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Comprendre l’évolution de nos comportements alimentaires pour améliorer ceux de demain Dans les années qui viennent, le monde va devoir répondre à une question cruciale : comment nourrir 9 milliards d’habitants ? Acquérir des pratiques alimentaires durables constitue un élément de réponse clé qui relève néanmoins d’un obstacle majeur : il est humain-dépendant. Or, l’Homme est naturellement résistant au changement, notamment de ses comportements, tant qu’il n’y est pas contraint par son environnement. La pression environnementale sera-t-elle suffisante pour qu’il accepte de s’y adapter ? Dans ces quelques pages, la Fondation Louis Bonduelle vous invite à revisiter l’évolution de nos comportements alimentaires au fil des âges, jusqu’à un état des lieux de nos attitudes de consommation actuelles, pour déboucher sur quelques éléments de prospectives. A ugmentation de la part des lipides dans la ration, démocratisation des produits prêts à l’emploi, progression de la restauration hors domi- cile, explosion du secteur de la grande distribution... Les pratiques alimentaires ont connu au cours des dernières décennies de fortes évolu- tions. Ce phénomène est-il nouveau ou l’Homme est-il familier de tels changements de régimes ? Quels sont les déterminants de ces évolu- tions ? Et peut-on réellement se référer au passé pour en- visager nos comportements d’aujourd’hui et de demain ? Le contexte actuel pousse les consommateurs à faire des choix dans une pers- pective à la fois individuelle et collective. On mange pour répondre à un besoin vital, mais aussi pour se faire plaisir et pour préserver sa santé, sans oublier les res- sources en eau, la qualité de l’air, la biodiversité, l’équilibre économique mondial… sous la contrainte de la pression démographique. La résultante est difficilement modélisable, quoique… Une seule voie semble désormais possible : celle des régimes alimentaires durables. Un concept défini en 2010 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et qui considère l’alimentation dans toutes ses dimensions (san- té, environnement, écono- mie, culture, etc.).z www.fondation-louisbonduelle.org © DMITRIY MELNIKOV - FOTOLIA.COM «En deux générations, nos sociétés ont balayé des millénaires d’évolutions culturelles en relation avec les connaissances des ressources végétales et animales de notre alimentation.»

Comprendre l’évolution de nos comportements alimentaires pour améliorer ceux de demain

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En deux générations, nos sociétés ont balayé des millénaires d’évolutions culturelles en relation avec les connaissances des ressources végétales et animales de notre alimentation. Plus de dossiers scientifiques sur : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr/professionnels-de-sante/monographies.html

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Comprendre l’évolution de nos comportements alimentaires pour améliorer ceux de demain

Dans les années qui viennent, le monde va devoir répondre à une question cruciale : comment nourrir 9 milliards d’habitants ? Acquérir des pratiques alimentaires durables constitue un élément de réponse clé qui relève néanmoins d’un obstacle majeur : il est humain-dépendant. Or, l’Homme est naturellement résistant au changement, notamment de ses comportements, tant qu’il n’y est pas contraint par son environnement. La pression environnementale sera-t-elle suffisante pour qu’il accepte de s’y adapter ? Dans ces quelques pages, la Fondation Louis Bonduelle vous invite à revisiter l’évolution de nos comportements alimentaires au fil des âges, jusqu’à un état des lieux de nos attitudes de consommation actuelles, pour déboucher sur quelques éléments de prospectives.

