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1 UNIVERSITE PARIS-EST MARNE-LA-VALLEE UFR SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES MASTER 2 RECHERCHE ENTREPRISE, INNOVATION ET SOCIETE. Etude d’un « cluster » par sa configuration sociale Enquête sur les coopérations au sein du «cluster Descartes ville durable» auprès d’un échantillon d’entrepreneurs et d’acteurs locaux Sophie Jaboeuf [email protected] Sous la direction de Patrice Flichy Janvier 2015

Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

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Page 1: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

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UNIVERSITE PARIS-EST MARNE-LA-VALLEE

UFR SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

MASTER 2 RECHERCHE ENTREPRISE, INNOVATION ET SOCIETE.

Etude d’un « cluster »

par sa configuration sociale

Enquête sur les coopérations au sein du «cluster Descartes ville

durable» auprès d’un échantillon d’entrepreneurs et d’acteurs

locaux

Sophie Jaboeuf [email protected]

Sous la direction de Patrice Flichy

Janvier 2015

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Je tiens à remercier toutes les personnes ayant contribué à cette enquête pour m’avoir

chaleureusement ouvert leur porte, les entrepreneurs, les acteurs publics et les chercheurs.

Je remercie également tous mes professeurs de master car leurs conseils m’ont tous été utiles

dans ce travail. Je remercie bien sûr plus particulièrement Patrice Flichy pour son éclairage et

sa patience. Je suis également très reconnaissante à Benoit Lelong pour son accueil et son

accompagnement dans ce master et ses précieux conseils de lecture.

Page 3: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

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Table des matières

Introduction ................................................................................................................................... 5

I. Problématique, hypothèses et méthodes .................................................................................... 7

1.1 Le cluster, un concept pas encore tout à fait stabilisé ......................................................... 7

1.1.1 Le cluster défini comme un regroupement d'entreprises sur un territoire donné.......... 7

1.1.2 Le cluster défini comme la réunion du monde académique et du monde économique 9

1.1.3 Aux origines du cluster ................................................................................................. 10

1.2 La co-localisation, un sujet abondamment traité en sciences du management, en

géographie et en économie ...................................................................................................... 12

1.2.1 La proximité géographique comme levier de la capacité à innover ............................ 12

1.2.2 Le rôle de la proximité géographique contesté par certains auteurs .......................... 13

1.2.3 Le cluster, un objet dont on cherche à mesurer les performances ............................. 14

1.3 Du côté de la sociologie: l'origine sociale des phénomènes économiques ....................... 15

1.3.1 La théorie de l'encastrement structural des relations marchandes ............................. 15

1.3.2 Le «capital social» et la théorie de la force des liens faibles....................................... 18

1.3.3 La création d'entreprise est un processus de découplage .......................................... 21

1.4 L'école de la proximité ........................................................................................................ 24

1.4.1 Principaux apports ........................................................................................................ 24

1.4.2 Les effets de proximité sont insuffisants pour expliquer seuls les coopérations entre

les acteurs.............................................................................................................................. 28

1.5 Problématique et hypothèses ............................................................................................. 30

1.6 Méthodologie....................................................................................................................... 31

II. Restitution des résultats de l'enquête....................................................................................... 34

2.1 Etude des ressources des entrepreneurs .......................................................................... 34

2.1.1 Présentation de l’échantillon ........................................................................................ 34

2.1.2 Répartition des ressources utilisées entre liens personnels, intermédiaires et cluster.

............................................................................................................................................... 35

2.1.3 Liens personnels des enquêtés avec les autres acteurs............................................. 37

2.2 Cartographie des liens institutionnels entre les acteurs..................................................... 38

2.3 Analyse des résultats .......................................................................................................... 39

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2.3.1 La proximité géographique a bien un effet... à condition que préexiste au moins une

logique de similitude .............................................................................................................. 40

2.3.2 Le faible encastrement des entrepreneurs dans le milieu local .................................. 44

2.3.3 Des acteurs nationaux peu présents localement......................................................... 51

2.3.4 Un monde académique très dense peu connecté au monde entrepreneurial ............ 56

III Éléments d'explications ............................................................................................................ 62

3.1 La faiblesse des liens faibles comme élément explicatif de la faiblesse des coopérations

................................................................................................................................................... 62

3.2 Les coûts de transaction comme élément explicatif de la faiblesse des liens faibles ....... 69

3.2.1 Définition utilisée .......................................................................................................... 70

3.2.2 Une capacité à nouer des liens qui dépend du capital social de chaque individu ...... 70

3.2.3 Des coûts de transaction trop élevés en cas d'absence de proximité organisée ....... 72

3.2.4 Le service commercial de CSTB éditions : un moyen de réduire les coûts de

transaction entre monde académique et monde économique ? .......................................... 76

3.3 Le rôle des «objets-frontières» pour abaisser les coûts de transaction et augmenter les

liens faibles................................................................................................................................ 79

3.3.1 Qu’est-ce qu’un objet-frontière ? .................................................................................. 79

3.3.2 Le dispositif Tous Créatifs ............................................................................................ 81

3.4 Le rôle de l’imaginaire dans l'innovation............................................................................. 86

3.4.1 Les difficultés du cluster à s’imposer comme un idéal partagé par tous ..................... 86

3.4.2 L'imaginaire de la d.school ........................................................................................... 91

Conclusion .................................................................................................................................... 93

Bibliographie ................................................................................................................................. 95

Annexes ...................................................................................................................................... 100

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5

Introduction

Les clusters visent à rassembler des acteurs susceptibles d'innover en commun, avec l'espoir

que la proximité géographique joue un rôle bénéfique. Plus généralement il s'agit de concentrer

des ressources spécifiques mises à disposition des acteurs locaux, leur conférant un avantage

concurrentiel dans un contexte de mondialisation. Il s'agit également pour les acteurs publics

territoriaux d'améliorer l'attractivité d'un «territoire».

La France a ainsi lancé en 2004 puis labellisé en 2005 les pôles de compétitivité, associations

d’entreprises, de centres de recherche et d’organismes de formation engagés dans une

démarche partenariale, avec le soutien des collectivités territoriales. Le terme « cluster »,

d'origine anglo-saxonne1, est utilisée en France tantôt pour désigner les pôles de compétitivité,

tantôt pour désigner un regroupement géographique d'activités sur un même territoire.

Dans le même objectif de créer de la croissance et de l'emploi, l'Union Européenne avait défini

en 2006 le renforcement des clusters en Europe comme l'une des neuf priorités stratégiques

pour promouvoir avec succès l'innovation2 Cette initiative s'est accompagnée du lancement du

mémorandum sur les clusters en Europe, en janvier 20083.

Notre enquête s'intéresse au «cluster Descartes», situé dans l'Est de Paris. Le centre

géographique du cluster, appelé le «cœur du cluster», se situe dans un quartier appelé «la Cité

Descartes». Ce quartier présente la particularité d'être à cheval sur deux communes: Champs-

sur-Marne et Noisy-le-Grand, sur deux départements, la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis

et il appartient à différentes agglomérations de communes, le Val Maubuée et Marne-la-Vallée.

La cité Descartes concentre les pôles de formation et de recherche du cluster Descartes ainsi

qu’environ 300 entreprises. Parmi les 18 pôles de formation présents, on peut citer notamment

l'université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM), l'Ecole des Ponts et Chaussée, l'ESIEE, l’Ecole

d'Architecture de la ville et des territoires. Ce cluster est dédié à la «ville durable», thème que

l'on retrouve parmi certains axes de recherche des cinquante centres de recherche de la cité

Descartes. On peut citer parmi eux l'Institut Efficacity qui travaille en partenariat avec la Société

du Grand Paris sur la conception d'une gare à énergie positive, l'IFFSTAR qui a mis en place

notamment un simulateur pour travailler sur la conception de routes «intelligentes», le

laboratoire Labex Futurs urbains qui travaille sur l'étude des comportements des habitants en

termes de consommation d’énergie et de déplacements dans les écoquartiers. La Cité

Descartes se veut elle-même exemplaire en matière de construction et de ville durable, ainsi les

acteurs y expérimentent, en même temps qu'ils mettent en vitrine, un certain nombre de projets

innovants, comme les bâtiments Coriolis ou Génome, construits selon des normes

1 Le terme cluster signifie « grappe » ou « groupe » dans la langue anglaise et il est utilisé également comme un verbe (to cluster: se regrouper). On retrouve d’ailleurs ce terme dans de nombreuses

disciplines, comme l'informatique, la physique, le marketing. 2 Conclusions de la réunion du Conseil du 4 décembre 2006 sur la compétitivité:

http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/intm/91989.pdf. 3 Voir www.proinno-europe.eu/NWEV/uploaded_documents/European_Cluster_Memorandum.pdf.

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environnementales avancées, le datacenter énergétique du fournisseur d'accès à internet

Céleste, le projet d'auto-partage de véhicules électriques ou encore le projet d'aménagement

sonore par un doctorant du LAB'URBA pour lutter contre le bruit. Enfin notons que se tient

chaque année au sein de la cité Descartes la conférence Green city, événement de rencontres

internationales sur le thème de la ville durable.

La littérature académique, aussi bien économique que sociologique, a déjà montré que la

proximité géographique à elle seule est insuffisante pour créer des liens entre des mondes

sociaux hétérogènes. Le cluster a justement la particularité de rassembler volontairement des

mondes sociaux hétérogènes pour créer de l’innovation, le monde académique, le monde

économique et les acteurs publics.

Dès lors, on se demandera à quelles conditions la proximité géographique, recherchée par les

aménageurs du territoire, permet-elle de créer des coopérations ?

Dans la lignée des travaux de la sociologie économique, on étudiera le rôle de la configuration

sociale dans le développement de coopérations et d’activités, en particulier dans le

développement de jeunes entreprises au sein du cluster. La configuration observée est-elle un

frein ou favorise-t-elle les coopérations et le développement des jeunes entreprises ?

Après avoir montré que les entrepreneurs sont faiblement encastrés dans le cluster, nous

tenterons d’analyser les raisons pour lesquelles les coopérations à l’intérieur du cluster ne se

réalisent pas. Et nous tenterons, non pas d’apporter des solutions, mais d’ouvrir des pistes de

réflexion sur les conditions favorables pour créer des coopérations, notamment la création

d’objets-frontières et la formation d’un imaginaire commun. On s’appuiera pour cela également

sur des expériences ayant réussi à rassembler plusieurs mondes sociaux au sein du cluster.

Page 7: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

7

I. Problématique, hypothèses et méthodes

Après un état des lieux sur les définitions du cluster et une revue de littérature sur les travaux

de recherche nous permettant d'analyser les coopérations au sein d'un cluster, en particulier les

travaux sur la co-localisation, sur la théorie de l'encastrement ou encore ceux de l'Ecole de la

proximité, nous détaillerons différentes problématiques et hypothèses, ainsi que la méthode

d'enquête utilisée.

1.1 Le cluster, un concept pas encore tout à fait stabilisé

Nous avons regroupé dans ce chapitre plusieurs définitions du cluster données par des acteurs

publics ainsi que par des auteurs académiques. La variété des définitions prouve que ce

concept n'est pas encore stabilisé, ce qui permet aux acteurs d'interpréter librement le rôle du

cluster.

Par une recherche dans Factiva, nous avons pu montrer que le terme «cluster» commence à

être utilisé à partir de 2003 dans la presse française (annexe 1), soit peu avant le lancement

des pôles de compétitivités.

1.1.1 Le cluster défini comme un regroupement d'entreprises sur un territoire

donné

L'association France Clusters, association de soutien aux politiques publiques, revendique 150

membres en France, qui sont tous des clusters répartis sur le territoire français et classés selon

six métiers: industrie, agriculture, TIC, environnement, santé, service. Cet acteur distingue les

notions de pôles de compétitivité, de grappes d'entreprises et de «clusters régionaux». Pour cet

acteur, le pôle de compétitivité fait référence à une politique industrielle, il est ainsi défini:

Un pôle de compétitivité rassemble sur un territoire bien identifié et une thématique

donnée, des entreprises petites et grandes, des laboratoires de recherche et des

établissements de formation. Il a vocation à soutenir l'innovation, favoriser le

développement des projets collaboratifs de recherche et développement (R&D)

particulièrement innovants. Il crée ainsi de la croissance et de l'emploi.4

Le cluster en revanche n'intègre pas forcément, pour cet acteur, le monde académique:

Les clusters sont des réseaux d'entreprises constitués majoritairement de PME et de

TPE, fortement ancrés localement, souvent sur un même créneau de production et

souvent à une même filière. L'intérêt premier du cluster est d'augmenter le chiffre

d'affaire et l'efficacité économique de son entreprise et ensuite de détecter dans son

environnement les facteurs favorisant sa croissance.5

4 http://www.franceclusters.fr/page-definition-15.html consulté le 04/10/2014 5 Ibid.

Page 8: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

8

La grappe d'entreprises est pour France Cluster également constituée de PME/TPE mais est

organisée selon un système de gouvernance propre émanant des entreprises, elles ont par

ailleurs « un « noyau dur » ancré sur un territoire permettant des rapports aisés de proximité

entre ses membres et qui est pertinent par rapport au tissu d’entreprises concerné »6.

Par conséquent, selon cette vision, les grappes d'entreprises sont un groupement d'entreprises

organisé par les entreprises, tandis que le cluster est un regroupement d'entreprises sur un

territoire donné sans système de gouvernance défini. Les pôles de compétitivités en revanche

sont organisés par les acteurs publics locaux.

Le site internet officiel des pôles de compétitivité partage exactement la même définition du pôle

de compétitivité que France Clusters en ajoutant que ce dernier repose sur « un ancrage

territorial fort tout en s’appuyant sur les structures existantes (tissu industriel, campus,

infrastructures collectives, etc.)»7 . Le terme de cluster n'est utilisé sur le site que pour faire

référence à la politique européenne, notamment à une communication de la Commission

européenne intitulée «Vers des clusters de classe mondiale dans l'Union européenne: mise en

œuvre d'une stratégie d'innovation élargie»8. Dans cette note le cluster est ainsi défini:

Un cluster peut se définir, globalement, comme un groupe d'entreprises, d'opérateurs

économiques liés et d'institutions géographiquement proches les uns des autres et ayant

atteint une échelle suffisante pour développer une expertise, des services, des

ressources, des fournisseurs et des compétences spécialisés.9

On retrouve donc la définition du cluster comme regroupement d'acteurs économiques avec en

plus des «institutions» et une «expertise». La même note précise plus loin que c'est à la

Communauté Européenne d'encourager la politique des clusters, notamment en promouvant la

recherche et en favorisant les liens entre les entreprises et le monde scientifique.

Le CGET10 qui est chargée de « concevoir et de mettre en œuvre la politique nationale d’égalité

des territoires et d’en assurer le suivi et la coordination interministérielle.»11 a de son côté un

usage du terme plus générique, comme en témoigne une annonce publiée sur son site internet :

«Le champ d’action (...) porte sur tous les types de clusters: pôles de compétitivité, grappes

d’entreprises, pôles territoriaux de coopération économique...»12.

6 Ibid. 7 http://competitivite.gouv.fr/politique-des-poles-471.html consulté le 29/06/2014 8 http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1225459600_com_2008_652_fr.pdf consulté le 04/10/2014 9 Ibid. 10 Le Commissariat Général à l’Egalité des Territoires, créé en avril 2014 est un regroupement de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar), du Secrétariat général du

comité interministériel des villes (SGCIV) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé). Cet organisme est rattaché au Premier ministre 11 http://www.cget.gouv.fr/actualites/lancement-du-commissariat-general-a-legalite-territoires consulté le

29/06/2014 12 http://www.cget.gouv.fr/sites/default/files/pdf/page/113/2014-4ddct-

fichedepostechargedemissionclusters .pdf L’annonce a été publiée en octobre 2014 et a été supprimée

depuis.

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9

Enfin, notons que l'Observatoire européen des clusters, qui recense environ 2 000 clusters

dans l'UE, définit les clusters comme des regroupements régionaux d'industries et de services

situés en un même lieu. Par ailleurs l'observatoire indique que 38 % de la main-d'œuvre

européenne est employée par des entreprises membres de ces clusters13.

1.1.2 Le cluster défini comme la réunion du monde académique et du monde

économique

Les acteurs publics de notre terrain d'enquête ont une représentation du cluster plus

spécifiquement orientée vers les coopérations entre monde économique et monde académique.

Epamarne, qui est l'établissement public en charge de l’aménagement du territoire de Marne-la

Vallée, territoire auquel appartient notre terrain d'enquête, adopte une définition du cluster qui

correspond plutôt à celle que France Clusters donne du pôle de compétitivité:

Le Cluster Descartes doit stimuler le lien vertueux entre enseignement supérieur,

recherche et entreprises afin de favoriser la diffusion des innovations et de développer

une stratégie de filière qui répondra aux défis des villes de demain. Le Cluster, avec le

soutien du pôle de compétitivité Advancity et de l’ensemble des acteurs locaux, va ainsi

permettre la création de nouvelles activités liées à l’éco-construction, la mobilité durable

ou encore l’efficacité énergétique, vecteurs de croissance et créatrices d’emplois

d’avenir.14

Par ailleurs, Epamarne, dans sa plaquette présente le cluster Descartes comme le premier pôle

de R&D en France dans le domaine de la ville durable et de l'innovation urbaine. Elle met

notamment en avant ses 50 laboratoires, 18 000 étudiants et 3 000 enseignants-chercheurs et

ingénieurs, faisant donc du monde académique un pilier du cluster15.

De son côté, Advancity, pôle de compétitivité dont le siège est sur la cité Descartes, se définit

elle-même sur son site internet comme un cluster:

La vocation d’ADVANCITY, cluster dédié à la ville durable en France, est de permettre

aux entreprises, aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche et aux

collectivités territoriales de coopérer et de monter des projets collaboratifs innovants en

vue de mettre au point des produits ou services commercialisables à moyen terme,

générateurs d’activité économique et créateurs d’emploi16

13 Voir http://www.clusterobservatory.eu consulté le 04/10/2014 14 http://projets.epa-marnelavallee.fr/Le-Cluster-Descartes/Le-Cluster-Descartes-pole-d-excellence-de-la-

ville -durable consulté le 25/09/2014 15 http://projets.epa-

marnelavallee.fr/content/download/799/6268/version/20/file/Plaquette+Cluster+Descartes +2013 consulté le 25/09/2014 16 http://www.advancity.eu/a-propos/ consulté le 25/09/2014

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10

Dès lors les notions de pôle de compétitivité et de cluster se confondent, mais surtout dans

cette perspective le cluster est indissociable du monde académique.

Concernant l'agence Descartes Développement, quand elle fait référence au cluster Descartes

dans un document de présentation, par un astérix en bas de page elle le définit ainsi:

(*)Cluster : Regroupement de scientifiques, d’universitaires et d’acteurs économiques17

Du côté des sciences de gestion, l'auteur Patrick Dambron qui a consacré un livre sur les

clusters considère les pôles de compétitivité comme «les clusters à la française» et utilise

indifféremment les deux termes (2008). Il adopte une définition assez proche de celles données

précédemment:

L’objectif vise à dégager des synergies autour de projets innovants concentrés sur des

technologies spécifiques et conduits en commun en direction d’un ou de plusieurs

marchés déterminés à haut potentiel de croissance. La mutualisation des connaissances

et la visibilité internationale complètent leurs caractéristiques. Si nous voulions résumer

en une phrase ce qu’ils sont, nous dirions qu’il s’agit d’une mise en réseau d’acteurs de

l’innovation travaillant ensemble sur un territoire donné pour le développer et le

prospérer. (Dambron, 2008, p.20)

1.1.3 Aux origines du cluster

Un concept d'origine anglo-saxonne

Le chercheur Michael Porter qui est un des grands promoteurs de la politique des clusters aux

Etats-Unis dans les années 1990 définit ainsi le cluster: «clusters are geographic concentrations

of interconnected companies and institutions in a particular field» (1998b, p.78). Il ajoute que le

cluster peut inclure les fournisseurs spécialisés, les clients et que beaucoup de clusters incluent

des institutions gouvernementales, des universités, des think tank ou encore des associations.

Porter attribue deux caractéristiques à la concentration d'entreprises pour qualifier cette derrière

de cluster: l'interconnexion entre les entreprises (ou plus largement les différents acteurs

locaux) et la spécialisation du domaine d'activités.

Le cluster, héritier des Systèmes Productifs Locaux (SPL)

Le terme cluster comme on l'a vu s'est diffusé à partir de 2003 en France peu avant le

lancement des pôles de compétitivité, ces deux notions ont alors progressivement effacé les

notions précédentes de «districts» apparus dans les années 1980, ou de SPL qui avaient été

créés en France en 1997. Comme le note André Torre (2014):

Le terme de clusters, qui constitue la manière contemporaine de qualifier les formes

locales d’organisation des activités d’innovation et de production, a fini par recouvrir et

17 extrait d'un document de présentation de l’agence Descartes lors de sa création en 2010

http://www.univ-paris-est.fr/fichiers/dossier%20agence.pdf consulté le 25/09/2014

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11

englober les appellations antérieures des systèmes localisés de production et

d’innovation tels que districts, milieux innovants, technopoles, SPL…

Pour Zimmermann (2002), le cluster est un concept flou, mais qui permet néanmoins une

avancée par rapport aux districts des années 1980:

L’approche en termes de clusters, bien qu’elle ne s’appuie pas sur une définition précise

généralement reconnue et malgré la variabilité des conceptions mises en œuvre,

représente une avancée intéressante sur le plan analytique et sur celui d’une

instrumentation en termes de politiques publiques. Elle constitue une rupture avec les

approches de nature sectorielle et un élargissement par rapport au cadre trop étroit de la

notion de district.

Le sociologue Michel Grossetti définissait le SPL comme un «espace déterminé (...) de

coopérations coexistant avec des relations de compétition. Ces coopérations sont favorisées

principalement par la structure des réseaux sociaux» (2004). Cette approche générale est donc

assez proche de celle de Porter pour qui le cluster se caractérise par l’interconnexion entre les

acteurs locaux.

Grossetti tente de dresser une typologie des SPL en fonction de différents critères, comme le

type d'organisations présentes (Grandes entreprises, PME, universités, ...), la présence de

R&D, le type de localisation (métropoles, petites agglomérations, zones rurales,..), les

ressources échangées (informations, prêts d'argent,..), le type de relations sociales dominantes

(familiale, d'écoles, professionnelles). Grossetti aboutit à une classification en six SPL: les

districts, les technopoles, les systèmes de sous-traitance, les «activités rares», les «services

métropolitains», les systèmes «agro-alimentaires». Selon cette classification, notons que les

technopoles sont les seules dans lesquelles l'activité de recherche et développement est

toujours présente (Ibid.) Pour l'auteur, les technopoles sont situées dans les grandes

agglomérations, elles se composent de grandes entreprises, de PME et d'universités, leurs

relations sociales dominantes sont construites autour du travail et de l'enseignement supérieur

(Ibid.).

Grossetti, dont l'étude sur les SPL date de 2004, n'a pas utilisé le terme de cluster, alors peu

répandu en France. Cependant le cluster pourrait tout à fait s'inscrire dans la typologie de

Grossetti. Il constitue une nouvelle désignation d'espace de coopération.

En conclusion, la notion de cluster a d'abord été théorisée outre Atlantique dans les années

1990 puis cette notion s'est répandue en France dans les années 2000.

Comme on l’a vu à travers les différentes définitions données par les acteurs publics, le cluster

n’est pas simplement un secteur géographique dense en activités économiques, mais il renvoie

à une stratégie de politique économique pour faire de cette densité un facteur de compétitivité

au niveau local mais aussi à un niveau national et international.

Dans la suite de ce mémoire nous utiliserons le terme cluster dans le sens de la réunion sur un

même territoire de centres de formations, de laboratoires de recherche et d'entreprises.

Page 12: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

12

1.2 La co-localisation, un sujet abondamment traité en sciences du

management, en géographie et en économie

1.2.1 La proximité géographique comme levier de la capacité à innover

Michael Porter, en introduction de son «Clusters and the new Economics of competition»,

resume ainsi sa thèse:

Paradoxically, the enduring competitive advantages on a global economy lie increasingly

in local things-knowledge, relationships, and motivation that distant rival cannot match

(Porter, 1998b).

Dans cette perspective, le cluster constitue une nouvelle politique économique visant à

renforcer par la proximité géographique la performance du tissu économique. Le cluster se

caractérise par sa spécialisation et sa singularité: «Clusters are not unique, however; they are

highly typical» (Ibid.).

Pour Porter (1998 a; b) le rôle de la localisation a été longtemps négligé, les entreprises

recherchant auparavant des avantages concurrentiels essentiellement au niveau des prix

d'achat de leurs matières premières, qu'elles se procuraient à n'importe quel endroit de la

planète. En remettant au premier plan le rôle joué par l'environnement économique de proximité

dans la performance des acteurs économiques, l'auteur souhaite ouvrir de nouvelles

perspectives :

Clusters represent a new way or thinking about location challenging much of the

conventional wisdom about how companies should be configured, how institutions such

as universities can contribute to competitive success and how government can promote

economic development and prosperity (Ibid.)

L'auteur précise néanmoins que si la co-localisation représente un potentiel, cela ne garantit

pas la réalisation de ce potentiel. Il se propose alors d'expliquer ce qui fait le succès d'un

cluster, il évoque le mélange indispensable de concurrence et de coopération pour innover. Un

autre facteur de succès réside dans les liens informels créés entre les acteurs, ces liens sont

pour l'auteur plus efficace car ils permettent plus de flexibilité que les relations formelles

traditionnelles autour de partenariats. C'est la proximité qui favorise des échanges fréquents, et

renforce la confiance et la diffusion de la connaissance. Le système se « renforce de l’intérieur

» et produit alors de la richesse de manière endogène sur un territoire donné «Once a cluster

begins to form, a self-reinforcing cycle promotes its growth» (Porter, 1998b).

Globalement le cluster rend les entreprises plus productives, plus innovantes et favorise la

création d'activités entrepreneuriales. Et pour Porter, plus le monde devient complexe, et basé

sur la connaissance, plus la proximité est nécessaire.

De nombreux travaux académiques s’inscrivent dans cette lignée. Enright (1996) ou Rosenfeld

(2002), tout en réaffirmant l’importance des dimensions géographiques et relationnelles, mettent

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13

en évidence la nécessité d’une certaine masse critique d’entreprises, en termes de services, de

compétences et de fournisseurs spécialisés, pour permettre l’émergence et le développement

des clusters.

Pour Kukalis, les entreprises ont avantage à se localiser dans les clusters (2009). De même

pour Krugmam, la concentration des activités permet de s'échanger des biens, du travail, des

informations et autres connaissances (1995). L'auteur a montré ainsi comment la présence

d'«externalités» induit une répartition géographique inégalitaire de l'activité économique,

favorisant certaines zones au détriment d'autres régions.

Talbot cherche à montrer la pertinence d’une réflexion sur les «stratégies de proximité» (2009).

L'auteur s'appuie sur plusieurs exemples de cluster comme l'assemblage des Airbus à Toulouse

et Hambourg, la City de Londres, la concentration des fournisseurs de l'industrie automobile à

Hambach (Moselle) pour la Smart, etc. Il souligne que même si les données empiriques

montrent que la proximité géographique est un levier dans la capacité à innover, la dimension

spatiale est selon lui encore peu prise en compte en management stratégique et ces stratégies

restent à définir (2009).

1.2.2 Le rôle de la proximité géographique contesté par certains auteurs

Saxenian dans une étude comparée entre la Silicon Valley et Route 128 (Boston,

Massachusetts), partant du constat que l'industrie électronique de la Silicon Valley a poursuivi

sa croissance dans les années 1980 alors celle de Route 128 a décliné, réfute l'idée de la

proximité spatiale comme facteur de performance économique

The simple fact of spatial proximity evidently reveals little about the ability of firms to

respond to the fast-changing markets and technologies that now characterize

international competition (Saxenian, 1994)

Elle adopte ce qu'elle appelle «the Network perspective» inspiré de Granovetter, c'est à dire

que l'économie locale est analysée par la structure des liens entre les acteurs et non comme un

ensemble d'entreprises atomisées (Ibid.).

The network perspective helps explain the divergent performance of apparently

comparable regional clusters, such as Silicon Valley and Route 128, and provides

important insights into the local sources of competitive advantage.

La différence majeure dans l'organisation sociale entre la Silicon Valley et Route 128 est que la

première est basée sur un système de réseaux d'acteurs dans lequel les acteurs sont très

mobiles, les salariés peu "fidèles" à leur entreprise, où l'échange d'informations est facilité par

des relations horizontales tandis que Route 128 est qualifié par l'auteur de «firm-based

system», un système où l'entreprise est plus indépendante, centrée sur elle-même, plus

autocratique, ayant des activités plus intégrées, des salariés plus fidèles et où l'information

circule moins bien compte tenu de la culture du secret. Ce système était bien adapté à un

marché stable avec des technologies peu changeantes grâce aux économies d'échelle qu'il

permettait, en revanche dans un contexte de fortes évolutions et d'incertitude, Route 128 s'est

Page 14: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

14

avéré inadapté, les entreprises se trouvant enfermées dans un système obsolète qui ne leur

permettait pas d'accéder aux ressources locales avoisinantes qui auraient pu les rendre

réactives face aux changements, selon l'auteur. A l'inverse, l'organisation en réseau, qui abolit

les différences entre petites et grandes entreprises et entre secteurs d'activités, favorise le

processus d'innovation.

Dans cette perspective, ce n'est pas la co-localisation qui créé de l'innovation mais ce sont les

réseaux de liens existants entre les différents acteurs, la co-localisation permet en outre aux

acteurs de créer de nouvelles opportunités par le regroupement des ressources locales (capital,

technologies, compétences,....). La proximité géographique vient donc renforcer le dynamisme

économique qui repose avant tout sur un tissu de liens dense entre les acteurs.

Proximity facilitates the repeated, face-to-face interaction that fosters the mix of

competition and collaboration required in today’s fast-paced technology industries. Yet

the case of Route 128 demonstrates that geographic clustering alone does not ensure

the emergence of regional networks. Competitive advantage derives as much from the

way that skill and technology are organized as from their presence in a regional

environment.(Ibid.)

1.2.3 Le cluster, un objet dont on cherche à mesurer les performances

Des auteurs en sciences économiques se sont attachés à tenter de mesurer la performance

des clusters en proposant un ensemble d'indicateurs et de méthodologies tout en soulignant la

difficulté de cette tâche compte tenu de la forte hétérogénéité des clusters, en terme de taille,

de secteurs d'activité, d'historique, d'organisations (Merindol et al., 2010).

Sylvie Chalaye, constatant que les politiques économiques contemporaines sont

essentiellement fondées sur la logique de cluster, propose une grille d’analyse pour bien

comprendre les performances des clusters. Cependant elle évoque également les difficultés

liées à la construction des indicateurs ainsi que celles liées à la conception des études d’impact

(2011).

Michel Ferrary et Yvon Pesqueux définissent les facteurs qui peuvent contribuer à la

«croissance endogène» d'un cluster (2004). Après avoir décrit douze champs d'expertise

nécessaire à la performance d'un cluster, les auteurs évaluent le cluster en fonction du poids

relatif des douze «communautés de pratique»18 qui soutiennent chaque pôle d'expertise et de la

qualité des relations entre ces communautés.

