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1
UNIVERSITE PARIS-EST MARNE-LA-VALLEE
UFR SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES
MASTER 2 RECHERCHE ENTREPRISE, INNOVATION ET SOCIETE.
Etude d’un « cluster »
par sa configuration sociale
Enquête sur les coopérations au sein du «cluster Descartes ville
durable» auprès d’un échantillon d’entrepreneurs et d’acteurs
locaux
Sophie Jaboeuf [email protected]
Sous la direction de Patrice Flichy
Janvier 2015
2
Je tiens à remercier toutes les personnes ayant contribué à cette enquête pour m’avoir
chaleureusement ouvert leur porte, les entrepreneurs, les acteurs publics et les chercheurs.
Je remercie également tous mes professeurs de master car leurs conseils m’ont tous été utiles
dans ce travail. Je remercie bien sûr plus particulièrement Patrice Flichy pour son éclairage et
sa patience. Je suis également très reconnaissante à Benoit Lelong pour son accueil et son
accompagnement dans ce master et ses précieux conseils de lecture.
3
Table des matières
Introduction ................................................................................................................................... 5
I. Problématique, hypothèses et méthodes .................................................................................... 7
1.1 Le cluster, un concept pas encore tout à fait stabilisé ......................................................... 7
1.1.1 Le cluster défini comme un regroupement d'entreprises sur un territoire donné.......... 7
1.1.2 Le cluster défini comme la réunion du monde académique et du monde économique 9
1.1.3 Aux origines du cluster ................................................................................................. 10
1.2 La co-localisation, un sujet abondamment traité en sciences du management, en
géographie et en économie ...................................................................................................... 12
1.2.1 La proximité géographique comme levier de la capacité à innover ............................ 12
1.2.2 Le rôle de la proximité géographique contesté par certains auteurs .......................... 13
1.2.3 Le cluster, un objet dont on cherche à mesurer les performances ............................. 14
1.3 Du côté de la sociologie: l'origine sociale des phénomènes économiques ....................... 15
1.3.1 La théorie de l'encastrement structural des relations marchandes ............................. 15
1.3.2 Le «capital social» et la théorie de la force des liens faibles....................................... 18
1.3.3 La création d'entreprise est un processus de découplage .......................................... 21
1.4 L'école de la proximité ........................................................................................................ 24
1.4.1 Principaux apports ........................................................................................................ 24
1.4.2 Les effets de proximité sont insuffisants pour expliquer seuls les coopérations entre
les acteurs.............................................................................................................................. 28
1.5 Problématique et hypothèses ............................................................................................. 30
1.6 Méthodologie....................................................................................................................... 31
II. Restitution des résultats de l'enquête....................................................................................... 34
2.1 Etude des ressources des entrepreneurs .......................................................................... 34
2.1.1 Présentation de l’échantillon ........................................................................................ 34
2.1.2 Répartition des ressources utilisées entre liens personnels, intermédiaires et cluster.
............................................................................................................................................... 35
2.1.3 Liens personnels des enquêtés avec les autres acteurs............................................. 37
2.2 Cartographie des liens institutionnels entre les acteurs..................................................... 38
2.3 Analyse des résultats .......................................................................................................... 39
4
2.3.1 La proximité géographique a bien un effet... à condition que préexiste au moins une
logique de similitude .............................................................................................................. 40
2.3.2 Le faible encastrement des entrepreneurs dans le milieu local .................................. 44
2.3.3 Des acteurs nationaux peu présents localement......................................................... 51
2.3.4 Un monde académique très dense peu connecté au monde entrepreneurial ............ 56
III Éléments d'explications ............................................................................................................ 62
3.1 La faiblesse des liens faibles comme élément explicatif de la faiblesse des coopérations
................................................................................................................................................... 62
3.2 Les coûts de transaction comme élément explicatif de la faiblesse des liens faibles ....... 69
3.2.1 Définition utilisée .......................................................................................................... 70
3.2.2 Une capacité à nouer des liens qui dépend du capital social de chaque individu ...... 70
3.2.3 Des coûts de transaction trop élevés en cas d'absence de proximité organisée ....... 72
3.2.4 Le service commercial de CSTB éditions : un moyen de réduire les coûts de
transaction entre monde académique et monde économique ? .......................................... 76
3.3 Le rôle des «objets-frontières» pour abaisser les coûts de transaction et augmenter les
liens faibles................................................................................................................................ 79
3.3.1 Qu’est-ce qu’un objet-frontière ? .................................................................................. 79
3.3.2 Le dispositif Tous Créatifs ............................................................................................ 81
3.4 Le rôle de l’imaginaire dans l'innovation............................................................................. 86
3.4.1 Les difficultés du cluster à s’imposer comme un idéal partagé par tous ..................... 86
3.4.2 L'imaginaire de la d.school ........................................................................................... 91
Conclusion .................................................................................................................................... 93
Bibliographie ................................................................................................................................. 95
Annexes ...................................................................................................................................... 100
5
Introduction
Les clusters visent à rassembler des acteurs susceptibles d'innover en commun, avec l'espoir
que la proximité géographique joue un rôle bénéfique. Plus généralement il s'agit de concentrer
des ressources spécifiques mises à disposition des acteurs locaux, leur conférant un avantage
concurrentiel dans un contexte de mondialisation. Il s'agit également pour les acteurs publics
territoriaux d'améliorer l'attractivité d'un «territoire».
La France a ainsi lancé en 2004 puis labellisé en 2005 les pôles de compétitivité, associations
d’entreprises, de centres de recherche et d’organismes de formation engagés dans une
démarche partenariale, avec le soutien des collectivités territoriales. Le terme « cluster »,
d'origine anglo-saxonne1, est utilisée en France tantôt pour désigner les pôles de compétitivité,
tantôt pour désigner un regroupement géographique d'activités sur un même territoire.
Dans le même objectif de créer de la croissance et de l'emploi, l'Union Européenne avait défini
en 2006 le renforcement des clusters en Europe comme l'une des neuf priorités stratégiques
pour promouvoir avec succès l'innovation2 Cette initiative s'est accompagnée du lancement du
mémorandum sur les clusters en Europe, en janvier 20083.
Notre enquête s'intéresse au «cluster Descartes», situé dans l'Est de Paris. Le centre
géographique du cluster, appelé le «cœur du cluster», se situe dans un quartier appelé «la Cité
Descartes». Ce quartier présente la particularité d'être à cheval sur deux communes: Champs-
sur-Marne et Noisy-le-Grand, sur deux départements, la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis
et il appartient à différentes agglomérations de communes, le Val Maubuée et Marne-la-Vallée.
La cité Descartes concentre les pôles de formation et de recherche du cluster Descartes ainsi
qu’environ 300 entreprises. Parmi les 18 pôles de formation présents, on peut citer notamment
l'université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM), l'Ecole des Ponts et Chaussée, l'ESIEE, l’Ecole
d'Architecture de la ville et des territoires. Ce cluster est dédié à la «ville durable», thème que
l'on retrouve parmi certains axes de recherche des cinquante centres de recherche de la cité
Descartes. On peut citer parmi eux l'Institut Efficacity qui travaille en partenariat avec la Société
du Grand Paris sur la conception d'une gare à énergie positive, l'IFFSTAR qui a mis en place
notamment un simulateur pour travailler sur la conception de routes «intelligentes», le
laboratoire Labex Futurs urbains qui travaille sur l'étude des comportements des habitants en
termes de consommation d’énergie et de déplacements dans les écoquartiers. La Cité
Descartes se veut elle-même exemplaire en matière de construction et de ville durable, ainsi les
acteurs y expérimentent, en même temps qu'ils mettent en vitrine, un certain nombre de projets
innovants, comme les bâtiments Coriolis ou Génome, construits selon des normes
1 Le terme cluster signifie « grappe » ou « groupe » dans la langue anglaise et il est utilisé également comme un verbe (to cluster: se regrouper). On retrouve d’ailleurs ce terme dans de nombreuses
disciplines, comme l'informatique, la physique, le marketing. 2 Conclusions de la réunion du Conseil du 4 décembre 2006 sur la compétitivité:
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/intm/91989.pdf. 3 Voir www.proinno-europe.eu/NWEV/uploaded_documents/European_Cluster_Memorandum.pdf.
6
environnementales avancées, le datacenter énergétique du fournisseur d'accès à internet
Céleste, le projet d'auto-partage de véhicules électriques ou encore le projet d'aménagement
sonore par un doctorant du LAB'URBA pour lutter contre le bruit. Enfin notons que se tient
chaque année au sein de la cité Descartes la conférence Green city, événement de rencontres
internationales sur le thème de la ville durable.
La littérature académique, aussi bien économique que sociologique, a déjà montré que la
proximité géographique à elle seule est insuffisante pour créer des liens entre des mondes
sociaux hétérogènes. Le cluster a justement la particularité de rassembler volontairement des
mondes sociaux hétérogènes pour créer de l’innovation, le monde académique, le monde
économique et les acteurs publics.
Dès lors, on se demandera à quelles conditions la proximité géographique, recherchée par les
aménageurs du territoire, permet-elle de créer des coopérations ?
Dans la lignée des travaux de la sociologie économique, on étudiera le rôle de la configuration
sociale dans le développement de coopérations et d’activités, en particulier dans le
développement de jeunes entreprises au sein du cluster. La configuration observée est-elle un
frein ou favorise-t-elle les coopérations et le développement des jeunes entreprises ?
Après avoir montré que les entrepreneurs sont faiblement encastrés dans le cluster, nous
tenterons d’analyser les raisons pour lesquelles les coopérations à l’intérieur du cluster ne se
réalisent pas. Et nous tenterons, non pas d’apporter des solutions, mais d’ouvrir des pistes de
réflexion sur les conditions favorables pour créer des coopérations, notamment la création
d’objets-frontières et la formation d’un imaginaire commun. On s’appuiera pour cela également
sur des expériences ayant réussi à rassembler plusieurs mondes sociaux au sein du cluster.
7
I. Problématique, hypothèses et méthodes
Après un état des lieux sur les définitions du cluster et une revue de littérature sur les travaux
de recherche nous permettant d'analyser les coopérations au sein d'un cluster, en particulier les
travaux sur la co-localisation, sur la théorie de l'encastrement ou encore ceux de l'Ecole de la
proximité, nous détaillerons différentes problématiques et hypothèses, ainsi que la méthode
d'enquête utilisée.
1.1 Le cluster, un concept pas encore tout à fait stabilisé
Nous avons regroupé dans ce chapitre plusieurs définitions du cluster données par des acteurs
publics ainsi que par des auteurs académiques. La variété des définitions prouve que ce
concept n'est pas encore stabilisé, ce qui permet aux acteurs d'interpréter librement le rôle du
cluster.
Par une recherche dans Factiva, nous avons pu montrer que le terme «cluster» commence à
être utilisé à partir de 2003 dans la presse française (annexe 1), soit peu avant le lancement
des pôles de compétitivités.
1.1.1 Le cluster défini comme un regroupement d'entreprises sur un territoire
donné
L'association France Clusters, association de soutien aux politiques publiques, revendique 150
membres en France, qui sont tous des clusters répartis sur le territoire français et classés selon
six métiers: industrie, agriculture, TIC, environnement, santé, service. Cet acteur distingue les
notions de pôles de compétitivité, de grappes d'entreprises et de «clusters régionaux». Pour cet
acteur, le pôle de compétitivité fait référence à une politique industrielle, il est ainsi défini:
Un pôle de compétitivité rassemble sur un territoire bien identifié et une thématique
donnée, des entreprises petites et grandes, des laboratoires de recherche et des
établissements de formation. Il a vocation à soutenir l'innovation, favoriser le
développement des projets collaboratifs de recherche et développement (R&D)
particulièrement innovants. Il crée ainsi de la croissance et de l'emploi.4
Le cluster en revanche n'intègre pas forcément, pour cet acteur, le monde académique:
Les clusters sont des réseaux d'entreprises constitués majoritairement de PME et de
TPE, fortement ancrés localement, souvent sur un même créneau de production et
souvent à une même filière. L'intérêt premier du cluster est d'augmenter le chiffre
d'affaire et l'efficacité économique de son entreprise et ensuite de détecter dans son
environnement les facteurs favorisant sa croissance.5
4 http://www.franceclusters.fr/page-definition-15.html consulté le 04/10/2014 5 Ibid.
8
La grappe d'entreprises est pour France Cluster également constituée de PME/TPE mais est
organisée selon un système de gouvernance propre émanant des entreprises, elles ont par
ailleurs « un « noyau dur » ancré sur un territoire permettant des rapports aisés de proximité
entre ses membres et qui est pertinent par rapport au tissu d’entreprises concerné »6.
Par conséquent, selon cette vision, les grappes d'entreprises sont un groupement d'entreprises
organisé par les entreprises, tandis que le cluster est un regroupement d'entreprises sur un
territoire donné sans système de gouvernance défini. Les pôles de compétitivités en revanche
sont organisés par les acteurs publics locaux.
Le site internet officiel des pôles de compétitivité partage exactement la même définition du pôle
de compétitivité que France Clusters en ajoutant que ce dernier repose sur « un ancrage
territorial fort tout en s’appuyant sur les structures existantes (tissu industriel, campus,
infrastructures collectives, etc.)»7 . Le terme de cluster n'est utilisé sur le site que pour faire
référence à la politique européenne, notamment à une communication de la Commission
européenne intitulée «Vers des clusters de classe mondiale dans l'Union européenne: mise en
œuvre d'une stratégie d'innovation élargie»8. Dans cette note le cluster est ainsi défini:
Un cluster peut se définir, globalement, comme un groupe d'entreprises, d'opérateurs
économiques liés et d'institutions géographiquement proches les uns des autres et ayant
atteint une échelle suffisante pour développer une expertise, des services, des
ressources, des fournisseurs et des compétences spécialisés.9
On retrouve donc la définition du cluster comme regroupement d'acteurs économiques avec en
plus des «institutions» et une «expertise». La même note précise plus loin que c'est à la
Communauté Européenne d'encourager la politique des clusters, notamment en promouvant la
recherche et en favorisant les liens entre les entreprises et le monde scientifique.
Le CGET10 qui est chargée de « concevoir et de mettre en œuvre la politique nationale d’égalité
des territoires et d’en assurer le suivi et la coordination interministérielle.»11 a de son côté un
usage du terme plus générique, comme en témoigne une annonce publiée sur son site internet :
«Le champ d’action (...) porte sur tous les types de clusters: pôles de compétitivité, grappes
d’entreprises, pôles territoriaux de coopération économique...»12.
6 Ibid. 7 http://competitivite.gouv.fr/politique-des-poles-471.html consulté le 29/06/2014 8 http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1225459600_com_2008_652_fr.pdf consulté le 04/10/2014 9 Ibid. 10 Le Commissariat Général à l’Egalité des Territoires, créé en avril 2014 est un regroupement de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar), du Secrétariat général du
comité interministériel des villes (SGCIV) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé). Cet organisme est rattaché au Premier ministre 11 http://www.cget.gouv.fr/actualites/lancement-du-commissariat-general-a-legalite-territoires consulté le
29/06/2014 12 http://www.cget.gouv.fr/sites/default/files/pdf/page/113/2014-4ddct-
fichedepostechargedemissionclusters .pdf L’annonce a été publiée en octobre 2014 et a été supprimée
depuis.
9
Enfin, notons que l'Observatoire européen des clusters, qui recense environ 2 000 clusters
dans l'UE, définit les clusters comme des regroupements régionaux d'industries et de services
situés en un même lieu. Par ailleurs l'observatoire indique que 38 % de la main-d'œuvre
européenne est employée par des entreprises membres de ces clusters13.
1.1.2 Le cluster défini comme la réunion du monde académique et du monde
économique
Les acteurs publics de notre terrain d'enquête ont une représentation du cluster plus
spécifiquement orientée vers les coopérations entre monde économique et monde académique.
Epamarne, qui est l'établissement public en charge de l’aménagement du territoire de Marne-la
Vallée, territoire auquel appartient notre terrain d'enquête, adopte une définition du cluster qui
correspond plutôt à celle que France Clusters donne du pôle de compétitivité:
Le Cluster Descartes doit stimuler le lien vertueux entre enseignement supérieur,
recherche et entreprises afin de favoriser la diffusion des innovations et de développer
une stratégie de filière qui répondra aux défis des villes de demain. Le Cluster, avec le
soutien du pôle de compétitivité Advancity et de l’ensemble des acteurs locaux, va ainsi
permettre la création de nouvelles activités liées à l’éco-construction, la mobilité durable
ou encore l’efficacité énergétique, vecteurs de croissance et créatrices d’emplois
d’avenir.14
Par ailleurs, Epamarne, dans sa plaquette présente le cluster Descartes comme le premier pôle
de R&D en France dans le domaine de la ville durable et de l'innovation urbaine. Elle met
notamment en avant ses 50 laboratoires, 18 000 étudiants et 3 000 enseignants-chercheurs et
ingénieurs, faisant donc du monde académique un pilier du cluster15.
De son côté, Advancity, pôle de compétitivité dont le siège est sur la cité Descartes, se définit
elle-même sur son site internet comme un cluster:
La vocation d’ADVANCITY, cluster dédié à la ville durable en France, est de permettre
aux entreprises, aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche et aux
collectivités territoriales de coopérer et de monter des projets collaboratifs innovants en
vue de mettre au point des produits ou services commercialisables à moyen terme,
générateurs d’activité économique et créateurs d’emploi16
13 Voir http://www.clusterobservatory.eu consulté le 04/10/2014 14 http://projets.epa-marnelavallee.fr/Le-Cluster-Descartes/Le-Cluster-Descartes-pole-d-excellence-de-la-
ville -durable consulté le 25/09/2014 15 http://projets.epa-
marnelavallee.fr/content/download/799/6268/version/20/file/Plaquette+Cluster+Descartes +2013 consulté le 25/09/2014 16 http://www.advancity.eu/a-propos/ consulté le 25/09/2014
10
Dès lors les notions de pôle de compétitivité et de cluster se confondent, mais surtout dans
cette perspective le cluster est indissociable du monde académique.
Concernant l'agence Descartes Développement, quand elle fait référence au cluster Descartes
dans un document de présentation, par un astérix en bas de page elle le définit ainsi:
(*)Cluster : Regroupement de scientifiques, d’universitaires et d’acteurs économiques17
Du côté des sciences de gestion, l'auteur Patrick Dambron qui a consacré un livre sur les
clusters considère les pôles de compétitivité comme «les clusters à la française» et utilise
indifféremment les deux termes (2008). Il adopte une définition assez proche de celles données
précédemment:
L’objectif vise à dégager des synergies autour de projets innovants concentrés sur des
technologies spécifiques et conduits en commun en direction d’un ou de plusieurs
marchés déterminés à haut potentiel de croissance. La mutualisation des connaissances
et la visibilité internationale complètent leurs caractéristiques. Si nous voulions résumer
en une phrase ce qu’ils sont, nous dirions qu’il s’agit d’une mise en réseau d’acteurs de
l’innovation travaillant ensemble sur un territoire donné pour le développer et le
prospérer. (Dambron, 2008, p.20)
1.1.3 Aux origines du cluster
Un concept d'origine anglo-saxonne
Le chercheur Michael Porter qui est un des grands promoteurs de la politique des clusters aux
Etats-Unis dans les années 1990 définit ainsi le cluster: «clusters are geographic concentrations
of interconnected companies and institutions in a particular field» (1998b, p.78). Il ajoute que le
cluster peut inclure les fournisseurs spécialisés, les clients et que beaucoup de clusters incluent
des institutions gouvernementales, des universités, des think tank ou encore des associations.
Porter attribue deux caractéristiques à la concentration d'entreprises pour qualifier cette derrière
de cluster: l'interconnexion entre les entreprises (ou plus largement les différents acteurs
locaux) et la spécialisation du domaine d'activités.
Le cluster, héritier des Systèmes Productifs Locaux (SPL)
Le terme cluster comme on l'a vu s'est diffusé à partir de 2003 en France peu avant le
lancement des pôles de compétitivité, ces deux notions ont alors progressivement effacé les
notions précédentes de «districts» apparus dans les années 1980, ou de SPL qui avaient été
créés en France en 1997. Comme le note André Torre (2014):
Le terme de clusters, qui constitue la manière contemporaine de qualifier les formes
locales d’organisation des activités d’innovation et de production, a fini par recouvrir et
17 extrait d'un document de présentation de l’agence Descartes lors de sa création en 2010
http://www.univ-paris-est.fr/fichiers/dossier%20agence.pdf consulté le 25/09/2014
11
englober les appellations antérieures des systèmes localisés de production et
d’innovation tels que districts, milieux innovants, technopoles, SPL…
Pour Zimmermann (2002), le cluster est un concept flou, mais qui permet néanmoins une
avancée par rapport aux districts des années 1980:
L’approche en termes de clusters, bien qu’elle ne s’appuie pas sur une définition précise
généralement reconnue et malgré la variabilité des conceptions mises en œuvre,
représente une avancée intéressante sur le plan analytique et sur celui d’une
instrumentation en termes de politiques publiques. Elle constitue une rupture avec les
approches de nature sectorielle et un élargissement par rapport au cadre trop étroit de la
notion de district.
Le sociologue Michel Grossetti définissait le SPL comme un «espace déterminé (...) de
coopérations coexistant avec des relations de compétition. Ces coopérations sont favorisées
principalement par la structure des réseaux sociaux» (2004). Cette approche générale est donc
assez proche de celle de Porter pour qui le cluster se caractérise par l’interconnexion entre les
acteurs locaux.
Grossetti tente de dresser une typologie des SPL en fonction de différents critères, comme le
type d'organisations présentes (Grandes entreprises, PME, universités, ...), la présence de
R&D, le type de localisation (métropoles, petites agglomérations, zones rurales,..), les
ressources échangées (informations, prêts d'argent,..), le type de relations sociales dominantes
(familiale, d'écoles, professionnelles). Grossetti aboutit à une classification en six SPL: les
districts, les technopoles, les systèmes de sous-traitance, les «activités rares», les «services
métropolitains», les systèmes «agro-alimentaires». Selon cette classification, notons que les
technopoles sont les seules dans lesquelles l'activité de recherche et développement est
toujours présente (Ibid.) Pour l'auteur, les technopoles sont situées dans les grandes
agglomérations, elles se composent de grandes entreprises, de PME et d'universités, leurs
relations sociales dominantes sont construites autour du travail et de l'enseignement supérieur
(Ibid.).
Grossetti, dont l'étude sur les SPL date de 2004, n'a pas utilisé le terme de cluster, alors peu
répandu en France. Cependant le cluster pourrait tout à fait s'inscrire dans la typologie de
Grossetti. Il constitue une nouvelle désignation d'espace de coopération.
En conclusion, la notion de cluster a d'abord été théorisée outre Atlantique dans les années
1990 puis cette notion s'est répandue en France dans les années 2000.
Comme on l’a vu à travers les différentes définitions données par les acteurs publics, le cluster
n’est pas simplement un secteur géographique dense en activités économiques, mais il renvoie
à une stratégie de politique économique pour faire de cette densité un facteur de compétitivité
au niveau local mais aussi à un niveau national et international.
Dans la suite de ce mémoire nous utiliserons le terme cluster dans le sens de la réunion sur un
même territoire de centres de formations, de laboratoires de recherche et d'entreprises.
12
1.2 La co-localisation, un sujet abondamment traité en sciences du
management, en géographie et en économie
1.2.1 La proximité géographique comme levier de la capacité à innover
Michael Porter, en introduction de son «Clusters and the new Economics of competition»,
resume ainsi sa thèse:
Paradoxically, the enduring competitive advantages on a global economy lie increasingly
in local things-knowledge, relationships, and motivation that distant rival cannot match
(Porter, 1998b).
Dans cette perspective, le cluster constitue une nouvelle politique économique visant à
renforcer par la proximité géographique la performance du tissu économique. Le cluster se
caractérise par sa spécialisation et sa singularité: «Clusters are not unique, however; they are
highly typical» (Ibid.).
Pour Porter (1998 a; b) le rôle de la localisation a été longtemps négligé, les entreprises
recherchant auparavant des avantages concurrentiels essentiellement au niveau des prix
d'achat de leurs matières premières, qu'elles se procuraient à n'importe quel endroit de la
planète. En remettant au premier plan le rôle joué par l'environnement économique de proximité
dans la performance des acteurs économiques, l'auteur souhaite ouvrir de nouvelles
perspectives :
Clusters represent a new way or thinking about location challenging much of the
conventional wisdom about how companies should be configured, how institutions such
as universities can contribute to competitive success and how government can promote
economic development and prosperity (Ibid.)
L'auteur précise néanmoins que si la co-localisation représente un potentiel, cela ne garantit
pas la réalisation de ce potentiel. Il se propose alors d'expliquer ce qui fait le succès d'un
cluster, il évoque le mélange indispensable de concurrence et de coopération pour innover. Un
autre facteur de succès réside dans les liens informels créés entre les acteurs, ces liens sont
pour l'auteur plus efficace car ils permettent plus de flexibilité que les relations formelles
traditionnelles autour de partenariats. C'est la proximité qui favorise des échanges fréquents, et
renforce la confiance et la diffusion de la connaissance. Le système se « renforce de l’intérieur
» et produit alors de la richesse de manière endogène sur un territoire donné «Once a cluster
begins to form, a self-reinforcing cycle promotes its growth» (Porter, 1998b).
Globalement le cluster rend les entreprises plus productives, plus innovantes et favorise la
création d'activités entrepreneuriales. Et pour Porter, plus le monde devient complexe, et basé
sur la connaissance, plus la proximité est nécessaire.
De nombreux travaux académiques s’inscrivent dans cette lignée. Enright (1996) ou Rosenfeld
(2002), tout en réaffirmant l’importance des dimensions géographiques et relationnelles, mettent
13
en évidence la nécessité d’une certaine masse critique d’entreprises, en termes de services, de
compétences et de fournisseurs spécialisés, pour permettre l’émergence et le développement
des clusters.
Pour Kukalis, les entreprises ont avantage à se localiser dans les clusters (2009). De même
pour Krugmam, la concentration des activités permet de s'échanger des biens, du travail, des
informations et autres connaissances (1995). L'auteur a montré ainsi comment la présence
d'«externalités» induit une répartition géographique inégalitaire de l'activité économique,
favorisant certaines zones au détriment d'autres régions.
Talbot cherche à montrer la pertinence d’une réflexion sur les «stratégies de proximité» (2009).
L'auteur s'appuie sur plusieurs exemples de cluster comme l'assemblage des Airbus à Toulouse
et Hambourg, la City de Londres, la concentration des fournisseurs de l'industrie automobile à
Hambach (Moselle) pour la Smart, etc. Il souligne que même si les données empiriques
montrent que la proximité géographique est un levier dans la capacité à innover, la dimension
spatiale est selon lui encore peu prise en compte en management stratégique et ces stratégies
restent à définir (2009).
1.2.2 Le rôle de la proximité géographique contesté par certains auteurs
Saxenian dans une étude comparée entre la Silicon Valley et Route 128 (Boston,
Massachusetts), partant du constat que l'industrie électronique de la Silicon Valley a poursuivi
sa croissance dans les années 1980 alors celle de Route 128 a décliné, réfute l'idée de la
proximité spatiale comme facteur de performance économique
The simple fact of spatial proximity evidently reveals little about the ability of firms to
respond to the fast-changing markets and technologies that now characterize
international competition (Saxenian, 1994)
Elle adopte ce qu'elle appelle «the Network perspective» inspiré de Granovetter, c'est à dire
que l'économie locale est analysée par la structure des liens entre les acteurs et non comme un
ensemble d'entreprises atomisées (Ibid.).
The network perspective helps explain the divergent performance of apparently
comparable regional clusters, such as Silicon Valley and Route 128, and provides
important insights into the local sources of competitive advantage.
La différence majeure dans l'organisation sociale entre la Silicon Valley et Route 128 est que la
première est basée sur un système de réseaux d'acteurs dans lequel les acteurs sont très
mobiles, les salariés peu "fidèles" à leur entreprise, où l'échange d'informations est facilité par
des relations horizontales tandis que Route 128 est qualifié par l'auteur de «firm-based
system», un système où l'entreprise est plus indépendante, centrée sur elle-même, plus
autocratique, ayant des activités plus intégrées, des salariés plus fidèles et où l'information
circule moins bien compte tenu de la culture du secret. Ce système était bien adapté à un
marché stable avec des technologies peu changeantes grâce aux économies d'échelle qu'il
permettait, en revanche dans un contexte de fortes évolutions et d'incertitude, Route 128 s'est
14
avéré inadapté, les entreprises se trouvant enfermées dans un système obsolète qui ne leur
permettait pas d'accéder aux ressources locales avoisinantes qui auraient pu les rendre
réactives face aux changements, selon l'auteur. A l'inverse, l'organisation en réseau, qui abolit
les différences entre petites et grandes entreprises et entre secteurs d'activités, favorise le
processus d'innovation.
Dans cette perspective, ce n'est pas la co-localisation qui créé de l'innovation mais ce sont les
réseaux de liens existants entre les différents acteurs, la co-localisation permet en outre aux
acteurs de créer de nouvelles opportunités par le regroupement des ressources locales (capital,
technologies, compétences,....). La proximité géographique vient donc renforcer le dynamisme
économique qui repose avant tout sur un tissu de liens dense entre les acteurs.
Proximity facilitates the repeated, face-to-face interaction that fosters the mix of
competition and collaboration required in today’s fast-paced technology industries. Yet
the case of Route 128 demonstrates that geographic clustering alone does not ensure
the emergence of regional networks. Competitive advantage derives as much from the
way that skill and technology are organized as from their presence in a regional
environment.(Ibid.)
1.2.3 Le cluster, un objet dont on cherche à mesurer les performances
Des auteurs en sciences économiques se sont attachés à tenter de mesurer la performance
des clusters en proposant un ensemble d'indicateurs et de méthodologies tout en soulignant la
difficulté de cette tâche compte tenu de la forte hétérogénéité des clusters, en terme de taille,
de secteurs d'activité, d'historique, d'organisations (Merindol et al., 2010).
Sylvie Chalaye, constatant que les politiques économiques contemporaines sont
essentiellement fondées sur la logique de cluster, propose une grille d’analyse pour bien
comprendre les performances des clusters. Cependant elle évoque également les difficultés
liées à la construction des indicateurs ainsi que celles liées à la conception des études d’impact
(2011).
Michel Ferrary et Yvon Pesqueux définissent les facteurs qui peuvent contribuer à la
«croissance endogène» d'un cluster (2004). Après avoir décrit douze champs d'expertise
nécessaire à la performance d'un cluster, les auteurs évaluent le cluster en fonction du poids
relatif des douze «communautés de pratique»18 qui soutiennent chaque pôle d'expertise et de la
qualité des relations entre ces communautés.
Ainsi dans une étude comparative entre la Silicon Valley et Sophia Antipolis qui est alors la
principale technopole européenne de hautes technologies, les auteurs soulignent que Sophia
Antipolis connait une croissance moindre que la Silicon Valley, le nombre des sociétés cotées
18 Les 12 communautés de pratiques sont les enseignants-chercheurs universitaires, les chercheurs des centres de recherche, les salariés des grandes entreprises, les capital-risqueurs, les avocats, les experts en recrutement, les consultants, les experts comptables, les chargés de relations publiques, les banques
commerciales, les banques d'investissement et les journalistes (Ferrary, Pesqueux, 2004)
15
en bourse tous les ans et les montants d'investissement y étant très inférieurs. Cette moindre
performance est expliquée par les auteurs par l'absence ou la faiblesse de certaines
«communautés de pratiques» à Sophia Antipolis, en particulier les capital-risqueurs, les avocats
d'affaires, les banques d'affaires et les salariés de grandes entreprises.
