés pour faire face à d’éventuels abus de pouvoir. La section d'Agadir est notamment en partenariat avec une association qui

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offre une assistance juridique et administrative aux bénéficiaires. La connaissance du corps, la con-traception, la santé reproductive, ou encore l’hygiène intime sont des thèmes qui sont traités lors des séances de prévention collectives par des spécialistes (médecins, sage-femmes, etc.). Dans la plupart des sections, le tra-vail sur l'estime de soi est donc en-gagé depuis longtemps. Il peut aus-si prendre la forme d'atelier de beauté, d'hygiène ou de bien-être (séances de détente, de henné et de maquillage) afin que les bénéfi-ciaires se réapproprient leur corps, instrument de travail honnis et mé-prisé qui ne leur appartient plus, considéré comme souillé et avili par la pratique du travail sexuel. Il semble que ces méthodes visant à réduire la vulnérabilité sociale et à susciter une conscience et une dy-namique de groupe portent leurs fruits et se traduisent à Casablanca et Marrakech par une plus grande solidarité sur le terrain chez les per-sonnes qui se rendent régulière-ment à l’association. Il est désormais clairement admis que l'estime de soi, une vision op-

timiste du futur et la confiance dans l'avenir jouent un rôle très impor-tant dans la modification des com-portements et l'adoption de pra-tiques réduisant les risques d’infection par le VIH. Eric Fleutelot : Merci Amine. J’ai trouvé toutes les interventions pas-sionnantes. On parle aujourd’hui beaucoup de globalisation. Moi qui ai la chance de voyager énormé-ment pour mon travail, aussi bien en Afrique, en Asie qu’en Europe orientale, je constate effectivement que les thématiques abordées, les problèmes évoqués et les solutions avancées ici se retrouvent dans de nombreux autres pays. Tes conclu-sions, Amine, ce sont également celles de la Blue Diamond Society qui est une association d’homosexuels et de transgenres à Katmandou au Népal. L’été der-nier, cette association a subi une rafle de la police. Une trentaine de travestis ont été jetés en prison. Deux d’entre eux ont été violés par les forces de police. Après un tel événement, il est à la fois difficile et effrayant pour les intervenants de revenir sur le terrain pour mener des actions de prévention. Plusieurs

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associations s’étaient rendues à l’ambassade du Népal à Paris pour protester. Le 1er Secrétaire de l’ambassade nous avait rassurés en nous affirmant que l’homosexualité n’existait pas au Népal…

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DEBAT Un participant : Les propos de Marc Morel m’ont surpris. Je ne pensais pas qu’en France, un des pays les plus développés du monde, les droits des personnes vivant avec le VIH pouvaient être bafoués. Comment expliquer une telle situa-tion, alors même qu’il existe des as-sociations de lutte contre le sida qui ont des moyens humains et finan-ciers suffisants pour mener un tra-vail de sensibilisation et de plai-doyer ? Marc Morel : Les préjugés en France sont aussi lourds qu’ailleurs : il n’y a pas de diffé-rence fondamentale. Il est vrai qu’il existe des textes qui protègent les personnes vivant avec le VIH, et des entreprises où leurs droits sont respectés. Mais il ne faut pas se leurrer. Les situations de discrimi-nation restent nombreuses. Le sida reste un sujet tabou. Or sans visibi-lité, il n’y a pas de progrès. Les textes sont indispensables mais ne sont pas suffisants pour faire chan-ger les mentalités.

Pr Hakima Himmich : Je vou-drais remercier tous les interve-nants. Toutes les interventions ont été d’un très haut niveau. Je vou-drais revenir plus particulièrement sur l’intervention d’Amine Bousha-ba. Je voudrais le remercier per-sonnellement car son rôle a été dé-terminant dans la mise en œuvre de notre programme de prévention auprès des travailleurs du sexe. Le thème qu’il a choisi « L’estime de soi » est au cœur de la réflexion de nombreuses associations ; je pro-pose que nous y consacrions cette année un séminaire en collabora-tion avec notre amie Catherine Tourette qui nous a aidés à mettre en place l’éducation thérapeutique et qui travaille désormais sur le thème de l’estime de soi. Un participant : Je suis biologiste au Centre national de dépistage et de confirmation du sida à l’Institut National d’hygiène à Rabat. J’ai une question pour Madame Khattabi concernant la relation médecin trai-tant-malade. Certains médecins des centres de santé et médecins privés montrent de l’agressivité lors de l’annonce du résultat du test de dé-pistage. A l’Institut National

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d’hygiène, nous ne rencontrons pas ce genre de problème car nous avons l’habitude de travailler avec les médecins des hôpitaux publics qui savent comment annoncer le résultat. Je voudrais donc savoir si le Ministère de la Santé a prévu des séminaires ou des ateliers de forma-tion continue pour les médecins, notamment les médecins privés et ceux des centres de santé. Dr Hamida Khattabi : Je vais rec-tifier une erreur : la prise en charge des personnes vivant avec le VIH ne se fait pas au niveau des centres de santé, mais des hôpitaux. Un malade n’a jamais été pris en charge dans un centre de santé. De même, l’annonce du test de dépistage n’a jamais été confiée aux biologistes qui travaillent à l’Institut National d’hygiène. C’est un point sur lequel Madame Himmich et le Ministère de la Santé ont particulièrement in-sisté. En outre, Madame Himmich, en collaboration avec le Fonds de Solidarité Thérapeutique Interna-tional (FSTI) et le groupement d’intérêt public ESTHER, a fait bénéficier les médecins des centres de Casablanca et de Rabat de for-mations spécifiques concernant le

respect de la confidentialité et l’annonce de la séropositivité. Pr Hakima Himmich : Effecti-vement, je ne vois pas comment un médecin dans un centre de santé peut être amené à faire une an-nonce de séropositivité. J’ajouterai simplement ceci : il faut être spécia-liste, il faut être formé pour faire des annonces de séropositivité. Ce-pendant, tous les médecins sont censés avoir appris le respect de la confidentialité à la faculté et avoir prêté le serment d’Hippocrate lors de leur soutenance de thèse. Et je ne décerne aucune palme aux mé-decins de la santé publique par rap-port aux médecins du privé. Des violations du secret médical sont à déplorer dans les deux secteurs. Un participant : Ma question s’adresse à Madame Khattabi. Elle concerne le volet du PNLS « Lutte contre la stigmatisation et la dis-crimination ». J’aimerais connaître vos réalisations et recommanda-tions, sachant que les malades au niveau des services de santé sont particulièrement maltraités.

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Un participant : Dans le même ordre d’idées, je voudrais mention-ner le refus de certains médecins de pratiquer des examens, par exemple des fibroscopies, sur les personnes vivant avec le VIH. Je pense que l’ALCS doit former, en collabora-tion avec le Ministère de la Santé, le personnel médical et paramédical à la prise en charge des PVAV. Dr Othoman Mellouk : J’ai une question pour Madame Khattabi. Nous avons suivi la campagne de mobilisation sociale et nous vous félicitons pour cette campagne. Tous les jours, dans nos sections, nous constatons les bienfaits de cette campagne : un nombre crois-sant de personnes nous sollicite, vient effectuer un test de dépistage, etc. Si l’on se réfère aux documents officiels, les cibles principales de cette campagne sont les femmes et les jeunes. C’est très bien. Mais on sait que la prévention implique la promotion du test de dépistage. Or la législation marocaine interdit de pratiquer des actes médicaux, donc un test de dépistage, sur un mineur. Etant donné que le sida est une ma-ladie qui touche à l’intimité des jeunes, pensez-vous qu’un jeune

Marocain de 15-16 ans qui veut faire un test va venir au centre de dépistage accompagné de ses pa-rents ? Existe-t-il une réflexion du Ministère de la Santé sur cette ques-tion ? Dr Hamida Khattabi : Madame Himmich nous a déjà informés de ce problème, et je partage votre préoccupation. Le Ministère de la Santé est actuellement en pleine ré-flexion. Madame Himmich peut en témoigner. Elle a demandé une au-dience au Ministère de la Santé. Pr Hakima Himmich : Il serait bien que le Ministère de la Santé nous finance un atelier qui serait animé par des membres du Conseil national du sida français. Ceux-ci ont déjà mené une réflexion extrê-mement intéressante et très bien documentée. On pourrait inviter à cet atelier les juristes du Ministère de la Santé qui ne sont pas très ou-verts vis-à-vis de ce problème pour essayer de les sensibiliser. Jusqu’à présent, ils refusent catégorique-ment que les mineurs puissent ef-fectuer un test de dépistage sans l’autorisation de leurs parents.