Ainsi dans une étude comparative entre la Silicon Valley et Sophia Antipolis qui est alors la

principale technopole européenne de hautes technologies, les auteurs soulignent que Sophia

Antipolis connait une croissance moindre que la Silicon Valley, le nombre des sociétés cotées

18 Les 12 communautés de pratiques sont les enseignants-chercheurs universitaires, les chercheurs des centres de recherche, les salariés des grandes entreprises, les capital-risqueurs, les avocats, les experts en recrutement, les consultants, les experts comptables, les chargés de relations publiques, les banques

commerciales, les banques d'investissement et les journalistes (Ferrary, Pesqueux, 2004)

Page 15: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

15

en bourse tous les ans et les montants d'investissement y étant très inférieurs. Cette moindre

performance est expliquée par les auteurs par l'absence ou la faiblesse de certaines

«communautés de pratiques» à Sophia Antipolis, en particulier les capital-risqueurs, les avocats

d'affaires, les banques d'affaires et les salariés de grandes entreprises.

En raison de l'interdépendance systémique de l'efficacité des autres communautés de

pratiques, l'absence de certaines d'entre elles nuit à l'efficacité des communautés

présentes (laboratoires de recherche, universités...) et, plus globalement, handicape la

croissance endogène que pourrait générer le cluster. La faiblesse de la croissance

endogène n'est pas due à l'incapacité des chercheurs à générer des inventions

brevetées mais à la pauvreté de I ‘environnement économique en pôles d'expertise,

notamment financier et juridique, pour faciliter la création et le développement

d'entreprises ainsi que la continuité du cycle de vie de l'innovation (Ibid.).

Suchman avait de son côté parlé de « communauté organisationnelle » au sujet des avocats de

la Silicon Valley (2000). Ces derniers en jouant le rôle d’« entremetteurs » [dealmakers], de «

conseillers » [counselors] et de « prosélytes » [proselytizers], ont selon lui influencé le

développement d’une communauté associant des entreprises informatiques, des sociétés de

capital-risque et des cabinets d’avocat (Ibid.).

Nous allons voir dans le chapitre suivant que l'approche par les réseaux sociaux est empruntée

à la sociologie économique.

1.3 Du côté de la sociologie: l'origine sociale des phénomènes économiques

La sociologie s'est attachée à montrer la construction sociale des relations marchandes. Il s'agit

de mettre à jour un ensemble de représentations, d'institutions et de normes, plus ou moins

contraignants pour le développement économique. Pour expliquer les phénomènes marchands,

l'analyse des réseaux sociaux, des relations domestiques ou politiques sont notamment

mobilisés.

Ce chapitre est essentiellement consacré à la théorie de l'encastrement. L'Ecole de la proximité

qui traite également du rôle des liens sociaux dans le développement économique est abordée

au chapitre suivant.

1.3.1 La théorie de l'encastrement structural des relations marchandes

Steiner attribue à l'économiste hongrois Karl Polanyi (1886-1964) la mise en avant de

l'argument d'encastrement social pour expliquer les relations entre le système de marchés et la

société (2011). La circulation des biens, selon Polanyi, suppose nécessairement une structure

institutionnelle, quel que soit la société considérée (1977, chap.2). L'activité économique est

encastrée (embedded) dans les relations sociales, c'est à dire que les relations sociales

constituent un ensemble d'institutions servant de socle au fonctionnement des échanges.

Page 16: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

16

Granovetter reprend à son compte la théorie de l'encastrement mais l’applique aux sociétés

modernes (2000), alors que Polanyi opposait les économies des sociétés primitives jugées

fortement encastrées aux économies modernes considérées comme désencastrées..

Granovetter montre tout d'abord que dans le processus de recherche d'emploi, les relations

amicales et familiales et plus généralement les «liens faibles» jouent un rôle déterminant dans

l'obtention d'un emploi (1974). Ensuite il montre que le degré d'encastrement de l'économie

dans les relations sociales d'un milieu donné influence directement le succès du développement

économique (2003).

Notons que le terme embeddedness utilisé par les auteurs américains peut être traduit par

«encastrement» ou par «couplage».

La théorie de l'encastrement structural a été critiquée, soit parce qu'elle était jugée insuffisante

eu égard à d'autres formes d'encastrement, culturel, politique, cognitif (Zukin et DiMaggio,

1990), soit parce que certains auteurs se refusent à adopter une démarche séparant les

«sphères sociales» avec l'économie d'un côté et le social de l'autre (Zelizer, 2011).

Granovettrer s'appuyant sur les données empiriques de nombreux travaux décrit la

configuration sociale de plusieurs systèmes marchands dans le monde, comme celui de la ville

de Modjokuto (Indonésie), le Bazar au Maroc, la ville de pêcheurs d'Estancia aux Philippines, la

ville balinaise de Tabanan, l'organisation des tontines ou encore la diaspora chinoise (2003). Il

montre alors que la structure sociale peut empêcher ou au contraire favoriser le développement

économique des entreprises.

Un encastrement trop fort est un frein au développement d'une entreprise

Ainsi dans les entreprises de certaines communautés, les membres sont redevables d'un

ensemble d'obligations vis-à-vis des autres membres, comme fournir un emploi à un proche,

prêter de l'argent à quelqu'un en difficulté, devoir prendre un fournisseur par solidarité ou tout

autre engagement qui peuvent nuire aux intérêts purement économiques de l'entreprise. S’ils

ne satisfont pas ces obligations, ils prennent le risque d’être désapprouvés par la communauté.

Dans l'exemple de Tabanan, petite ville indonésienne de pêcheurs étudiée par Geertz et

Granovetter (2003), la structure sociale se présente comme densément connectée

verticalement et horizontalement. Les entrepreneurs appartiennent tous à plusieurs groupes

sociaux, les «seka», formés sur des bases religieuses, politiques, économiques ou autres.

Cette configuration leur apporte une forte solidarité mais aussi une obligation de loyauté vis-à-

vis du groupe dont l'intérêt est supérieur à ceux des individus. Granovetter observe ainsi que

les entrepreneurs ont tendance à se comporter de manière «non économique». Cela se traduit

par «une forte pression en faveur de la redistribution du profit au détriment de son

réinvestissement mais aussi par la tendance à employer plus de salariés que nécessaire». Les

entreprises ne peuvent dès lors se développer que jusqu'à un certain point, la rationalisation

des entreprises «aux dépens de la communauté» étant impossible (Ibid.)

Page 17: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

17

Un encastrement trop faible empêche également le développement d'une entreprise

Dans le cas des Noirs Américains ayant migré du Sud vers les villes du Nord, Granovetter, à

l'appui de l'étude de Light, montre que les tentatives de créer des petites entreprises ont échoué

faute de solidarités locales entre les membres de la communauté (1972). Contrairement par

exemple aux minorités chinoises ou japonaises fortement soudés par leurs origines

géographiques (le village ou la Province d'origine), les Noirs américains, coupés de leurs

origines africaines depuis plusieurs décennies n'éprouvaient plus aucun sentiment

d'appartenance sur la base de leurs villes d'origine, ils ne pouvaient compter que sur des

associations vastes et impersonnelles comme la Ligue Urbaine ou la Ligue Nationale des

Affaires Noires, composées, selon Light, de l'élite Noire américaine, structurellement isolée et

«incapable d'atteindre la jeunesse noire des classes inferieures.» (Ibid., p117).

Dans l’exemple de la ville javanaise de Modjokuto étudiée par Dewey et Geertz, Granovetter

(2003) montre que dans une structure sociale atomisée, faiblement connectée horizontalement

et verticalement, les entreprises ne peuvent pas se développer au-delà du cadre individuel ou

familial. Il en est de même à Estancia aux Philippines ou la structure sociale se caractérise par

une forte hiérarchie sociale provoquant une concurrence exacerbée, les personnes pauvres

entrant en concurrence pour obtenir l'appui d'une personne au statut plus élevé.

La base sociale de l'entreprise se retrouve dans ces villes le plus souvent circonscrite à la

famille, faute de confiance dans les relations verticales et faute de solidarité horizontale. A

Estancia, la défiance est généralisée même au sein de la famille «tout le monde pense que

l'autre ne pense qu'à son intérêt» (Ibid.).

Le succès économique résulte d'un subtil équilibre entre couplage et découplage

Granovetter montre qu'une structure sociale peut présenter un net avantage dans certaines

situations, c'est le cas par exemple de la diaspora chinoise qui a eu un développement

économique beaucoup plus profitable que d'autres minorités (2003). A l'appui de plusieurs

données empiriques, Granovetter note que:

Tous les récits s’accordent à dire que les affaires chinoises bénéficient de coûts de

fonctionnement beaucoup plus faibles, liés à l’existence de la confiance à l’intérieur de

cette communauté. Le crédit est accordé et le capital mis en commun avec l’idée que les

engagements seront tenus; la délégation d’autorité a lieu sans crainte que l’agent

poursuive son intérêt propre aux dépens du principal. (Ibid., p.184)

Selon l'auteur, le succès de l'activité entrepreneuriale résulte d'un «savant dosage entre d’une

part une cohésion sociale suffisante pour faire appliquer des normes de moralité dans les

affaires et créer une atmosphère de confiance, et d’autre part des circonstances qui limitent les

revendications non économiques pesant sur une entreprise et freinant sa rationalisation » (Ibid.,

p.187)

Si Granovetter a analysé l'encastrement au travers de l'activité économique de minorités

ethniques, Michel Grosssetti s'est intéressé à l'activité entrepreneuriale hors contexte ethnique,

Page 18: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

18

c'est que nous proposons d'aborder dans le chapitre suivant, après avoir abordé la notion de

capital social.

1.3.2 Le «capital social» et la théorie de la force des liens faibles

Le capital social comme moyen d'accéder à des ressources

Bien que l’idée selon laquelle le réseau de relations d’un individu constitue pour lui une forme

de ressources est ancienne (Degenne et Forsé, 1994), elle a été popularisée à travers la notion

de «capital social» de Pierre Bourdieu (1980). L’auteur distingue trois formes de capital: (i) le

capital économique défini par les revenus, le patrimoine matériel et financier, (ii) le capital

culturel, de nature intellectuelle, mesurable notamment par les diplômes, et (iii) le capital social.

Ce dernier est défini comme «l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées

à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées

d’interconnaissance et d’interreconnaissance» (Ibid.). Cette définition s’inscrit dans une

approche utilitariste des relations sociales, qui suppose un «travail» et une «compétence

spécifique» pour former et entretenir un réseau de relations que l’individu peut mobiliser selon

ses besoins.

Comme le rappelait Pierre Mercklé, Bourdieu n’a en fait accordé qu’un rôle secondaire au

capital social dans les mécanismes de reproduction sociale, le capital social étant issu du

capital économique et du capital culturel et n’étant là que pour les renforcer (2011).

En revanche des auteurs anglosaxons comme Nan Lin, Coleman, Granovetter, Ronald Burt se

sont emparés de cette notion dans l’analyse des réseaux sociaux pour lui donner une place

centrale.

Coleman introduit de plus la notion de «capital humain» constituée par les compétences

propres d’un individu indépendamment de ses relations («le capital humain se situe dans les

points, et le capital social dans les lignes qui relient les points») (1988).

Dans la perspective structurale, le capital social d’un individu ne se limite pas à ses relations

directes, mais comprend les relations indirectes et donc inclut le capital social de toutes ses

relations. La «valeur» du capital social réside dans la position de l’individu dans une structure

sociale et dans l’ensemble des ressources auxquelles il peut ainsi accéder. Burt montre ainsi

que les caractéristiques structurales du réseau doivent être prises en compte, notamment le

caractère redondant d’une relation, et pas seulement le nombre des relations (1995).

De Graaf et Flap ont nuancé cette approche en soulignant qu’il ne suffit pas d’avoir beaucoup

d’amis, faut-il encore que ces derniers soient prêts à mobiliser pour vous leurs propres

ressources (1988). Par conséquent le capital social d’un individu doit également tenir compte

d’autres paramètres comme le volume des ressources détenues par ses relations (capital

économique, culturel et social) et les chances d’accès à ces ressources (Ibid.).

Enfin, contrairement à l’hypothèse de Bourdieu, Michel Forsé, à l’appui de données statistiques

sur l’enquête emploi de l’INSEE, a montré un effet propre du capital social (1997). Il conclut que

le capital social est réparti dans toutes les catégories sociodémographiques, ce sont d’ailleurs

Page 19: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

19

les moins diplômés qui y ont le plus recours, les plus diplômés privilégiant les concours. Le

capital social exerce, selon lui, un effet, inférieur à celui du diplôme mais équivalent à celui de

l’origine sociale, sur le statut acquis dans la hiérarchie sociale.

Les liens faibles pour assurer la cohésion entre les groupes sociaux

La théorie des liens faibles permet d’éclairer la façon dont le capital social peut produire ses

effets. Granovetter définit la force d’un lien comme «une combinaison (...) de la quantité de

temps, de l’intensité émotionnelle, de l’intim ité (la confiance mutuelle) et des services

réciproques qui caractérisent ce lien» (1973). L’auteur parle alors de liens forts et de liens

faibles.

Un pont (bridge) est, selon l'auteur, un lien qui permet de relier entre eux deux individus qui

appartiennent à des groupes totalement disjoints.

Enfin rappelons qu'une «clique» est définie comme un groupe d’individus dont les liens sont

très denses au sein du groupe mais ayant peu de liens avec l’extérieur du groupe.

Granovetter démontre qu’un pont n’est jamais un lien fort, car une des particularités statistiques

des liens forts, c’est que plus un lien est fort et plus les relations respectives de chacun sont

superposées: ainsi si A et B sont en lien fort et A et C sont en lien fort, alors B et C seront liés

également. Une configuration dans laquelle B et C ne seraient pas liés constitue une «triade

interdite» (Ibid.)

Par conséquent un pont, selon cette hypothèse, est toujours un lien faible permettant de relier

entre eux deux groupes d’individus séparés. Ainsi la diffusion d’une information qui ne

circulerait que par des liens forts risquerait de rester limitée à la clique. Ce sont les liens faibles

qui permettent une large diffusion des informations au sein de la société. Un individu obtiendra

donc grâce à ses liens faibles des informations qui ne sont pas accessibles dans son cercle

restreint, car les liens faibles le relient à des groupes d’individus qui ont plus de chance de

disposer d’informations différentes, c’est pourquoi l’auteur parle de la «force des liens faibles».

Les liens faibles dans cette vision génèrent de la cohésion sociale alors que les liens forts

fragmentent la société.

Cette théorie a notamment été complétée par la théorie des «trous structuraux» de Ronald Burt

(1995). Cet auteur s’est plus attaché à montrer l’avantage compétitif que peut représenter la

structure sociale d’un acteur. Un acteur qui dispose de «trous structuraux» est avantagé sur les

autres, c’est à dire que cet acteur est relié à plusieurs groupes distincts d’individus et aucun de

ces groupes ne sont reliés entre eux. En effet si les groupes se superposent, alors pour Burt,

les relations sont redondantes, elles sont «structuralement équivalentes», c’est à dire qu’elles

donnent accès aux mêmes ressources (Ibid.)

En conclusion plus il y a de ponts et de trous structuraux dans la configuration du réseau social

d’un individu, plus son capital social est important, Burt a vérifié cette hypothèse notamment

lors d’une grande enquête auprès d’un échantillon de 3000 directeurs d’entreprises (1992).

Page 20: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

20

L’articulation entre liens forts et «trous structuraux», entre capital social «individuel» et

capital social «collectif»

Si d'un côté des auteurs ont tenté de renforcer le capital social par une approche structurale

des relations, en cherchant un équilibre entre liens forts et liens faibles, d'autres ont mis en

avant la nécessité d'articuler le capital social individuel avec le capital social du groupe pour

une mobilisation optimale des ressources.

A l'inverse de la théorie de la force des liens faibles, des auteurs ont montré les avantages de la

«fermeture» relationnelle (Coleman, 1988). Les individus d'un groupe dont les liens sont denses

s'accordent plus facilement sur la valeur des biens et des personnes (Baker, 1984). Une

structure cohésive permet d'élaborer des normes et de créer un fort degré de confiance

interpersonnelle (Coleman, 1988). Une structure dense et cohésive permet de créer un

sentiment d'appartenance et de solidarité, mieux à même d’assurer sa reproduction et son

extension (Bourdieu, 1980).

La théorie des trous structuraux a également été critiquée car elle ne tient pas compte de la

mesure de la «centralité de proximité» dans un réseau ni de l’«intermédiarité» qui fait qu’un

contact occupe une position clé dans un réseau en tant que point de passage obligé pour les

autres (Freeman, 1979). Ronald Burt a lui-même amendé sa théorie pour prendre en compte la

confiance et la réputation, sans lesquelles les acteurs ne peuvent s’engager dans une

coopération (2006). La confiance et la réputation s’obtiennent par la force des liens et la

densité des liens qui permettent d’exercer des contrôles indirects. Par conséquent les liens forts

sont aussi un facteur d’efficacité relationnelle. Il y aurait donc un point d’équilibre à trouver entre

trous structuraux et densité des liens.

Olivier Godechot et Nicolas Mariot distinguent quant à eux les notions de capital social

«individuel» du capital social «collectif» (2004). Il y aurait une articulation optimale à trouver

entre ces deux formes de capital pour que les acteurs puissent lutter efficacement contre la

concurrence au sein d'un groupe et contre la concurrence du groupe avec les autres groupes.

A un niveau individuel, les relations peuvent être vues comme un système de

mobilisation de ressources, dans le cadre d’une multiplicité d’échanges dyadiques. Mais

à un niveau plus agrégé, les relations peuvent être aussi le support d’un comportement

coopératif. Aussi, nous considérerons ici que le capital social « individuel » est le

bénéfice qu’un individu tire de sa place dans la structure des relations, alors que le

capital social collectif est le capital du groupe, bien collectif que le groupe partage et

renforce par l’établissement d’une forte cohésion (Ibid.)

Les auteurs notent cependant que l'acquisition de ces deux formes de capital peut rentrer en

tension: si l'on cherche à densifier son réseau de relations proches, alors on risque de perdre

sa singularité relationnelle (peu de trous structuraux) et si au contraire on travaille à étendre son

réseau de liens faibles, on évite les relations redondantes et on peut affaiblir la cohésion de son

groupe d'appartenance.

Page 21: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

21

Les auteurs ont étudié la dialectique entre ces deux formes de capital dans le monde

académique à partir d'un réseau de chercheurs en sciences politiques. Postulant que les

relations d’invitation dans les jurys sont un indicateur de la structure relationnelle d’une

discipline, les auteurs ont recueillis des données empiriques sur la composition des jurys et sur

l'obtention de postes par les jeunes docteurs durant les années 1990. Ils en concluent que :

(…) d’une part, la diversification à l’intérieur du groupe permet à l’échelle individuelle de

gagner les doubles avantages, stratégiques et informationnels de la non-redondance,

d’autre part, la cohésion et la densité du groupe permettent au groupe d’exister, de

limiter la concurrence en son sein et de se mobiliser contre les autres groupes pour

l’obtention d’avantages pour ses propres membres. (Ibid.).

Ainsi dans le champs académique étudié par les auteurs (les sciences politiques), les docteurs

ont nettement plus de chance d'obtenir un poste si à la fois ils bénéficient d'un jury dont la

provenance est diversifiée, ce qui va leur ouvrir plus d'opportunités (capital social individuel), et

si le groupe formé par leur directeur de thèse est cohésif, auquel cas ce dernier est plus enclin

à les défendre contre la concurrence externe des autres docteurs qualifiés dans la disc ipline

pour l'obtention d'un poste (capital social collectif).

1.3.3 La création d'entreprise est un processus de découplage

Grossetti et d'autres socioligues ont repris les notions d'encastrement et de découplage pour

pouvoir analyser les liens entre les organisations, les individus et leur réseau.

Grossetti et Barthe (2008) reprennent les notions d'encastrement et de découplage de White

(2002). L’encastrement est défini comme «un processus d’accroissement de la dépendance

d’une forme sociale par rapport à une autre». Le découplage est «le processus réciproque

d’autonomisation d’une forme par rapport à une autre. Lorsqu’une relation interpersonnelle

s’extrait d’un collectif (par exemple lorsque l’un des deux protagonistes d’une relation quitte le

collectif mais maintient un lien personnel avec l’autre), elle s’en découple. Lorsqu’une

organisation met en place des procédures qui la prémunissent contre les aléas des relations

interpersonnelles, elle se découple de celles-ci.» (Grossetti, Barthe, 2008).

Selon cette approche, les auteurs s'éloignent de l'analyse habituelle des réseaux statiques et

s'intéressent plutôt à l’activation de relations dans des processus d’accès à des ressources.

Les relations personnelles sont prédominantes dans le processus de création

d'entreprise

Nous avons vu précédemment que la sociologie des réseaux sociaux a montré le rôle des

relations personnelles dans la vie économiques et dans le développement des entreprises.

Cependant pour Grossetti et Barthe aucune étude n'avait quantifié leur importance, c'est ce

qu'ils ont proposé de faire à partir de 54 histoires de création d’entreprises de la région Midi-

Pyrénées et des régions limitrophes (2008). Leur étude montre que les relations sociales des

Page 22: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

22

fondateurs sont prédominantes, surtout lors de la phase de démarrage, dans l'accès aux

ressources utilisées pour l'entreprise, comme la recherche de clients, de partenaires, de

fournisseurs, d'employés ou de financement :

Tout se passe comme si les relations jouaient un rôle particulièrement central dans les

phases d’imprévisibilité (Grossetti, 2004), dans lesquelles les dispositifs destinés à

réduire cette imprévisibilité (services d’aide à la création d’entreprises) n’opèrent pas

encore ou sont d’une efficacité limitée (Grossetti et Barthe, 2008).

Lorsque le rôle des relations personnelles diminue, c'est alors un indice, pour les auteurs, du

découplage de la nouvelle entreprise, qui acquiert plus d’autonomie vis-à-vis des relations

personnelles des fondateurs.

Un autre résultat de l'étude quantitative de Grossetti et Barthe est que les relations personnelles

à caractère professionnel, comme les anciens collègues ou des connaissances acquises dans

le monde professionnel, sont plus favorables au succès des jeunes entreprises, au moins dans

les premiers temps (Grossetti et Barthe, 2008).

L'entreprise doit nécessairement se découpler des relations personnelles de ses

membres pour croître

Plus une organisation se découple des relations personnelles de ses membres, plus pour

Grossetti elle devient un «acteur social, cet acteur étant lui-même encastré dans un réseau

d’organisations ou un ensemble plus vaste tel qu’un marché.» (2004).

Fabien Reix montre également à partir de 45 entretiens biographiques avec des créateurs

d’entreprises, que la création d’entreprise est un processus de découplage (2008). Au départ

les entrepreneurs sont ancrés dans des liens forts, très locaux, mais par la suite ils mobilisent

davantage de liens faibles.

Dans l'étude de Grossetti et Barthe, la part des accès aux ressources par des chaines

relationnelles se restreint au fil du temps et devient minoritaire, passant de 64% du total des

ressources obtenues avant le dépôt des statuts à 40 % après un an de création. La part des

relations non professionnelles reste stable (16 %).

Les auteurs soulignent néanmoins que ce découplage est très relatif puisque les 40% semblent

constituer un palier, que l'on constate aussi sur les années suivantes.

Si Grosseti et Barthe affirment que «le devenir de l’entreprise est corrélé à la mobilisation des

relations sociales» (2008), ils montrent aussi que les entreprises qui ont connu une croissance

conforme aux prévisions mobilisent beaucoup les organismes d’aide à la création. Et celles qui

réussissent mieux que prévu mobilisent plus les relations personnelles de type professionnel.

A l'inverse, celles qui connaissent des difficultés ou des échecs sont celles qui mobilisent le

moins les relations professionnelles ou les organismes de soutien.

Page 23: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

23

Par ailleurs les entreprises ayant connu un succès inattendu se composent toutes de plusieurs

fondateurs: «la dimension collective du projet, par le nombre des fondateurs autant que par les

relations qu’ils mobilisent, semble associée à de plus grandes possibilités de croissance en

taille » (Grossetti et Barthe, 2008).

Et selon leurs données empiriques, les entreprises qui ne réalisent pas ce découplage ont des

taux d'échecs bien supérieurs à celles qui se sont «désencastrées» (Ibid.). De ce point de vue

ces résultats convergent avec ceux de Granovetter (2003).

Les relations personnelles sont moins prédominantes dans un cluster

Claire Champenois insiste davantage sur l'importance des dispositifs d'aide à la création au

sein des clusters qu'elle étudie, ceux de la biotechnologie allemande. Selon l'auteur, ces

dispositifs se substituent en partie aux réseaux interpersonnels (2008).

Au plus fort de la croissance entrepreneuriale, ces intermédiaires [les sociétés de capital

risques, publiques ou privées dans les régions de Munich, Berlin ou le Bade-

Wurtemberg] orientent notamment les entrepreneurs vers les financements, nouveaux et

abondants, apparus au niveau local et extra-local. Autrement dit, c’est cette possibilité

d’accéder aux ressources clés sans posséder de relations interpersonnelles pertinentes

qui a sous-tendu l’émergence massive et localisée d’entrepreneurs dans la seconde

moitié des années 1990. (Ibid. p.82)

Claire Champenois remet en cause la prédominance du réseau social ainsi que des externalités

de connaissance pour expliquer la création entrepreneuriale sur un territoire donné. Elle met en

avant trois autres facteurs clés qui sont:

la richesse du capital humain scientifique, c’est-à-dire la co-présence d’individus

engagés dans les sciences de la vie qui vont cofonder et diriger une entreprise, cette co-

présence étant liée à la densité d’institutions d’enseignement supérieur et de recherche

sur ce territoire ; l’existence d’une offre de financements, principalement extra-locale et,

dans une moindre mesure, de possibilités d’hébergement et de conseils ; l’existence

d’une structure sociale locale – constituée d’organisations et de dispositifs – capable

d’orienter les entrepreneurs vers cette offre sur un mode plus dépersonnalisé que les

réseaux sociaux.

Dans les clusters de biotechnologie allemande, les dispositifs intermédiaires locaux ont joué un

rôle déterminant pour Claire Champenois, de la même manière que dans la Silicon Valley, les

avocats ont joué un rôle clé.

Page 24: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

24

1.4 L'école de la proximité

1.4.1 Principaux apports

L'Ecole de la proximité, également appelé le groupe «Dynamiques de proximité» par

Carrincazeaux, Lung, Vicente (2008), est un courant de pensée interdisciplinaire composé

d'économistes, de géographes, de gestionnaires et de sociologues français comme Grossetti et

Barthe.

André Torre fait remonter les bases de l'Ecole de la Proximité à la parution d´un numéro spécial

de la Revue d’Economie Régionale et Urbaine intitulé «Economie de Proximités» en 1993

(2010). Prenant pour objet d'études les relations industrielles, l'innovation, le nomadisme des

entreprises, les nouvelles technologies, les ressources territoriales ou encore les systèmes

productifs locaux, ce courant a cherché à prendre en compte la proximité dans sa dimension

spatiale et non spatiale en définissant un ensemble de notions que nous présentons ci-après.

Proximité géographique et proximité organisée

Comme souligné par Rallet et Torre (2008), il ne suffit pas d’être côte-à-côte pour communiquer

et travailler ensemble, comme en témoigne l’«habitat vertical» qui met en relation de grande

proximité des gens qui ne se connaissent pas. Il ne suffit pas que des entreprises résident dans

un même lieu pour interagir, échanger des connaissances et créer de l’innovation, «encore faut-

il que les membres de ces organisations se connaissent, et, plus encore, désirent échanger et

travailler ensemble, se projettent ensemble dans des projets et des constructions communes»

(Ibid., p.9).

Rallet et Torre distinguent d'un côté la proximité géographique, définie ainsi:

La proximité géographique traduit la distance kilométrique entre deux entités (individus,

organisations, villes...), pondérée par le coût temporel et monétaire de son

franchissement. (...) la proximité géographique a, in fine, pour objet de savoir si l’on se

trouve « loin de » ou « près de » (2005).

Ils précisent par ailleurs que la proximité géographique est relative d'une part aux moyens de

transport, la distance géométrique étant relative selon la facilité d'accès et le coût du transport.

Elle est relative d'autre part au «jugement porté par les individus ou les groupes sur la nature de

la distance géographique qui les sépare» (Ibid.), ce jugement dépendant de données objectives

aussi bien que de leur perceptions variables selon l'âge, la profession, etc.

Les auteurs distinguent de l'autre côté la proximité organisée qui n’est pas de nature

géographique mais relationnelle

Par proximité organisée, on entend la capacité qu’offre une organisation de faire

interagir ses membres. L’organisation facilite les interactions et les actions en son sein ;

Page 25: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

25

en tout cas, elle les rend a priori plus faciles qu’avec des unités situées à l’extérieur de

l’organisation» (Ibid.).

Il faut comprendre ici le terme organisation dans un sens générique «qui désigne tout ensemble

structuré de relations sans préjuger de la forme de la structure. Ce peut être une entreprise, une

administration, un réseau social, une communauté, un milieu...» (Ibid.).

La proximité géographique va ensuite être enrichie avec la notion de proximité géographique

«temporaire». Pour Torre, les proximités vont se combiner selon différentes dynamiques,

l'auteur a ainsi décrit plusieurs types de séquences ou alternent les proximités organisées et

géographiques temporaires dans le cadre de collaborations interentreprises (2010).

De même pour Carrincazeaux et Lung, le besoin de proximité géographique peut être par

exemple intense lors des phases communes de conception et de développement et moins

intense lors des phases de fabrication (1998).

Enfin certains auteurs soulignent que la proximité peut aussi être un handicap «parce qu’elle

peut conduire à un repli sur un territoire limité, laissant passer des opportunités d’innovation

existant ailleurs, ou parce que les forces centripètes exercées par les centres d’innovation,

notamment les grandes métropoles urbaines, peuvent désertifier les territoires environnants»

(Carrincazeaux et al., 2008).

Logique d'appartenance et logique institutionnelle

Selon Rallet et Torre, la proximité organisée repose sur une logique d'appartenance et de

similitude (2008). Les auteurs décrivent ainsi la logique d'appartenance: «deux membres d’une

organisation sont proches l’un de l’autre parce qu’ils interagissent et que leurs interactions sont

facilitées par les règles ou les routines de comportement (explicites ou tacites) qu’ils suivent»

(Ibid.).

La logique de similitude se traduit de son côté par le partage d'un même système de

représentations, ou d'un ensemble de croyances, et de savoirs communs. C’est ce que les

auteurs appellent la logique de similitude de la proximité organisée: «Deux individus sont dits

proches parce qu’ils « se ressemblent », autrement dit parce qu’ils partagent un même système

de représentations, ce qui facilite leur capacité à interagir » (Ibid.).

Au sujet de la logique de similitude, Torre précise: «La différence majeure avec la logique

d’appartenance est que cette dynamique, loin de s’initier ex nihilo, vient s’ancrer dans les

relations passées» (2010).

Pour Torre et Zuindeau, il est bien plus difficile de construire une logique de similitude qui

suppose «une représentation partagée d'un projet de long terme» qu'une logique

Page 26: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

26

d'appartenance qui peut se construire «à force d’interactions», par «la mise en réseau des

acteurs, le partage de règles et d’instruments» (2009).

Proximité institutionnelle et proximité organisationnelle

Des auteurs distinguent les notions de proximité «institutionnelle» et «organisationnelle». Ainsi

Kirat et Lung définissent la proximité institutionnelle comme « l’adhésion d’agents à un même

espace commun de représentations, de règles d’actions et de modèles de pensée », tandis que

selon eux la proximité organisationnelle fait référence au mode de coordination au sein d’une

organisation entendue comme un « espace de définition des pratiques et des stratégies des

agents à l’intérieur d’un ensemble de règles portées par les institutions » (1995).

Carrincazeaux et al. soulignent quant à eux que la proximité organisationnelle ne peut se

construire que si les acteurs sont institutionnellement proches (2008).