En raison de l'interdépendance systémique de l'efficacité des autres communautés de
pratiques, l'absence de certaines d'entre elles nuit à l'efficacité des communautés
présentes (laboratoires de recherche, universités...) et, plus globalement, handicape la
croissance endogène que pourrait générer le cluster. La faiblesse de la croissance
endogène n'est pas due à l'incapacité des chercheurs à générer des inventions
brevetées mais à la pauvreté de I ‘environnement économique en pôles d'expertise,
notamment financier et juridique, pour faciliter la création et le développement
d'entreprises ainsi que la continuité du cycle de vie de l'innovation (Ibid.).
Suchman avait de son côté parlé de « communauté organisationnelle » au sujet des avocats de
la Silicon Valley (2000). Ces derniers en jouant le rôle d’« entremetteurs » [dealmakers], de «
conseillers » [counselors] et de « prosélytes » [proselytizers], ont selon lui influencé le
développement d’une communauté associant des entreprises informatiques, des sociétés de
capital-risque et des cabinets d’avocat (Ibid.).
Nous allons voir dans le chapitre suivant que l'approche par les réseaux sociaux est empruntée
à la sociologie économique.
1.3 Du côté de la sociologie: l'origine sociale des phénomènes économiques
La sociologie s'est attachée à montrer la construction sociale des relations marchandes. Il s'agit
de mettre à jour un ensemble de représentations, d'institutions et de normes, plus ou moins
contraignants pour le développement économique. Pour expliquer les phénomènes marchands,
l'analyse des réseaux sociaux, des relations domestiques ou politiques sont notamment
mobilisés.
Ce chapitre est essentiellement consacré à la théorie de l'encastrement. L'Ecole de la proximité
qui traite également du rôle des liens sociaux dans le développement économique est abordée
au chapitre suivant.
1.3.1 La théorie de l'encastrement structural des relations marchandes
Steiner attribue à l'économiste hongrois Karl Polanyi (1886-1964) la mise en avant de
l'argument d'encastrement social pour expliquer les relations entre le système de marchés et la
société (2011). La circulation des biens, selon Polanyi, suppose nécessairement une structure
institutionnelle, quel que soit la société considérée (1977, chap.2). L'activité économique est
encastrée (embedded) dans les relations sociales, c'est à dire que les relations sociales
constituent un ensemble d'institutions servant de socle au fonctionnement des échanges.
16
Granovetter reprend à son compte la théorie de l'encastrement mais l’applique aux sociétés
modernes (2000), alors que Polanyi opposait les économies des sociétés primitives jugées
fortement encastrées aux économies modernes considérées comme désencastrées..
Granovetter montre tout d'abord que dans le processus de recherche d'emploi, les relations
amicales et familiales et plus généralement les «liens faibles» jouent un rôle déterminant dans
l'obtention d'un emploi (1974). Ensuite il montre que le degré d'encastrement de l'économie
dans les relations sociales d'un milieu donné influence directement le succès du développement
économique (2003).
Notons que le terme embeddedness utilisé par les auteurs américains peut être traduit par
«encastrement» ou par «couplage».
La théorie de l'encastrement structural a été critiquée, soit parce qu'elle était jugée insuffisante
eu égard à d'autres formes d'encastrement, culturel, politique, cognitif (Zukin et DiMaggio,
1990), soit parce que certains auteurs se refusent à adopter une démarche séparant les
«sphères sociales» avec l'économie d'un côté et le social de l'autre (Zelizer, 2011).
Granovettrer s'appuyant sur les données empiriques de nombreux travaux décrit la
configuration sociale de plusieurs systèmes marchands dans le monde, comme celui de la ville
de Modjokuto (Indonésie), le Bazar au Maroc, la ville de pêcheurs d'Estancia aux Philippines, la
ville balinaise de Tabanan, l'organisation des tontines ou encore la diaspora chinoise (2003). Il
montre alors que la structure sociale peut empêcher ou au contraire favoriser le développement
économique des entreprises.
Un encastrement trop fort est un frein au développement d'une entreprise
Ainsi dans les entreprises de certaines communautés, les membres sont redevables d'un
ensemble d'obligations vis-à-vis des autres membres, comme fournir un emploi à un proche,
prêter de l'argent à quelqu'un en difficulté, devoir prendre un fournisseur par solidarité ou tout
autre engagement qui peuvent nuire aux intérêts purement économiques de l'entreprise. S’ils
ne satisfont pas ces obligations, ils prennent le risque d’être désapprouvés par la communauté.
Dans l'exemple de Tabanan, petite ville indonésienne de pêcheurs étudiée par Geertz et
Granovetter (2003), la structure sociale se présente comme densément connectée
verticalement et horizontalement. Les entrepreneurs appartiennent tous à plusieurs groupes
sociaux, les «seka», formés sur des bases religieuses, politiques, économiques ou autres.
Cette configuration leur apporte une forte solidarité mais aussi une obligation de loyauté vis-à-
vis du groupe dont l'intérêt est supérieur à ceux des individus. Granovetter observe ainsi que
les entrepreneurs ont tendance à se comporter de manière «non économique». Cela se traduit
par «une forte pression en faveur de la redistribution du profit au détriment de son
réinvestissement mais aussi par la tendance à employer plus de salariés que nécessaire». Les
entreprises ne peuvent dès lors se développer que jusqu'à un certain point, la rationalisation
des entreprises «aux dépens de la communauté» étant impossible (Ibid.)
17
Un encastrement trop faible empêche également le développement d'une entreprise
Dans le cas des Noirs Américains ayant migré du Sud vers les villes du Nord, Granovetter, à
l'appui de l'étude de Light, montre que les tentatives de créer des petites entreprises ont échoué
faute de solidarités locales entre les membres de la communauté (1972). Contrairement par
exemple aux minorités chinoises ou japonaises fortement soudés par leurs origines
géographiques (le village ou la Province d'origine), les Noirs américains, coupés de leurs
origines africaines depuis plusieurs décennies n'éprouvaient plus aucun sentiment
d'appartenance sur la base de leurs villes d'origine, ils ne pouvaient compter que sur des
associations vastes et impersonnelles comme la Ligue Urbaine ou la Ligue Nationale des
Affaires Noires, composées, selon Light, de l'élite Noire américaine, structurellement isolée et
«incapable d'atteindre la jeunesse noire des classes inferieures.» (Ibid., p117).
Dans l’exemple de la ville javanaise de Modjokuto étudiée par Dewey et Geertz, Granovetter
(2003) montre que dans une structure sociale atomisée, faiblement connectée horizontalement
et verticalement, les entreprises ne peuvent pas se développer au-delà du cadre individuel ou
familial. Il en est de même à Estancia aux Philippines ou la structure sociale se caractérise par
une forte hiérarchie sociale provoquant une concurrence exacerbée, les personnes pauvres
entrant en concurrence pour obtenir l'appui d'une personne au statut plus élevé.
La base sociale de l'entreprise se retrouve dans ces villes le plus souvent circonscrite à la
famille, faute de confiance dans les relations verticales et faute de solidarité horizontale. A
Estancia, la défiance est généralisée même au sein de la famille «tout le monde pense que
l'autre ne pense qu'à son intérêt» (Ibid.).
Le succès économique résulte d'un subtil équilibre entre couplage et découplage
Granovetter montre qu'une structure sociale peut présenter un net avantage dans certaines
situations, c'est le cas par exemple de la diaspora chinoise qui a eu un développement
économique beaucoup plus profitable que d'autres minorités (2003). A l'appui de plusieurs
données empiriques, Granovetter note que:
Tous les récits s’accordent à dire que les affaires chinoises bénéficient de coûts de
fonctionnement beaucoup plus faibles, liés à l’existence de la confiance à l’intérieur de
cette communauté. Le crédit est accordé et le capital mis en commun avec l’idée que les
engagements seront tenus; la délégation d’autorité a lieu sans crainte que l’agent
poursuive son intérêt propre aux dépens du principal. (Ibid., p.184)
Selon l'auteur, le succès de l'activité entrepreneuriale résulte d'un «savant dosage entre d’une
part une cohésion sociale suffisante pour faire appliquer des normes de moralité dans les
affaires et créer une atmosphère de confiance, et d’autre part des circonstances qui limitent les
revendications non économiques pesant sur une entreprise et freinant sa rationalisation » (Ibid.,
p.187)
Si Granovetter a analysé l'encastrement au travers de l'activité économique de minorités
ethniques, Michel Grosssetti s'est intéressé à l'activité entrepreneuriale hors contexte ethnique,
18
c'est que nous proposons d'aborder dans le chapitre suivant, après avoir abordé la notion de
capital social.
1.3.2 Le «capital social» et la théorie de la force des liens faibles
Le capital social comme moyen d'accéder à des ressources
Bien que l’idée selon laquelle le réseau de relations d’un individu constitue pour lui une forme
de ressources est ancienne (Degenne et Forsé, 1994), elle a été popularisée à travers la notion
de «capital social» de Pierre Bourdieu (1980). L’auteur distingue trois formes de capital: (i) le
capital économique défini par les revenus, le patrimoine matériel et financier, (ii) le capital
culturel, de nature intellectuelle, mesurable notamment par les diplômes, et (iii) le capital social.
Ce dernier est défini comme «l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées
à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées
d’interconnaissance et d’interreconnaissance» (Ibid.). Cette définition s’inscrit dans une
approche utilitariste des relations sociales, qui suppose un «travail» et une «compétence
spécifique» pour former et entretenir un réseau de relations que l’individu peut mobiliser selon
ses besoins.
Comme le rappelait Pierre Mercklé, Bourdieu n’a en fait accordé qu’un rôle secondaire au
capital social dans les mécanismes de reproduction sociale, le capital social étant issu du
capital économique et du capital culturel et n’étant là que pour les renforcer (2011).
En revanche des auteurs anglosaxons comme Nan Lin, Coleman, Granovetter, Ronald Burt se
sont emparés de cette notion dans l’analyse des réseaux sociaux pour lui donner une place
centrale.
Coleman introduit de plus la notion de «capital humain» constituée par les compétences
propres d’un individu indépendamment de ses relations («le capital humain se situe dans les
points, et le capital social dans les lignes qui relient les points») (1988).
Dans la perspective structurale, le capital social d’un individu ne se limite pas à ses relations
directes, mais comprend les relations indirectes et donc inclut le capital social de toutes ses
relations. La «valeur» du capital social réside dans la position de l’individu dans une structure
sociale et dans l’ensemble des ressources auxquelles il peut ainsi accéder. Burt montre ainsi
que les caractéristiques structurales du réseau doivent être prises en compte, notamment le
caractère redondant d’une relation, et pas seulement le nombre des relations (1995).
De Graaf et Flap ont nuancé cette approche en soulignant qu’il ne suffit pas d’avoir beaucoup
d’amis, faut-il encore que ces derniers soient prêts à mobiliser pour vous leurs propres
ressources (1988). Par conséquent le capital social d’un individu doit également tenir compte
d’autres paramètres comme le volume des ressources détenues par ses relations (capital
économique, culturel et social) et les chances d’accès à ces ressources (Ibid.).
Enfin, contrairement à l’hypothèse de Bourdieu, Michel Forsé, à l’appui de données statistiques
sur l’enquête emploi de l’INSEE, a montré un effet propre du capital social (1997). Il conclut que
le capital social est réparti dans toutes les catégories sociodémographiques, ce sont d’ailleurs
19
les moins diplômés qui y ont le plus recours, les plus diplômés privilégiant les concours. Le
capital social exerce, selon lui, un effet, inférieur à celui du diplôme mais équivalent à celui de
l’origine sociale, sur le statut acquis dans la hiérarchie sociale.
Les liens faibles pour assurer la cohésion entre les groupes sociaux
La théorie des liens faibles permet d’éclairer la façon dont le capital social peut produire ses
effets. Granovetter définit la force d’un lien comme «une combinaison (...) de la quantité de
temps, de l’intensité émotionnelle, de l’intim ité (la confiance mutuelle) et des services
réciproques qui caractérisent ce lien» (1973). L’auteur parle alors de liens forts et de liens
faibles.
Un pont (bridge) est, selon l'auteur, un lien qui permet de relier entre eux deux individus qui
appartiennent à des groupes totalement disjoints.
Enfin rappelons qu'une «clique» est définie comme un groupe d’individus dont les liens sont
très denses au sein du groupe mais ayant peu de liens avec l’extérieur du groupe.
Granovetter démontre qu’un pont n’est jamais un lien fort, car une des particularités statistiques
des liens forts, c’est que plus un lien est fort et plus les relations respectives de chacun sont
superposées: ainsi si A et B sont en lien fort et A et C sont en lien fort, alors B et C seront liés
également. Une configuration dans laquelle B et C ne seraient pas liés constitue une «triade
interdite» (Ibid.)
Par conséquent un pont, selon cette hypothèse, est toujours un lien faible permettant de relier
entre eux deux groupes d’individus séparés. Ainsi la diffusion d’une information qui ne
circulerait que par des liens forts risquerait de rester limitée à la clique. Ce sont les liens faibles
qui permettent une large diffusion des informations au sein de la société. Un individu obtiendra
donc grâce à ses liens faibles des informations qui ne sont pas accessibles dans son cercle
restreint, car les liens faibles le relient à des groupes d’individus qui ont plus de chance de
disposer d’informations différentes, c’est pourquoi l’auteur parle de la «force des liens faibles».
Les liens faibles dans cette vision génèrent de la cohésion sociale alors que les liens forts
fragmentent la société.
Cette théorie a notamment été complétée par la théorie des «trous structuraux» de Ronald Burt
(1995). Cet auteur s’est plus attaché à montrer l’avantage compétitif que peut représenter la
structure sociale d’un acteur. Un acteur qui dispose de «trous structuraux» est avantagé sur les
autres, c’est à dire que cet acteur est relié à plusieurs groupes distincts d’individus et aucun de
ces groupes ne sont reliés entre eux. En effet si les groupes se superposent, alors pour Burt,
les relations sont redondantes, elles sont «structuralement équivalentes», c’est à dire qu’elles
donnent accès aux mêmes ressources (Ibid.)
En conclusion plus il y a de ponts et de trous structuraux dans la configuration du réseau social
d’un individu, plus son capital social est important, Burt a vérifié cette hypothèse notamment
lors d’une grande enquête auprès d’un échantillon de 3000 directeurs d’entreprises (1992).
20
L’articulation entre liens forts et «trous structuraux», entre capital social «individuel» et
capital social «collectif»
Si d'un côté des auteurs ont tenté de renforcer le capital social par une approche structurale
des relations, en cherchant un équilibre entre liens forts et liens faibles, d'autres ont mis en
avant la nécessité d'articuler le capital social individuel avec le capital social du groupe pour
une mobilisation optimale des ressources.
A l'inverse de la théorie de la force des liens faibles, des auteurs ont montré les avantages de la
«fermeture» relationnelle (Coleman, 1988). Les individus d'un groupe dont les liens sont denses
s'accordent plus facilement sur la valeur des biens et des personnes (Baker, 1984). Une
structure cohésive permet d'élaborer des normes et de créer un fort degré de confiance
interpersonnelle (Coleman, 1988). Une structure dense et cohésive permet de créer un
sentiment d'appartenance et de solidarité, mieux à même d’assurer sa reproduction et son
extension (Bourdieu, 1980).
La théorie des trous structuraux a également été critiquée car elle ne tient pas compte de la
mesure de la «centralité de proximité» dans un réseau ni de l’«intermédiarité» qui fait qu’un
contact occupe une position clé dans un réseau en tant que point de passage obligé pour les
autres (Freeman, 1979). Ronald Burt a lui-même amendé sa théorie pour prendre en compte la
confiance et la réputation, sans lesquelles les acteurs ne peuvent s’engager dans une
coopération (2006). La confiance et la réputation s’obtiennent par la force des liens et la
densité des liens qui permettent d’exercer des contrôles indirects. Par conséquent les liens forts
sont aussi un facteur d’efficacité relationnelle. Il y aurait donc un point d’équilibre à trouver entre
trous structuraux et densité des liens.
Olivier Godechot et Nicolas Mariot distinguent quant à eux les notions de capital social
«individuel» du capital social «collectif» (2004). Il y aurait une articulation optimale à trouver
entre ces deux formes de capital pour que les acteurs puissent lutter efficacement contre la
concurrence au sein d'un groupe et contre la concurrence du groupe avec les autres groupes.
A un niveau individuel, les relations peuvent être vues comme un système de
mobilisation de ressources, dans le cadre d’une multiplicité d’échanges dyadiques. Mais
à un niveau plus agrégé, les relations peuvent être aussi le support d’un comportement
coopératif. Aussi, nous considérerons ici que le capital social « individuel » est le
bénéfice qu’un individu tire de sa place dans la structure des relations, alors que le
capital social collectif est le capital du groupe, bien collectif que le groupe partage et
renforce par l’établissement d’une forte cohésion (Ibid.)
Les auteurs notent cependant que l'acquisition de ces deux formes de capital peut rentrer en
tension: si l'on cherche à densifier son réseau de relations proches, alors on risque de perdre
sa singularité relationnelle (peu de trous structuraux) et si au contraire on travaille à étendre son
réseau de liens faibles, on évite les relations redondantes et on peut affaiblir la cohésion de son
groupe d'appartenance.
21
Les auteurs ont étudié la dialectique entre ces deux formes de capital dans le monde
académique à partir d'un réseau de chercheurs en sciences politiques. Postulant que les
relations d’invitation dans les jurys sont un indicateur de la structure relationnelle d’une
discipline, les auteurs ont recueillis des données empiriques sur la composition des jurys et sur
l'obtention de postes par les jeunes docteurs durant les années 1990. Ils en concluent que :
(…) d’une part, la diversification à l’intérieur du groupe permet à l’échelle individuelle de
gagner les doubles avantages, stratégiques et informationnels de la non-redondance,
d’autre part, la cohésion et la densité du groupe permettent au groupe d’exister, de
limiter la concurrence en son sein et de se mobiliser contre les autres groupes pour
l’obtention d’avantages pour ses propres membres. (Ibid.).
Ainsi dans le champs académique étudié par les auteurs (les sciences politiques), les docteurs
ont nettement plus de chance d'obtenir un poste si à la fois ils bénéficient d'un jury dont la
provenance est diversifiée, ce qui va leur ouvrir plus d'opportunités (capital social individuel), et
si le groupe formé par leur directeur de thèse est cohésif, auquel cas ce dernier est plus enclin
à les défendre contre la concurrence externe des autres docteurs qualifiés dans la disc ipline
pour l'obtention d'un poste (capital social collectif).
1.3.3 La création d'entreprise est un processus de découplage
Grossetti et d'autres socioligues ont repris les notions d'encastrement et de découplage pour
pouvoir analyser les liens entre les organisations, les individus et leur réseau.
Grossetti et Barthe (2008) reprennent les notions d'encastrement et de découplage de White
(2002). L’encastrement est défini comme «un processus d’accroissement de la dépendance
d’une forme sociale par rapport à une autre». Le découplage est «le processus réciproque
d’autonomisation d’une forme par rapport à une autre. Lorsqu’une relation interpersonnelle
s’extrait d’un collectif (par exemple lorsque l’un des deux protagonistes d’une relation quitte le
collectif mais maintient un lien personnel avec l’autre), elle s’en découple. Lorsqu’une
organisation met en place des procédures qui la prémunissent contre les aléas des relations
interpersonnelles, elle se découple de celles-ci.» (Grossetti, Barthe, 2008).
Selon cette approche, les auteurs s'éloignent de l'analyse habituelle des réseaux statiques et
s'intéressent plutôt à l’activation de relations dans des processus d’accès à des ressources.
Les relations personnelles sont prédominantes dans le processus de création
d'entreprise
Nous avons vu précédemment que la sociologie des réseaux sociaux a montré le rôle des
relations personnelles dans la vie économiques et dans le développement des entreprises.
Cependant pour Grossetti et Barthe aucune étude n'avait quantifié leur importance, c'est ce
qu'ils ont proposé de faire à partir de 54 histoires de création d’entreprises de la région Midi-
Pyrénées et des régions limitrophes (2008). Leur étude montre que les relations sociales des
22
fondateurs sont prédominantes, surtout lors de la phase de démarrage, dans l'accès aux
ressources utilisées pour l'entreprise, comme la recherche de clients, de partenaires, de
fournisseurs, d'employés ou de financement :
Tout se passe comme si les relations jouaient un rôle particulièrement central dans les
phases d’imprévisibilité (Grossetti, 2004), dans lesquelles les dispositifs destinés à
réduire cette imprévisibilité (services d’aide à la création d’entreprises) n’opèrent pas
encore ou sont d’une efficacité limitée (Grossetti et Barthe, 2008).
Lorsque le rôle des relations personnelles diminue, c'est alors un indice, pour les auteurs, du
découplage de la nouvelle entreprise, qui acquiert plus d’autonomie vis-à-vis des relations
personnelles des fondateurs.
Un autre résultat de l'étude quantitative de Grossetti et Barthe est que les relations personnelles
à caractère professionnel, comme les anciens collègues ou des connaissances acquises dans
le monde professionnel, sont plus favorables au succès des jeunes entreprises, au moins dans
les premiers temps (Grossetti et Barthe, 2008).
L'entreprise doit nécessairement se découpler des relations personnelles de ses
membres pour croître
Plus une organisation se découple des relations personnelles de ses membres, plus pour
Grossetti elle devient un «acteur social, cet acteur étant lui-même encastré dans un réseau
d’organisations ou un ensemble plus vaste tel qu’un marché.» (2004).
Fabien Reix montre également à partir de 45 entretiens biographiques avec des créateurs
d’entreprises, que la création d’entreprise est un processus de découplage (2008). Au départ
les entrepreneurs sont ancrés dans des liens forts, très locaux, mais par la suite ils mobilisent
davantage de liens faibles.
Dans l'étude de Grossetti et Barthe, la part des accès aux ressources par des chaines
relationnelles se restreint au fil du temps et devient minoritaire, passant de 64% du total des
ressources obtenues avant le dépôt des statuts à 40 % après un an de création. La part des
relations non professionnelles reste stable (16 %).
Les auteurs soulignent néanmoins que ce découplage est très relatif puisque les 40% semblent
constituer un palier, que l'on constate aussi sur les années suivantes.
Si Grosseti et Barthe affirment que «le devenir de l’entreprise est corrélé à la mobilisation des
relations sociales» (2008), ils montrent aussi que les entreprises qui ont connu une croissance
conforme aux prévisions mobilisent beaucoup les organismes d’aide à la création. Et celles qui
réussissent mieux que prévu mobilisent plus les relations personnelles de type professionnel.
A l'inverse, celles qui connaissent des difficultés ou des échecs sont celles qui mobilisent le
moins les relations professionnelles ou les organismes de soutien.
23
Par ailleurs les entreprises ayant connu un succès inattendu se composent toutes de plusieurs
fondateurs: «la dimension collective du projet, par le nombre des fondateurs autant que par les
relations qu’ils mobilisent, semble associée à de plus grandes possibilités de croissance en
taille » (Grossetti et Barthe, 2008).
Et selon leurs données empiriques, les entreprises qui ne réalisent pas ce découplage ont des
taux d'échecs bien supérieurs à celles qui se sont «désencastrées» (Ibid.). De ce point de vue
ces résultats convergent avec ceux de Granovetter (2003).
Les relations personnelles sont moins prédominantes dans un cluster
Claire Champenois insiste davantage sur l'importance des dispositifs d'aide à la création au
sein des clusters qu'elle étudie, ceux de la biotechnologie allemande. Selon l'auteur, ces
dispositifs se substituent en partie aux réseaux interpersonnels (2008).
Au plus fort de la croissance entrepreneuriale, ces intermédiaires [les sociétés de capital
risques, publiques ou privées dans les régions de Munich, Berlin ou le Bade-
Wurtemberg] orientent notamment les entrepreneurs vers les financements, nouveaux et
abondants, apparus au niveau local et extra-local. Autrement dit, c’est cette possibilité
d’accéder aux ressources clés sans posséder de relations interpersonnelles pertinentes
qui a sous-tendu l’émergence massive et localisée d’entrepreneurs dans la seconde
moitié des années 1990. (Ibid. p.82)
Claire Champenois remet en cause la prédominance du réseau social ainsi que des externalités
de connaissance pour expliquer la création entrepreneuriale sur un territoire donné. Elle met en
avant trois autres facteurs clés qui sont:
la richesse du capital humain scientifique, c’est-à-dire la co-présence d’individus
engagés dans les sciences de la vie qui vont cofonder et diriger une entreprise, cette co-
présence étant liée à la densité d’institutions d’enseignement supérieur et de recherche
sur ce territoire ; l’existence d’une offre de financements, principalement extra-locale et,
dans une moindre mesure, de possibilités d’hébergement et de conseils ; l’existence
d’une structure sociale locale – constituée d’organisations et de dispositifs – capable
d’orienter les entrepreneurs vers cette offre sur un mode plus dépersonnalisé que les
réseaux sociaux.
Dans les clusters de biotechnologie allemande, les dispositifs intermédiaires locaux ont joué un
rôle déterminant pour Claire Champenois, de la même manière que dans la Silicon Valley, les
avocats ont joué un rôle clé.
24
1.4 L'école de la proximité
1.4.1 Principaux apports
L'Ecole de la proximité, également appelé le groupe «Dynamiques de proximité» par
Carrincazeaux, Lung, Vicente (2008), est un courant de pensée interdisciplinaire composé
d'économistes, de géographes, de gestionnaires et de sociologues français comme Grossetti et
Barthe.
André Torre fait remonter les bases de l'Ecole de la Proximité à la parution d´un numéro spécial
de la Revue d’Economie Régionale et Urbaine intitulé «Economie de Proximités» en 1993
(2010). Prenant pour objet d'études les relations industrielles, l'innovation, le nomadisme des
entreprises, les nouvelles technologies, les ressources territoriales ou encore les systèmes
productifs locaux, ce courant a cherché à prendre en compte la proximité dans sa dimension
spatiale et non spatiale en définissant un ensemble de notions que nous présentons ci-après.
Proximité géographique et proximité organisée
Comme souligné par Rallet et Torre (2008), il ne suffit pas d’être côte-à-côte pour communiquer
et travailler ensemble, comme en témoigne l’«habitat vertical» qui met en relation de grande
proximité des gens qui ne se connaissent pas. Il ne suffit pas que des entreprises résident dans
un même lieu pour interagir, échanger des connaissances et créer de l’innovation, «encore faut-
il que les membres de ces organisations se connaissent, et, plus encore, désirent échanger et
travailler ensemble, se projettent ensemble dans des projets et des constructions communes»
(Ibid., p.9).
Rallet et Torre distinguent d'un côté la proximité géographique, définie ainsi:
La proximité géographique traduit la distance kilométrique entre deux entités (individus,
organisations, villes...), pondérée par le coût temporel et monétaire de son
franchissement. (...) la proximité géographique a, in fine, pour objet de savoir si l’on se
trouve « loin de » ou « près de » (2005).
Ils précisent par ailleurs que la proximité géographique est relative d'une part aux moyens de
transport, la distance géométrique étant relative selon la facilité d'accès et le coût du transport.
Elle est relative d'autre part au «jugement porté par les individus ou les groupes sur la nature de
la distance géographique qui les sépare» (Ibid.), ce jugement dépendant de données objectives
aussi bien que de leur perceptions variables selon l'âge, la profession, etc.
Les auteurs distinguent de l'autre côté la proximité organisée qui n’est pas de nature
géographique mais relationnelle
Par proximité organisée, on entend la capacité qu’offre une organisation de faire
interagir ses membres. L’organisation facilite les interactions et les actions en son sein ;
25
en tout cas, elle les rend a priori plus faciles qu’avec des unités situées à l’extérieur de
l’organisation» (Ibid.).
Il faut comprendre ici le terme organisation dans un sens générique «qui désigne tout ensemble
structuré de relations sans préjuger de la forme de la structure. Ce peut être une entreprise, une
administration, un réseau social, une communauté, un milieu...» (Ibid.).
La proximité géographique va ensuite être enrichie avec la notion de proximité géographique
«temporaire». Pour Torre, les proximités vont se combiner selon différentes dynamiques,
l'auteur a ainsi décrit plusieurs types de séquences ou alternent les proximités organisées et
géographiques temporaires dans le cadre de collaborations interentreprises (2010).
De même pour Carrincazeaux et Lung, le besoin de proximité géographique peut être par
exemple intense lors des phases communes de conception et de développement et moins
intense lors des phases de fabrication (1998).
Enfin certains auteurs soulignent que la proximité peut aussi être un handicap «parce qu’elle
peut conduire à un repli sur un territoire limité, laissant passer des opportunités d’innovation
existant ailleurs, ou parce que les forces centripètes exercées par les centres d’innovation,
notamment les grandes métropoles urbaines, peuvent désertifier les territoires environnants»
(Carrincazeaux et al., 2008).
Logique d'appartenance et logique institutionnelle
Selon Rallet et Torre, la proximité organisée repose sur une logique d'appartenance et de
similitude (2008). Les auteurs décrivent ainsi la logique d'appartenance: «deux membres d’une
organisation sont proches l’un de l’autre parce qu’ils interagissent et que leurs interactions sont
facilitées par les règles ou les routines de comportement (explicites ou tacites) qu’ils suivent»
(Ibid.).
La logique de similitude se traduit de son côté par le partage d'un même système de
représentations, ou d'un ensemble de croyances, et de savoirs communs. C’est ce que les
auteurs appellent la logique de similitude de la proximité organisée: «Deux individus sont dits
proches parce qu’ils « se ressemblent », autrement dit parce qu’ils partagent un même système
de représentations, ce qui facilite leur capacité à interagir » (Ibid.).
Au sujet de la logique de similitude, Torre précise: «La différence majeure avec la logique
d’appartenance est que cette dynamique, loin de s’initier ex nihilo, vient s’ancrer dans les
relations passées» (2010).
Pour Torre et Zuindeau, il est bien plus difficile de construire une logique de similitude qui
suppose «une représentation partagée d'un projet de long terme» qu'une logique
26
d'appartenance qui peut se construire «à force d’interactions», par «la mise en réseau des
acteurs, le partage de règles et d’instruments» (2009).
Proximité institutionnelle et proximité organisationnelle
Des auteurs distinguent les notions de proximité «institutionnelle» et «organisationnelle». Ainsi
Kirat et Lung définissent la proximité institutionnelle comme « l’adhésion d’agents à un même
espace commun de représentations, de règles d’actions et de modèles de pensée », tandis que
selon eux la proximité organisationnelle fait référence au mode de coordination au sein d’une
organisation entendue comme un « espace de définition des pratiques et des stratégies des
agents à l’intérieur d’un ensemble de règles portées par les institutions » (1995).
Carrincazeaux et al. soulignent quant à eux que la proximité organisationnelle ne peut se
construire que si les acteurs sont institutionnellement proches (2008).
Pour Talbot, le groupe «Dynamiques de Proximité» est traversé par un débat récurrent
concernant le traitement de la dimension non spatiale de la proximité: faut-il distinguer la
proximité institutionnelle et organisationnelle ou bien les réunir sous le terme de proximité
organisée ? Selon cet auteur «Une façon de trancher le débat consiste à considérer dans un
premier temps que la proximité est un phénomène institutionnel (...) dont on distinguera dans un
second temps pour des raisons pratiques d’un côté les caractéristiques d’ordre spatial, de
l’autre les caractéristiques d’ordre non spatial» (2009).