Augmentation de la part des lipides dans la ration,

démocratisation des produits prêts à l’emploi, progression de la restauration hors domi-cile, explosion du secteur de la grande distribution... Les pratiques alimentaires ont connu au cours des dernières décennies de fortes évolu-tions. Ce phénomène est-il nouveau ou l’Homme est-il familier de tels changements de régimes ? Quels sont les déterminants de ces évolu-tions ? Et peut-on réellement se référer au passé pour en-visager nos comportements d’aujourd’hui et de demain ? Le contexte actuel pousse les consommateurs à faire des choix dans une pers-pective à la fois individuelle

et collective. On mange pour répondre à un besoin vital, mais aussi pour se faire plaisir et pour préserver sa santé, sans oublier les res-sources en eau, la qualité de l’air, la biodiversité, l’équilibre économique mondial… sous la contrainte de la pression démographique.La résultante est difficilement modélisable, quoique… Une seule voie semble désormais possible : celle des régimes alimentaires durables. Un concept défini en 2010 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et qui considère l’alimentation dans toutes ses dimensions (san-té, environnement, écono-mie, culture, etc.).z

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«En deux générations, nos sociétés ont balayé des millénaires d’évolutions culturelles en relation avec les connaissances des ressources végétales et animales de notre alimentation.»

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Hier Evolution des régimes alimentaires de l’Homme

Depuis plus de 7 millions d’années, depuis nos ori-gines communes avec les chimpanzés jusqu’à l’émergence des sociétés post-industrielles et urbanisées, l’Homme a acquis sa nourriture par la cueillette, la chasse ou la pêche et, depuis quelques millénaires, par l’agriculture et l’élevage. La nature était alors le principal élément venant perturber la régulation physiologique des besoins nutritionnels.

UN régimE OmNivOrE Hérité DE NOs ANCêtrEs LEs grANDs siNgEsL’Homme est un omnivore. Plus précisément, son régime alimentaire est de type frugivore/omnivore : l’Homme porte un intérêt particulier aux qualités énergétiques et organolep-tiques de ses aliments, d’où son penchant pour les fruits et la viande. mais être omnivore n’est pas donné à tout le monde. Cette caractéristique, qui nous vient de la grande lignée des singes de l’Ancien monde, s’avère plutôt rare chez les mammifères. « Etre généraliste est une vraie spécialité pour la quête des ressources, l’accès aux aliments, les façons de les préparer, de les ingérer comme de les digérer. Etre omnivore s’apprend, ce qui veut dire que de tels régimes impliquent des adaptations sociales et cognitives complexes », explique Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France.En effet, le goût ne permet pas d’écarter des nourritures potentiellement toxiques. Choisir les bons aliments découle de l’éducation et de l’imitation. Un régime omnivore s’ins-crit donc dans un contexte tissé d’interactions multiples avec les environnements physiques et sociaux, où inter-viennent des notions de plaisirs, d’échanges, d’interdits, etc. mais, en ces temps incertains, le choix des aliments (fruits, légumes, parties souterraines des plantes, noix, viandes, œufs, miel, fleurs, insectes, etc.) devait avant tout assurer la survie pendant les périodes difficiles comme les saisons sèches. L’acquisition d’un tel régime alimentaire passait par la mobilisation de capacités cognitives, tech-niques, sociales et culturelles, donnant accès à des nourri-tures de bonne qualité en toute circonstance. Cela requé-rait une éducation sur la nature, ses ressources, ses cycles de production, sans oublier les modes de conservation et de préparation des aliments.

DEs régimEs ALimENtAirEs FAçONNés PAr L’HistOirE…Les régimes alimentaires de l’Homme évoluent sous l’effet de déterminismes nutritionnels et économiques puissants, avec de fortes similitudes d’un pays à l’autre, en fonction du niveau de développement économique. « Dans les pays dé-veloppés, et maintenant dans la plupart des pays du monde, la révolution agricole, soutenue puis relayée par la révolution industrielle, a permis un abaissement considérable du coût des calories alimentaires », souligne les auteurs du rapport de l’exercice de réflexion duALIne1. Les conséquences de