Pour Talbot, le groupe «Dynamiques de Proximité» est traversé par un débat récurrent

concernant le traitement de la dimension non spatiale de la proximité: faut-il distinguer la

proximité institutionnelle et organisationnelle ou bien les réunir sous le terme de proximité

organisée ? Selon cet auteur «Une façon de trancher le débat consiste à considérer dans un

premier temps que la proximité est un phénomène institutionnel (...) dont on distinguera dans un

second temps pour des raisons pratiques d’un côté les caractéristiques d’ordre spatial, de

l’autre les caractéristiques d’ordre non spatial» (2009).

Articulation entre les différentes proximités

La plupart des auteurs s'accordent sur le fait que la proximité géographique n'a d'effets que si

elle est accompagnée d'une proximité organisée qui permet de coordonner les acteurs. Pour

Rallet et Torre, « la proximité géographique n’est efficace que si elle recouvre des liens

organisationnels. » (2001).

Pour Talbot, la proximité géographique ne favorise les mises en relation «que si les acteurs

partagent simultanément une proximité non spatiale» (2009). En effet pour l'auteur «la proximité

géographique ne joue que dans son articulation à une proximité de nature organisationnelle,

qu’elle soutient, renforce, compense, voire détruit en s’avérant être une source de conflits.»

(Ibid.)

Pour Zimmermann, la proximité géographique renforce «l’efficacité des interactions» mais elle

n'est pas indispensable pour la coordination: «La proximité des agents peut s ’accommoder

d’une distance géographique compensée par le partage de buts communs ou de

représentations communes qui vont fonder la qualité de leur coordination.» (2008). C'est donc

pour cet auteur la logique de similitude qui créé des coopérations.

Page 27: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

27

Carrincazeaux et al. ne considèrent pas la proximité géographique de manière isolée comme

pouvant avoir un effet propre mais la considèrent comme un «moment nécessaire» de la

proximité non spatiale: «la proximité géographique est souvent un moment nécessaire pour que

se développent des apprentissages en matière de gestion de la communication entre acteurs,

notamment par la construction d’une proximité institutionnelle. Le regroupement favorise en

effet le partage des représentations et des valeurs, l’élaboration des règles ou même de

stratégies et les échanges sur les modalités de mise en pratique de ces règles (proximités

institutionnelle et organisationnelle)» (2008).

Pour ces auteurs, la proximité géographique doit être activée par l'existence d'une proximité

organisationnelle et/ou institutionnelle.

Par ailleurs Carrincazeaux et al. Introduisent le critère de la complexité des savoirs pour

expliquer quelle proximité doit être mobilisée: «D’un côté, la dimension peu complexe des

savoirs facilite la coordination à distance quand, de l’autre, la mise en commun de

connaissances accumulées implique que cet éloignement soit supporté par une proximité

organisationnelle forte» (2008).

Pour ces auteurs, les besoins de communication fondent la dynamique spatiale de l'innovation.

Cependant la proximité n'est pas unidimensionnelle et l'agglomération géographique n'est pas

«la panacée». Plusieurs configurations sont possibles. Si les bases de connaissance mobilisées

pour innover sont complexes, alors les acteurs peuvent avoir recours à une proximité

organisationnelle renforcée qui peut s'accompagner de proximité géographique permanente ou

temporaire.

Dans certains cas il est même possible de s’affranchir totalement de la proximité géographique

pour innover. Ainsi, selon Coris et Lung, la création de logiciels libres ou open source repose

sur une proximité institutionnelle sans aucune proximité géographique (2005). Pour les auteurs

il existe en effet parmi les membres de ces communautés virtuelles une forte proximité

institutionnelle incarnée par deux visions du hackerisme, celle de la FSF (Free Software

Fondation) et celle de l'Open Source Initiative. Ces deux mouvements fédèrent leurs

communautés respectives autour de règles et de valeurs partagées qui ont permis de construire

une proximité organisationnelle pour produire des logiciels par des individus très éparpillés

géographiquement (Ibid.).

Trop ou pas assez de proximité est générateur de tensions

Pour Torre et Zuindeau, un excès de proximité organisée peut entraîner des relations

conflictuelles lorsque des processus de ségrégations spatiales se produisent entre différentes

communautés (2009).

A l'inverse quand la proximité organisée est insuffisante, alors la proximité géographique peut

devenir source de tensions: «L’insuffisance ou les difficultés de mobilisation de la proximité

organisée se traduisent par une absence ou une faiblesse extrêmes des relations de

coopération, des liens de solidarité ou des représentations partagées. La contrainte de

Page 28: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

28

proximité géographique (superposition, contiguité ou voisinage forcés) fait subir des tensions

aux acteurs locaux, voire les entraine à des relations conflictuelles, en particulier quand ils sont

confrontés à des situations nouvelles ou complexes.» (Ibid.).

Pour ces auteurs les tensions naissent lorsque les acteurs sur un même espace géographique

ne partagent pas les mêmes logiques de similitude ou d'appartenance. L'absence de liens, le

manque de visions communes peuvent alors entraîner des conflits lorsque survient de

nouveaux événements -comme une pollution soudaine ou un projet controversé de construction

d'infrastructure-, par incapacité à trouver ensemble des solutions et à mener des actions

concertées (Ibid.).

Cependant pour ces auteurs, l'efficacité de la proximité organisée qui se constitue devant un

problème nouveau varie en fonction du degré d'incertitude du problème. La proximité organisée

sera plus efficace pour traiter un problème circonscrit comme la pollution ponctuelle d'une usine

que pour traiter du réchauffement climatique, dont l'origine comporte une grande incertitude

(Ibid.)

Ces auteurs ouvrent ainsi une piste théorique qui selon eux pourrait s'appliquer, pas seulement

aux problèmes environnementaux mais également aux innovations et aux projets productifs

locaux.

1.4.2 Les effets de proximité sont insuffisants pour expliquer seuls les

coopérations entre les acteurs

Selon Grossetti, «parmi les diverses théories qui ont été avancées pour expliquer les effets de

proximité, la mieux fondée empiriquement est celle qui fait résulter la mise en relation des

organisations de l’existence de réseaux sociaux locaux interindividuels traversant leurs

frontières (Saxenian, 1994 ; Grossetti et Bès, 2002)» (2004)

Pour Grossetti, «ce n’est pas la proximité physique en soi qui compte, ce sont les relations

sociales qui rendent possible des engagements et des prises de risques » (2004). L'auteur qui

s'est intéressé de près aux districts et aux systèmes productifs locaux, étudie ces ensembles

sous l'angle des relations sociales entre les membres:

Dans les districts italiens ou les sites français de même nature, la famille joue un rôle

déterminant (...) parce que les populations concernées sont plutôt sédentaires. Dans les

systèmes industriels de haute technologie, les instituts de formation, les entreprises et

les autres organisations professionnelles ou non professionnelles sont les cadres

principaux de formation et de maintien des relations sociales parce que les populations

concernées sont nettement plus mobiles et rassemblent des personnes ayant pour une

bonne part passé leur enfance ailleurs. (Ibid.)

Page 29: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

29

Il note des différences entre les sites concernant l'importance joué par le pôle de formation.

Ainsi certains sites comme la Silicon Valley des débuts, ou en France Toulouse et Grenoble, les

instituts de formation jouent un rôle central dans la structuration des activités contrairement à

d'autres sites comme Sophia Antipolis (Ibid.).

Dans certains cas, comme pour le commerce du textile dans le Sentier à Paris ou dans le cas

du montage des ordinateurs à Los Angeles, ce sont les regroupements familiaux et

communautaires qui constituent le réseau social qui sous-tend ces activités. Pour l'auteur ce

n'est pas la proximité géographique qui génère ces activités, mais les liens communautaires qui

permettent «des engagements et des prises de risques» sans lesquels ces activités ne

pourraient pas se développer.

Pour Grossetti, la proximité géographique ne favorise les coopérations que dans la mesure où

elle permet «l’existence et la pérennisation de relations sociales sur la base desquelles ces

coopérations peuvent s’établir» (2004).

Zimmermann s'intéresse à l'articulation entre les relations locales et les relations globales (au-

delà du local) dans les clusters. Il propose un outil conceptuel pour évaluer le dosage optimal

entre local et global, il réutilise la notion de «small world» pour qualifier un système dont la

configuration des liens serait optimale:

Les propriétés remarquables des small worlds, qui apparaissent pour une dose modérée

de relations globales et un maillage local s ignificatif, correspondent à un bon équilibre et

une forme de conciliation entre l’inscription spatiale des agents et leur intégration dans

des circuits à l’échelle globale» (2002).

Enfin pour Lamy qui s'intéresse aux relations science-industrie et en particulier à des créations

de sociétés par des chercheurs, ce qui importe «pour une articulation efficace des pôles

scientifiques et industriels des projets de créations d’entreprises par des chercheurs, c’est

l’existence de synergies entre ces pôles, synergies qui ne dépendent que marginalement de la

proximité des entreprises aux centres de recherche»(2008). En effet pour l'auteur l'éloignement

géographique n'empêche pas les échanges d'idées, les échanges de personnels, la co-

publication entre laboratoire et entreprise. S'il reconnaît que le rapprochement géographique

peut faciliter la communication, il montre néanmoins qu'une certaine distance est source de plus

d'efficacité dans les sous-groupes de chercheurs observés. Il en conclut :

Aussi, plutôt que de vouloir toujours rapprocher les entreprises des laboratoires dans

l’espoir de mieux voir circuler les connaissances scientifiques, il conviendrait plutôt de

questionner cette idée de proximité en se penchant certes sur les bénéfices qu’elle peut

apporter mais également sur les tensions et les problèmes qu’elle peut susciter. C’est de

l’équilibre de ces différentes conséquences des rapprochements entre entreprises et

laboratoires de recherche publique que pourra naitre une organisation géographique

optimale des espaces dédiés à l’innovation technologique."(Lamy, 2008)

Page 30: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

30

1.5 Problématique et hypothèses

Reprenant les études théoriques et empiriques décrites dans le chapitre précédent, nous nous

posons plusieurs questions sur notre terrain d’enquête.

Comment s'articulent la proximité géographique et la proximité organisée?

Nous nous demandons quel rôle joue réellement la proximité géographique prônée par les

aménageurs du territoire et quel rôle joue la proximité organisée. Comment s'articulent les effets

de la proximité géographique et organisée sur notre terrain d’enquête?

Nous faisons l'hypothèse, conformément à l'Ecole de la proximité, que le potentiel de la

proximité géographique doit nécessairement être activé par une proximité non spatiale.

Le processus de découplage des entrepreneurs du cluster se fait-il en faveur des

ressources disponibles dans le cluster?

Conformément aux enquêtes déjà réalisées par Grossetti et Barthe, nous faisons l'hypothèse

que pour les entrepreneurs, ce sont les liens personnels (famille, amis, connaissances) qui sont

prédominants pour apporter les ressources nécessaires au développement de leurs activités.

Néanmoins nous faisons l'hypothèse que l'entrepreneur dispose de plus de ressources dans un

cluster que s’il était isolé dans un endroit peu concentré en activités. Conformément aux

conclusions de Champenois (2008), les dispositifs d’accompagnement dans un cluster peuvent

se substituer aux relations personnelles de l’entrepreneur. Nous supposons donc que le

processus de découplage, qui permet à l’entrepreneur de s’extraire de ses relations

personnelles pour croître, est facilité par la présence dans un cluster et se fait en faveur du

développement local.

Quel rôle joue la configuration sociale du cluster dans le développement des jeunes

entreprises locales ?

On se demandera, dans la lignée de Granovetter, si la configuration sociale de notre terrain

d’enquête favorise ou freine le développement des jeunes entreprises .

Les acteurs de mondes sociaux différents, en particulier le monde économique et le monde

académique, sont-ils connectés entre eux sur le campus Descartes? Existe-t-il des

coopérations entre les acteurs, si oui sous quelles conditions ?

Nous faisons l'hypothèse, conformément à Granovetter, que la configuration sociale du cluster,

sa cohésion et les normes qui pèsent sur les acteurs, influencent directement la réussite des

jeunes entreprises locales.

Enfin nous suggèrerons que les liens sociaux, même s'ils étaient configurés de manière

optimale, à supposer que cela soit possible, sont insuffisants si les acteurs ne sont pas portés

par un idéal commun qui les pousserait à collaborer avec un acteur local quand cette même

ressource peut être trouvée ailleurs, en dehors du cluster. On vérifiera donc s'il existe un

« imaginaire » du cluster parmi les différents acteurs.

Page 31: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

31

1.6 Méthodologie

Terminologie utilisée

Par «entrepreneurs», nous désignons les fondateurs ou associés de startup et on entend par

startup toute jeune entreprise dans sa phase de lancement qui fait encore l'objet d'un

accompagnement par les structures dédiées à l'entrepreneuriat comme l'incubateur ou la

pépinière d'entreprise. L'incubateur accueille des projets à un stade précoce de développement,

le produit/ service est encore en phase expérimentale, les statuts de la société ne sont pas

forcément créés, le chiffre d'affaires est généralement insuffisant pour faire vivre l'entreprise. La

pépinière accueille des entreprises à un stade plus avancé, le produit/service est déjà éprouvé,

la société a déjà des clients et un chiffre d'affaires mais elle n'est pas encore assez solide

financièrement pour voler de ses propres ailes. Sur notre terrain d'enquête l'incubateur accueille

les projets au maximum pour deux ans contre quatre ans pour la pépinière.

Le terme de «territoire» est souvent utilisé dans le cadre de cette enquête. Comme le définissait

Georges Benko «Le territoire est une œuvre humaine, il est à la base géographique de

l’existence sociale. (...) Il renvoie à un sentiment d'appartenance» (2007). L'emploi du terme de

territoire, plutôt que des termes d'espaces géographiques, de zones, de secteurs, etc.,

s'observe plus particulièrement chez les acteurs publics, certains parlant même de «notre

territoire».

Les relations sociales sont définies à partir des interactions: «une interaction entre personnes

qui ne sont pas en relation s’appuie sur des codes, des références, des allant de soi génériques

pour une population donnée (les rites d’interaction de Goffman), alors qu’une interaction entre

personnes en relation implique certaines références spécifiques qui renvoient à la connaissance

réciproque existant entre les protagonistes et à leurs engagements l’un envers l’autre,

l’engagement minimal pour chacun étant de reconnaitre qu’« on se connait » par certaines

attitudes ou propos envers l’autre» (Grossetti et Barthe, 2008).

Les ressources sont définies ici au sens que leur donnent Grossetti «tout ce à quoi les acteurs

s’intéressent (ou qu’ils redoutent), ce à quoi ils accordent de la valeur».

Entretiens et observation ethnographique

L'enquête s'est déroulée de février à juin 2014. Des entretiens semi-directifs ont été menés

auprès des acteurs suivants:

- un échantillon de 7 entrepreneurs locaux (un entretien par entrepreneur)

- les responsables de l'accompagnement de l'incubateur (un entretien) et de la pépinière

(plusieurs entretiens informels)

- une représentante de l'agence Descartes (1 entretien et plusieurs échanges)

- deux représentants de l'université (2 entretiens)

- une représentante de la d.school de l’Ecole des Ponts (1 entretien)

- deux chercheurs de l’Université Paris-Est (2 entretiens)

Page 32: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

32

- une représentante du CSTB19 (1 entretien).

Ce que nous appelons ici «échantillon» est en fait un cumul de monographies, nous n'utilisons

pas ce terme au sens statistique. L'objectif n'est pas de généraliser des résultats sur une

«population» donnée mais d'identifier des «processus» et de décrire des relations sociales

(Beaud et Weber, 2010). Cette approche permet une «généralisation partielle» des liens de

cause à effets: «sous telle et telle condition, dans tel ou tel contexte, si tel événement (action) a

lieu, alors tel autre événement (réaction) devrait suivre» (Ibid., p. 249)

Les entretiens ont été menés sur le lieu de travail des enquêtés ou à proximité et durent de 45

minutes à 1h50. Les entretiens se déroulent en trois parties, tout d'abord une première partie

vise à mieux connaître l'entrepreneur et la trajectoire de son projet de création d'entreprise. Une

deuxième partie est consacrée aux ressources utilisées pour la création et le développement de

l'entreprise et une troisième partie traite des relations personnelles et/ou institutionnelles avec

les autres acteurs du cluster.

De plus des observations ethnographiques ont été réalisées au sein du campus pendant toute

la durée de l'enquête, par la participation à plusieurs événements locaux, comme les petits -

déjeuners de l'agence Descartes, la journée Tous Connectés, le jour des projets de l'ESIEE, la

présentation des projets de la d.school, la présentation des projets Innov'acteurs, l'atelier

Femmes et entrepreneuriat, la restitution de l'enquête sur le bilan énergétique de Coriolis. Par

ailleurs, dans le cadre de l'année universitaire, nous avons assisté à trois colloques organisés

par des enseignants-chercheurs de Paris-Est, ainsi qu'à deux jours de formation sur un produit

développé par un laboratoire de recherche de l'université.

Nous avons également assisté à une journée France Clusters qui se tenait au Conseil Régional

d'Ile de France à Paris le 1er avril 2014.

A cela s'ajoutent de nombreux entretiens informels avec les entrepreneurs, étudiants et

enseignants-chercheurs rencontrés sur le campus

Observation participante

Nous avons participé bénévolement à une mission consistant à organiser une journée porte-

ouverte au sein de la pépinière.

Documentation

19 Le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) est un établissement public français à caractère industriel et commercial (EPIC) qui a pour mission de développer et de partager avec les acteurs de la construction les connaissances scientifiques et techniques dans le domaine de la qualité et

la sécurité des bâtiments et de leur environnement.

Page 33: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

33

Nous avons utilisé la documentation disponible, comme les plaquettes, les affiches et les sites

internet des différentes institutions du terrain d'enquête. Nous avons également consulté sur

internet les vidéos de l'événement Tous Créatifs des années précédentes.

Traitement des données

Pour rendre compte des coopérations au sein du cluster, nous avons essayé de reconstituer les

liens des acteurs entre eux. Nous avons regroupé plusieurs données issues des entretiens et

de la documentation: (i) la part de ressources utilisées par les entrepreneurs issue directement

du cluster, (ii) les relations personnelles des enquêtes avec les autres acteurs du cluster, (iii) la

cartographie des liens institutionnels entre les acteurs du cluster.

La part des ressources issue du cluster permet d'en déduire les coopérations existantes entre

les acteurs au niveau local. Ces données sont ensuite mises en relation avec les liens

personnels existants ou pas entre les acteurs, ainsi qu'avec les liens institutionnels entre les

organisations.

Limites de la méthode

L'échantillon des entrepreneurs ne se veut pas représentatif pour deux raisons, le volume est

trop faible et un biais est introduit par le fait que quatre des entrepreneurs rencontrés l'ont été

grâce à des mises en relation par les acteurs locaux (les représentants institutionnels) ou lors

de manifestations sur l'entrepreneuriat. Les trois autres ont été contactés en direct par

téléphone. Sur une dizaine d'entrepreneurs contactés par téléphone, trois ont bien voulu se

rendre disponibles pour un entretien. Un entretien était prévu avec un huitième enquêté puis

l'entrepreneur concerné a souhaité annuler l'entretien car il se trouvait en redressement

judiciaire, et ne souhaitait plus participer à cette enquête.

Donc les entrepreneurs de l'échantillon sont, selon notre hypothèse, un peu plus encastrés

dans le réseau des acteurs locaux que la moyenne.

Une autre limite réside dans l'absence de données chiffrées ou d'études internes à chaque

institution. En effet soit ces données n'étaient pas diffusables soit elles n'existaient pas. Ainsi

nous n'avons pas de données chiffrées par exemple sur les entreprises sorties de la pépinière

depuis sa création il y a vingt ans, ni sur les étudiants entrepreneurs de Tous Créatifs, dispositif

vieux de trois ans. Nous n'avons pas pu avoir accès à une étude d’un cabinet de consulting qui

a été menée sur le cluster Descartes pour le compte de l'agence Descartes.

Page 34: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

34

II. Restitution des résultats de l'enquête

2.1 Etude des ressources des entrepreneurs

2.1.1 Présentation de l’échantillon

Le tableau ci-après présente les sept entrepreneurs interviewés ainsi que leur entreprise.

Tableau 1: profil des entrepreneurs interviewés

Entrepreneur

A

Entrepreneur

B

Entrepreneur

C

Entrepreneur

D

Entrepreneur

E

Entrepreneur

F

Entrepreneur

G

Niveau d'étudeCAP + DUCA

(UPEM)

BAC+5

(Beaux Arts

Paris)

BAC+5

(IFU en

cours)

BAC+5

(Gestion

UPEM en

cours)

NC

BAC+2

(BTS

éléctrotechni

que Bussy)

BAC+5

(Biologie)

Situation juste avant

la création

salarié en

conflit avec

son

précédent

employeur

Etudiant et

autoentrepre

neur

Etudiant et

autoentrepre

neur

Etudiant salarié

salarié,

départ

volontaire

pour

développer le

projet

salarié,

départ

volontaire

pour

développer le

projet

Ancienneté

professionnelle avant

la création

6 ans - - - > 20 ans 4-5 ans 7 ans

Statut gérant gérantétudiant et

gérant

étudiant

entrepreneur

salarié

dirigeantgérant gérant

Lieu d'habitationTorcy

(77)Paris Paris

Marne la

ValléeParis

Magny-le-

Hongre (77)

Plessis

Trévise (94)

Sexe (H/F) F F H H H H F

L'entrepreneur peut-il

se verser un salaire?non non non non oui oui oui

Entreprise:

Objet

Salon

d'esthétique

mobile

Production,

montage

vidéo

Logiciel de

gestion de la

voirie

Jeu éducatif

physique et

numérique

Grossiste en

materiel

vidéo

Conseil en

rénovation de

bâtiment

avec du

matériel 3D

Contrôle

qualité en

recherche

clinique

Secteur d'activités Services Audiovisuel Ville durableOutils de

formationAudiovisuel Ville durable Pharmacie

Age de l'entreprise 2 ans 1 an 1,5 anen cours de

création2,5 ans 3 ans 2 ans

Nombre de

personnes dans

l'entreprise (associés

+ salariés)

1 2 2 3 1 3+4 1+4

Domiciliation de

l'entreprise

Gournay-sur-

Marne

Pépinière

Descartes

Incubateur

Descartes

demande en

cours aupres

de

l'incubateur

et de la

pépinière

Pépinière

Descartes

Pépinière

Descartes

Pépinière

Descartes

Profil de l'entrepreneur:

Page 35: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

35

2.1.2 Répartition des ressources utilisées entre liens personnels,

intermédiaires et cluster.

Nous reprenons ici le référentiel de Grossetti et Barthe (2008) pour définir la liste des types de

ressources utilisées par les entrepreneurs et nous réutilisons en partie la méthodologie utilisée.

Les différents types de ressources utilisés comme informations, conseils, financement,

recrutement,..., sont présentés en ligne dans le tableau 2. Les auteurs avaient comptabilisé

deux modes d'accès aux ressources: les liens personnels et les «ressources de médiation».

Les ressources de médiation incluent «l’usage de médiations génériques (médias, Internet) ou

la participation à des foires ou salons» ainsi que «le passage par des dispositifs formels de

soutien (services d’aide à la création d’entreprises, pépinières, incubateurs, ANVAR, etc.)»

(Ibid.). Nous regroupons ici les ressources de médiation sous la catégorie «intermédiaires».

Pour les besoins de notre enquête, nous avons subdivisé les intermédiaires en deux parties: les

intermédiaires hors cluster et les intermédiaires dans le cluster.

Par ailleurs, contrairement à Grossetti et Barthe, nous ne comptons pas ici le nombre de

séquences d'accès aux ressources mais uniquement le nombre de ressources différentes

utilisées. En effet ce qui nous intéresse, ce n'est pas tant de savoir quelles sont les ressources

les plus utilisées proportionnellement aux autres mais d’évaluer la part des ressources issues

du cluster versus les autres modes d'accès. On se demande si le cluster intervient de manière

significative dans le processus de création d'entreprises.

Enfin les auteurs avaient analysé la dynamique de création en relevant les volumes de

séquences d'accès aux ressources à trois moments, avant le dépôt des statuts de la société,

juste après et un an après.

Dans cette enquête nous n'avons pas tenu compte de l'évolution dans l'utilisation des

ressources, nous avons comptabilisé toutes les ressources utilisées depuis la naissance du

projet de création d'entreprise, notre objectif étant de mesurer le rôle du cluster dans la

création.

Les résultats ont été synthétisés dans le tableau 2 ci-dessous. La quantification obtenue nous

donne un ordre de grandeur, elle n’est pas généralisable.

Page 36: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

36

Tableau 2: Répartition des ressources utilisées par les entrepreneurs

Dans le comptage, l’entrepreneur E est atypique par rapport aux autres dans la mesure où il

utilise très majoritairement des intermédiaires (57%) et quasiment pas de relations personnelles

(7%). Inversement l’entrepreneur B a une part de relations personnelles très élevé (74%) liées

au fait que cet entrepreneur a beaucoup de partenaires, une vingtaine, issus entièrement de

son réseau personnel de connaissance.

Description des ressources

Les ressources comptabilisées dans les relations personnelles concernent la famille, les amis,

d’anciens collègues et les « connaissances ».

L’intermédiaire hors cluster le plus cité est bien sûr de loin internet. On trouve notamment les

réseaux sociaux, en particulier twitter cité deux fois pour trouver des clients ou partenaires, ainsi

que les forums pour chercher des réponses à des questions techniques. Ensuite on trouve de

manière plus marginale les magazines spécialisés, les livres et les centres de gestion comme

CGA sur Paris, les salons professionnels pour trouver d’éventuels partenaires ou fournisseurs,

les Pages Jaunes pour faire de la publicité, les associations d’anciens élèves pour trouver des

collaborateurs. Egalement le pôle emploi est cité deux fois soit pour des informations soit pour

recruter une assistante administrative. Dans les financements on a une demande de subvention

Relations

personnelles

Intermédiaires

hors cluster

Intermédiares

du cluster

Information, idée ou

conseil technique6 7 6 19

Conseil juridique,

commercial ou en

ressources humaines

2 8 8 18

Travail (sans être

recruté)3 - - 3

Financement 7 5 2 14

Partenariat 27 3 5 35

Client 17 10 3 30

Fournisseur 7 9 2 18

Recrutement d'un

employé4 8 4 16

Locaux 3 - 5 8

Technologie (brevet,

licence) ou instrument1 7 - 8

Total 77 57 35 169

Poids 46% 34% 21% 100%

Mode d'acces aux ressources

Total

Page 37: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

37

publique, des prêts bancaires et des investisseurs. Quasiment toutes les licences ou

technologies utilisés sont hors cluster.

Concernant enfin les intermédiaires du cluster, on observe que 74% des ressources citées sont

en fait directement fournies par les structures d’accompagnement, comme par exemple les

conseils et informations ou bien les mises en relation faite par la structure d’accompagnement.

Ainsi un entrepreneur a été orienté par la pépinière vers le GDE, groupement d'employeur qui

dépend du CCI, pour trouver un salarié à temps partagé. Un autre a été mis en contact avec

une centrifugeuse qui organisait localement une rencontre entre entrepreneurs pour faire des

« pitch ». Un entrepreneur de l’incubateur a fait appel au comptable de l’incubateur. Tous les

entrepreneurs ont rencontré dans leur structure d’autres startups qui sont devenues soit des

partenaires, des clients potentiels ou a minima des sources d’informations et de conseils entre

pairs.

Concernant les 26% restants, c’est-à-dire les ressources du cluster (9 au total) non fournies par

la structure d’accompagnement, on trouve une banque de Champs-sur-Marne, deux stagiaires

de l’UPEM et six ressources qui correspondent à des informations et conseils fournies par des

professeurs de l’UPEM et l’IFU. Seuls les deux étudiants-entrepreneurs de notre échantillon ont

fait appel à ce type de ressource.

2.1.3 Liens personnels des enquêtés avec les autres acteurs

A travers les interviews des entrepreneurs, nous avons recensé tous les liens existants entre

eux et les autres acteurs du cluster. Le tableau 3 ci-dessous récapitule ces résultats de façon

binaire: s'il existe un lien, le résultat prend la valeur 1 sinon 0. Il ne s'agit pas de compter le

nombre de liens mais de savoir s'ils existent, indépendamment d'une coopération. Nous avons

complété ce tableau avec les réponses que nous avons obtenu de la part des trois

représentants du monde de la recherche que nous avons interviewé.

Page 38: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

38

Tableau 3 : Liens personnels des enquêtés avec les autres acteurs du cluster

2.2 Cartographie des liens institutionnels entre les acteurs

La cartographie ci-dessous tente de présenter les liens institutionnels entre les différents

acteurs du cluster. Chaque acteur dispose de liens beaucoup plus étendus avec l'extérieur du

cluster mais l'objectif de cette cartographie est de se focaliser sur les liens intra-cluster pour

évaluer par une vue d'ensemble la densité et la structure du réseau.

Elle est établie à partir des interviews de tous les enquêtés, entrepreneurs, acteurs publics et

représentants du monde de l'enseignement et/ou de la recherche. Certaines informations

proviennent également des sites internet officiels de certains organismes. Par exemple les

membres fondateurs de l’incubateur (qui sont des institutionnels) présentés sur le site internet

officiel de l'incubateur sont tous considérés comme des liens forts de l’incubateur.

Cette cartographie est très certainement incomplète, c'est une ébauche qui néanmoins nous

permet de tirer quelques conclusions. Pour valider un lien, nous recoupons généralement les

informations. Par exemple si les chercheurs rencontrés durant notre enquête nous disent ne

pas avoir de lien avec la pépinière, on ne peut bien évidemment pas en conclure qu'il n'y a pas

de lien entre la recherche et la pépinière. En revanche si le responsable de la pépinière, en tant

que point d'entrée, nous dit de son côté qu'il n'a pas d'interaction avec les chercheurs du

cluster, alors nous établissons qu'il n'y a aucun lien institutionnel entre la recherche et la

pépinière.

Université Ecoles Laboratoires Entreprises

Startups

Tous

creatifs

Pépinière IncubateurAgence

Descartes

Entrepreneur A 0 0 0 0 1 1 0 1

Entrepreneur B 0 0 0 0 0 1 1 1

Entrepreneur C 1 0 0 0 1 1 0 1

Entrepreneur D 1 0 1 0 0 0 1 1

Entrepreneur E 0 0 0 0 0 1 0 0

Entrepreneur F 0 0 0 0 0 1 0 0

Entrepreneur G 0 0 0 0 0 1 0 0

Chercheur A 1 1 1 0 0 0 0 0

Chercheur B 1 1 1 0 0 0 0 0

Représentant

CSTB 1 1 1 0 0 0 0 0

Page 39: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

39

Figue 1: Cartographie des liens institutionnels

Cette cartographie met en évidence trois grandes caractéristiques dans la configuration du

réseau des acteurs membres du cluster ;

Tout d’abord le monde des entrepreneurs est fragmenté. Ensuite les grandes entreprises du

cluster ne prennent pas part à l’écosystème.

Enfin, le monde économique est peu connecté au monde académique, à ce titre les acteurs

publics, en particulier l’agence Descartes, jouent le rôle de pont entre les deux mondes.

2.3 Analyse des résultats

Le chapitre suivant analyse les résultats constatés précédemment complétés avec les

entretiens et les observations menées durant l’enquête.

UPEM

Ecoles

CSTB

Start-ups

Etudiants entrepreneursTous créatifs

Incubés

IncubateurPépinière

CCI

Advancity

Associations de PME

Labos recherche

Epamarne

Lien fort

Lien faible

Grandes entreprises du cluster

Agence Descartes Développement

Seine et Marne Développement

Monde économique

Monde académique

Acteurs publics

Acteurs semi_publics

Page 40: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

40

2.3.1 La proximité géographique a bien un effet... à condition que

préexiste au moins une logique de similitude

Nous nous intéressons ici aux liens créés par la proximité géographique seule, c'est à dire sans

qu'il y ait de liens personnels préalables entre des acteurs situés à proximité ou sans faire appel

à un intermédiaire de mise en relation.