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Dr Hamida Khattabi : Concer-nant la lutte contre la stigmatisation et la discrimination, le Ministère de la Santé a tout à fait conscience des enjeux. De nombreux ateliers ont été organisés pour sensibiliser le plateau technique dans les pôles d’excellence ainsi que dans les centres référents. Nous avons éga-lement essayé de sensibiliser l’ensemble de la société en diffu-sant des messages à la radio et à la télévision dans les quatre dialectes marocains, et en placardant des af-fiches. C’est un travail de longue haleine, et Madame Himmich pour-ra le confirmer, d’indéniables pro-grès ont d’ores et déjà été réalisés. Nous devons encore et toujours poursuivre nos efforts. Un participant : Le Maroc étant un pays musulman, a-t-on le droit de parler de la prostitution comme d’une profession ? Avant de parler de prévention et de distribuer des préservatifs, ne faudrait-il pas ré-soudre les problèmes matériels de ces femmes pour leur permettre de vivre dans la dignité ? Un participant : Ma question est pour le Dr El Asli. Quelles sont les

activités de votre association ? Quel est le pourcentage de femmes au sein de votre association ? Dr El Asli : Tous les membres du Secrétariat National de l’association sont des femmes. Pour nous, la lutte pour les droits des femmes est avant tout une lutte pour l’égalité et la citoyenneté. Nous avons œuvré pour le changement de la Mou-dawana. La nouvelle Moudawana reste toutefois imparfaite car il n’y est pas question d’éducation sexuelle et de santé reproductive. Nous luttons également pour la ra-tification des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits des femmes et leur mise en applica-tion. Un participant : Ma question est pour Madame Khattabi et concerne les déchets et objets tranchants. Nous devons nous présenter de manière nominative pour pouvoir déposer nos déchets. Le Ministère de la Santé ne pourrait-il pas trou-ver une solution plus logique et agréable ? Aujourd’hui nous avons l’impression de transporter des bombes à retardement dans nos voitures.

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Concernant les prisons, nous vi-vons quelque chose de magnifique : la réinsertion des prisonniers grâce à notre roi. Mais je vous demande, Pr Himmich, d’aller voir ce qui se passe dans les infirmeries des pri-sons. Vous constaterez que les produits à usage unique sont réuti-lisés et que les objets tranchants ne sont pas stérilisés.

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MIGRATION ET VIH

Table ronde n° 3

ORIENTATIONS ET PRINCIPES D’UN PROGRAMME DE PREVENTION DU VIH/SIDA ET D’ACCES AUX SOINS DES POPULATIONS ETRANGERES MOBILES AU MAROC. RAPPORT DE LA CONSULTATION ONUSIDA, NOVEMBRE 2004, Dr Kamal Alami

PROBLEMATIQUE DES POPROBLEMATIQUE DES PO PULATIONS MIGRANTES PULATIONS MIGRANTES ETET // OU EN OU EN

TRANSIT MIGRATOIRETRANSIT MIGRATOIRE :: QUELLE PRISE EN CHARQUELLE PRISE EN CHAR GEGE ?,?, Dr Javier Gabaldon

LA LOI MAROCAINE SURLA LOI MAROCAINE SUR LL ’’ ENTREE ET LE SEJOUR ENTREE ET LE SEJOUR DES DES

ETRANGERS ET LA MIGRETRANGERS ET LA MIGR ATION CLANDESTINEATION CLANDESTINE ,, Dr Mohamed Khachani

L’L’ EXPERIENCE DE LEXPERIENCE DE L ’’ ALCS RABAT AUPRES DEALCS RABAT AUPRES DE S POPULATIONS S POPULATIONS

MIGRANTESMIGRANTES ,, Dr Fatiha Rhoufrani

Modérateur : Dr Arnaud Marty-Lavauzelle et Pr Hakima Himmich

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La loi marocaine sur l’entrée et le séjour des étrangers et la mi-gration clandestine Dr Mohamed Khachani Mon intervention ne sera pas axée exclusivement sur la dimension ju-ridique mais je vais essayer de situer la migration, essentiellement la mi-gration subsaharienne, dans son contexte. Il y a une vingtaine de jours, une réunion d’experts en migration a eu lieu à Marrakech et l’intervention d’un expert ghanéen s’intitulait « Migration et sida ». Ce titre m’a interpellé car il peut susciter l’amalgame, exactement comme quand on parle de « Migration et terrorisme » ou de « Migration et insécurité ». Il n’y a pas de relation de cause à effet entre migration et sida. Ce qui peut provoquer ou en-gendrer le développement de la ma-ladie, c’est le contexte dans lequel se passe cette migration. Aussi convient-il d’éviter tout amalgame, même au niveau de l’intitulé des in-terventions. Parler de « Migration et sida », « Migration et VIH » risque

d’aggraver la stigmatisation des mi-grants. Les flux migratoires à destination du bassin méditerranéen sont mar-qués par un nombre de plus en plus important de migrants subsaha-riens. Pour commencer, il faut si-tuer le contexte de cette migration, de ce voyage. Celui-ci est une véri-table prouesse. Les migrants traver-sent le désert africain la plupart du temps, leur aventure commence souvent à Agadez au Niger, nou-veau carrefour migratoire vers le-quel convergent presque tous les flux en provenance de l’Afrique de l’Ouest. La traversée du désert du Ténéré a été et est à l’origine de nombreux drames. Les drames qui se déroulent dans le détroit de Gi-braltar sont largement médiatisés. Mais ce qui se passe dans le désert de Ténéré est plus grave, malheu-reusement les mass médias espa-gnols n’en parlent pas. C’est le journal français Le Monde Diploma-tique qui a révélé ces drames. Un ar-ticle de septembre 2001 racontait comment un camion était tombé en panne – ce sont des camions buil-ding, c’est-à-dire qu’ils transportent plus de 100 personnes-. Tomber en panne dans le désert est fatal ; 140

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migrants subsahariens ont péri dans cet accident. Les principales destinations des mi-grants subsahariens sont la Libye, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et sur-tout le Maroc, car c’est le pays le plus proche pour atteindre ce pré-sumé Eldorado, l’Europe. Une fois franchie cette barrière naturelle qu’est le désert, une fois ce périple terminé, les migrants ne sont pas au bout de leurs peines, car les fron-tières internes, par exemple sur les territoires libyen ou marocain, sont plus hermétiques encore que les frontières externes. Les migrants subsahariens sont alors confrontés la plupart du temps à des condi-tions de vie infrahumaines. La Mé-diterranée étant devenue une bar-rière de plus en plus infranchissable, les migrants sont obligés de s’installer dans des pays qui ne devaient être à l’origine que des pays de transit. Je vous laisse imaginer dans quelles conditions ces migrants subsahariens survi-vent. C’est le système D ; et quand ce n’est pas le système D, c’est di-rectement la mendicité. Ce phéno-mène commence à être visible dans des villes comme Rabat ou Casa-

blanca, également dans les villes du Nord du pays. Ces Subsahariens sont en fait socia-lement morts ; la seule mort qui leur reste, c’est donc la mort phy-sique. Ceci explique leur acharne-ment à vouloir traverser le détroit de Gibraltar. Je me rappelle d’un Subsaharien interrogé par un jour-naliste d’une chaîne marocaine qui disait « Moi peu m’importe. Même s’ils construisent un mur jusqu’au ciel, je trou-verai le moyen de passer ». Il n’avait plus rien à perdre, le retour étant une option exclue. Le détroit de Gibraltar est ainsi devenu le plus grand cimetière du monde. On es-time que 8000 à 10000 Subsaha-riens ont péri en mer entre 1989 et 2002. C’est une tragédie qui s’inscrit dans la durée comme en témoigne la noyade près des côtes marocaines le 19 janvier 2003 de 18 migrants subsahariens. Ce sont le plus souvent des Subsahariens qui se noient. Selon le Ministère de l’Intérieur, l’effet de ciseau est en effet intervenu en 2003. Jusqu’en 2003, on comptait une majorité de Marocains parmi les candidats à l’émigration clandestine. A partir de 2003, les Subsahariens sont deve-nus plus nombreux que les Maro-

