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Sommaire 05/ ÉDITO 07/ EMMANUEL RASTOUIL Le joueur de flûte 09/ IVAN DMITRIEFF Instants - Haïkus 22/ LILAS KWINE Extinction des feux & autres poèmes 25/ STROFKA Isocèleries - Poèmes 35/ JACQUES SICARD Seberg, Podesta, Novak 39/ KATSUJI MAKURA Contre un coup de vent - Haïkus 42/ CÉCILE TOULOUSE TGV & autres poèmes 47/ PASCAL LERAY Le récit ruisselant - 1ère partie 72/ EMMANUELLE MALATERRE Collages 74/ PRINTEMPS DES POÈTES 2012 – La Garde (83) 90/ MÜ La cigale 92/ HERVÉ PIZON Un jour 93/ ABONNEMENTS Testament 7 (été 2012) est édité par : http://parolesdauteurs.over-blog.com

L'association Paroles d'Auteurs - Siège social – Les Orangers A - rue Van Gogh - 83130 La Garde Le Testament revue à vocation poétique est sur Facebook Rédaction Emmanuel Rastouil contact : [email protected] Concept graphique et Mise en page Emmanuel Rastouil & Hervé Pizon Relectures Emmanuelle Malaterre Impression Repro Systemes 83 - 155 rue général Audéoud 83000 Toulon. Il a été tiré 100 exemplaires de cette revue numérotés de 1 à 100:

En couverture, Testament 7 dessin original Pascal Leray.

Supplément au testament 7 : 100 linoléums gravés (64 x « L'œil »; 22 x « L'ange ruisselant »; 14 x « Le roseau »).

ISSN 2112-4469

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Édito

La formule officielle dirait à peu près ceci : « Pour la parution du n°7 de sa revue Testament, l'association Paroles d'Auteurs est heureuse de vous présenter un nouveau poète en ses rangs, Ivan Dmitrieff. » Elle serait d'un bel effet, mais garderait un fond protocolaire, voire administratif qui n'a pas vraiment sa place ici, puisque nous sommes entre amis, autour d'un verre, sur la terrasse... Alors, je vous le dis plus simplement, comme çà vient : « Je suis heureux ! Et pour deux raisons : la première c'est qu'Ivan nous rejoint effectivement avec une petite collection de merveilleux haïkus et quelques photographies qui donnent à découvrir de la richesse de son univers; la deuxième, vous la découvrez déjà à la vue de la couverture offerte à Pascal Leray; nous allons montrer un récit poétique inédit vieux de vingt ans, illustrant les tourments d'un adolescent en quête d'amour (?), « Le récit ruisselant », avec la première des deux parties aujourd'hui. Je suis heureux car si vous découvrez ces deux travaux (tout à fait distincts !), c'est surtout grâce à l'amitié et la confiance établies et magnifiées d’attentions communes qu'ils vous sont présentés. Et cela n'a pas de prix. Je suis heureux que Le testament permette ces moments de partage exacerbés, ces livraisons intimes qui ne sont pas possibles sans le renoncement et la générosité de chaque auteur. Vous retrouverez aussi l'indispensable Strofka, Lilas Kwine, Cécile Toulouse, Hervé Pizon, Mü et Katsuji Makura, qui nourrissent eux aussi ces belles qualités, et qui, chacun à sa manière, repoussent les frontières du poème tout en cultivant son essence naturelle. Et puis une place est laissée aux travaux réalisés lors du « Printemps des poètes 2012 » dans la commune de La Garde (83) où les sensibilités poétiques ont fait feu de tout bois pour déclamer « L'enfance ». L'été peut bien venir, on est parés... Et heureux ! Emmanuel Rastouil

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EMMANUEL RASTOUIL

Le joueur de flûte J’ai beau me souvenir, je ne comprends pas comment je suis devenu ce proscrit, rayé de la mémoire de Dieu, haï de mes congénères, maudit à jamais, mes rêves d’adolescent noyés dans la cruauté des hommes un matin, près de Koppen. Je suis le joueur de flûte. Mes mélodies sont la grâce même. Il ne sert plus à rien d'implorer le pardon, je suis seul. Et j’ai laissé la haine m’envahir. Je n’ai pas su lui résister. Combien de foi, de justice et d'amour m'a-t-il manqué pour que je n'exécute pas mon désir sauvage et jaloux envers ces enfants innocents? Je suis le joueur de flûte. Mes mélodies sont une délivrance. Je traîne mes jours comme une amertume, un supplice. Je n'ai plus personne vers qui me tourner. Mon âme est au tourment et personne pour s'en préoccuper. Combien de dépits s'échapperont encore de moi avant que je ne meure ? Combien de jours sans joie ? Je suis le joueur de flûte. Mes mélodies sont une condamnation. Même si je pleure, c'est sans espoir. Alors je me cache dans cette chambre où je n’ai plus personne à enchanter. Je vis au milieu de fantômes sans valeur et mon lit est froid. Je suis le joueur de flûte. Mes mélodies se sont tues.

