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Page 1: Transcendance de l'invariant modulaire en caractéristique finie

Math. Z. 231, 75–89 (1999)

c© Springer-Verlag 1999

Transcendance de l’invariant modulaireen caracteristique finie

Mohammed Ably, Laurent Denis, Francois Recher

Universite de Lille I, F-59655 Villeneuve d’Ascq, France (e-mail: [email protected])

Received: October 22, 1997; in final form January 21, 1998

Transcendence of the modular invariant in finite characteristic

Abstract. LetJ be the Fourier expansion at infinity of the modular invariantj associated to a Drinfeld module of rank2 defined on the algebraic closurek of Fq(T ) andt an element of the completion ofk. Then at least one of thetwo elementst, J(t) is transcendental overFq(T ).

Mathematics Subject Classification (1991):11G09, 11J85

1. Motivations

En 1996, K. Barre-Sirieix, G. Diaz, F. Gramain et G. Philibert [B-D] ontprouve la conjecture de Mahler-Manin :

Theoreme: SoitJ le developpement de Fouriera l’infini de l’invariantmodulairej, z un nombre complexe tel que0 < |z| < 1. Alors l’unau moins des deux nombresz, J(z) est transcendant.

La theorie des formes modulaires possede un analogue en caracteristiquefinie. Les courbes elliptiques sont remplacees par les modules de Drinfeldde rang2. Rappelons le cadre de cette theorie. SoitFq[T ] l’anneau despolynomes en une indetermineea coefficients dans le corps finiaq elements,k son corps des fractions,k∞ le complete dek pour la placea l’infini etC le complete d’une cloture algebrique dek∞. Rappelons que la fonctionv(x) = −deg x avecdeg 0 = −∞ definie surk se prolonge en une uniquevaluation surC qui est alors muni de la valeur absolue|x| = qdeg x.

Definition 1 ([Dr] [D-H]). Un module de Drinfeldφ de rangd sur Fq[T ]est un morphismeFq-lineaire injectif d’anneaux deFq[T ] dansEndC(Ga)

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76 M. Ably et al.

tel queφ(T ) = TF 0 + a1F + · · · + adF

d

ou lesai sont dansC, ad 6= 0 etF designe le Frobenius relatifa q.On appelleeφ l’unique fonction verifiant pour toutz dansC

eφ(Tz) = φ(T )eφ(z),

et de derivee1 a l’origine. L’ensemble des zeros deeφ est alors unFq[T ]-module libre de rangd noteΛφ et on a

eφ(z) = z∏

λ∈Λφ\{0}

(1 − z

λ

).

Reciproquement tout reseau de rangd dansC definit un unique module deDrinfeld de rangd.

Definition 2. On dit quef est une isogenie entre deux modulesφ etφ′ si fest un homomorphisme non nul deGa tel que pour touta ∈ Fq[T ]

φ(a) ◦ f = f ◦ φ(a).

Les modulesφ etφ′ sont isomorphes s’il existe une isogenie inversible entreφ etφ′ (c’est-a-dire une homothetie).

Exemple : Pourd = 1, tous les modules de Drinfeld sont isomorphes aumodule de Carlitz defini par

φC(T ) = TF 0 + F.

La fonction exponentielleeC a alors pour noyauFq[T ]π ou π est un analoguede2iπ.

Dans la suited = 2. Si onecrit

φ(T ) = TF 0 + gF + ∆F 2,

on constate que la quantite

j = j(φ) =gq+1

ne depend que de la classe d’isomorphisme du module de Drinfeldφ.Sur le demi-plan superieurC − k∞ le groupeGL2(k∞) agit par(

a bc d

)(z) =

az + b

cz + d.

Si on noteFq[T ] ⊕ Fq[T ]z le reseau normalise des periodes associe aun module de Drinfeld, deuxelementsz et z′ definissent des modules de

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Transcendance de l’invariant modulaire 77

Drinfeld isomorphes si et seulement si ils sont conjugues par GL2(Fq[T ])et j fournit une bijection entre GL2(Fq[T ])\(C − k∞) etC.