La proximité géographique de quelques mètres créé un effet propre

Nous avons constaté chez plusieurs entrepreneurs que les ressources utilisées au sein du

cluster se cantonnent souvent à des ressources situées juste à côté, en particulier dans la

pépinière aux voisins immédiats.

L'entrepreneur G qui fait partie de la pépinière nous dit n'être en lien qu'avec deux startups de la

pépinière qui sont ses voisins de palier. Elle nous dit qu'ils s'échangent des «conseils sur des

petites choses, des conseils en tant que dirigeants». Elle ne connaît pas les autres startups, en

revanche elle a regardé leur domaine d'activité et n'exclut pas de faire appel aux services

proposés par les autres startups, par exemple dans le domaine du support informatique. Donc

la pépinière représente bien un vivier de ressources pour elle, en revanche elle méconnaît le

reste du cluster et ce dernier ne semble pas constituer pour elle un vivier élargi de ressources.

Un autre entrepreneur de la pépinière André nous dit travailler étroitement avec un autre

entrepreneur de la pépinière qui est son voisin «je j’ai rencontré en me présentant quand je suis

arrivé dans ce bureau-là, je suis venu le voir, j’ai tapé à la porte, on s’est rencontré et par

chance son activité m’intéresse aussi». Quand je lui demande s'il est en relation avec d'autres

entrepreneurs, il me répond: «et un autre que j’ai croisé dans les couloirs. [le responsable de la

pépinière] m’a présenté et boom par chance encore une fois c’était quelqu’un qui était dans

mon domaine. Mais à part ça les autres...»

Le fait d'imputer ces rencontres à la seule proximité géographique pourrait être discuté dans la

mesure où deux entrepreneurs appartenant à la même institution (la pépinière) partagent une

logique d'appartenance et de similitude, et donc leur rencontre pourrait être attribuée à la

proximité organisée. Cependant dans la mesure ou dans les cas cités la rencontre est

directement liée au fait d'être voisins, et dans la mesure ou les entrepreneurs interrogés n'ont

pas noué de liens avec les autres startups de la pépinière (plus éloignés en distance) nous

attribuons ces rencontres et ces coopérations à la proximité géographique.

Le représentant de l’incubateur nous dit avoir noué un partenariat avec une entreprise située

dans le même bâtiment que lui. Il attribue cette rencontre directement à l’effet proximité. Cette

entreprise a d’abord été conviée à des petits déjeuners, ensuite elle a été invitée à des comités

Page 41: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

41

de sélection, enfin elle a donné son accord pour apporter un soutien financier aux incubés.

C’est la seule entreprise privée qui apporte un soutien financier à l’incubateur.

La proximité géographique de quelques mètres créé une logique d'appartenance particulière,

qui génère à elle seule des relations sociales.

La proximité géographique favorise les rencontres de hasard

L'entrepreneur G nous dit chercher un fournisseur pour s'occuper de la maintenance

informatique de sa société, activité qu'elle juge critique car cette société manipule beaucoup de

données personnelles. Notre enquêtée est en contact avec une entreprise rencontrée par

hasard «j'ai récupéré la carte de visite d'une société à Noisy-le-Grand dans le centre

commercial». Cette rencontre de hasard est liée directement à la proximité géographique du

centre commercial voisin dans lequel l'enquêtée fait ses courses et dans lequel le fournisseur

informatique fait de la prospection via le dépôt de cartes de visite.

L’entrepreneur C quant à lui nous raconte comment il a connu l'incubateur Descartes, alors qu'il

faisait un job étudiant pour l'université:

«J’étais secrétaire d'examen et en allant à la machine à café avec un étudiant je suis

tombé sur les affiches du concours Descartes, du concours de l'entrée à l'incubateur

Descartes et ça se terminait je crois le jour même, en fait nous on avait déjà candidaté à

d'autres incubateurs sur Paris (...) parce que j'habite à Paris. [au sujet d'un incubateur

parisien] ils étaient à 600€ par mois [deux fois plus cher que celui de la cité Descartes]

et nous on était justement au creux de la vague et du coup on leur a dit non. On a passé

le concours de l'incubateur, ils nous ont reçu en commission et en fait ils nous ont

permis de, enfin en gros ils nous ont avancé le coût de l'incubation (...) nous justement

au moment où on avait marre de galérer à différents endroits et on avait besoin de réunir

en gros nos forces (...), ça été le bon moment, on a eu aussi une petite dotation qui a fait

du bien en terme de tréso».

Cet étudiant-entrepreneur en recherche de locaux ne connaissait pas l'incubateur Descartes,

c'est en fréquentant un établissement à proximité de l'incubateur ou ce-dernier avait collé des

affiches qu'il a eu connaissance de cette ressource, à laquelle il a pu ensuite accéder.

La proximité géographique est recherchée quand elle est stratégique pour l' innovateur

Nous avons rencontré deux cas pour lesquels la proximité joue un grand rôle. Ainsi

l’entrepreneur D dit avoir trois fournisseurs qu'il a sélectionné après une étude comparative sur

des sites internet spécialisés, l’un se trouve à Lagny, ville jugée proche en temps de trajet par

notre enquêté, un autre en Allemagne et un autre dans le Sud de la France. Son fournisseur

allemand, trouvé par Internet, est le plus intéressant en termes de tarifs, mais il dit avoir

Page 42: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

42

également choisi celui de Lagny, seul imprimeur présent à proximité pouvant remplir ses

besoins, pour les raisons suivantes:

«je voulais quelque chose qui soit fait rapidement et c'est la proximité qui jouait le plus

(...) j'avais besoin d'une société qui produise à la pièce (...) moi j'ai une plateforme qui

est à la fois physique et une application. J'avais besoin de cartes physiques. Plutôt que

d'aller chercher des cartes en Allemagne, me faire livrer, ça prenait une semaine même

si c'était moins cher, j'ai préféré aller à Lagny ou il y a un imprimeur qui est capable de

me le faire rapidement, de me livrer très rapidement et donc du coup je suis en contact

avec eux, dès que j'ai besoin de quelque chose, je suis en contact avec eux ils me le

livrent et je vais le chercher. C'est vraiment une question de rapidité et ... pour avoir un

flux tendu qui est le plus court possible.»

Lors d'une rencontre avec l’un des porteurs de projets de la d.school, je lui demande comment

le groupe d’étudiants a fait pour développer leur projet qui consiste à fabriquer du mobilier de

salle de bain pour personnes âgées. Cet étudiant de l’Ecole des Ponts m'explique qu'ils ont

travaillé avec une maison de retraite, la Fondation Favier, située dans une ville voisine

accessible « en 10 minutes ». Cette proximité a été pour eux essentielle compte tenu de la

nécessité de leur présence sur place, des nombreux allers-et-retours entre la maison de retraite

et la d.school pour pouvoir itérer dans la phase de conceptions du produit. La d.school leur

servait de laboratoire pour construire le prototype et travailler en équipe et la maison de retraite

était leur lieu d'expérimentations au sein duquel une quinzaine de personnes âgées

contribuaient directement au projet. C'est une responsable de la d.school qui les a mis en

relation avec cette maison de retraite. Nous ne savons pas comment les liens se sont établis,

s'il y avait préalablement des liens personnels ou pas entre la responsable de la d.school et la

maison de retraite, mais dans cet exemple c'est bien la proximité géographique qui est à

l'origine du développement du projet.

Dans ces deux cas, les acteurs méconnaissent les frontières du cluster construites par

l’aménageur du territoire. Ni une maison de retraite ni une imprimerie située à Lagny ne font

partie du tissu économique identifié dans le cluster, pourtant dans ces exemples tous deux ont

été des ressources de proximité déterminantes.

La proximité peut également être recherchée car elle correspond à l'image qu'un entrepreneur

veut donner de son activité, une image de « service de proximité » comme dans le cas de

l'entrepreneur B qui a l'intention de distribuer des flyers dans les boîtes aux lettres des

entreprises de la cité Descartes pour présenter ses services. Ensuite elle comptait leur

téléphoner : «sur 500 coups de fils, on aura peut-être une ou deux personnes et puis voilà».

Quand je lui demande pourquoi elle démarche les entreprises locales, elle indique:

«Ben en fait on a joué pas mal la carte de la proximité. Sur notre site internet on se

définit un peu comme ça, humain, proche, voilà on est dans le coin, pour les échanges

c'est plus facile, on peut leur rendre visite assez vite, tout peut se mettre en place assez

vite. (...) Quand on voulait démarcher dans le coin, on voulait dire voilà nous on est

l'agence du coin. On se définit comme ça, dans le coin, pour les entreprises du coin,

c'est comme ça qu'on voulait présenter notre offre, la proximité»

Page 43: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

43

L' « effet cluster »

Quand un acteur cherche une ressource, il peut chercher par exemple sur internet ou dans son

réseau personnel élargi ou bien il peut rechercher volontairement une ressource proche

géographiquement. Quand avant même de chercher, il se tourne vers une ressource du cluster

parce qu'il sait que cette ressource existe alors qu’il n’y a pas de lien personnel préexistant,

nous appelons cela l'effet cluster.

Un responsable de l'accompagnement à l'entrepreneuriat de l'université nous dit avoir eu besoin

de conseils juridiques précis. Notre enquêtée dit avoir voulu «essayer de privilégier la

proximité», elle a donc contacté une société de l'incubateur Descartes spécialisée dans le

conseil juridique pour nouer un partenariat. L’incubé auquel elle a fait appel avait en effet monté

une plate-forme de conseils qu'il était venu présenter lors d'un petit déjeuner de l'agence

Descartes. Or il s'est avéré que les deux tentatives pour nouer des liens ont échoué. Tout

d'abord lors d'une première mise en relation, les réponses apportées ne convenaient pas au

demandeur et lors d'une deuxième tentative de contact, l'incubé n'a pas donné suite,

visiblement non intéressé mais n'a pas expliqué pourquoi. Finalement elle s'est tournée vers un

intermédiaire spécialisé.

Un des chercheurs que nous avons interviewé travaille sur un projet de recherche dans le

traitement des Big data. Il a très peu de liens avec le cluster mais il nous dit avoir noué un

partenariat avec l'Institut d’électronique et d’informatique Gaspard Monge parce que ce dernier

était présent sur le campus:

«- c'est des gens avec qui maintenant depuis 2 ans on a des collaborations scientifiques

et qui sont là pour le coup des collaborations de site vraiment (...) on s'est quand même

penché du fait d'être là sur l'idée de travailler avec eux

- du fait d'être sur le même site?

- oui là on peut dire qu'on a un véritable effet cluster. On est là, on fait un truc et puis on

s'aperçoit à un moment donné tiens là où on est, y a l'Institut, bon ben ça serait quand

même bien d'aller voir ce qu'ils font et donc on démarre des trucs, c'est plus un effet de

proximité parce que là où on en était dans notre développement, on n'avait pas a priori

besoin d'eux (...) et le fait qu'on soit allé vers eux c'est parce qu'ils étaient là et qu'il y

avait un véritable effet cluster».

Pour cet enquêté, l'effet de proximité géographique est évident, cependant quand je lui

demande comment il est allé à la rencontre de son partenaire, la réponse révèle une logique

d'appartenance:

«- comment avez-vous fait pour les rencontrer ?

- c'est comme ça se passe toujours, c'est à dire qu'y a des montages d'activités, des

sollicitations, on se rencontre, on discute.

- c'était une rencontre organisée, c'était pas spontané?

Page 44: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

44

- si c'est spontané, on n'a pas été obligé de se rencontrer par le fait qui avait une

réunion ou ceci. De part et d'autre c'était une volonté et ça s'est fait à l'échelle de

l'installation des gens ici de façon spontané»

Cet enquêté a donc rencontré un membre de l'Institut «comme ça se passe toujours», par

conséquent «leurs interactions sont facilitées par les règles ou les routines de comportement

(explicites ou tacites) qu’ils suivent» (Rallet et Torre, 2008), et donc il existe bien entre eux une

logique d'appartenance au monde de la recherche, même s’ils n’appartiennent pas à la même

institution. A fortiori ces chercheurs partagent une logique de similitude par leurs intérêts

scientifiques pour des sujets communs.

Conclusion

La proximité géographique a bien un effet propre. Une distance de quelques mètres, des

rencontres de hasard, une proximité stratégiquement recherchée ou un « effet cluster » permettent bien de créer des relations sociales entre des acteurs sans qu’il y ait

entre eux un lien préexistant. En revanche dans tous les cas cités, il existait au moins une logique de similitude entre les individus.

Ce constat tend à nuancer certaines conclusions de Rallet et Torre selon lesquelles « la

proximité géographique n’est efficace que si elle recouvre des liens organisationnels » (2001).

Cependant ce constat confirme, conformément à l’école de la Proximité, que la proximité

géographique ne favorise les mises en relation «que si les acteurs partagent simultanément une

proximité non spatiale» (Talbot, 2009).

2.3.2 Le faible encastrement des entrepreneurs dans le milieu local

Le tableau des ressources 2 montre que le mode d'accès aux ressources via des relations

personnelles est prédominant, conformément aux études déjà réalisés sur le sujet (Grossetti et

Barthe, 2008).

Contrairement à notre hypothèse, le processus de découplage, indispensable au

développement des jeunes entreprises, semble se faire en faveur d'intermédiaires hors du

cluster.

La prédominance des relations personnelles dans le mode d'accès aux ressources

Nous avons constaté que pour des ressources très répandues et présentes dans la cité

Descartes, comme les services bancaires ou les cabinets d'expert-comptable, les entrepreneurs

en majorité passent par des connaissances personnelles pour choisir leur banque ou leur

expert-comptable. Ainsi l'entrepreneur G nous dit qu'après avoir cherché un expert-comptable à

proximité et elle a eu le «déclic», elle s'est rappelé qu'elle en connaissait un et qu'«en plus il

était moins cher». Elle a donc eu recours à ses services même s'il n'est pas à proximité.

Page 45: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

45

L'entrepreneur F nous dit avoir un expert-comptable situé à Orléans et son agence bancaire en

Mayenne sans que cela lui pose problème. Ils lui ont été recommandés par des proches, il dit

avoir confiance en eux.

Lorsqu’un entrepreneur recourt à une relation personnelle, la confiance n’est cependant pas la

même en fonction de la force du lien. L’entrepreneur F nous dit ainsi avoir recruté une personne

dont il a dû se séparer à la fin de la période d'essai. Je lui demande alors comment il avait

rencontré cette personne : « par connaissance euh indirecte et du coup on s'est rendu compte

que ça n'allait pas». Cet entrepreneur est passé par des connaissances personnelles pour faire

des recrutements ainsi que par le pôle emploi. Il dit par exemple avoir recruté un de ses anciens

collègues dans la société ou il était précédemment salarié, car il est «sûr de ses compétences».

Je lui demande alors pourquoi il ne passe pas par des intermédiaires, type sites internet

spécialisés: «non parce que ça coûte cher», cependant il ajoute

«Et on n'a aucune garantie de la qualité, on a vraiment une activité à part entière pour

l'instant c'est pas assez fourni sur le marché pour être sûr qu'une agence d'intérim ou

autre puisse nous garantir la compétence, elles vont le prétendre on les connaît et les

gens souvent font pas l'affaire, je préfère prendre des gens très expérimentés que je

connais et d'autres plutôt jeunes profils à notre image pour être sûrs de la qualité dans

les 6 mois un an qui vont venir.»

Notons que dans les liens personnels, il faut distinguer la famille, les amis et les

«connaissances». Ainsi dans deux cas, les enquêtes ont souhaité ne pas passer par leur

famille. L'entrepreneur G nous dit lorsqu'elle a eu besoin de recruter «j'ai pris la décision de ne

pas passer par des personnes de la famille pour ne pas prendre de risque». L'entrepreneur A

quant à elle n'a pas souhaité s'appuyer sur son petit-ami qui était comptable pour faire sa

comptabilité mais a souhaité se former elle-même, bien qu’il se portait volontaire. Un ancien

enseignant entrepreneur de l’UPEM, qui était venu témoigner aux journées Tous Sensibilisés

en 201220, explique qu'après avoir créé sa société avec quatre amis, ils ont finalement décidé

d'arrêter la société après trois ans pour «sauver» leur amitié : « tout ce qui était décision

objective était difficile (...) on a été appelé à nous séparer, à sauver l’amitié, à privilégier nos

valeurs plutôt que le business ». Depuis il a recréé une entreprise mais dit ne plus vouloir

s'associer avec des amis.

Les relations personnelles sont prédominantes dans les ressources utilisées par les jeunes

entrepreneurs. Cependant pour le recours à certaines ressources, notamment pour des

recrutements, on observe une préférence pour des relations professionnelles connues et une

mise à distance de la famille et des amis proches.

Le processus de découplage se fait en faveur de ressources extérieures au cluster

Les jeunes entreprises, comme l'a montré la sociologie économique doivent se désencastrer de

leurs liens familiaux et personnels pour pouvoir se développer. Elles vont alors se tourner vers

20 Vidéo disponible sous http://www.youtube.com/watch?v=dd5p_flBbOQ dernière consultation juin

2014

Page 46: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

46

des intermédiaires. Comme le montre le tableau des ressources 2, la recherche de ressources

s'effectue plus en faveur d'intermédiaires extérieurs au cluster. Il est évident que si une

ressource n'existe pas sur le cluster, l'entrepreneur aille la chercher ailleurs. En revanche dans

certains cas les ressources sont mises en concurrence et cela ne se fait pas forcément en

faveur des ressources locales.

Parmi les entrepreneurs qui ont eu recours aux ressources du cluster, on constate que c'est

leur institution d'appartenance qui leur octroie l'essentiel des ressources. Ainsi la pépinière et

l'incubateur, outre les locaux, fournissent aux startups conseils et informations, une ouverture

sur leurs différents réseaux, des échanges avec les autres entrepreneurs qui peuvent aboutir à

des partenariats. L'incubateur fournit en plus une dotation financière ainsi qu'une mise en

relation avec ses partenaires financiers.

Ainsi l'entrepreneur G nous dit avoir initialement utilisé son réseau personnel pour le

développement commercial de son entreprise, cependant ayant le souci de poursuivre le

développement, elle a souhaité faire appel aux services d'un business developer «mon but en

embauchant un business developer, c'est d'aller chercher des personnes qu'on ne connaissait

pas». Elle s'oriente alors vers la pépinière qui la met en relation avec un centre de portage

salarial au niveau départemental qui lui permet de recruter la compétence recherchée. Si cet

entrepreneur a préféré une ressource locale pour un recrutement, en revanche pour une

prestation de services, sa démarche est différente. Ainsi quand je lui demande si elle a noué

des relations avec les autres startups de la pépinière, elle me répond «il y en a une qui fait du

référencement, j'hésite à les contacter. J'avais pensé plus travailler avec des indépendants à

l'étranger pour une question de coût, par exemple en Inde».

La structure d'accompagnement peut jouer un rôle important en terme de besoin de proximité

géographique temporaire comme nous l'explique l’entrepreneur C :

«au moment où on a candidaté et où il fallait sauver [nom de sa société] entre guillemets

en trouvant quelque chose qui soit bankable, là vraiment on était jour et nuit à

l'incubateur on avait les locaux, ça donnait une structure de travail, quand on avait

besoin de valider des pistes stratégiques etc., on bossait avec les intervenants de

l'incubateur puis avec [noms des responsables] et en fait on l'a plus utilisé dans un

format un peu centrifugeuse, ou vraiment on définit notre truc on cravache on cravache»

Ensuite les trois associés ont quitté l'incubateur pour travailler à leur domicile car l'incubateur

était trop loin de chez eux et était selon eux moins utile après que leur concept ait été bien

clarifié.

Quand ce même entrepreneur recherchait un informaticien, il nous explique comment il a

mobilisé tous les modes d'accès pour trouver la "meilleure" ressource:

«au début on a bossé avec un informaticien que [nom de l'autre associé] connaissait

dans le cadre d'un stage, après on a bossé avec un informaticien de l'incubateur parce

que ben on se serre les coudes dans le milieu, pour autant c'est pas pour ça qu'on a été

satisfait de ce qu'ils ont fait, ce qui peut aussi créer des tensions, notamment à l'échelle

Page 47: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

47

d’un microcosme comme un incubateur et du coup au final on est passé par ce site web,

la teameasy, de mise en relation de gens qui veulent faire des projets (...) et ça a bien

fonctionné»

Il explique alors le processus de recrutement effectué depuis ce site internet:

«on a eu au moins une dizaine d'informaticiens qui voulaient bosser avec nous et après

voilà on a fait un espèce de processus de sélection pour savoir avec qui on bossait et on

avait fait aussi la promesse que y aurait création de boîte à l'issue du partenariat et qu'il

entrerait dans le capital à un tarif préférentiel dans l'idée d'intégration parce que on avait

bossé avec des prestataires et pfff à un moment donné faut internaliser ce type de

compétences parce que nous c'est juste stratégique le cœur de ce qu'on fait vu qu'en

plus on est dans une approche sur-mesure»

L'enquêté explique alors qu'ils ont choisi un ingénieur qui a déjà sa propre société en Tunisie

composée de 5-6 personnes qui fait de la prestation informatique et donc il a une «capacité de

montée en charge assez forte». On voit dans cet exemple que l'enquête s'est tourné vers un

intermédiaire (un site internet impersonnel) suite à l'échec du recours à une ressource de

l'entourage proche. Il a alors choisi une personne disposant d'un potentiel de ressources

supérieur à ce que notre enquêté attendait, lui permettant d'envisager plus facilement des

perspectives de croissance.

Enfin pour l'un des entrepreneurs enquêtés, l'entrepreneur E, le processus de découplage est

totalement achevé. Il s’agit d’une entreprise filiale d’un groupe hollandais qui a voulu créer sa

première succursale en France il y a deux ans et demie. Il a des clients dans toute la France,

une centaine de clients hérités de son prédécesseur. Cet entrepreneur a donc repris

l'entreprise. Il continue à prospecter pour attirer de nouveaux clients, sa prospection se fait à

l’échelle nationale. Quand je lui demande s’il prospecte aussi localement, il me dit

qu’effectivement il a des clients potentiels ici en faisant référence au département de la Seine et

Marne et non au cluster Descartes en particulier. Pour lui la proximité s’entend donc à une

échelle très large. Je lui demande alors si cette proximité change quelque chose dans sa

relation avec ces clients par rapport à ces autres clients situés en France

«ce qui arrange les clients au niveau local c’est de venir voir le matériel, se voir en face

en face, venir discuter, leur faire des démonstrations, des mini formations et puis venir

chercher le matériel au lieu de le livrer chez vous. Parce qu’en fait la proximité ne joue

pas du tout, pas trop dans le cas de [nom de sa société] puisque le stock n’est pas ici il

est en Hollande et donc quand le client a besoin d’un matériel en urgence ça part de

Hollande et c’est livré directement chez lui, il y a que ceux qui sont effectivement de la

région qui me demandent de venir ici parce que ça les arrange, enfin la plupart se font

livrer aussi à leur adresse».

Il est orienté vers un marché national et ne recherche aucun potentiel de proximité

géographique pour son développement commercial. Concernant les autres ressources, cet

entrepreneur utilise également très peu le cluster.

Quand je lui demande ce que pourrait lui apporter le cluster, il répond que prioritairement ce qui

l'intéresse c'est de trouver des clients, en second lieu il se dit ouvert à l'échange d'informations

Page 48: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

48

avec les autres entreprises de la pépinière. Cependant il ne considère pas les autres startups

comme des clients potentiels car selon lui elles n'ont pas de budget.

Les jeunes entrepreneurs, quand ils utilisent des ressources en dehors de leur réseau

personnel se trouvent encastrés dans leur structure locale d'accompagnement, plus que dans le

cluster. L’entrepreneur E qui n’est plus dans un processus de découplage est orienté vers un

marché national et vers des intermédiaires hors cluster.

Une proximité organisée trop faible entre les entrepreneurs pour activer le potentiel de la

proximité géographique

Nous avons identifié cinq «foyers» d'entrepreneurs au sein du cluster Descartes , qui

correspondent à 5 dispositifs différents d’innovation:

(1) la pépinière d’entreprises innovantes du CCI21 qui accueille des entreprises générant déjà

du chiffre d'affaires

(2) l'incubateur Descartes qui accueille des projets à un stade précoce de développement,

(3) le dispositif Tous Créatifs de l'UPEM pour accompagner des étudiants-entrepreneurs. Ce

dispositif se décompose en trois parties : « Tous Sensibilisés » (journée d’information sur

l’entrepreneuriat), « Tous Connectés » (concours de projets innovants sous la forme d’un

speed-dating) et « Tous Labellisés » (sélection des projets qui bénéficient d’un

accompagnement renforcé)22

(4) les programmes ME310 et Innov'acteurs de la d.school (Ecole des Ponts) qui accompagnent

le développement de projets innovants réalisés par des étudiants

(5) le « coaching JdP » de l'ESIEE : il s’agit de projets d’étudiants issus de la « journée des

projets », évènement annuel de l’ESIEE, qui sont sélectionnés pour bénéficier d’un

accompagnement intensif par des experts en vue de leur valorisation.

Les dispositifs (3), (4), (5) s’apparentent plus à de la pré-incubation.

Il y a sans doute d'autres foyers de ce type au sein du campus mais nous n'en n'avons pas eu

connaissance durant toute l'année universitaire.

Le tableau 4 ci-dessous présente les trois principaux foyers d'entrepreneurs:

21 Chambre de Commerce et d’Industrie 22 Pour plus d’information, se référer au site internet de l’évènement http://www.touscreatifs.fr/

Page 49: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

49

Tableau 4 : Données sur les principaux foyers d’entrepreneurs (en fonction des données

disponibles)

:

Concernant les trois projets mis en place par le cours ME310 de la d.school (4), il s'agit de

projets liés à un partenaire industriel, uniquement des grandes entreprises hors cluster. Nous

avons rencontré les étudiants de ces trois projets lors d'un forum de présentation. Deux des

trois équipes ont l'intention de créer leur entreprise après cette expérience. L'une envisage de

continuer à travailler au service de son partenaire industriel sur le prototype qu'elle a développé,

un casque de pompier muni d'une caméra. Une autre envisage éventuellement de créer une

entreprise avec une partie de l'équipe pour continuer à travailler sur les prototypes de meubles

mis en place. Par ailleurs sur les promotions précédentes, il y a eu une création de startup dans

le domaine des services numériques, Ideanov, une startup installée dans le Val-de-Marne qui

connait une forte croissance. Les fondateurs sont issus directement d'une des équipes du cours

ME310.

Concernant l'ESIEE (5), tous les ans cette école d'ingénieurs du CCI organise «le jour des

projets»; il s'agit de la présentation d'une centaine de projets réalisés par les étudiants, les

enseignants-chercheurs, des doctorants, des diplômés, des créateurs d'entreprise ou des

associations étudiantes23. Nous nous sommes rendus à cette journée bouillonnante durant

laquelle chaque groupe présentait son prototype dans des domaines variés, technologie du

numérique (imprimante 3D, objets connectés,...), robotique, électronique, domotique, énergies

renouvelables,... Parmi les 110 projets présentés ce jour-là, 10 sont sélectionnés pour

23 informations communiquées sur la plaquette de l'événement version imprimée du 24 juin 2014.

Pépinière Incubateur Tous Créatifs

Nombre de startups/

projets (juin 2014)

61 domiciliées

dont 27 résidants12 7

Nombre d'entrepreneurs

(juin 2014)NC >20 18

Niveau d'études NCBAC + 5 majorité

ingénieurs

BAC+ 5 dont 50%

ingénieurs

Moyenne d'age NC 30 ans -25ans

Secteur d'activité

services numériques

ville durable

santé

services numériques (48%)

ville durable (38%)

santé (14%)

services numériques (5)

Jeu éducatif (1)

santé (1)

Part des entrepreneurs

issus du campus

Descartes

NC 25% 50%

Fonds levés NC 1,9M€ NC

Nombre d'entreprises

sorties depuis 2 ans

ayant poursuivi leur

activité

10 2 NC

Nombre d'entreprises

sorties restées dans le

cluster Descartes3 0 NC

Page 50: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

50

bénéficier d'un accompagnement intensif à la création d'entreprise. Ce programme, appelé «le

coaching JdP», qui existe depuis 3 ans, vise à aider les jeunes innovateurs à créer leur

entreprise ou à transférer leur technologie. Nous n'avons pas su malheureusement ce que sont

devenus les projets ayant suivi ce programme. Les trois partenaires de l'événement sont de

grandes sociétés françaises hors du cluster. Parmi le jury, on note cependant la présence de

l'incubateur Descartes, donc il y a bien un lien entre ces deux acteurs. Cependant aucun de nos

enquêtés ne participent à cette journée.

Force est de constater qu'il y a peu ou pas d'interconnexion entre les différents foyers

d'entrepreneurs. Certains des responsables institutionnels se connaissent entre eux et

participent à des événements communs comme Tous Créatifs mais nous n'avons pas pu établir

de liens entre les entrepreneurs, à l'exception de liens personnels qui préexistaient entre un

étudiant-entrepreneur de Tous Créatif et un incubé (amis d'enfance). De plus, l’un des projets

d'Innov'acteurs a participé au concours Tous Créatifs. Par ailleurs la d.school a reçu, dans le

cadre de deux séances de coaching, les étudiants entrepreneurs participant à Tous Créatifs,

donc des synergies existent, mais cette formation ne leur a pas permis de nouer des liens avec

les porteurs de projets de la d.school. A notre connaissance il n'y a pas de projets communs ni

de « communauté de pratiques » qui regroupent des entrepreneurs de la pépinière et de

l'incubateur.

Ainsi dans le cas évoqué plus haut de l'entrepreneur qui a trouvé un informaticien via un site

internet, il n'a pas cherché cette ressource dans le cluster au-delà de l'incubateur. Le défaut de

proximité organisée entre l'incubateur et la pépinière par exemple n'a pas permis à cet

entrepreneur de chercher cette ressource au sein de la pépinière.

De la même façon, l’entrepreneur D qui appartient au dispositif Tous Créatifs nous explique

avoir cherché sur des salons professionnels les outils de gestion nécessaire à son entreprise.

Quand je lui indique qu’à la pépinière des startups éditent aussi des outils de gestion, il me

répond:

«il pourrait être intéressant que ces gens qui développent justement sur la cité

Descartes, qu'ils nous proposent à nous les petits entrepreneurs qui se lancent de

pouvoir tester leur plateforme, nous ça nous coûterait moins cher et ça serait peut être

un moyen de développer aussi une offre qui nous ressemble et puis... plutôt que d'aller

chercher les gros directement, parce que c'est ceux qui se démarquent au final, moi

ceux que j'ai trouvé en premier c'est les gros, les Ciel, les EBP, etc.».

Là encore le défaut de proximité organisée affaiblit le potentiel de la proximité géographique

entre l'incubateur et la pépinière.