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La lune passe les cimes mille gouttes d’eau

luisent comme des lucioles

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Ouverture du rossignol la lumière emplit le sommet et le bas de l’air

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Sur une tige de sureau un papillon se pose et fait la fleur

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Ploc ! Une goutte d’eau dessine dans un seau le visage de l’infini

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L’andante de l’air essaime dans l’espace les fleurs du silence

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Un jeune vent s’enroule dans les branches d’un saule la joie dans ses transparences !

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Les vagues lissent le sable cri d’un goéland les feuilles du palmier cliquettent

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Volent les pétales d’amandiers midi étincelle le sol est immaculé

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Les oiseaux du soleil virevoltent dans le feuillage du laurier

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Mon esprit s’évade dans la couleur puis revient au bord du ciel

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Le vent ramasse des pétales dans sa spirale et les jette à tout va

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LILAS KWINE

Extinction des feux Tout en notre souffle

est devenu peau de chagrin

Le parchemin du doute

chemine en nos demain

Et rien ne trouve plus sens,

- une déroute comme il se doit –

La somme de toutes nos routes

file le canevas des dérives

Et le cadenas de l'amertume

scelle brute la désillusion...

Mon Dieu, que sommes-nous

dans la brume de ce temps

devenus ?

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LILAS KWINE

About : blank Je tremble comme une feuille

qui aurait oublié de tomber,

je tremble, je tourne le dos

à l'évidence de la chute,

ainsi le vent trahit l'automne

de mes états déclinants,

soigneusement la torpeur

s'étale en mon esprit

et le blanc du vide se mêle

épais au sirop de mes veines

et le manque de l'absence

comble mille fois mes journées

- Je manque cruellement d'ennui –

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LILAS KWINE

Blague à part Tu m'épates ! Ne t'ai-je jamais lancé ?

à me serrer la gorge de si peu, tu m'épates.

- est-ce le filtre farceur d'une vision engourdie

qui sans cesse t'invente, sans faiblir te recrée ?

au rythme des lueurs contagieuses

au son feutré d'un murmure

au seuil de toutes portes, entrebâillées de toi

- cependant, jamais aux corneilles,

enrayé mon pied en travers, combien de fois dis-moi ?

Je ne suis pas de mauvais augure

Auguste à peine sur les bords, teint pâle aux entournures

mais ta main dans la mienne me jurant droit au cœur,

l'absinthe et le mélèze aux confins loin reclus

le viride de tes yeux ancré là sans un cri,

je le vois qui guette vague le repos de nos jeux.

Combien de fois, combien de temps encore,

à ne craindre que le coma

des heures gauches enserrées

à vaincre le péril des joutes indécises

à flatter la torpeur du souvenir amer

combien de temps nous faudra-t-il

pour passer légèrement ?

Lors, reconnaîtrons-nous le parfum de l'oubli,

à la fraîcheur de quelques vents tranquilles

de ceux qui vous traversent

impassibles et brillants

de ceux qui vous caressent,

si sensibles à nouveau ?

La grâce s'égarera-t-elle en d'autres lieux et places

qu'à l'élégance sublime de nos lèvres démodées ?

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STROFKA

Isocèleries – Poèmes

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JACQUES SICARD

Les Hautes Solitudes de Philippe Garrel Le visage de Jean Seberg, non pas lorsque portraituré, et c’est si souvent. Et souvent si beau. Quand, par exemple, la valeur éteinte de la lumière, la tonalité trotte-menue des nuances monochromes et la saturation basse où transparaît le poil du coton blanc qui sert de support à l’écran, nous suggèrent, pour elle seule et ses traits, en dépit du ridicule qu’on leur prête, le fragile langage bébé dont usent les amoureux et les baisers de toute l’âme qui volent à son secours. Pourtant, le visage de Jean Seberg, non pas lorsque portraituré, mais le visage de Jean Seberg lorsque accompagné, lorsque suivi à hauteur vertueuse de ses

pommettes. Alors, comme le long d’une haie de ronces – une mûre, rouge. De cette couleur au-delà du noir ou l’absolu du noir qu’est le rouge. Mûre, dont la rayonnante exception n’admet que la main d’un tiers pour la cueillir. Bienheureuse procuration. Si c’était possible. De regarder à la place de vivre.

