9
ENTRE LA PRISE EN CHARGE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE Deux points de vue différenciés CNAF | Informations sociales 2007/4 - n° 140 pages 96 à 103 ISSN 0046-9459 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-4-page-96.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Entre la prise en charge judiciaire et administrative » Deux points de vue différenciés, Informations sociales, 2007/4 n° 140, p. 96-103. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CNAF. © CNAF. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © CNAF Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © CNAF

entre la prise en charge judiciaire et administrative

Embed Size (px)

DESCRIPTION

 

Citation preview

Page 1: entre la prise en charge judiciaire et administrative

ENTRE LA PRISE EN CHARGE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVEDeux points de vue différenciés CNAF | Informations sociales 2007/4 - n° 140pages 96 à 103

ISSN 0046-9459

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-4-page-96.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Entre la prise en charge judiciaire et administrative » Deux points de vue différenciés,

Informations sociales, 2007/4 n° 140, p. 96-103.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour CNAF.

© CNAF. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 2: entre la prise en charge judiciaire et administrative

Entre la prise en chargeDeux points de

Carol Bizouarn, juge des enfants auprès du tribunal de grande instance de Créteil

96 Informations sociales n° 140

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

> Le point de vue du juge des enfantsLa place du juge des enfants est spécifique : jugecivil dans le cadre de la protection de l’enfance,en lien avec l’autorité administrative, juge pénalen cas de comportement délinquant. Le passagede l’un à l’autre soulève la question de la com-plémentarité des deux aspects, ou au contrairecelle de la prédominance de l’un sur l’autre. Ledépartement, auquel revient une mission decoordination des actions menées, devra organiserle passage de relais entre tous les acteurs.

La protection de l’enfance en danger relève prioritai-rement des parents, titulaires de l’exercice de l’autori-té parentale (1). Ce n’est qu’en cas d’absence ou dedéfaillance de ceux-ci que la loi organise un autremode de protection, administratif ou judiciaire.Néanmoins, ces dispositifs demeurent prioritairementdes compléments aux actions parentales, puisque,dans le cadre administratif, la protection prend uneforme contractuelle avec les parents, et dans le cadrejudiciaire, non seulement elle est qualifiée d’assistan-ce mais elle impose au juge des enfants de s’efforcerde recueillir l’adhésion de la famille.

Le cadre légal confrontéaux pratiquesAinsi construite, la protection de l’enfance se répar-tit entre le conseil général et l’institution judiciairesur la base de deux critères légaux : le risque et ledanger. L’article L. 226-4 du Code de l’action socia-le et des familles (CASF) impose, en effet, au prési-dent du conseil général d’alerter l’autorité judiciai-re lorsqu’un “mineur est victime de mauvais traite-ments ou est présumé l’être et qu’il est impossibled’évaluer la situation ou que la famille refuse mani-festement d’accepter l’intervention du service del’aide à l’enfance”. Ce texte se combine avec l’ar-

ticle 375 du Code civil qui définit la compétencedu juge des enfants en fonction du danger pour “lasanté, la sécurité ou la moralité d’un mineur” ou de“conditions d’éducation ou de développementphysique, affectif, intellectuel et social gravementcompromises”. Si les notions de mauvais traitementet de danger ne se recoupent pas totalement (2), laconstruction de l’article L. 226-4 du CASF quisubordonne le signalement à l’impossibilité d’inter-venir auprès des familles conduit à considérer quela protection administrative est la règle et la protec-tion judiciaire l’exception.Sur ce point, le rapport Naves-Cathala (3), qui sou-ligne la difficulté de vérifier que l’esprit des textessoit respecté du fait de l’absence de chiffres d’unefiabilité incontestable (4), retient les chiffres duministère de l’Emploi et de la Solidarité de 1998(5), selon lesquels, en 1996, sur 113 400 place-ments gérés par l’aide sociale à l’enfance, 66 %relevaient d’une décision judiciaire, contre seule-ment 12 % d’un accueil provisoire signé par lafamille. Aucun chiffre exploitable n’existait alorsconcernant les mesures d’assistance éducative enmilieu ouvert (6). Il semble donc que la pratiquediffère de l’esprit des textes, la prévention se trou-vant largement minoritaire (voir dans ce dossierl’article d’Isabelle Frechon).Quelle interprétation faire d’un tel constat ? Enamont de l’intervention judiciaire, les profession-nels travaillant dans le champ de la protection del’enfance sont généralement imprégnés par l’espritdes textes et ne saisissent l’autorité judiciaire quelorsqu’ils estiment avoir atteint les limites de laprévention administrative. Plusieurs interpréta-tions sont alors possibles pour expliquer la prédo-minance du judiciaire :– la difficulté pour les familles d’accepter l’intrusionde l’État dans la sphère domestique et la remise en

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 3: entre la prise en charge judiciaire et administrative