ces bouleversements sont à la fois positives (développe-ment du potentiel biologique, de l’aptitude au travail, de la longévité, de la qualité de la vie2) et négatives (augmentation du surpoids, de l’obésité, du diabète, etc.). Ces effets délé-tères ont été accentués par l’évolution parallèle des modes vie (modifications de la structure des emplois avec un essor du secteur tertiaire, urbanisation, sédentarisation).En France, notre histoire alimentaire a franchi diverses étapes. Au moyen-âge et jusqu’au début du Xviie siècle, l’alimentation des élites suivait les principes diététiques dic-tés par les médecins, avant que la gastronomie ne prenne l’avantage. Au Xviie siècle, « les régimes tiennent davan-tage compte de la gourmandise, de la variété, mais aussi de l’esthétique des repas : raffinement, "petits plats dans les grands", et distinction sont les maîtres mots à l’aube de la fin des privilèges », mentionne l’expertise scientifique col-lective sur les comportements alimentaires réalisée en 2010 par l’iNrA3. Puis, à partir de la révolution de 1789, l’acte alimentaire se transforme en tradition culinaire : « La per-sonne doit affirmer sa qualité par son mode d’alimentation, par l’importance qu’elle lui accorde, par le temps qu’elle lui consacre. » Le goût et le plaisir à table se démocratisent : c’est la naissance de la commensalité. Puis, un cou-

L’alimentation de l’Homme évolue sur des périodes plus ou moins longues en fonction de facteurs historiques et socioculturels. Mais qu’en est-il de l’alimentation d’un seul homme au cours de sa vie ? Elle évolue aussi, dans une moindre mesure. C’est ce qu’on appelle l’effet d’âge : « La consommation de fruits et légumes frais croît régulièrement jusque vers 60-65 ans et diminue ensuite », illustre le Pr Pierre Combris, directeur de re-cherche à l’Inra. Un effet qui doit être distingué de celui dit de génération : « A âge égal, les jeunes générations consomment moins de fruits et légumes que celles qui les ont précédées », poursuit l’économiste.Le Crédoc aborde souvent cet effet de génération en avançant des hypothèses d’évolution des pratiques alimentaires en faveur d’une accentuation des ten-dances actuelles de consommation dans les années à venir. Néanmoins, l’expertise scientifique collective de l’Inra sur les comportements alimentaires estime que « ces hypothèses méritent d’être confirmées, car les résultats n’appréhendent que partiellement les effets de période sur les générations »3. Par exemple, elles ne tiennent pas compte des effets qualité et prix, et ignorent les chocs temporels liés aux innovations.

L’alimentation est-elle affaire de génération ?

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Selon le rapport de l’exercice de réflexion duALIne1, la consommation de calories d’origine animale d’un pays augmente avec son développement économique pour devenir stable. Cette augmentation n’est pas liée à la satisfaction des besoins physiologiques et présente des variations en terme de catégories d’aliments consom-més selon les pays en fonction de critères historiques et culturels. Cette progression de la part des produits ani-maux versus végétaux dans la plupart des pays du monde constitue aujourd’hui un problème majeur de durabilité de nos régimes alimentaires. Les aliments d’origine animale ont en effet un impact environnemental plus prononcé que ceux d’origine végétale (consommation de protéines végétales et d’eau en grandes quantités pour leur pro-duction et émissions de rejets dans l’atmosphère)7.

Consommation de calories animales et développement économique

rant hygiéniste apparaît au début du XiXe siècle. « La médecine et la science mettent en évidence les intoxications dues aux microbes véhiculés par les nourritures malsaines et contribuent à faire émerger le lien entre santé publique et alimentation. » Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle, s’ins-talle une nouvelle norme de corpulence, la minceur : « Au corps robuste et fort des classes populaires s’oppose le corps souple et sculpté des classes aisées. » En un siècle, apparaissent donc trois grandes tendances liées à notre ali-mentation : commensalité, minceur et santé. Des tendances qui perdurent et occupent encore une place prépondérante, même si les normes de corpulence et de santé semblent peu à peu prendre le pas sur le plaisir et la convivialité4.Parallèlement à cette évolution culturelle de l’acte alimen-taire, on note, tout au long du XiXe siècle, un accroisse-ment très important de la ration calorique individuelle, ce qui a plutôt des conséquences favorables sur la santé. En effet, d’une part, les céréales (principalement sous forme de pain) représentent l’essentiel de la ration puisqu’il s’agit des aliments les moins chers et, d’autre part, les besoins énergétiques restent élevés1. mais la tendance va s’inver-ser avec la transition nutritionnelle : la consommation des aliments de base (céréales, féculents, légumes secs) va durablement s’orienter à la baisse, tandis que celle des autres produits (produits d’origine animale, fruits et lé-gumes, corps gras et sucre) va accentuer sa progression. Résultat : la structure nutritionnelle de la ration se modifie très profondément. De 1880 à 1980, la part des calories glucidiques passe de 70 à 45 % de l’apport énergétique total (AEt) pendant que celle des calories lipidiques s’ac-croît de 16 à 42 % de l’AET5. Cette transition prendra fin vers 1985-1990. Depuis, les parts relatives des différents macronutriments se sont stabilisées.