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cains. En 2003, 12493 nationaux ont été interceptés contre 23851 étrangers dont une majorité de Subsahariens. En 2004, la tendance s’est maintenue. Au-delà de ces quelques chiffres disponibles, on manque cependant d’études sur la question. La seule étude qui existe, mais elle est un peu sommaire, est l’étude faite par le Bureau interna-tional du travail (BIT) qui concer-nait le Maroc et l’Algérie. D’autres études sont nécessaires pour mieux comprendre ce phénomène de la migration subsaharienne. On estime que 15000 à 20000 Sub-sahariens entrent chaque année ir-régulièrement sur le territoire ma-rocain. Mais bien sûr, cela reste une estimation. Ces Subsahariens sont originaires de 40 à 42 pays. Pour la période 1995-2001, ce sont les Ma-liens qui arrivent en tête, suivis des ressortissants de Sierra Leone, du Sénégal, du Nigeria, du Niger, de la Guinée, du Ghana et du Cameroun. Comme je l’ai dit auparavant, leur transit se transforme souvent en sé-jour forcé. Comment faire face à cette situation ? Le Maroc s’est aligné sur les dispo-sitifs juridiques élaborés dans les pays européens. La fameuse loi

02/03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégu-lières, constitue la pièce maîtresse de l’arsenal juridique marocain. Je vais dire quelques mots de cette loi fondée sur des considérations es-sentiellement sécuritaires. Elle s’inspire de l’ordonnance française du 2 novembre 1945 relative au droit d’entrée et de séjour des étrangers en France. Elle compte 58 articles répartis en 8 chapitres sous trois titres, à savoir « De l’entrée, du séjour des étrangers au Ma-roc », « Des dispositions pénales relatives à l’immigration et l’immigration irrégu-lière », et « Des dispositions transi-toires ». Lors de la préparation de la loi, notre association, l’association marocaine d’études et de re-cherches sur la migration, avait or-ganisé un débat à la faculté de droit. On avait convié le président de la commission Justice et Droits de l’homme au Parlement, des dépu-tés, des avocats, des juges, pour leur expliquer qu’il ne fallait pas tomber dans le piège européen, que la résolution du problème de l’immigration ne pouvait en aucun cas être sécuritaire. Les Européens ont adopté depuis 1990, c’est-à-dire

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depuis Schengen, un arsenal juri-dique répressif, en espérant qu’ils limiteraient ainsi l’immigration clandestine. Or le résultat est là : chaque jour on entend parler de candidats de plus en plus nom-breux à l’immigration clandestine. Il faut donc revoir la stratégie maro-caine fondée sur une logique sécuri-taire et appréhender autrement le problème. Il ne s’agit évidemment pas de nier la complexité du pro-blème. Les sciences sociales nous ont appris que pour agir sur un phénomène, il fallait agir sur ses causes. Alors quelles sont les causes de cette migration subsaharienne ? C’est là précisément que le bât blesse. L’Afrique régresse sur les plans économique, social et poli-tique. C’est un continent martyr, la situation est dramatique. Depuis le célèbre ouvrage de René Dumont L’Afrique noire est mal partie publié en 1962, les racines du mal-développement n’ont pas été extir-pées. L’Afrique, c’est 10% de la population mondiale mais 50% des conflits dans le monde ; c’est le continent où la pauvreté progresse, où le chômage bat son plein. Le chômage détruit les trois référen-tiels de l’être humain : le temps,

l’espace et la dimension sociale. Ce-ci explique qu’un jeune Africain au chômage se considère comme mort socialement. C’est pourquoi l’aventure qui peut lui coûter la vie lui importe peu. Il faut donc agir en amont du phénomène migratoire. Mais ce n’est pas le Maroc qui peut le faire, le problème ne peut être ré-solu que dans le cadre d’un accord international. Pourquoi la situation est-elle aussi dramatique en Afrique ? Notam-ment parce que les pays riches n’ont jamais honoré leurs engage-ments concernant l’aide publique au développement ; dans les années 1970, les pays riches, c’est-à-dire les pays de l’OCDE, se sont engagés à consacrer 0,7% de leur PNB à l’aide publique au développement. Or, ils n’ont jamais atteint ce taux, le taux atteint ne dépasse pas les 0,25%. Le manque à gagner pour les pays en développement est de 10 milliards de $ chaque année. Et le résultat, on le voit, c’est que le nombre des pays africains classés parmi les pays les moins avancés augmente. On est passé de 32 pays africains classés parmi les pays les moins avancés à 48.

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Je reviens à la loi 02/03 pour es-sayer de vous montrer pourquoi cette loi ne peut en aucun cas ré-soudre le problème de la migration subsaharienne clandestine. Il faut certes reconnaître que nous avions besoin d’une loi ici au Maroc. La loi qui était en vigueur jusqu’en juin 2003 datait du protectorat français. C’était la loi du 6 novembre 1949. Il était aberrant que le Maroc, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, conserve une loi datant de l’époque coloniale. Cette loi est appelée par les avocats ma-rocains la loi des punaises et des poux. Elle contenait en effet une disposition qui imposait à tout can-didat marocain à l’émigration d’être muni d’un certificat de désinsectisa-tion. Cette loi est restée en vigueur jusqu’en 2003. Donc, le Maroc avait effectivement besoin d’une loi, mais pas d’une loi qui soit une copie conforme des lois euro-péennes. Notre contexte diffère de celui des pays européens. Nous avons une tradition d’accueil ; feu Hassan II avait dit que le Maroc est un arbre dont les branches sont en Europe et les racines en Afrique. Comment peut-on rompre cette tradition d’accueil par une loi aussi

sécuritaire et répressive que la loi 02/03 ? Il semble en fait que le Ma-roc est en train d’assumer le rôle de gendarme que l’Union européenne veut lui faire jouer dans la région. La loi 02/03 contient un certain nombre d’articles qui sont sujets à amalgame. Dans les articles 4, 16, 17, 21, 25, 27, 35, 40 et 42, il est question de la menace à la sécurité et à l’ordre public. Ceci témoigne de la prééminence de la dimension sécuritaire de la loi. Mais la notion de menace à l’ordre public n’est pas définie et demeure ainsi ambiguë, ce qui est porteur de lourds amal-games. A aucun moment, la loi ne fait référence aux droits des mi-grants. Ceci met le Maroc en con-tradiction avec ses engagements in-ternationaux. En effet, le Maroc était parmi les premiers pays à rati-fier la Convention internationale sur la protection de tous les travail-leurs migrants – donc y compris les clandestins - et des membres de leur famille. Elle a été ratifiée par le Maroc le 14 juin 1993. La loi 02/03 est certes bénéfique sur le plan de la lutte contre les maffias, les trafi-quants, car elle prévoit des sanc-tions sévères ; mais elle sanctionne également les migrants. Imaginez-