97n° 140 Informations sociales

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

judiciaire et administrativevue différenciés

cause de leurs méthodes éducatives les conduit àrefuser l’aide administrative : un retrait d’adhésionqui suffit à justifier la saisine de l’autorité judiciaireindépendamment de la notion de danger. La diffi-culté est alors d’évaluer à partir de quel moment lerefus des parents est “manifeste”, tel que l’exige letexte. La passivité de certains parents peut-elle êtreinterprétée comme un refus ? Qu’en est-il de l’ac-cord donné par eux lorsqu’il résulte de la peurqu’ils ont de la saisine du juge des enfants ?– les nécessités matérielles : par exemple, les exi-gences de certains établissements d’enseignementspécialisé qui demandent la mise en place d’unemesure judiciaire pour accueillir un enfant, ouencore les questions de prise en charge financièredes internats qui conduisent à tenter de contour-ner la politique du conseil général en matièred’aides financières ;– le recours à la symbolique judiciaire est égale-ment évoqué par les travailleurs sociaux qui signa-lent une situation, le plus souvent lorsqu’il existe unvolet pénal à la problématique de danger (un com-portement délinquant de l’enfant ou des poursuitespénales engagées contre l’un des parents). Dans ceshypothèses, le juge des enfants doit-il être le garantde la symbolique judiciaire ? Je ne pense pas qu’ilfaille généraliser. En effet, il convient, à mon sens,de ne pas dénaturer la place juridique du juge desenfants qui, dans le cadre de la protection de l’en-fance, est un juge civil. Ainsi, même si le recours àla symbolique judiciaire est un argument tout à faitacceptable et opportun dans de nombreuses situa-tions, il paraît, dans de nombreuses autres, uneforme de facilité résultant du fait que le juge desenfants est le magistrat le plus accessible et peut-être le mieux repéré. Mais la symbolique pourraitbien souvent être assurée par le procureur de laRépublique ou par le juge d’instruction. Parexemple, lorsque le mineur est délinquant et que letravailleur social souhaite uniquement que la loi luisoit rappelée, ne serait-il pas plus pertinent d’at-

tendre une saisine pénale du juge des enfants poureffectuer un tel rappel ? Car c’est alors la place duprocureur de la République, en sa qualité de garantdes poursuites, qui est questionnée.

Fluidifier le passagede l’administratif au judiciaireAu-delà de la question du signalement à l’autoritéjudiciaire, en amont de la procédure, se pose laquestion de l’articulation en cours de prise encharge judiciaire, soit par la possible interventionconcomitante des dispositifs administratif et judi-ciaire, soit en aval lorsqu’un non-lieu est envisagéen vue d’une prise en charge administrative.L’intervention simultanée des deux dispositifs estcelle qui pose le plus de difficultés, notammentsur le plan de la conception que l’on peut avoir dudispositif global de protection de l’enfance. Eneffet, dès lors que la loi permet une totale articu-lation entre les deux dispositifs, deux conceptionsexistent : celle qui estime que l’intervention judi-ciaire est exclusive de toute autre et celle quiconsidère, au contraire, que l’articulation des dis-positifs est un outil supplémentaire pour enrichirles prises en charge. Deux cas de figures permet-tent d’illustrer mon propos.Le premier est celui des fratries. Lorsqu’un enfantest en danger et que le reste de la fratrie ne l’estpas, mais nécessite néanmoins une prise en char-ge éducative, faut-il saisir le juge des enfants pourl’ensemble de la fratrie, afin de privilégier unecohérence éducative, ou faut-il, au contraire,poursuivre sur le mode administratif et ne saisir lejuge que de la situation du seul enfant en danger ?Le fait de répondre à cette question soulèveranécessairement des objections de la part de ceuxqui privilégient la réponse “au cas par cas”.Néanmoins, quelques lignes peuvent être déga-gées. En effet, ou bien on considère que doit êtreprivilégiée la nécessité de ne pas multiplier lesintervenants, ou encore qu’il convient de ne pas

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 4: entre la prise en charge judiciaire et administrative

98 Informations sociales n° 140

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

stigmatiser l’enfant en danger par rapport auxautres, et le juge des enfants est saisi du tout. Oubien on estime, au contraire, qu’il est important depréserver la symbolique judiciaire du danger, etn’est signalé que l’enfant concerné. Dans un cascomme dans l’autre, la marge de manœuvre dujuge des enfants varie. S’il est saisi de la totalité dela fratrie, il pourra, selon sa pratique, ordonnerune mesure éducative pour toute ou partie decelle-ci. En revanche, s’il n’est saisi que d’un seulenfant, il ne disposera généralement pas des élé-ments d’appréciation lui permettant d’étendred’office sa saisine aux autres enfants. Faut-il pourautant généraliser les signalements de fratrie afinde restituer au juge des enfants sa marge d’appré-ciation ? Je ne le pense pas, car l’esprit des textesvise à privilégier la prévention sur le judiciaire. Lejuge ne devrait donc être saisi que des cas de dan-ger afin de permettre, lorsqu’il y a une collabora-tion possible des parents, une intervention admi-nistrative sur le reste de la fratrie.Le second cas de figure est celui de la double priseen charge d’un même mineur. Dit autrement,peut-on envisager, lorsqu’un mineur en danger estsuivi dans le cadre d’une mesure d’Action éduca-tive en milieu ouvert judiciaire (AEMO), que lesparents signent un contrat d’accueil temporaire ?Là aussi, quelques arguments peuvent être déga-gés. Le caractère judiciaire du placement peut êtredéfendu quand les parents sont en difficulté pourgérer le sentiment de culpabilité que générerait lasignature d’un accueil temporaire. Un tel senti-ment pourrait les conduire à mettre rapidement unterme à la prise en charge, au détriment de la pro-tection de l’enfant. L’intervention du juge desenfants permet alors d’introduire de la neutralité etde garantir à l’enfant une continuité dans sa priseen charge éducative. Mais peut-on envisager lajudiciarisation à ce seul motif ? Je ne pense pas.Cela ne pourra bien évidemment se justifier qu’àcondition que l’enfant courre un danger s’ilretourne au domicile. Il m’apparaît en effet impor-tant de laisser aux parents le pouvoir de restermaîtres de la partie de la prise en charge qui relè-ve de leur autorité parentale. Dans le même ordre