Les formes modulaires surC − k∞ se definissent comme dans le casclassique [Ge, 5.7]. Il existe un parametre (a l’infini)

t(z) =1

eC(πz)

tel que toute forme modulairef ait un developpement

f(z) =∑

aiti(z)

quandt(z) est assez petit. Les fonctionsg et∆ sont des formes modulairesde poids respectifsq − 1 etq2 − 1. Il existe un reel positifc(q) = q−1/(q−1)

permettant de definir la fonctionJ parJ(t(z)) = j(z) pour toutz tel que0 < |t(z)| < c(q). Pour simplifier,J(t(z)) sera noteJ(t).

Le but de ce texte est de montrer le theoreme suivant :

Theoreme 1. Pour toutt tel que0 < |t| < c(q), l’un au moins des deuxnombrest etJ(t) est transcendant surk.

La preuve est adaptee de celle de [B-D]. Elle differe essentiellement endeux points. Les estimations de Mahler des coefficients deJ sont remplaceespar des estimations sur les formes modulairesg et ∆ et les estimes dehauteur de polynomes modulaires [Co] sont remplaces par l’analogueetablipar Taguchi [T] de la variation de la hauteur d’un module de Drinfeld sousisogenie.

Au paragraphe2 nousetablissons quelques analogues des proprietesarithmetiques lieesa l’invariant modulaire. Ces resultats seront utilises auparagraphe3 pour prouver le theoreme 1.

2. Lemmes arithmetiques

Verifions tout d’abord l’analogue fonctionnel et necessaire du theoreme 1.

Lemme 1. Les fonctionst et J(t) sont algebriquement independantes surC.

Preuve.SoitP un polynome en deux variables tel que

P (t, J(t)) = P

(1

eC(πz), j(z)

)= 0.

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Un elementz transcendantetant choisi, leseC(παa(z)) sont distincts car :

eC(παa(z)) − eC(παa′(z)) = 0

⇐⇒ z

az + 1− z

a′z + 1= b ∈ Fq[T ]

⇐⇒ (baa′ − a′ + a)z2 + b(a + a′)z + b = 0 ,

ce qui entraıne quea = a′. Commej est invariant sous l’action deGL2(Fq[T ]) et celle des matrices

αa =(

1 0a 1

)

aveca ∈ Fq[T ], le polynome enX : P (X, j(z)) a une infinite de zeros etdonc est identiquement nul. De plusj est surjective donc prend une valeurtranscendante arbitraire etP est identiquement nul.ut

Rappelons quelques proprietes des formes modulaires qui nous serontutiles dans la suite.

Lemme 2. La C-algebre des formes modulaires de type0 est l’anneau depolynomes engendre par g et ∆ [Go]. La sous-algebre des formes ayantleurs coefficients dansFq[T ] est engendree parg et ∆ convenablementnormalises. Les premiers termes du developpement ent de g et ∆ sontrespectivement1 et−tq−1.

L’anneauFq[T ][g, ∆] est contenu dans l’anneau des series formelles dutype

f(t) = a∑j≥0

mjt(q−1)j

ou a ∈ Fq[T ], mj ∈ Fq[T ] etdeg mj ≤ j [Ge, Prop. 6.7].Dans le developpement de∆ (resp.g), a = 1 (resp.a = T q − T )

convient.

Remarque : On deduit des estimations de ce lemme que le rayon deconvergence deJ(t) est superieur ouegala q−1/(q−1).

Les fonctions automorphes de poids0 sont comme dans le cas classique[L, Chap. 3 Par. 2] des fonctions meromorphes surC − k∞ invariantessous l’action de GL2(Fq[T ]). Le lemme suivant decrit le corps des fonctionsautomorphes.

Lemme 3. Le corps des fonctions automorphes de poids0 estC(j).

Preuve.La preuve est similairea celle du cas standard, le fait que les formesmodulaires de poids0 soient constantes resulte de [G-P]. ut

Les lemmes suivants, bien connus,etablissent les proprietes arithme-tiques qui relientj(z) et j(az) poura ∈ Fq[T ].

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Commenc¸ons par exhiber un systeme de representants de∆B sousl’action de GL2(Fq[T ]) ou ∆B designe pourB unitaire l’ensemble suiv-ant :

∆B :={

α =(

a bc d

); a, b, c, d ∈ Fq[T ], (a, b, c, d) = 1, det α = B

}.