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vous un migrant subsaharien qui arrive épuisé et sans ressources au Maroc. L’article 43 stipule qu’« est puni d’une amende de 5000 à 30000 dh et d’un emprisonnement d’un mois à un an ou l’une des deux peines seulement tout étranger qui réside au Maroc sans être titulaire de la carte d’immatriculation ou de la carte de résidence prévue par la présente loi. En cas de récidive, la peine est portée au double ». Comment un Subsaharien, qui arrive dans une si-tuation alarmante, peut-il trouver les 5000 à 30000 dh ? Je pourrais multiplier les exemples. Il y a ainsi une sanction à la fois en terme d’emprisonnement et en terme d’amende qui est particulièrement lourde. En conclusion, je dirais que pre-mièrement, on ne peut agir sur le problème de la migration subsaha-rienne qu’en agissant sur ses causes. Deuxièmement, on peut en aucun cas faire l’amalgame entre migra-tion subsaharienne et sida. C’est le contexte qui s’avère être un facteur favorable à l’incubation de la mala-die. Si on place des citoyens améri-cains, français, italiens ou maro-cains dans des conditions similaires, ils seront exactement comme les migrants subsahariens vulnérables à

l’infection à VIH. Ce n’est donc pas la migration qui est à incriminer, mais son contexte. Atiqa Chajaï : Merci pour cette présentation. Vous affinez l’analyse en montrant bien que ce n’est pas la migration qui est la cause de l’infection à VIH, mais le contexte, les conditions de vulnérabilité. Je quitte un instant mon rôle de mo-dératrice pour faire quelques re-marques. Premièrement, la loi 02/03 prévoit des mécanismes de recours contre toute expulsion arbi-traire. Malheureusement la notion même d’expulsion arbitraire n’est pas définie. Deuxièmement, il faut le répéter, la loi 02/03 a été adop-tée sous la pression et avec un fi-nancement de l’Union Européenne. Enfin, je voudrais mentionner l’existence d’un excellent reportage consacré à la migration subsaha-rienne. Ce reportage a été diffusé en 2004 sur France 2 dans l’émission Envoyé Spécial ; des journalistes avaient suivi tout le pé-riple des migrants.

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Problématique des populations migrantes et/ou en transit mi-gratoire : quelle prise en charge ? Dr Javier Gabaldon Merci beaucoup pour l’invitation, Pr Himmich. Je vais présenter briè-vement les activités que mène Mé-decins sans Frontières (MSF) de-puis 2003 au Maroc auprès des migrants subsahariens. Pour commencer, je voudrais rap-peler quelques faits. La migration subsaharienne est un drame humain largement ignoré. Il y a une absence de stratégie claire de la part des dif-férents pays concernés. En effet, le phénomène de la migration subsa-harienne touche non seulement les pays d’origine, de destination, mais également de transit. Malheureu-sement, ce phénomène n’est pas traité de façon satisfaisante en l’absence d’une stratégie globale cohérente. La seule stratégie qui existe actuellement est purement sécuritaire et répressive (contrôle des frontières, contrôle des terri-toires, interdiction d’entrée, etc.) comme en témoigne la loi maro-

caine 02/03. Les migrants subsaha-riens sont ainsi placés dans une si-tuation d’extrême vulnérabilité. Quand ils traversent le Maroc, ils sont confrontés des problèmes de santé. Leur prise en charge sanitaire représente un véritable défi pour le système de santé marocain et ce en dépit de l’appui très important des professionnels de la santé. Nous avons pu constater en deux ans de travail que l’accès des migrants sub-sahariens aux services de santé constitue en effet un problème ré-el : les discours prônant l’accès aux soins des migrants restent encore trop souvent théoriques. Les mi-grants ont peur d’être arrêtés à l’entrée des centres de santé, ils ont peur d’être reconduits à la frontière, etc. Une vision répressive et sécuri-taire prend le dessus sur les consi-dérations humanitaires et médi-cales. Les médecins et les professionnels de la santé ne mon-trent aucune réticence à travailler avec les migrants ; malheureuse-ment ils se heurtent à la logique sé-curitaire et de contrôle qui sous-tend la loi 02/03. Par ailleurs, les moyens alloués spécifiquement à la prise en charge des migrants subsa-hariens sont insuffisants. Les mi-

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grants devraient obtenir le statut d’indigent afin de pouvoir bénéfi-cier de la gratuité des soins (médi-caments, tests de laboratoire, etc.). Or ce statut leur est difficilement accordé. Aussi une intermédiation est-elle souvent nécessaire pour faire accéder les migrants subsaha-riens aux systèmes de santé. En outre, leur statut de clandestin rend le suivi des soins difficile. Toutes ces difficultés existent alors même qu’il y a une circulaire du Ministère de la Santé exigeant la prise en charge des migrants pour les maladies épidémiques et infec-tieuses. Mais cette circulaire n’est pas appliquée dans tout le pays. MSF est ainsi régulièrement con-traint de s’y référer pour exiger l’accès des migrants subsahariens aux soins. Le Maroc doit com-prendre qu’il est dans l’intérêt d'abord du patient et aussi de la santé publique marocaine de pren-dre en charge les migrants. Je vais maintenant présenter le tra-vail de MSF auprès des migrants subsahariens. L’association est pré-sente depuis 2003 dans le Nord du pays où se trouve un nombre im-portant de migrants subsahariens. Elle a d’abord commencé à travail-

ler à Tanger puis a élargi son action aux régions de Nador et d’Oujda. Il est difficile d’avancer des chiffres précis. Nous estimons cependant avoir accès à environ 2000 per-sonnes. Cette population est très mobile ; ce sont des gens qui vien-nent d’arriver, qui sont en transit, qui sont prêts à partir, ou encore qui viennent d’être reconduits à la frontière. Aussi ce chiffre de 2000 personnes fluctue-t-il et il y a un important « turn over » des mi-grants. Parmi les migrants, les femmes sont minoritaires ; elles sont 16% à Tanger, 10% à Nador et Oujda. A Tanger, certaines mai-sons sont exclusivement occupées par des groupes de femmes (jusqu’à 20 à 25 femmes), notamment du Nigeria, qui nourriront à l’avenir les réseaux de prostitution. L’objectif général de MSF est de contribuer à l’amélioration de la si-tuation sanitaire et médicale des migrants subsahariens. Cet objectif général se subdivise en trois objec-tifs spécifiques : faciliter l’accès aux soins de santé curatifs ; faciliter l’accès aux soins de santé préven-tifs ; garantir des conditions mini-males de vie.

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Si l’on veut dresser un bilan, on peut dire que MSF a réussi en col-laboration avec les professionnels de la santé, les hôpitaux, les asso-ciations, etc. à faciliter l’accès des migrants aux services sanitaires. Il existe ainsi aujourd’hui un réseau d’appui sanitaire coopératif. L’association a également réussi à instaurer une relation de confiance avec les migrants, ce qui lui permet de mener des actions efficaces. En-fin, les conditions de vie des mi-grants se sont globalement amélio-rées. Il reste cependant encore beaucoup à faire. Des incertitudes pèsent sur la pérennité des traitements antiré-troviraux pour les migrants subsa-hariens. La disponibilité des traite-ments est variable selon les villes. Il existe également un problème de suivi des traitements ; il est difficile de suivre un patient lorsque celui-ci se fait arrêter ou bien reconduire à la frontière. Les migrants n’ont en effet aucun droit. L’adhérence aux traitements est également compro-mise par la précarité des conditions de vie des migrants. Le « counsel-ling » pré et post-test de dépistage se heurte le plus souvent à des bar-rières linguistiques. La vulnérabilité

des migrants au VIH/sida est aussi liée aux agressions sexuelles dont les femmes peuvent être victimes et à l’activité de prostitution à laquelle elles sont souvent contraintes. En-fin, les migrants souffrent de stig-matisation. Même s’ils sont origi-naires de pays où les taux de prévalence du sida sont élevés, cela ne signifie pas qu’ils sont tous por-teurs du virus. Pour conclure, je voudrais simple-ment souligner d’une part le manque d’acteurs opérationnels sur le terrain, et, d’autre part, la com-plexité de la situation. Même pour les migrants, la question de la santé est parfois secondaire, car ce qu’ils souhaitent avant tout, c’est réussir et atteindre le rêve européen pour améliorer leurs conditions de vie et aider leur famille restée au pays. Atiqa Chajaï : Merci Javier. Ce que tu as dit est très intéressant et com-plète les propos de Monsieur Kha-chani. Les lois répressives font le lit de la clandestinité et la clandestinité renforce la vulnérabilité en éloi-gnant les populations des structures de prévention et de soins. Tu as également souligné le faible nombre d’acteurs sur le terrain. Les