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Le Filet de Emilio Fernandez Le chemin bordé d’arbres est un long chemin. Que dire du chemin que bornent la maîtrise de l’énergie, l’urbanisation, le traitement de l’information, la capacité à faire la guerre ? Tire-t-il autant en longueur que le raidillon naturel ? Est-il aussi peu évitable que lui, incommode et sans accueil, ne proposant que le chantage d’y souffrir ensemble ou rien ? Une manière de syllogisme semble pouvoir répondre par la négative : rien de plus artificiel que les critères de développement d’une société humaine– or l’homme est un artefact – donc le mieux placé pour contredire ce régime d’artifice. Critique de l’artifice, oui, mais pour un trompe-l’œil moins vil. Critique du semblant, mais pour un simulacre émouvant. A l’exemple cinématographique d’une petite brune italo-tripolitaine qui parle l’espagnol comme on embrasse au fond d’un corridor, le pli des seins huileux, qui donnent au voyeur l’allure ébrieuse. Les yeux se ferment de vertige, à l’aveugle leurs doigts rétiniens en détaillent la plantureuse anatomie : c’est plat comme une belle peinture, eût dit Degas, c’est Rossana Podesta.

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Bell, Book and Candle (Adorable voisine) de Richard Quine

Sonnez la cloche, ouvrez le livre, soufflez la chandelle : Breton eût-il reconnu dans cette formule d’opérette la puissance de soulèvement qui permet l’entrée des succubes ? Sonnez le grelot de la mémoire : la petite cloche qui sert à rythmer les repas où domine l’odeur de la soupe du soir, quand l’enfance déjà nulle et naine ; le tintinnabulum plus tardif du réveil au coin du lit ; la clarine des jours et des intérims. Les voyez-vous revenir, les souvenirs si bien timbrés ? Que leur massacre commence. Ouvrez le livre, quel qu’en soit le récit, il sera une fabrique de ruines : l’acte de raconter est la forme même de la conscience et la conscience la condition de tout effondrement. Soufflez la chandelle – et c’est la nuit, la nuit du fourreau de soie noire de Kim Novak, voluptueuse sphinx à tête-de-mort. On dirait un poignard. Dont la lame serait de bois. Mélange de sadisme et d’atermoiement. Le goût du meurtre uni à l’absence de passion. On la dirait, avec ses longs sourcils arqués comme deux petites cornes, deux petites ailes – on la dirait enveloppée d’air, uniquement. C’est l’image invisible,

dite image latente, reprise des premiers temps de la photographie, quand l’ancienne plaque recouverte de poudre d’argent du daguerréotype ne fixait que les objets dénués de mouvement et conservait l’empreinte d’un être humain à la condition expresse qu’il ne bougeât pas.

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KATSUJI MAKURA

Contre un coup de vent

autoportrait

au peigne qui le coiffe il manque une dent

contre un coup de vent inutile de courir

j’ai troqué mon chapeau

sans cérémonie le bourdon et le coquelicot

s’inclinent

sur les tatamis nos pieds coassent Bashô n’est pas loin

hors de sa chrysalide la feuille

du tremble

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serait-elle un drap la paupière

que l’on tire sur soi ?

pousse le pin entre la racine et l’aiguille

où se pose la pie ?

le chien enterré sous les pieds de tomates

est-il endormi ?

que dit la mouche posée là sur ma bouche ? sa langue est la mienne

soudain immobile de papillon à pavillon une oreille se pose

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CÉCILE TOULOUSE

TGV Tout ce que tu deviens Me tombe des mains. Je ne sais où tu vas, ni même comment, Sur quel quai accoste ton présent. Billet périmé, on m’empêche de monter. Je vois tes voyageurs un à un embarquer Et moi je reste là, à lutter au guichet. Il paraît qu’ainsi va le train de la vie. On monte, on descend, on attend le prochain. Mais toi, ton TGV me passe sous le nez. Sans même s’arrêter. Ma gare est trop petite, Mon sifflet enroué. Je reste toute ébouriffée Sous le panneau Exit.