Articulation entre les différentes proximités
La plupart des auteurs s'accordent sur le fait que la proximité géographique n'a d'effets que si
elle est accompagnée d'une proximité organisée qui permet de coordonner les acteurs. Pour
Rallet et Torre, « la proximité géographique n’est efficace que si elle recouvre des liens
organisationnels. » (2001).
Pour Talbot, la proximité géographique ne favorise les mises en relation «que si les acteurs
partagent simultanément une proximité non spatiale» (2009). En effet pour l'auteur «la proximité
géographique ne joue que dans son articulation à une proximité de nature organisationnelle,
qu’elle soutient, renforce, compense, voire détruit en s’avérant être une source de conflits.»
(Ibid.)
Pour Zimmermann, la proximité géographique renforce «l’efficacité des interactions» mais elle
n'est pas indispensable pour la coordination: «La proximité des agents peut s ’accommoder
d’une distance géographique compensée par le partage de buts communs ou de
représentations communes qui vont fonder la qualité de leur coordination.» (2008). C'est donc
pour cet auteur la logique de similitude qui créé des coopérations.
27
Carrincazeaux et al. ne considèrent pas la proximité géographique de manière isolée comme
pouvant avoir un effet propre mais la considèrent comme un «moment nécessaire» de la
proximité non spatiale: «la proximité géographique est souvent un moment nécessaire pour que
se développent des apprentissages en matière de gestion de la communication entre acteurs,
notamment par la construction d’une proximité institutionnelle. Le regroupement favorise en
effet le partage des représentations et des valeurs, l’élaboration des règles ou même de
stratégies et les échanges sur les modalités de mise en pratique de ces règles (proximités
institutionnelle et organisationnelle)» (2008).
Pour ces auteurs, la proximité géographique doit être activée par l'existence d'une proximité
organisationnelle et/ou institutionnelle.
Par ailleurs Carrincazeaux et al. Introduisent le critère de la complexité des savoirs pour
expliquer quelle proximité doit être mobilisée: «D’un côté, la dimension peu complexe des
savoirs facilite la coordination à distance quand, de l’autre, la mise en commun de
connaissances accumulées implique que cet éloignement soit supporté par une proximité
organisationnelle forte» (2008).
Pour ces auteurs, les besoins de communication fondent la dynamique spatiale de l'innovation.
Cependant la proximité n'est pas unidimensionnelle et l'agglomération géographique n'est pas
«la panacée». Plusieurs configurations sont possibles. Si les bases de connaissance mobilisées
pour innover sont complexes, alors les acteurs peuvent avoir recours à une proximité
organisationnelle renforcée qui peut s'accompagner de proximité géographique permanente ou
temporaire.
Dans certains cas il est même possible de s’affranchir totalement de la proximité géographique
pour innover. Ainsi, selon Coris et Lung, la création de logiciels libres ou open source repose
sur une proximité institutionnelle sans aucune proximité géographique (2005). Pour les auteurs
il existe en effet parmi les membres de ces communautés virtuelles une forte proximité
institutionnelle incarnée par deux visions du hackerisme, celle de la FSF (Free Software
Fondation) et celle de l'Open Source Initiative. Ces deux mouvements fédèrent leurs
communautés respectives autour de règles et de valeurs partagées qui ont permis de construire
une proximité organisationnelle pour produire des logiciels par des individus très éparpillés
géographiquement (Ibid.).
Trop ou pas assez de proximité est générateur de tensions
Pour Torre et Zuindeau, un excès de proximité organisée peut entraîner des relations
conflictuelles lorsque des processus de ségrégations spatiales se produisent entre différentes
communautés (2009).
A l'inverse quand la proximité organisée est insuffisante, alors la proximité géographique peut
devenir source de tensions: «L’insuffisance ou les difficultés de mobilisation de la proximité
organisée se traduisent par une absence ou une faiblesse extrêmes des relations de
coopération, des liens de solidarité ou des représentations partagées. La contrainte de
28
proximité géographique (superposition, contiguité ou voisinage forcés) fait subir des tensions
aux acteurs locaux, voire les entraine à des relations conflictuelles, en particulier quand ils sont
confrontés à des situations nouvelles ou complexes.» (Ibid.).
Pour ces auteurs les tensions naissent lorsque les acteurs sur un même espace géographique
ne partagent pas les mêmes logiques de similitude ou d'appartenance. L'absence de liens, le
manque de visions communes peuvent alors entraîner des conflits lorsque survient de
nouveaux événements -comme une pollution soudaine ou un projet controversé de construction
d'infrastructure-, par incapacité à trouver ensemble des solutions et à mener des actions
concertées (Ibid.).
Cependant pour ces auteurs, l'efficacité de la proximité organisée qui se constitue devant un
problème nouveau varie en fonction du degré d'incertitude du problème. La proximité organisée
sera plus efficace pour traiter un problème circonscrit comme la pollution ponctuelle d'une usine
que pour traiter du réchauffement climatique, dont l'origine comporte une grande incertitude
(Ibid.)
Ces auteurs ouvrent ainsi une piste théorique qui selon eux pourrait s'appliquer, pas seulement
aux problèmes environnementaux mais également aux innovations et aux projets productifs
locaux.
1.4.2 Les effets de proximité sont insuffisants pour expliquer seuls les
coopérations entre les acteurs
Selon Grossetti, «parmi les diverses théories qui ont été avancées pour expliquer les effets de
proximité, la mieux fondée empiriquement est celle qui fait résulter la mise en relation des
organisations de l’existence de réseaux sociaux locaux interindividuels traversant leurs
frontières (Saxenian, 1994 ; Grossetti et Bès, 2002)» (2004)
Pour Grossetti, «ce n’est pas la proximité physique en soi qui compte, ce sont les relations
sociales qui rendent possible des engagements et des prises de risques » (2004). L'auteur qui
s'est intéressé de près aux districts et aux systèmes productifs locaux, étudie ces ensembles
sous l'angle des relations sociales entre les membres:
Dans les districts italiens ou les sites français de même nature, la famille joue un rôle
déterminant (...) parce que les populations concernées sont plutôt sédentaires. Dans les
systèmes industriels de haute technologie, les instituts de formation, les entreprises et
les autres organisations professionnelles ou non professionnelles sont les cadres
principaux de formation et de maintien des relations sociales parce que les populations
concernées sont nettement plus mobiles et rassemblent des personnes ayant pour une
bonne part passé leur enfance ailleurs. (Ibid.)
29
Il note des différences entre les sites concernant l'importance joué par le pôle de formation.
Ainsi certains sites comme la Silicon Valley des débuts, ou en France Toulouse et Grenoble, les
instituts de formation jouent un rôle central dans la structuration des activités contrairement à
d'autres sites comme Sophia Antipolis (Ibid.).
Dans certains cas, comme pour le commerce du textile dans le Sentier à Paris ou dans le cas
du montage des ordinateurs à Los Angeles, ce sont les regroupements familiaux et
communautaires qui constituent le réseau social qui sous-tend ces activités. Pour l'auteur ce
n'est pas la proximité géographique qui génère ces activités, mais les liens communautaires qui
permettent «des engagements et des prises de risques» sans lesquels ces activités ne
pourraient pas se développer.
Pour Grossetti, la proximité géographique ne favorise les coopérations que dans la mesure où
elle permet «l’existence et la pérennisation de relations sociales sur la base desquelles ces
coopérations peuvent s’établir» (2004).
Zimmermann s'intéresse à l'articulation entre les relations locales et les relations globales (au-
delà du local) dans les clusters. Il propose un outil conceptuel pour évaluer le dosage optimal
entre local et global, il réutilise la notion de «small world» pour qualifier un système dont la
configuration des liens serait optimale:
Les propriétés remarquables des small worlds, qui apparaissent pour une dose modérée
de relations globales et un maillage local s ignificatif, correspondent à un bon équilibre et
une forme de conciliation entre l’inscription spatiale des agents et leur intégration dans
des circuits à l’échelle globale» (2002).
Enfin pour Lamy qui s'intéresse aux relations science-industrie et en particulier à des créations
de sociétés par des chercheurs, ce qui importe «pour une articulation efficace des pôles
scientifiques et industriels des projets de créations d’entreprises par des chercheurs, c’est
l’existence de synergies entre ces pôles, synergies qui ne dépendent que marginalement de la
proximité des entreprises aux centres de recherche»(2008). En effet pour l'auteur l'éloignement
géographique n'empêche pas les échanges d'idées, les échanges de personnels, la co-
publication entre laboratoire et entreprise. S'il reconnaît que le rapprochement géographique
peut faciliter la communication, il montre néanmoins qu'une certaine distance est source de plus
d'efficacité dans les sous-groupes de chercheurs observés. Il en conclut :
Aussi, plutôt que de vouloir toujours rapprocher les entreprises des laboratoires dans
l’espoir de mieux voir circuler les connaissances scientifiques, il conviendrait plutôt de
questionner cette idée de proximité en se penchant certes sur les bénéfices qu’elle peut
apporter mais également sur les tensions et les problèmes qu’elle peut susciter. C’est de
l’équilibre de ces différentes conséquences des rapprochements entre entreprises et
laboratoires de recherche publique que pourra naitre une organisation géographique
optimale des espaces dédiés à l’innovation technologique."(Lamy, 2008)
30
1.5 Problématique et hypothèses
Reprenant les études théoriques et empiriques décrites dans le chapitre précédent, nous nous
posons plusieurs questions sur notre terrain d’enquête.
Comment s'articulent la proximité géographique et la proximité organisée?
Nous nous demandons quel rôle joue réellement la proximité géographique prônée par les
aménageurs du territoire et quel rôle joue la proximité organisée. Comment s'articulent les effets
de la proximité géographique et organisée sur notre terrain d’enquête?
Nous faisons l'hypothèse, conformément à l'Ecole de la proximité, que le potentiel de la
proximité géographique doit nécessairement être activé par une proximité non spatiale.
Le processus de découplage des entrepreneurs du cluster se fait-il en faveur des
ressources disponibles dans le cluster?
Conformément aux enquêtes déjà réalisées par Grossetti et Barthe, nous faisons l'hypothèse
que pour les entrepreneurs, ce sont les liens personnels (famille, amis, connaissances) qui sont
prédominants pour apporter les ressources nécessaires au développement de leurs activités.
Néanmoins nous faisons l'hypothèse que l'entrepreneur dispose de plus de ressources dans un
cluster que s’il était isolé dans un endroit peu concentré en activités. Conformément aux
conclusions de Champenois (2008), les dispositifs d’accompagnement dans un cluster peuvent
se substituer aux relations personnelles de l’entrepreneur. Nous supposons donc que le
processus de découplage, qui permet à l’entrepreneur de s’extraire de ses relations
personnelles pour croître, est facilité par la présence dans un cluster et se fait en faveur du
développement local.
Quel rôle joue la configuration sociale du cluster dans le développement des jeunes
entreprises locales ?
On se demandera, dans la lignée de Granovetter, si la configuration sociale de notre terrain
d’enquête favorise ou freine le développement des jeunes entreprises .
Les acteurs de mondes sociaux différents, en particulier le monde économique et le monde
académique, sont-ils connectés entre eux sur le campus Descartes? Existe-t-il des
coopérations entre les acteurs, si oui sous quelles conditions ?
Nous faisons l'hypothèse, conformément à Granovetter, que la configuration sociale du cluster,
sa cohésion et les normes qui pèsent sur les acteurs, influencent directement la réussite des
jeunes entreprises locales.
Enfin nous suggèrerons que les liens sociaux, même s'ils étaient configurés de manière
optimale, à supposer que cela soit possible, sont insuffisants si les acteurs ne sont pas portés
par un idéal commun qui les pousserait à collaborer avec un acteur local quand cette même
ressource peut être trouvée ailleurs, en dehors du cluster. On vérifiera donc s'il existe un
« imaginaire » du cluster parmi les différents acteurs.
31
1.6 Méthodologie
Terminologie utilisée
Par «entrepreneurs», nous désignons les fondateurs ou associés de startup et on entend par
startup toute jeune entreprise dans sa phase de lancement qui fait encore l'objet d'un
accompagnement par les structures dédiées à l'entrepreneuriat comme l'incubateur ou la
pépinière d'entreprise. L'incubateur accueille des projets à un stade précoce de développement,
le produit/ service est encore en phase expérimentale, les statuts de la société ne sont pas
forcément créés, le chiffre d'affaires est généralement insuffisant pour faire vivre l'entreprise. La
pépinière accueille des entreprises à un stade plus avancé, le produit/service est déjà éprouvé,
la société a déjà des clients et un chiffre d'affaires mais elle n'est pas encore assez solide
financièrement pour voler de ses propres ailes. Sur notre terrain d'enquête l'incubateur accueille
les projets au maximum pour deux ans contre quatre ans pour la pépinière.
Le terme de «territoire» est souvent utilisé dans le cadre de cette enquête. Comme le définissait
Georges Benko «Le territoire est une œuvre humaine, il est à la base géographique de
l’existence sociale. (...) Il renvoie à un sentiment d'appartenance» (2007). L'emploi du terme de
territoire, plutôt que des termes d'espaces géographiques, de zones, de secteurs, etc.,
s'observe plus particulièrement chez les acteurs publics, certains parlant même de «notre
territoire».
Les relations sociales sont définies à partir des interactions: «une interaction entre personnes
qui ne sont pas en relation s’appuie sur des codes, des références, des allant de soi génériques
pour une population donnée (les rites d’interaction de Goffman), alors qu’une interaction entre
personnes en relation implique certaines références spécifiques qui renvoient à la connaissance
réciproque existant entre les protagonistes et à leurs engagements l’un envers l’autre,
l’engagement minimal pour chacun étant de reconnaitre qu’« on se connait » par certaines
attitudes ou propos envers l’autre» (Grossetti et Barthe, 2008).
Les ressources sont définies ici au sens que leur donnent Grossetti «tout ce à quoi les acteurs
s’intéressent (ou qu’ils redoutent), ce à quoi ils accordent de la valeur».
Entretiens et observation ethnographique
L'enquête s'est déroulée de février à juin 2014. Des entretiens semi-directifs ont été menés
auprès des acteurs suivants:
- un échantillon de 7 entrepreneurs locaux (un entretien par entrepreneur)
- les responsables de l'accompagnement de l'incubateur (un entretien) et de la pépinière
(plusieurs entretiens informels)
- une représentante de l'agence Descartes (1 entretien et plusieurs échanges)
- deux représentants de l'université (2 entretiens)
- une représentante de la d.school de l’Ecole des Ponts (1 entretien)
- deux chercheurs de l’Université Paris-Est (2 entretiens)
32
- une représentante du CSTB19 (1 entretien).
Ce que nous appelons ici «échantillon» est en fait un cumul de monographies, nous n'utilisons
pas ce terme au sens statistique. L'objectif n'est pas de généraliser des résultats sur une
«population» donnée mais d'identifier des «processus» et de décrire des relations sociales
(Beaud et Weber, 2010). Cette approche permet une «généralisation partielle» des liens de
cause à effets: «sous telle et telle condition, dans tel ou tel contexte, si tel événement (action) a
lieu, alors tel autre événement (réaction) devrait suivre» (Ibid., p. 249)
Les entretiens ont été menés sur le lieu de travail des enquêtés ou à proximité et durent de 45
minutes à 1h50. Les entretiens se déroulent en trois parties, tout d'abord une première partie
vise à mieux connaître l'entrepreneur et la trajectoire de son projet de création d'entreprise. Une
deuxième partie est consacrée aux ressources utilisées pour la création et le développement de
l'entreprise et une troisième partie traite des relations personnelles et/ou institutionnelles avec
les autres acteurs du cluster.
De plus des observations ethnographiques ont été réalisées au sein du campus pendant toute
la durée de l'enquête, par la participation à plusieurs événements locaux, comme les petits -
déjeuners de l'agence Descartes, la journée Tous Connectés, le jour des projets de l'ESIEE, la
présentation des projets de la d.school, la présentation des projets Innov'acteurs, l'atelier
Femmes et entrepreneuriat, la restitution de l'enquête sur le bilan énergétique de Coriolis. Par
ailleurs, dans le cadre de l'année universitaire, nous avons assisté à trois colloques organisés
par des enseignants-chercheurs de Paris-Est, ainsi qu'à deux jours de formation sur un produit
développé par un laboratoire de recherche de l'université.
Nous avons également assisté à une journée France Clusters qui se tenait au Conseil Régional
d'Ile de France à Paris le 1er avril 2014.
A cela s'ajoutent de nombreux entretiens informels avec les entrepreneurs, étudiants et
enseignants-chercheurs rencontrés sur le campus
Observation participante
Nous avons participé bénévolement à une mission consistant à organiser une journée porte-
ouverte au sein de la pépinière.
Documentation
19 Le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) est un établissement public français à caractère industriel et commercial (EPIC) qui a pour mission de développer et de partager avec les acteurs de la construction les connaissances scientifiques et techniques dans le domaine de la qualité et
la sécurité des bâtiments et de leur environnement.
33
Nous avons utilisé la documentation disponible, comme les plaquettes, les affiches et les sites
internet des différentes institutions du terrain d'enquête. Nous avons également consulté sur
internet les vidéos de l'événement Tous Créatifs des années précédentes.
Traitement des données
Pour rendre compte des coopérations au sein du cluster, nous avons essayé de reconstituer les
liens des acteurs entre eux. Nous avons regroupé plusieurs données issues des entretiens et
de la documentation: (i) la part de ressources utilisées par les entrepreneurs issue directement
du cluster, (ii) les relations personnelles des enquêtes avec les autres acteurs du cluster, (iii) la
cartographie des liens institutionnels entre les acteurs du cluster.
La part des ressources issue du cluster permet d'en déduire les coopérations existantes entre
les acteurs au niveau local. Ces données sont ensuite mises en relation avec les liens
personnels existants ou pas entre les acteurs, ainsi qu'avec les liens institutionnels entre les
organisations.
Limites de la méthode
L'échantillon des entrepreneurs ne se veut pas représentatif pour deux raisons, le volume est
trop faible et un biais est introduit par le fait que quatre des entrepreneurs rencontrés l'ont été
grâce à des mises en relation par les acteurs locaux (les représentants institutionnels) ou lors
de manifestations sur l'entrepreneuriat. Les trois autres ont été contactés en direct par
téléphone. Sur une dizaine d'entrepreneurs contactés par téléphone, trois ont bien voulu se
rendre disponibles pour un entretien. Un entretien était prévu avec un huitième enquêté puis
l'entrepreneur concerné a souhaité annuler l'entretien car il se trouvait en redressement
judiciaire, et ne souhaitait plus participer à cette enquête.
Donc les entrepreneurs de l'échantillon sont, selon notre hypothèse, un peu plus encastrés
dans le réseau des acteurs locaux que la moyenne.
Une autre limite réside dans l'absence de données chiffrées ou d'études internes à chaque
institution. En effet soit ces données n'étaient pas diffusables soit elles n'existaient pas. Ainsi
nous n'avons pas de données chiffrées par exemple sur les entreprises sorties de la pépinière
depuis sa création il y a vingt ans, ni sur les étudiants entrepreneurs de Tous Créatifs, dispositif
vieux de trois ans. Nous n'avons pas pu avoir accès à une étude d’un cabinet de consulting qui
a été menée sur le cluster Descartes pour le compte de l'agence Descartes.
34
II. Restitution des résultats de l'enquête
2.1 Etude des ressources des entrepreneurs
2.1.1 Présentation de l’échantillon
Le tableau ci-après présente les sept entrepreneurs interviewés ainsi que leur entreprise.
Tableau 1: profil des entrepreneurs interviewés
Entrepreneur
A
Entrepreneur
B
Entrepreneur
C
Entrepreneur
D
Entrepreneur
E
Entrepreneur
F
Entrepreneur
G
Niveau d'étudeCAP + DUCA
(UPEM)
BAC+5
(Beaux Arts
Paris)
BAC+5
(IFU en
cours)
BAC+5
(Gestion
UPEM en
cours)
NC
BAC+2
(BTS
éléctrotechni
que Bussy)
BAC+5
(Biologie)
Situation juste avant
la création
salarié en
conflit avec
son
précédent
employeur
Etudiant et
autoentrepre
neur
Etudiant et
autoentrepre
neur
Etudiant salarié
salarié,
départ
volontaire
pour
développer le
projet
salarié,
départ
volontaire
pour
développer le
projet
Ancienneté
professionnelle avant
la création
6 ans - - - > 20 ans 4-5 ans 7 ans
Statut gérant gérantétudiant et
gérant
étudiant
entrepreneur
salarié
dirigeantgérant gérant
Lieu d'habitationTorcy
(77)Paris Paris
Marne la
ValléeParis
Magny-le-
Hongre (77)
Plessis
Trévise (94)
Sexe (H/F) F F H H H H F
L'entrepreneur peut-il
se verser un salaire?non non non non oui oui oui
Entreprise:
Objet
Salon
d'esthétique
mobile
Production,
montage
vidéo
Logiciel de
gestion de la
voirie
Jeu éducatif
physique et
numérique
Grossiste en
materiel
vidéo
Conseil en
rénovation de
bâtiment
avec du
matériel 3D
Contrôle
qualité en
recherche
clinique
Secteur d'activités Services Audiovisuel Ville durableOutils de
formationAudiovisuel Ville durable Pharmacie
Age de l'entreprise 2 ans 1 an 1,5 anen cours de
création2,5 ans 3 ans 2 ans
Nombre de
personnes dans
l'entreprise (associés
+ salariés)
1 2 2 3 1 3+4 1+4
Domiciliation de
l'entreprise
Gournay-sur-
Marne
Pépinière
Descartes
Incubateur
Descartes
demande en
cours aupres
de
l'incubateur
et de la
pépinière
Pépinière
Descartes
Pépinière
Descartes
Pépinière
Descartes
Profil de l'entrepreneur:
35
2.1.2 Répartition des ressources utilisées entre liens personnels,
intermédiaires et cluster.
Nous reprenons ici le référentiel de Grossetti et Barthe (2008) pour définir la liste des types de
ressources utilisées par les entrepreneurs et nous réutilisons en partie la méthodologie utilisée.
Les différents types de ressources utilisés comme informations, conseils, financement,
recrutement,..., sont présentés en ligne dans le tableau 2. Les auteurs avaient comptabilisé
deux modes d'accès aux ressources: les liens personnels et les «ressources de médiation».
Les ressources de médiation incluent «l’usage de médiations génériques (médias, Internet) ou
la participation à des foires ou salons» ainsi que «le passage par des dispositifs formels de
soutien (services d’aide à la création d’entreprises, pépinières, incubateurs, ANVAR, etc.)»
(Ibid.). Nous regroupons ici les ressources de médiation sous la catégorie «intermédiaires».
Pour les besoins de notre enquête, nous avons subdivisé les intermédiaires en deux parties: les
intermédiaires hors cluster et les intermédiaires dans le cluster.
Par ailleurs, contrairement à Grossetti et Barthe, nous ne comptons pas ici le nombre de
séquences d'accès aux ressources mais uniquement le nombre de ressources différentes
utilisées. En effet ce qui nous intéresse, ce n'est pas tant de savoir quelles sont les ressources
les plus utilisées proportionnellement aux autres mais d’évaluer la part des ressources issues
du cluster versus les autres modes d'accès. On se demande si le cluster intervient de manière
significative dans le processus de création d'entreprises.
Enfin les auteurs avaient analysé la dynamique de création en relevant les volumes de
séquences d'accès aux ressources à trois moments, avant le dépôt des statuts de la société,
juste après et un an après.
Dans cette enquête nous n'avons pas tenu compte de l'évolution dans l'utilisation des
ressources, nous avons comptabilisé toutes les ressources utilisées depuis la naissance du
projet de création d'entreprise, notre objectif étant de mesurer le rôle du cluster dans la
création.
Les résultats ont été synthétisés dans le tableau 2 ci-dessous. La quantification obtenue nous
donne un ordre de grandeur, elle n’est pas généralisable.
36
Tableau 2: Répartition des ressources utilisées par les entrepreneurs
Dans le comptage, l’entrepreneur E est atypique par rapport aux autres dans la mesure où il
utilise très majoritairement des intermédiaires (57%) et quasiment pas de relations personnelles
(7%). Inversement l’entrepreneur B a une part de relations personnelles très élevé (74%) liées
au fait que cet entrepreneur a beaucoup de partenaires, une vingtaine, issus entièrement de
son réseau personnel de connaissance.
Description des ressources
Les ressources comptabilisées dans les relations personnelles concernent la famille, les amis,
d’anciens collègues et les « connaissances ».
L’intermédiaire hors cluster le plus cité est bien sûr de loin internet. On trouve notamment les
réseaux sociaux, en particulier twitter cité deux fois pour trouver des clients ou partenaires, ainsi
que les forums pour chercher des réponses à des questions techniques. Ensuite on trouve de
manière plus marginale les magazines spécialisés, les livres et les centres de gestion comme
CGA sur Paris, les salons professionnels pour trouver d’éventuels partenaires ou fournisseurs,
les Pages Jaunes pour faire de la publicité, les associations d’anciens élèves pour trouver des
collaborateurs. Egalement le pôle emploi est cité deux fois soit pour des informations soit pour
recruter une assistante administrative. Dans les financements on a une demande de subvention
Relations
personnelles
Intermédiaires
hors cluster
Intermédiares
du cluster
Information, idée ou
conseil technique6 7 6 19
Conseil juridique,
commercial ou en
ressources humaines
2 8 8 18
Travail (sans être
recruté)3 - - 3
Financement 7 5 2 14
Partenariat 27 3 5 35
Client 17 10 3 30
Fournisseur 7 9 2 18
Recrutement d'un
employé4 8 4 16
Locaux 3 - 5 8
Technologie (brevet,
licence) ou instrument1 7 - 8
Total 77 57 35 169
Poids 46% 34% 21% 100%
Mode d'acces aux ressources
Total
37
publique, des prêts bancaires et des investisseurs. Quasiment toutes les licences ou
technologies utilisés sont hors cluster.
Concernant enfin les intermédiaires du cluster, on observe que 74% des ressources citées sont
en fait directement fournies par les structures d’accompagnement, comme par exemple les
conseils et informations ou bien les mises en relation faite par la structure d’accompagnement.
Ainsi un entrepreneur a été orienté par la pépinière vers le GDE, groupement d'employeur qui
dépend du CCI, pour trouver un salarié à temps partagé. Un autre a été mis en contact avec
une centrifugeuse qui organisait localement une rencontre entre entrepreneurs pour faire des
« pitch ». Un entrepreneur de l’incubateur a fait appel au comptable de l’incubateur. Tous les
entrepreneurs ont rencontré dans leur structure d’autres startups qui sont devenues soit des
partenaires, des clients potentiels ou a minima des sources d’informations et de conseils entre
pairs.
Concernant les 26% restants, c’est-à-dire les ressources du cluster (9 au total) non fournies par
la structure d’accompagnement, on trouve une banque de Champs-sur-Marne, deux stagiaires
de l’UPEM et six ressources qui correspondent à des informations et conseils fournies par des
professeurs de l’UPEM et l’IFU. Seuls les deux étudiants-entrepreneurs de notre échantillon ont
fait appel à ce type de ressource.
2.1.3 Liens personnels des enquêtés avec les autres acteurs
A travers les interviews des entrepreneurs, nous avons recensé tous les liens existants entre
eux et les autres acteurs du cluster. Le tableau 3 ci-dessous récapitule ces résultats de façon
binaire: s'il existe un lien, le résultat prend la valeur 1 sinon 0. Il ne s'agit pas de compter le
nombre de liens mais de savoir s'ils existent, indépendamment d'une coopération. Nous avons
complété ce tableau avec les réponses que nous avons obtenu de la part des trois
représentants du monde de la recherche que nous avons interviewé.
38
Tableau 3 : Liens personnels des enquêtés avec les autres acteurs du cluster
2.2 Cartographie des liens institutionnels entre les acteurs
La cartographie ci-dessous tente de présenter les liens institutionnels entre les différents
acteurs du cluster. Chaque acteur dispose de liens beaucoup plus étendus avec l'extérieur du
cluster mais l'objectif de cette cartographie est de se focaliser sur les liens intra-cluster pour
évaluer par une vue d'ensemble la densité et la structure du réseau.
Elle est établie à partir des interviews de tous les enquêtés, entrepreneurs, acteurs publics et
représentants du monde de l'enseignement et/ou de la recherche. Certaines informations
proviennent également des sites internet officiels de certains organismes. Par exemple les
membres fondateurs de l’incubateur (qui sont des institutionnels) présentés sur le site internet
officiel de l'incubateur sont tous considérés comme des liens forts de l’incubateur.
Cette cartographie est très certainement incomplète, c'est une ébauche qui néanmoins nous
permet de tirer quelques conclusions. Pour valider un lien, nous recoupons généralement les
informations. Par exemple si les chercheurs rencontrés durant notre enquête nous disent ne
pas avoir de lien avec la pépinière, on ne peut bien évidemment pas en conclure qu'il n'y a pas
de lien entre la recherche et la pépinière. En revanche si le responsable de la pépinière, en tant
que point d'entrée, nous dit de son côté qu'il n'a pas d'interaction avec les chercheurs du
cluster, alors nous établissons qu'il n'y a aucun lien institutionnel entre la recherche et la
pépinière.
Université Ecoles Laboratoires Entreprises
Startups
Tous
creatifs
Pépinière IncubateurAgence
Descartes
Entrepreneur A 0 0 0 0 1 1 0 1
Entrepreneur B 0 0 0 0 0 1 1 1
Entrepreneur C 1 0 0 0 1 1 0 1
Entrepreneur D 1 0 1 0 0 0 1 1
Entrepreneur E 0 0 0 0 0 1 0 0
Entrepreneur F 0 0 0 0 0 1 0 0
Entrepreneur G 0 0 0 0 0 1 0 0
Chercheur A 1 1 1 0 0 0 0 0
Chercheur B 1 1 1 0 0 0 0 0
Représentant
CSTB 1 1 1 0 0 0 0 0
39
Figue 1: Cartographie des liens institutionnels
Cette cartographie met en évidence trois grandes caractéristiques dans la configuration du
réseau des acteurs membres du cluster ;
Tout d’abord le monde des entrepreneurs est fragmenté. Ensuite les grandes entreprises du
cluster ne prennent pas part à l’écosystème.
Enfin, le monde économique est peu connecté au monde académique, à ce titre les acteurs
publics, en particulier l’agence Descartes, jouent le rôle de pont entre les deux mondes.
2.3 Analyse des résultats
Le chapitre suivant analyse les résultats constatés précédemment complétés avec les
entretiens et les observations menées durant l’enquête.
UPEM
Ecoles
CSTB
Start-ups
Etudiants entrepreneursTous créatifs
Incubés
IncubateurPépinière
CCI
Advancity
Associations de PME
Labos recherche
Epamarne
Lien fort
Lien faible
Grandes entreprises du cluster
Agence Descartes Développement
Seine et Marne Développement
Monde économique
Monde académique
Acteurs publics
Acteurs semi_publics
40
2.3.1 La proximité géographique a bien un effet... à condition que
préexiste au moins une logique de similitude
Nous nous intéressons ici aux liens créés par la proximité géographique seule, c'est à dire sans
qu'il y ait de liens personnels préalables entre des acteurs situés à proximité ou sans faire appel
à un intermédiaire de mise en relation.
La proximité géographique de quelques mètres créé un effet propre
Nous avons constaté chez plusieurs entrepreneurs que les ressources utilisées au sein du
cluster se cantonnent souvent à des ressources situées juste à côté, en particulier dans la
pépinière aux voisins immédiats.