… Et PAr L’OFFrE ALimENtAirECette analyse de l’évolution du régime alimentaire des Français nécessite cependant que l’on se penche sur l’offre alimentaire, en tant que catalyseur des changements pré-cités, notamment au cours de la transition nutritionnelle.

Cette offre a en effet subi une mutation vers une alimen-tation industrielle de "masse" sous l’effet des innovations technologiques et de l’expansion de la grande distribution dans les circuits d’approvisionnement alimentaire.Dès 1960, les produits issus de l’industrie agroalimen-taire représentent 80 % des dépenses alimentaires des ménages français, pour atteindre un plateau autour de 83 % dans les années 2000. « Cependant, si la part des produits industriels dans le budget alimentaire est stable, les volumes achetés augmentent ainsi que le degré de transformation. Le volume des produits ultra-frais a ainsi été multiplié par 25 en quarante ans, illustrant ce rempla-cement des produits de base par des produits élaborés », explique l’expertise de l’inra3. A la fin du XXe siècle, les plats préparés et les produits prêts à l’emploi connaissent un franc succès tant ils répondent à une demande forte de gain de temps et de praticité dans la préparation des re-pas. Les enquêtes nationales sur les consommations

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Aujourd’hui, la quête de nourriture ne se ré-sume plus qu’à un acte d’achat, et nous perdons peu à peu les aspects conviviaux, affectifs et sociaux de l’alimentation : nous allons moins au marché, nous faisons moins la cuisine, nous prenons moins de repas en famille, etc. « En deux générations, nos sociétés ont balayé des millénaires d’une évolution culturelle en relation avec les connaissances des ressources végétales et animales de notre alimentation et tout ce qui touche à leurs modes de consommation », constate Pascal Picq. L’explication ? Notre régime alimentaire résulte d’une double coévolution, « la première en relation avec les ressources disponibles de l’environnement, comme pour toutes les espèces, et la deuxième qui découle des interactions complexes entre nos innovations culturelles et notre biologie », relève le paléo- anthropologue.En effet, si les comportements alimentaires sont initialement affaire de régulations physiologiques internes au consom-mateur, ils n’en sont pas moins influencés et, en l'espèce, dérégulés par les contraintes et les informations issues de son environnement. Ces contraintes incluent les normes so-ciales qui régissent les préférences alimentaires, mais aussi les pratiques alimentaires, en particulier le rythme et la struc-turation des repas. Quant aux informations reçues par le consommateur, elles émanent à la fois de l’univers commer-cial (publicités, opérations marketing sur les lieux d’achat, étiquetage nutritionnel, allégations), des pairs (amis, famille) et des promoteurs de la santé (médecins, campagnes d’in-formation, etc.). Aussi, les comportements du consomma-teur sont-ils indissociables du modèle de société auquel il appartient : le discours ambiant et les représentations ali-mentaires véhiculés par la société conditionnent ses choix. L’èrE DU « mANgEr DUrAbLE » « C’est ainsi que sur les cinquante dernières années, nous sommes passés d’un discours épicurien à un discours engageant, en passant par cinq phases intermédiaires »,