Au sein de la pépinière, le nombre de projet est plus important avec moins de responsable

d’accompagnement, ce qui entraine une moindre proximité organisée, ce que certains

entrepreneurs déplorent :

« je sais pas mais euh quand j’entends que la pépinière est un endroit de partage et de

lieu de rencontre, sur le papier c’est surement vrai parce qu’on est plein de jeunes mais

Page 51: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

51

on sait pas ce que les autres font, c’est un peu dommage… j’ai cru entendre que

quelqu’un était dans le domaine juridique ou avocat qui aurait pu m’aider ben au final je

sais pas où ils sont je sais pas, je peux aller voir [nom du responsable] lui demander

mais c’est , je trouve dommage que ce soit à nous d’aller provoquer, on devrait être plus

épaulé, après la critique est facile»

La proximité organisée, si elle est au départ créée par les structures d'accompagnement, peut

toutefois être renforcée par les initiatives des entrepreneurs. Ainsi dans le cas de Tous Créatifs,

les étudiants ne partagent pas de locaux communs et disposent globalement de moins de

ressources partagées. L’entrepreneur D nous explique avoir créé un groupe facebook avec les

autres entrepreneurs du dispositif pour justement créer cette proximité :

«ce qui s'est passé avec Tous Créatifs, c'est que nous on a monté un groupe facebook

(...) c'est notre propre initiative, nous tous les porteurs de projets on a envie de voir

comment les autres avancent comment les projets des autres ils avancent, on s'entraide

un petit peu, d'ailleurs moi j'ai obtenu un potentiel client grâce à une personne qui était

dans Tous Créatifs, nous on se revoit on va se revoir ce WE parler un peu du projet,

qu'est-ce qui s'est passé cette semaine, après Tous Créatifs, quels sont les contacts

que t'as eu».

Il m'explique ensuite que facebook leur sert à fixer des rendez-vous pour aller boire un verre

mais aussi pour échanger des ressources:

«y a pas très longtemps j'ai eu des contacts avec la petite étoile [incubateur à Paris], ils

m'ont envoyé leur livre je l'ai partagé avec des gens de Tous Créatifs. y en a un qui avait

trouvé une étude sur le statut l'entrepreneuriat étudiant qui est lancé l'année prochaine

donc il a partagé cette étude aussi. Donc on partage nos ressources, on partage nos

données, on partage nos connaissances, nos contacts, si y en a un qui a besoin d'un

contact et que nous on a ce contact-là. Moi j'ai besoin de ça, est-ce que tu peux m'aider

là-dedans».

Ce groupe qui renforce ses liens grâce aux réseaux sociaux, est cependant limité aux porteurs

de projets de Tous Créatifs car la proximité avec les autres «foyers» d'entrepreneurs est trop

faible.

2.3.3 Des acteurs nationaux peu présents localement

Beaucoup d'enquêtes réalisées dans la Silicon Valley ont montré la forte interconnexion entre

les grandes entreprises, les universités et l'écosystème entrepreneurial local. La participation

des grandes entreprises à l'écosystème entrepreneurial se fait soit par l’externalisation partielle

de leur activités de R&D par le biais de rachats de startups comme dans le cas de sociétés

comme Cisco, Oracle, Microsoft (Ferrary, 2008), soit par la mise en place d'incubateurs internes

mais fortement connecté à l'écosystème local, comme dans le cas de Google Lab (Ferrary,

2013). Par ailleurs de nombreuses associations d'entreprises et de communautés d'expertises

transversales existent, contribuant à renforcer cet écosystème (Saxenian, 1994; Ferrary et

Pesqueux, 2004).

Page 52: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

52

Or la cartographie des liens institutionnels de notre terrain d’enquêtes (figure 1) montre à

l’inverse l'isolement des grandes entreprises et la faible densité de liens des autres acteurs

nationaux avec le monde entrepreneurial.

Du côté des grandes entreprises

Spicer a montré que les logiques organisationnelles varient en fonction de l'échelle spatiale,

local versus global (2006). Selon Zimmermann, les entreprises peuvent développer des

stratégies de proximité avec un ancrage territorial dans un territoire donné ou des stratégies de

délocalisation et de nomadisme à l'échelle de la planète, elles peuvent choisir de combiner ou

pas ces deux stratégies (2008).

Certains acteurs nationaux présents sur notre terrain d'enquête ont été contraints par l'Etat de

venir s'installer dans l'Est de Paris, comme l'INA à Bry-sur-Marne, qui n'a pas développé une

stratégie d'ancrage territorial. C'est le cas également de l'université qui a été imposée à la ville

de Champs-sur -Marne.

Concernant l'université, elle joue actuellement un rôle dans l'écosystème local grâce au

développement des politiques pour favoriser l'entrepreneuriat étudiant et grâce à un événement

comme Tous Créatifs, cependant soulignons que cette initiative est récente (trois ans) et

qu’aucun des enseignants-chercheurs de l'université rencontrés pendant notre enquête (environ

une dizaine) n'a de lien ni avec les acteurs publics territoriaux ni avec les entreprises locales.

Un acteur comme Nestlé en revanche est historiquement situé à Noisiel dans l'ancienne

chocolaterie Meunier dans un bâtiment classé. Cet acteur à la fois mondial et très attaché à son

site historique ne joue pas, selon notre enquête, un rôle dans le développement de

l'écosystème entrepreneurial local. Cependant Nestlé est partenaire avec la d.school, il a en

effet financé un projet mené par un groupe d'étudiants pour renouveler les usages autour du

Nespresso. La d.school, école de formation au design thinking intégrée à l'école des Ponts, est

elle-même un acteur national tourné vers un réseau international de partenaires, dont la

d.school de Stanford, et d'après la représentante que nous avons rencontré, cette école ne

travaille qu'avec de grandes entreprises, elle est peu tournée vers le milieu économique local.

Pour un acteur comme Numéricable situé dans la cité Descartes, au cœur du cluster, ou

Conforama dont le siège social est à Lognes, en périphérie du cluster, nous n'avons pu établir

aucun lien avec l'écosystème entrepreneurial local ni avec l'université, ni avec les écoles, ni

avec les labos de recherche. Ces acteurs nationaux possédant par ailleurs d'autres sites en

France ne semblent pas développer de stratégie d'ancrage territorial.

Nous avons pu interroger un représentant du CSTB, qui est également un acteur national mais

qui a la particularité d'être un établissement public à caractère commercial (EPIC) ayant un

important service de recherche.

Notre enquêtée du CSTB est chargée de valoriser les produits de la recherche. Le CSTB, selon

les informations recueillies, possède des liens étroits avec le monde académique (laboratoires

et université) du cluster. Le CSTB possède également un lien institutionnel avec l'acteur public

Page 53: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

53

en tant que membre de l'agence Descartes Développement. En revanche il n'a aucun lien avec

les entreprises locales, ni avec le milieu entrepreneurial.

Ce constat n’est pas spécifique à notre terrain d’enquête. En effet il semble confirmer les

conclusions de Talbot selon lesquelles la dimension spatiale est peu prise en compte dans les

stratégies organisationnelles des entreprises (2009). D’autre part, Ferrary et Pesqueux dans

leur enquête sur Sophia Antipolis, avaient également relevé l’absence des salariés des grandes

entreprises dans les « communautés de pratique » du cluster, ce que les auteurs pointaient

comme une faiblesse par rapport à la Silicon Valley (2004).

Par ailleurs nous avons appris lors notre enquête le projet de déménagement de deux des

grandes entreprises du cluster : le groupe La Poste et Numéricable. Le groupe Laposte,

implanté à Champs-sur-Marne à l'entrée de la cité Descartes, disposaient de six directions (qui

représentent environ 600 personnes). Numéricable a son siège dans la cité Descartes depuis

plusieurs années. Or pour ces acteurs, étant très peu encastrés dans l'écosystème local, le

déménagement ne leur cause pas de préjudice en terme d'accès à des ressources. Ces acteurs

ont plus de chance de partir qu’un acteur fortement encastré.

Le pôle de compétitivité Advancity

Advancity est présenté par les acteurs publics locaux, comme le pôle de compétitivité sur la ville

et la mobilité durables du cluster Descartes. Ce pôle de compétitivité réunit plus de 250

membres, dont 30 centres de formations parmi les plus prestigieux de France (Ecole

Polytechnique, HEC, ENS Cachan, Ecole Centrale,...). Parmi les membres, on trouve des

grandes entreprises (EDF, Saint Gobain, Siemens, Bouygues, Eiffage, RATP, ...) et des PME

situées dans l'Ile de France.

Son siège est effectivement situé dans le cluster Descartes, à l'ESIEE, mais ses membres sont

répartis dans toute l'Ile de France. Ce pôle a une vocation internationale, comme le rappelle son

site internet24.

Advancity est néanmoins ancré localement par l'organisation d'un événement annuel: Green

City «the smart Metropolis hub» qui se tient dans la cité Descartes depuis trois ans et qui

accueille des acteurs internationaux dans le domaine de la ville durable.

Green city propose un cycle de conférences, des lieux de rencontre («rendez-vous BtoB») et de

démonstration de produits et services ainsi qu'un forum d'investissement. L'événement réunit

sur deux jours à l'automne quelques 800 acteurs «économiques, scientifiques et institutionnels»

au sein de la cité Descartes, dans le cœur du cluster25.

Le forum d'investissement a pour but de présenter aux investisseurs des startups dans le thème

de l'événement (ville durable, éco-conception, énergies vertes, etc) dans le but de lever des

fonds.

24 http://www.advancity.eu/presentation/ dernière consultation le 25/09/21014 25 http://www.greencity-event.com/ dernière consultation le 25 octobre 2014

Page 54: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

54

Parmi les 27 entreprises présentées au forum d'investissement de Greencity lors de l'édition

2014, on y trouve26 :

- 18 entreprises non françaises provenant pour la plupart d’Europe (Allemagne, Suisse, Italie,

Angleterre,…)

- 9 entreprises françaises, dont 2 résidant à Paris, 1 à Issy-les-Moulineaux, 1 à Ivry-sur-Seine, 1

à Saint- Mandé, 2 à Grenoble, 1 à Rennes, 1 dans le Cantal

Parmi ces sociétés, on trouve par exemple Isocycle, l'inventeur rennais du vélo pliable en moins

de 10 secondes ou Mobycar, le premier site français de location de places de parking entre

particuliers.

Cet événement étant international, on trouve logiquement une majorité d'entreprises

européennes. Cependant on note que parmi les entreprises françaises, aucune ne provient du

cluster Descartes.

Lorsque nous avons demandé au responsable de la pépinière s'il est en lien avec Advancity, il

nous indique que :

«les entrepreneurs m'ont dit on est trop petit pour eux. J'ai essayé de les faire travailler

avec Advancity mais ça n'a pas marché. Plusieurs sont allés à leur petit dej ou ont

répondu à leurs appels d'offres mais ça n'a rien donné. Du coup maintenant j'ai arrêté»

Le représentant de l’incubateur considère quant à lui qu’Advancity ne s’intéresse pas à eux car

les projets des incubés ne sont pas assez matures. Au sujet de ses liens avec Advancity il nous

dit :

« on a des liens qui sont plus difficiles parce que ils sont sur une cible de sociétés

qui sont déjà un peu plus matures donc les startups euh bon ils ont une offre

maintenant PME mais il faut quand même adhérer au pôle même si l'adhésion reste

abordable, ils sont déjà sur une cible de startups qui est en route alors que nous on

les met en route donc c'est peut être à la fin que y aura d'avantages de choses en

gros au moment où les gens partiraient (…)»

Notre enquêté ne considère pas le support de gros acteurs comme Advancity comme allant de

soi pour développer les jeunes startups. Pour augmenter le succès de ses incubés, il opte pour

un renforcement de la sélection à l’entrée :

« le challenge pour nous c'est de monter en gamme dans les projets que

l'on accompagne c'est à dire être plus sélectif. »

Cependant il ajoute que pour être plus sélectif, il doit pouvoir aussi attirer les startups avec

plus de partenariats et il considère que c’est à lui de les développer :

« cela dit ben ça fait partie de mon boulot que d'aller les convaincre [au sujet des

entreprises d’Avancity] de leur ouvrir leur porte [aux incubés] puisque c'est pas

forcément dans leur mission »

26 liste des entreprises participant à l'événement disponible sur http://www.e-

unlimited.com/events/view.aspx?events_pages_id=3048 dernière consultation le 25 octobre 2014

Page 55: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

55

Advancity, conformément aux autres acteurs nationaux du cluster Descartes, semble donc très

peu tourné vers l'écosystème entrepreneurial local.

Des associations de PME qui ne représentent pas le cluster

Nous avons rencontré des représentants de deux associations de PME lors des petits

déjeuners de l'agence Descartes27. Ces acteurs ont tissé des liens étroits avec le réseau des

acteurs publics locaux. Il ne s'agit pas d'associations qui représentent le cluster, l'une est

départementale, l'autre est affiliée à un réseau national. De plus elles ne sont pas spécialisées

dans le thème de la ville durable. Elles ont une vocation d'entre-aide entre les membres et de

partage de moments conviviaux.

Porter avait considéré cela comme une faiblesse de ne pas avoir d'associations d'entreprises

représentant le cluster et investies dans la recherche de gains de productivité pour le cluster

(1998, p.88-89). Si cette situation est pour l'auteur la plus répandue, il cite toutefois des

exemples d'associations regroupant petites et moyennes entreprises et permettant de

mutualiser certaines fonctions, comme l'association d'entreprises du cluster de l'industrie florale

aux Pays-Bas qui a pris en charge le marketing et la recherche appliquée.

Lors d'un événement organisé par France Cluster, nous avons assisté à des présentations de

plusieurs représentants de groupements d'entreprises appartenant à des clusters français. La

notion de «groupement d'entreprise»28 va au-delà de la simple association, ces groupements

ont pour but de donner une taille critique à un ensemble de PME qui peuvent ainsi répondre

collectivement à des appels d'offres. Ces groupements tentent de créer une offre de services

commune et de mutualiser leurs ressources. Un représentant d'un groupement en Île de France

dans le domaine de la mécanique dit ainsi avoir dressé une matrice des compétentes de toutes

les entreprises du groupement. Un commercial a alors été recruté pour vendre les offres de

prestations des entreprises du groupement. Cette démarche a cependant été présentée comme

expérimentale. Un représentant d'un autre groupement appartenant au cluster Eco-énergie

Rhône Alpes dit inciter les entreprises du groupement à partager leurs bases de clients ou de

prospects. Il donne l'exemple d'un chauffagiste qui installe un chauffage pour un client qui fait

construire sa maison, ce client aura alors de grandes chances d'avoir besoin des services

d'autres entreprises complémentaires du cluster. Le représentant d’un autre groupement,

Neopolia, qui dit représenter cinq clusters dans les Pays de la Loire, semble plus avancé dans

sa démarche que les autres. Il raconte avoir déjà gagné des appels d'offres dans le domaine

ferroviaire et aéronautique grâce au regroupement de plusieurs entreprises membres du

groupement. Ainsi les groupements créent des sous-groupes de compétences pour répondre à

une problématique donnée.

27 L’ACEM Association des chefs d’entreprises de Marne-la-Vallée, ainsi que le Club des Jeunes

Dirigeants 28 le groupement d'entreprises fait référence à une entité juridique bien déterminé, qui peut prendre différentes formes, GIE, coopérative, SARL ou SAS. Tandis que le cluster, comme on l'a vu dans le

premier chapitre peut revêtir des significations différentes selon les acteurs

Page 56: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

56

Cette démarche de mutualisation de ressources n'est pas celle rencontrée dans notre terrain

d'enquête. Nous n'avons malheureusement pas pu mener des entretiens avec les représentants

de ces associations pour connaître leur degré d'encastrement dans le cluster, néanmoins nos

autres sources de données nous laissent supposer qu'il est faible.

2.3.4 Un monde académique très dense peu connecté au monde

entrepreneurial

Un monde académique fortement intra-connecté

Lors de notre enquête, nous avons observé que les chercheurs et enseignants-chercheurs sont

peu ou pas présents dans des événements comme les petits déjeuners Descartes, organisés

par l'agence Descartes une fois tous les deux mois, ou Tous Créatifs. Le seul que nous ayons

rencontré est un doctorant venu présenter son projet lors d'un petit -déjeuner Descartes, mais

au petit-déjeuner suivant il n'est pas revenu.

A l'inverse nous avons observé que dans les conférences, colloques ou formations organisés

par des chercheurs, l'assemblée se compose exclusivement de chercheurs, doctorants ou plus

rarement d'étudiants. Ainsi lors d'une formation organisée à l'UPEM, à laquelle nous avons

assisté, sur un outil mis au point par une équipe de recherche située dans la cité Descartes, les

formateurs, tout comme ceux qui suivaient la formation, appartenaient tous au monde de la

recherche de différents endroits, de l'UPEM, de Sciences-po Paris, de la Sorbonne, ainsi que

d'une faculté en Allemagne. La plupart des participants semblaient bien se connaître, les

échanges très riches se déroulaient dans un climat convivial et d'entre-aide. Chacun était venu

avec une problématique à résoudre, qui était discutée avec les formateurs ainsi qu'avec

d'autres personnes éventuellement. A travers cette formation ainsi qu'à travers d'autres

conférences auxquelles nous avons participé, on observe que les chercheurs tissent des liens

avec un large réseau de chercheurs qui va bien au-delà des frontières du cluster Descartes,

d'autant plus que souvent certains enseignent dans plusieurs écoles et universités parisiennes.

Lors de notre entretien avec un chercheur, nous lui avons soumis le référentiel des ressources

de Grossetti pour l'appliquer à son projet de recherche. Excepté l'utilisation du CRI29 de

l'université pour héberger ses serveurs, toutes les ressources utilisées proviennent

d'«interconnaissances», il s'agit la plupart du temps de chercheurs, de doctorants ou

d'indépendants qui gravitent dans le monde de la recherche. Quand je lui demande par

exemple s'il a fait appel à d'autres personnes (sans recrutement) pour le développement de son

produit, il me répond «oui mais c'est intra-monde». Dans la conversation, il fait référence à un

échange avec un maître de conférences de l'ESIEE, je lui demande alors comment il a noué ce

partenariat:

«Mais l'ESIEE est dans le périmètre du Labex et en convention avec l'UMR30 Latts donc

je sais pas si on peut appeler ça des gens extérieurs. (...) On les connaît très

directement car ils sont dans une UMR avec qui on collabore».

29 Centre de Ressources Informatiques 30 UMR=Unité Mixte de Recherche

Page 57: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

57

En effet, l’Université Paris-Est, initialement Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur

(PRES) est devenu en 2014 « Communauté d’Universités et d’Etablissements » (CUE). C’est

un établissement public de coopération scientifique (EPCS) qui vise une coopération

scientifique pluridisciplinaire de la recherche et des enseignements généraux, technologiques

et professionnels. Il intègre plusieurs écoles dont l'ESIEE et l'Ecole des Ponts. Les liens au

sein de la CUE entre l'université et les laboratoires sont très étroits dans la mesure ou quelques

mille enseignants-chercheurs travaillent à la fois pour l'université ou les écoles membres et pour

un laboratoire qui lui-même est parfois hébergé dans les locaux mêmes de l'université.

Un monde académique peu connecté avec le monde économique local

Le monde de la recherche peu concerné par l'écosystème économique local

Dans l'étude de Grossetti et Barthes (2008), ou celles de Lamy (2008), on rencontre des cas

d'enseignants-chercheurs ayant contribué, selon différentes modalités, à la création de startup

pour valoriser leurs résultats scientifiques. Dans notre terrain d'enquête, les chercheurs

entrepreneurs en revanche sont très rares, nous n'avons rencontré qu'un seul cas à l'incubateur

mais il a quitté la cité Descartes pour un autre incubateur à Créteil qui disposait de

laboratoires31.

Lorsque je demande à un responsable de l'accompagnement quels sont ses liens avec les

laboratoires du campus, il répond:

«extrêmement compliqué [en insistant sur extrêmement] euh d'une part parce qu'on a

mené plusieurs campagnes pour essayer d'aller rencontrer tous les directeurs de labo,

ça s'est soldé par un échec patent après avoir déployé des heures et des heures et des

heures d'email, de téléphone etc., en gros les gens n'ouvrent pas trop leur porte parce

que la valorisation par voie de création n'est pas trop euh quelque chose qui rentre dans

leur évaluation et parce qu'ils se sentent plus ou moins concernés. Donc on a arrêté.»

Cette tentative de relation directe ayant échouée, il dit à présent s'appuyer sur la SATT32. La

SATT analyse en effet le portefeuille de brevets de tous leurs établissements pour identifier ce

qui est valorisable soit par concession de licences à des entreprises soit par voie de création.

Une de nos enquêtés, représentant un acteur public, nous dit avoir cherché à obtenir un

référent par laboratoire présent sur le campus pour communiquer sur leurs travaux et actualités

auprès d'un public plus large au sein de la cité Descartes. Elle a réussi pour l'instant à créer un

seul lien, en précisant que c'est laborieux et qu'elle n'a pas le temps de passer ses journées au

téléphone.

31 il s'agit d'un chercheur du CNRS en biomécanique, ayant conçu au sein de l'incubateur Descartes un système numérique pour piloter la pause d'implants dentaires. 32 Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies

Page 58: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

58

Lors d'un entretien avec une chercheuse d'un laboratoire de l’Université Paris-Est, qui travaille

sur les transitions énergétiques urbaines, elle nous dit n'avoir aucun lien avec les entreprises

locales «je sais même pas ce qu'il y a comme entreprise ici» elle ajoute «sauf avec le CSTB

mais je le vois plutôt comme un centre de recherche».

Un enseignant-chercheur nous explique être très connecté avec les entreprises, cependant

quand je lui demande de quelles entreprises il s'agit, il s'avère qu'aucune n'est dans le cluster. Il

s'agit majoritairement de grosses entreprises semi-publiques comme EDF, Orange, SNCF.

Par conséquent comme on l’observe la proximité géographique est à elle seule inutile pour

réunir monde académique et monde économique. Seule une proximité organisée peut mettre

en lien ces deux mondes, c'est ce que tentent de créer les acteurs publics locaux mais on voit

qu'ils peinent à obtenir des résultats pour l'instant. De plus la difficulté de créer une logique de

similitude entre ces acteurs compromet la réussite de telles mises en relation.

L'enseignement, un pont encore fragile vers le milieu entrepreneurial

Un de nos enquêtés responsable de l'accompagnement donne des cours sur l'entrepreneuriat à

l'ESIEE, une fois par an. Il a également essayé de proposer des présentations de ses services

ou des cours dans les autres écoles du campus et à l'université de Paris Est. A l'université il

nous explique:

«C’est une bataille, c'est tous les ans la même bataille pour essayer d'obtenir un slot de

présentation avec tous les établissements de l'université de Paris-Est (...) on voudrait

aller présenter à telle ou telle filière, tous les ans rappeler qu'on est là, ça c'est un peu

plus dur»

Lors de la « journée de la rentrée » du mois de septembre de l'UPEM, qui vise à présenter les

services de la vie étudiante, se tient un mini-forum d'entreprises pour proposer stages ou jobs

aux étudiants. Après analyse des entreprises présentes, aucune ne vient du cluster. Quand je

demande à une représentante du service Information, orientation et insertion professionnelle

lors d'une conversation informelle comment sont sélectionnées les entreprises, elle me dit qu'il

s'agit de grandes enseignes, type Apple, qui ont des besoins locaux de recrutement d'étudiants.

Quand je lui demande pourquoi il n'y a pas d'entreprise locale, elle me dit qu'elle ne les connaît

pas. Elle suppose alors que les enseignants les connaissent:

«On ne les connaît pas en fait, par contre elles sont en lien directement avec les

formations mais ça ne passe pas par les fonctions centrales

- du coup vous ne savez pas quelles entreprises sont en lien avec les formations

- non »

Je lui dis alors que les startups de la pépinière ont des besoins de stagiaires, elle m'explique

qu'il n'y a pas beaucoup de place pour accueillir les entreprises, seules dix sociétés sont

accueillies.

Page 59: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

59

Lors du montage du projet Tous Créatifs visant à promouvoir l'entrepreneuriat étudiant au sein

de l'université, la responsable du projet nous explique sa difficulté pour mobiliser les

enseignants:

«Une des difficultés c'est quand même de mobiliser les enseignants, y a quelques

enseignants qui sont un peu plus euh (...) mais on les compte sur les doigts des deux

mains maximum quoi c'est quand même c'est très difficile euh».

Selon elle, les enseignants ne sont pas hostiles à sa démarche mais plutôt passifs. Elle

explique alors :

«L'université c'est quand même un univers qui est très particulier, les enseignants ils

sont pas là tout le temps, ils font leur cours, y en a certains qui reste et parle qu'ils ont

un labo, ils ont un bureau quand ils ont des responsabilités pédagogiques c'est pas le

cas de tous donc ils ont pas forcément un bureau. Pour les toucher c'est très difficile,

bon on peut envoyer des mails, les mails y en a tellement qui arrivent en fait rien ne vaut

le face à face mais ils sont plus de 1000 donc pour aller les rencontrer c'est quand

même ... Donc il faut bien cibler les endroits où déjà on sait que y a peut-être des petites

graines , faut aller voir les gens faut discuter faut revenir faut montrer ce qui a été fait

etc. faut convaincre et ça ça prend du temps»

L'université ainsi que les enseignants que nous avons rencontrés ont des liens forts avec des

grandes entreprises, néanmoins ils sont peu tournés vers les petites entreprises, qu'elles soient

à proximité ou pas.

2.3.7 Les effets induits par cette configuration sociale

Les effets du manque de proximité organisée entre monde économique et académique…

Cette configuration avec un monde académique très dense ayant peu de pont avec le monde

économique local induit une méconnaissance mutuelle et des représentations parfois négatives

des uns envers les autres.

Ainsi un institutionnel chargé de l'accompagnement des startups nous dit quand je lui demande

pourquoi il n'a pas de lien avec l'université: «l'université c'est théorique, les gens ici leur souci

c'est de savoir comment ils vont payer leur loyer à la fin du mois».

Quand je demande à l’entrepreneur B et son associé s'ils ont des liens avec la recherche, elle

me répond «j'ai l'impression qu'il y a quand même vraiment le monde des entreprises d'un côté

et l'université de l'autre, enfin les écoles de l'autre ». Son associé précise :

«les chercheurs ils paraissent difficilement accessibles en fait, je ne sais pas trop

comment on pourrait collaborer avec eux. Ils sont beaucoup dans la recherche

fondamentale. Après nous on n’est pas une entreprise de pointe on va dire dans le

domaine de la recherche fondamentale mais sûrement que ça va servir à d'autres

Page 60: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

60

entreprises. Nous en tout cas on voit pas trop comment on pourrait collaborer avec eux.

Avec des étudiants oui mais des chercheurs directement ...».

L’entrepreneur D me parle de la recherche en ces termes:

«nous on est dans l'action et eux y sont dans la durée, la réflexion, etc., donc c'est deux

vitesses, la recherche et l'entreprenariat c'est deux vitesses. Si on doit s'adresser à une

personne qui fait de la recherche, c'est sûr que ça va prendre du temps, ça peut être du

2, 5 ans, 10 ans, 15 ans.».

Il nous raconte alors l'anecdote d'un étudiant qui a vu quelqu'un venir chercher des données

dans un calculateur d'un centre de recherche, données qui ont été récupérées au bout de 5

ans :

«Si on fait appel à la recherche et qu'il faut récupérer le truc au bout de 5 ans, ton projet

il sera déjà fini, ça dépend du domaine aussi, c'est deux mondes qui pour nous [les

entrepreneurs] qui agissent qui évoluent à vitesse différente.»

Un des représentants de l’accompagnement nous dit être connecté avec l’Ecole des Ponts et

l’ESIEE, cependant la connexion avec l’université lui semble plus difficile :

« c'est assez difficile avec l'université dans la mesure où c'est une nébuleuse et que

y a beaucoup d'acteurs d'intervenants il faut trouver les bons, qu'ils acceptent de

faire des choses avec nous (…) l'université bon alors ça se fait par le biais de PEPITE,

par le biais de certains profs, c'est plus laborieux parce que y a une question d'évolution

culturelle à faire et on est très euh dans des postures et des habitudes différentes qui

ont fait que culturellement on a eu du mal à se comprendre et on a encore du mal à se

comprendre parfois »

Ainsi le monde académique, enseignement et recherche, apparaissent aux yeux des

entrepreneurs et de certains acteurs publics promouvant l’entrepreneuriat comme déconnecté

des problématiques économiques de court et moyen terme ou en décalage « culturel ».

… ou les effets de trop de proximité organisée intra-monde?

Comme l'a montré l'école de la proximité, si le manque de proximité organisée peut empêcher

les coopérations, une trop forte proximité organisée au sein d'un groupe peut également

empêcher la création de lien avec d'autres groupes. Ainsi par exemple quand je demande à un

entrepreneur de l'incubateur pourquoi les incubés ne viennent pas s'installer à la pépinière, il

me répond, qu'outre une question de maturité des projets :

«y a un côté un peu élitiste de l'incubateur ou on est entre nous et tout le monde se rêve

un peu la startup, qui justement n'aura pas besoin de passer par une pépinière, qui va

avoir un concept qui explose et justement qui prenne l'incubateur plus comme une

centrifugeuse ou un accélérateur que véritablement un moyen d'aller à la pépinière et de

s'installer à la cité Descartes.»

Page 61: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

61

Par ailleurs cet incubé m'indique être le seul entrepreneur de l'incubateur issu de l'université, les

autres venant de grandes écoles majoritairement d'ingénieurs. Le responsable de l'incubateur

nous avait quant à lui indiqué que tous les incubés avaient au moins BAC+5. A la pépinière,

bien que nous n'ayons pas de statistiques, nous avons constaté à travers notre échantillon qu'il

y a une diversité plus grande en termes de niveau d'études. Au sein de l'incubateur, une plus

grande homogénéité dans le niveau d'étude ainsi qu'une structure plus petite bénéficiant de

d'un accompagnement renforcée (1 personne pour 6 incubés) créé une logique d'appartenance

et de similitude plus forte. La pépinière en revanche dispose d'une proximité organisée

structurellement plus faible, les moyens en termes d'accompagnement y étant moins important

(1 personne pour 12 startups). Cette moindre proximité organisée n'est pas compensée par une

forte logique de similitude entre des acteurs dont l'origine est hétérogène en termes d'études,

de parcours et également d'âge.

A une échelle plus grande, la forte proximité organisée au sein du monde académique rend

également difficile son accès par des acteurs non membres du monde académique, comme

nous l'avons montré avec les tentatives infructueuses de l'incubateur ou des acteurs publics

pour entrer en lien avec le monde de la recherche et de l'enseignement.

Lors de notre entretien avec un chercheur d'une unité de recherche du campus, nous

constations dans la discussion qu'il fait une nette distinction entre le monde économique et le

monde «scientifique». Il travaille sur un logiciel de datamining à destination des chercheurs

principalement en sciences sociales, quand je lui demande si ce logiciel pourrait être

commercialisé, il explique son projet:

«c'est designer des outils pour tout le monde [il fait référence ici au monde de la

recherche], ça rend difficile l'idée de construire un logiciel en tant qu'entité qui pourrait

faire ensuite l'objet d'une démarche économique. On est même anti-économique, on

veut faire un outil évolutif qui correspond aux outils et aux besoins de la recherche,

néanmoins on est un peu prudent et on n'a pas mis de disclaimers mais moi en tant que

chercheur et directeur j'interdis des usages dans un b-to-b privé/ public, je ne veux pas

par exemple que Coca Cola fasse de l'ethnomarketing en utilisant nos plateformes

relationnelles, c'est pas l'objet.»

Ce témoignage révèle selon nous qu'une forte logique d'appartenance et de similitude, en

l'occurrence au sein du milieu de la recherche, peut constituer une barrière d’entrée pour les

acteurs publics et le monde économique, d'autant plus lorsque la démarche «scientifique» est

représentée comme «anti-économique».

Conclusions

La proximité géographique a bien un rôle à jouer, mais auprès d'acteurs qui partagent au moins

une logique de similitude.

La réunion du monde académique et du monde économique, mondes qui ne partagent pas de

logique de similitude, doit nécessairement passer par la création d’une proximité organisée ou

Page 62: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

62

par des liens personnels. Les liens personnels entre des acteurs du monde académique et du

monde économique local étant peu nombreux selon nos résultats, ils ne peuvent être créés que

par la mobilisation de la proximité organisée.