L'entrepreneur G qui fait partie de la pépinière nous dit n'être en lien qu'avec deux startups de la
pépinière qui sont ses voisins de palier. Elle nous dit qu'ils s'échangent des «conseils sur des
petites choses, des conseils en tant que dirigeants». Elle ne connaît pas les autres startups, en
revanche elle a regardé leur domaine d'activité et n'exclut pas de faire appel aux services
proposés par les autres startups, par exemple dans le domaine du support informatique. Donc
la pépinière représente bien un vivier de ressources pour elle, en revanche elle méconnaît le
reste du cluster et ce dernier ne semble pas constituer pour elle un vivier élargi de ressources.
Un autre entrepreneur de la pépinière André nous dit travailler étroitement avec un autre
entrepreneur de la pépinière qui est son voisin «je j’ai rencontré en me présentant quand je suis
arrivé dans ce bureau-là, je suis venu le voir, j’ai tapé à la porte, on s’est rencontré et par
chance son activité m’intéresse aussi». Quand je lui demande s'il est en relation avec d'autres
entrepreneurs, il me répond: «et un autre que j’ai croisé dans les couloirs. [le responsable de la
pépinière] m’a présenté et boom par chance encore une fois c’était quelqu’un qui était dans
mon domaine. Mais à part ça les autres...»
Le fait d'imputer ces rencontres à la seule proximité géographique pourrait être discuté dans la
mesure où deux entrepreneurs appartenant à la même institution (la pépinière) partagent une
logique d'appartenance et de similitude, et donc leur rencontre pourrait être attribuée à la
proximité organisée. Cependant dans la mesure ou dans les cas cités la rencontre est
directement liée au fait d'être voisins, et dans la mesure ou les entrepreneurs interrogés n'ont
pas noué de liens avec les autres startups de la pépinière (plus éloignés en distance) nous
attribuons ces rencontres et ces coopérations à la proximité géographique.
Le représentant de l’incubateur nous dit avoir noué un partenariat avec une entreprise située
dans le même bâtiment que lui. Il attribue cette rencontre directement à l’effet proximité. Cette
entreprise a d’abord été conviée à des petits déjeuners, ensuite elle a été invitée à des comités
41
de sélection, enfin elle a donné son accord pour apporter un soutien financier aux incubés.
C’est la seule entreprise privée qui apporte un soutien financier à l’incubateur.
La proximité géographique de quelques mètres créé une logique d'appartenance particulière,
qui génère à elle seule des relations sociales.
La proximité géographique favorise les rencontres de hasard
L'entrepreneur G nous dit chercher un fournisseur pour s'occuper de la maintenance
informatique de sa société, activité qu'elle juge critique car cette société manipule beaucoup de
données personnelles. Notre enquêtée est en contact avec une entreprise rencontrée par
hasard «j'ai récupéré la carte de visite d'une société à Noisy-le-Grand dans le centre
commercial». Cette rencontre de hasard est liée directement à la proximité géographique du
centre commercial voisin dans lequel l'enquêtée fait ses courses et dans lequel le fournisseur
informatique fait de la prospection via le dépôt de cartes de visite.
L’entrepreneur C quant à lui nous raconte comment il a connu l'incubateur Descartes, alors qu'il
faisait un job étudiant pour l'université:
«J’étais secrétaire d'examen et en allant à la machine à café avec un étudiant je suis
tombé sur les affiches du concours Descartes, du concours de l'entrée à l'incubateur
Descartes et ça se terminait je crois le jour même, en fait nous on avait déjà candidaté à
d'autres incubateurs sur Paris (...) parce que j'habite à Paris. [au sujet d'un incubateur
parisien] ils étaient à 600€ par mois [deux fois plus cher que celui de la cité Descartes]
et nous on était justement au creux de la vague et du coup on leur a dit non. On a passé
le concours de l'incubateur, ils nous ont reçu en commission et en fait ils nous ont
permis de, enfin en gros ils nous ont avancé le coût de l'incubation (...) nous justement
au moment où on avait marre de galérer à différents endroits et on avait besoin de réunir
en gros nos forces (...), ça été le bon moment, on a eu aussi une petite dotation qui a fait
du bien en terme de tréso».
Cet étudiant-entrepreneur en recherche de locaux ne connaissait pas l'incubateur Descartes,
c'est en fréquentant un établissement à proximité de l'incubateur ou ce-dernier avait collé des
affiches qu'il a eu connaissance de cette ressource, à laquelle il a pu ensuite accéder.
La proximité géographique est recherchée quand elle est stratégique pour l' innovateur
Nous avons rencontré deux cas pour lesquels la proximité joue un grand rôle. Ainsi
l’entrepreneur D dit avoir trois fournisseurs qu'il a sélectionné après une étude comparative sur
des sites internet spécialisés, l’un se trouve à Lagny, ville jugée proche en temps de trajet par
notre enquêté, un autre en Allemagne et un autre dans le Sud de la France. Son fournisseur
allemand, trouvé par Internet, est le plus intéressant en termes de tarifs, mais il dit avoir
42
également choisi celui de Lagny, seul imprimeur présent à proximité pouvant remplir ses
besoins, pour les raisons suivantes:
«je voulais quelque chose qui soit fait rapidement et c'est la proximité qui jouait le plus
(...) j'avais besoin d'une société qui produise à la pièce (...) moi j'ai une plateforme qui
est à la fois physique et une application. J'avais besoin de cartes physiques. Plutôt que
d'aller chercher des cartes en Allemagne, me faire livrer, ça prenait une semaine même
si c'était moins cher, j'ai préféré aller à Lagny ou il y a un imprimeur qui est capable de
me le faire rapidement, de me livrer très rapidement et donc du coup je suis en contact
avec eux, dès que j'ai besoin de quelque chose, je suis en contact avec eux ils me le
livrent et je vais le chercher. C'est vraiment une question de rapidité et ... pour avoir un
flux tendu qui est le plus court possible.»
Lors d'une rencontre avec l’un des porteurs de projets de la d.school, je lui demande comment
le groupe d’étudiants a fait pour développer leur projet qui consiste à fabriquer du mobilier de
salle de bain pour personnes âgées. Cet étudiant de l’Ecole des Ponts m'explique qu'ils ont
travaillé avec une maison de retraite, la Fondation Favier, située dans une ville voisine
accessible « en 10 minutes ». Cette proximité a été pour eux essentielle compte tenu de la
nécessité de leur présence sur place, des nombreux allers-et-retours entre la maison de retraite
et la d.school pour pouvoir itérer dans la phase de conceptions du produit. La d.school leur
servait de laboratoire pour construire le prototype et travailler en équipe et la maison de retraite
était leur lieu d'expérimentations au sein duquel une quinzaine de personnes âgées
contribuaient directement au projet. C'est une responsable de la d.school qui les a mis en
relation avec cette maison de retraite. Nous ne savons pas comment les liens se sont établis,
s'il y avait préalablement des liens personnels ou pas entre la responsable de la d.school et la
maison de retraite, mais dans cet exemple c'est bien la proximité géographique qui est à
l'origine du développement du projet.
Dans ces deux cas, les acteurs méconnaissent les frontières du cluster construites par
l’aménageur du territoire. Ni une maison de retraite ni une imprimerie située à Lagny ne font
partie du tissu économique identifié dans le cluster, pourtant dans ces exemples tous deux ont
été des ressources de proximité déterminantes.
La proximité peut également être recherchée car elle correspond à l'image qu'un entrepreneur
veut donner de son activité, une image de « service de proximité » comme dans le cas de
l'entrepreneur B qui a l'intention de distribuer des flyers dans les boîtes aux lettres des
entreprises de la cité Descartes pour présenter ses services. Ensuite elle comptait leur
téléphoner : «sur 500 coups de fils, on aura peut-être une ou deux personnes et puis voilà».
Quand je lui demande pourquoi elle démarche les entreprises locales, elle indique:
«Ben en fait on a joué pas mal la carte de la proximité. Sur notre site internet on se
définit un peu comme ça, humain, proche, voilà on est dans le coin, pour les échanges
c'est plus facile, on peut leur rendre visite assez vite, tout peut se mettre en place assez
vite. (...) Quand on voulait démarcher dans le coin, on voulait dire voilà nous on est
l'agence du coin. On se définit comme ça, dans le coin, pour les entreprises du coin,
c'est comme ça qu'on voulait présenter notre offre, la proximité»
43
L' « effet cluster »
Quand un acteur cherche une ressource, il peut chercher par exemple sur internet ou dans son
réseau personnel élargi ou bien il peut rechercher volontairement une ressource proche
géographiquement. Quand avant même de chercher, il se tourne vers une ressource du cluster
parce qu'il sait que cette ressource existe alors qu’il n’y a pas de lien personnel préexistant,
nous appelons cela l'effet cluster.
Un responsable de l'accompagnement à l'entrepreneuriat de l'université nous dit avoir eu besoin
de conseils juridiques précis. Notre enquêtée dit avoir voulu «essayer de privilégier la
proximité», elle a donc contacté une société de l'incubateur Descartes spécialisée dans le
conseil juridique pour nouer un partenariat. L’incubé auquel elle a fait appel avait en effet monté
une plate-forme de conseils qu'il était venu présenter lors d'un petit déjeuner de l'agence
Descartes. Or il s'est avéré que les deux tentatives pour nouer des liens ont échoué. Tout
d'abord lors d'une première mise en relation, les réponses apportées ne convenaient pas au
demandeur et lors d'une deuxième tentative de contact, l'incubé n'a pas donné suite,
visiblement non intéressé mais n'a pas expliqué pourquoi. Finalement elle s'est tournée vers un
intermédiaire spécialisé.
Un des chercheurs que nous avons interviewé travaille sur un projet de recherche dans le
traitement des Big data. Il a très peu de liens avec le cluster mais il nous dit avoir noué un
partenariat avec l'Institut d’électronique et d’informatique Gaspard Monge parce que ce dernier
était présent sur le campus:
«- c'est des gens avec qui maintenant depuis 2 ans on a des collaborations scientifiques
et qui sont là pour le coup des collaborations de site vraiment (...) on s'est quand même
penché du fait d'être là sur l'idée de travailler avec eux
- du fait d'être sur le même site?
- oui là on peut dire qu'on a un véritable effet cluster. On est là, on fait un truc et puis on
s'aperçoit à un moment donné tiens là où on est, y a l'Institut, bon ben ça serait quand
même bien d'aller voir ce qu'ils font et donc on démarre des trucs, c'est plus un effet de
proximité parce que là où on en était dans notre développement, on n'avait pas a priori
besoin d'eux (...) et le fait qu'on soit allé vers eux c'est parce qu'ils étaient là et qu'il y
avait un véritable effet cluster».
Pour cet enquêté, l'effet de proximité géographique est évident, cependant quand je lui
demande comment il est allé à la rencontre de son partenaire, la réponse révèle une logique
d'appartenance:
«- comment avez-vous fait pour les rencontrer ?
- c'est comme ça se passe toujours, c'est à dire qu'y a des montages d'activités, des
sollicitations, on se rencontre, on discute.
- c'était une rencontre organisée, c'était pas spontané?
44
- si c'est spontané, on n'a pas été obligé de se rencontrer par le fait qui avait une
réunion ou ceci. De part et d'autre c'était une volonté et ça s'est fait à l'échelle de
l'installation des gens ici de façon spontané»
Cet enquêté a donc rencontré un membre de l'Institut «comme ça se passe toujours», par
conséquent «leurs interactions sont facilitées par les règles ou les routines de comportement
(explicites ou tacites) qu’ils suivent» (Rallet et Torre, 2008), et donc il existe bien entre eux une
logique d'appartenance au monde de la recherche, même s’ils n’appartiennent pas à la même
institution. A fortiori ces chercheurs partagent une logique de similitude par leurs intérêts
scientifiques pour des sujets communs.
Conclusion
La proximité géographique a bien un effet propre. Une distance de quelques mètres, des
rencontres de hasard, une proximité stratégiquement recherchée ou un « effet cluster » permettent bien de créer des relations sociales entre des acteurs sans qu’il y ait
entre eux un lien préexistant. En revanche dans tous les cas cités, il existait au moins une logique de similitude entre les individus.
Ce constat tend à nuancer certaines conclusions de Rallet et Torre selon lesquelles « la
proximité géographique n’est efficace que si elle recouvre des liens organisationnels » (2001).
Cependant ce constat confirme, conformément à l’école de la Proximité, que la proximité
géographique ne favorise les mises en relation «que si les acteurs partagent simultanément une
proximité non spatiale» (Talbot, 2009).
2.3.2 Le faible encastrement des entrepreneurs dans le milieu local
Le tableau des ressources 2 montre que le mode d'accès aux ressources via des relations
personnelles est prédominant, conformément aux études déjà réalisés sur le sujet (Grossetti et
Barthe, 2008).
Contrairement à notre hypothèse, le processus de découplage, indispensable au
développement des jeunes entreprises, semble se faire en faveur d'intermédiaires hors du
cluster.
La prédominance des relations personnelles dans le mode d'accès aux ressources
Nous avons constaté que pour des ressources très répandues et présentes dans la cité
Descartes, comme les services bancaires ou les cabinets d'expert-comptable, les entrepreneurs
en majorité passent par des connaissances personnelles pour choisir leur banque ou leur
expert-comptable. Ainsi l'entrepreneur G nous dit qu'après avoir cherché un expert-comptable à
proximité et elle a eu le «déclic», elle s'est rappelé qu'elle en connaissait un et qu'«en plus il
était moins cher». Elle a donc eu recours à ses services même s'il n'est pas à proximité.
45
L'entrepreneur F nous dit avoir un expert-comptable situé à Orléans et son agence bancaire en
Mayenne sans que cela lui pose problème. Ils lui ont été recommandés par des proches, il dit
avoir confiance en eux.
Lorsqu’un entrepreneur recourt à une relation personnelle, la confiance n’est cependant pas la
même en fonction de la force du lien. L’entrepreneur F nous dit ainsi avoir recruté une personne
dont il a dû se séparer à la fin de la période d'essai. Je lui demande alors comment il avait
rencontré cette personne : « par connaissance euh indirecte et du coup on s'est rendu compte
que ça n'allait pas». Cet entrepreneur est passé par des connaissances personnelles pour faire
des recrutements ainsi que par le pôle emploi. Il dit par exemple avoir recruté un de ses anciens
collègues dans la société ou il était précédemment salarié, car il est «sûr de ses compétences».
Je lui demande alors pourquoi il ne passe pas par des intermédiaires, type sites internet
spécialisés: «non parce que ça coûte cher», cependant il ajoute
«Et on n'a aucune garantie de la qualité, on a vraiment une activité à part entière pour
l'instant c'est pas assez fourni sur le marché pour être sûr qu'une agence d'intérim ou
autre puisse nous garantir la compétence, elles vont le prétendre on les connaît et les
gens souvent font pas l'affaire, je préfère prendre des gens très expérimentés que je
connais et d'autres plutôt jeunes profils à notre image pour être sûrs de la qualité dans
les 6 mois un an qui vont venir.»
Notons que dans les liens personnels, il faut distinguer la famille, les amis et les
«connaissances». Ainsi dans deux cas, les enquêtes ont souhaité ne pas passer par leur
famille. L'entrepreneur G nous dit lorsqu'elle a eu besoin de recruter «j'ai pris la décision de ne
pas passer par des personnes de la famille pour ne pas prendre de risque». L'entrepreneur A
quant à elle n'a pas souhaité s'appuyer sur son petit-ami qui était comptable pour faire sa
comptabilité mais a souhaité se former elle-même, bien qu’il se portait volontaire. Un ancien
enseignant entrepreneur de l’UPEM, qui était venu témoigner aux journées Tous Sensibilisés
en 201220, explique qu'après avoir créé sa société avec quatre amis, ils ont finalement décidé
d'arrêter la société après trois ans pour «sauver» leur amitié : « tout ce qui était décision
objective était difficile (...) on a été appelé à nous séparer, à sauver l’amitié, à privilégier nos
valeurs plutôt que le business ». Depuis il a recréé une entreprise mais dit ne plus vouloir
s'associer avec des amis.
Les relations personnelles sont prédominantes dans les ressources utilisées par les jeunes
entrepreneurs. Cependant pour le recours à certaines ressources, notamment pour des
recrutements, on observe une préférence pour des relations professionnelles connues et une
mise à distance de la famille et des amis proches.
Le processus de découplage se fait en faveur de ressources extérieures au cluster
Les jeunes entreprises, comme l'a montré la sociologie économique doivent se désencastrer de
leurs liens familiaux et personnels pour pouvoir se développer. Elles vont alors se tourner vers
20 Vidéo disponible sous http://www.youtube.com/watch?v=dd5p_flBbOQ dernière consultation juin
2014
46
des intermédiaires. Comme le montre le tableau des ressources 2, la recherche de ressources
s'effectue plus en faveur d'intermédiaires extérieurs au cluster. Il est évident que si une
ressource n'existe pas sur le cluster, l'entrepreneur aille la chercher ailleurs. En revanche dans
certains cas les ressources sont mises en concurrence et cela ne se fait pas forcément en
faveur des ressources locales.
Parmi les entrepreneurs qui ont eu recours aux ressources du cluster, on constate que c'est
leur institution d'appartenance qui leur octroie l'essentiel des ressources. Ainsi la pépinière et
l'incubateur, outre les locaux, fournissent aux startups conseils et informations, une ouverture
sur leurs différents réseaux, des échanges avec les autres entrepreneurs qui peuvent aboutir à
des partenariats. L'incubateur fournit en plus une dotation financière ainsi qu'une mise en
relation avec ses partenaires financiers.
Ainsi l'entrepreneur G nous dit avoir initialement utilisé son réseau personnel pour le
développement commercial de son entreprise, cependant ayant le souci de poursuivre le
développement, elle a souhaité faire appel aux services d'un business developer «mon but en
embauchant un business developer, c'est d'aller chercher des personnes qu'on ne connaissait
pas». Elle s'oriente alors vers la pépinière qui la met en relation avec un centre de portage
salarial au niveau départemental qui lui permet de recruter la compétence recherchée. Si cet
entrepreneur a préféré une ressource locale pour un recrutement, en revanche pour une
prestation de services, sa démarche est différente. Ainsi quand je lui demande si elle a noué
des relations avec les autres startups de la pépinière, elle me répond «il y en a une qui fait du
référencement, j'hésite à les contacter. J'avais pensé plus travailler avec des indépendants à
l'étranger pour une question de coût, par exemple en Inde».
La structure d'accompagnement peut jouer un rôle important en terme de besoin de proximité
géographique temporaire comme nous l'explique l’entrepreneur C :
«au moment où on a candidaté et où il fallait sauver [nom de sa société] entre guillemets
en trouvant quelque chose qui soit bankable, là vraiment on était jour et nuit à
l'incubateur on avait les locaux, ça donnait une structure de travail, quand on avait
besoin de valider des pistes stratégiques etc., on bossait avec les intervenants de
l'incubateur puis avec [noms des responsables] et en fait on l'a plus utilisé dans un
format un peu centrifugeuse, ou vraiment on définit notre truc on cravache on cravache»
Ensuite les trois associés ont quitté l'incubateur pour travailler à leur domicile car l'incubateur
était trop loin de chez eux et était selon eux moins utile après que leur concept ait été bien
clarifié.
Quand ce même entrepreneur recherchait un informaticien, il nous explique comment il a
mobilisé tous les modes d'accès pour trouver la "meilleure" ressource:
«au début on a bossé avec un informaticien que [nom de l'autre associé] connaissait
dans le cadre d'un stage, après on a bossé avec un informaticien de l'incubateur parce
que ben on se serre les coudes dans le milieu, pour autant c'est pas pour ça qu'on a été
satisfait de ce qu'ils ont fait, ce qui peut aussi créer des tensions, notamment à l'échelle
47
d’un microcosme comme un incubateur et du coup au final on est passé par ce site web,
la teameasy, de mise en relation de gens qui veulent faire des projets (...) et ça a bien
fonctionné»
Il explique alors le processus de recrutement effectué depuis ce site internet:
«on a eu au moins une dizaine d'informaticiens qui voulaient bosser avec nous et après
voilà on a fait un espèce de processus de sélection pour savoir avec qui on bossait et on
avait fait aussi la promesse que y aurait création de boîte à l'issue du partenariat et qu'il
entrerait dans le capital à un tarif préférentiel dans l'idée d'intégration parce que on avait
bossé avec des prestataires et pfff à un moment donné faut internaliser ce type de
compétences parce que nous c'est juste stratégique le cœur de ce qu'on fait vu qu'en
plus on est dans une approche sur-mesure»
L'enquêté explique alors qu'ils ont choisi un ingénieur qui a déjà sa propre société en Tunisie
composée de 5-6 personnes qui fait de la prestation informatique et donc il a une «capacité de
montée en charge assez forte». On voit dans cet exemple que l'enquête s'est tourné vers un
intermédiaire (un site internet impersonnel) suite à l'échec du recours à une ressource de
l'entourage proche. Il a alors choisi une personne disposant d'un potentiel de ressources
supérieur à ce que notre enquêté attendait, lui permettant d'envisager plus facilement des
perspectives de croissance.
Enfin pour l'un des entrepreneurs enquêtés, l'entrepreneur E, le processus de découplage est
totalement achevé. Il s’agit d’une entreprise filiale d’un groupe hollandais qui a voulu créer sa
première succursale en France il y a deux ans et demie. Il a des clients dans toute la France,
une centaine de clients hérités de son prédécesseur. Cet entrepreneur a donc repris
l'entreprise. Il continue à prospecter pour attirer de nouveaux clients, sa prospection se fait à
l’échelle nationale. Quand je lui demande s’il prospecte aussi localement, il me dit
qu’effectivement il a des clients potentiels ici en faisant référence au département de la Seine et
Marne et non au cluster Descartes en particulier. Pour lui la proximité s’entend donc à une
échelle très large. Je lui demande alors si cette proximité change quelque chose dans sa
relation avec ces clients par rapport à ces autres clients situés en France
«ce qui arrange les clients au niveau local c’est de venir voir le matériel, se voir en face
en face, venir discuter, leur faire des démonstrations, des mini formations et puis venir
chercher le matériel au lieu de le livrer chez vous. Parce qu’en fait la proximité ne joue
pas du tout, pas trop dans le cas de [nom de sa société] puisque le stock n’est pas ici il
est en Hollande et donc quand le client a besoin d’un matériel en urgence ça part de
Hollande et c’est livré directement chez lui, il y a que ceux qui sont effectivement de la
région qui me demandent de venir ici parce que ça les arrange, enfin la plupart se font
livrer aussi à leur adresse».
Il est orienté vers un marché national et ne recherche aucun potentiel de proximité
géographique pour son développement commercial. Concernant les autres ressources, cet
entrepreneur utilise également très peu le cluster.
Quand je lui demande ce que pourrait lui apporter le cluster, il répond que prioritairement ce qui
l'intéresse c'est de trouver des clients, en second lieu il se dit ouvert à l'échange d'informations
48
avec les autres entreprises de la pépinière. Cependant il ne considère pas les autres startups
comme des clients potentiels car selon lui elles n'ont pas de budget.
Les jeunes entrepreneurs, quand ils utilisent des ressources en dehors de leur réseau
personnel se trouvent encastrés dans leur structure locale d'accompagnement, plus que dans le
cluster. L’entrepreneur E qui n’est plus dans un processus de découplage est orienté vers un
marché national et vers des intermédiaires hors cluster.
Une proximité organisée trop faible entre les entrepreneurs pour activer le potentiel de la
proximité géographique
Nous avons identifié cinq «foyers» d'entrepreneurs au sein du cluster Descartes , qui
correspondent à 5 dispositifs différents d’innovation:
(1) la pépinière d’entreprises innovantes du CCI21 qui accueille des entreprises générant déjà
du chiffre d'affaires
(2) l'incubateur Descartes qui accueille des projets à un stade précoce de développement,
(3) le dispositif Tous Créatifs de l'UPEM pour accompagner des étudiants-entrepreneurs. Ce
dispositif se décompose en trois parties : « Tous Sensibilisés » (journée d’information sur
l’entrepreneuriat), « Tous Connectés » (concours de projets innovants sous la forme d’un
speed-dating) et « Tous Labellisés » (sélection des projets qui bénéficient d’un
accompagnement renforcé)22
(4) les programmes ME310 et Innov'acteurs de la d.school (Ecole des Ponts) qui accompagnent
le développement de projets innovants réalisés par des étudiants
(5) le « coaching JdP » de l'ESIEE : il s’agit de projets d’étudiants issus de la « journée des
projets », évènement annuel de l’ESIEE, qui sont sélectionnés pour bénéficier d’un
accompagnement intensif par des experts en vue de leur valorisation.
Les dispositifs (3), (4), (5) s’apparentent plus à de la pré-incubation.
Il y a sans doute d'autres foyers de ce type au sein du campus mais nous n'en n'avons pas eu
connaissance durant toute l'année universitaire.
Le tableau 4 ci-dessous présente les trois principaux foyers d'entrepreneurs:
21 Chambre de Commerce et d’Industrie 22 Pour plus d’information, se référer au site internet de l’évènement http://www.touscreatifs.fr/
49
Tableau 4 : Données sur les principaux foyers d’entrepreneurs (en fonction des données
disponibles)
:
Concernant les trois projets mis en place par le cours ME310 de la d.school (4), il s'agit de
projets liés à un partenaire industriel, uniquement des grandes entreprises hors cluster. Nous
avons rencontré les étudiants de ces trois projets lors d'un forum de présentation. Deux des
trois équipes ont l'intention de créer leur entreprise après cette expérience. L'une envisage de
continuer à travailler au service de son partenaire industriel sur le prototype qu'elle a développé,
un casque de pompier muni d'une caméra. Une autre envisage éventuellement de créer une
entreprise avec une partie de l'équipe pour continuer à travailler sur les prototypes de meubles
mis en place. Par ailleurs sur les promotions précédentes, il y a eu une création de startup dans
le domaine des services numériques, Ideanov, une startup installée dans le Val-de-Marne qui
connait une forte croissance. Les fondateurs sont issus directement d'une des équipes du cours
ME310.
Concernant l'ESIEE (5), tous les ans cette école d'ingénieurs du CCI organise «le jour des
projets»; il s'agit de la présentation d'une centaine de projets réalisés par les étudiants, les
enseignants-chercheurs, des doctorants, des diplômés, des créateurs d'entreprise ou des
associations étudiantes23. Nous nous sommes rendus à cette journée bouillonnante durant
laquelle chaque groupe présentait son prototype dans des domaines variés, technologie du
numérique (imprimante 3D, objets connectés,...), robotique, électronique, domotique, énergies
renouvelables,... Parmi les 110 projets présentés ce jour-là, 10 sont sélectionnés pour
23 informations communiquées sur la plaquette de l'événement version imprimée du 24 juin 2014.
Pépinière Incubateur Tous Créatifs
Nombre de startups/
projets (juin 2014)
61 domiciliées
dont 27 résidants12 7
Nombre d'entrepreneurs
(juin 2014)NC >20 18
Niveau d'études NCBAC + 5 majorité
ingénieurs
BAC+ 5 dont 50%
ingénieurs
Moyenne d'age NC 30 ans -25ans
Secteur d'activité
services numériques
ville durable
santé
services numériques (48%)
ville durable (38%)
santé (14%)
services numériques (5)
Jeu éducatif (1)
santé (1)
Part des entrepreneurs
issus du campus
Descartes
NC 25% 50%
Fonds levés NC 1,9M€ NC
Nombre d'entreprises
sorties depuis 2 ans
ayant poursuivi leur
activité
10 2 NC
Nombre d'entreprises
sorties restées dans le
cluster Descartes3 0 NC
50
bénéficier d'un accompagnement intensif à la création d'entreprise. Ce programme, appelé «le
coaching JdP», qui existe depuis 3 ans, vise à aider les jeunes innovateurs à créer leur
entreprise ou à transférer leur technologie. Nous n'avons pas su malheureusement ce que sont
devenus les projets ayant suivi ce programme. Les trois partenaires de l'événement sont de
grandes sociétés françaises hors du cluster. Parmi le jury, on note cependant la présence de
l'incubateur Descartes, donc il y a bien un lien entre ces deux acteurs. Cependant aucun de nos
enquêtés ne participent à cette journée.
Force est de constater qu'il y a peu ou pas d'interconnexion entre les différents foyers
d'entrepreneurs. Certains des responsables institutionnels se connaissent entre eux et
participent à des événements communs comme Tous Créatifs mais nous n'avons pas pu établir
de liens entre les entrepreneurs, à l'exception de liens personnels qui préexistaient entre un
étudiant-entrepreneur de Tous Créatif et un incubé (amis d'enfance). De plus, l’un des projets
d'Innov'acteurs a participé au concours Tous Créatifs. Par ailleurs la d.school a reçu, dans le
cadre de deux séances de coaching, les étudiants entrepreneurs participant à Tous Créatifs,
donc des synergies existent, mais cette formation ne leur a pas permis de nouer des liens avec
les porteurs de projets de la d.school. A notre connaissance il n'y a pas de projets communs ni
de « communauté de pratiques » qui regroupent des entrepreneurs de la pépinière et de
l'incubateur.
Ainsi dans le cas évoqué plus haut de l'entrepreneur qui a trouvé un informaticien via un site
internet, il n'a pas cherché cette ressource dans le cluster au-delà de l'incubateur. Le défaut de
proximité organisée entre l'incubateur et la pépinière par exemple n'a pas permis à cet
entrepreneur de chercher cette ressource au sein de la pépinière.
De la même façon, l’entrepreneur D qui appartient au dispositif Tous Créatifs nous explique
avoir cherché sur des salons professionnels les outils de gestion nécessaire à son entreprise.
Quand je lui indique qu’à la pépinière des startups éditent aussi des outils de gestion, il me
répond:
«il pourrait être intéressant que ces gens qui développent justement sur la cité
Descartes, qu'ils nous proposent à nous les petits entrepreneurs qui se lancent de
pouvoir tester leur plateforme, nous ça nous coûterait moins cher et ça serait peut être
un moyen de développer aussi une offre qui nous ressemble et puis... plutôt que d'aller
chercher les gros directement, parce que c'est ceux qui se démarquent au final, moi
ceux que j'ai trouvé en premier c'est les gros, les Ciel, les EBP, etc.».
Là encore le défaut de proximité organisée affaiblit le potentiel de la proximité géographique
entre l'incubateur et la pépinière.
Au sein de la pépinière, le nombre de projet est plus important avec moins de responsable
d’accompagnement, ce qui entraine une moindre proximité organisée, ce que certains
entrepreneurs déplorent :
« je sais pas mais euh quand j’entends que la pépinière est un endroit de partage et de
lieu de rencontre, sur le papier c’est surement vrai parce qu’on est plein de jeunes mais
51
on sait pas ce que les autres font, c’est un peu dommage… j’ai cru entendre que
quelqu’un était dans le domaine juridique ou avocat qui aurait pu m’aider ben au final je
sais pas où ils sont je sais pas, je peux aller voir [nom du responsable] lui demander
mais c’est , je trouve dommage que ce soit à nous d’aller provoquer, on devrait être plus
épaulé, après la critique est facile»
La proximité organisée, si elle est au départ créée par les structures d'accompagnement, peut
toutefois être renforcée par les initiatives des entrepreneurs. Ainsi dans le cas de Tous Créatifs,
les étudiants ne partagent pas de locaux communs et disposent globalement de moins de
ressources partagées. L’entrepreneur D nous explique avoir créé un groupe facebook avec les
autres entrepreneurs du dispositif pour justement créer cette proximité :
«ce qui s'est passé avec Tous Créatifs, c'est que nous on a monté un groupe facebook
(...) c'est notre propre initiative, nous tous les porteurs de projets on a envie de voir
comment les autres avancent comment les projets des autres ils avancent, on s'entraide
un petit peu, d'ailleurs moi j'ai obtenu un potentiel client grâce à une personne qui était
dans Tous Créatifs, nous on se revoit on va se revoir ce WE parler un peu du projet,
qu'est-ce qui s'est passé cette semaine, après Tous Créatifs, quels sont les contacts
que t'as eu».