Prouvons tout d’abord que toute matrice de∆B est dans la classea gauched’une matrice triangulaire superieure. Soienta, b, c, d les coefficients d’unematrice de∆B. On choisitw et x dansFq[T ] premiers entre eux tels quewa + xc = 0. Alors le theoreme de Bezout permet de prendreu et v telsqueux − vw = 1. La matrice(

u vw x

) (a bc d

)

est alors triangulaire superieure.L’action a gauche de la matrice(

1 δ0 1

)

et celle deF∗q permettent de voir qu’un systeme de representants est inclus

dans

∆∗B =

{(a b0 d

); a, b, d ∈ Fq[T ], a unitaire,

(a, b, d) = 1, deg b < deg d, ad = B

}.

Il est en fait facile de voir que deuxelements distincts de∆∗B ne sont pas

conjugues par l’action deΓ .

Cherchons maintenanta estimerΨ(B) = Card∆∗B.

Lemme 4. Posons :

ϕ(e) := Card {x ∈ Fq[T] ; x 6= 0, (e, x) = 1, deg x < deg e} .

Alors, pour toutB unitaire

ϕ(B) = |B|∏

P irr eductible, unitaireP |B

(1 − 1

|P |)

.

Nous en deduisons alors le cardinal cherche.

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Lemme 5.

Ψ(B) = |B|∏

P irr eductible, unitaireP |B

(1 +

1|P |

).

Donnons une majorationelementaire du cardinalIn de l’ensemble despolynomes irreductibles unitaires deFq[T ] de degren :

Lemme 6.

In ≤ qn

n+ 2qn/2 log2 n.

Majorons maintenantΨ(B):

Lemme 7. Il existe un reelC > 0 tel que pour toutB ∈ Fq[T ] unitaire :

Ψ(B) ≤ C|B| log log |B| + C

Preuve.Commenc¸ons par majorer le logarithme du produit :

log

∏P irreductible, unitaire

P |B

(1 +

1|P |

) ≤

∑P irreductible, unitaire

P |B

1|P |

Estimons :

∑P irreductible, unitaire

|P | ≤ |B|

1|P | =

∑x≤logq |B|

∑deg P ≤ x

P irreductible, unitaire

1|P |

=∑

x≤logq |B|

Ix

qx

Le lemme precedent nous donne :

∑P irreductible, unitaire

|P | ≤ |B|

1|P | ≤

∑x≤logq |B|

1x

+ 2q−x/2 log2 x ≤ log log |B| + K

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Transcendance de l’invariant modulaire 81

Donc: ∑P irreductible, unitaire

P |B

1|P |

≤∑

P irreductible, unitairedeg P ≤ [log log |B|]

1|P | +

∑P irreductible, unitaire

P |B, deg P ≥ [log log |B|]

1|P |

≤ log log log |B| + K +deg B∑

x=[log log |B|]

#{R ∈ Fq[T ] ; deg R = x, R|B}qx

≤ log log log |B| + K +deg B∑

x=[log log |B|]

log |B|xqx

.

Le dernier terme est borne independamment deB. utPour montrer quej(z/B) est algebrique surk(j(z)), nousetablirons

quelques proprietes du polynome modulaire. Pourα de la forme

α =(

a bc d

),

avec(a, b, c, d) ∈ Fq[T ], on notera

α(z) =az + b

cz + d.

Lemme 8. Le polynome

ΦB(X) =Ψ(B)∏i=1

(X − j ◦ αi(z))

ou αi parcourt le systeme de representants de∆∗B esta coefficients dans

k[j(z)].

Preuve.Pour la commodite du lecteur, nous donnons ici une preuve s’inspi-rant de [L], on pourraegalement consulter [B].

Lesj◦αi sont permutes sous l’action de GL2(Fq[T ]) et sont des fonctionsholomorphes dont le seul pole est l’infini. Donc, d’apres le lemme 3, cesont des polynomes enj a coefficients dansC. Commej(z) est une seriede Laurent en1/eC(πz) a coefficients dansk, j ◦ αi(z) est une serie en1/eC (πz/B) a coefficients dansk (eC (π/B)). Or Aut(k(eC (π/B))/k)est compose d’automorphismes definis parσr (eC (π/B)) = eC (πr/B)ou r est premier avecB [Ca]. Comme lesj ◦αi sont permutes par lesσr les