C’est ce que tentent de faire les acteurs publics en essayant de rallier les acteurs autour des

enjeux économique de cluster. Cependant ces tentatives sont en grande partie infructueuses,

nous essayons dans le chapitre suivant de comprendre pourquoi et nous nous demandons

comment réussir à réunir des mondes quasi-étanches.

III Éléments d'explications

Nous avons établi précédemment que les liens étaient peu développés entre certains acteurs,

notamment entre les grandes entreprises du cluster et les acteurs locaux ou entre les

entrepreneurs et les chercheurs. La proximité géographique ne suffit pas et la proximité

organisée semble insuffisante également.

Porter soulignait à travers ses observations de nombreux clusters que pour qu'un cluster puisse

réussir, les acteurs doivent activement participer:

To maximize the benefits of cluster involvement, companies must participate actively

and establish a significant local presence. They must have a substantial local investment

even if the parent company is headquartered elsewhere. And they must foster ongoing

relationships with government bodies and local institutions such as utilities, school and

research group (Porter, 1998b, p.88).

Par ailleurs l'auteur indiquait également que les savoir-faire d'un cluster sont souvent invisibles

au démarrage et que des secteurs d'activités différents qui cohabitent peuvent créer de

nouvelles opportunités. Autrement dit une entreprise ou un laboratoire qui n'est pas directement

dans le thème de la ville durable pourrait aussi trouver sa place au sein du cluster Descartes.

Forts de ces constats, la question à laquelle nous essayons d'apporter des éléments de

réponse dans ce chapitre est: pourquoi les acteurs ne participent pas, pourquoi ne sont-ils pas

plus engagés dans le cluster? Pourquoi ne recherchent-ils pas plus de coopérations?

3.1 La faiblesse des liens faibles comme élément explicatif de la faiblesse

des coopérations

La faiblesse des liens faibles entre monde économique et académique

Comme nous l'avons montré dans notre enquête, un lien institutionnel n'entraîne pas forcément

de liens personnels entre les membres de deux institutions et des liens personnels peuvent

exister sans lien institutionnel.

Page 63: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

63

Les liens personnels étant un vecteur de développement des entrepreneurs et des porteurs de

projets de recherche, il apparaît que, malgré des liens institutionnels existants bel et bien, le

manque de liens personnels entre les différents mondes sociaux est un frein à leur coopération.

Le manque de liens faibles empêche la constitution de ponts entre les différentes cliques

(Granovetter, 1973). Le manque de liens faibles entre le monde académique et le monde

économique empêche en effet la circulation des informations sur la disponibilité des ressources

d'un monde à l'autre, et donc empêche le recours à ces ressources.

Ainsi lorsque notre enquêté, directeur de recherche, dit avoir du mal à trouver des compétences

pointues en informatique pour la maintenance de son système d'informations, il n'a pas

recherché ces compétences au sein de la cité Descartes ou de la pépinière qui comptent des

sociétés informatiques. En effet il a recherché des personnes qualifiées au sein de son propre

réseau de contacts et «d'interconnaissances», lequel n'est pas connecté avec les entrepreneurs

locaux mais est encastré dans le monde élargi de la recherche. N'ayant pas connaissance des

ressources disponibles localement faute de liens faibles avec le milieu des entrepreneurs, il n'a

pas pu avoir l'idée même de chercher localement - sans présupposer de l’existence ou pas de

cette compétence localement. Combien même aurait-il su que des sociétés informatiques

existaient à proximité, en l'absence de liens faibles, il aurait préféré recourir à une personne

recommandée par son entourage, par gain de temps.

Je lui demande si une journée porte ouverte à la pépinière l'intéresserait. Il me répond

négativement :

«pour deux raisons, la première manque de temps j'ai d'autres urgences.

Deuxièmement c'est pas directement (...) ce sont des commitments si on n’a pas envie

de donner suite faut pas y aller. (...)»

Cependant il ajoute :

«on pourrait à la limite fonctionner sur l'idée que ça pourrait être intéressant parce qu'on

les connaît on a vu ce qu'ils font on pourrait faire une CIFRE33 on pourrait (...) faire en

sorte qu'il y ait du co-développement ça oui je dirais oui mais j'ai pas le temps parce que

j'ai d'autres urgences à traiter qui est notamment la finalisation d'une version pour le

projet européen. Il faut faire attention, à ressources limitées il faut avoir des grosses

ambitions mais il faut pas trop communiquer».

Cet enquêté imagine donc des coopérations potentielles mais en l'absence de liens faibles, le

« manque de temps » apparait comme le principal rempart à la création de liens entre des

mondes qui ne se rencontrent pas.

L'éparpillement des entrepreneurs affaiblit leur capital social collectif

33 Convention Industrielle de Formation par la Recherche. Il s’agit d’un dispositif de financement de thèse par les entreprises.

Page 64: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

64

Au sein de certaines structures, les responsables de l'accompagnement se plaignent du

manque d'effectif pour animer la communauté des entrepreneurs. Ainsi au sein de la pépinière

les liens intra-groupe sont peu denses, du moins à l'échelle de notre échantillon (4/27). Lorsque

l'on interroge les enquêtés sur leurs liens avec les autres entrepreneurs de la pépinière, ils sont

limités à leurs plus proches voisins ainsi qu'à un ou deux autres entrepreneurs. Un enquêté

nous parle d’un petit-déjeuner organisé par la pépinière, mais déplore que seuls les nouveaux

arrivants se présentaient, du coup il ne connait pas les quinze autres personnes qui étaient

présentes.

Par ailleurs, les entrepreneurs se répartissent comme on l'a vu dans différents dispositifs. Outre

des liens institutionnels, il existe peu de liens entre les différents foyers d’entrepreneurs.

Leur éparpillement et l'absence de «communauté de pratiques» font qu'ils ne peuvent pas

véritablement partager une échelle de valeur commune ou un sentiment de solidarité.

Nous postulons que la faible densité de liens au sein de la communauté des entrepreneurs

locaux n'est pas seulement un manque à gagner pour leur propre développement mais

constitue également un frein supplémentaire pour aborder le monde beaucoup plus vaste et

plus dense de la recherche universitaire. En effet dans l'exemple de notre enquêté ayant réussi

à entamer une démarche de participation à un programme de recherche public, ce dernier étant

peu ou pas connecté avec les entrepreneurs locaux, les autres entrepreneurs n'ont pas accès à

l'information sur l'existence et la possibilité pour eux de telles démarches. De l'autre côté, le

laboratoire de recherche en question n'a pas accès à travers cet entrepreneur à une

connaissance fine du milieu entrepreneurial local. Le groupe des entrepreneurs ne dispose pas

du «capital social collectif» (Godechot et Mariot, 2004) qui lui permettrait de défendre les

intérêts du groupe auprès des autres acteurs du cluster.

Liens des entrepreneurs avec les autres entreprises du cluster

Ce manque de capital social collectif empêche également les liens avec les autres acteurs que

sont les PME et les grandes entreprises.

L'analyse détaillée de Godechot et Mariot sur la composition des jurys et des recrutements de

docteurs de six universités françaises montrait une «corrélation entre le degré de préférence

pour les candidats locaux et le degré de cohésion relationnelle à l’intérieur de l’institution.». Les

groupes cohésifs disposant d'un capital social collectif élevé sont plus enclins à défendre les

membres du groupe contre la concurrence d'autres groupes.

De la même façon dans notre terrain d'enquête, par manque de valeurs partagées au sein du

groupe, le processus de choix des ressources par les entrepreneurs (fournisseurs, partenaires,

prestataires de services,...) tend à favoriser des entreprises extérieures au cluster.

La représentante de la d.school nous dit avoir entendu parler de la pépinière et de l'incubateur

mais ne pas avoir de lien «c'est pas la volonté qui manque, c'est le manque de moyens

humains », leurs effectifs étant trop faibles, nous explique-t-elle. Dans le courant de la

conversation elle nous parle d'un projet développé par les étudiants de la d.school pour la

Page 65: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

65

Fondation Favier: il s'agissait d'une lampe pour personne âgée développée dans le cadre des

cours d.senior. Le produit a tellement plu que le directeur de la Fondation en a commandé 800

aux jeunes innovateurs. Cependant les étudiants ne pouvaient pas répondre à cette

commande, ce qui aurait nécessité de créer une entreprise et passer sur un mode de

fabrication industriel. Or ils n'avaient pas fini leur scolarité. Quand je lui demande si elle a

cherché d'autres entrepreneurs pour reprendre ce projet, elle nous dit avoir cherché parmi les

étudiants des Ponts mais que ce projet n'était pas compatible avec leurs études. Dans ce cas

de figure nous voyons que l'absence de liens faible avec le milieu entrepreneurial local et ou

avec des PME a freiné le développement d'activités. Nous ne pouvons pas garantir que

l'existence de liens faibles eut permis de trouver un entrepreneur capable de développer ce

produit, mais les chances de trouver une solution auraient été plus grandes qu'en s'adressant

uniquement aux étudiants des Ponts.

L’entrepreneur C nous explique s'être retrouvé en concurrence avec un autre projet sur une

application de cartographie de la cité Descartes porté par une étudiante de l’Ecole des Ponts.

Les deux projets avaient deux objectifs différents mais un socle commun qui aurait pu générer

une collaboration fructueuse, selon lui. Quand il a rencontré l'autre porteur de projet après avoir

été mis en relation par l’Agence Descartes Développement, il dit avoir été étonné par la réaction

de son interlocutrice : «elle trouvait ça bizarre qu'on travaillait sur la cartographie alors qu'elle

aussi travaillait sur la cartographie, (...) elle a cru je sais pas euh qu'on prenait son idée. ».

Finalement cet entrepreneur a renoncé à son projet et a proposé de transférer son code à son

«concurrent» en mettant une licence open source dessus puisqu'il n'en ferait rien. Cependant

l'autre acteur ne s'est pas montré intéressé. Notre enquêté attribue cet échec de collaboration à

un «problème de personnalité». Cette mésentente pourrait paraître anecdotique, pourtant elle

illustre le défaut de capital social collectif du groupe des entrepreneurs. La cohésion se limite

aux membres de la structure d'accompagnement pour ce qui concerne l'incubateur car pour la

pépinière comme on l'a vu le groupe est peu cohésif.

Le représentant de l’incubateur nous parle d’une tentative de coopération avec d’autres

entrepreneurs: « Un moment on avait essayé de mette en place un système de parrainage ou de

mentorat par d'autres entrepreneurs ça n'a pas marché ça n'a pas marché parce

qu'on n’a pas eu de candidats, parce que les gens ont dit ça va nous prendre du temps on va avoir des obligations. Donc ce qu'on a décidé de faire c'est plutôt un

format centrifugeuse ou de temps en temps on organise avec des entreprises extérieures qui viennent bénévolement écouter les incubés sur leur projet. »

Il nous explique alors avoir pensé à faire intervenir des « experts extérieurs » mais leur coût ne peut pas être pris en charge par les incubés.

Pourtant lors de notre enquête sur un petit échantillon, nous avons rencontré deux

entrepreneurs qui seraient prêts à faire du mentorat, l’un est membre de la pépinière, l’autre fait

parti du dispositif Tous Créatifs. L’un d’entre deux fait déjà partie de « 100000 entrepreneurs »

association nationale de promotion et d’accompagnement de l’entrepreneuriat auprès de jeunes

publics.

Page 66: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

66

Les étudiants-entrepreneurs, un pont entre l'université et le monde entrepreneurial

Nous avons rencontré deux cas d'étudiants entrepreneurs issus de l'université. Dans les deux

cas, les étudiant ont utilisé ou tenté d'utiliser les nombreuses ressources de l'université pour

leur création d'entreprise. Lorsque les conditions sont réunies pour qu'une coopération

réussisse, nous allons voir que les étudiants constituent un pont entre monde académique et

économique.

Quand la tentative de coopérer échoue : le cas de l’entrepreneur C

L'entrepreneur C nous raconte plusieurs tentatives de coopérations avec l'université. Tout

d'abord:

«À l'IFU on a essayé de mettre en place pleins d'initiatives, notamment une plateforme

collaborative sur laquelle on aurait pu avoir les travaux d'étudiants (...) on trouvait que ce

qu'on faisait c'était génial [rire] et on voulait le diffuser et à chaque fois on s'est heurté à

des murs»

Il explique ensuite que quand il s'est lancé dans l'entrepreneuriat il a cherché du support auprès

de ses professeurs car pour son projet il cherchait des clients au sein des collectivités

territoriales. Cette tentative lui laisse un souvenir amer:

«Quand en parallèle de nos études on s'est lancé dans l'entrepreneuriat, moi mes profs

ils ont des réseaux de fou au sein des collectivités parce qu’ils bossent avec eux et

support zéro et pire genre suspicion mais qu'est-ce qu'ils font pour qui ils se prennent

etc etc»

Il dit alors avoir recherché de l'aide auprès du service dédié de l’université et s'être rendu à

l'événement Tous connectés en 2013:

«C’était très universitaire en amphi avec peu de gens qui parlent, pleins de gens qui

écoutent (...) j'ai un peu discuté avec des gens qui s'en occupent à la fac et j'ai pas

compris ce qu'ils voulaient faire j'ai envoyé des mails, j'ai pas eu de réponse. Au final si

la fac veut encourager l'entreprenariat et qu'elle est pas du tout réactive, euh comment

...nous on est la seule startup de l'incubateur Descartes qui soit issue de l'UPEM (...) et

moi je m'imaginais qu'on aurait un peu de soutien»

Dans ce récit, l'enquêté comptait sur la logique d'appartenance (Rallet et Torre, 2008) pour être

aidé mais elle n'a pas eu d'effet à elle seule.

Enfin cet enquêté a tenté de collaborer avec le service communication de l'université mais là

encore il n'a pas eu de retour:

Page 67: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

67

«Quand je leur envoie des trucs à la com pour diffuser auprès des étudiants parce qu'on

voulait en fait augmenter notre nombre de followers sur Twitter et nos likes sur

Facebook, du coup j'avais préparé un mini dossier de presse en leur expliquant voilà

est-ce que vous pouvez publier ceci à tel moment. Ils le font pour les BDE tout ça et

pour nous ils l'ont pas fait

- pourquoi? Ils n’ont pas donné de motif?

- non c'est pas qu'ils voulaient pas, c'est l'institution quoi, c'est la fac, ils ont oublié, ils

ont pas considéré ça comme une priorité.»

Plus loin, compte tenu de son expérience il se dit sceptique sur les projets d'incitation à

l'entrepreneuriat étudiant.

Quand la tentative de coopérer réussit : le cas de l’entrepreneur D

L'entrepreneur D est un étudiant entrepreneur de l'UPEM qui a créé un partenariat avec la

bibliothèque de l'université. Il relate la façon dont s'est noué le partenariat:

«J'y suis allé directement, j'ai été voir la responsable de la bibliothèque en lui exposant

le projet quand l'idée est apparue, en lui disant qu'on avait besoin de tester vraiment ces

choses-là pour pouvoir les exploiter (...), j'ai parlé avec l'ensemble des responsables des

bibliothèques et ils m'ont autorisé à pouvoir le tester

- est-ce que c'est parce que le concept leur a plu ou parce qu'ils sont sensibles à

l'entrepreneuriat étudiant?

- un peu des deux en fait parce que le concept leur était utile à eux pour diffuser des

formations en bibliothèque, ensuite parce que moi je les connaissais plus ou moins en

allant à la bibliothèque, je les rencontrais de temps en temps et après oui c'est un peu

du donnant-donnant»

Conformément à la théorie de l'acteur-réseau, la démarche stratégique de cette enquêté a

également joué un rôle, puisque en cherchant à intéresser l'ensemble des acteurs concernés, il

a pu rallier un nombre croissant de contributeurs à son idée, permettant donc à son innovation

de se diffuser progressivement. On constate également l'importance d'un intérêt partagé. Celui

qui accepte de collaborer avec un entrepreneur doit y voir un intérêt pour lui. Dans le premier

cas décrit (entrepreneur C), il est probable que les interlocuteurs sollicités à l'université n'aient

pas vu l'intérêt pour eux ou pour l'université de faire la promotion d'une application qu'ils ne

connaissaient pas et d'un étudiant qu'ils ne connaissaient pas non plus. Dans le premier cas,

l'étudiant était peu encastré dans le réseau auquel il demandait de l'aide (les services de

communication de l'université), contrairement au second cas ou l'étudiant a créé des liens

faibles avec l'ensemble des acteurs concernés, les responsables des bibliothèques de

l'université.

De plus l’entrepreneur D nous dit s'être fait aidé par ses différents professeurs et personnels

administratifs, l'université a constitué pour lui une très grande ressource en terme de conseils:

«moi dans le cadre de mes cours, on a des cours d'initiation à l'entreprenariat ou j'ai ma

professeur qui m'a aidé dans mes démarches, à cadrer, qu'est-ce qui faut que je fasse

d'abord (...) Pour mon étude de marché j'ai été me faire conseiller par mon prof d'études

de marché, vraiment à chaque fois j'avais la personne ... Le fait d'être dans une

Page 68: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

68

université ça permet d'avoir un public d'experts autour de nous sans pour autant aller...

si on devait chiffrer à chaque fois le conseil... »

Pour un étudiant entrepreneur, l'université peut donc jouer un rôle d'accompagnement,

cependant au sujet de ses liens avec les enseignants, l’entrepreneur D nous précise :

«Après j'ai beaucoup été les chercher, d'abord j'ai eu la chance d'avoir la matière sur

l'entrepreneuriat, ma prof était une relation directe avec tous ces acteurs, ça été pour

moi vraiment l'opportunité d'aller tous les voir et voir qui pourrait être intéressant pour

m'aider.(…) Parce que j'ai eu cette personne-là , j'ai eu tous ces acteurs-là. Mais je sais

qu'en tant qu'étudiant on n’a pas forcément accès à toute cette information qu'on

pourrait avoir, faut aller la chercher et si on sait pas où aller euh»

Dans une relation institutionnelle ente l'étudiant et son école, sans lien personnel, et sans

partage de valeurs communes (logique de similitude), la tentative de coopération échoue. La

logique d'appartenance seule au sein de l'université est insuffisante, elle doit être renforcée par

des liens personnels et à cette condition, les étudiants-entrepreneurs peuvent constituer un

pont entre monde académique et monde économique au sein du cluster.

Les enseignants- chercheurs, un pont entre les étudiants-entrepreneurs et le monde de

la recherche.

Dans le cadre de son projet d’application de diagnostic de voiries, l’entrepreneur C nous

indique :

«On est en train d'essayer de bosser avec le LATTS [labo de recherche du PRES]

parce qu'on va faire de la demande de subvention publique, (...) On va avoir besoin pour

ça de partenariat scientifique pour demander des subventions, (...) et quand nous on

aura la trésorerie à mettre en face on pourra le développer

- comment êtes-vous rentré en contact avec ce labo?

- je les connaissais grâce à l’IFU, j'avais des profs qui y étaient. »

Dans ce cas, l’entrepreneur C a réussi à nouer une coopération avec un laboratoire de

recherche d’une part car il est passé par un enseignant-chercheur membre de ce laboratoire,

d’autre part car le laboratoire a un intérêt financier dans la demande de subvention.

Il dit avoir essayé de nouer un partenariat avec un autre laboratoire, mais ce partenariat ne

représentait pas un intérêt financier suffisant dans ce cas :

«Y a le LVMT aussi avec qui on avait discuté (...) ils étaient moins intéressés car c'est

quand même un gros labo ils ont déjà pleins de partenariats avec des boîtes etc. etc. et

pas pour des petites subventions à 50k€ (...)»

L'autre étudiant-entrepreneur (l’entrepreneur D) n'a pas de lien avec les laboratoires mais

projette d'en avoir, c'est grâce à une enseignante qu'il a pensé à une éventuelle coopération

avec la recherche :

Page 69: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

69

«Dans le début du projet, on voulait s'associer avec justement une personne dans la

recherche pour démontrer l'efficacité du jeu dans la formation, donc on voulait faire

appel aux labos de recherche, c'est la prof d'initiation à l'entrepreneuriat qui m'avait

parlé de ce truc-là. Finalement ça s'est pas fait parce qu'on a pris une autre direction

mais c'est toujours intéressant pour nous par la suite, ça sera du développement sur du

long terme, d'avoir un aspect recherche, un aspect qui est très cadré sur la formation en

collectif et vis-à-vis de l'implication etc., faire des études là-dessus. (...) y a des études

qui ont été faites [en pédagogie] mais nous ce qu'on aurait voulu c'est de les cibler sur

notre produit, pouvoir le mettre en avant»

Notre enquêté s'est déjà renseigné auprès d'une de ses enseignantes qui lui a fourni de la

documentation :

«soit nous on s'adresse à eux et dans ce cas la eux ils peuvent faire une demande de

financement public, soit nous on finançait, soit la région pouvait le prendre en charge, y

a énormément de choses qui se mettent en place là-dessus, des choses sur lesquelles

je me suis pas attardé parce que y a énormément de documentation à regarder, on était

pas forcément dedans à ce moment-là on s'est pas focalisé dessus mais on sait que

c'est possible, après par la suite nous quand on sera installé, nous ça pourra nous

intéresser d'avoir un aspect recherche ciblé sur la pédagogie»

Cet entrepreneur a également été influencé par un de ses concurrents qui a fait développer un

produit par un pôle de recherche, recherche qui aurait été « primée ». Mais l’accès au monde

de la recherche se fait uniquement par le biais de l’enseignante qu’il connait :

« Je sais que si j'ai besoin de faire une recherche là-dessus, c'est vraiment à elle que je

vais m'adresser [son enseignant- chercheur] pour me mettre en contact avec les bonnes

personnes (…) c'est pas l'objectif du moment mais on l'a envisagé»

Si les étudiants-entrepreneurs de l'université représentent un pont entre l'université et le monde

entrepreneurial et si leurs enseignants-chercheurs sont eux-mêmes un pont vers la recherche,

cela signifie comme nous l'avons montré que les étudiants peuvent ouvrir la voie des

coopérations entre monde de la recherche et entrepreneurs.

Cependant il faut en souligner les limites, les étudiants entrepreneurs, surtout à l'université, sont

peu nombreux et de plus, comme on l'a vu, ils ne sont pas (encore) organisés en

«communautés de pratiques», ce qui handicape la circulation d'informations auprès d'une

communauté élargie d'entrepreneurs.

Dans le chapitre suivant nous essayons d'analyser pourquoi les liens faibles ne s'établissent

que difficilement entre les différents mondes sociaux.

3.2 Les coûts de transaction comme élément explicatif de la faiblesse des

liens faibles

Page 70: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

70

Le «manque de temps » est l'argument qui revient le plus souvent, même quasi-

systématiquement, aussi bien chez les entrepreneurs que chez les chercheurs interrogés,

quand on leur demande pourquoi ils n'ont pas de liens avec les autres acteurs locaux. C'est

comme si de leur point de vue, cela serait "normal" d'avoir des liens avec des acteurs proches

géographiquement, mais ces liens n'existant pas ils doivent le justifier, et la justification qui est

alors avancée est le manque de temps.

Nous faisons l'hypothèse que derrière l'argument du manque de temps se cache en réalité la

difficulté d'entrer en relation avec les autres acteurs, liée aux «coûts de transaction» entre

mondes hétérogènes. Nous examinons pour cela les interactions ou les tentatives d'interactions

pour illustrer ces difficultés.

3.2.1 Définition utilisée

Le coût de transaction est une notion que nous empruntons au vocabulaire économique. On

peut définir une transaction comme « un échange d'information ou de marchandises ayant

une valeur économique » (Abecassis,1992).

Pour les économistes, les coûts de transaction ou coûts de marchés représentent les coûts

de recherche d'informations, de négociation et de conclusion de contrats spécifiques pour

chaque transaction. Le coût est lié « à l'asymétrie d'information entre les acteurs et aux

conduites opportunistes » (Ibid.).

Pour l’auteur, la théorie des coûts de transaction cherche à expliquer la diversité des

formes d'organisation. Elle pose comme hypothèse que le choix d'une structure

organisationnelle répond avant tout à un critère d'efficacité tout en soulignant que dans de

nombreuses situations, on voit plutôt des solutions « satisfaisantes » prendre le pas sur des

situations optimales.

Nous réutilisons ici cette notion pour qualifier le coût généré par le recours à un acteur d’un

autre monde social. En effet il est plus « efficace » de recourir à des ressources auprès

d'acteurs avec lesquels on partage une logique d'appartenance et de s imilitude que de

rechercher des informations et affronter l'incertitude liée à la méconnaissance de son

interlocuteur. On choisit « l'arrangement institutionnel qui minimise les coûts» (Ibid.).

Auparavant nous revenons sur le capital social individuel qui est un facteur qui contribue à

minimiser les coûts de transaction.

3.2.2 Une capacité à nouer des liens qui dépend du capital social de chaque

individu

Les entrepreneurs que nous avons rencontrés sont très demandeurs d'informations en général,

néanmoins l'effort à fournir et le temps à passer pour obtenir des informations est

Page 71: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

71

nécessairement calculé pour être optimisé. Ainsi l'entrepreneur G nous dit avoir participé à un

«concours femmes entrepreneurs» suivi d'une soirée avec un dîner : «Je voyais pas trop

comment avoir de l'aide, c'était trop différent de mon activité, moi j'aurais pas pu être leur

client». Cet entrepreneur qui réalise des essais cliniques pour le compte de gros clients, en

Angleterre et en Suisse, nous dit ne pas connaître le cluster santé de Créteil ni les laboratoires

du cluster Descartes, information pourtant directement utile à son activité. Une fois qu’elle

apprend leur existence, elle ne sait pas comment les contacter et ne connaît pas non plus les

agences locales de développement. En revanche elle m’interroge pour trouver le point d'entrée

qui lui permettrait d'accéder à d'autres informations sur les laboratoires présents localement.

La capacité de nouer des liens est inégale chez les individus, ainsi un enquêté nous fait part de

l’apprentissage que cela a représenté pour lui:

« moi c’est plus mon rôle de gérant qui me pousserait à voir autre chose, mais là je me

sépare de mon activité actuelle du bâtiment (...)

quand j’ai rencontré mon voisin ou d’autres gens, à la base c’est plus par souci de

politesse et en parlant on se rend compte que hop il fait ça et je fais un rapprochement

par rapport à mon activité et c’est en échangeant dans les couloirs, on se rend compte

qu’il y a un lien et ça peut être un élément accélérateur ou d’échanges, ça créé des

idées ça créé de l’échange. Moi à la base je suis assez timide et réservé et du coup

j’aurais du mal mais le fait d’avoir fait la boite, ça m’a complètement obligé à avancer

quand même, quand il faut aller voir un client et vendre, chose que j’aurais pas pu faire

mais faut le faire après on apprend à le faire on fait des erreurs, on apprend à le corriger

et puis on avance. Mais c‘est en faisant les choses qu’on avance, si on restait dans son

coin on ferait rien.»

Un enquêté nous parle d'un petit-déjeuner organisé à la pépinière. Il nous dit n'avoir rencontré

personne et explique sa difficulté à nouer des contacts avec des gens qu'il ne connaît pas et

avec lesquels il n'a pas de projet commun. Je lui demande si après la présentation des

nouveaux arrivants, il a discuté avec les entrepreneurs présents:

«certes, j’aurais pu aller chercher l’information, taper aux portes, mais c’est un peu

comme à l’école en fait [rire] quand on est seul ou on est deux, on se retrouve devant

une équipe, on connait personne, on parle un petit peu (…) et après on sait plus quoi

dire ben chacun reste dans son coin et après on reprend nos places sans savoir ce que

fait le voisin (...) bon après je critique je suis pas forcément un modèle je suis pas

quelqu’un de très communicatif ou très avenant »

On relève dans ces propos une logique de similitude qui paraît assez faible chez cet enquêté et

une difficulté à renforcer son capital social.

Concernant les liens avec les laboratoires de recherche, nous constatons à travers notre

échantillon d'entrepreneurs et plus largement à travers tous les entrepreneurs rencontrés dans

notre terrain d'enquête que les seuls entrepreneurs qui ont des liens avec le monde de la

recherche ou qui envisagent d'en avoir sont les étudiants- entrepreneurs de l'université, comme

nous l'avions décrit plus haut. Les entrepreneurs qui ont déjà quitté l'enseignement supérieur ou

Page 72: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

72

a fortiori ceux qui ont un niveau d'étude inférieur à BAC+5 ne manifestent pas d'intérêt pour la

recherche. De ce point de vue, les étudiants de l'université ou des grandes écoles sont dotés

d'un capital social qui leur permet grâce à des liens étroits avec leurs enseignants-chercheurs

d'accéder plus facilement au monde de la recherche.

Concernant le besoin de stagiaires ou de recrutement, les entrepreneurs diplômés d'écoles

supérieures ou de l'université se tournent plus facilement vers leur centre de formation d'origine

pour trouver des stagiaires, comme ce fut le cas des associés de deux des entrepreneurs

interviewés. En revanche pour un entrepreneur qui ne vient pas du monde de l'université,

comme c'est le cas de l'entrepreneur F qui a fait un BTS dans un lycée, l'accès à ce type de

ressource demande plus l'investissement en temps. Ainsi quand je lui demande s'il a des

relations avec les écoles ou l'université, il me répond négativement et l'explique ainsi:

«Après ça m’intéresserait mais en même temps … ce qui me fait peur c’est que je suis

débordé par mon activité, (...) j’aimerais développer les rencontres, aller à la rencontre

des écoles comme le forum [allusion au forum Descartes], je vais essayer d’y participer,

mais si je commence à mettre le doigt dedans ça va générer beaucoup de rencontres

beaucoup d’échanges et qui vont me pénaliser dans mon travail (…)parce que je sens,

je suis sûr que je peux trouver des salariés motivés à côté de chez moi et c’est

dommage d’aller chercher ça ailleurs alors que les gens ils sont à coté, ils sont peut-être

intéressés de venir nous voir, même pour des stages ou pour des TP, ils pourraient très

bien venir ici faire un test avec nos scanners et ça sert aussi à nous faire connaitre je

vois plusieurs intérêts à tout ça (...) mais j’aurais pas le temps de l’organiser »

Notre enquêté ne dispose pas du « réseau durable de relations plus ou moins

institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance » (Bourdieu, 1980) au sein du

monde académique, des écoles et de l’université. Il doit passer par des médiations comme le

forum pour rencontrer les étudiants. Or ce type d'événement est trop chronophage pour lui, ce

qui le pénaliserait dans son activité. Le cout de transaction est trop important, donc il y renonce.

Les entrepreneurs les moins diplômés présentent donc par rapport aux autres un déficit de

capital social qui leur rend l'accès au monde académique du campus Descartes plus difficile.

3.2.3 Des coûts de transaction trop élevés en cas d'absence de proximité

organisée

Nous proposons d’analyser dans ce paragraphe plusieurs tentatives d'interactions, plus ou

moins fructueuses, entre des acteurs de mondes sociaux différents pour montrer plus

précisément quelles sont les difficultés rencontrées.

Interactions Recherche - acteurs publics

Nous avons pu observer cette difficulté dans la conduite de cette enquête.

Page 73: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

73

Lorsque j'ai rencontré un représentant du CCI (pépinière) pour lui parler de mon projet

d'enquête, je lui ai demandé s'il était possible d'offrir mes services dans le but de faire de

l'observation dans le cadre d'un travail de recherche. Si la méthode de l'observation

ethnographique est largement pratiquée en sociologie, cette méthode n'est pas du tout connue

dans le milieu dans lequel j'arrive et auparavant mon interlocuteur n'a jamais eu affaire à des

sociologues. Je constate assez rapidement que je dois bannir de mon langage un vocabulaire

trop sociologique, pour ne pas être discréditée. Dans son enquête sur les chercheurs

entrepreneurs, Lamy relatait également les difficultés de certains doctorants à « apprendre à

communiquer sous une autre forme » (2008).