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CÉCILE TOULOUSE

Station Beau Rivage Je longe le bleu, La houle de tes yeux. Je longe tes doigts, Leurs bosses, leurs creux, Et quand tu ne me vois pas Je longe tes cheveux. Je longe le rivage, Longe ton visage, Je longe tes mains Au gré d’une marée Qui jamais ne revient. Je longe tes mots, Ceux que tu as en trop. Les embouteillés. Je longe ce qu’on se tait. Je longe ton sourire Je longe tes ressacs. Du sable vient mourir Au fond de mon sac. Je longe tes couleurs, Tes fièvres, tes pudeurs. J’entasse les galets De nos rires, de nos années.

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Je longe tes mers, Tes arrière-saisons, Je longe le vert Qui se mêle au marron.

Je longe l’écume, Les reliefs de ton dos. D’improbables dunes, D’imprenables châteaux. Je longe en entier Ce que tu m’étais : Vagues incertaines, Flux qui me reviennent. Je longe tes récifs Harangue tes noyades Collecte tes naufrages Sur la promenade. Je longe des esquifs Tes orages, ton corps, Mes bâbords, tes tribords, Tes regrets sur la rade. Je longe et replonge A l’infini. Je longe la pluie. Je longe ta vie.

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CÉCILE TOULOUSE

Aimants Deux doigts qui échafaudent, Pôle plus, pôle moins. Deux majeurs électrodes Sur ma main. Toute à cran et chargée, Epidermique à souhait Ses deux doigts dynamos, Fusibles sur ma peau. Par contact, par frottement Je m’ébranle à ce courant. Cœur hydraulique. Pompe thermique. Alors s’emballe la centrale. Et puis ses doigts qui dansent Pylônes biscornus Conducteurs de jus Et d’incandescence. Leur souplesse d’atomes Gravitant sur ma paume, 220 minimum. Kilojoules, uranium. Particules légères Ses deux doigts sur mon front Où tourne une chaudière A basse consommation.

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Anode et cathode Deux doigts sur mon épaule Et puis sa bobine, Son alcaline Qui me neutralisent, Qui me galvanisent. Pôle plus, pôle moins Ses deux doigts sur ma main. Deux électroaimants, Deux filant fils amants. Soumise à l’attraction Je grille pour de bon. Pôle plus, pôle pâle. Électrocardiogramme.

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PASCAL LERAY

Le récit ruisselant troisième cahier – 1ère partie (1992-2012)

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Abstract

Du caillou au roseau j’ai parcouru un long chemin. C’est le roseau qui m’a perdu À me parler d’un vent violent, au centre d’un écueil, à me parler des épines de la nuit

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« Glossom »

J’ai posé sur la tête d’un cadavre l’entonnoir du fou. Je l’ai mis à genoux. Nul espoir ici-bas : nous étions bien d’accord. Croyait-il s’élever, ainsi arc-bouté ? Le détromper me devint inutile : il ne me répondrait jamais. Ailleurs, un homme allait mourir. Je me précipitai à son chevet. Il était blême et, dans cette maison si fortunée, surprenait l’œil par ses allures de pauvreté extrême. Je me suis rapproché de lui. « Est-ce que tu entends, lui ai-je dit, entends le chant des in-vécus ? »

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Et mon mutisme fut l’aurore. Au pur silence je dois l’équinoxe qui suivit. Je devins incroyable.

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Nous gravitions autour d’une ère monstrueuse, maladive, en expansion, de grâce. Ces horreurs nos pères nous les avaient léguées. Ils les avaient retranchées dans le creux de cette heure précise, mais qui sonna creuse, et s’évida avec retard, surprenant notre humanité. Et toutes nos tendances, je ne voudrais l’avouer, applaudissaient. Elles la liquideraient, songeant à nous, riant.

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Je parcours à présent des champs de honte. Mais ce que j’irrigue, ce n’est pas la terre. Un nuage à la traîne m’oblige à marcher. Lentement devant moi... Ce n’est pas la forêt.