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conditions de travail sont difficiles (identification des populations, ac-cès aux populations, communica-tion, etc.), nous le savons bien. Consciente de l’importance de l’enjeu, l’ALCS a initié un travail auprès des migrants, le Dr Rhou-frani nous en parlera, et elle compte bien poursuivre et renforcer son ac-tion.

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Orientations et principes d’un programme de prévention du VIH/sida et d’accès aux soins pour les populations étrangères mobiles au Maroc. Rapport de la consultation Onusida, novembre 2004 Dr Kamal Alami Je remercie le Pr Himmich de m’avoir invité à cet atelier pour présenter le travail qui est fait ac-tuellement par l’ONUSIDA dans le cadre de l’initiative sur la migration et la mobilité dans la sous-région. Je voudrais vous présenter les con-clusions d’une consultation qui a eu lieu au cours du mois de novembre 2004 dans le cadre de la préparation de cette initiative. Je voudrais tout d’abord rassurer Monsieur Kha-chani en lui disant qu’on ne fait pas du tout l’amalgame entre la migra-tion et le sida. En effet, ce dont il est question, c’est de la vulnérabilité des migrants au VIH/sida, et des moyens de réduire cette vulnérabili-té et d’améliorer leur accès aux soins. Je voudrais tout d’abord présenter brièvement le phénomène migra-

toire. C’est un phénomène majeur de ce nouveau millénaire. Selon les données disponibles au niveau in-ternational, il y aurait environ 150 millions de personnes dans le monde qui vivent et travaillent en dehors de leur pays. Chaque année, il y a 2 à 4 millions de nouveaux migrants. Il y a également toute la problématique des réfugiés et des déplacés. On compte 15 millions de réfugiés dans le monde et 20 à 30 millions de personnes déplacées. On connaît bien le lien entre les personnes déplacées, les réfugiés et l’infection à VIH dans plusieurs ré-gions en Afrique. Les migrants sont en situation de vulnérabilité. Exploités, stigmatisés, ils ne bénéficient d’aucune protec-tion légale ou sociale. Ils n’ont pas ou peu d’accès à l’information et à la prévention dans les pays où ils vivent, précisément parce qu’ils sont stigmatisés et vivent à l’écart des circuits officiels. Ils se heurtent également à des barrières linguis-tiques et culturelles. Souvent les migrants ne parlent pas la ou les langues du pays d’accueil et vien-nent d’horizons culturels différents. Il existe également un problème de pauvreté et de manque de res-

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sources : les migrants sont en situa-tion de précarité. L’accès aux soins est également difficile. Parmi les migrants, les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables. Aussi une réponse spécifique au ni-veau national, régional et interna-tional est-elle urgente pour réduire la vulnérabilité des migrants au VIH/sida. Dans la Déclaration d’engagement de la session extraordinaire des Na-tions Unies sur le VIH/sida qui s’est tenue en juin 2001, un para-graphe est spécialement consacré à la prévention et l’accès aux soins des populations migrantes. Cette Déclaration a commencé à être ap-pliquée. Des stratégies qui facilitent l’accès aux programmes de préven-tion et aux services sanitaires et so-ciaux pour les migrants et les tra-vailleurs mobiles ont été élaborées. L’élaboration de programmes des-tinés aux populations migrantes doit obéir à plusieurs étapes. Il faut : - analyser la situation en utilisant les méthodes d’évaluation rapide - promouvoir diverses stratégies d’action (prévention, test anonyme et gratuit, appui psycho-social, etc.)

- utiliser des moyens de communi-cation adaptés aux populations ci-blées et donc privilégier l’utilisation des langues maternelles des mi-grants - intégrer les actions dans les plans nationaux de lutte contre le sida et travailler en partenariat avec les as-sociations - porter une attention particulière aux groupes les plus vulnérables parmi les migrants - harmoniser les actions entre les pays d’origine, de transit et de des-tination - promouvoir une coordination ac-tive dans les zones transfrontalières - mobiliser les communautés de migrants - tirer les leçons des expériences de l’Afrique de l’ouest et du Centre (bassin du lac Tchad, corridor entre Djibouti et l’Ethiopie) J’en viens maintenant à l’initiative sous-régionale sur la migration et le VIH/sida. C’est une initiative qui date de 2002. Elle fait suite au pro-cessus de planification stratégique en Algérie. Une réunion des chefs d’agence des Nations Unies à Ta-manrasset a abouti à une déclara-tion relative à la mise en œuvre d’une initiative sous-régionale inté-

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grant comme parties prenantes le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Li-bye, la Mauritanie, le Niger et le Mali. Le but est de réduire la vulné-rabilité des populations migrantes, notamment les populations d’origine subsaharienne. L’ONUSIDA coordonne l’initiative au niveau de la région Mena (Afrique du Nord et Moyen-Orient). Cette initiative a reçu le soutien de l’OPEC. L’ONUSIDA contribue à l’élaboration de pro-grammes nationaux visant à la ré-duction de la vulnérabilité des po-pulations migrantes au VIH/sida et à l’intégration de ces programmes dans un plan sous-régional. Dans le cadre de ce travail, une mission de l’ONUSIDA a eu lieu au Maroc du 25 au 29 octobre 2004. Cette mis-sion visait à préparer l’analyse de la situation, identifier les partenaires actuels ou futurs, élaborer les grandes lignes du programme d’action national et arrêter les pro-chaines étapes de réalisation du programme. Les consultants d’ONUSIDA qui ont rencontré différents acteurs na-tionaux, parmi lesquels le Ministère de la Santé et ses services locaux, et également des ONG, dont MSF,

ont mis en évidence différents élé-ments. Il y aurait environ 30 000 migrants subsahariens sur le terri-toire marocain. La majorité de ces migrants sont des hommes jeunes, mais on compte également des femmes, parfois enceintes. Selon la loi, les femmes enceintes et les mi-neurs ne peuvent être expulsés. En raison des restrictions sécuritaires mises en œuvre au cours des der-nières années, les migrants se sont déplacés des villes vers les forêts. On note également une certaine sédentarisation, le passage en Eu-rope étant de plus en plus difficile. Les populations migrantes sont parfois obligées attendre deux, trois ans, voire plus pour franchir la frontière. Concernant la situation épidémiologique, on ne dispose pas de données sur la prévalence de l’infection à VIH et les comporte-ments sexuels de ces populations restent également méconnus. On connaît néanmoins les taux de pré-valence des pays d’origine. Des données parcellaires sont dispo-nibles, notamment concernant les décès dus au sida et le nombre de personnes prises en charge. La vulnérabilité au VIH/SIDA dont souffrent les populations mi-