Néanmoins mon interlocuteur se montre très ouvert, en me demandant de lui envoyer un CV

afin qu'il le transmette à ses services « RH » pour un stage. Nous convenons en grande ligne

du contenu du stage qui consistait à accompagner les entrepreneurs dans leur processus

d'innovation.

À titre de comparaison, j'ai enquêté sur un autre terrain, dans l’accélérateur de startups du

NUMA34 à Paris. Les animateurs du lieu ne m'ont pas demandé de CV ni soumis à une

procédure de recrutement mais m'ont proposé de venir quand je voulais et m'installer ou je

voulais pour faire de l'observation. La différence entre des ceux terrains d'enquête étant que le

NUMA est un lieu qui se veut « ouvert » et habitué à accueillir des doctorants et des chercheurs

et à adopter des méthodes originales de travail.

Quelques temps après, le représentant du CCI est revenu vers moi pour me dire que mon

dossier n'avait pas été retenu par les services «RH» car ils préféraient un profil plus financier

pour faire des business plan.

Dans cet exemple d'interaction, on s'aperçoit qu'il y a incompréhension mutuelle, d'un côté une

institution peu habituée à participer à des travaux de recherche en sciences humaines et n'y

voyant pas ou peu intérêt, préférant recruter des étudiants des filières professionnelles de

gestion qu'elle connaît déjà et de mon côté j'attendais du CCI une autorisation d'accès et de

participation à la vie de la pépinière sans anticiper que cette démarche ne rentrant pas dans les

normes de l'établissement serait rejetée.

Finalement j'ai quand même pu « négocier » une mission bénévole consistant à préparer une

journée porte-ouverte pour la pépinière. Mon interlocuteur, s'il ne m'a pas donné accès aux

documents internes du CCI et ni aux réunions internes, m'a toutefois permis de rentrer en

relation avec plusieurs entrepreneurs de la pépinière pour réaliser cette enquête.

34 Le NUMA est un cluster spécialisé dans le numérique à Paris dans le 10e. Il est organisé par une

association d’entreprises, Silicon Sentier. Le NUMA fédère toutes ses activités au sein d’un bâtiment qui héberge un espace de co-working, un accélérateur de startups, un espace de R&D ainsi que diverses salles d’animation.

Page 74: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

74

Je n'ai pas su réellement quelles étaient les réticences du CCI contre une enquête

sociologique, cependant quand je demande à mon interlocuteur s'il a des liens avec des

enseignants-chercheurs de l'UPEM, il me répond négativement.

Les coûts de transactions sont élevés en termes de temps passé et de négociation. Il faut

également réussir à dépasser les éventuelles représentations négatives que les acteurs

peuvent avoir les uns envers les autres. En revanche on peut supposer que demain si un

étudiant vient le voir pour la même demande, la confiance pourra s'établir plus rapidement. Ces

coûts sont donc surtout élevés pour établir une première relation.

Lors d'un autre échange, je lui parle du DUCA (diplôme universitaire de formation à la création

d'entreprise et d'activités au sens large) dont il ignorait l'existence. Le DUCA fait partie de l'IUT

de Champs sur Marne situé en face de la pépinière. Il se montre alors intéressé pour rencontrer

le responsable du DUCA et nous convenons que j'essaye de le joindre. En effet le DUCA forme

des potentiels créateurs d'entreprise qui naturellement pourraient avoir besoin des services de

la pépinière par la suite. A la sortie de notre échange, j'obtiens au sein de l'université les

coordonnées du responsable du DUCA, je tente de le joindre mais son «secrétariat» fait

barrage. Je le contacte alors par mail, message qui restera sans réponse. La tentative de mise

en relation échoue vraisemblablement car le responsable de formation ne me connait pas et par

« manque de temps ».

Interactions Recherche - Entrepreneurs

Lors de notre entretien, l’entrepreneur E, qui est très peu encastré localement nous fait part

d’un besoin de son activité qui est de traduire et d'adapter pour la France un logiciel étranger. Il

comptait faire faire un devis par une société selon un processus classique et durant notre

conversation, alors que nous parlons des autres acteurs du cluster, il me demande :

«si demain je veux faire traduire un logiciel, quelle est la procédure ? Est-ce que je peux

demander à un ingénieur? (..) mais si des étudiants sont intéressés ou si euh comment

on appelle ça, des incubés ou des startups ou des labos de recherche si ça les

intéresse, voilà, quelle est la procédure? Y a un dossier? Y a quelque chose? [rire] »

Cette question montre que dans le cas présent le cluster est vu comme une entité qui aurait sa

propre organisation. Comme cet enquêté a perçu que le cluster était porté par des acteurs

publics, il parle de notions administratives, de procédure, de dossier. Surtout ce témoignage

montre la difficulté pour un acteur qui n'est pas du tout encastré dans un milieu de comprendre

comment il fonctionne et d'y rentrer. Il révèle en outre une méconnaissance des autres mondes

sociaux, il est improbable en effet que des étudiants ou des chercheurs soient intéressés par

une mission qui serait juste de la traduction d'un logiciel à réaliser bénévolement. Cependant

cet exemple montre aussi qu'une fois sensibilisé à la présence de pleins d'autres acteurs sur le

territoire, acteurs qui seraient potentiellement accessibles même s'il ne sait pas comment faire,

cet entrepreneur s'intéresse aux potentiels de proximités.

Page 75: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

75

Réciproquement quand je demande à un chercheur s'il connaît les entreprises locales, il me

répond

«je sais même pas qui c'est, où elles existent ou est-ce qu'on les voit, où est-ce qu'on

les rencontre. J'ai jamais eu d'informations là-dessus. Donc le tort c'est peut-être de pas

l'avoir cherché, on a autre chose à faire quand même euh je ne sais même pas

comment ça se passe.»

Ce chercheur n'est pas opposé au fait de connaître les entreprises locales mais il ne sait pas

« comment ça se passe». Quand ce même chercheur avait rencontré un autre laboratoire de

recherche du campus pour un partenariat, il avait dit l'avoir rencontré «comme ça se passe

toujours».

Donc en l'absence de lien faible et de proximité organisée, le monde économique et le monde

académique ne peuvent pas se rencontrer, faute d’interaction et faute de connaitre les normes

et routines de comportement de l'autre monde.

Durant l'entretien, ce chercheur me fait part d'un mail transféré très récemment par un membre

de l'université qu'il connaît «de nom» et qui travaille pour le SAIC35. Le mail est une invitation de

la SATT36 Île de France pour participer à une grande journée sur le Big Data, qui a pour objectif

de présenter aux entreprises les laboratoires franciliens travaillant sur cette thématique.

En me parlant du mail, il me fait part de son étonnement, pourquoi ce mail lui a-t-il été adressé,

par une personne qu'il ne connaît pas. Il lit le mail «nous organisons conjointement avec le CFI,

les pôles de compétitivité franciliens, la préfecture et la SATT Lutech, un après midi de

présentation des laboratoires (...)». En même temps qu'il lit, il commente l'air agacé «CFI je ne

sais même pas ce que c'est», «les pôles des compétitivités francilien sûrement», «la préfecture

et la SATT lutech je sais pas ce que c'est, faut que je me renseigne [en insistant sur cette

phrase pour montrer l'effort que cela lui demande]»

En regardant la liste des destinataires, il s'étonne de découvrir des noms de personnes ou de

laboratoires du campus qui travaillent aussi sur le Big Data.

Il trouve cela finalement intéressant mais en relisant le mail, il manque d'informations

importantes, il ne sait pas où se passe l'événement, comment est-il organisé: ateliers, démos,

conférences? Quel est le format attendu des présentations? Qui est le public?

Finalement il dit retenir du mail surtout le nom d'un acteur local qu'il a vu dans les destinataires

qui est un acteur académique avec qui il pourrait échanger.

Nous ne savons pas si finalement notre interlocuteur s'est rendu à l'événement, il est fort

probable qu'il n'y soit pas allé compte-tenu du cadre peu familier de l'événement. En revanche il

est plus probable qu'il ait pris contact avec l'autre acteur académique du campus qu'il a

découvert -par hasard- grâce à ce mail.

Cette interaction montre aussi la difficulté pour les acteurs essayant de faire l'interface entre

monde académique et monde économique de rallier l’ensemble des acteurs à leurs initiatives.

Le vocabulaire et les sigles utilisés constituent une première barrière, le format inhabituel de la

35 Service des activités industrielles et Commerciales de l’Université 36 Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies

Page 76: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

76

rencontre, de surcroît peu précisé, constitue une seconde barrière, enfin l’absence de lien,

même faible, entre l'émetteur du mail, les destinataires du mail et notre enquêté représente un

autre frein.

Interactions Étudiants - acteurs publics

L’entrepreneur B nous dit être en contact avec la pépinière grâce à une rencontre organisée

dans le cadre de Tous créatifs, il a fait connaissance avec un représentant de la CCI qui lui a

proposé de passer à la pépinière pour une aide juridique dans sa création, il nous dit que suite

à cette rencontre: «maintenant je sais qui aller voir, je sais comment aller les voir».

Néanmoins à un autre moment de l'entretien, voyant que je connaissais le responsable de la

pépinière, il me dit qu'il souhaiterait visiter la pépinière et il me demande s'il peut aller les voir

juste après «comme ça, au culot», ou s'il faut prendre rendez-vous avant.

Sa première prise de contact avec le responsable qui a permis de créer un lien faible n'enlève

cependant pas les barrières qui existent entre ces deux mondes sociaux. Notre enquêté a

affaire à une autre institution dont il ignore les règles et il se demande donc quel est le

formalisme attendu.

Les liens institutionnels entre la pépinière et le dispositif Tous Créatifs permettent de mettre en

relation les acteurs, cependant cela n’enlève pas complètement les barrières d’entrée dans un

autre monde social. Un certain volontarisme est nécessaire, ainsi qu’une prise de risque, le

risque d’être en décalage par rapport aux normes d’un milieu.

Les liens personnels préexistants permettent de gommer en partie ces barrières de manière

imperceptibles pour les deux parties.

Nous abordons à présent un exemple d’organisation mis en place par le CSTB pour la

commercialisation des travaux de recherche.

3.2.4 Le service commercial de CSTB éditions : un moyen de réduire les

coûts de transaction entre monde académique et monde économique ?

Lorsque nous avons demandé à notre enquêté chercheur d’un laboratoire de l’Université Paris-

Est (chercheur qui n’appartient pas au CSTB), pourquoi il ne commercialisait pas le logiciel qu’il

avait développé, il nous répond :

« On pourrait très bien le faire, car on sait très bien ce qu'on a dans le moteur. On

pourrait très bien désigner le truc pour en faire une capacité de ... Mais si on le fait faut

le faire sérieusement ça veut dire protéger le truc, il faut le borner, pour le vende il faut

l'isoifier d'une façon ou d'une autre, apporter aux clients des garanties qui fait que du

coup sur le plan méthodologique et analytique on peut garantir des résultats, ce qui est

pas facile à conduire, c'est une compétence en tant que telle, ça veut dire qu'il faudrait

Page 77: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

77

embaucher une personne supplémentaire ensuite il faudrait s'occuper de la vente, il

faudrait aussi dans un relationnel, c'est pas que du commerce conduire l'analyse, ça

pourrait être un travail d'étude et de consultant. Or nous on est sur on vous offre des

capacités en ligne, on vous forme, c'est quasiment orthogonal du point de vue de

l'organisation avec ce qu'on pourrait faire ou ce qu'on devrait faire si on était une

entreprise. Donc pour l'instant c'est pas du tout le trajet qu'on prend. »

Par conséquent la démarche de valorisation commerciale apparaît très compliquée, nécessite

des « compétences » spécifiques et donc un recrutement supplémentaire ainsi qu’un

changement d’organisation, ce qui finalement dissuade notre interlocuteur. Cette démarche

représenterait un coût financier, mais selon nous ce n’est pas l’obstacle principal puisque des

bénéfices seraient espérés en retour. L’obstacle principal nous semble être le coût de

transaction généré par le fait de passer d’un monde entièrement académique à une logique

économique exigeant beaucoup de recherches d’informations (comment « isoifier » le produit,

comment le protéger juridiquement par exemple) et des négociations avec de nouveaux acteurs

chargés de la vente, de la partie « étude » et de la « relation client ».

A titre de comparaison, nous relatons l'expérience des chercheurs travaillant pour CSTB

Éditions. En effet la représentante du CSTB que nous avons rencontré nous a expliqué le

changement de «mentalités» qui s'est opérée selon elle parmi la population des chercheurs du

CSTB, qui constitue la majorité des quelques 900 collaborateurs. Le CSTB édite des logiciels

depuis 20 ans, il s'agit de logiciels issus de projets de recherche visant à faciliter la construction

par des outils numériques. Jusqu'à récemment cette activité était en grande partie non exploitée

commercialement. Certaines équipes commercialisaient leur logiciel mais de manière isolée et

dans le cadre d'une initiative individuelle : «pour le commercialiser c'était plus en fait la bonne

volonté du chercheur soit pour le commercialiser dans son réseau auprès d’intermédiaires qu'il

connaissait avec une autre équipe de recherche, des choses comme ça».

La plupart du temps les équipes nouaient des partenariats avec des grands comptes comme

Bouygues ou Eiffage et en échange de leur contribution et de leurs apports dans le

développement du produit, des licences étaient accordées gratuitement.

Quand notre enquêtée est arrivée dans l'entreprise, elle a eu l'idée d'utiliser la «force

commerciale», une équipe de 4-5 personnes, pour vendre les logiciels. Tous les logiciels jugés

commercialisables, une dizaine, ont été alors intégrés dans le catalogue de vente du CSTB,

après avoir subi quelques modifications et après discussion avec les équipes de recherche.

L’offre proposée consiste soit à vendre le cœur de calcul soit à vendre des licences. Le service

commercial a alors fait un travail de marketing classique consistant à cibler des prospects via

des listes externes pour pouvoir ensuite les démarcher.

Les partenariats précédents octroyant des licences gratuites ont été rompus. Les chercheurs

devaient renvoyer leur partenaire vers le service commercial pour la «négociation» et pour toute

la relation commerciale. Un service juridique se charge de toutes les protections. Un service de

SAV centralisé a été créé ainsi que des outils «CRM» de connaissance clients, d'analyse des

usages et de recueil des remontées des utilisateurs. De manière périodique, les acteurs

débattent de l'évolution des logiciels:

Page 78: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

78

«Les chercheurs ont également une mission de maintenance, une fois par trimestre des

évolutions sont décidées en fonction des retours terrain. Soit on prend le risque d'un

développement supplémentaire soit on se dit là on arrête c'est un système en perte de

vitesse. (...) On les accompagne parfois par exemple sur le graphisme, c’était totalement

absent».

Les gains réalisés sont réinvestis dans les programmes de recherche.

Dans l'exemple du CSTB, une proximité entre un service commercial et le monde académique

a pu être créée grâce à l'appartenance à la même institution, laquelle a de plus incité fortement

la valorisation commerciale des travaux de recherche.

Le service commercial bien qu'ayant une logique marchande a réussi à convaincre au moins

une partie des chercheurs à contribuer à cette démarche, malgré les réticences rencontrées :

« Ca les inquiète quand même (…), ils ont fait un produit, ils se disent qu'ils perdent une partie de leur vie s'ils le confient à quelqu'un d'autre, en gros leur sort est entre

mes mains et ça intellectuellement c'est pas toujours évident même s'ils savent que

potentiellement ça peut leur rapporter beaucoup plus que si ils le faisaient eux-mêmes »

Néanmoins les chercheurs ne sont pas directement impliqués dans la démarche commerciale,

ce qui peut expliquer sans doute leur adhésion. Nous n’avons pas de témoignage de chercheur

du CSTB pour confirmer cette hypothèse. Cependant, comme l’avait montré l’enquête de Lamy

au sujet des chercheurs-entrepreneurs (2008), les entrepreneurs de type « académiques »,

c’est-à-dire ceux qui maintenaient une certaine distance avec leur entreprise, privilégiant

d’abord l’intérêt de leur travail « scientifique », étaient ceux qui réussissaient le mieux et qui

tiraient le plus de satisfaction de leur expérience entrepreneuriale. A l’inverse, la catégorie des

« Pionniers », les chercheurs-entrepreneurs qui selon l’auteur font primer l’intérêt économique

sur l’intérêt scientifique, « sont de loin ceux qui rencontrent le plus de difficultés lors de leur

engagement, et sont le plus exposés aux tensions entre le laboratoire et l’entreprise » (Ibid.,

p.22). La catégorie intermédiaire des « Janus », c’est-à-dire les chercheurs-entrepreneurs qui

séparent bien l’entreprise et le laboratoire mais sans faire primer l’un sur l’autre, s’en sort mieux

que les Pionniers mais moins bien que les « académiques » selon Lamy.

Notre enquêtée nous explique que la posture des chercheurs du CSTB s'est petit à petit

inversée, si au départ notre enquêtée devait les solliciter, ce sont eux qui maintenant la

sollicitent pour proposer une démarche commerciale ou un partenariat avec d'autres éditeurs

qui vendent aussi des logiciels du CSTB.

Comme le rappelait Abecassis (1992), pour diminuer les coûts de transaction, une

entreprise internalise une transaction pour ne plus recourir au marché.

Dans l’exemple du CSTB, les chercheurs n’ont pas eu à recourir directement au marché car

un service commercial interne se chargeait de faire l’interface. Ainsi dans le cas du CSTB,

le coût de transaction pour les chercheurs est moindre que dans le cas du premier

chercheur cité précédemment.

Page 79: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

79

Compte tenu des coûts élevés de transaction, on comprend dès lors que les différents mondes

sociaux risquent de rester étanches malgré la proximité géographique. L’organisation originale

mise en place par le CSTB Editions permet un rapprochement entre la recherche et le monde

économique, en réduisant les couts de transaction pour les chercheurs et en maintenant une

certaine frontière entre les deux mondes.

Nous proposons dans la suite d'aborder les «objets frontière», qui sont, nous semble-t-il, une

piste de réflexion pour lever ces barrières.

3.3 Le rôle des «objets-frontières» pour abaisser les coûts de transaction et

augmenter les liens faibles

3.3.1 Qu’est-ce qu’un objet-frontière ?

Dans leur étude sur la mise en place d'un nouveau musée zoologique à Berkeley dans les

années 1907-1939, Star et Griesemer (1989) décrivent la nécessité de créer des «objets-

frontières» (boundary objects) afin de faire coopérer divers mondes sociaux très différents. Bien

que tous travaillent sur le même projet, chaque monde social a une représentation du projet et

des finalités différentes. Le consensus, selon ces auteurs, n'est pas nécessaire ni pour

coopérer ni pour mener à bien un projet, en revanche les objectifs de chacun doivent se

réconcilier au travers des objets-frontières, c'est à dire des objets «which are both plastic

enough to adapt to local needs and the constraints of the several parties employing them, yet

robust enough to maintain a common identity across sites.» (Star, Griesemer, 1989, p. 393).

Les auteurs précisent plus loin que «The creation and management of boundary objects is a

key process in developing and maintaining coherence across intersecting social worlds».

L’objet-frontière selon sa définition d’origine

La notion d’objet-frontière a été beaucoup utilisée37, en particulier pour sa première dimension

qui est la « flexibilité interprétative » (Star, 2010). Cependant comme l’a rappelé Star (2010), ce

concept comporte deux autres dimensions :

Les deux autres dimensions des objets-frontière, bien moins cités ou utilisés, sont 1) la

structure matérielle / organisationnelle des différents types d’objets-frontière et 2) la

question d’échelle et de granularité. Les objets-frontière sont un arrangement qui permet

à différents groupes de travailler ensemble sans consensus préalable. Toutefois, leurs

formes ne sont pas arbitraires. Ce sont essentiellement des infrastructures organiques

apparues à cause « des besoins d’information » (…). J’ajouterai maintenant « les

exigences de l’information et du travail » perçues localement par les groupes qui veulent

coopérer. (...) L’important pour les objets-frontière est la façon dont les pratiques se

37 Sur Google scholar, l’article fondateur de Star et Griesemer de 1989 a été cité 5205 fois, consultation

le 3 janvier 2015.

Page 80: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

80

structurent et la manière dont le vocabulaire émerge, pour faire des choses ensemble

(Becker, 1982).

Le mot frontière est utilisé par Star pour désigner un « espace partagé » qui constitue une

frontière entre des groupes grâce à sa flexibilité. Star définit ainsi l’objet :

L’objet (lisez ceci comme un ensemble d’arrangements de travail à la fois matériels et

procéduraux) se situe entre plusieurs mondes sociaux (ou communautés de pratiques)

ou il est mal structuré.

Quand c’est nécessaire, des groupes locaux travaillent sur l’objet, qui conserve sa

vague identité d’objet ordinaire, tandis qu’ils le rendent plus spécifique et plus adapté à

une utilisation locale, au sein d’un monde social, et ainsi plus utile à un travail qui n’est

PAS interdisciplinaire.

Les groupes qui coopèrent sans consensus alternent entre ces deux formes de l’objet.

(Star, 2010)

La notion d’objet frontière a été opposée à la théorie de l’acteur-réseau de Callon et Latour,

selon laquelle l’innovation est portée par un acteur stratégique qui va rallier un nombre

croissant d’acteurs à une vision commune. L’innovation s’incrémente alors au fur et à

mesure des alliances. Peters et al comparent « l’objet intermédiaire », utilisé dans la théorie

de l’acteur-réseau et l’objet-frontière (2010) :

Les objets- frontière sont les témoins des multiples traductions et du travail collectif de

coordination opérés par les acteurs en présence, ainsi que du poids des inerties, des

défaillances, des ruptures, des négociations et débats entre ces acteurs. Par opposition,

les objets intermédiaires témoignent du travail de traduction d’un acteur principal

(l’innovateur) qui cherche à enrôler d’autres acteurs et à stabiliser le processus autour

d’un objet, qui devient le témoin du processus de connexion entre les différents acteurs.

Les objets-frontière invitent donc à une lecture davantage dynamique de l’innovation.

Pour les auteurs, l’objet-frontière est un « marqueur temporel » dans le processus

d’innovation : « les objets-frontière présentés dans ce cas scandent les différentes phases

du processus innovant et limitent les possibilités de choix au fil de l’avancement du projet »

(Ibid.). Pour les auteurs, les objets-frontière permettent par rapport aux objets

intermédiaires de faire émerger des tensions et des négociations entre différents groupes.

L’objet-frontière met alors en place des « mécanismes d’exclusion » de certains usagers

potentiels.

Un exemple d’objet frontière dans un cluster allemand : le concours « BioRegio »

Un concours est organisé par le ministère de la recherche allemande en 1996 dans le but de

promouvoir des sites d'excellence dans l'industrie biotechnologique allemande et de rattraper

son retard (Champenois, 2008). Les trois régions sorties gagnantes du concours, Heidelberg,

Cologne et Munich, ont alors mis en place une association «BioRegio» pour identifier et

Page 81: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

81

sélectionner les projets de R&D qui devaient être portés exclusivement par des PME ou des

startups locales. Cette association était chargée de repartir les 25 millions d'euros de dotations.

Elle rassemblait par conséquent le monde de l'enseignement et de la recherche, les cellules de

transferts, des incubateurs et des pépinières ainsi que des sociétés de capital risque, des PME

et des entrepreneurs.

Ce rapprochement science-industrie ne s'est pas fait sans difficulté. Claire Champenois

rapporte par exemple que «si les acteurs locaux choisissent la forme juridique de l’association,

c’est que celle-ci est jugée plus acceptable et rassurante aux yeux de la population

académique, qui a manifesté une grande réticence vis-à-vis d’un dévoilement de leurs projets et

d’un rapprochement avec l’industrie». L'association «BioRegio» constitue un objet- frontière

entre le monde académique et économique. Les acteurs ne partagent pas tous les mêmes

finalités mais réussissent à se réconcilier à travers une association visant pour les uns à

valoriser des travaux de recherche et pour les autres à développer une activité économique.

Pour l'auteur ce contexte explique que les biotechnologies aient connu «un essor spectaculaire

en Allemagne après 1995, caractérisé par une politique d'investissement dans les startup

associée à un rapprochement étroit science-industrie».

Nous nous intéressons maintenant à Tous créatifs, ce dispositif nous semble être en effet le

plus remarquable exemple d'objet-frontière du cluster Descartes entre le monde entrepreneurial

et le monde académique local.

3.3.2 Le dispositif Tous Créatifs

Un dispositif qui réunit le monde économique et monde académique

Le dispositif Tous Créatifs est un dispositif de promotion et d'accompagnement de

l'entrepreneuriat étudiant. Il s'adresse à tous les étudiants du campus porteurs d'un projet. Ce

dispositif rentre dans le cadre du programme «PEPITE 3EF»38 mené par l'Education Nationale.

Le dispositif se décompose en trois phases, tout d'abord la journée «Tous sensibilisés» qui vise

à présenter la démarche d'entrepreneuriat étudiant, à faire témoigner des enseignants et des

entrepreneurs issus du campus et à réponde aux questions. Des ateliers de créativité sont

également montés.

Une deuxième phase «Tous Connectés» consiste en un «speed dating» devant un jury et le

public. Le jury sélectionne un projet auquel est attribué une petite dotation financière. Cette

soirée comprend également un cocktail-dinatoire et un «espace conseils» pour les futurs

entrepreneurs.

Une troisième phase «Tous Labellisés» consiste à fournir un accompagnement personnalisé

aux étudiants entrepreneurs et un accès vers les structures dédiées, pépinière et incubateur.

38 Pôle Étudiant pour l'Innovation, le Transfert et l'Entrepreneuriat

Page 82: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

82

Entre la première et la deuxième phase, une personne de l'université accompagne les étudiants

dans toutes les formalités de la création d'entreprise et organise des ateliers de travail avec les

étudiants.

A partir de nos entretiens et des documents imprimés diffusés lors de ces événements, nous

avons reconstitué le réseau d'acteurs participant à ce dispositif:

Figure 2 : Cartographie des acteurs ayant contribué ou participé à Tous connectés en 2014

Certains acteurs sont uniquement partenaires de l'événement, d'autres participent au jury. En

2014, les acteurs qui participaient au jury étaient les acteurs publics, l'incubateur, la banque

LCL, un enseignant et chargé de mission entrepreneuriat de l'université, ainsi que deux

représentants du monde de l'entreprise, le président de l'ACEM, association de chefs

d'entreprises de Marne-la-Vallée et le président de Woptimo, une agence marketing de la cité

Descartes.

La soirée est animée par le vice-président Enseignement –Professionnalisation de l’UPEM.

On notera l’absence des chercheurs. Au sujet des laboratoires de recherche, notre enquêtée de

l’université nous dit «c'est vrai que la connexion ne s'est pas faite» en ajoutant qu'il y a très peu

ESIEE

ENPC

UPEM

Associations de PME

Banque LCL

Agence de marketing

Agence Descartes Développement

PépinièreCCI

IncubateurSeine et Marne Développement Val Maubuée

Marne la Vallée

Tous Connectés

Etudiants

Enseignants

Monde académique

Monde économique

Acteurs publics

Page 83: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

83

de doctorants, en faisant référence à Tous Sensibilisés. On notera également l'absence des

grandes entreprises du cluster.

Genèse du dispositif

Nous avons rencontré une responsable du bureau d'insertion de l'université qui est à l'origine du

dispositif. Elle nous explique avoir commencé par répondre à un appel d'offres en 2010 pour

créer un Pôle Entrepreneuriat Etudiant. Ayant répondu trop tardivement, le projet n'a pas été

retenu. Cependant, soutenue par la vice-présidente de l'université et aidée par une enseignante

de l'université impliquée dans l'entreprenariat, elle a souhaité poursuivre le projet:

« Mais on a trouvé que finalement, bien qu'on n'ait pas été retenu, on pouvait quand

même faire quelque chose, y avait des choses à faire qui coûtaient pas bien cher et c'est

comme ça que ça a démarré. Alors la vice-présidente a mis un petit budget sur la table

et puis on a commencé».

Cette initiative l'a alors poussé à prendre contact avec les acteurs locaux :

«On a pris contact avec l'agence Descartes Développement (...) On a pris contact avec

les professionnels du coin via l'agence Descartes Développement, via les syndicats

d'agglomération, un tas de partenaires locaux. On a pris contact avec des

professionnels de la création, des accompagnateurs notamment et on a organisé une

journée. Le matin c'était des témoignages, des jeunes créateurs, puis l'après-midi des

informations.»

Le dispositif en trois phases a été conçu avec l'agence Descartes. Je lui demande si pour

concevoir ce dispositif elle a repris un concept existant dans une autre université:

«- non on a eu des petites réunions avec les trois personnes là à trois plus l'agence

Descartes et on a fait une espèce de brainstorming qu'est-ce qu'on pourrait faire, et on a

imaginé ce dispositif comme ça

- de manière presque non officielle?

- non officielle absolument puisque on n'était pas financé, on n'était pas retenu.»

Plus loin elle nous dit :

«la vice-présidente c'était quand même pas son activité principale moi non plus, on

faisait ça à nos moments perdus bon euh. Malgré tout on s'est accroché on a organisé

Tous connectés en juin 2012».

En 2012, elle répond à un autre appel d'offre, cette fois l'université est labellisée « PEE 3EF »

mais aucun financement n'est prévu.

Dès le départ le projet a été inter-établissement, condition pour répondre aux appels d'offre et

pouvoir être financé. L'université de Créteil, l'Ecole des Ponts et puis l'école des travaux publics

font donc partie du projet piloté par l'UPEM.

Page 84: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

84

Plus loin dans l'entretien elle nous explique ses motivations:

«Moi je croyais fort à l'entreprenariat car je voyais qu'il y a beaucoup d'étudiants que ça

intéresserait et j'avais l'idée que c'était très bon pour eux parce que avant tout ça j'avais

initié ce qu'on appelle les mini-entreprises».

Ainsi, en 2009 avec un professeur de lettres elle créé la première mini-entreprise dans une

université, le dispositif était auparavant réservé au secondaire :

«D'un point de vue pédagogique c'est fantastique y a un travail de groupe et surtout y a

un moteur y a une passion y a un projet et ce qui est frappant c'est que la première mini-

entreprise c'était des étudiantes en lettres plutôt médiocres et qui se sont révélées».

Le projet consistait en un guide des études de lettres, qui a été ensuite acheté par le conseil

général.

Pour notre interlocutrice, l'entrepreneuriat est un grand enjeu pour l'enseignement et pour

l'économie:

«Ce que je trouve navrant dans le supérieur, c'est que les étudiants sont quand même

très passifs, enfin beaucoup et là on avait quelque chose qui donnait du sens à leurs

études. Y a un vrai désir, un vrai enthousiasme qui est présent chez les étudiants, chez

les jeunes en général. C'est vrai que de le soutenir c'est primordial, c'est primordial pour

les étudiants eux-mêmes parce que ça leur donne un vrai moteur, c'est primordial pour

l'université car ça permet de renouveler les pratiques je trouve et puis c'est primordial

aussi pour l'économie générale»

Un succès inattendu malgré des moyens limités

La première journée Tous Sensibilisés lors de la première édition a réuni 190 personnes alors

que les organisateurs en attendaient 50. Ce premier succès encourage une deuxième édition,

cette fois organisée par l'IAE de Créteil. La deuxième édition attire 500 personnes et la

troisième édition qui s'est tenue à l'Ecole des Ponts a rassemblé 750 personnes dans deux

amphithéâtres. L’évènement réunit des étudiants, des enseignants et des professionnels.

Cependant elle déplore le manque de moyens associés qui ne sont pas à la hauteur du succès,

les étudiants ne peuvent pas être accompagnés. Elle nous dit :

«L’aspect accompagnement des étudiants a complètement foiré et ce qui fait que la

troisième étape, qui était l'étape tous labellisés, c'est à dire l'idée c'était de faire émerger

un, deux ou trois projets qui puissent être pris en charge par une structure de type

incubateur ben ça n'a pas fonctionné. Ca a fonctionné mais grâce à la débrouillardise

des étudiants eux-mêmes mais nous on n'a rien fait pour».