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L’ablation du Vésuve fut un tertre humide. Mon exil en habitait des tranches, débattait avec passion et par saccades, débattait avec des huîtres orageuses, psalmodiant au ventre de leurs perles un rare éloge pour les rondeurs de l’heure. « De votre éternité blafarde, je ne retiendrai rien qu’une saison, un pont de pierre sous un guéridon qui parle. On ne dit rien ici-bas mais le vent ordonne vos intrusions pétrifiées dans une glaise de chahut ! »

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D’un œil au miroir traversé d’où suinte un cordon vespéral. — Délictuel délice d’être à nouveau-né Un rêve vrai ne répète jamais son récit ruisselant.

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Tu ne dois pas sortir des clochers restreints de ton aile Toi, tu n’atteins pas à la rigueur des astres. As-tu été – ce lambeau de hasard ? C’est ta rotule inassouvie qui a bondi. Jeune écheveau, tu n’aboutis à rien : tu escalades ce rivage, nu et poreux par bonheur fièrement. L’escadrille de tes songes, tu la prends en main. Quand tu attends si bruyamment l’exode vers lequel se jette tout murmure mais je rencontre, moi aussi, son mur, et je l’écrase -- et c’est à ce moment que nous nous rencontrons.

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Vous m’ordonniez de m’en aller, c’était aussi mon vœu. Et s’il m’avait fallu vous obéir, j’aurais cessé sur l’instant et surtout j’aurais voulu me taire ou qu’on me taise, que l’on taise ce qui parle en moi. Vous seule cependant aviez mis tout cela à bas. Si je vous crois – un seul instant – je veux y rétrécir l’éternité.

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Le testament spongieux de cette multitude, c’est le soir, c’est la fraîcheur qui précède la nuit. En vain, on cherchera la rumeur d’escalier qui évoque sans doute un périlleux intestin grêle.

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La vérité était alors, dans les sourires clos de vos fenêtres fracturées, d’embrasser des rivières de remords. Qu’un éclair nous rendit à l’évidence, c’est le petit jour du monde et il nous sépara.

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Nos mots tombèrent sans le vaste écho qui s’emparait des brumes de ce temps. Joviale et comme contiguë à soi, sa parenté à part entière d’elle-même séparée, la mare travaillait notre pain quotidien, amaigrissant ses reins pour vêtir une fosse de sa profondeur équivoque. La vérité était alors cette autre rive qui nous séparait, son cadastre honteux. Nous emboîtions le pas à l’eau morose. Nos regards plongeaient plus bas que terre. La plaine était, au-dessus des demeures un territoire sain – fluctuant sans remous.

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Tu inscris ton passage d’un retour équivalent. On te verrait à travers soi et tu n’en saurais rien. Ta discussion est un flambeau, sa transmission -- un artifice. Qui ne croit y vit et qui se précipite sait parfois qu’il n’en est rien. D’autres moments pèseraient mieux qu’un mot de transparence inassouvie à soumettre ce calcul improbable : ton apparition au remous des feuillages.

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Neige naissante, neige qui gémit, qui s’inscrit pas à pas, ruisselant à mes pieds scintille dans ton ombre qui n’éclaire que toi et fends donc cet aussi, linceul fragile des confins, timide lame : et déchire la terre dévorant mes pieds, inquiétante nuée -- tu suintes du printemps précoce -- tu calmeras en moi -- ce maint remords de ne pas te voir fondre.

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Ne conçois aucune tristesse -- au jour de mon départ : elle ne t’en voudra pas. Mais si tu la voyais -- si tu y prêtais attention, parle lui simplement, doucement, va jusqu’à feindre les amours immenses que tu pourrais avoir eues pour elle. Je voudrais voir vos mains se fondre au- dessus de ma tombe et vos corps se pencher d’un élan mutuel. Il ne faut pas que tu l’invoques, elle viendra d’elle-même. Tu ne pourras la manquer : elle est si vive, si aimante. Tu ne la connaîtras pas mais encore et encore, tu reviendras au désir impossible de m’y rencontrer.

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C’est la méchanceté des propos qu’il tient qui étonne. Chaque mot -- un tombeau ! Car ce n’est pas un christ, c’est un charognard plein d’apparences qu’il a dérobées au jour de sa naissance et depuis lors il erre et renifle les corps tout chauds encore, des combattants « Ils seront tous d’hier ! », dit-il, de son perpétuel hiver mais il entend -- un bruit et l’on ne voit plus rien alors sinon la plaine désunie et un ruisseau -- qui s’avance de sang pour absorber la terre ivrogne sous ses pieds.