Il m'explique ensuite que facebook leur sert à fixer des rendez-vous pour aller boire un verre
mais aussi pour échanger des ressources:
«y a pas très longtemps j'ai eu des contacts avec la petite étoile [incubateur à Paris], ils
m'ont envoyé leur livre je l'ai partagé avec des gens de Tous Créatifs. y en a un qui avait
trouvé une étude sur le statut l'entrepreneuriat étudiant qui est lancé l'année prochaine
donc il a partagé cette étude aussi. Donc on partage nos ressources, on partage nos
données, on partage nos connaissances, nos contacts, si y en a un qui a besoin d'un
contact et que nous on a ce contact-là. Moi j'ai besoin de ça, est-ce que tu peux m'aider
là-dedans».
Ce groupe qui renforce ses liens grâce aux réseaux sociaux, est cependant limité aux porteurs
de projets de Tous Créatifs car la proximité avec les autres «foyers» d'entrepreneurs est trop
faible.
2.3.3 Des acteurs nationaux peu présents localement
Beaucoup d'enquêtes réalisées dans la Silicon Valley ont montré la forte interconnexion entre
les grandes entreprises, les universités et l'écosystème entrepreneurial local. La participation
des grandes entreprises à l'écosystème entrepreneurial se fait soit par l’externalisation partielle
de leur activités de R&D par le biais de rachats de startups comme dans le cas de sociétés
comme Cisco, Oracle, Microsoft (Ferrary, 2008), soit par la mise en place d'incubateurs internes
mais fortement connecté à l'écosystème local, comme dans le cas de Google Lab (Ferrary,
2013). Par ailleurs de nombreuses associations d'entreprises et de communautés d'expertises
transversales existent, contribuant à renforcer cet écosystème (Saxenian, 1994; Ferrary et
Pesqueux, 2004).
52
Or la cartographie des liens institutionnels de notre terrain d’enquêtes (figure 1) montre à
l’inverse l'isolement des grandes entreprises et la faible densité de liens des autres acteurs
nationaux avec le monde entrepreneurial.
Du côté des grandes entreprises
Spicer a montré que les logiques organisationnelles varient en fonction de l'échelle spatiale,
local versus global (2006). Selon Zimmermann, les entreprises peuvent développer des
stratégies de proximité avec un ancrage territorial dans un territoire donné ou des stratégies de
délocalisation et de nomadisme à l'échelle de la planète, elles peuvent choisir de combiner ou
pas ces deux stratégies (2008).
Certains acteurs nationaux présents sur notre terrain d'enquête ont été contraints par l'Etat de
venir s'installer dans l'Est de Paris, comme l'INA à Bry-sur-Marne, qui n'a pas développé une
stratégie d'ancrage territorial. C'est le cas également de l'université qui a été imposée à la ville
de Champs-sur -Marne.
Concernant l'université, elle joue actuellement un rôle dans l'écosystème local grâce au
développement des politiques pour favoriser l'entrepreneuriat étudiant et grâce à un événement
comme Tous Créatifs, cependant soulignons que cette initiative est récente (trois ans) et
qu’aucun des enseignants-chercheurs de l'université rencontrés pendant notre enquête (environ
une dizaine) n'a de lien ni avec les acteurs publics territoriaux ni avec les entreprises locales.
Un acteur comme Nestlé en revanche est historiquement situé à Noisiel dans l'ancienne
chocolaterie Meunier dans un bâtiment classé. Cet acteur à la fois mondial et très attaché à son
site historique ne joue pas, selon notre enquête, un rôle dans le développement de
l'écosystème entrepreneurial local. Cependant Nestlé est partenaire avec la d.school, il a en
effet financé un projet mené par un groupe d'étudiants pour renouveler les usages autour du
Nespresso. La d.school, école de formation au design thinking intégrée à l'école des Ponts, est
elle-même un acteur national tourné vers un réseau international de partenaires, dont la
d.school de Stanford, et d'après la représentante que nous avons rencontré, cette école ne
travaille qu'avec de grandes entreprises, elle est peu tournée vers le milieu économique local.
Pour un acteur comme Numéricable situé dans la cité Descartes, au cœur du cluster, ou
Conforama dont le siège social est à Lognes, en périphérie du cluster, nous n'avons pu établir
aucun lien avec l'écosystème entrepreneurial local ni avec l'université, ni avec les écoles, ni
avec les labos de recherche. Ces acteurs nationaux possédant par ailleurs d'autres sites en
France ne semblent pas développer de stratégie d'ancrage territorial.
Nous avons pu interroger un représentant du CSTB, qui est également un acteur national mais
qui a la particularité d'être un établissement public à caractère commercial (EPIC) ayant un
important service de recherche.
Notre enquêtée du CSTB est chargée de valoriser les produits de la recherche. Le CSTB, selon
les informations recueillies, possède des liens étroits avec le monde académique (laboratoires
et université) du cluster. Le CSTB possède également un lien institutionnel avec l'acteur public
53
en tant que membre de l'agence Descartes Développement. En revanche il n'a aucun lien avec
les entreprises locales, ni avec le milieu entrepreneurial.
Ce constat n’est pas spécifique à notre terrain d’enquête. En effet il semble confirmer les
conclusions de Talbot selon lesquelles la dimension spatiale est peu prise en compte dans les
stratégies organisationnelles des entreprises (2009). D’autre part, Ferrary et Pesqueux dans
leur enquête sur Sophia Antipolis, avaient également relevé l’absence des salariés des grandes
entreprises dans les « communautés de pratique » du cluster, ce que les auteurs pointaient
comme une faiblesse par rapport à la Silicon Valley (2004).
Par ailleurs nous avons appris lors notre enquête le projet de déménagement de deux des
grandes entreprises du cluster : le groupe La Poste et Numéricable. Le groupe Laposte,
implanté à Champs-sur-Marne à l'entrée de la cité Descartes, disposaient de six directions (qui
représentent environ 600 personnes). Numéricable a son siège dans la cité Descartes depuis
plusieurs années. Or pour ces acteurs, étant très peu encastrés dans l'écosystème local, le
déménagement ne leur cause pas de préjudice en terme d'accès à des ressources. Ces acteurs
ont plus de chance de partir qu’un acteur fortement encastré.
Le pôle de compétitivité Advancity
Advancity est présenté par les acteurs publics locaux, comme le pôle de compétitivité sur la ville
et la mobilité durables du cluster Descartes. Ce pôle de compétitivité réunit plus de 250
membres, dont 30 centres de formations parmi les plus prestigieux de France (Ecole
Polytechnique, HEC, ENS Cachan, Ecole Centrale,...). Parmi les membres, on trouve des
grandes entreprises (EDF, Saint Gobain, Siemens, Bouygues, Eiffage, RATP, ...) et des PME
situées dans l'Ile de France.
Son siège est effectivement situé dans le cluster Descartes, à l'ESIEE, mais ses membres sont
répartis dans toute l'Ile de France. Ce pôle a une vocation internationale, comme le rappelle son
site internet24.
Advancity est néanmoins ancré localement par l'organisation d'un événement annuel: Green
City «the smart Metropolis hub» qui se tient dans la cité Descartes depuis trois ans et qui
accueille des acteurs internationaux dans le domaine de la ville durable.
Green city propose un cycle de conférences, des lieux de rencontre («rendez-vous BtoB») et de
démonstration de produits et services ainsi qu'un forum d'investissement. L'événement réunit
sur deux jours à l'automne quelques 800 acteurs «économiques, scientifiques et institutionnels»
au sein de la cité Descartes, dans le cœur du cluster25.
Le forum d'investissement a pour but de présenter aux investisseurs des startups dans le thème
de l'événement (ville durable, éco-conception, énergies vertes, etc) dans le but de lever des
fonds.
24 http://www.advancity.eu/presentation/ dernière consultation le 25/09/21014 25 http://www.greencity-event.com/ dernière consultation le 25 octobre 2014
54
Parmi les 27 entreprises présentées au forum d'investissement de Greencity lors de l'édition
2014, on y trouve26 :
- 18 entreprises non françaises provenant pour la plupart d’Europe (Allemagne, Suisse, Italie,
Angleterre,…)
- 9 entreprises françaises, dont 2 résidant à Paris, 1 à Issy-les-Moulineaux, 1 à Ivry-sur-Seine, 1
à Saint- Mandé, 2 à Grenoble, 1 à Rennes, 1 dans le Cantal
Parmi ces sociétés, on trouve par exemple Isocycle, l'inventeur rennais du vélo pliable en moins
de 10 secondes ou Mobycar, le premier site français de location de places de parking entre
particuliers.
Cet événement étant international, on trouve logiquement une majorité d'entreprises
européennes. Cependant on note que parmi les entreprises françaises, aucune ne provient du
cluster Descartes.
Lorsque nous avons demandé au responsable de la pépinière s'il est en lien avec Advancity, il
nous indique que :
«les entrepreneurs m'ont dit on est trop petit pour eux. J'ai essayé de les faire travailler
avec Advancity mais ça n'a pas marché. Plusieurs sont allés à leur petit dej ou ont
répondu à leurs appels d'offres mais ça n'a rien donné. Du coup maintenant j'ai arrêté»
Le représentant de l’incubateur considère quant à lui qu’Advancity ne s’intéresse pas à eux car
les projets des incubés ne sont pas assez matures. Au sujet de ses liens avec Advancity il nous
dit :
« on a des liens qui sont plus difficiles parce que ils sont sur une cible de sociétés
qui sont déjà un peu plus matures donc les startups euh bon ils ont une offre
maintenant PME mais il faut quand même adhérer au pôle même si l'adhésion reste
abordable, ils sont déjà sur une cible de startups qui est en route alors que nous on
les met en route donc c'est peut être à la fin que y aura d'avantages de choses en
gros au moment où les gens partiraient (…)»
Notre enquêté ne considère pas le support de gros acteurs comme Advancity comme allant de
soi pour développer les jeunes startups. Pour augmenter le succès de ses incubés, il opte pour
un renforcement de la sélection à l’entrée :
« le challenge pour nous c'est de monter en gamme dans les projets que
l'on accompagne c'est à dire être plus sélectif. »
Cependant il ajoute que pour être plus sélectif, il doit pouvoir aussi attirer les startups avec
plus de partenariats et il considère que c’est à lui de les développer :
« cela dit ben ça fait partie de mon boulot que d'aller les convaincre [au sujet des
entreprises d’Avancity] de leur ouvrir leur porte [aux incubés] puisque c'est pas
forcément dans leur mission »
26 liste des entreprises participant à l'événement disponible sur http://www.e-
unlimited.com/events/view.aspx?events_pages_id=3048 dernière consultation le 25 octobre 2014
55
Advancity, conformément aux autres acteurs nationaux du cluster Descartes, semble donc très
peu tourné vers l'écosystème entrepreneurial local.
Des associations de PME qui ne représentent pas le cluster
Nous avons rencontré des représentants de deux associations de PME lors des petits
déjeuners de l'agence Descartes27. Ces acteurs ont tissé des liens étroits avec le réseau des
acteurs publics locaux. Il ne s'agit pas d'associations qui représentent le cluster, l'une est
départementale, l'autre est affiliée à un réseau national. De plus elles ne sont pas spécialisées
dans le thème de la ville durable. Elles ont une vocation d'entre-aide entre les membres et de
partage de moments conviviaux.
Porter avait considéré cela comme une faiblesse de ne pas avoir d'associations d'entreprises
représentant le cluster et investies dans la recherche de gains de productivité pour le cluster
(1998, p.88-89). Si cette situation est pour l'auteur la plus répandue, il cite toutefois des
exemples d'associations regroupant petites et moyennes entreprises et permettant de
mutualiser certaines fonctions, comme l'association d'entreprises du cluster de l'industrie florale
aux Pays-Bas qui a pris en charge le marketing et la recherche appliquée.
Lors d'un événement organisé par France Cluster, nous avons assisté à des présentations de
plusieurs représentants de groupements d'entreprises appartenant à des clusters français. La
notion de «groupement d'entreprise»28 va au-delà de la simple association, ces groupements
ont pour but de donner une taille critique à un ensemble de PME qui peuvent ainsi répondre
collectivement à des appels d'offres. Ces groupements tentent de créer une offre de services
commune et de mutualiser leurs ressources. Un représentant d'un groupement en Île de France
dans le domaine de la mécanique dit ainsi avoir dressé une matrice des compétentes de toutes
les entreprises du groupement. Un commercial a alors été recruté pour vendre les offres de
prestations des entreprises du groupement. Cette démarche a cependant été présentée comme
expérimentale. Un représentant d'un autre groupement appartenant au cluster Eco-énergie
Rhône Alpes dit inciter les entreprises du groupement à partager leurs bases de clients ou de
prospects. Il donne l'exemple d'un chauffagiste qui installe un chauffage pour un client qui fait
construire sa maison, ce client aura alors de grandes chances d'avoir besoin des services
d'autres entreprises complémentaires du cluster. Le représentant d’un autre groupement,
Neopolia, qui dit représenter cinq clusters dans les Pays de la Loire, semble plus avancé dans
sa démarche que les autres. Il raconte avoir déjà gagné des appels d'offres dans le domaine
ferroviaire et aéronautique grâce au regroupement de plusieurs entreprises membres du
groupement. Ainsi les groupements créent des sous-groupes de compétences pour répondre à
une problématique donnée.
27 L’ACEM Association des chefs d’entreprises de Marne-la-Vallée, ainsi que le Club des Jeunes
Dirigeants 28 le groupement d'entreprises fait référence à une entité juridique bien déterminé, qui peut prendre différentes formes, GIE, coopérative, SARL ou SAS. Tandis que le cluster, comme on l'a vu dans le
premier chapitre peut revêtir des significations différentes selon les acteurs
56
Cette démarche de mutualisation de ressources n'est pas celle rencontrée dans notre terrain
d'enquête. Nous n'avons malheureusement pas pu mener des entretiens avec les représentants
de ces associations pour connaître leur degré d'encastrement dans le cluster, néanmoins nos
autres sources de données nous laissent supposer qu'il est faible.
2.3.4 Un monde académique très dense peu connecté au monde
entrepreneurial
Un monde académique fortement intra-connecté
Lors de notre enquête, nous avons observé que les chercheurs et enseignants-chercheurs sont
peu ou pas présents dans des événements comme les petits déjeuners Descartes, organisés
par l'agence Descartes une fois tous les deux mois, ou Tous Créatifs. Le seul que nous ayons
rencontré est un doctorant venu présenter son projet lors d'un petit -déjeuner Descartes, mais
au petit-déjeuner suivant il n'est pas revenu.
A l'inverse nous avons observé que dans les conférences, colloques ou formations organisés
par des chercheurs, l'assemblée se compose exclusivement de chercheurs, doctorants ou plus
rarement d'étudiants. Ainsi lors d'une formation organisée à l'UPEM, à laquelle nous avons
assisté, sur un outil mis au point par une équipe de recherche située dans la cité Descartes, les
formateurs, tout comme ceux qui suivaient la formation, appartenaient tous au monde de la
recherche de différents endroits, de l'UPEM, de Sciences-po Paris, de la Sorbonne, ainsi que
d'une faculté en Allemagne. La plupart des participants semblaient bien se connaître, les
échanges très riches se déroulaient dans un climat convivial et d'entre-aide. Chacun était venu
avec une problématique à résoudre, qui était discutée avec les formateurs ainsi qu'avec
d'autres personnes éventuellement. A travers cette formation ainsi qu'à travers d'autres
conférences auxquelles nous avons participé, on observe que les chercheurs tissent des liens
avec un large réseau de chercheurs qui va bien au-delà des frontières du cluster Descartes,
d'autant plus que souvent certains enseignent dans plusieurs écoles et universités parisiennes.
Lors de notre entretien avec un chercheur, nous lui avons soumis le référentiel des ressources
de Grossetti pour l'appliquer à son projet de recherche. Excepté l'utilisation du CRI29 de
l'université pour héberger ses serveurs, toutes les ressources utilisées proviennent
d'«interconnaissances», il s'agit la plupart du temps de chercheurs, de doctorants ou
d'indépendants qui gravitent dans le monde de la recherche. Quand je lui demande par
exemple s'il a fait appel à d'autres personnes (sans recrutement) pour le développement de son
produit, il me répond «oui mais c'est intra-monde». Dans la conversation, il fait référence à un
échange avec un maître de conférences de l'ESIEE, je lui demande alors comment il a noué ce
partenariat:
«Mais l'ESIEE est dans le périmètre du Labex et en convention avec l'UMR30 Latts donc
je sais pas si on peut appeler ça des gens extérieurs. (...) On les connaît très
directement car ils sont dans une UMR avec qui on collabore».
29 Centre de Ressources Informatiques 30 UMR=Unité Mixte de Recherche
57
En effet, l’Université Paris-Est, initialement Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur
(PRES) est devenu en 2014 « Communauté d’Universités et d’Etablissements » (CUE). C’est
un établissement public de coopération scientifique (EPCS) qui vise une coopération
scientifique pluridisciplinaire de la recherche et des enseignements généraux, technologiques
et professionnels. Il intègre plusieurs écoles dont l'ESIEE et l'Ecole des Ponts. Les liens au
sein de la CUE entre l'université et les laboratoires sont très étroits dans la mesure ou quelques
mille enseignants-chercheurs travaillent à la fois pour l'université ou les écoles membres et pour
un laboratoire qui lui-même est parfois hébergé dans les locaux mêmes de l'université.
Un monde académique peu connecté avec le monde économique local
Le monde de la recherche peu concerné par l'écosystème économique local
Dans l'étude de Grossetti et Barthes (2008), ou celles de Lamy (2008), on rencontre des cas
d'enseignants-chercheurs ayant contribué, selon différentes modalités, à la création de startup
pour valoriser leurs résultats scientifiques. Dans notre terrain d'enquête, les chercheurs
entrepreneurs en revanche sont très rares, nous n'avons rencontré qu'un seul cas à l'incubateur
mais il a quitté la cité Descartes pour un autre incubateur à Créteil qui disposait de
laboratoires31.
Lorsque je demande à un responsable de l'accompagnement quels sont ses liens avec les
laboratoires du campus, il répond:
«extrêmement compliqué [en insistant sur extrêmement] euh d'une part parce qu'on a
mené plusieurs campagnes pour essayer d'aller rencontrer tous les directeurs de labo,
ça s'est soldé par un échec patent après avoir déployé des heures et des heures et des
heures d'email, de téléphone etc., en gros les gens n'ouvrent pas trop leur porte parce
que la valorisation par voie de création n'est pas trop euh quelque chose qui rentre dans
leur évaluation et parce qu'ils se sentent plus ou moins concernés. Donc on a arrêté.»
Cette tentative de relation directe ayant échouée, il dit à présent s'appuyer sur la SATT32. La
SATT analyse en effet le portefeuille de brevets de tous leurs établissements pour identifier ce
qui est valorisable soit par concession de licences à des entreprises soit par voie de création.
Une de nos enquêtés, représentant un acteur public, nous dit avoir cherché à obtenir un
référent par laboratoire présent sur le campus pour communiquer sur leurs travaux et actualités
auprès d'un public plus large au sein de la cité Descartes. Elle a réussi pour l'instant à créer un
seul lien, en précisant que c'est laborieux et qu'elle n'a pas le temps de passer ses journées au
téléphone.
31 il s'agit d'un chercheur du CNRS en biomécanique, ayant conçu au sein de l'incubateur Descartes un système numérique pour piloter la pause d'implants dentaires. 32 Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies
58
Lors d'un entretien avec une chercheuse d'un laboratoire de l’Université Paris-Est, qui travaille
sur les transitions énergétiques urbaines, elle nous dit n'avoir aucun lien avec les entreprises
locales «je sais même pas ce qu'il y a comme entreprise ici» elle ajoute «sauf avec le CSTB
mais je le vois plutôt comme un centre de recherche».
Un enseignant-chercheur nous explique être très connecté avec les entreprises, cependant
quand je lui demande de quelles entreprises il s'agit, il s'avère qu'aucune n'est dans le cluster. Il
s'agit majoritairement de grosses entreprises semi-publiques comme EDF, Orange, SNCF.
Par conséquent comme on l’observe la proximité géographique est à elle seule inutile pour
réunir monde académique et monde économique. Seule une proximité organisée peut mettre
en lien ces deux mondes, c'est ce que tentent de créer les acteurs publics locaux mais on voit
qu'ils peinent à obtenir des résultats pour l'instant. De plus la difficulté de créer une logique de
similitude entre ces acteurs compromet la réussite de telles mises en relation.
L'enseignement, un pont encore fragile vers le milieu entrepreneurial
Un de nos enquêtés responsable de l'accompagnement donne des cours sur l'entrepreneuriat à
l'ESIEE, une fois par an. Il a également essayé de proposer des présentations de ses services
ou des cours dans les autres écoles du campus et à l'université de Paris Est. A l'université il
nous explique:
«C’est une bataille, c'est tous les ans la même bataille pour essayer d'obtenir un slot de
présentation avec tous les établissements de l'université de Paris-Est (...) on voudrait
aller présenter à telle ou telle filière, tous les ans rappeler qu'on est là, ça c'est un peu
plus dur»
Lors de la « journée de la rentrée » du mois de septembre de l'UPEM, qui vise à présenter les
services de la vie étudiante, se tient un mini-forum d'entreprises pour proposer stages ou jobs
aux étudiants. Après analyse des entreprises présentes, aucune ne vient du cluster. Quand je
demande à une représentante du service Information, orientation et insertion professionnelle
lors d'une conversation informelle comment sont sélectionnées les entreprises, elle me dit qu'il
s'agit de grandes enseignes, type Apple, qui ont des besoins locaux de recrutement d'étudiants.
Quand je lui demande pourquoi il n'y a pas d'entreprise locale, elle me dit qu'elle ne les connaît
pas. Elle suppose alors que les enseignants les connaissent:
«On ne les connaît pas en fait, par contre elles sont en lien directement avec les
formations mais ça ne passe pas par les fonctions centrales
- du coup vous ne savez pas quelles entreprises sont en lien avec les formations
- non »
Je lui dis alors que les startups de la pépinière ont des besoins de stagiaires, elle m'explique
qu'il n'y a pas beaucoup de place pour accueillir les entreprises, seules dix sociétés sont
accueillies.
59
Lors du montage du projet Tous Créatifs visant à promouvoir l'entrepreneuriat étudiant au sein
de l'université, la responsable du projet nous explique sa difficulté pour mobiliser les
enseignants:
«Une des difficultés c'est quand même de mobiliser les enseignants, y a quelques
enseignants qui sont un peu plus euh (...) mais on les compte sur les doigts des deux
mains maximum quoi c'est quand même c'est très difficile euh».
Selon elle, les enseignants ne sont pas hostiles à sa démarche mais plutôt passifs. Elle
explique alors :
«L'université c'est quand même un univers qui est très particulier, les enseignants ils
sont pas là tout le temps, ils font leur cours, y en a certains qui reste et parle qu'ils ont
un labo, ils ont un bureau quand ils ont des responsabilités pédagogiques c'est pas le
cas de tous donc ils ont pas forcément un bureau. Pour les toucher c'est très difficile,
bon on peut envoyer des mails, les mails y en a tellement qui arrivent en fait rien ne vaut
le face à face mais ils sont plus de 1000 donc pour aller les rencontrer c'est quand
même ... Donc il faut bien cibler les endroits où déjà on sait que y a peut-être des petites
graines , faut aller voir les gens faut discuter faut revenir faut montrer ce qui a été fait
etc. faut convaincre et ça ça prend du temps»
L'université ainsi que les enseignants que nous avons rencontrés ont des liens forts avec des
grandes entreprises, néanmoins ils sont peu tournés vers les petites entreprises, qu'elles soient
à proximité ou pas.
2.3.7 Les effets induits par cette configuration sociale
Les effets du manque de proximité organisée entre monde économique et académique…
Cette configuration avec un monde académique très dense ayant peu de pont avec le monde
économique local induit une méconnaissance mutuelle et des représentations parfois négatives
des uns envers les autres.
Ainsi un institutionnel chargé de l'accompagnement des startups nous dit quand je lui demande
pourquoi il n'a pas de lien avec l'université: «l'université c'est théorique, les gens ici leur souci
c'est de savoir comment ils vont payer leur loyer à la fin du mois».
Quand je demande à l’entrepreneur B et son associé s'ils ont des liens avec la recherche, elle
me répond «j'ai l'impression qu'il y a quand même vraiment le monde des entreprises d'un côté
et l'université de l'autre, enfin les écoles de l'autre ». Son associé précise :
«les chercheurs ils paraissent difficilement accessibles en fait, je ne sais pas trop
comment on pourrait collaborer avec eux. Ils sont beaucoup dans la recherche
fondamentale. Après nous on n’est pas une entreprise de pointe on va dire dans le
domaine de la recherche fondamentale mais sûrement que ça va servir à d'autres
60
entreprises. Nous en tout cas on voit pas trop comment on pourrait collaborer avec eux.
Avec des étudiants oui mais des chercheurs directement ...».
L’entrepreneur D me parle de la recherche en ces termes:
«nous on est dans l'action et eux y sont dans la durée, la réflexion, etc., donc c'est deux
vitesses, la recherche et l'entreprenariat c'est deux vitesses. Si on doit s'adresser à une
personne qui fait de la recherche, c'est sûr que ça va prendre du temps, ça peut être du
2, 5 ans, 10 ans, 15 ans.».
Il nous raconte alors l'anecdote d'un étudiant qui a vu quelqu'un venir chercher des données
dans un calculateur d'un centre de recherche, données qui ont été récupérées au bout de 5
ans :
«Si on fait appel à la recherche et qu'il faut récupérer le truc au bout de 5 ans, ton projet
il sera déjà fini, ça dépend du domaine aussi, c'est deux mondes qui pour nous [les
entrepreneurs] qui agissent qui évoluent à vitesse différente.»
Un des représentants de l’accompagnement nous dit être connecté avec l’Ecole des Ponts et
l’ESIEE, cependant la connexion avec l’université lui semble plus difficile :
« c'est assez difficile avec l'université dans la mesure où c'est une nébuleuse et que
y a beaucoup d'acteurs d'intervenants il faut trouver les bons, qu'ils acceptent de
faire des choses avec nous (…) l'université bon alors ça se fait par le biais de PEPITE,
par le biais de certains profs, c'est plus laborieux parce que y a une question d'évolution
culturelle à faire et on est très euh dans des postures et des habitudes différentes qui
ont fait que culturellement on a eu du mal à se comprendre et on a encore du mal à se
comprendre parfois »
Ainsi le monde académique, enseignement et recherche, apparaissent aux yeux des
entrepreneurs et de certains acteurs publics promouvant l’entrepreneuriat comme déconnecté
des problématiques économiques de court et moyen terme ou en décalage « culturel ».
… ou les effets de trop de proximité organisée intra-monde?
Comme l'a montré l'école de la proximité, si le manque de proximité organisée peut empêcher
les coopérations, une trop forte proximité organisée au sein d'un groupe peut également
empêcher la création de lien avec d'autres groupes. Ainsi par exemple quand je demande à un
entrepreneur de l'incubateur pourquoi les incubés ne viennent pas s'installer à la pépinière, il
me répond, qu'outre une question de maturité des projets :
«y a un côté un peu élitiste de l'incubateur ou on est entre nous et tout le monde se rêve
un peu la startup, qui justement n'aura pas besoin de passer par une pépinière, qui va
avoir un concept qui explose et justement qui prenne l'incubateur plus comme une
centrifugeuse ou un accélérateur que véritablement un moyen d'aller à la pépinière et de
s'installer à la cité Descartes.»
61
Par ailleurs cet incubé m'indique être le seul entrepreneur de l'incubateur issu de l'université, les
autres venant de grandes écoles majoritairement d'ingénieurs. Le responsable de l'incubateur
nous avait quant à lui indiqué que tous les incubés avaient au moins BAC+5. A la pépinière,
bien que nous n'ayons pas de statistiques, nous avons constaté à travers notre échantillon qu'il
y a une diversité plus grande en termes de niveau d'études. Au sein de l'incubateur, une plus
grande homogénéité dans le niveau d'étude ainsi qu'une structure plus petite bénéficiant de
d'un accompagnement renforcée (1 personne pour 6 incubés) créé une logique d'appartenance
et de similitude plus forte. La pépinière en revanche dispose d'une proximité organisée
structurellement plus faible, les moyens en termes d'accompagnement y étant moins important
(1 personne pour 12 startups). Cette moindre proximité organisée n'est pas compensée par une
forte logique de similitude entre des acteurs dont l'origine est hétérogène en termes d'études,
de parcours et également d'âge.
A une échelle plus grande, la forte proximité organisée au sein du monde académique rend
également difficile son accès par des acteurs non membres du monde académique, comme
nous l'avons montré avec les tentatives infructueuses de l'incubateur ou des acteurs publics
pour entrer en lien avec le monde de la recherche et de l'enseignement.
Lors de notre entretien avec un chercheur d'une unité de recherche du campus, nous
constations dans la discussion qu'il fait une nette distinction entre le monde économique et le
monde «scientifique». Il travaille sur un logiciel de datamining à destination des chercheurs
principalement en sciences sociales, quand je lui demande si ce logiciel pourrait être
commercialisé, il explique son projet:
«c'est designer des outils pour tout le monde [il fait référence ici au monde de la
recherche], ça rend difficile l'idée de construire un logiciel en tant qu'entité qui pourrait
faire ensuite l'objet d'une démarche économique. On est même anti-économique, on
veut faire un outil évolutif qui correspond aux outils et aux besoins de la recherche,
néanmoins on est un peu prudent et on n'a pas mis de disclaimers mais moi en tant que
chercheur et directeur j'interdis des usages dans un b-to-b privé/ public, je ne veux pas
par exemple que Coca Cola fasse de l'ethnomarketing en utilisant nos plateformes
relationnelles, c'est pas l'objet.»
Ce témoignage révèle selon nous qu'une forte logique d'appartenance et de similitude, en
l'occurrence au sein du milieu de la recherche, peut constituer une barrière d’entrée pour les
acteurs publics et le monde économique, d'autant plus lorsque la démarche «scientifique» est
représentée comme «anti-économique».
Conclusions
La proximité géographique a bien un rôle à jouer, mais auprès d'acteurs qui partagent au moins
une logique de similitude.
La réunion du monde académique et du monde économique, mondes qui ne partagent pas de
logique de similitude, doit nécessairement passer par la création d’une proximité organisée ou
62
par des liens personnels. Les liens personnels entre des acteurs du monde académique et du
monde économique local étant peu nombreux selon nos résultats, ils ne peuvent être créés que
par la mobilisation de la proximité organisée.
C’est ce que tentent de faire les acteurs publics en essayant de rallier les acteurs autour des
enjeux économique de cluster. Cependant ces tentatives sont en grande partie infructueuses,
nous essayons dans le chapitre suivant de comprendre pourquoi et nous nous demandons
comment réussir à réunir des mondes quasi-étanches.