Aujourd’hui Nos comportements de consommation actuels

constate Martine Padilla, administratrice scientifique au CIHEAM-IAMM. Le discours restrictif des années 1970 a cédé la place à un discours dynamique (le « manger vite ») au début des années 1980, suivi par l’avènement du light en 1987, puis la cacophonie du « manger juste » dans les années 1990, à laquelle a succédé le discours santé-plaisir de la période 2000-2008. Aujourd’hui qu’en est-il ? Nous sommes dans l’ère du « manger durable », qui place le consommateur face à ses responsabilités de citoyen et à des choix parfois cornéliens entre le respect du bien commun et de sa santé. C’est un fait : être consomma-teur en 2012, c’est d’abord être citoyen ! « Les mutations actuelles, contrairement aux autres périodes, peuvent réel-lement être sources de ruptures dans la mesure où elles remettent en cause les fondamentaux de notre société et des systèmes alimentaires », souligne martine Padilla. Le consommateur serait donc en rupture avec ses attentes en matière de sécurité (origine, traçabilité, etc.) et de res-ponsabilité citoyenne (environnement, éthique, bien-être animal, etc.), par rapport à une innovation plutôt tournée vers la praticité, la santé, la naturalité et le plaisir. Quelques tendances émergent néanmoins malgré cette confusion. Elles témoignent d’une attirance pour une ali-mentation responsable : recul de l’hyperconsommation, retour des produits bruts et de la cuisine, progression des aliments plaisir responsables et de la convivialité. On constate également l’essor de la consommation de pro-duits sous labels : produits locaux, bio, équitables ou res-pectueux du bien-être animal. Essor qui répond sans doute au désir de limiter son impact sur l’environnement, l’étique-tage carbone actuellement en expérimentation illustrant ce changement. « Ces tendances sont contradictoires avec certaines tendances lourdes antérieures. Est-ce à dire qu’elles n’ont pas de réalité ?, interroge martine Padilla. Il est plus probable d’envisager qu’elles représentent les diverses facettes qui composent un individu aujourd’hui, avec la fin d’une certaine consommation de masse. »

alimentaires des Français (inca) suggèrent que cet at-trait pour le prêt à consommer pourrait s'accentuer, encou-ragé par les jeunes générations, de plus en plus friandes de snacks, sandwichs et autres hamburgers6.Parallèlement à ces évolutions, la distribution des aliments a migré du marché (ou magasin de proximité) à la grande surface : 70 % des dépenses alimentaires des ménages y sont désormais concentrées, dont environ 15 % dans les hard-discounts, alors que les hypermarchés représen-taient moins de 5 % des parts de marché des produits alimentaires en 1970. La zone d’habitation (rurale, centre

ville, etc.) et l’âge sont les principaux déterminants du lieu d’approvisionnement3.

Ainsi, au cours du XXe siècle, les Français ont progressive-ment augmenté la proportion de lipides dans leur ration ali-mentaire. Une évolution que l’on peut attribuer à l’histoire, aux mutations de l’offre alimentaire et, plus globalement, aux changements de modes de vie. Cette évolution n’est pas propre à la France : l’ensemble des pays industrialisés a connu une telle transition alimentaire et les pays en déve-loppement y sont actuellement confrontés.z

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il n’en reste pas moins que faire des choix éclairés lorsque l’on est cerné de contraintes n’est pas chose aisée : le consommateur doit-il limiter sa consommation de viande au profit des produits végétaux ? Doit-il privilégier le produit local au produit importé ? Le produit de saison au produit disponible toute l’année ? Le produit bio au produit conven-tionnel ? « Faute d’études suffisantes, les réponses sont parfois contre-intuitives », souligne la sociologue. Ainsi, fort de ses élans de responsabilité sociale et environnementale, souhaitant répondre à ses désirs de solidarité économique et de transparence, le consommateur d’aujourd’hui conti-nue son évolution dans une confusion culpabilisante.