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C’est une impasse, à peine un corridor, un sommeil lourd de chahuts tour à tour ennuyeux et risibles. Si l’on veut s’y voir, c’est mort. Mais c’est avec la peine d’un pas devant l’ombre, d’un parquet sans doute dangereux, qu’on y revient, toujours, à ce mauvais amour.

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Le hasard des chemins n’inquiète plus personne. Ce n’est vraiment qu’une grand-ville Si moi je marche d’un pas lent, aveuglément, c’est sans espoir : j’ai résolu tous mes espoirs avec ce macadam Un jour ici et l’autre là, j’y reviens, c’est certain. Ce n’est que la foule du temps qui me perdra.

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Vers les spasmes, La raison arquée, mise à mal, enfin, l’apprentissage du désert sous une chape parcellaire mais solide ? Un rideau silencieux de messagers annonce d’abord leur révolte puis, un miracle surprend, là surtout avec l’espace. On ne se compte plus mais il semble probable et se préserve alors...

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« Tu ne peux croire un mot de ce qui signifie Observe aussi ta déité ! »

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Je ne suis pas venu pour me prostrer contre ton heure, ni pour te voir vraiment, ni pour t’offrir un salut dérisoire. Mes vœux sont pieux, enfin, tu ne les entends pas. Qu’importe ! Il ne pourrait s’agir de rémission. La compassion me manque, je te vois, vieillard... Je souffre toujours mieux que toi : une falaise, un lit, ce pourrait être toute ton aînesse. Il faut que j’imagine devant toi à l’agonie ce chant immonde qu’est le mien à naître et à mourir de peur à l’infini... Ce peu est un filet de voix bien calme, bien certain Admets en toi le chant des invécus.

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Deuxième et dernière partie du « Récit ruisselant » dans le testament 8.

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PRINTEMPS DES POÈTES 2012

L'enfance

Travaux En mars dernier se déroulait le printemps des poètes sur le thème national de l'enfance. La ville de La Garde (83) a souhaité organiser avec le concours de l'association Paroles d'Auteurs un atelier poétique où chacun pourrait venir écrire de la poésie lors de trois matinées de travail pour ensuite les restituer en pleine rue, dans une mise en scène de l'association théâtrale Cabinet de curiosité. Des poètes en herbe et d'autres plus chevronnés ont accepté l'invitation et laissé leur imagination et leur talent agir. Voici un aperçu de leur ouvrage.

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MANUEL BLANC

Depuis que je suis né Ma vie a commencé Elle m'a joué de mauvais tours Je suis tombé au fond du trou Je me suis endormi Tout au fond de mon lit J'ai vu mon père et ma mère Qui m'aimeront Jusqu'à la mort de la Terre.

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NICOLAS POULET

Le petit enfant Ce petit être d'un regard neuf Qui court dans le jardin Tout en levant ses mains Quand tout à coup il aperçut un œuf. Il se jeta dans les bras de sa mère En levant les yeux d'un air malin Pour lui offrir un tendre câlin Tel un cadeau dans la mer.

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HÉLÈNE

Cocorico Cocorico z'a dit le coq Meuh Meuh ! Z'a dit la vache Miaou Miaou z'a dit le chat Chut Chut z'a dit maman Et moi ze n'ai plus pleuré. A B C D Il a crié sans idée E F G H Il se cache I J K L Il veut des ailes M N O P Il s'est trompé Q R S T Ah ! C'est raté U V W X Il se fixe En Y Z.

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Quand j'étais môme... Quand j'étais môme, j'étais moche Mais je m'en foutais, en classe J'étais assise à côté de Gavroche Il était un peu à la masse On s'entendait comme.... ! Moi je savais tout, c'est à dire pas grand-chose, c'est à dire presque rien. Quand il séchait sur un problème Je mettais un terme à sa migraine En lui soufflant un peu de ma prose. Évidemment, quand on s'était frités la veille La réponse était fausse ! Évidemment, il m'en voulait Évidemment, je regrettais, puis je m'excusais Je lui faisais croire que je m'étais trompée... On se faisait vite vite vite à la récré Quelques bisous dans le cou vite vite vite Et tout recommençait. Parce que Gavroche, en récré ou après l'école, C'était fini, fichu, foutu, évanoui. Pas question de compter sur Le tiers-temps pédagogique, non. Quand les flics ne le gardaient pas à vue, Lui ne me regardait plus, C'est comme ça que ça commence, la vie ! Il m'est même arrivé de faire exprès des bêtises Pour choper avec lui une ou deux heures de colle.

