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Le coût du travail au coeur du débat par Denis CLERC (Alternatives économiques, n° 039, 01/1999) Résumé Dans l'optique néoclassique, les salaires sont le prix du travail sur le marché du même nom, leur flexibilité assurant l'ajustement entre offre et demande de travail et le plein-emploi. Mais si le coût du travail est trop important, certaines entreprises n'ont plus intérêt à embaucher ; d'autres sont incités à licencier pour substituer du capital au travail. Ce phénomène serait visible surtout pour les actifs peu qualifiés, dont la rigidité à la baisse des salaires expliquerait finalement le fort taux de chômage (structurel) en France. Etant donné que le SMIC est une institution en France difficile à supprimer, les politiques publiques se sont tournées, au début des années 1990, vers des mesures d'exonération de charges patronales sur les bas salaires, afin de baisser le coût du travail des moins qualifiés. Cependant, plusieurs critiques s'opposent à l'idée que la baisse du coût du travail stimule l'emploi. En premier lieu, les études statistiques des économistes n'ont pas mis en évidence une corrélation forte et certaine. D'ailleurs, pour Daniel Cohen, le fort chômage des non-qualifiés seraient davantage dus à leur inemployabilité supposée qu'au niveau du SMIC. Une critique plus profonde avance l'idée que, pour lutter contre le chômage en France, il serait plus efficace de stimuler l'emploi qualifié et de permettre à tous les actifs d'y accéder par la voie de la formation initiale et continue, plutôt que de vouloir lutter contre les pays où la main d'oeuvre de base est moins chère. La création de nombreux emplois qualifiés grâce aux innovations et aux investissements de pointe permettrait, par ailleurs, de libérer des postes moins qualifiés et parfois occupés par des actifs surdiplômés. Enfin, la troisième critique est keynésienne : la baisse ou la stagnation des salaires a un effet récessif sur l'activité économique puisqu'elle affecte le revenu disponible des ménages, leur consommation et donc la demande globale. Certes, aux Etats-Unis, dans les années 1990, les embauches consécutives à une baisse des salaires moyens a finalement permis une hausse de la masse salariale globale, malgré la baisse des rémunérations individuelles ; mais en Grande-Bretagne, la baisse des salaires a eu un effet récessif net. Pour concilier la flexibilité salariale et le pouvoir d'achat, certaines économistes dits "du partage" proposent de généraliser une partie variable du salaire, indexée sur les résultats d'exploitation de l'entreprise. Cela permettrait, selon eux, d'éviter que l'emploi demeure une variable d'ajustement.

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Le coût du travail au coeur du débat

par Denis CLERC (Alternatives économiques, n° 039, 01/1999)

Résumé

Dans l'optique néoclassique, les salaires sont le prix du travail sur le marché du même nom, leur flexibilité assurant l'ajustement entre offre et demande de travail et le plein-emploi. Mais si le coût du travail est trop important, certaines entreprises n'ont plus intérêt à embaucher ; d'autres sont incités à licencier pour substituer du capital au travail. Ce phénomène serait visible surtout pour les actifs peu qualifiés, dont la rigidité à la baisse des salaires expliquerait finalement le fort taux de chômage (structurel) en France.

Etant donné que le SMIC est une institution en France difficile à supprimer, les politiques publiques se sont tournées, au début des années 1990, vers des mesures d'exonération de charges patronales sur les bas salaires, afin de baisser le coût du travail des moins qualifiés. Cependant, plusieurs critiques s'opposent à l'idée que la baisse du coût du travail stimule l'emploi.

En premier lieu, les études statistiques des économistes n'ont pas mis en évidence une corrélation forte et certaine. D'ailleurs, pour Daniel Cohen, le fort chômage des non-qualifiés seraient davantage dus à leur inemployabilité supposée qu'au niveau du SMIC.

Une critique plus profonde avance l'idée que, pour lutter contre le chômage en France, il serait plus efficace de stimuler l'emploi qualifié et de permettre à tous les actifs d'y accéder par la voie de la formation initiale et continue, plutôt que de vouloir lutter contre les pays où la main d'oeuvre de base est moins chère. La création de nombreux emplois qualifiés grâce aux innovations et aux investissements de pointe permettrait, par ailleurs, de libérer des postes moins qualifiés et parfois occupés par des actifs surdiplômés.

Enfin, la troisième critique est keynésienne : la baisse ou la stagnation des salaires a un effet récessif sur l'activité économique puisqu'elle affecte le revenu disponible des ménages, leur consommation et donc la demande globale. Certes, aux Etats-Unis, dans les années 1990, les embauches consécutives à une baisse des salaires moyens a finalement permis une hausse de la masse salariale globale, malgré la baisse des rémunérations individuelles ; mais en Grande-Bretagne, la baisse des salaires a eu un effet récessif net.

Pour concilier la flexibilité salariale et le pouvoir d'achat, certaines économistes dits "du partage" proposent de généraliser une partie variable du salaire, indexée sur les résultats d'exploitation de l'entreprise. Cela permettrait, selon eux, d'éviter que l'emploi demeure une variable d'ajustement.