COmmENt LEs FrANçAis PErçOivENt LEUr ALimENtAtiON ?Dans ce contexte, comment le consommateur français perçoit-il son alimentation ? La réponse se trouve dans les baromètres de la perception de l’alimentation que le Cré-doc réalise depuis six ans à la demande du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la ruralité et de l’Aménagement du territoire. Dans le cadre de ces études, un échantillon représentatif d’environ 1 000 Fran-çais de plus de 18 ans sont interrogés en face à face à leur domicile sur leurs habitudes alimentaires, leurs per-ceptions de la qualité alimentaire et de la politique menée en la matière. sur ce dernier aspect, selon le baromètre 20118, les Français estiment que la qualité sanitaire des produits et l’accès de tous à une alimentation de qualité devraient constituer les axes prioritaires de l’Etat. Néan-moins, ils attendent également du gouvernement qu’il mène des actions pour développer la consommation de produits de proximité, pour inciter les industries agroali-mentaires à améliorer la qualité de leurs produits, et pour limiter le gaspillage et les emballages alimentaires. Côté information, des progrès restent à faire. Parmi les mes-sages de la politique nutritionnelle actuelle, ‘manger cinq fruits et légumes par jour’ est la plus fréquemment retenue, à 38 % contre 15 % pour ‘Evitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé’ qui suit. Par ailleurs, sept Français sur dix

déclarent s’informer en priorité des questions d’alimentation par la télévision (devant la presse écrite, internet, les livres et la radio), quand trois sur dix disent ne faire confiance à aucun des acteurs publics.

La notion de « régime alimentaire durable » a été définie comme suit lors du symposium scientifique international de la FAO en novembre 2010 à Rome : « Les régimes durables sont les régimes à faibles impacts environnementaux qui contribuent à la sécurité nutritionnelle et alimentaire et à une vie saine pour les générations présentes et futures. Les régimes durables sont protecteurs et respectueux de la bio-diversité et des écosystèmes, culturellement acceptables, accessibles, économiquement équitables et abordables, nutritionnellement équilibrés, sains et sans risque sanitaire, tout en permettant d’optimiser les ressources naturelles et humaines. » Mais qui dit régimes, dit mangeurs : les « mangeurs du-rables » sont-ils au rendez-vous ? S’il existe certains consom-mateurs bien décidés à faire de leur mieux pour qu’existe ce type de régimes alimentaires, force est de constater que, d’une manière générale, l'évolution de la demande des man-geurs ne suit pas la même direction que celle souhaitée par le développement durable. « ils plébiscitent par exemple la variété de l'offre, ce qui veut dire élargissement des zones d'approvisionnement et donc davantage de transport ; ils exigent la sécurité sanitaire, ce qui implique de multiplier les lavages, traitements thermiques et emballages ; ils veulent des prix faibles, ce qui passe souvent par des gains de productivité, des économies d'échelle et/ou la mondialisa-tion… », illustre Jean-Louis Lambert, économiste et socio-logue spécialiste des pratiques alimentaires. Pour répondre à la pression croissante de son environnement, l’Homme va donc devoir se résigner à laisser de côté certains de ses privilèges, s’il souhaite continuer à profiter des plaisirs de la table sur une longue période.

Le « mangeur durable » est-il né ?

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Concernant le rôle attribué à l’alimentation, il apparaît dépendant du niveau de vie. Les plus faibles revenus et les moins diplômés la considèrent davantage comme une nécessité, alors que les autres la perçoivent avant tout comme un plaisir. Quant à la perception d'un lien entre ali-mentation et santé, elle a diminué depuis 2007, passant de 22 à 15 %. Par ailleurs, les Français ont un avis mitigé sur l’amélioration de la qualité des produits alimentaires depuis vingt ans (53 % sont de cet avis contre 45 %). En revanche, ils sont deux tiers à penser que la sécurité sanitaire des produits s’est améliorée, même si certains risques les inquiètent toujours, notamment la présence de pesticides dans les cultures et de micro-organismes dans les produits alimentaires.