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La suite, on la connaît... En fin d'année, Gavroche a été orienté en apprentissage Pour passer un CAP Barricades. Moi, sans cet otage, sans ce complice Pour me donner un peu de courage Je suis restée en rade Salaud de Voltaire, idiot de Rousseau ! J'ai emballé mes idées et mes rêves Fait le point sans parvenir à me décider. Je t'ai déjà dit, tu as déjà oublié ? Quand j'étais môme, j'étais moche Et d'emblée, c'est un sacré handicap Quand tu vises une carrière de chanteuse de cabaret... Je voulais apprivoiser le piano-bar avec des lyrics couleur rap Mais pas que ça... Je voulais devenir astronaute, tutoyer étoiles et comètes Mais pas que ça ... Je voulais aussi voltiger comme les trapézistes du cirque Légers légers légers au-dessus de l'éthique et de l'Atlantique Mais pas que ça... Je voulais apprendre et partager mon ignorance Car entre-temps, entre deux cours de danse (ouais, quand tu es moche, tu te mets à la danse, ça aide !) J'étais tombée amoureuse du prof d'anglais Mais pas que ça.... Je voulais jongler avec les goûts et les épices Et voyager et cuisiner, mon restaurant je l'appellerais « Les délices du routard » sauf que je n'y serais jamais Car je ferais le tour du monde. Quand j'étais môme, oui, quand j'étais môme....

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GUILLAUME CANTILLON

Graine

Graine

Sans eau Sans terre

Enfance pour toujours.

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EMMANUELLE MALATERRE

Enfance

Enfance vernie, enfance en pleurs, merdE Nu à l'arrivée, soies ou lambeaux... NoN !

Fous rires, goûters, famine et soiF A bout de souffle, cours, va, travaille, nA !

N'importe où qu'il soit l'enfant de rieN Ce pique de bonheurs, c'est le roi du fric-fraC

Enfance douce et amour devrait être facilE.

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JOSETTE RIEU

L'air est si doux... L'air est si doux près du berceau L'enfant s'endort, il est si beau Un sourire sur son visage Semble partir sur un nuage Il rêve dans son lit douillet Et il pense émerveillé Tant de bonheur et tant de joie C'est vraiment un petit roi.

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CAMILLE ANDRES

La matinée d'une vie L'odeur de ce lait maternel Les premiers pas dans le matin Et les mots de petit lutin Restent des instants éternels Sur le sentier des écoliers On saute dans les flaques d'eau La boue colle sous nos souliers Ils sècheront sous le préau. Puis on s'en va le cœur candide Au rendez-vous de l'innocence De ces flirts au parfum sapide Qui parsèment l'adolescence. Midi sonne ses douze coups C'est le seuil de l'efflorescence Je serre sur moi mon doudou Pour que perdure mon enfance.

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NICOLE CALVARD

Comme la nature aime jouer Comme la nature aime jouer Il n'y a que l'enfant Pour la faire jouer tout son saoul. Des pentes des collines descendues Tout à fond et si possible en criant Très très fort. Des flaques où l'on saute A pieds joints Et qui nous éclaboussent. De la neige en mille boules Bien poudreuses Qui nous éclatent à la figure. Du sable tassé, poussé, Bâti comme une cathédrale. Des cailloux entassés, alignés, Comme des vieux trésors. Des galets sautant de vague en vague En ricochant tout fous Fous de joie Fous de vie Fous d'enfance.

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MARGAUX CROIX

Les mots se cassent sur ma bouche... Les mots se cassent sur ma bouche, Pourtant mon discours est complet… Mes idées viennent et puis se fourchent Mais rien n’en ressort jamais. Des géants passent et me sourient, Ils s’adressent à moi, me cajolent; Comme j’aimerai faire partie De cet échange de paroles ! Mais je suis là et je bafouille Quelques syllabes déliées; Pourquoi faut-il que je bredouille ? Il est si dur de s’exprimer… Je me heurte à des palabres Qui restent soudés à ma langue; Je m’en servirai bien de sabres Pour briser la frontière exsangue Entre le flot discontinu Qui s’échappe de mes parents Et celui qui bout et qui rue Au fond de moi : je suis l’enfant.