III Éléments d'explications
Nous avons établi précédemment que les liens étaient peu développés entre certains acteurs,
notamment entre les grandes entreprises du cluster et les acteurs locaux ou entre les
entrepreneurs et les chercheurs. La proximité géographique ne suffit pas et la proximité
organisée semble insuffisante également.
Porter soulignait à travers ses observations de nombreux clusters que pour qu'un cluster puisse
réussir, les acteurs doivent activement participer:
To maximize the benefits of cluster involvement, companies must participate actively
and establish a significant local presence. They must have a substantial local investment
even if the parent company is headquartered elsewhere. And they must foster ongoing
relationships with government bodies and local institutions such as utilities, school and
research group (Porter, 1998b, p.88).
Par ailleurs l'auteur indiquait également que les savoir-faire d'un cluster sont souvent invisibles
au démarrage et que des secteurs d'activités différents qui cohabitent peuvent créer de
nouvelles opportunités. Autrement dit une entreprise ou un laboratoire qui n'est pas directement
dans le thème de la ville durable pourrait aussi trouver sa place au sein du cluster Descartes.
Forts de ces constats, la question à laquelle nous essayons d'apporter des éléments de
réponse dans ce chapitre est: pourquoi les acteurs ne participent pas, pourquoi ne sont-ils pas
plus engagés dans le cluster? Pourquoi ne recherchent-ils pas plus de coopérations?
3.1 La faiblesse des liens faibles comme élément explicatif de la faiblesse
des coopérations
La faiblesse des liens faibles entre monde économique et académique
Comme nous l'avons montré dans notre enquête, un lien institutionnel n'entraîne pas forcément
de liens personnels entre les membres de deux institutions et des liens personnels peuvent
exister sans lien institutionnel.
63
Les liens personnels étant un vecteur de développement des entrepreneurs et des porteurs de
projets de recherche, il apparaît que, malgré des liens institutionnels existants bel et bien, le
manque de liens personnels entre les différents mondes sociaux est un frein à leur coopération.
Le manque de liens faibles empêche la constitution de ponts entre les différentes cliques
(Granovetter, 1973). Le manque de liens faibles entre le monde académique et le monde
économique empêche en effet la circulation des informations sur la disponibilité des ressources
d'un monde à l'autre, et donc empêche le recours à ces ressources.
Ainsi lorsque notre enquêté, directeur de recherche, dit avoir du mal à trouver des compétences
pointues en informatique pour la maintenance de son système d'informations, il n'a pas
recherché ces compétences au sein de la cité Descartes ou de la pépinière qui comptent des
sociétés informatiques. En effet il a recherché des personnes qualifiées au sein de son propre
réseau de contacts et «d'interconnaissances», lequel n'est pas connecté avec les entrepreneurs
locaux mais est encastré dans le monde élargi de la recherche. N'ayant pas connaissance des
ressources disponibles localement faute de liens faibles avec le milieu des entrepreneurs, il n'a
pas pu avoir l'idée même de chercher localement - sans présupposer de l’existence ou pas de
cette compétence localement. Combien même aurait-il su que des sociétés informatiques
existaient à proximité, en l'absence de liens faibles, il aurait préféré recourir à une personne
recommandée par son entourage, par gain de temps.
Je lui demande si une journée porte ouverte à la pépinière l'intéresserait. Il me répond
négativement :
«pour deux raisons, la première manque de temps j'ai d'autres urgences.
Deuxièmement c'est pas directement (...) ce sont des commitments si on n’a pas envie
de donner suite faut pas y aller. (...)»
Cependant il ajoute :
«on pourrait à la limite fonctionner sur l'idée que ça pourrait être intéressant parce qu'on
les connaît on a vu ce qu'ils font on pourrait faire une CIFRE33 on pourrait (...) faire en
sorte qu'il y ait du co-développement ça oui je dirais oui mais j'ai pas le temps parce que
j'ai d'autres urgences à traiter qui est notamment la finalisation d'une version pour le
projet européen. Il faut faire attention, à ressources limitées il faut avoir des grosses
ambitions mais il faut pas trop communiquer».
Cet enquêté imagine donc des coopérations potentielles mais en l'absence de liens faibles, le
« manque de temps » apparait comme le principal rempart à la création de liens entre des
mondes qui ne se rencontrent pas.
L'éparpillement des entrepreneurs affaiblit leur capital social collectif
33 Convention Industrielle de Formation par la Recherche. Il s’agit d’un dispositif de financement de thèse par les entreprises.
64
Au sein de certaines structures, les responsables de l'accompagnement se plaignent du
manque d'effectif pour animer la communauté des entrepreneurs. Ainsi au sein de la pépinière
les liens intra-groupe sont peu denses, du moins à l'échelle de notre échantillon (4/27). Lorsque
l'on interroge les enquêtés sur leurs liens avec les autres entrepreneurs de la pépinière, ils sont
limités à leurs plus proches voisins ainsi qu'à un ou deux autres entrepreneurs. Un enquêté
nous parle d’un petit-déjeuner organisé par la pépinière, mais déplore que seuls les nouveaux
arrivants se présentaient, du coup il ne connait pas les quinze autres personnes qui étaient
présentes.
Par ailleurs, les entrepreneurs se répartissent comme on l'a vu dans différents dispositifs. Outre
des liens institutionnels, il existe peu de liens entre les différents foyers d’entrepreneurs.
Leur éparpillement et l'absence de «communauté de pratiques» font qu'ils ne peuvent pas
véritablement partager une échelle de valeur commune ou un sentiment de solidarité.
Nous postulons que la faible densité de liens au sein de la communauté des entrepreneurs
locaux n'est pas seulement un manque à gagner pour leur propre développement mais
constitue également un frein supplémentaire pour aborder le monde beaucoup plus vaste et
plus dense de la recherche universitaire. En effet dans l'exemple de notre enquêté ayant réussi
à entamer une démarche de participation à un programme de recherche public, ce dernier étant
peu ou pas connecté avec les entrepreneurs locaux, les autres entrepreneurs n'ont pas accès à
l'information sur l'existence et la possibilité pour eux de telles démarches. De l'autre côté, le
laboratoire de recherche en question n'a pas accès à travers cet entrepreneur à une
connaissance fine du milieu entrepreneurial local. Le groupe des entrepreneurs ne dispose pas
du «capital social collectif» (Godechot et Mariot, 2004) qui lui permettrait de défendre les
intérêts du groupe auprès des autres acteurs du cluster.
Liens des entrepreneurs avec les autres entreprises du cluster
Ce manque de capital social collectif empêche également les liens avec les autres acteurs que
sont les PME et les grandes entreprises.
L'analyse détaillée de Godechot et Mariot sur la composition des jurys et des recrutements de
docteurs de six universités françaises montrait une «corrélation entre le degré de préférence
pour les candidats locaux et le degré de cohésion relationnelle à l’intérieur de l’institution.». Les
groupes cohésifs disposant d'un capital social collectif élevé sont plus enclins à défendre les
membres du groupe contre la concurrence d'autres groupes.
De la même façon dans notre terrain d'enquête, par manque de valeurs partagées au sein du
groupe, le processus de choix des ressources par les entrepreneurs (fournisseurs, partenaires,
prestataires de services,...) tend à favoriser des entreprises extérieures au cluster.
La représentante de la d.school nous dit avoir entendu parler de la pépinière et de l'incubateur
mais ne pas avoir de lien «c'est pas la volonté qui manque, c'est le manque de moyens
humains », leurs effectifs étant trop faibles, nous explique-t-elle. Dans le courant de la
conversation elle nous parle d'un projet développé par les étudiants de la d.school pour la
65
Fondation Favier: il s'agissait d'une lampe pour personne âgée développée dans le cadre des
cours d.senior. Le produit a tellement plu que le directeur de la Fondation en a commandé 800
aux jeunes innovateurs. Cependant les étudiants ne pouvaient pas répondre à cette
commande, ce qui aurait nécessité de créer une entreprise et passer sur un mode de
fabrication industriel. Or ils n'avaient pas fini leur scolarité. Quand je lui demande si elle a
cherché d'autres entrepreneurs pour reprendre ce projet, elle nous dit avoir cherché parmi les
étudiants des Ponts mais que ce projet n'était pas compatible avec leurs études. Dans ce cas
de figure nous voyons que l'absence de liens faible avec le milieu entrepreneurial local et ou
avec des PME a freiné le développement d'activités. Nous ne pouvons pas garantir que
l'existence de liens faibles eut permis de trouver un entrepreneur capable de développer ce
produit, mais les chances de trouver une solution auraient été plus grandes qu'en s'adressant
uniquement aux étudiants des Ponts.
L’entrepreneur C nous explique s'être retrouvé en concurrence avec un autre projet sur une
application de cartographie de la cité Descartes porté par une étudiante de l’Ecole des Ponts.
Les deux projets avaient deux objectifs différents mais un socle commun qui aurait pu générer
une collaboration fructueuse, selon lui. Quand il a rencontré l'autre porteur de projet après avoir
été mis en relation par l’Agence Descartes Développement, il dit avoir été étonné par la réaction
de son interlocutrice : «elle trouvait ça bizarre qu'on travaillait sur la cartographie alors qu'elle
aussi travaillait sur la cartographie, (...) elle a cru je sais pas euh qu'on prenait son idée. ».
Finalement cet entrepreneur a renoncé à son projet et a proposé de transférer son code à son
«concurrent» en mettant une licence open source dessus puisqu'il n'en ferait rien. Cependant
l'autre acteur ne s'est pas montré intéressé. Notre enquêté attribue cet échec de collaboration à
un «problème de personnalité». Cette mésentente pourrait paraître anecdotique, pourtant elle
illustre le défaut de capital social collectif du groupe des entrepreneurs. La cohésion se limite
aux membres de la structure d'accompagnement pour ce qui concerne l'incubateur car pour la
pépinière comme on l'a vu le groupe est peu cohésif.
Le représentant de l’incubateur nous parle d’une tentative de coopération avec d’autres
entrepreneurs: « Un moment on avait essayé de mette en place un système de parrainage ou de
mentorat par d'autres entrepreneurs ça n'a pas marché ça n'a pas marché parce
qu'on n’a pas eu de candidats, parce que les gens ont dit ça va nous prendre du temps on va avoir des obligations. Donc ce qu'on a décidé de faire c'est plutôt un
format centrifugeuse ou de temps en temps on organise avec des entreprises extérieures qui viennent bénévolement écouter les incubés sur leur projet. »
Il nous explique alors avoir pensé à faire intervenir des « experts extérieurs » mais leur coût ne peut pas être pris en charge par les incubés.
Pourtant lors de notre enquête sur un petit échantillon, nous avons rencontré deux
entrepreneurs qui seraient prêts à faire du mentorat, l’un est membre de la pépinière, l’autre fait
parti du dispositif Tous Créatifs. L’un d’entre deux fait déjà partie de « 100000 entrepreneurs »
association nationale de promotion et d’accompagnement de l’entrepreneuriat auprès de jeunes
publics.
66
Les étudiants-entrepreneurs, un pont entre l'université et le monde entrepreneurial
Nous avons rencontré deux cas d'étudiants entrepreneurs issus de l'université. Dans les deux
cas, les étudiant ont utilisé ou tenté d'utiliser les nombreuses ressources de l'université pour
leur création d'entreprise. Lorsque les conditions sont réunies pour qu'une coopération
réussisse, nous allons voir que les étudiants constituent un pont entre monde académique et
économique.
Quand la tentative de coopérer échoue : le cas de l’entrepreneur C
L'entrepreneur C nous raconte plusieurs tentatives de coopérations avec l'université. Tout
d'abord:
«À l'IFU on a essayé de mettre en place pleins d'initiatives, notamment une plateforme
collaborative sur laquelle on aurait pu avoir les travaux d'étudiants (...) on trouvait que ce
qu'on faisait c'était génial [rire] et on voulait le diffuser et à chaque fois on s'est heurté à
des murs»
Il explique ensuite que quand il s'est lancé dans l'entrepreneuriat il a cherché du support auprès
de ses professeurs car pour son projet il cherchait des clients au sein des collectivités
territoriales. Cette tentative lui laisse un souvenir amer:
«Quand en parallèle de nos études on s'est lancé dans l'entrepreneuriat, moi mes profs
ils ont des réseaux de fou au sein des collectivités parce qu’ils bossent avec eux et
support zéro et pire genre suspicion mais qu'est-ce qu'ils font pour qui ils se prennent
etc etc»
Il dit alors avoir recherché de l'aide auprès du service dédié de l’université et s'être rendu à
l'événement Tous connectés en 2013:
«C’était très universitaire en amphi avec peu de gens qui parlent, pleins de gens qui
écoutent (...) j'ai un peu discuté avec des gens qui s'en occupent à la fac et j'ai pas
compris ce qu'ils voulaient faire j'ai envoyé des mails, j'ai pas eu de réponse. Au final si
la fac veut encourager l'entreprenariat et qu'elle est pas du tout réactive, euh comment
...nous on est la seule startup de l'incubateur Descartes qui soit issue de l'UPEM (...) et
moi je m'imaginais qu'on aurait un peu de soutien»
Dans ce récit, l'enquêté comptait sur la logique d'appartenance (Rallet et Torre, 2008) pour être
aidé mais elle n'a pas eu d'effet à elle seule.
Enfin cet enquêté a tenté de collaborer avec le service communication de l'université mais là
encore il n'a pas eu de retour:
67
«Quand je leur envoie des trucs à la com pour diffuser auprès des étudiants parce qu'on
voulait en fait augmenter notre nombre de followers sur Twitter et nos likes sur
Facebook, du coup j'avais préparé un mini dossier de presse en leur expliquant voilà
est-ce que vous pouvez publier ceci à tel moment. Ils le font pour les BDE tout ça et
pour nous ils l'ont pas fait
- pourquoi? Ils n’ont pas donné de motif?
- non c'est pas qu'ils voulaient pas, c'est l'institution quoi, c'est la fac, ils ont oublié, ils
ont pas considéré ça comme une priorité.»
Plus loin, compte tenu de son expérience il se dit sceptique sur les projets d'incitation à
l'entrepreneuriat étudiant.
Quand la tentative de coopérer réussit : le cas de l’entrepreneur D
L'entrepreneur D est un étudiant entrepreneur de l'UPEM qui a créé un partenariat avec la
bibliothèque de l'université. Il relate la façon dont s'est noué le partenariat:
«J'y suis allé directement, j'ai été voir la responsable de la bibliothèque en lui exposant
le projet quand l'idée est apparue, en lui disant qu'on avait besoin de tester vraiment ces
choses-là pour pouvoir les exploiter (...), j'ai parlé avec l'ensemble des responsables des
bibliothèques et ils m'ont autorisé à pouvoir le tester
- est-ce que c'est parce que le concept leur a plu ou parce qu'ils sont sensibles à
l'entrepreneuriat étudiant?
- un peu des deux en fait parce que le concept leur était utile à eux pour diffuser des
formations en bibliothèque, ensuite parce que moi je les connaissais plus ou moins en
allant à la bibliothèque, je les rencontrais de temps en temps et après oui c'est un peu
du donnant-donnant»
Conformément à la théorie de l'acteur-réseau, la démarche stratégique de cette enquêté a
également joué un rôle, puisque en cherchant à intéresser l'ensemble des acteurs concernés, il
a pu rallier un nombre croissant de contributeurs à son idée, permettant donc à son innovation
de se diffuser progressivement. On constate également l'importance d'un intérêt partagé. Celui
qui accepte de collaborer avec un entrepreneur doit y voir un intérêt pour lui. Dans le premier
cas décrit (entrepreneur C), il est probable que les interlocuteurs sollicités à l'université n'aient
pas vu l'intérêt pour eux ou pour l'université de faire la promotion d'une application qu'ils ne
connaissaient pas et d'un étudiant qu'ils ne connaissaient pas non plus. Dans le premier cas,
l'étudiant était peu encastré dans le réseau auquel il demandait de l'aide (les services de
communication de l'université), contrairement au second cas ou l'étudiant a créé des liens
faibles avec l'ensemble des acteurs concernés, les responsables des bibliothèques de
l'université.
De plus l’entrepreneur D nous dit s'être fait aidé par ses différents professeurs et personnels
administratifs, l'université a constitué pour lui une très grande ressource en terme de conseils:
«moi dans le cadre de mes cours, on a des cours d'initiation à l'entreprenariat ou j'ai ma
professeur qui m'a aidé dans mes démarches, à cadrer, qu'est-ce qui faut que je fasse
d'abord (...) Pour mon étude de marché j'ai été me faire conseiller par mon prof d'études
de marché, vraiment à chaque fois j'avais la personne ... Le fait d'être dans une
68
université ça permet d'avoir un public d'experts autour de nous sans pour autant aller...
si on devait chiffrer à chaque fois le conseil... »
Pour un étudiant entrepreneur, l'université peut donc jouer un rôle d'accompagnement,
cependant au sujet de ses liens avec les enseignants, l’entrepreneur D nous précise :
«Après j'ai beaucoup été les chercher, d'abord j'ai eu la chance d'avoir la matière sur
l'entrepreneuriat, ma prof était une relation directe avec tous ces acteurs, ça été pour
moi vraiment l'opportunité d'aller tous les voir et voir qui pourrait être intéressant pour
m'aider.(…) Parce que j'ai eu cette personne-là , j'ai eu tous ces acteurs-là. Mais je sais
qu'en tant qu'étudiant on n’a pas forcément accès à toute cette information qu'on
pourrait avoir, faut aller la chercher et si on sait pas où aller euh»
Dans une relation institutionnelle ente l'étudiant et son école, sans lien personnel, et sans
partage de valeurs communes (logique de similitude), la tentative de coopération échoue. La
logique d'appartenance seule au sein de l'université est insuffisante, elle doit être renforcée par
des liens personnels et à cette condition, les étudiants-entrepreneurs peuvent constituer un
pont entre monde académique et monde économique au sein du cluster.
Les enseignants- chercheurs, un pont entre les étudiants-entrepreneurs et le monde de
la recherche.
Dans le cadre de son projet d’application de diagnostic de voiries, l’entrepreneur C nous
indique :
«On est en train d'essayer de bosser avec le LATTS [labo de recherche du PRES]
parce qu'on va faire de la demande de subvention publique, (...) On va avoir besoin pour
ça de partenariat scientifique pour demander des subventions, (...) et quand nous on
aura la trésorerie à mettre en face on pourra le développer
- comment êtes-vous rentré en contact avec ce labo?
- je les connaissais grâce à l’IFU, j'avais des profs qui y étaient. »
Dans ce cas, l’entrepreneur C a réussi à nouer une coopération avec un laboratoire de
recherche d’une part car il est passé par un enseignant-chercheur membre de ce laboratoire,
d’autre part car le laboratoire a un intérêt financier dans la demande de subvention.
Il dit avoir essayé de nouer un partenariat avec un autre laboratoire, mais ce partenariat ne
représentait pas un intérêt financier suffisant dans ce cas :
«Y a le LVMT aussi avec qui on avait discuté (...) ils étaient moins intéressés car c'est
quand même un gros labo ils ont déjà pleins de partenariats avec des boîtes etc. etc. et
pas pour des petites subventions à 50k€ (...)»
L'autre étudiant-entrepreneur (l’entrepreneur D) n'a pas de lien avec les laboratoires mais
projette d'en avoir, c'est grâce à une enseignante qu'il a pensé à une éventuelle coopération
avec la recherche :
69
«Dans le début du projet, on voulait s'associer avec justement une personne dans la
recherche pour démontrer l'efficacité du jeu dans la formation, donc on voulait faire
appel aux labos de recherche, c'est la prof d'initiation à l'entrepreneuriat qui m'avait
parlé de ce truc-là. Finalement ça s'est pas fait parce qu'on a pris une autre direction
mais c'est toujours intéressant pour nous par la suite, ça sera du développement sur du
long terme, d'avoir un aspect recherche, un aspect qui est très cadré sur la formation en
collectif et vis-à-vis de l'implication etc., faire des études là-dessus. (...) y a des études
qui ont été faites [en pédagogie] mais nous ce qu'on aurait voulu c'est de les cibler sur
notre produit, pouvoir le mettre en avant»
Notre enquêté s'est déjà renseigné auprès d'une de ses enseignantes qui lui a fourni de la
documentation :
«soit nous on s'adresse à eux et dans ce cas la eux ils peuvent faire une demande de
financement public, soit nous on finançait, soit la région pouvait le prendre en charge, y
a énormément de choses qui se mettent en place là-dessus, des choses sur lesquelles
je me suis pas attardé parce que y a énormément de documentation à regarder, on était
pas forcément dedans à ce moment-là on s'est pas focalisé dessus mais on sait que
c'est possible, après par la suite nous quand on sera installé, nous ça pourra nous
intéresser d'avoir un aspect recherche ciblé sur la pédagogie»
Cet entrepreneur a également été influencé par un de ses concurrents qui a fait développer un
produit par un pôle de recherche, recherche qui aurait été « primée ». Mais l’accès au monde
de la recherche se fait uniquement par le biais de l’enseignante qu’il connait :
« Je sais que si j'ai besoin de faire une recherche là-dessus, c'est vraiment à elle que je
vais m'adresser [son enseignant- chercheur] pour me mettre en contact avec les bonnes
personnes (…) c'est pas l'objectif du moment mais on l'a envisagé»
Si les étudiants-entrepreneurs de l'université représentent un pont entre l'université et le monde
entrepreneurial et si leurs enseignants-chercheurs sont eux-mêmes un pont vers la recherche,
cela signifie comme nous l'avons montré que les étudiants peuvent ouvrir la voie des
coopérations entre monde de la recherche et entrepreneurs.
Cependant il faut en souligner les limites, les étudiants entrepreneurs, surtout à l'université, sont
peu nombreux et de plus, comme on l'a vu, ils ne sont pas (encore) organisés en
«communautés de pratiques», ce qui handicape la circulation d'informations auprès d'une
communauté élargie d'entrepreneurs.
Dans le chapitre suivant nous essayons d'analyser pourquoi les liens faibles ne s'établissent
que difficilement entre les différents mondes sociaux.
3.2 Les coûts de transaction comme élément explicatif de la faiblesse des
liens faibles
70
Le «manque de temps » est l'argument qui revient le plus souvent, même quasi-
systématiquement, aussi bien chez les entrepreneurs que chez les chercheurs interrogés,
quand on leur demande pourquoi ils n'ont pas de liens avec les autres acteurs locaux. C'est
comme si de leur point de vue, cela serait "normal" d'avoir des liens avec des acteurs proches
géographiquement, mais ces liens n'existant pas ils doivent le justifier, et la justification qui est
alors avancée est le manque de temps.
Nous faisons l'hypothèse que derrière l'argument du manque de temps se cache en réalité la
difficulté d'entrer en relation avec les autres acteurs, liée aux «coûts de transaction» entre
mondes hétérogènes. Nous examinons pour cela les interactions ou les tentatives d'interactions
pour illustrer ces difficultés.
3.2.1 Définition utilisée
Le coût de transaction est une notion que nous empruntons au vocabulaire économique. On
peut définir une transaction comme « un échange d'information ou de marchandises ayant
une valeur économique » (Abecassis,1992).
Pour les économistes, les coûts de transaction ou coûts de marchés représentent les coûts
de recherche d'informations, de négociation et de conclusion de contrats spécifiques pour
chaque transaction. Le coût est lié « à l'asymétrie d'information entre les acteurs et aux
conduites opportunistes » (Ibid.).
Pour l’auteur, la théorie des coûts de transaction cherche à expliquer la diversité des
formes d'organisation. Elle pose comme hypothèse que le choix d'une structure
organisationnelle répond avant tout à un critère d'efficacité tout en soulignant que dans de
nombreuses situations, on voit plutôt des solutions « satisfaisantes » prendre le pas sur des
situations optimales.
Nous réutilisons ici cette notion pour qualifier le coût généré par le recours à un acteur d’un
autre monde social. En effet il est plus « efficace » de recourir à des ressources auprès
d'acteurs avec lesquels on partage une logique d'appartenance et de s imilitude que de
rechercher des informations et affronter l'incertitude liée à la méconnaissance de son
interlocuteur. On choisit « l'arrangement institutionnel qui minimise les coûts» (Ibid.).
Auparavant nous revenons sur le capital social individuel qui est un facteur qui contribue à
minimiser les coûts de transaction.
3.2.2 Une capacité à nouer des liens qui dépend du capital social de chaque
individu
Les entrepreneurs que nous avons rencontrés sont très demandeurs d'informations en général,
néanmoins l'effort à fournir et le temps à passer pour obtenir des informations est
71
nécessairement calculé pour être optimisé. Ainsi l'entrepreneur G nous dit avoir participé à un
«concours femmes entrepreneurs» suivi d'une soirée avec un dîner : «Je voyais pas trop
comment avoir de l'aide, c'était trop différent de mon activité, moi j'aurais pas pu être leur
client». Cet entrepreneur qui réalise des essais cliniques pour le compte de gros clients, en
Angleterre et en Suisse, nous dit ne pas connaître le cluster santé de Créteil ni les laboratoires
du cluster Descartes, information pourtant directement utile à son activité. Une fois qu’elle
apprend leur existence, elle ne sait pas comment les contacter et ne connaît pas non plus les
agences locales de développement. En revanche elle m’interroge pour trouver le point d'entrée
qui lui permettrait d'accéder à d'autres informations sur les laboratoires présents localement.
La capacité de nouer des liens est inégale chez les individus, ainsi un enquêté nous fait part de
l’apprentissage que cela a représenté pour lui:
« moi c’est plus mon rôle de gérant qui me pousserait à voir autre chose, mais là je me
sépare de mon activité actuelle du bâtiment (...)
quand j’ai rencontré mon voisin ou d’autres gens, à la base c’est plus par souci de
politesse et en parlant on se rend compte que hop il fait ça et je fais un rapprochement
par rapport à mon activité et c’est en échangeant dans les couloirs, on se rend compte
qu’il y a un lien et ça peut être un élément accélérateur ou d’échanges, ça créé des
idées ça créé de l’échange. Moi à la base je suis assez timide et réservé et du coup
j’aurais du mal mais le fait d’avoir fait la boite, ça m’a complètement obligé à avancer
quand même, quand il faut aller voir un client et vendre, chose que j’aurais pas pu faire
mais faut le faire après on apprend à le faire on fait des erreurs, on apprend à le corriger
et puis on avance. Mais c‘est en faisant les choses qu’on avance, si on restait dans son
coin on ferait rien.»
Un enquêté nous parle d'un petit-déjeuner organisé à la pépinière. Il nous dit n'avoir rencontré
personne et explique sa difficulté à nouer des contacts avec des gens qu'il ne connaît pas et
avec lesquels il n'a pas de projet commun. Je lui demande si après la présentation des
nouveaux arrivants, il a discuté avec les entrepreneurs présents:
«certes, j’aurais pu aller chercher l’information, taper aux portes, mais c’est un peu
comme à l’école en fait [rire] quand on est seul ou on est deux, on se retrouve devant
une équipe, on connait personne, on parle un petit peu (…) et après on sait plus quoi
dire ben chacun reste dans son coin et après on reprend nos places sans savoir ce que
fait le voisin (...) bon après je critique je suis pas forcément un modèle je suis pas
quelqu’un de très communicatif ou très avenant »
On relève dans ces propos une logique de similitude qui paraît assez faible chez cet enquêté et
une difficulté à renforcer son capital social.
Concernant les liens avec les laboratoires de recherche, nous constatons à travers notre
échantillon d'entrepreneurs et plus largement à travers tous les entrepreneurs rencontrés dans
notre terrain d'enquête que les seuls entrepreneurs qui ont des liens avec le monde de la
recherche ou qui envisagent d'en avoir sont les étudiants- entrepreneurs de l'université, comme
nous l'avions décrit plus haut. Les entrepreneurs qui ont déjà quitté l'enseignement supérieur ou
72
a fortiori ceux qui ont un niveau d'étude inférieur à BAC+5 ne manifestent pas d'intérêt pour la
recherche. De ce point de vue, les étudiants de l'université ou des grandes écoles sont dotés
d'un capital social qui leur permet grâce à des liens étroits avec leurs enseignants-chercheurs
d'accéder plus facilement au monde de la recherche.
Concernant le besoin de stagiaires ou de recrutement, les entrepreneurs diplômés d'écoles
supérieures ou de l'université se tournent plus facilement vers leur centre de formation d'origine
pour trouver des stagiaires, comme ce fut le cas des associés de deux des entrepreneurs
interviewés. En revanche pour un entrepreneur qui ne vient pas du monde de l'université,
comme c'est le cas de l'entrepreneur F qui a fait un BTS dans un lycée, l'accès à ce type de
ressource demande plus l'investissement en temps. Ainsi quand je lui demande s'il a des
relations avec les écoles ou l'université, il me répond négativement et l'explique ainsi:
«Après ça m’intéresserait mais en même temps … ce qui me fait peur c’est que je suis
débordé par mon activité, (...) j’aimerais développer les rencontres, aller à la rencontre
des écoles comme le forum [allusion au forum Descartes], je vais essayer d’y participer,
mais si je commence à mettre le doigt dedans ça va générer beaucoup de rencontres
beaucoup d’échanges et qui vont me pénaliser dans mon travail (…)parce que je sens,
je suis sûr que je peux trouver des salariés motivés à côté de chez moi et c’est
dommage d’aller chercher ça ailleurs alors que les gens ils sont à coté, ils sont peut-être
intéressés de venir nous voir, même pour des stages ou pour des TP, ils pourraient très
bien venir ici faire un test avec nos scanners et ça sert aussi à nous faire connaitre je
vois plusieurs intérêts à tout ça (...) mais j’aurais pas le temps de l’organiser »
Notre enquêté ne dispose pas du « réseau durable de relations plus ou moins
institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance » (Bourdieu, 1980) au sein du
monde académique, des écoles et de l’université. Il doit passer par des médiations comme le
forum pour rencontrer les étudiants. Or ce type d'événement est trop chronophage pour lui, ce
qui le pénaliserait dans son activité. Le cout de transaction est trop important, donc il y renonce.
Les entrepreneurs les moins diplômés présentent donc par rapport aux autres un déficit de
capital social qui leur rend l'accès au monde académique du campus Descartes plus difficile.
3.2.3 Des coûts de transaction trop élevés en cas d'absence de proximité
organisée
Nous proposons d’analyser dans ce paragraphe plusieurs tentatives d'interactions, plus ou
moins fructueuses, entre des acteurs de mondes sociaux différents pour montrer plus
précisément quelles sont les difficultés rencontrées.
Interactions Recherche - acteurs publics
Nous avons pu observer cette difficulté dans la conduite de cette enquête.
73
Lorsque j'ai rencontré un représentant du CCI (pépinière) pour lui parler de mon projet
d'enquête, je lui ai demandé s'il était possible d'offrir mes services dans le but de faire de
l'observation dans le cadre d'un travail de recherche. Si la méthode de l'observation
ethnographique est largement pratiquée en sociologie, cette méthode n'est pas du tout connue
dans le milieu dans lequel j'arrive et auparavant mon interlocuteur n'a jamais eu affaire à des
sociologues. Je constate assez rapidement que je dois bannir de mon langage un vocabulaire
trop sociologique, pour ne pas être discréditée. Dans son enquête sur les chercheurs
entrepreneurs, Lamy relatait également les difficultés de certains doctorants à « apprendre à
communiquer sous une autre forme » (2008).