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grantes est liée à leur marginalisa-tion, leur éloignement des struc-tures de santé, leur manque d’information. Un autre facteur de vulnérabilité concerne le jeune âge de ces migrants qui sont coupés de leur environnement familial. Il faut également mentionner l’existence d’agressions sexuelles à la fois en-dogènes, au sein même des groupes de migrants, et exogènes, de rela-tions sexuelles multipartenariales et de réseaux de prostitution. Au Maroc, il n’existe pas de pro-gramme VIH/sida pour les popula-tions migrantes, mais simplement des réponses ponctuelles à des si-tuations d’urgence identifiées à l’issue de tableaux cliniques graves (infections opportunistes, ca-chexies, etc.). Les malades sont alors pris en charge par les ONG telles que MSF ou Caritas et/ou orientés vers les services hospita-liers compétents. Ces ONG font également des visites sur les lieux de vie des migrants et mettent en œuvre des structures d’écoute et d’évaluation des problèmes de san-té. Les consultants d’ONUSIDA ont identifié un certain nombre d’opportunités. Le Ministère de la

Santé est désireux de mettre en place un programme spécifique pour les migrants, programme qui sera intégré à la stratégie nationale de lutte contre le sida. De même, les institutions sanitaires et les pro-fessionnels de la santé sont prêts à prendre en charge ces populations. Il existe également tout un réseau de partenaires identifiés au cours de la mission. Enfin le Maroc dispose d’une bonne couverture sanitaire, aussi ne faudra-t-il pas créer des services de santé spécifiques pour les migrants, mais simplement inté-grer leur prise en charge dans le cadre des services déjà existants. Les grandes lignes d’un programme national ont été proposées par les consultants ONUSIDA. Ce pro-gramme sera intégré au prochain plan stratégique national de lutte contre le VIH/sida (2006-2010). Il proposera des actions de préven-tion, d’appui psycho-social et de prise en charge médicale, avec la participation des populations con-cernées. Différents partenaires se-ront impliqués, notamment le Mi-nistère de la Santé, les ONG et associations, le groupe thématique ONUSIDA. Les axes prioritaires du programme seront la recherche

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opérationnelle, la prévention, l’amélioration de l’accès aux soins et de la qualité des services, le ren-forcement des capacités des diffé-rents partenaires, le suivi et l’évaluation intégrée. Les principaux sites identifiés pour le démarrage du programme sont Tanger, Rabat, Casablanca, Tétouan, Oujda, Na-dor, Laayoune. A l’intérieur des sites, des zones d’intervention de-vront être sélectionnées. Les pro-grammes de prévention et d’accès aux soins feront appel à des média-teurs ou accompagnateurs de santé. Ceux-ci seront notamment issus des communautés concernées et auront un rôle d’éducation, d’information, d’accompagnement vers les services de soins et d’appui psychosocial. Au cours de la mission des consul-tants ONUSIDA, la question de l’accès aux traitements a été discu-tée. Parmi les principaux avantages, on peut mentionner l’amélioration de la qualité de vie des patients et la réduction des risques de propaga-tion de l’épidémie. Il convient ce-pendant de bien mesurer le coût fi-nancier d’une telle prise en charge et de prendre en compte les diffi-cultés de suivi et les risques de non

observance du traitement. En con-séquence, il faudra établir des cri-tères stricts d’éligibilité des patients pour s’assurer de leur compliance. La mission de l’ONUSIDA a éga-lement mis en évidence la nécessité d’améliorer la qualité des interven-tions des professionnels de santé, des acteurs sociaux et associatifs, à travers l’organisation de formations initiales et continues sur les princi-pales pathologies rencontrées, la mise en place d’un travail en réseau et l’élaboration d’un système de re-cueil de données et d’indicateurs de suivi et d’évaluation. Pour conclure, je voudrais simple-ment mentionner les prochaines étapes du travail : - établir un groupe de travail multi-sectoriel chargé du suivi de l’élaboration du programme - finaliser l’analyse de la situation avant fin juillet - identifier les partenaires clés dans les différents sites d’intervention prioritaires - budgétiser le programme - organiser un atelier de consensus national en septembre prochain

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Atiqa Chajaï : Merci Kamal. Les conclusions et recommandations de la consultation ONUSIDA recou-pent les positions des ONG. Elles soulignent la nécessité de lever des fonds au niveau international, de coordonner le travail au niveau ré-gional et de créer des synergies entre les ONG et le Ministère de la Santé. Le Ministère de la Santé a exprimé une volonté politique forte en faveur des migrants, mais il est confronté à une loi répressive.

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L’expérience de l’ALCS Rabat auprès des populations mi-grantes Dr Fatiha Rhoufrani Mon travail avec les migrants a commencé il y a 5 ans. J’étais res-ponsable d’un centre de soins de santé de base à Rabat dans un quar-tier périphérique. Les migrants ve-naient alors de façon isolée, au compte-goutte. On avait l’impression qu’ils voulaient tester notre réceptivité et instaurer un climat de confiance. Il faut dire qu’à l’époque il y avait des méde-cins qui refusaient de les voir, ce qui est proprement révoltant. Dans un premier temps, je suis allée chez ces migrants qui vivaient dans des conditions véritablement lamen-tables. Je visitais les malades. Je leur disais que le centre était ouvert, qu’ils pouvaient y venir. Progressi-vement, une relation de confiance s’est ainsi établie. En adhérant à l’ALCS, j’ai acquis une vision globale de la situation épidémiologique au Maroc et j’ai pu bénéficier de l’expérience de l’association. J’ai mis en œuvre tout d’abord une éducation informelle

par les pairs, en sensibilisant les mi-grants, en les incitant à amener au centre leurs amis et connaissances, en leur donnant des préservatifs pour qu’ils les distribuent au sein de leurs communautés, etc. La pre-mière communauté concernée était la communauté congolaise. En collaboration avec le PNLS dont je remercie les responsables, nous avons ensuite dispensé une formation à 20 migrants. Le Dr Alami m’avait demandé de patien-ter encore un peu, mais comme j’avais déjà une expérience de for-mation par les pairs auprès des tra-vailleuses du sexe et que les mi-grants constituent un groupe particulièrement vulnérable, j’ai dé-cidé de me lancer. La session de formation a duré 5 jours. On commence déjà à voir les fruits de ce travail. Nous avons en effet mis en œuvre un plan d’action mensuel et les migrants nous rendent compte régulièrement de leur tra-vail. Nous avons souvent des pré-jugés négatifs envers les migrants, or je voudrais souligner ici leur dis-cipline, leur niveau d’instruction. J’ai été personnellement extrême-ment étonnée.

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Récemment, nous avons demandé aux migrants congolais quel était le dialecte le plus courant dans leur pays. Ils nous ont répondu que c’était le lingala. On leur a donc demandé de traduire en lingala le dépliant de l’ALCS et de faire au-thentifier la traduction par leur am-bassadeur au Maroc. Ils l’ont fait. Le Pr Himmich m’a assurée que maintenant que la traduction est disponible, des dépliants en lingala allaient être imprimés. C’est très important parce que cela permet aux migrants de disposer d’un do-cument de référence qu’ils peuvent conserver. L’efficacité des séances de sensibilisation est ainsi amélio-rée. Nous sommes aujourd’hui en train de préparer une deuxième session de formation pour des migrants d’un autre quartier. A notre plus grand étonnement, le Ministère de l’Intérieur s’est déclaré prêt à ap-porter son concours. C’est une très bonne chose. En conclusion, je voudrais souli-gner la nécessité de se défaire des préjugés négatifs envers les mi-grants. Ce sont des gens qui vivent dans la clandestinité, la précarité. Leur misère, leur drame restent lar-

gement méconnus. C’est un dés-honneur de laisser nos hôtes, même de transit, dans une telle situation de détresse.