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YANNIS SANCHEZ

M Colin-Maillard M Colin-Maillard, il faut que je vous dise Que le satané jeu qui porte votre nom Un jour m'a fait passer pour un brave couillon Lorsque ma pauvre main sûre de s'être mise Sur une camarade, empoigna cette prise Et la manigança sans honte et sans pudeur. J'enlevai le bandeau mais qu'ai-je vu? Horreur! Un visage fermé par des sourcils féroces, Une barbe sévère et des cheveux en brosse, M le Directeur se tenant face à moi Et de son bras velu d'inquisiteur dit: « Toi! » Je ne me souviens plus du reste: j'étais gosse. Mais si je me reporte à tous les gloussements, Les rires des persifleurs, les caquètements, Ce jour fut le premier de mes dépucelages Car je dois l'avouer, le pire des passages C'est de se retrouver dans la peau du couillon. M Colin-Maillard, j'en noircirai des pages... Mais j'adorais le jeu qui porte votre nom.

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CORMORAN

Enfance Que de rendez-vous manqués avec l'innocence On est trop restés dans la méfiance Certains iront vers l'interdit Toujours trop tôt, toujours trop tard Pas de hasard, tout s'évanouit On se retrouve aigri et sous le fard On se rassure, on croit qu'on a vécu Alors que tout n'était qu'illusion On reste seulement sur des sensations Par le poids des ans on est vaincu Alors on repense... À l'enfance.

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CÉDRIC LERIBLE

Sur la page

Sur la page Un exquis mot Brise la glace.

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EMMANUEL RASTOUIL

Le trajet de l'école Sur le trajet mouillé du chemin de l'école J'ai croisé ce matin un gros chien moribond Qui mettait ses deux pieds dans une casserole Et semblait regretter son passé vagabond. Sur le trajet mouillé du chemin de l'école J'ai vu la boulangère dans son magasin Elle avait un chat roux blotti sur son épaule En sortant de son four de bons pains aux raisins. Sur le trajet mouillé du chemin de l'école J'ai sauté dans la flaque avec un grand plaisir Mon père n'a rien su, j'évite les bricoles Mes souliers sècheront avant de repartir. Sur le trajet mouillé du chemin de l'école J'ai rattrapé Lisa dans son corsage à fleurs Je lui ai pris la main dans une course folle Et gardé son sourire au plus près de mon cœur. Sur le trajet mouillé du chemin de l'école Chaque pas que je fais m'emmène à mon destin Mais je me fiche un peu de ces belles paroles Je suis le roi des rois, j'ai dix ans ce matin !

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La cigale Je l'avais dit, au Héron, de ne pas faire le difficile Je l'avais dit, au Corbeau, qu'il valait mieux la fermer Je l'avais dit, au Renard qu'il finirait par se faire avoir Et je l'avais dit, au Rat des villes que tous ses plans étaient en bois I z'ont pas voulu me croire, I m'écoutent jamais I sont bêtes, ces animaux à n'en faire toujours qu'à leur tête Puis j'ai rencontré la Cigale qui était fort tristounette Car la Fourmi l'avait virée. Je lui ai dit que ça m'étonnait guère Car depuis l'âge de pierre La Fourmi se shoote aux slogans. « Travailler plus pour gagner plus » Elle y croyait dur comme fer. Je lui avais dit, moi, pourtant, Que tout ça n'était que du vent J'ai donc consolé la Cigale C'est vrai qu'elle avait du talent Je lui ai dit une ou deux fables Ensemble on a pris la tangente On a fait les quatre cents coups Plein de fêtises et de pichouettes La Cigale inventait des mots Elle en avait plein sa valise : Fêtise, c'est mélanger bêtise et fête, Pichouette, ben t'as pigé, t'es pas idiot !

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Elle adorait la poésie Tu veux un scoop : le slam, c'est elle qui m'a appris Puis, un jour, aux États-Unis, Un producteur l'a remarquée Elle est partie vers son destin Tourner des pubs et des séries Moi, j'ai r'trouvé la Fourmi Qui avait le regard un peu éteint Son patron l'avait licenciée Et son mec l'avait lourdée Alors quoi ! Je n'pouvais pas la laisser comme ça J'ai consolé la Fourmi C'est vrai qu'elle était courageuse On s'est fait une soirée télé Divan, bières, pizzas plantureuses Y avait qu'des émissions pourries Mais c'qui a énervé la Fourmi Qui s'escrimait sur la zapette C'est que notre coquette Cigale Etait devenue star internationale

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