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coefficients deΦB sont des series de Laurent en1/eC (πz/B) a coefficientsdansk. Comme

C ((1/eC (πz))) ∩ k((1/eC

(πz

B

))) = k((1/eC(πz))),

careC(πz) = φC(B)eC (πz/B), les coefficients deΦB sonta la fois despolynomes enj(z) a coefficients dansC et des series en1/eC(πz) a coeffi-cients dansk. Etant donne quej(z) est une serie en1/eC(πz) a coefficientsdansk, la preuve du lemme suit .ut

On dispose surPm(k) de la hauteur logarithmique et absolue de Weilusuelle, nous en rappelons la definition : siL est une extension finie dek dedegre l, la hauteur d’un pointP = (x0, . . . , xm) deP

m(L) est donnee par :

h(P ) =1l

∑w

d(w) max{−w(xi), 0 ≤ i ≤ m},

ou la somme estetenduea l’ensemble des places deL, d(w) designe le degreresiduel surFq en la placew normalisee parw(L) = Z ∪ {+∞}. Cettehauteur est independante du corpsL choisi. Nous rappelons les proprietes :

h(α + β) ≤ h(α) + h(β)h(αβ) ≤ h(α) + h(β)h(αn) = |n|h(α)

Pour toutα ∈ k, on designe encore parh(α) la hauteur logarithmiqueet absolue de Weil deh(1, α).

Definition 3. La hauteur naıve du module de Drinfeld de rang2 defini surk :

φ(T )(X) = TX + a1Xq + a2X

q2

est definie parh(φ) = max(1, h(a1), h(a2)).

On dit queφ est normalise lorsqueφ(T )(1) = 0.

Pour tout moduleφ, il existeu ∈ k∗

tel queuφu−1 soit normalise. Lelemme suivant permet de relier la hauteur d’un module normalise a celle del’invariant modulaire.

Lemme 9. Soitφ(T )(X) = TX + j1/(q+1)Xq + Xq2ou j1/(q+1) est une

racineq + 1-eme dej fixee etu tel queφu = uφu−1 soit normalise. Alorson a

h(j)q + 1

− 1 ≤ h(φu) ≤(

1 +1q

) (h(j)q + 1

+ 1)

.

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Transcendance de l’invariant modulaire 83

Preuve.h(φu) = max(1, h(j1/(q+1)u1−q), h(u1−q2)). Pour comparerh(j)

eth(φu), onecrit la relationT + j1/(q+1)u1−q + u1−q2= 0 donc

j1/(q+1) = −uq−q2 − Tuq−1,

ce qui entraıne par sous-additivite de la hauteur

1q + 1

h(j) ≤ (q2 − 1)h(u) + 1,

qui donne la premiere inegalite. De meme,

u1−q2= −T − j1/(q+1)u1−q,

(q − 1)h(u) ≤ 1q(q + 1)

h(j) +1q,

et en utilisant

h(φu) ≤ 1 +1

q + 1h(j) + (q − 1)h(u),

on obtient la seconde inegalite. ut

Lemme 10. Si f est une isogenie entre deux modules de Drinfeldφ et φ′definis surk d’invariant modulairej et j′. Alors

h(j′) ≤ 30(q2 − 1)(h(j) + logq deg f + 3).

Preuve.Il existe une extensionK dek sur laquelleφ et φ′ sont normaliseset a reduction stable [D-D, lemme 2.10]. Il existe une isogenieg duale defde degre majore par celui def [D-D, lemme 2.19]. Le theoreme de Taguchi[T] indique alors que

hd(φ′) ≤ hd(φ) + logq deg f

ou hd est la hauteur differentielle (voir [T] pour la definition). Il nous resteacomparer la hauteur differentiellea la hauteur naıve. On utilise les inegalites(v) et (vi) du lemme 2.14 de [D-D] :

h(φ) ≤ 4(q2 − 1)hd(φ) + 8(q2 − 1) + 1

hd(φ) ≤ 5h(φ) + 1,

pour obtenir l’inegalite demandee. utRappelons quelques lemmes classiques qui seront utilises dans la preuve

de transcendance.