En résumé, le consommateur français en 2011 se révèle plein d’attentes envers ses dirigeants et globalement mal informé et peu confiant quant aux messages officiels qui lui sont donnés. Les contraintes économiques semblent influer sur les notions de plaisir et de santé associées à l’alimen-tation, dont la qualité sanitaire reste une préoccupation. A nouveau, la confusion ressort. Incapable d’effectuer des choix face à la cacophonie alimentaire* à laquelle il est sou-mis, le consommateur réclame l’aide d’instances publiques auxquelles il ne fait pas confiance…z

* La cacophonie alimentaire, telle que la définit l’Institut pour la recherche en mar-keting de l’alimentation santé (Iremas), est l’ensemble synchronique de discours concernant l’alimentation qui provoquent une dissonance cognitive. Elle regroupe plusieurs aspects : nutritionnel, bio-écologie, religion, sécurité sanitaire, etc.

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Demain Que nous réserve l’avenir ?

Entre des pays industrialisés soumis à la confu-sion et des pays en développement en pleine transition nutritionnelle, comment le monde va-t-il résoudre la question de durabilité de l’alimentation ? tel est le défi majeur : assurer à la population mondiale une alimen-tation répondant à ses besoins qualitatifs et quantitatifs dans un contexte de pression sur les ressources et de changement climatique.Les systèmes alimentaires du monde sont en constante évolution. Aussi, les éléments de contexte actuels sont amenés à se modifier et les systèmes alimentaires à se transformer. Prédire les résultats des changements de demain s’avère impossible. mais une démarche prospec-tive basée sur l’identification des principaux facteurs de transformation des systèmes alimentaires permet d’ap-préhender les évolutions à venir.

LEs sCéNAriOs POssibLEs POUr LA FrANCEEn 2007, Pierre Feillet, membre de l’Académie d’agri-culture et de l’Académie des technologies, a mené une telle démarche et est parvenu à cinq scénarios possibles décrit à la fin d’un ouvrage complet sur l’alimentation des Français9 : 1. La science bâtit le meilleur des mondes (biotechnolo-

gies, nanotechnologies, Ogm, arômes, etc.)2. Les pouvoirs publics prescrivent une alimentation san-

té (politique alimentaire dirigiste, analyse des besoins individuels selon la nutrigénomique, etc.)

3. L’impérialisme agro-industriel impose ses produits (développement des services, alicaments, génie géné-tique)

4. La protection du cadre de vie avant tout (éco-condi-tionnalité des aides de la politique agricole commune,

économies d’énergie qui imposent une mutation des pratiques alimentaires)

5. Les Français rejettent la mal bouffe contenant trop d’additifs et les produits à la saveur standardisée, comme les alicaments ; le consumérisme est puissant, les terroirs sont valorisés.

« Si les tendances actuelles laissent penser que nous nous orientons plutôt vers les scénarios 4 et 5, nous pou-vons aussi parier sur la puissance industrielle pour savoir vendre du durable, tout en adaptant les technologies de pointe au savoir ancestral », conclut martine Padilla de cette analyse.

LEs PistEs à L’éCHELLE mONDiALE Plus récemment, un groupe pluridisciplinaire composé d’une quinzaine d’experts a mené une réflexion collective centrée sur la question de durabilité de l’alimentation10. La réflexion menée au sein de duALine couvre les sys-tèmes alimentaires depuis la sortie de la ferme jusqu’à la consommation et l’élimination des déchets. En cela, elle se distingue et vient en complément de la prospec-tive Agrimonde7, centrée sur les enjeux mondiaux liés à l’agriculture. De nombreuses questions y sont examinées et témoignent de la complexité du sujet : la consommation alimentaire avec l’augmentation des calories d’origine animale et ses conséquences, l’organisation des systèmes alimentaires en liaison avec les productions de chimie et d’énergie renouvelables, les pertes et gaspillages, l’impact des marchés internationaux sur la consommation, etc. Ainsi, ce travail ne se termine pas ici par la présentation de scénarios, mais par trois messages transversaux liés aux inégalités d’accès à l’alimentation, aux dynamiques