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DEBAT Pr Hakima Himmich : Je vou-drais faire quelques commentaires à propos de l’intervention de Javier Gabaldon. Conformément à son devoir de réserve, Javier n’a rien dit qui puisse fâcher. Je vais dire ce qu’il n’a pas dit et qui fâche. Il n’a pas parlé de la violence exercée contre les migrants, heureusement le Dr Alami a abordé le problème ; il n’a pas parlé des refus de soins ; il n’a pas dit qu’il lui avait fallu par-fois 10 jours, voire un mois d’intervention, pour faire hospitali-ser des patients. Une patiente est ainsi arrivée chez nous au CHU Ibn Rochd à un stade terminal de la maladie. Nous avons également en ce moment une jeune femme qui avait à l’origine une simple tubercu-lose. Sa tuberculose a été aggravée par une grossesse et l’absence de soins. Elle doit avoir 24-25 ans, Ja-vier a fini par m’appeler et elle a pu être hospitalisée au CHU. Elle est aujourd’hui complètement graba-taire ; son bébé est chez les reli-gieuses à Tanger. Le drame de cette femme résume bien le drame des

migrants d’origine subsaharienne dans notre pays. Concernant l’accès aux antirétrovi-raux, Madame Khattabi nous a dit hier que Hakima Himmich harcelait le Ministère de la Santé. Effective-ment, Javier m’a informée il y a quelque temps de l’existence d’une circulaire du Ministère de la Santé. Cette circulaire n’était connue de personne. Si moi, responsable du service des maladies infectieuses au CHU de Casablanca, en lien étroit avec le Ministère de la Santé, je ne la connaissais pas, c’est que per-sonne ne la connaissait ! Je l’ai même fait découvrir à la Direction de l’épidémiologie. Cette circulaire fait obligation aux médecins de prodiguer aux migrants les mêmes soins qu’aux Marocains. Je suis donc allée au Ministère de la Santé munie de cette circulaire et j’ai dé-claré que je donnerai les antirétrovi-raux aux migrants. Monsieur le Di-recteur de l’épidémiologie m’a déclaré que je ne pouvais pas don-ner les antirétroviraux car cela crée-rait un appel de migrants qui al-laient venir au Maroc uniquement pour se faire traiter. Nous avons passé 15 ans à nous battre aux cô-tés des associations françaises

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contre les restrictions à l’accès aux soins en France ; nous n’allons pas tolérer de telles restrictions chez nous, sous prétexte que la situation est différente. Aujourd’hui tous les patients qui viennent au CHU de Casablanca reçoivent des antirétro-viraux prélevés sur les stocks de dons que nous continuons à collec-ter auprès des associations fran-çaises. Mais dans leur majorité, les patients que Javier nous a envoyés à la consultation arrivent à un stade terminal en raison de la dénutrition, de l’anémie. Nous ne pouvons même pas leur prescrire les antiré-troviraux. Avec Javier, nous avons organisé le rapatriement d’une jeune femme qui est partie mourir chez elle et qui, en montant dans l’avion, sur la civière transportée par les volontaires de l’ALCS, a crié « Vive le Maroc ! ». Je trouve qu’elle n’avait pas tellement de quoi nous remercier. Dr Alami, votre exposé était excel-lent, mais c’est celui d’un ancien chef de service des IST/sida et d’un fonctionnaire onusien. Je ne suis pas d’accord quand vous nous dites que le programme pour les mi-grants va être intégré dans la straté-gie nationale seulement en 2006 et

appliqué en 2007. Je disais à Ar-naud Maty-Lavauzelle en aparté que cela me rappelait les discus-sions à l’OMS quand on parlait des antirétroviraux dans les pays en dé-veloppement. Il n’est pas question d’attendre 2006, 2007, etc., et de laisser les gens mourir. C’est main-tenant qu’il faut se battre. Si l’OMS veut atteindre les 3 by 5 d’ici fin 2005, s’il doit y avoir 3 millions de personnes dans le monde sous anti-rétroviraux, il faut qu’il y ait des migrants parmi eux. D’ailleurs, je tiens à le souligner, l’Algérie a in-clus dans son programme national de lutte contre le sida un budget d’antirétroviraux pour les migrants clandestins. J’espère que cela ne va pas rester un vœu pieux. Cela me permet d’enchaîner sur ce que vous avez dit tous les deux, Dr Alami et Javier, à savoir qu’il n’y a pas de problème sida concernant les migrants. Si, il y a en un. Ce sont des personnes qui viennent de pays où la prévalence est entre 14 et 20%. En 2002, une étude des souches de VIH dans notre pays montrait qu’il y avait 99% de souche B européenne. D’après la dernière étude réalisée par l’Institut National d’hygiène, le nombre de

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souche africaine a considérable-ment augmenté ; on compte dé-sormais 14% de souche africaine. Or les souches africaines sont plus facilement transmissibles par voie sexuelle que les souches euro-péennes. Donc il y a un véritable problème, et il faut réagir mainte-nant, sans recommencer les erreurs du passé. Le Maroc a signé la décla-ration de 2001, nous allons le lui rappeler. Pour conclure, je voudrais souli-gner que le problème des migrants nécessite la mise en place d’un pro-gramme régional. Malheureuse-ment, les principaux pays concer-nés, à savoir le Maroc et l’Algérie, sont incapables de se parler. Tant qu’ils ne se parleront pas, ils ne pourront pas gérer ce problème et nous allons tous le payer très cher. Dr Javier Gabaldon : Je vous re-mercie, Pr Himmich, de vos cri-tiques stimulantes. En fait, j’ai insis-té dans mon intervention sur la nécessité d’être prudent et de ne pas tirer la sonnette d’alarme sans disposer de certaines données. Il faut faire attention et souligner que tous les migrants subsahariens ne sont atteints pas du sida. Il est vrai

cependant qu’au Maroc les risques sont importants, comme le révèle le rapport d’ONUSIDA. D’autre part, vous avez raison, Pr Himmich, les migrants sont dans une situation humanitaire désas-treuse, ils sont très vulnérables et sont victimes de violences. Actuel-lement, nous travaillons sur un rapport concernant ces violences. Ce rapport sera transmis aux auto-rités marocaines et espagnoles. Il est à noter que les auteurs des vio-lences sont nombreux : les forces de sécurité, les migrants eux-mêmes, les délinquants marocains, les trafiquants de personnes. Ces violences constituent après les ma-ladies infectieuses la deuxième cause de nos interventions. Nous avons eu beaucoup de mal à re-cueillir les informations car on ne peut pas se promener librement dans les forêts qui abritent les mi-grants subsahariens. Dans les se-maines à venir, le ton de Médecins sans Frontières risque ainsi de se durcir. Dr Kamal Alami : Je voudrais juste réagir à la remarque du Pr Himmich. Nous n’allons pas rien faire jusqu’à 2006. Je pense qu’un

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élément très important, c’est l’appropriation. S’il n’y a pas d’appropriation du programme au niveau national, ce programme se heurtera à de nombreuses difficul-tés. Pour qu’il y ait appropriation, il faut que ce programme s’intègre dans un plan. Or un plan est prévu pour 2006-2010. Pr Himmich, vous avez également parlé des erreurs du passé dans la mise en œuvre des programmes d’intervention. Il faut véritablement élaborer une réflexion pour éviter les obstacles, saisir les opportunités et élaborer un programme cohérent dans le cadre d’une stratégie natio-nale. Je voudrais également dire un mot à propos des programmes régio-naux. J’ai insisté sur l’importance d’élaborer au préalable un pro-gramme national. Nous savons très bien qu’au niveau de la région, il existe d’importantes difficultés. Je vais vous donner simplement un exemple. L’initiative régionale était initialement dénommée initiative des pays riverains du Sahara. Ceci a soulevé un certain nombre de pro-blèmes politiques. Il faut donc d’abord disposer de programmes

nationaux puis essayer de coordon-ner les actions au niveau régional. Dr Mohamed Khachani : La question migratoire est complexe. Et l’immigration est une donnée sur laquelle il faut compter à court, moyen et long terme. Depuis que l’homo sapiens existe, il n’a cessé de se déplacer à la recherche de meilleures conditions de vie. Je vais citer deux personnes. Alfred Sauvy, grand démographe français, avait dit la phrase suivante qui résume bien toute la problématique : « Ou bien les richesses vont là où sont les hommes, ou bien les hommes iront là où sont les richesses ». Cette idée est re-prise d’une autre manière par l’ex président Abdou Diouf : « On n’arrête pas la mer avec ses bras ». Un participant : L’immigration est effectivement un problème com-plexe. Mais il y a une inertie des gouvernements qui tardent à con-crétiser en actes leurs paroles. En 2001, le préfet de Tamamrasset a annoncé qu’il était prêt à prendre en charge tous les Algériens vivant avec le VIH et à leur payer le voyage jusqu’à Alger pour qu’il se fassent soigner, mais qu’il n’était