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Lemme 11 (Siegel).Soit

n∑j=1

ai,jXj = 0, 1 ≤ i ≤ m

un systeme lineaire dem equationsa n inconnues (m < n), ou lesai,j sontdansFq[T ] de degre majore parA. Ce systeme possede une solution nonidentiquement nullex1, . . . , xn dans(Fq[T ])n, avec

max1≤j≤n

deg xj ≤ m

n − mA + 1.

Preuve.Il suffit de considerer l’application :

Fq[T ]n −→ Fq[T ]m

(x1, . . . , xn) 7−→ n∑

j=1

a1,jxj , . . . ,n∑

j=1

am,jxj

et d’appliquer le principe des tiroirs.ut

Lemme 12 (Liouville). SoitP un polynome enn variablesa coefficientsdansFq[T ] et α1, . . . , αn deselements deC contenus dans une extensiondek de degre au plusD. Alors siP (α1, . . . , αn) est non nul, on a :

deg P (α1, . . . , αn) ≥ −D

n∑i=1

(degXiP ) h(αi) − D h(P )

ou h(P ) est le maximum des hauteurs des coefficients deP .

Preuve.Pourα1, . . . , αn separables, on procede comme en caracteristiquezero (sans oublier que toutes les places sont ultrametriques). Sinon, on seramenea ce cas en appliquant l’enonce a αpe

1 , . . . , αpe

n ou pe est le degred’inseparabilite (le resultat est aussi un corollaire direct de [M, lemme 4p.291]). ut

3. Preuve du Theoreme 1

Dans la suite, les constantesC1, . . . , C9 dependent uniquement deq et dumodule de Drinfeldφ.

On procede par l’absurde. Supposonst et J(t) algebriques surk. Lapreuve est en quatreetapes :

1. On construitP (X, Y, Z) a coefficients dansFq[T ] non tous nuls,homogene par rapportaY etZ tel que

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Transcendance de l’invariant modulaire 85

– degX P ≤ L1 etdegY P = L2.– F (t) = P (t, ∆(t), (g(t))q+1) s’annulea l’ordre≥ N en0.

Ceci est possible par le lemme de Siegel (lemme 11) des queN < L1L2et d’apres le lemme 2 :

h(P ) ≤ N

L1L2 − N

(N

q − 1+ q(q + 1)L2

)+ 1.

On pose

G(t) =F (t)

∆(t)L2.

Il existe alors un polynomeQ(X, Y ) avecdegX Q ≤ L1 et degY Q ≤ L2tel que

Q(t, J(t)) = G(t).

La fonctionG s’annule en0 a l’ordreM avec

M ≥ N − L2(q − 1)

d’apres l’ordre d’annulation de∆ (lemme 2).

2. Majoration deG(t).La fonctionG s’ecrit :

G(t) = tN−L2(q−1)G1(t)

ou G1 est sans pole dans tout disque de centre0 et de rayonC1 : 0 < C1 <c(q) (on rappelle quec(q) designe le rayon du disque de convergence deJ(t)). On a pour0 < |t| < C1 :

|G(t)| ≤ |t|N−L2(q−1) sup|t|≤C1

|G1(t)|.

D’apres le developpement de∆ (lemme 2), il existeC2 strictement positiftel que :

|∆(t)| ≥ C2|t|q−1.

D’ou :

|G(t)| ≤ |t|N−2L2(q−1)

CL22

sup|t|≤C1

∣∣∣∣ F (t)tN−L2(q−1)

∣∣∣∣ .

Majorons maintenant|F (t)/tN−L2(q−1)|. Si onecrit

F (t)tN−L2(q−1) =

∑n

fntn,

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86 M. Ably et al.

il s’ensuit d’apres le lemme 2:

logq sup|t|≤C1

∣∣∣∣ F (t)tN−L2(q−1)

∣∣∣∣≤ logq sup

n,|t|=C1

|fntn|

≤ supn

(n

q − 1+ q(q + 1)L2 + n logq C1

)+ h(P ) .

On choisitC1 < q−1/(q−1), donc

logq sup|t|≤C1

| F (t)tN−L2(q−1) | ≤ q(q + 1)L2 + h(P ).

Finalement, il existe un reelC3 tel que :

|G(t)| ≤ |t|N−2L2(q−1)

CL23

qh(P ).