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Transiter vers de nouveaux systèmes d’alimenta-tion durables pose de nombreuses questions mises en exergue par le rapport de l’exercice de réflexion duALIne1. Concernant par exemple la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre asso-ciées à l'alimentation, il semblerait qu’une baisse des quantités totales ingérées serait plus efficace qu’une modification du type d’aliments consommés. Un résul-tat qui va plutôt à l’encontre des idées reçues et qui devra donc être vérifié par des recherches approfon-dies. L’expertise duALIne pointe également la néces-sité de repenser les systèmes alimentaires, notamment dans les pays industrialisés. En effet, l’intégration des exigences environnementales rend nécessaire des évo-lutions profondes, tant au niveau des procédés indus-triels qu’au niveau de l’organisation des filières et des relations entre les différents opérateurs des chaînes alimentaires. Enfin, il existe une véritable logique de localisation des productions agricoles à proximité des lieux de consommation. Cependant, à l’heure où plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, faut-il favoriser l’agriculture à leur proximité ? La réponse, d’un point de vue énergétique et environnemental, est loin d’être évidente. Emission de gaz à effet de serre, processus d’intensification des terres agricoles près de villes, pollutions des nappes phréatiques, autant d’exemples qui mettent en question le déplacement de la production agricole vers le lieu de consommation, la possibilité d’un développement local durable et les avantages des circuits courts.DuALIne a donc ouvert de nombreuses perspectives qui donneront lieu à des programmes de recherche, publics et privés, au niveau national et européen, favo-risés par la naissance d’un nouveau réseau européen consacré à l’alimentation durable, le réseau Susfood.

Parvenir à une alimentation durable : des moyens qui posent encore question

>> territoriales et à la gouvernance des systèmes ali-mentaires. il énonce également les leviers d’action pour aller vers des systèmes alimentaires plus durables, à savoir les politiques publiques, les engagements volon-taires des industries agroalimentaires, ou encore la sen-sibilisation des consommateurs. Ce dernier point soulève la question de l’intérêt et de l’efficacité de l’information nutritionnelle, parfois mise en doute en dépit de différents travaux de modélisation réalisés en France, en Europe et aux Etats-Unis qui ont clairement établi son effet significatif distinct de celui des prix et des revenus11. Une information nutritionnelle vali-dée et consensuelle pourrait donc infléchir durablement les tendances majeures de consommation12-13. Cepen-dant, d’autres travaux, sur les mécanismes de réception et d’appropriation des normes alimentaires, montrent que la connaissance des messages n’est pas toujours suffi-sante pour obtenir une modification des pratiques. « Le passage à la mise en œuvre suppose en effet l’intégration de pratiques conformes aux normes dans des routines et des logiques quotidiennes qui ne laissent pas toujours de place aux normes que l’on souhaiterait développer dans une perspective de santé publique, et qui peuvent même répondre à des normes contraires », mentionne le rap-port d’expertise1. Ainsi, une mère de famille osera-t-elle proposer des légumes au risque de perturber l’ambiance conviviale du repas familial ? Rien n’est moins sûr…14. D’où l’intérêt de mettre à jour le rôle et les mécanismes de mise en place des nouvelles normes sociales, qui in-fluencent non seulement la qualité nutritionnelle de l’ali-mentation, mais aussi les dimensions écologiques des pratiques alimentaires.

Pour ce faire, une réflexion pluridisciplinaire, faisant ap-pel aux sciences économiques, sociales et politiques, se révèle indispensable à l’orientation des comportements alimentaires sur un axe durable qui intègrera l’ensemble de cette problématique complexe qu’est l’alimentation de l’Homme.z

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[1] Combris P, Maire B, Réquillart V. 2011. Consommation et consom-mateurs, in : duALine - durabi-lité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux. Questions à la recherche, Esnouf C, russel m, bricas N. (Coords.), rapport inra-Cirad (France), 27-44.

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Références

www.fondation-louisbonduelle.org