Néanmoins mon interlocuteur se montre très ouvert, en me demandant de lui envoyer un CV
afin qu'il le transmette à ses services « RH » pour un stage. Nous convenons en grande ligne
du contenu du stage qui consistait à accompagner les entrepreneurs dans leur processus
d'innovation.
À titre de comparaison, j'ai enquêté sur un autre terrain, dans l’accélérateur de startups du
NUMA34 à Paris. Les animateurs du lieu ne m'ont pas demandé de CV ni soumis à une
procédure de recrutement mais m'ont proposé de venir quand je voulais et m'installer ou je
voulais pour faire de l'observation. La différence entre des ceux terrains d'enquête étant que le
NUMA est un lieu qui se veut « ouvert » et habitué à accueillir des doctorants et des chercheurs
et à adopter des méthodes originales de travail.
Quelques temps après, le représentant du CCI est revenu vers moi pour me dire que mon
dossier n'avait pas été retenu par les services «RH» car ils préféraient un profil plus financier
pour faire des business plan.
Dans cet exemple d'interaction, on s'aperçoit qu'il y a incompréhension mutuelle, d'un côté une
institution peu habituée à participer à des travaux de recherche en sciences humaines et n'y
voyant pas ou peu intérêt, préférant recruter des étudiants des filières professionnelles de
gestion qu'elle connaît déjà et de mon côté j'attendais du CCI une autorisation d'accès et de
participation à la vie de la pépinière sans anticiper que cette démarche ne rentrant pas dans les
normes de l'établissement serait rejetée.
Finalement j'ai quand même pu « négocier » une mission bénévole consistant à préparer une
journée porte-ouverte pour la pépinière. Mon interlocuteur, s'il ne m'a pas donné accès aux
documents internes du CCI et ni aux réunions internes, m'a toutefois permis de rentrer en
relation avec plusieurs entrepreneurs de la pépinière pour réaliser cette enquête.
34 Le NUMA est un cluster spécialisé dans le numérique à Paris dans le 10e. Il est organisé par une
association d’entreprises, Silicon Sentier. Le NUMA fédère toutes ses activités au sein d’un bâtiment qui héberge un espace de co-working, un accélérateur de startups, un espace de R&D ainsi que diverses salles d’animation.
74
Je n'ai pas su réellement quelles étaient les réticences du CCI contre une enquête
sociologique, cependant quand je demande à mon interlocuteur s'il a des liens avec des
enseignants-chercheurs de l'UPEM, il me répond négativement.
Les coûts de transactions sont élevés en termes de temps passé et de négociation. Il faut
également réussir à dépasser les éventuelles représentations négatives que les acteurs
peuvent avoir les uns envers les autres. En revanche on peut supposer que demain si un
étudiant vient le voir pour la même demande, la confiance pourra s'établir plus rapidement. Ces
coûts sont donc surtout élevés pour établir une première relation.
Lors d'un autre échange, je lui parle du DUCA (diplôme universitaire de formation à la création
d'entreprise et d'activités au sens large) dont il ignorait l'existence. Le DUCA fait partie de l'IUT
de Champs sur Marne situé en face de la pépinière. Il se montre alors intéressé pour rencontrer
le responsable du DUCA et nous convenons que j'essaye de le joindre. En effet le DUCA forme
des potentiels créateurs d'entreprise qui naturellement pourraient avoir besoin des services de
la pépinière par la suite. A la sortie de notre échange, j'obtiens au sein de l'université les
coordonnées du responsable du DUCA, je tente de le joindre mais son «secrétariat» fait
barrage. Je le contacte alors par mail, message qui restera sans réponse. La tentative de mise
en relation échoue vraisemblablement car le responsable de formation ne me connait pas et par
« manque de temps ».
Interactions Recherche - Entrepreneurs
Lors de notre entretien, l’entrepreneur E, qui est très peu encastré localement nous fait part
d’un besoin de son activité qui est de traduire et d'adapter pour la France un logiciel étranger. Il
comptait faire faire un devis par une société selon un processus classique et durant notre
conversation, alors que nous parlons des autres acteurs du cluster, il me demande :
«si demain je veux faire traduire un logiciel, quelle est la procédure ? Est-ce que je peux
demander à un ingénieur? (..) mais si des étudiants sont intéressés ou si euh comment
on appelle ça, des incubés ou des startups ou des labos de recherche si ça les
intéresse, voilà, quelle est la procédure? Y a un dossier? Y a quelque chose? [rire] »
Cette question montre que dans le cas présent le cluster est vu comme une entité qui aurait sa
propre organisation. Comme cet enquêté a perçu que le cluster était porté par des acteurs
publics, il parle de notions administratives, de procédure, de dossier. Surtout ce témoignage
montre la difficulté pour un acteur qui n'est pas du tout encastré dans un milieu de comprendre
comment il fonctionne et d'y rentrer. Il révèle en outre une méconnaissance des autres mondes
sociaux, il est improbable en effet que des étudiants ou des chercheurs soient intéressés par
une mission qui serait juste de la traduction d'un logiciel à réaliser bénévolement. Cependant
cet exemple montre aussi qu'une fois sensibilisé à la présence de pleins d'autres acteurs sur le
territoire, acteurs qui seraient potentiellement accessibles même s'il ne sait pas comment faire,
cet entrepreneur s'intéresse aux potentiels de proximités.
75
Réciproquement quand je demande à un chercheur s'il connaît les entreprises locales, il me
répond
«je sais même pas qui c'est, où elles existent ou est-ce qu'on les voit, où est-ce qu'on
les rencontre. J'ai jamais eu d'informations là-dessus. Donc le tort c'est peut-être de pas
l'avoir cherché, on a autre chose à faire quand même euh je ne sais même pas
comment ça se passe.»
Ce chercheur n'est pas opposé au fait de connaître les entreprises locales mais il ne sait pas
« comment ça se passe». Quand ce même chercheur avait rencontré un autre laboratoire de
recherche du campus pour un partenariat, il avait dit l'avoir rencontré «comme ça se passe
toujours».
Donc en l'absence de lien faible et de proximité organisée, le monde économique et le monde
académique ne peuvent pas se rencontrer, faute d’interaction et faute de connaitre les normes
et routines de comportement de l'autre monde.
Durant l'entretien, ce chercheur me fait part d'un mail transféré très récemment par un membre
de l'université qu'il connaît «de nom» et qui travaille pour le SAIC35. Le mail est une invitation de
la SATT36 Île de France pour participer à une grande journée sur le Big Data, qui a pour objectif
de présenter aux entreprises les laboratoires franciliens travaillant sur cette thématique.
En me parlant du mail, il me fait part de son étonnement, pourquoi ce mail lui a-t-il été adressé,
par une personne qu'il ne connaît pas. Il lit le mail «nous organisons conjointement avec le CFI,
les pôles de compétitivité franciliens, la préfecture et la SATT Lutech, un après midi de
présentation des laboratoires (...)». En même temps qu'il lit, il commente l'air agacé «CFI je ne
sais même pas ce que c'est», «les pôles des compétitivités francilien sûrement», «la préfecture
et la SATT lutech je sais pas ce que c'est, faut que je me renseigne [en insistant sur cette
phrase pour montrer l'effort que cela lui demande]»
En regardant la liste des destinataires, il s'étonne de découvrir des noms de personnes ou de
laboratoires du campus qui travaillent aussi sur le Big Data.
Il trouve cela finalement intéressant mais en relisant le mail, il manque d'informations
importantes, il ne sait pas où se passe l'événement, comment est-il organisé: ateliers, démos,
conférences? Quel est le format attendu des présentations? Qui est le public?
Finalement il dit retenir du mail surtout le nom d'un acteur local qu'il a vu dans les destinataires
qui est un acteur académique avec qui il pourrait échanger.
Nous ne savons pas si finalement notre interlocuteur s'est rendu à l'événement, il est fort
probable qu'il n'y soit pas allé compte-tenu du cadre peu familier de l'événement. En revanche il
est plus probable qu'il ait pris contact avec l'autre acteur académique du campus qu'il a
découvert -par hasard- grâce à ce mail.
Cette interaction montre aussi la difficulté pour les acteurs essayant de faire l'interface entre
monde académique et monde économique de rallier l’ensemble des acteurs à leurs initiatives.
Le vocabulaire et les sigles utilisés constituent une première barrière, le format inhabituel de la
35 Service des activités industrielles et Commerciales de l’Université 36 Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies
76
rencontre, de surcroît peu précisé, constitue une seconde barrière, enfin l’absence de lien,
même faible, entre l'émetteur du mail, les destinataires du mail et notre enquêté représente un
autre frein.
Interactions Étudiants - acteurs publics
L’entrepreneur B nous dit être en contact avec la pépinière grâce à une rencontre organisée
dans le cadre de Tous créatifs, il a fait connaissance avec un représentant de la CCI qui lui a
proposé de passer à la pépinière pour une aide juridique dans sa création, il nous dit que suite
à cette rencontre: «maintenant je sais qui aller voir, je sais comment aller les voir».
Néanmoins à un autre moment de l'entretien, voyant que je connaissais le responsable de la
pépinière, il me dit qu'il souhaiterait visiter la pépinière et il me demande s'il peut aller les voir
juste après «comme ça, au culot», ou s'il faut prendre rendez-vous avant.
Sa première prise de contact avec le responsable qui a permis de créer un lien faible n'enlève
cependant pas les barrières qui existent entre ces deux mondes sociaux. Notre enquêté a
affaire à une autre institution dont il ignore les règles et il se demande donc quel est le
formalisme attendu.
Les liens institutionnels entre la pépinière et le dispositif Tous Créatifs permettent de mettre en
relation les acteurs, cependant cela n’enlève pas complètement les barrières d’entrée dans un
autre monde social. Un certain volontarisme est nécessaire, ainsi qu’une prise de risque, le
risque d’être en décalage par rapport aux normes d’un milieu.
Les liens personnels préexistants permettent de gommer en partie ces barrières de manière
imperceptibles pour les deux parties.
Nous abordons à présent un exemple d’organisation mis en place par le CSTB pour la
commercialisation des travaux de recherche.
3.2.4 Le service commercial de CSTB éditions : un moyen de réduire les
coûts de transaction entre monde académique et monde économique ?
Lorsque nous avons demandé à notre enquêté chercheur d’un laboratoire de l’Université Paris-
Est (chercheur qui n’appartient pas au CSTB), pourquoi il ne commercialisait pas le logiciel qu’il
avait développé, il nous répond :
« On pourrait très bien le faire, car on sait très bien ce qu'on a dans le moteur. On
pourrait très bien désigner le truc pour en faire une capacité de ... Mais si on le fait faut
le faire sérieusement ça veut dire protéger le truc, il faut le borner, pour le vende il faut
l'isoifier d'une façon ou d'une autre, apporter aux clients des garanties qui fait que du
coup sur le plan méthodologique et analytique on peut garantir des résultats, ce qui est
pas facile à conduire, c'est une compétence en tant que telle, ça veut dire qu'il faudrait
77
embaucher une personne supplémentaire ensuite il faudrait s'occuper de la vente, il
faudrait aussi dans un relationnel, c'est pas que du commerce conduire l'analyse, ça
pourrait être un travail d'étude et de consultant. Or nous on est sur on vous offre des
capacités en ligne, on vous forme, c'est quasiment orthogonal du point de vue de
l'organisation avec ce qu'on pourrait faire ou ce qu'on devrait faire si on était une
entreprise. Donc pour l'instant c'est pas du tout le trajet qu'on prend. »
Par conséquent la démarche de valorisation commerciale apparaît très compliquée, nécessite
des « compétences » spécifiques et donc un recrutement supplémentaire ainsi qu’un
changement d’organisation, ce qui finalement dissuade notre interlocuteur. Cette démarche
représenterait un coût financier, mais selon nous ce n’est pas l’obstacle principal puisque des
bénéfices seraient espérés en retour. L’obstacle principal nous semble être le coût de
transaction généré par le fait de passer d’un monde entièrement académique à une logique
économique exigeant beaucoup de recherches d’informations (comment « isoifier » le produit,
comment le protéger juridiquement par exemple) et des négociations avec de nouveaux acteurs
chargés de la vente, de la partie « étude » et de la « relation client ».
A titre de comparaison, nous relatons l'expérience des chercheurs travaillant pour CSTB
Éditions. En effet la représentante du CSTB que nous avons rencontré nous a expliqué le
changement de «mentalités» qui s'est opérée selon elle parmi la population des chercheurs du
CSTB, qui constitue la majorité des quelques 900 collaborateurs. Le CSTB édite des logiciels
depuis 20 ans, il s'agit de logiciels issus de projets de recherche visant à faciliter la construction
par des outils numériques. Jusqu'à récemment cette activité était en grande partie non exploitée
commercialement. Certaines équipes commercialisaient leur logiciel mais de manière isolée et
dans le cadre d'une initiative individuelle : «pour le commercialiser c'était plus en fait la bonne
volonté du chercheur soit pour le commercialiser dans son réseau auprès d’intermédiaires qu'il
connaissait avec une autre équipe de recherche, des choses comme ça».
La plupart du temps les équipes nouaient des partenariats avec des grands comptes comme
Bouygues ou Eiffage et en échange de leur contribution et de leurs apports dans le
développement du produit, des licences étaient accordées gratuitement.
Quand notre enquêtée est arrivée dans l'entreprise, elle a eu l'idée d'utiliser la «force
commerciale», une équipe de 4-5 personnes, pour vendre les logiciels. Tous les logiciels jugés
commercialisables, une dizaine, ont été alors intégrés dans le catalogue de vente du CSTB,
après avoir subi quelques modifications et après discussion avec les équipes de recherche.
L’offre proposée consiste soit à vendre le cœur de calcul soit à vendre des licences. Le service
commercial a alors fait un travail de marketing classique consistant à cibler des prospects via
des listes externes pour pouvoir ensuite les démarcher.
Les partenariats précédents octroyant des licences gratuites ont été rompus. Les chercheurs
devaient renvoyer leur partenaire vers le service commercial pour la «négociation» et pour toute
la relation commerciale. Un service juridique se charge de toutes les protections. Un service de
SAV centralisé a été créé ainsi que des outils «CRM» de connaissance clients, d'analyse des
usages et de recueil des remontées des utilisateurs. De manière périodique, les acteurs
débattent de l'évolution des logiciels:
78
«Les chercheurs ont également une mission de maintenance, une fois par trimestre des
évolutions sont décidées en fonction des retours terrain. Soit on prend le risque d'un
développement supplémentaire soit on se dit là on arrête c'est un système en perte de
vitesse. (...) On les accompagne parfois par exemple sur le graphisme, c’était totalement
absent».
Les gains réalisés sont réinvestis dans les programmes de recherche.
Dans l'exemple du CSTB, une proximité entre un service commercial et le monde académique
a pu être créée grâce à l'appartenance à la même institution, laquelle a de plus incité fortement
la valorisation commerciale des travaux de recherche.
Le service commercial bien qu'ayant une logique marchande a réussi à convaincre au moins
une partie des chercheurs à contribuer à cette démarche, malgré les réticences rencontrées :
« Ca les inquiète quand même (…), ils ont fait un produit, ils se disent qu'ils perdent une partie de leur vie s'ils le confient à quelqu'un d'autre, en gros leur sort est entre
mes mains et ça intellectuellement c'est pas toujours évident même s'ils savent que
potentiellement ça peut leur rapporter beaucoup plus que si ils le faisaient eux-mêmes »
Néanmoins les chercheurs ne sont pas directement impliqués dans la démarche commerciale,
ce qui peut expliquer sans doute leur adhésion. Nous n’avons pas de témoignage de chercheur
du CSTB pour confirmer cette hypothèse. Cependant, comme l’avait montré l’enquête de Lamy
au sujet des chercheurs-entrepreneurs (2008), les entrepreneurs de type « académiques »,
c’est-à-dire ceux qui maintenaient une certaine distance avec leur entreprise, privilégiant
d’abord l’intérêt de leur travail « scientifique », étaient ceux qui réussissaient le mieux et qui
tiraient le plus de satisfaction de leur expérience entrepreneuriale. A l’inverse, la catégorie des
« Pionniers », les chercheurs-entrepreneurs qui selon l’auteur font primer l’intérêt économique
sur l’intérêt scientifique, « sont de loin ceux qui rencontrent le plus de difficultés lors de leur
engagement, et sont le plus exposés aux tensions entre le laboratoire et l’entreprise » (Ibid.,
p.22). La catégorie intermédiaire des « Janus », c’est-à-dire les chercheurs-entrepreneurs qui
séparent bien l’entreprise et le laboratoire mais sans faire primer l’un sur l’autre, s’en sort mieux
que les Pionniers mais moins bien que les « académiques » selon Lamy.
Notre enquêtée nous explique que la posture des chercheurs du CSTB s'est petit à petit
inversée, si au départ notre enquêtée devait les solliciter, ce sont eux qui maintenant la
sollicitent pour proposer une démarche commerciale ou un partenariat avec d'autres éditeurs
qui vendent aussi des logiciels du CSTB.
Comme le rappelait Abecassis (1992), pour diminuer les coûts de transaction, une
entreprise internalise une transaction pour ne plus recourir au marché.
Dans l’exemple du CSTB, les chercheurs n’ont pas eu à recourir directement au marché car
un service commercial interne se chargeait de faire l’interface. Ainsi dans le cas du CSTB,
le coût de transaction pour les chercheurs est moindre que dans le cas du premier
chercheur cité précédemment.
79
Compte tenu des coûts élevés de transaction, on comprend dès lors que les différents mondes
sociaux risquent de rester étanches malgré la proximité géographique. L’organisation originale
mise en place par le CSTB Editions permet un rapprochement entre la recherche et le monde
économique, en réduisant les couts de transaction pour les chercheurs et en maintenant une
certaine frontière entre les deux mondes.
Nous proposons dans la suite d'aborder les «objets frontière», qui sont, nous semble-t-il, une
piste de réflexion pour lever ces barrières.
3.3 Le rôle des «objets-frontières» pour abaisser les coûts de transaction et
augmenter les liens faibles
3.3.1 Qu’est-ce qu’un objet-frontière ?
Dans leur étude sur la mise en place d'un nouveau musée zoologique à Berkeley dans les
années 1907-1939, Star et Griesemer (1989) décrivent la nécessité de créer des «objets-
frontières» (boundary objects) afin de faire coopérer divers mondes sociaux très différents. Bien
que tous travaillent sur le même projet, chaque monde social a une représentation du projet et
des finalités différentes. Le consensus, selon ces auteurs, n'est pas nécessaire ni pour
coopérer ni pour mener à bien un projet, en revanche les objectifs de chacun doivent se
réconcilier au travers des objets-frontières, c'est à dire des objets «which are both plastic
enough to adapt to local needs and the constraints of the several parties employing them, yet
robust enough to maintain a common identity across sites.» (Star, Griesemer, 1989, p. 393).
Les auteurs précisent plus loin que «The creation and management of boundary objects is a
key process in developing and maintaining coherence across intersecting social worlds».
L’objet-frontière selon sa définition d’origine
La notion d’objet-frontière a été beaucoup utilisée37, en particulier pour sa première dimension
qui est la « flexibilité interprétative » (Star, 2010). Cependant comme l’a rappelé Star (2010), ce
concept comporte deux autres dimensions :
Les deux autres dimensions des objets-frontière, bien moins cités ou utilisés, sont 1) la
structure matérielle / organisationnelle des différents types d’objets-frontière et 2) la
question d’échelle et de granularité. Les objets-frontière sont un arrangement qui permet
à différents groupes de travailler ensemble sans consensus préalable. Toutefois, leurs
formes ne sont pas arbitraires. Ce sont essentiellement des infrastructures organiques
apparues à cause « des besoins d’information » (…). J’ajouterai maintenant « les
exigences de l’information et du travail » perçues localement par les groupes qui veulent
coopérer. (...) L’important pour les objets-frontière est la façon dont les pratiques se
37 Sur Google scholar, l’article fondateur de Star et Griesemer de 1989 a été cité 5205 fois, consultation
le 3 janvier 2015.
80
structurent et la manière dont le vocabulaire émerge, pour faire des choses ensemble
(Becker, 1982).
Le mot frontière est utilisé par Star pour désigner un « espace partagé » qui constitue une
frontière entre des groupes grâce à sa flexibilité. Star définit ainsi l’objet :
L’objet (lisez ceci comme un ensemble d’arrangements de travail à la fois matériels et
procéduraux) se situe entre plusieurs mondes sociaux (ou communautés de pratiques)
ou il est mal structuré.
Quand c’est nécessaire, des groupes locaux travaillent sur l’objet, qui conserve sa
vague identité d’objet ordinaire, tandis qu’ils le rendent plus spécifique et plus adapté à
une utilisation locale, au sein d’un monde social, et ainsi plus utile à un travail qui n’est
PAS interdisciplinaire.
Les groupes qui coopèrent sans consensus alternent entre ces deux formes de l’objet.
(Star, 2010)
La notion d’objet frontière a été opposée à la théorie de l’acteur-réseau de Callon et Latour,
selon laquelle l’innovation est portée par un acteur stratégique qui va rallier un nombre
croissant d’acteurs à une vision commune. L’innovation s’incrémente alors au fur et à
mesure des alliances. Peters et al comparent « l’objet intermédiaire », utilisé dans la théorie
de l’acteur-réseau et l’objet-frontière (2010) :
Les objets- frontière sont les témoins des multiples traductions et du travail collectif de
coordination opérés par les acteurs en présence, ainsi que du poids des inerties, des
défaillances, des ruptures, des négociations et débats entre ces acteurs. Par opposition,
les objets intermédiaires témoignent du travail de traduction d’un acteur principal
(l’innovateur) qui cherche à enrôler d’autres acteurs et à stabiliser le processus autour
d’un objet, qui devient le témoin du processus de connexion entre les différents acteurs.
Les objets-frontière invitent donc à une lecture davantage dynamique de l’innovation.
Pour les auteurs, l’objet-frontière est un « marqueur temporel » dans le processus
d’innovation : « les objets-frontière présentés dans ce cas scandent les différentes phases
du processus innovant et limitent les possibilités de choix au fil de l’avancement du projet »
(Ibid.). Pour les auteurs, les objets-frontière permettent par rapport aux objets
intermédiaires de faire émerger des tensions et des négociations entre différents groupes.
L’objet-frontière met alors en place des « mécanismes d’exclusion » de certains usagers
potentiels.
Un exemple d’objet frontière dans un cluster allemand : le concours « BioRegio »
Un concours est organisé par le ministère de la recherche allemande en 1996 dans le but de
promouvoir des sites d'excellence dans l'industrie biotechnologique allemande et de rattraper
son retard (Champenois, 2008). Les trois régions sorties gagnantes du concours, Heidelberg,
Cologne et Munich, ont alors mis en place une association «BioRegio» pour identifier et
81
sélectionner les projets de R&D qui devaient être portés exclusivement par des PME ou des
startups locales. Cette association était chargée de repartir les 25 millions d'euros de dotations.
Elle rassemblait par conséquent le monde de l'enseignement et de la recherche, les cellules de
transferts, des incubateurs et des pépinières ainsi que des sociétés de capital risque, des PME
et des entrepreneurs.
Ce rapprochement science-industrie ne s'est pas fait sans difficulté. Claire Champenois
rapporte par exemple que «si les acteurs locaux choisissent la forme juridique de l’association,
c’est que celle-ci est jugée plus acceptable et rassurante aux yeux de la population
académique, qui a manifesté une grande réticence vis-à-vis d’un dévoilement de leurs projets et
d’un rapprochement avec l’industrie». L'association «BioRegio» constitue un objet- frontière
entre le monde académique et économique. Les acteurs ne partagent pas tous les mêmes
finalités mais réussissent à se réconcilier à travers une association visant pour les uns à
valoriser des travaux de recherche et pour les autres à développer une activité économique.
Pour l'auteur ce contexte explique que les biotechnologies aient connu «un essor spectaculaire
en Allemagne après 1995, caractérisé par une politique d'investissement dans les startup
associée à un rapprochement étroit science-industrie».
Nous nous intéressons maintenant à Tous créatifs, ce dispositif nous semble être en effet le
plus remarquable exemple d'objet-frontière du cluster Descartes entre le monde entrepreneurial
et le monde académique local.
3.3.2 Le dispositif Tous Créatifs
Un dispositif qui réunit le monde économique et monde académique
Le dispositif Tous Créatifs est un dispositif de promotion et d'accompagnement de
l'entrepreneuriat étudiant. Il s'adresse à tous les étudiants du campus porteurs d'un projet. Ce
dispositif rentre dans le cadre du programme «PEPITE 3EF»38 mené par l'Education Nationale.
Le dispositif se décompose en trois phases, tout d'abord la journée «Tous sensibilisés» qui vise
à présenter la démarche d'entrepreneuriat étudiant, à faire témoigner des enseignants et des
entrepreneurs issus du campus et à réponde aux questions. Des ateliers de créativité sont
également montés.
Une deuxième phase «Tous Connectés» consiste en un «speed dating» devant un jury et le
public. Le jury sélectionne un projet auquel est attribué une petite dotation financière. Cette
soirée comprend également un cocktail-dinatoire et un «espace conseils» pour les futurs
entrepreneurs.
Une troisième phase «Tous Labellisés» consiste à fournir un accompagnement personnalisé
aux étudiants entrepreneurs et un accès vers les structures dédiées, pépinière et incubateur.
38 Pôle Étudiant pour l'Innovation, le Transfert et l'Entrepreneuriat
82
Entre la première et la deuxième phase, une personne de l'université accompagne les étudiants
dans toutes les formalités de la création d'entreprise et organise des ateliers de travail avec les
étudiants.
A partir de nos entretiens et des documents imprimés diffusés lors de ces événements, nous
avons reconstitué le réseau d'acteurs participant à ce dispositif:
Figure 2 : Cartographie des acteurs ayant contribué ou participé à Tous connectés en 2014
Certains acteurs sont uniquement partenaires de l'événement, d'autres participent au jury. En
2014, les acteurs qui participaient au jury étaient les acteurs publics, l'incubateur, la banque
LCL, un enseignant et chargé de mission entrepreneuriat de l'université, ainsi que deux
représentants du monde de l'entreprise, le président de l'ACEM, association de chefs
d'entreprises de Marne-la-Vallée et le président de Woptimo, une agence marketing de la cité
Descartes.
La soirée est animée par le vice-président Enseignement –Professionnalisation de l’UPEM.
On notera l’absence des chercheurs. Au sujet des laboratoires de recherche, notre enquêtée de
l’université nous dit «c'est vrai que la connexion ne s'est pas faite» en ajoutant qu'il y a très peu
ESIEE
ENPC
UPEM
Associations de PME
Banque LCL
Agence de marketing
Agence Descartes Développement
PépinièreCCI
IncubateurSeine et Marne Développement Val Maubuée
Marne la Vallée
Tous Connectés
Etudiants
Enseignants
Monde académique
Monde économique
Acteurs publics
83
de doctorants, en faisant référence à Tous Sensibilisés. On notera également l'absence des
grandes entreprises du cluster.
Genèse du dispositif
Nous avons rencontré une responsable du bureau d'insertion de l'université qui est à l'origine du
dispositif. Elle nous explique avoir commencé par répondre à un appel d'offres en 2010 pour
créer un Pôle Entrepreneuriat Etudiant. Ayant répondu trop tardivement, le projet n'a pas été
retenu. Cependant, soutenue par la vice-présidente de l'université et aidée par une enseignante
de l'université impliquée dans l'entreprenariat, elle a souhaité poursuivre le projet:
« Mais on a trouvé que finalement, bien qu'on n'ait pas été retenu, on pouvait quand
même faire quelque chose, y avait des choses à faire qui coûtaient pas bien cher et c'est
comme ça que ça a démarré. Alors la vice-présidente a mis un petit budget sur la table
et puis on a commencé».
Cette initiative l'a alors poussé à prendre contact avec les acteurs locaux :
«On a pris contact avec l'agence Descartes Développement (...) On a pris contact avec
les professionnels du coin via l'agence Descartes Développement, via les syndicats
d'agglomération, un tas de partenaires locaux. On a pris contact avec des
professionnels de la création, des accompagnateurs notamment et on a organisé une
journée. Le matin c'était des témoignages, des jeunes créateurs, puis l'après-midi des
informations.»
Le dispositif en trois phases a été conçu avec l'agence Descartes. Je lui demande si pour
concevoir ce dispositif elle a repris un concept existant dans une autre université:
«- non on a eu des petites réunions avec les trois personnes là à trois plus l'agence
Descartes et on a fait une espèce de brainstorming qu'est-ce qu'on pourrait faire, et on a
imaginé ce dispositif comme ça
- de manière presque non officielle?
- non officielle absolument puisque on n'était pas financé, on n'était pas retenu.»
Plus loin elle nous dit :
«la vice-présidente c'était quand même pas son activité principale moi non plus, on
faisait ça à nos moments perdus bon euh. Malgré tout on s'est accroché on a organisé
Tous connectés en juin 2012».
En 2012, elle répond à un autre appel d'offre, cette fois l'université est labellisée « PEE 3EF »
mais aucun financement n'est prévu.
Dès le départ le projet a été inter-établissement, condition pour répondre aux appels d'offre et
pouvoir être financé. L'université de Créteil, l'Ecole des Ponts et puis l'école des travaux publics
font donc partie du projet piloté par l'UPEM.
84
Plus loin dans l'entretien elle nous explique ses motivations:
«Moi je croyais fort à l'entreprenariat car je voyais qu'il y a beaucoup d'étudiants que ça
intéresserait et j'avais l'idée que c'était très bon pour eux parce que avant tout ça j'avais
initié ce qu'on appelle les mini-entreprises».
Ainsi, en 2009 avec un professeur de lettres elle créé la première mini-entreprise dans une
université, le dispositif était auparavant réservé au secondaire :
«D'un point de vue pédagogique c'est fantastique y a un travail de groupe et surtout y a
un moteur y a une passion y a un projet et ce qui est frappant c'est que la première mini-
entreprise c'était des étudiantes en lettres plutôt médiocres et qui se sont révélées».
Le projet consistait en un guide des études de lettres, qui a été ensuite acheté par le conseil
général.
Pour notre interlocutrice, l'entrepreneuriat est un grand enjeu pour l'enseignement et pour
l'économie:
«Ce que je trouve navrant dans le supérieur, c'est que les étudiants sont quand même
très passifs, enfin beaucoup et là on avait quelque chose qui donnait du sens à leurs
études. Y a un vrai désir, un vrai enthousiasme qui est présent chez les étudiants, chez
les jeunes en général. C'est vrai que de le soutenir c'est primordial, c'est primordial pour
les étudiants eux-mêmes parce que ça leur donne un vrai moteur, c'est primordial pour
l'université car ça permet de renouveler les pratiques je trouve et puis c'est primordial
aussi pour l'économie générale»
Un succès inattendu malgré des moyens limités
La première journée Tous Sensibilisés lors de la première édition a réuni 190 personnes alors
que les organisateurs en attendaient 50. Ce premier succès encourage une deuxième édition,
cette fois organisée par l'IAE de Créteil. La deuxième édition attire 500 personnes et la
troisième édition qui s'est tenue à l'Ecole des Ponts a rassemblé 750 personnes dans deux
amphithéâtres. L’évènement réunit des étudiants, des enseignants et des professionnels.
Cependant elle déplore le manque de moyens associés qui ne sont pas à la hauteur du succès,
les étudiants ne peuvent pas être accompagnés. Elle nous dit :
«L’aspect accompagnement des étudiants a complètement foiré et ce qui fait que la
troisième étape, qui était l'étape tous labellisés, c'est à dire l'idée c'était de faire émerger
un, deux ou trois projets qui puissent être pris en charge par une structure de type
incubateur ben ça n'a pas fonctionné. Ca a fonctionné mais grâce à la débrouillardise
des étudiants eux-mêmes mais nous on n'a rien fait pour».