Si on pose :

ta =1

eC(πaz),

aveca unitaire, montrer queJ(t) est transcendant surk est equivalent,d’apres le lemme 8 applique aB = a, a montrer queJ(ta) est transcendantsurk.

Nous utiliserons l’estimation suivante qui montre aussi qu’il suffirait defaire la demonstration pourt petit :

Lemme 13. Si |t| < q−1/(q−1), alors pour touta unitaire dansFq[T ] :

|ta| = |t|qdeg a.

Preuve.CommeφC(T )(X) = TX + Xq, des quedeg x > 1/(q − 1) :

deg φC(T )(x) = q deg x.

Par recurrence surn :

deg φC(Tn)(x) = qn deg x,

et par linearite deφC :

deg φC(a)(x) = qdeg a deg x. ut

Nous supposons donc sans perte de generalite que|t| < q−1/(q−1).

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Transcendance de l’invariant modulaire 87

Comme d’apres le lemme 1,G n’est pas identiquement nulle, il existea ∈ Fq[T ] unitaire de degre minimal tel queG(ta) 6= 0.

On pose

W (Z) = Z−MG(Z)∏

s ∈ Fq[T ] unitaire1 ≤ deg s < deg a

t

Z − ts,

alors

|W (0)| = |g0|∏

s ∈ Fq[T ] unitaire1 ≤ deg s < deg a

|t||ts|−1

oug0 est le coefficient deZM dans le developpement deG. Or |ts| = |t|qdeg s

donc

|W (0)| = |g0||t|qdeg a−q

q−1∏

1≤i<deg a

|t|−q2i

= |g0||t|−q2 deg a+qdeg a+1+qdeg a−q

q2−1 .

Commeg0 ∈ Fq[T ], on a

|t|−q2 deg a+qdeg a+1+qdeg a−q

q2−1 ≤ |W (0)|.D’apres la majoration deG et le principe du maximum, on a aussi :

|W (0)| ≤ |t|−M+N−2L2(q−1)

CL23

qh(P ).

On en deduit qu’il existe une constante reelleC4 > 0 telle que

q2 deg a ≤ C4(h(P ) − L2 logq C3).

D’apres l’estimation deh(P ), on a :

q2 deg a ≤ C5

(N2

L1L2 − N+ L2 + 1

).

Cette inegalite permet de controler l’ordre de grandeur dea.

Application de l’inegalite de Liouville.Pour conclure la preuve, nous

allons appliquer l’inegalite de Liouville au nombre algebrique non nulG(ta)et aboutira une contradiction par un choix convenable des parametresN ,L1 etL2.

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Rappelons que

G(ta) = Q(ta, J(ta)).

Puisquet etJ(t) sont supposes algebriques surk, les nombres algebriquest, J(t), ta etJ(ta) sont, d’apres les lemmes 7 et 8, dans une extensionK dek de degre inferieur ouegalaC6(|a| log log |a|+1). Le lemme de Liouville(lemme 12) nous donne alors

logq |G(ta)|≥ −C6(|a| log log |a| + 1)

(L1h(ta) + L2h(J(ta)) + h(P )

).

Comme

h(ta) = h(eC(πaz)) = h(φC(a)(1/t)),

l’utilisation de la hauteur canonique [De] entraıne que cette quantite estmajoree par(C7h(t) + 1)|a|. Le lemme 10 nous apprend que

h(J(ta)) ≤ C8h(J(t)) + logq |a| + 1,

ce qui permet de reecrire l’inegalite de Liouville sous la forme : il existe uneconstanteC9 > 0 telle que

logq |G(ta)| ≥ −C9(|a| log log |a| + 1)

×(

L1|a| + L2 logq |a| +N2

L1L2 − N+ L2 + 1

).

Regardons maintenant la majoration delogq |G(t)| :

logq |G(ta)| ≤ h(P ) + (N − 2L2(q − 1))|a| logq |t| − L2 logq C3.

On choisit maintenantL2 = N12+ 1

20 etL1 = N12 . En tenant compte de

la majoration :

q2 deg a ≤ C5

(N2

L1L2 − N+ L2 + 1

),

on aboutit, pourN assez grand,a une contradiction. ut

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Transcendance de l’invariant modulaire 89

References

[B] Sunghan Bae. On the modular equation for Drinfeld modules of rank 2. J. NumberTheory42: 123–133 (1992)

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