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pas question d’ouvrir un centre de traitement à Tamamrasset parce qu’il allait profiter aux « autres ». La situation est tragique. Les migrants sont stigmatisés par les pouvoirs publics eux-mêmes. A ce jour, au-cun traitement n’est disponible à Tamamrasset pour les migrants comme pour les Algériens, et l’épidémie progresse. Il y a un autre problème que je voudrais mention-ner. Du côté de Marhaania, à la frontière algéro-marocaine, il y a un bassin de population migrante. Le Ministère de l’Intérieur nous parle de 800 à 1000 migrants. J’ai ten-dance à penser que leur nombre ré-el est supérieur. Ces gens-là sont totalement abandonnés des deux côtés de la frontière. Nous sommes confrontés à des cas similaires à ceux dont parlait Madame Him-mich, à savoir des femmes que les professionnels de santé refusent de prendre en charge parce qu’elles sont séropositives. Nous ne pou-vons pas attendre que nos gouver-nements se parlent pour collaborer. Nous devons continuer à travailler ensemble de manière informelle. Un participant : En ce moment à Tanger, il se passe quelque chose

d’horrible. Un organisme de la sû-reté ou du moins des gens qui por-tent des uniformes ont encerclé la forêt de Belyounech dans les envi-rons de Tanger et les migrants sont bloqués sans argent, sans nourriture et sans soins. Que peut-on faire ? On sait que parmi les migrants, cer-tains sont porteurs du virus du sida. Dr Javier Gabaldon : Je voudrais faire quelques commentaires. Tout d’abord concernant Marhaania, MSF s’intéresse de près à la situa-tion. Les chiffres que nous avons reçus sont supérieurs à ceux que vous mentionnez. Selon nos infor-mations, il y aurait 4000 à 5000 mi-grants. Mais cela reste une estima-tion. Marhaania est une base arrière des mouvements migratoires. Quand la situation se détériore au Maroc et que les migrants sont re-foulés à la frontière, ils se réinstal-lent à Marhaania dans une sorte de terrain vague à la périphérie de la ville. Marhaania n’est pas facile d’accès. L’endroit est très surveillé, notamment par les responsables des réseaux qui contrôlent les mi-grants. D’autre part, il faut savoir que le phénomène migratoire suit une logique saisonnière et actuel-

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lement c’est la haute saison, les mi-grants veulent passer en Europe. La santé n’est malheureusement pas leur priorité dans la plupart des cas. Ceux qui sont en très mauvaise san-té sont abandonnés par les réseaux de trafiquants et sont pris en charge par des associations comme la nôtre. Nous n’envisageons pas pour l’instant d’action de grande envergure, il faudrait pour cela que nous étudiions d’abord la situation précisément. En revanche, nous connaissons très bien la situation à Belyounech. Nos équipes visitent régulièrement la fo-rêt, c’est-à-dire 3 à 4 fois par se-maine, et quand il y a une urgence, nous évacuons les malades vers des structures de santé. Dire que la fo-rêt de Belyounech est sous embar-go, c’est mal nommer les choses. Et comme l’écrivait Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». On ne peut pas parler d’embargo, de blocus, de crise humanitaire. Il ne faut pas dire n’importe quoi. Il est vrai que la si-tuation est très difficile. Mais il faut nommer les choses justement et pour cela il faut être sur le terrain, ce qui précisément est le cas de

MSF. Je peux vous assurer que nous faisons le maximum pour ga-rantir des conditions de vie mini-males aux migrants. Nous distri-buons des abris, des couvertures – l’hiver est rude, le thermomètre est descendu jusqu’à moins 15 degrés cette année -, nous envoyons nos équipes médicales sur place. Les conditions de vie sont épouvan-tables, nous en convenons, mais il y a de l’eau, de la nourriture, et les malades sont traités. C’est vrai qu’il n’y a pas de liberté de mouvement en raison de la présence des forces de police à l’entrée de la forêt. Tou-tefois, soyons prudents, la majorité des migrants veut rester dans la clandestinité afin de conserver la possibilité de franchir la frontière. Ce n’est donc pas toujours en dé-nonçant la situation que l’on aide le mieux ces migrants. Dr Mohamed Khachani : Je vou-drais mentionner l’existence d’une association qui s’appelle « Amis et familles de victimes de l’immigration clandestine ». Elle travaille avec les migrants clandes-tins et a réalisé jusqu’à présent un travail très intéressant. Au niveau de la société civile, il existe égale-

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ment une plate-forme Migrants, constituée d’associations et d’autres acteurs de la société civile, dont l’objectif est d’apporter son soutien aux migrants dans la région de Be-lyounech et de Melilla. Elle a no-tamment rédigé un rapport sur la situation des migrants subsahariens au Maroc en 2004.

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RECOMMANDATIONS FINALES Pr Hakima Himmich 1- Renforcer les liens avec les asso-ciations de droits de l’homme et de défense des droits des femmes 2- Organiser un séminaire sur les travailleuses du sexe en collabora-tion avec les associations de femmes et de développement qui travaillent déjà dans ce domaine afin de favoriser une meilleure coordination des actions 3- Reprendre la mobilisation pour l’accès aux médicaments génériques avec tous les acteurs impliqués 4- Renforcer les liens avec les asso-ciations du Maghreb et du Moyen-Orient 5- Prendre contact avec les assu-reurs pour : protester contre la réa-lisation de tests de dépistage auprès des assurés ; exiger d’eux qu’ils prennent en charge les traitements anti-rétroviraux de leurs assurés, maintenant que leur coût a baissé.

Actuellement, seule la CNOPS prend en charge ses assurés ; les as-surances privées refusent de payer les traitements anti-rétroviraux. 6- Favoriser une meilleure prise en charge des patients en leur permet-tant de venir consulter en dehors de leurs heures de travail (ouverture d’une consultation au service des maladies infectieuses le samedi ma-tin et de l’hôpital de jour le samedi matin également ou bien un soir dans la semaine) 7- Elargir le secret professionnel à toute personne qui, de par son tra-vail, a accès à des informations de nature confidentielle sur les pa-tients 8- Organiser un séminaire sur l’estime de soi 9- Organiser un atelier consacré aux tests de dépistage sur les mi-neurs en collaboration avec un re-présentant du Conseil National et Alain Molla qui est à l’origine du texte du Conseil National français 10- Renforcer les liens avec les as-sociations et ONG qui travaillent auprès des migrants clandestins et

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intégrer l’infection à VIH dans une problématique plus large de santé et une problématique humanitaire, de façon à éviter de stigmatiser en-core davantage cette population 11- Promouvoir le travail de l’ALCS auprès des détenus dans les établissements pénitenciers ; les sections ayant une expérience dans ce domaine sont priées d’envoyer le descriptif de leurs actions au siège national et de faire des propositions qui seront transmises au groupe Fonds Mondial/administration pé-nitentiaire 12- Compléter la formation initiale des volontaires dans les nouvelles sections conformément aux normes adoptées par le Comité pé-dagogique provisoire