De plus, faute de moyens, aucun suivi n'est réalisé, ce qui explique que l'université n'ait pas de
statistique disponible sur les étudiants entrepreneurs.
Depuis septembre 2013 en revanche un nouveau poste a été créé à l'université pour
accompagner les étudiants et le dispositif s'est professionnalisé.
85
Parmi nos autres enquêtés du monde entrepreneurial et institutionnel, soulignons que nous
avons relevé plusieurs critiques sur ce dispositif. Certains pointent la moindre qualité des
projets de l'année 2013, ce qui a été reconnu par les représentants de l'université. Une autre
critique remettait en question la légitimité de l'université dans cette posture. Enfin un
enseignant-chercheur qui n'a pas participé aux différents événements parlait d'opération de
«communication».
Conclusion
Tous Créatifs constitue un objet-frontière entre une partie du monde académique et une partie
du monde économique local. Le dispositif offre en effet la « flexibilité interprétative » nécessaire
pour rassembler des acteurs hétérogènes. Tout en véhiculant une identité commune, le
dispositif peut s’adapter aux besoins et exigences des différents acteurs: l’université y voit un
débouché pour ses étudiants, les acteurs publics promeuvent à travers ce dispositif la création
d’activité et d’emploi sur le territoire, les structures d’accompagnement peuvent y sélectionner
de futurs entrants, enfin les entreprises peuvent soutenir l’entreprenariat et nouer des liens avec
les autres acteurs.
Par ailleurs Tous Créatif présente une structure organisationnelle propre à créer plusieurs types
d’objet-frontière : la journée d’information Tous Sensibilisés qui fait participer de nombreux
intervenants, entrepreneurs, enseignants, acteurs publics; le jury de sélection de Tous
connectés lors duquel des acteurs hétérogènes doivent se mettre d’accord sur le choix des
lauréats.
Enfin les différents objets-frontières créés constituent un arrangement qui permet aux différents
groupes de travailler ensemble sans qu’il y ait nécessairement besoin d’un consensus
préalable. Certains groupes peuvent travailler sur l’objet localement au sein d’un monde social
sans que ce travail soit interdisciplinaire, comme c’est le cas par exemple des ateliers mis en
place par l’université pour aider à la construction des projets des candidats et les préparer au
speed dating de Tous Connectés.
Le dispositif Tous Créatifs, par son rôle d’objet-frontière, a permis de créer des liens faibles
entre de nombreux acteurs de mondes hétérogènes, précédemment sans lien. Créant entre les
participants une proximité institutionnelle et organisationnelle, il permet d’abaisser les coûts de
transaction entre les différentes entités.
Le récit de la création de Tous Créatifs a mis en lumière que sans l'idéal des acteurs qui ont
travaillé "clandestinement" pour mettre en place un projet dans lequel ils croyaient, ce projet
n'aurait sans doute pas vu le jour, ce qui nous amène à aborder un autre élément clé dans la
volonté de coopérer ensemble pour innover: l'imaginaire.
86
3.4 Le rôle de l’imaginaire dans l'innovation
Patrice Flichy a montré le rôle décisif de l'imaginaire dans l'innovation (2001). L'auteur s'est en
particulier intéressé à Internet. Il a ainsi décrit les nombreuses utopies et idéologies qui ont
permis de mobiliser les internautes et de diffuser Internet, sans que les internautes en soient
forcément conscients. Les concepteurs ont pu transformer en une réalisation concrète leurs
rêves et leurs projets, comme ceux d'une société numérique autorégulée, du cyberespace, des
communautés en lignes, des «autoroutes de l'informations» ou d'une nouvelle économie (Ibid.)
Pour que les objectifs du cluster puissent se concrétiser, le cluster doit de la même façon être
porteur d'idéaux capables de mobiliser un grand nombre d'acteurs. Nous analysons dans cette
partie les représentations qu'ont les enquêtés du cluster. Ensuite nous analysons de plus près
un acteur du cluster qui selon notre enquête est porteur d'un fort imaginaire, la d.school.
3.4.1 Les difficultés du cluster à s’imposer comme un idéal partagé par tous
Le cluster, un idéal porté uniquement par les acteurs publics?
Le nouveau président de l'agence Descartes Développement, lors d'un événement au sein de la
cité Descartes 39, précise en introduction que ce que l’on appelle le «cluster Descartes» n'est
pas un concept forcément très clair pour les entreprises. Il explique alors ainsi cette notion:
«On a ici, tout le monde le sait, une force de recherche de R&D très puissante sur des
problématiques en particulier liées à la ville durable, dont un des enjeux c'est comment
faire pour que cette force de R&D puisse être non pas simplement une force
académique qui reposerait sur elle-même mais puisse permettre de diffuser en
particulier sur les entreprises. On voit bien que la question de l'innovation c'est
aujourd'hui complètement décisif sur le développement économique (...) il faut qu'on
arrive à faire ce lien [avec les entreprises] pour que l'excellence qu'il y a ici puisse servir
aussi les entreprises qui sont ici»
Les acteurs publics sont les principaux promoteurs du cluster mais ce ne sont pas les seuls. Le
directeur de l’institut FCBA40 dans une vidéo mise en ligne sur internet intitulée «Pourquoi
FCBA déménage?» explique le déménagement de Paris à la cité Descartes par le besoin
d'´agrandissement et de modernisation de ses laboratoires d'essais41. Il justifie ainsi le choix de
la localisation:
« et puis il nous fallait évoluer, il nous fallait nous développer et c'est pourquoi nous
nous sommes implantés au cœur du cluster Habitat et ville durable de Champs-sur-
Marne. C'est au milieu d'une multitude de laboratoires destinés au futur de l'habitat que
39 Petit-déjeuner de l’Agence Descartes du 5 juin 2014 à l’ESIEE 40 L'institut FCBA est un centre technique industriel français (de type EPIC) visant à promouvoir la filière bois et ameublement 41 http://www.fcba.fr/faq/vos-questions#t281n2149 dernière consultation 10 novembre 2014
87
nous nous sommes installés»
Le cluster Descartes, pendant toute notre enquête, était qualifié de «ville durable» ou parfois de
«ville et mobilités durables». Pour cet acteur il se réfère directement à la filière habitat dans la
mesure où cet institut travaille dans le secteur de l’ameublement. Le cluster est pour lui porteur
d'un potentiel de développement dans son domaine d’activité, l'habitat, la construction et
l’ameublement en bois.
Du côté des entrepreneurs, la plupart ne savent pas définir précisément la notion de cluster.
Pour l'entrepreneur A par exemple, la notion est «floue». Certains ne savent pas ce que c'est.
L’entrepreneur D en revanche nous dit « un endroit qui regroupe à la fois des universités, des
entreprises». Quand je demande à l’entrepreneur B ce qu'est le cluster, elle ne sait pas
répondre mais elle demande à son associé qui nous répond «c'est un regroupement
d'entreprises, laboratoires très bien placés». Son associé nous indique avoir voulu s'installer à
la cité Descartes car il habite dans une commune environnante et car il savait qu'il y avait
beaucoup d'entreprises ici. Elle ajoute que «et puis on a le grand Paris qui arrive». Ainsi pour
ces acteurs, le lieu est porteur d'un idéal de développement économique.
La société Céleste fait partie des deux seules sociétés privées membres de l'agence Descartes
Développement. Cette société est née au sein de la pépinière Descartes en 2001, elle fait partie
des grands succès de la pépinière. Son dirigeant est un ancien de l’Ecole des Ponts. Cette
société a déposé un brevet pour un datacenter écologique (de forme horizontal), visible depuis
la rue Einstein. En cela elle est aussi au cœur du thème de la ville durable. Le directeur de
l'entreprise explique dans une interview les raisons de son choix de domiciliation:
«Mon choix a tout d’abord été motivé par la présence de 30 000 étudiants à la Cité
Descartes. En effet, une entreprise qui se crée a besoin de personnel et de force vive.
CELESTE recherchait alors principalement des techniciens et des ingénieurs ayant reçu
une formation assez pointue. D’autre part, je réside à Paris et il est très pratique de se
rendre à la Cité Descartes grâce à sa proximité avec la capitale. Enfin, la Cité Descartes
est un endroit où l’on peut voir à la fois de beaux bâtiments universitaires, de grandes
entreprises mais aussi des espaces verts. C’est un territoire moderne amené à devenir
très important pour le « Grand Paris » »
Cette société de par son appartenance à l'agence Descartes et la présence physique de ses
représentants lors d'événements locaux comme Tous Créatifs, est sans doute l'une des
entreprises les plus encastrées dans le cluster. Le dirigeant ne considère pas la cité Descartes
comme un simple quartier d'affaires puisque c'est avant tout l'université et le nombre d'étudiants
qui l'ont attiré sur le campus, de plus le lieu est porteur d'un idéal de développement
économique tout en étant entouré d'«espaces vers». Le lieu est pour lui porteur d'un avenir par
sa « modernité» et sa place dans le Grand Paris. Néanmoins on notera qu'il ne cite pas les
laboratoires de recherches dans les éléments qui l'ont attiré sur le campus. D'ailleurs durant
notre enquête nous n'avons pas pu établir de liens institutionnels entre cet acteur et le monde
de la recherche local.
88
Du côté de l'université, notre interlocutrice ayant contribué au lancement de Tous Créatifs
partage l'idéal de développement économique porté par le cluster ou plus particulièrement par
la cité Descartes, même si selon elle l’université est « à la traîne »:
«C'est clair je pense que la cité Descartes a un grand avenir donc ça va se développer
avec le grand Paris, (...) c'est forcément quelque chose qui va exploser enfin c'est un
lieu géographique qui va exploser et je pense que l'université est un peu à la traîne.
Alors ce qu'il y aussi c'est que par définition l'université c'est pas un truc local, ça a une
vocation beaucoup plus large quand même. Marne-la-vallée [en faisant référence à
l'université] c'est une petite université qui est sous dotée (...) Marne-la-Vallée a l'atout de
la cité Descartes, Créteil n'est pas sur la cité Descartes donc y a un enjeu très important
à jouer là sur le site de Marne-la-vallée, même si les deux universités fusionnent le site
de Marne-la-vallée lui deviendra très important»
Lors de la journée France Cluster, un chef d'entreprise représentant de Neopolia, un important
groupement d'entreprises de l’Ouest de la France (environ 200 membres), explique les
motivations de la création de ce groupement qui a été cofinancé par les acteurs publics. Outre
la nécessité de se diversifier pour surmonter une importante baisse d'activités dans la région de
Saint-Nazaire, suite au départ du Queen Mary en 2003, il dit: «d'abord il faut une volonté, (...)
c'est parti d'une douzaine de chefs d'entreprises un peu fous, qui avaient un peu le sens de
l'intérêt général et qui voulaient sortir de leur entreprise ».
Par conséquent on voit dans ce témoignage que l'idéal du cluster bien que majoritairement
porté par des acteurs publics peut également rassembler des chefs d'entreprises.
Chaque acteur projette dans le cluster un idéal différent, pour les acteurs publics c’est un outil
de politique économique visant avant tout à créer des emplois, pour les entreprises c'est un
moyen de trouver de nouveaux débouchés commerciaux, pour d'autres un moyen de recruter
sur place.
L'entrepreneur rationalisé
Le syndicat d'agglomération nouvelle Val Maubuée, un des membres fondateurs de l'agence
Descartes présente ses deux axes stratégiques:
Aménager de nouveaux espaces d'activité et développer l’ancrage territorial des
créateurs d’entreprises en améliorant le parcours résidentiel du créateur (incubateur ->
pépinière -> hôtel d’entreprises -> parc immobilier prive42
Ce « parcours du créateur d'entreprise » prôné par les acteurs publics territoriaux nous a
également été relayé par les responsables des structures d'accompagnement. Dans l’idéal de
l’acteur public, le jeune entrepreneur est accueilli à l'incubateur; à l'issue de sa période
d'incubation, il est accueilli à la pépinière et à la fin de son bail ou une fois qu'il est en mesure
de s'autonomiser, il rejoint l'hôtel d'entreprises et en fin de course il achète ou loue ses propres
locaux dans la cité Descartes ou sur le territoire de Marne la Vallée.
42 extrait d'un document de présentation de ĺ’agence Descartes lors de sa création en 2010
http://www.univ-paris-est.fr/fichiers/dossier%20agence.pdf
89
Pourtant après avoir questionné le responsable de la pépinière, il n'y pas de startup issue de
l'incubateur parmi ses hôtes, ce dont il s'étonne. Le responsable de l’incubateur s’étonne quant
à lui de ne pas compter plus d’étudiants de l’université parmi ses incubés. Il souligne également
la difficulté de faire rester les entreprises :
« Pour nous l'objectif ça serait d'en installer davantage ici, maintenant on ne peut pas
forcer une entreprise à s'installer à un endroit ou un autre, on ne peut que l'inciter à le
faire notamment en lui subventionnant par exemple en ne lui répercutant pas les prix de
bureaux ici à la sortie si elle s'installe en Seine et Marne ou on fait pas payer d'intérêts
sur l'avance remboursable, donc plus ils s'éloignent de la Seine et Marne, plus on leur
fait payer d'intérêt »
Dans une étude sur les clusters du numérique en Île de France et à Milan (2014), Clément Pin
parle d'un modèle d'«entrepreneur rationalisé» mis en place par les politiques d'innovation par
ceux qu’il appelle les « technotables »43
Le parcours du créateur d’entreprise souhaité par les acteurs publics contribue à créer un
modèle type de l’entrepreneur. Ce modèle rentre pourtant en tension avec les aspirations de
certains jeunes entrepreneurs, ainsi quand je demande à l’entrepreneur C, incubé, s’il envisage
ensuite de s’installer à la pépinière, il répond négativement d’abord parce qu’il habite à Paris,
ensuite parce qu’il ne se projette pas dans des bureaux de la cité Descartes :
«Franchement tout le monde est assez jeune, la moyenne d'âge est même pas 30
ans [en parlant de l'incubateur]. Qui a envie d'aller dans des bureaux ici quoi ...[en
parlant de la pépinière] le modèle euh moi si je me projette j'ai un truc style loft ou
tout le monde va bosser c'est cool c'est pas ici que je me projette quoi (...) le loft de
la d.school ça ça colle un peu plus ».
Du côté de ceux qui ne partagent pas l'idéal du cluster
L'impression d'être éloigné de Paris
Un chercheur nous explique que les rencontres physiques sont très importantes pour son
activité et qu'on ne peut pas travailler que par relations numériques «et ici au bout du RER A,
on a beaucoup souffert de ça, on est au bout du RER A. Ah oui c'est les ingénieurs en banlieue
quoi, c'est pas la Silicon Valley, même si y a d'excellents trucs (...) mais c'est pas vu comme
ça». Plus loin il nous dit «il va falloir avoir un peu plus que l'idée d'avoir l'idée du cluster».
Pour cet enquêté, qui a du mal à faire venir ses collaborateurs parisiens, un emplacement
excentré de Paris est un handicap pour le cluster.
43 le « technotable », « figure qui prolonge le rôle traditionnel de médiation des notables mais qui innove en même temps par sa compétence technique à monter des projets et à les vendre » (Gaudin, 1999).
90
Le responsable d’une structure d’accompagnement nous dit subir directement la concurrence
de Paris. Il nous dit en effet qu’il y a « une forte concurrence sur Paris d'incubateurs qui sont en
fait des pépinières c'est à dire qu'ils font directement payer des locaux, l'offre étant là-bas en
plus dans des situations assez centrales ». Il rappelle que l'objectif de l’ancien maire de Paris
était d'ouvrir 100 000 m2 de bureaux d'incubateurs et de pépinières, objectif qui a été atteint.
L’éloignement de Paris est également mal vécu par l’entrepreneur C qui souligne de plus le
temps de trajet de 15 à 20 minutes en sortant du RER.
L'impression d'être «loin de tout ça»
Quand je parle à l'entrepreneur G de l'agence Descartes chargée du développement
économique de la cité Descartes, elle répond «j'ai pas l'impression d'être concernée par tout
ça». Même quand le cluster suscite de l’intérêt en terme de potentiel, comme c'est le cas pour
l'entrepreneur F, il semble difficile aux acteurs de savoir comment activer ce potentiel:
« déjà on a du mal je trouve à rendre intéressant ce qui se passe à la pépinière alors la
cité [Descartes] ça me parait encore plus loin, alors le cluster encore plus loin mais l’idée
est bonne. »
Une chercheuse d'un laboratoire de Paris-Est a réalisé avec un groupe d'étudiants de l'IFU un
bilan sur «Coriolis, un an après» en utilisant une méthode anthropologique. Cette enquête a
réuni plusieurs acteurs académiques du campus (deux écoles et plusieurs laboratoires).
Pourtant quand je lui demande ce que représente le cluster pour elle, elle indique :
«cette dynamique territoriale de cluster, je la perçois pas trop, peut-être on manque
d'information. C'est un gros campus, ici on est nombreux, y a beaucoup d'institutions
différentes».
Pour cette enquêtée qui par ailleurs nous dit avoir peu de liens avec les écoles du campus
hormis les deux écoles avec lesquelles elle a réalisé le bilan Coriolis, le «cluster» n'est pas
perceptible même sur le plan intra-académique.
Le cluster vu comme un «label»
L'entrepreneur C qui travaille dans le domaine de la gestion de voirie nous explique ce qu'est le
cluster pour lui :
«vu qu'on est urbaniste à la base (...) ça tombait sous le sens qu'on s'installe dans un
cluster ville durable. Après, est-ce que, à l'heure actuelle, c'est autre chose qu'une
dénomination, euh je suis pas sûr, c'est à dire que si on regarde par exemple le petit dej
Descartes, les acteurs qui tournent autour de la question, je sais pas du BTP, de la
construction tout ça, des acteurs comme ça y en a pas (...) notamment sur la question
de la ville durable, c'est un axe de recherche etc, il y a énormément de labos qui
travaillent sur les questions urbaines etc etc mais pour nous c'est pas des gros
potentiels (...) on a vu le côté ville durable comme intéressant pour nous mais plus en
terme de label que véritablement de ressource et de concrétisation. »
Cet entrepreneur profite donc du label « cluster ville durable » même si pour cet acteur les
potentiels de proximité sont faibles ou non connus.
91
En conclusion s'il y a bien un processus d’organisation de la proximité par les acteurs publics,
celui-ci ne débouche encore que marginalement sur la production de nouvelles représentations
du territoire partagées par des acteurs d’univers différents.
Sur notre terrain d'enquête ce partage de représentation par les entrepreneurs est encore
faible. Le monde académique quant à lui semble éloigné des problématiques de développement
territorial de l'acteur public, à l'exception des promoteurs de l'entrepreneuriat étudiant à
l'université.
3.4.2 L'imaginaire de la d.school
Nous nous intéressons ici plus particulièrement à la d.school car il nous a semblé que cette
institution était porteuse d'un idéal capable de rallier les étudiants entrepreneurs.
Lors de notre entretien avec une représentante de la d.school, elle nous indique que le
programme «les entrepreneurs sociaux» de la d.school de Stanford («design for extreme
affordability») attire toujours beaucoup plus d'étudiants qu'il n'y a pas de place. Lors de la
présentation des projets Innov'acteurs à la d.school44, nous constatons que sur 7 projets
présentés, 5 sont des projets humanitaires ou écologiques, comme la rénovation d'une école
dans un village de Tunisie ou le recyclage de l'eau de pluie dans un village Equatorien. Parmi
ces projets, l'un concerne une application de mise en relation entre voyageurs et entrepreneurs
sociaux, appelé Mowggli. Ce projet est présenté ainsi: «Donner du sens à mes voyages, me
rendre utile, découvrir d'autres cultures à moindre coût». Le projet Mowggli est allé plus loin
puisque deux des étudiants se sont associés pour créer une startup. Cette startup a fait partie
des candidats au concours Tous Connectés 2014. Ce projet n'a pas été retenu par le jury
d'institutionnels présents pour décerner un prix, en revanche il a remporté le «coup de cœur du
public» lors du vote de la salle, composée en grande partie d'étudiants. Cette startup s'est
installée à Paris près de son principal partenaire, MakeSense, une plate-forme qui aide les
entrepreneurs sociaux à résoudre des «défis».
Cette aspiration n'est pas propre à la d.school car parmi nos enquêtés étudiants entrepreneurs,
l'entrepreneur C qui souhaite s'installer à Paris nous dit connaître un certain nombre de projets
solidaires qui mêlent le mode associatif avec le milieu entrepreneurial et c'est ce type de mode
de travail qui le séduit.
Lors de la présentation des trois projets du cours ME310 dans l'amphithéâtre de Coriolis, le
public manque de place pour s'assoir. La directrice explique au sujet du «brief» qui permet en
tout début de processus de découvrir les projets:
44 ce dispositif est une formation à l'innovation en équipe et par la pratique par la mise en place d'un projet par un groupe d'étudiants pluridisciplinaire de l'Ecole des Ponts et d’universités internationales. Les
projets ont été présentés le 18 juin 2014 dans la Halle Freyssinet de Coriolis.
92
«nous adorons les briefs pour réinventer des produits dans un entreprise et nous aimons
en fait les produits et services qui ont un impact sur la société (...) cette année nous
avons eu trois magnifiques briefs: réinventer la caméra pour les pompiers, réinventer
l'expérience des conducteurs dans un mode autonome dans les embouteillages et
réinventer la salle de bains pour les seniors».
Dans l’amphithéâtre sont présents les étudiants, plusieurs représentants des trois partenaires
industriels ainsi que les utilisateurs qui ont été associés au processus de conception. Le projet
de salle de bains pour les seniors fait l'objet d'un grand engouement, la directrice explique que
l'autonomie pour les seniors est essentielle en l'illustrant avec l'expérience d'un de ses parents.
Elle dit avoir cherché très longtemps un partenaire industriel avant de rencontrer son
interlocuteur de Lapeyre «enfin quelqu'un qui y croyait autant que moi». Le partenaire industriel
prend la parole pour remercier toute l'équipe et parle d'un «déni de séniorité» pour expliquer
qu'avant ce projet personne n'ait conçu des meubles pour personnes âgées, marché qu'ils
viennent donc de créer. Lors de la séance des questions, une jeune femme prend la parole
pour dire «félicitations et continuez parce que c'est vrai qu'on oublie souvent les personnes
âgées», suivi des applaudissements de la salle. Une autre personne représentant la maison de
retraite avec laquelle ils ont travaillé étroitement pour concevoir ces meubles prend également
la parole pour remercier les étudiants pour leur «humanité» en ajoutant que ce projet a permis
de sortir de l'ombre les personnes âgées.
Les projets Innov'acteurs ainsi que ceux de ME310 suscitent un certain enchantement aussi
bien auprès des organisateurs, des étudiants que des partenaires industriels pour leur «impact
social extraordinaire» selon les mots de la directrice. Cette dernière parle aussi d'une «magie
de rencontres et de volontés».
Au sein de la d.school, c'est en grande partie le sentiment d'utilité sociale qui alimente un
imaginaire commun capable de mobiliser les acteurs dans un processus d'innovation (Flichy,
2001). Par ailleurs la d.school est en elle-même une méthode d'enseignement innovante, un
lieu où s'expérimentent différentes façons de travailler, par exemple la directrice explique que la
d.school a fait quelques entorses par rapport au processus général suggéré par Stanford, ceux
qui ont mis au point initialement la méthodologie de design thinking. Ainsi elle explique :
«nous avons fait beaucoup plus d'observations ethnographique, nous avons fait
beaucoup plus de tests utilisateurs et nous avons fait aussi beaucoup plus de maillage,
ce qu'on appelle en anglais dissemination, avec les entreprises pour lesquelles on
travaillait».
Par conséquent ces éléments sont de nature à créer un «processus vertueux d'innovation»
(Alter, 2000) en laissant une grande liberté aux acteurs dans la conception et dans les
méthodes de travail.
A la lumière de cette expérience, il nous semble que l’un des défis des promoteurs de
l'entrepreneuriat au sein du cluster est de pouvoir concilier des objectifs de développement
économique et de créations d'emplois imposés par les politiques publiques territoriales selon un
93
modèle de «l'entrepreneur rationalisé» avec des idéaux capables de rencontrer les aspirations
d’étudiants et de jeunes entrepreneurs.
Conclusion
Les auteurs académiques, en sciences économiques, en géographie, en sciences de gestion
ou en sociologie s'accordent, à quelques exceptions près, sur le rôle prépondérant des relations
sociales dans un cluster pour activer le potentiel de la proximité géographique.
La sociologie économique a quant à elle décrit l'influence de la configuration sociale dans le
développement économique. Des entrepreneurs trop peu encastrés dans leurs relations
personnelles peinent à trouver les solidarités et les ressources nécessaires à leur
développement. A l’inverse, des entrepreneurs trop encastrés dans des relations familiales ou
communautaires ne parviennent pas à dépasser une taille critique. Pour Grossetti, la création
d'entreprise est un processus de découplage (2004).
Les résultats de notre enquête, à travers l'analyse des ressources des entrepreneurs ainsi que
de leurs liens personnels avec les autres acteurs du cluster, nous ont permis de confirmer,
conformément aux études de Grossetti, l'encastrement élevé des entrepreneurs dans leurs
relations personnelles. Cependant, contrairement à notre hypothèse, l'enquête a révélé que le
processus de découplage ne se fait pas en faveur du cluster. Au mieux il se fait en faveur du
dispositif d'accompagnement auquel appartient l'entrepreneur (mobilisation des réseaux
d'acteurs gravitant autour des différents dispositifs).
La cartographie des liens institutionnels au sein du cluster (figure 1), appuyée par les entretiens
menés auprès des entrepreneurs et des acteurs locaux, a montré un éparpillement des
différents "foyers" d'entrepreneurs au sein de la cité Descartes et une faible solidarité
horizontale. L'enquête a également montré l'isolement des grandes entreprises au sein du
cluster et l'existence d'une hiérarchie entre petites et grandes entreprises, au détriment des
petites entreprises, les entrepreneurs ne pouvant pas solliciter les grandes entreprises. De
manière générale les acteurs nationaux du cluster, entreprises ou écoles et université sont
tournés vers un marché ou un réseau national ou international et sont peu ancrés localement. A
ce titre les entreprises du cluster Descartes ressemblent plus au « firm-based system » décrit
par Saxenian au sujet du Route 128 par opposition à l’organisation en réseau de la Silicon
Valley (1994). Le monde académique quant à lui, fortement intra-connectée, apparaît comme
une clique au sein du cluster.
Le cluster apparaît donc plus comme une juxtaposition d'institutions innovantes les unes à côté
des autres : les laboratoires de recherche, les écoles, les différents dispositifs
d’accompagnement à l’entreprenariat, chacun tourné vers son propre réseau, extérieur au
campus, et cherchant peu à activer le potentiel de la proximité géographique. Les structures
d’innovation, souffrant d’un déficit de proximité organisé, ne sont pas articulées entre elles. A ce
94
titre un acteur public comme l’agence Descartes occupe une position centrale dans le réseau,
comme le montre la cartographie des liens institutionnels, pour mettre en relation le monde
économique et académique.
Notre enquête a montré que la proximité géographique peut avoir un effet propre, elle peut
créer des relations entre des acteurs qui n'avaient aucun lien auparavant, cependant cet effet
ne se produit que s'il existe au moins une logique de similitude (Rallet et Torre, 2008) entre les
acteurs. La création de liens entre des mondes hétérogènes, en particulier entre le monde
académique et le monde économique, ne peut pas se produire par la seule proximité
géographique, elle requiert nécessairement la mobilisation d'une proximité organisée.
Nous avons cependant relevé des tentatives pour créer une proximité organisée, pour créer des
liens et des valeurs partagées entre monde économique et monde académique, qui se sont
soldées par un échec.
Pour expliquer ces difficultés nous avons avancé plusieurs hypothèses: des liens faibles
insuffisants entre les acteurs locaux de mondes hétérogènes. A défaut de liens faibles
préexistants, les ponts n'existent pas. Deuxièmement nous avons postulé, à travers la
description d'interactions entre les acteurs, que les «coûts de transaction» entre mondes
hétérogènes freinent la création de liens. Enfin le manque d'imaginaire partagé autour du
cluster empêche la mobilisation d'une large partie des acteurs.
Nous avons toutefois montré que les étudiants-entrepreneurs pouvaient jouer le rôle de pont
entre deux mondes hétérogènes, le monde entrepreneurial et les enseignants-chercheurs. Les
enseignants-chercheurs constituent quant à eux un pont entre leurs étudiants et le monde de la
recherche. Indirectement les étudiants-entrepreneurs ont donc un accès au monde de la
recherche grâce à cette configuration, accès dont ne disposent pas les autres entrepreneurs de
notre enquête. Ainsi les étudiants entrepreneurs permettent de créer des liens faibles et
d’abaisser les coûts de transaction entre le monde académique et le monde économique local.
Nous avons également montré que certaines initiatives pouvaient constituer des objets-frontière
capable de rassembler des mondes hétérogènes, comme le dispositif de soutien à
l'entrepreneuriat étudiant Tous Créatifs, seul dispositif transversal entre les différents mondes
sociaux du campus.
Nous avons également montré que si le cluster en lui-même ne suscite pas l'adhésion
spontanée des acteurs, il existe d'autres projets porteurs d'un imaginaire capable de susciter
l'engouement notamment des étudiants, comme les projets à vocation sociale et solidaire de la
d.school.
Nous pensons que cette enquête pourrait être approfondie par une analyse plus détaillée de la
structure des réseaux sociaux pour la comparer à d’autres terrains d’enquête (densité des liens,
force des liens, trous structuraux,…). On peut supposer que d’autres clusters français
95
présentent des caractéristiques similaires et si c’est le cas la configuration observée relève
d’une organisation sociale plus large.
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100
Annexes
Annexe 1: Apparition du terme « cluster » dans la presse française
Ce graphique provient d’une requête réalisée dans Factiva le 28/02/14 sur « all documents »
and « all dates » dans la presse française. Pour que la requête restitue des résultats pertinents,
il a fallu exclure tous les termes « cluster » utilisés dans un sens non économique, comme par
exemple le satellite « cluster » ou des noms de sociétés ou de jeux/logiciels ou l’arme du même
nom et toutes les utilisations du terme dans un sens informatique :
cluster NOT cluster 2 NOT satellites NOT bomb NOT bombs NOT bombes NOT grappe
NOT grappes NOT logiciels cluster NOT FTMARK NOT Cluster consulting NOT
Diamond cluster NOT Western Cluster NOT G-Cluster NOT recherche par cluster NOT
Cluster Failover NOT cluster.com NOT Linux NOT serveurs NOT architecture NOT base
de données NOT stations de travail NOT disques NOT disque NOT système
d'exploitation NOT supercalculateur NOT boîtier NOT C-Cluster NOT centre de calcul
5886 réponses ont été trouvées à partir de 1997. C’est surtout à partir de 2003 que le terme
commence à se diffuser.
101
Annexe 2: Représentations du cluster Descartes par l'EPAMARNE45
45 La première carte est extraite de la plaquette du cluster Descartes sous http://projets.epa-marnelavallee.fr/content/download/799/6268/version/20/file/Plaquette+Cluster+Descartes+2013. La deuxieme carte est disponible sur le site de l’Epamarne http://marne.artefacto.fr/?l=fr dernière
consultation le 25/09/14