De plus, faute de moyens, aucun suivi n'est réalisé, ce qui explique que l'université n'ait pas de

statistique disponible sur les étudiants entrepreneurs.

Depuis septembre 2013 en revanche un nouveau poste a été créé à l'université pour

accompagner les étudiants et le dispositif s'est professionnalisé.

Page 85: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

85

Parmi nos autres enquêtés du monde entrepreneurial et institutionnel, soulignons que nous

avons relevé plusieurs critiques sur ce dispositif. Certains pointent la moindre qualité des

projets de l'année 2013, ce qui a été reconnu par les représentants de l'université. Une autre

critique remettait en question la légitimité de l'université dans cette posture. Enfin un

enseignant-chercheur qui n'a pas participé aux différents événements parlait d'opération de

«communication».

Conclusion

Tous Créatifs constitue un objet-frontière entre une partie du monde académique et une partie

du monde économique local. Le dispositif offre en effet la « flexibilité interprétative » nécessaire

pour rassembler des acteurs hétérogènes. Tout en véhiculant une identité commune, le

dispositif peut s’adapter aux besoins et exigences des différents acteurs: l’université y voit un

débouché pour ses étudiants, les acteurs publics promeuvent à travers ce dispositif la création

d’activité et d’emploi sur le territoire, les structures d’accompagnement peuvent y sélectionner

de futurs entrants, enfin les entreprises peuvent soutenir l’entreprenariat et nouer des liens avec

les autres acteurs.

Par ailleurs Tous Créatif présente une structure organisationnelle propre à créer plusieurs types

d’objet-frontière : la journée d’information Tous Sensibilisés qui fait participer de nombreux

intervenants, entrepreneurs, enseignants, acteurs publics; le jury de sélection de Tous

connectés lors duquel des acteurs hétérogènes doivent se mettre d’accord sur le choix des

lauréats.

Enfin les différents objets-frontières créés constituent un arrangement qui permet aux différents

groupes de travailler ensemble sans qu’il y ait nécessairement besoin d’un consensus

préalable. Certains groupes peuvent travailler sur l’objet localement au sein d’un monde social

sans que ce travail soit interdisciplinaire, comme c’est le cas par exemple des ateliers mis en

place par l’université pour aider à la construction des projets des candidats et les préparer au

speed dating de Tous Connectés.

Le dispositif Tous Créatifs, par son rôle d’objet-frontière, a permis de créer des liens faibles

entre de nombreux acteurs de mondes hétérogènes, précédemment sans lien. Créant entre les

participants une proximité institutionnelle et organisationnelle, il permet d’abaisser les coûts de

transaction entre les différentes entités.

Le récit de la création de Tous Créatifs a mis en lumière que sans l'idéal des acteurs qui ont

travaillé "clandestinement" pour mettre en place un projet dans lequel ils croyaient, ce projet

n'aurait sans doute pas vu le jour, ce qui nous amène à aborder un autre élément clé dans la

volonté de coopérer ensemble pour innover: l'imaginaire.

Page 86: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

86

3.4 Le rôle de l’imaginaire dans l'innovation

Patrice Flichy a montré le rôle décisif de l'imaginaire dans l'innovation (2001). L'auteur s'est en

particulier intéressé à Internet. Il a ainsi décrit les nombreuses utopies et idéologies qui ont

permis de mobiliser les internautes et de diffuser Internet, sans que les internautes en soient

forcément conscients. Les concepteurs ont pu transformer en une réalisation concrète leurs

rêves et leurs projets, comme ceux d'une société numérique autorégulée, du cyberespace, des

communautés en lignes, des «autoroutes de l'informations» ou d'une nouvelle économie (Ibid.)

Pour que les objectifs du cluster puissent se concrétiser, le cluster doit de la même façon être

porteur d'idéaux capables de mobiliser un grand nombre d'acteurs. Nous analysons dans cette

partie les représentations qu'ont les enquêtés du cluster. Ensuite nous analysons de plus près

un acteur du cluster qui selon notre enquête est porteur d'un fort imaginaire, la d.school.

3.4.1 Les difficultés du cluster à s’imposer comme un idéal partagé par tous

Le cluster, un idéal porté uniquement par les acteurs publics?

Le nouveau président de l'agence Descartes Développement, lors d'un événement au sein de la

cité Descartes 39, précise en introduction que ce que l’on appelle le «cluster Descartes» n'est

pas un concept forcément très clair pour les entreprises. Il explique alors ainsi cette notion:

«On a ici, tout le monde le sait, une force de recherche de R&D très puissante sur des

problématiques en particulier liées à la ville durable, dont un des enjeux c'est comment

faire pour que cette force de R&D puisse être non pas simplement une force

académique qui reposerait sur elle-même mais puisse permettre de diffuser en

particulier sur les entreprises. On voit bien que la question de l'innovation c'est

aujourd'hui complètement décisif sur le développement économique (...) il faut qu'on

arrive à faire ce lien [avec les entreprises] pour que l'excellence qu'il y a ici puisse servir

aussi les entreprises qui sont ici»

Les acteurs publics sont les principaux promoteurs du cluster mais ce ne sont pas les seuls. Le

directeur de l’institut FCBA40 dans une vidéo mise en ligne sur internet intitulée «Pourquoi

FCBA déménage?» explique le déménagement de Paris à la cité Descartes par le besoin

d'´agrandissement et de modernisation de ses laboratoires d'essais41. Il justifie ainsi le choix de

la localisation:

« et puis il nous fallait évoluer, il nous fallait nous développer et c'est pourquoi nous

nous sommes implantés au cœur du cluster Habitat et ville durable de Champs-sur-

Marne. C'est au milieu d'une multitude de laboratoires destinés au futur de l'habitat que

39 Petit-déjeuner de l’Agence Descartes du 5 juin 2014 à l’ESIEE 40 L'institut FCBA est un centre technique industriel français (de type EPIC) visant à promouvoir la filière bois et ameublement 41 http://www.fcba.fr/faq/vos-questions#t281n2149 dernière consultation 10 novembre 2014

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nous nous sommes installés»

Le cluster Descartes, pendant toute notre enquête, était qualifié de «ville durable» ou parfois de

«ville et mobilités durables». Pour cet acteur il se réfère directement à la filière habitat dans la

mesure où cet institut travaille dans le secteur de l’ameublement. Le cluster est pour lui porteur

d'un potentiel de développement dans son domaine d’activité, l'habitat, la construction et

l’ameublement en bois.

Du côté des entrepreneurs, la plupart ne savent pas définir précisément la notion de cluster.

Pour l'entrepreneur A par exemple, la notion est «floue». Certains ne savent pas ce que c'est.

L’entrepreneur D en revanche nous dit « un endroit qui regroupe à la fois des universités, des

entreprises». Quand je demande à l’entrepreneur B ce qu'est le cluster, elle ne sait pas

répondre mais elle demande à son associé qui nous répond «c'est un regroupement

d'entreprises, laboratoires très bien placés». Son associé nous indique avoir voulu s'installer à

la cité Descartes car il habite dans une commune environnante et car il savait qu'il y avait

beaucoup d'entreprises ici. Elle ajoute que «et puis on a le grand Paris qui arrive». Ainsi pour

ces acteurs, le lieu est porteur d'un idéal de développement économique.

La société Céleste fait partie des deux seules sociétés privées membres de l'agence Descartes

Développement. Cette société est née au sein de la pépinière Descartes en 2001, elle fait partie

des grands succès de la pépinière. Son dirigeant est un ancien de l’Ecole des Ponts. Cette

société a déposé un brevet pour un datacenter écologique (de forme horizontal), visible depuis

la rue Einstein. En cela elle est aussi au cœur du thème de la ville durable. Le directeur de

l'entreprise explique dans une interview les raisons de son choix de domiciliation:

«Mon choix a tout d’abord été motivé par la présence de 30 000 étudiants à la Cité

Descartes. En effet, une entreprise qui se crée a besoin de personnel et de force vive.

CELESTE recherchait alors principalement des techniciens et des ingénieurs ayant reçu

une formation assez pointue. D’autre part, je réside à Paris et il est très pratique de se

rendre à la Cité Descartes grâce à sa proximité avec la capitale. Enfin, la Cité Descartes

est un endroit où l’on peut voir à la fois de beaux bâtiments universitaires, de grandes

entreprises mais aussi des espaces verts. C’est un territoire moderne amené à devenir

très important pour le « Grand Paris » »

Cette société de par son appartenance à l'agence Descartes et la présence physique de ses

représentants lors d'événements locaux comme Tous Créatifs, est sans doute l'une des

entreprises les plus encastrées dans le cluster. Le dirigeant ne considère pas la cité Descartes

comme un simple quartier d'affaires puisque c'est avant tout l'université et le nombre d'étudiants

qui l'ont attiré sur le campus, de plus le lieu est porteur d'un idéal de développement

économique tout en étant entouré d'«espaces vers». Le lieu est pour lui porteur d'un avenir par

sa « modernité» et sa place dans le Grand Paris. Néanmoins on notera qu'il ne cite pas les

laboratoires de recherches dans les éléments qui l'ont attiré sur le campus. D'ailleurs durant

notre enquête nous n'avons pas pu établir de liens institutionnels entre cet acteur et le monde

de la recherche local.

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88

Du côté de l'université, notre interlocutrice ayant contribué au lancement de Tous Créatifs

partage l'idéal de développement économique porté par le cluster ou plus particulièrement par

la cité Descartes, même si selon elle l’université est « à la traîne »:

«C'est clair je pense que la cité Descartes a un grand avenir donc ça va se développer

avec le grand Paris, (...) c'est forcément quelque chose qui va exploser enfin c'est un

lieu géographique qui va exploser et je pense que l'université est un peu à la traîne.

Alors ce qu'il y aussi c'est que par définition l'université c'est pas un truc local, ça a une

vocation beaucoup plus large quand même. Marne-la-vallée [en faisant référence à

l'université] c'est une petite université qui est sous dotée (...) Marne-la-Vallée a l'atout de

la cité Descartes, Créteil n'est pas sur la cité Descartes donc y a un enjeu très important

à jouer là sur le site de Marne-la-vallée, même si les deux universités fusionnent le site

de Marne-la-vallée lui deviendra très important»

Lors de la journée France Cluster, un chef d'entreprise représentant de Neopolia, un important

groupement d'entreprises de l’Ouest de la France (environ 200 membres), explique les

motivations de la création de ce groupement qui a été cofinancé par les acteurs publics. Outre

la nécessité de se diversifier pour surmonter une importante baisse d'activités dans la région de

Saint-Nazaire, suite au départ du Queen Mary en 2003, il dit: «d'abord il faut une volonté, (...)

c'est parti d'une douzaine de chefs d'entreprises un peu fous, qui avaient un peu le sens de

l'intérêt général et qui voulaient sortir de leur entreprise ».

Par conséquent on voit dans ce témoignage que l'idéal du cluster bien que majoritairement

porté par des acteurs publics peut également rassembler des chefs d'entreprises.

Chaque acteur projette dans le cluster un idéal différent, pour les acteurs publics c’est un outil

de politique économique visant avant tout à créer des emplois, pour les entreprises c'est un

moyen de trouver de nouveaux débouchés commerciaux, pour d'autres un moyen de recruter

sur place.

L'entrepreneur rationalisé

Le syndicat d'agglomération nouvelle Val Maubuée, un des membres fondateurs de l'agence

Descartes présente ses deux axes stratégiques:

Aménager de nouveaux espaces d'activité et développer l’ancrage territorial des

créateurs d’entreprises en améliorant le parcours résidentiel du créateur (incubateur ->

pépinière -> hôtel d’entreprises -> parc immobilier prive42

Ce « parcours du créateur d'entreprise » prôné par les acteurs publics territoriaux nous a

également été relayé par les responsables des structures d'accompagnement. Dans l’idéal de

l’acteur public, le jeune entrepreneur est accueilli à l'incubateur; à l'issue de sa période

d'incubation, il est accueilli à la pépinière et à la fin de son bail ou une fois qu'il est en mesure

de s'autonomiser, il rejoint l'hôtel d'entreprises et en fin de course il achète ou loue ses propres

locaux dans la cité Descartes ou sur le territoire de Marne la Vallée.

42 extrait d'un document de présentation de ĺ’agence Descartes lors de sa création en 2010

http://www.univ-paris-est.fr/fichiers/dossier%20agence.pdf

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89

Pourtant après avoir questionné le responsable de la pépinière, il n'y pas de startup issue de

l'incubateur parmi ses hôtes, ce dont il s'étonne. Le responsable de l’incubateur s’étonne quant

à lui de ne pas compter plus d’étudiants de l’université parmi ses incubés. Il souligne également

la difficulté de faire rester les entreprises :

« Pour nous l'objectif ça serait d'en installer davantage ici, maintenant on ne peut pas

forcer une entreprise à s'installer à un endroit ou un autre, on ne peut que l'inciter à le

faire notamment en lui subventionnant par exemple en ne lui répercutant pas les prix de

bureaux ici à la sortie si elle s'installe en Seine et Marne ou on fait pas payer d'intérêts

sur l'avance remboursable, donc plus ils s'éloignent de la Seine et Marne, plus on leur

fait payer d'intérêt »

Dans une étude sur les clusters du numérique en Île de France et à Milan (2014), Clément Pin

parle d'un modèle d'«entrepreneur rationalisé» mis en place par les politiques d'innovation par

ceux qu’il appelle les « technotables »43

Le parcours du créateur d’entreprise souhaité par les acteurs publics contribue à créer un

modèle type de l’entrepreneur. Ce modèle rentre pourtant en tension avec les aspirations de

certains jeunes entrepreneurs, ainsi quand je demande à l’entrepreneur C, incubé, s’il envisage

ensuite de s’installer à la pépinière, il répond négativement d’abord parce qu’il habite à Paris,

ensuite parce qu’il ne se projette pas dans des bureaux de la cité Descartes :

«Franchement tout le monde est assez jeune, la moyenne d'âge est même pas 30

ans [en parlant de l'incubateur]. Qui a envie d'aller dans des bureaux ici quoi ...[en

parlant de la pépinière] le modèle euh moi si je me projette j'ai un truc style loft ou

tout le monde va bosser c'est cool c'est pas ici que je me projette quoi (...) le loft de

la d.school ça ça colle un peu plus ».

Du côté de ceux qui ne partagent pas l'idéal du cluster

L'impression d'être éloigné de Paris

Un chercheur nous explique que les rencontres physiques sont très importantes pour son

activité et qu'on ne peut pas travailler que par relations numériques «et ici au bout du RER A,

on a beaucoup souffert de ça, on est au bout du RER A. Ah oui c'est les ingénieurs en banlieue

quoi, c'est pas la Silicon Valley, même si y a d'excellents trucs (...) mais c'est pas vu comme

ça». Plus loin il nous dit «il va falloir avoir un peu plus que l'idée d'avoir l'idée du cluster».

Pour cet enquêté, qui a du mal à faire venir ses collaborateurs parisiens, un emplacement

excentré de Paris est un handicap pour le cluster.

43 le « technotable », « figure qui prolonge le rôle traditionnel de médiation des notables mais qui innove en même temps par sa compétence technique à monter des projets et à les vendre » (Gaudin, 1999).

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90

Le responsable d’une structure d’accompagnement nous dit subir directement la concurrence

de Paris. Il nous dit en effet qu’il y a « une forte concurrence sur Paris d'incubateurs qui sont en

fait des pépinières c'est à dire qu'ils font directement payer des locaux, l'offre étant là-bas en

plus dans des situations assez centrales ». Il rappelle que l'objectif de l’ancien maire de Paris

était d'ouvrir 100 000 m2 de bureaux d'incubateurs et de pépinières, objectif qui a été atteint.

L’éloignement de Paris est également mal vécu par l’entrepreneur C qui souligne de plus le

temps de trajet de 15 à 20 minutes en sortant du RER.

L'impression d'être «loin de tout ça»

Quand je parle à l'entrepreneur G de l'agence Descartes chargée du développement

économique de la cité Descartes, elle répond «j'ai pas l'impression d'être concernée par tout

ça». Même quand le cluster suscite de l’intérêt en terme de potentiel, comme c'est le cas pour

l'entrepreneur F, il semble difficile aux acteurs de savoir comment activer ce potentiel:

« déjà on a du mal je trouve à rendre intéressant ce qui se passe à la pépinière alors la

cité [Descartes] ça me parait encore plus loin, alors le cluster encore plus loin mais l’idée

est bonne. »

Une chercheuse d'un laboratoire de Paris-Est a réalisé avec un groupe d'étudiants de l'IFU un

bilan sur «Coriolis, un an après» en utilisant une méthode anthropologique. Cette enquête a

réuni plusieurs acteurs académiques du campus (deux écoles et plusieurs laboratoires).

Pourtant quand je lui demande ce que représente le cluster pour elle, elle indique :

«cette dynamique territoriale de cluster, je la perçois pas trop, peut-être on manque

d'information. C'est un gros campus, ici on est nombreux, y a beaucoup d'institutions

différentes».

Pour cette enquêtée qui par ailleurs nous dit avoir peu de liens avec les écoles du campus

hormis les deux écoles avec lesquelles elle a réalisé le bilan Coriolis, le «cluster» n'est pas

perceptible même sur le plan intra-académique.

Le cluster vu comme un «label»

L'entrepreneur C qui travaille dans le domaine de la gestion de voirie nous explique ce qu'est le

cluster pour lui :

«vu qu'on est urbaniste à la base (...) ça tombait sous le sens qu'on s'installe dans un

cluster ville durable. Après, est-ce que, à l'heure actuelle, c'est autre chose qu'une

dénomination, euh je suis pas sûr, c'est à dire que si on regarde par exemple le petit dej

Descartes, les acteurs qui tournent autour de la question, je sais pas du BTP, de la

construction tout ça, des acteurs comme ça y en a pas (...) notamment sur la question

de la ville durable, c'est un axe de recherche etc, il y a énormément de labos qui

travaillent sur les questions urbaines etc etc mais pour nous c'est pas des gros

potentiels (...) on a vu le côté ville durable comme intéressant pour nous mais plus en

terme de label que véritablement de ressource et de concrétisation. »

Cet entrepreneur profite donc du label « cluster ville durable » même si pour cet acteur les

potentiels de proximité sont faibles ou non connus.

Page 91: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

91

En conclusion s'il y a bien un processus d’organisation de la proximité par les acteurs publics,

celui-ci ne débouche encore que marginalement sur la production de nouvelles représentations

du territoire partagées par des acteurs d’univers différents.

Sur notre terrain d'enquête ce partage de représentation par les entrepreneurs est encore

faible. Le monde académique quant à lui semble éloigné des problématiques de développement

territorial de l'acteur public, à l'exception des promoteurs de l'entrepreneuriat étudiant à

l'université.

3.4.2 L'imaginaire de la d.school

Nous nous intéressons ici plus particulièrement à la d.school car il nous a semblé que cette

institution était porteuse d'un idéal capable de rallier les étudiants entrepreneurs.

Lors de notre entretien avec une représentante de la d.school, elle nous indique que le

programme «les entrepreneurs sociaux» de la d.school de Stanford («design for extreme

affordability») attire toujours beaucoup plus d'étudiants qu'il n'y a pas de place. Lors de la

présentation des projets Innov'acteurs à la d.school44, nous constatons que sur 7 projets

présentés, 5 sont des projets humanitaires ou écologiques, comme la rénovation d'une école

dans un village de Tunisie ou le recyclage de l'eau de pluie dans un village Equatorien. Parmi

ces projets, l'un concerne une application de mise en relation entre voyageurs et entrepreneurs

sociaux, appelé Mowggli. Ce projet est présenté ainsi: «Donner du sens à mes voyages, me

rendre utile, découvrir d'autres cultures à moindre coût». Le projet Mowggli est allé plus loin

puisque deux des étudiants se sont associés pour créer une startup. Cette startup a fait partie

des candidats au concours Tous Connectés 2014. Ce projet n'a pas été retenu par le jury

d'institutionnels présents pour décerner un prix, en revanche il a remporté le «coup de cœur du

public» lors du vote de la salle, composée en grande partie d'étudiants. Cette startup s'est

installée à Paris près de son principal partenaire, MakeSense, une plate-forme qui aide les

entrepreneurs sociaux à résoudre des «défis».

Cette aspiration n'est pas propre à la d.school car parmi nos enquêtés étudiants entrepreneurs,

l'entrepreneur C qui souhaite s'installer à Paris nous dit connaître un certain nombre de projets

solidaires qui mêlent le mode associatif avec le milieu entrepreneurial et c'est ce type de mode

de travail qui le séduit.

Lors de la présentation des trois projets du cours ME310 dans l'amphithéâtre de Coriolis, le

public manque de place pour s'assoir. La directrice explique au sujet du «brief» qui permet en

tout début de processus de découvrir les projets:

44 ce dispositif est une formation à l'innovation en équipe et par la pratique par la mise en place d'un projet par un groupe d'étudiants pluridisciplinaire de l'Ecole des Ponts et d’universités internationales. Les

projets ont été présentés le 18 juin 2014 dans la Halle Freyssinet de Coriolis.

Page 92: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

92

«nous adorons les briefs pour réinventer des produits dans un entreprise et nous aimons

en fait les produits et services qui ont un impact sur la société (...) cette année nous

avons eu trois magnifiques briefs: réinventer la caméra pour les pompiers, réinventer

l'expérience des conducteurs dans un mode autonome dans les embouteillages et

réinventer la salle de bains pour les seniors».

Dans l’amphithéâtre sont présents les étudiants, plusieurs représentants des trois partenaires

industriels ainsi que les utilisateurs qui ont été associés au processus de conception. Le projet

de salle de bains pour les seniors fait l'objet d'un grand engouement, la directrice explique que

l'autonomie pour les seniors est essentielle en l'illustrant avec l'expérience d'un de ses parents.

Elle dit avoir cherché très longtemps un partenaire industriel avant de rencontrer son

interlocuteur de Lapeyre «enfin quelqu'un qui y croyait autant que moi». Le partenaire industriel

prend la parole pour remercier toute l'équipe et parle d'un «déni de séniorité» pour expliquer

qu'avant ce projet personne n'ait conçu des meubles pour personnes âgées, marché qu'ils

viennent donc de créer. Lors de la séance des questions, une jeune femme prend la parole

pour dire «félicitations et continuez parce que c'est vrai qu'on oublie souvent les personnes

âgées», suivi des applaudissements de la salle. Une autre personne représentant la maison de

retraite avec laquelle ils ont travaillé étroitement pour concevoir ces meubles prend également

la parole pour remercier les étudiants pour leur «humanité» en ajoutant que ce projet a permis

de sortir de l'ombre les personnes âgées.

Les projets Innov'acteurs ainsi que ceux de ME310 suscitent un certain enchantement aussi

bien auprès des organisateurs, des étudiants que des partenaires industriels pour leur «impact

social extraordinaire» selon les mots de la directrice. Cette dernière parle aussi d'une «magie

de rencontres et de volontés».

Au sein de la d.school, c'est en grande partie le sentiment d'utilité sociale qui alimente un

imaginaire commun capable de mobiliser les acteurs dans un processus d'innovation (Flichy,

2001). Par ailleurs la d.school est en elle-même une méthode d'enseignement innovante, un

lieu où s'expérimentent différentes façons de travailler, par exemple la directrice explique que la

d.school a fait quelques entorses par rapport au processus général suggéré par Stanford, ceux

qui ont mis au point initialement la méthodologie de design thinking. Ainsi elle explique :

«nous avons fait beaucoup plus d'observations ethnographique, nous avons fait

beaucoup plus de tests utilisateurs et nous avons fait aussi beaucoup plus de maillage,

ce qu'on appelle en anglais dissemination, avec les entreprises pour lesquelles on

travaillait».

Par conséquent ces éléments sont de nature à créer un «processus vertueux d'innovation»

(Alter, 2000) en laissant une grande liberté aux acteurs dans la conception et dans les

méthodes de travail.

A la lumière de cette expérience, il nous semble que l’un des défis des promoteurs de

l'entrepreneuriat au sein du cluster est de pouvoir concilier des objectifs de développement

économique et de créations d'emplois imposés par les politiques publiques territoriales selon un

Page 93: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

93

modèle de «l'entrepreneur rationalisé» avec des idéaux capables de rencontrer les aspirations

d’étudiants et de jeunes entrepreneurs.

Conclusion

Les auteurs académiques, en sciences économiques, en géographie, en sciences de gestion

ou en sociologie s'accordent, à quelques exceptions près, sur le rôle prépondérant des relations

sociales dans un cluster pour activer le potentiel de la proximité géographique.

La sociologie économique a quant à elle décrit l'influence de la configuration sociale dans le

développement économique. Des entrepreneurs trop peu encastrés dans leurs relations

personnelles peinent à trouver les solidarités et les ressources nécessaires à leur

développement. A l’inverse, des entrepreneurs trop encastrés dans des relations familiales ou

communautaires ne parviennent pas à dépasser une taille critique. Pour Grossetti, la création

d'entreprise est un processus de découplage (2004).

Les résultats de notre enquête, à travers l'analyse des ressources des entrepreneurs ainsi que

de leurs liens personnels avec les autres acteurs du cluster, nous ont permis de confirmer,

conformément aux études de Grossetti, l'encastrement élevé des entrepreneurs dans leurs

relations personnelles. Cependant, contrairement à notre hypothèse, l'enquête a révélé que le

processus de découplage ne se fait pas en faveur du cluster. Au mieux il se fait en faveur du

dispositif d'accompagnement auquel appartient l'entrepreneur (mobilisation des réseaux

d'acteurs gravitant autour des différents dispositifs).

La cartographie des liens institutionnels au sein du cluster (figure 1), appuyée par les entretiens

menés auprès des entrepreneurs et des acteurs locaux, a montré un éparpillement des

différents "foyers" d'entrepreneurs au sein de la cité Descartes et une faible solidarité

horizontale. L'enquête a également montré l'isolement des grandes entreprises au sein du

cluster et l'existence d'une hiérarchie entre petites et grandes entreprises, au détriment des

petites entreprises, les entrepreneurs ne pouvant pas solliciter les grandes entreprises. De

manière générale les acteurs nationaux du cluster, entreprises ou écoles et université sont

tournés vers un marché ou un réseau national ou international et sont peu ancrés localement. A

ce titre les entreprises du cluster Descartes ressemblent plus au « firm-based system » décrit

par Saxenian au sujet du Route 128 par opposition à l’organisation en réseau de la Silicon

Valley (1994). Le monde académique quant à lui, fortement intra-connectée, apparaît comme

une clique au sein du cluster.

Le cluster apparaît donc plus comme une juxtaposition d'institutions innovantes les unes à côté

des autres : les laboratoires de recherche, les écoles, les différents dispositifs

d’accompagnement à l’entreprenariat, chacun tourné vers son propre réseau, extérieur au

campus, et cherchant peu à activer le potentiel de la proximité géographique. Les structures

d’innovation, souffrant d’un déficit de proximité organisé, ne sont pas articulées entre elles. A ce

Page 94: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

94

titre un acteur public comme l’agence Descartes occupe une position centrale dans le réseau,

comme le montre la cartographie des liens institutionnels, pour mettre en relation le monde

économique et académique.

Notre enquête a montré que la proximité géographique peut avoir un effet propre, elle peut

créer des relations entre des acteurs qui n'avaient aucun lien auparavant, cependant cet effet

ne se produit que s'il existe au moins une logique de similitude (Rallet et Torre, 2008) entre les

acteurs. La création de liens entre des mondes hétérogènes, en particulier entre le monde

académique et le monde économique, ne peut pas se produire par la seule proximité

géographique, elle requiert nécessairement la mobilisation d'une proximité organisée.

Nous avons cependant relevé des tentatives pour créer une proximité organisée, pour créer des

liens et des valeurs partagées entre monde économique et monde académique, qui se sont

soldées par un échec.

Pour expliquer ces difficultés nous avons avancé plusieurs hypothèses: des liens faibles

insuffisants entre les acteurs locaux de mondes hétérogènes. A défaut de liens faibles

préexistants, les ponts n'existent pas. Deuxièmement nous avons postulé, à travers la

description d'interactions entre les acteurs, que les «coûts de transaction» entre mondes

hétérogènes freinent la création de liens. Enfin le manque d'imaginaire partagé autour du

cluster empêche la mobilisation d'une large partie des acteurs.

Nous avons toutefois montré que les étudiants-entrepreneurs pouvaient jouer le rôle de pont

entre deux mondes hétérogènes, le monde entrepreneurial et les enseignants-chercheurs. Les

enseignants-chercheurs constituent quant à eux un pont entre leurs étudiants et le monde de la

recherche. Indirectement les étudiants-entrepreneurs ont donc un accès au monde de la

recherche grâce à cette configuration, accès dont ne disposent pas les autres entrepreneurs de

notre enquête. Ainsi les étudiants entrepreneurs permettent de créer des liens faibles et

d’abaisser les coûts de transaction entre le monde académique et le monde économique local.

Nous avons également montré que certaines initiatives pouvaient constituer des objets-frontière

capable de rassembler des mondes hétérogènes, comme le dispositif de soutien à

l'entrepreneuriat étudiant Tous Créatifs, seul dispositif transversal entre les différents mondes

sociaux du campus.

Nous avons également montré que si le cluster en lui-même ne suscite pas l'adhésion

spontanée des acteurs, il existe d'autres projets porteurs d'un imaginaire capable de susciter

l'engouement notamment des étudiants, comme les projets à vocation sociale et solidaire de la

d.school.

Nous pensons que cette enquête pourrait être approfondie par une analyse plus détaillée de la

structure des réseaux sociaux pour la comparer à d’autres terrains d’enquête (densité des liens,

force des liens, trous structuraux,…). On peut supposer que d’autres clusters français

Page 95: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

95

présentent des caractéristiques similaires et si c’est le cas la configuration observée relève

d’une organisation sociale plus large.

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Page 100: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

100

Annexes

Annexe 1: Apparition du terme « cluster » dans la presse française

Ce graphique provient d’une requête réalisée dans Factiva le 28/02/14 sur « all documents »

and « all dates » dans la presse française. Pour que la requête restitue des résultats pertinents,

il a fallu exclure tous les termes « cluster » utilisés dans un sens non économique, comme par

exemple le satellite « cluster » ou des noms de sociétés ou de jeux/logiciels ou l’arme du même

nom et toutes les utilisations du terme dans un sens informatique :

cluster NOT cluster 2 NOT satellites NOT bomb NOT bombs NOT bombes NOT grappe

NOT grappes NOT logiciels cluster NOT FTMARK NOT Cluster consulting NOT

Diamond cluster NOT Western Cluster NOT G-Cluster NOT recherche par cluster NOT

Cluster Failover NOT cluster.com NOT Linux NOT serveurs NOT architecture NOT base

de données NOT stations de travail NOT disques NOT disque NOT système

d'exploitation NOT supercalculateur NOT boîtier NOT C-Cluster NOT centre de calcul

5886 réponses ont été trouvées à partir de 1997. C’est surtout à partir de 2003 que le terme

commence à se diffuser.

Page 101: Mémoire M2 Etude d'un cluster par sa configuration sociale

101

Annexe 2: Représentations du cluster Descartes par l'EPAMARNE45

45 La première carte est extraite de la plaquette du cluster Descartes sous http://projets.epa-marnelavallee.fr/content/download/799/6268/version/20/file/Plaquette+Cluster+Descartes+2013. La deuxieme carte est disponible sur le site de l’Epamarne http://marne.artefacto.fr/?l=fr dernière

consultation le 25/09/14