d’idées, les contrats d’accueils temporaires ponc-tuels, principalement dans le cadre des vacancesscolaires, sont souvent refusés par les conseilsgénéraux, notamment pour des raisons budgé-taires. Faut-il pour autant multiplier ce qu’onappelle les “OPP (7) vacances”, cette pratique desjuges des enfants, très usitée dans le passé, quiconsistait à permettre à des enfants suivis dans lecadre d’une mesure d’AEMO de partir envacances par le biais d’un placement. Pour mapart, je considère que le recours à l’OPP doit res-ter exceptionnel. Ainsi, je ne l’ordonne, et doncne l’impose à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), quedans deux hypothèses : ou le mineur est en dan-ger s’il reste au domicile durant cette période, oule placement court est un outil pour travailler laséparation et, à plus long terme, envisager un pos-sible placement de longue durée.En dehors de l’intervention concomitante des deuxdispositifs, se pose également la question du pas-sage de relais en aval de la prise en charge judi-ciaire, lorsqu’un non-lieu est envisagé du fait de ladisparition du danger. Ce passage de relais estsimple et s’opère sans difficulté dès lors que le jugedes enfants et l’inspecteur référent de la situationse sont accordés sur ce point, comme c’est géné-ralement le cas en matière de placement. Enrevanche, la difficulté est plus importante lorsqu’ils’agit d’AEMO, pour deux raisons. D’une part, leservice éducatif habilité pour intervenir dans lecadre judiciaire est rarement le même que celuiqui intervient dans le cadre administratif. Le passa-ge de relais implique donc un changement d’inter-venant qui n’est pas toujours opportun et pourlequel recueillir l’adhésion de la famille est diffici-le. D’autre part, l’ASE n’intervient pas directement,sauf exception, dans la mesure d’AEMO (contrai-rement à la majorité des placements). De ce fait,elle n’est pas associée à la réflexion concernantl’existence du danger et le juge des enfants ne peutpas lui imposer la signature d’un contrat d’aideéducative à domicile. La décision de non-lieumentionnant la possibilité d’intervenir dans uncadre administratif peut alors être vécue commeune intrusion du juge dans les prérogatives du

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 5: entre la prise en charge judiciaire et administrative

99n° 140 Informations sociales

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

conseil général. Pourtant, il est primordial de pou-voir signifier aux familles la disparition du dangeret leur capacité à protéger leur enfant sans inter-vention du juge. C’est pourquoi il faut favoriserl’établissement de protocole de passage de relaisentre autorités administrative et judiciaire. Oractuellement, une telle articulation est soumise à laseule bonne volonté des partenaires locaux.

Vers quelle coordination ?La loi relative à la protection de l’enfance du 5mars 2007 ne modifie pas les dispositifs existantsmais donne un cadre légal à des pratiques éta-blies, telles les “cellules de signalement”. Enrevanche, elle vise à institutionnaliser une réellecoordination entre les autorités administrative etjudiciaire, à tous les stades de la procédure. Pour

cela, elle crée un nouvel alinéa à l’article L. 221-4 du CASF qui confie au président du conseilgénéral une mission de coordination avec l’auto-rité judiciaire, “en amont, en cours et en fin demesure, aux fins de garantir la continuité et lacohérence des actions menées”.Cet ajout peut paraître purement organisationnel,mais nous pouvons légitimement espérer que lesdiscussions qui accompagneront cette mission per-mettront un débat de fond, au sein des départe-ments, concernant les modalités d’une meilleurefluidité entre suivis administratif et judiciaire. Il fau-dra néanmoins attendre l’application effective dela loi et de cette disposition en particulier afin devoir de quelle façon les conseils généraux s’empa-reront de ce nouvel outil pour engager le débat.

NOTES

1 - L’article 371-1 alinéa 2 du Code civil dispose que “l’autorité parentale appartient aux père et mère jusqu’à la majorité oul’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettreson développement dans le respect dû à sa personne”.

2 - La loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance remplace la notion de “mineur maltraité” par celle de “mineuren danger”, afin d’harmoniser les concepts.

3 - Accueils provisoires et placements d’enfants et d’adolescents : des décisions qui mettent à l’épreuve le système françaisde protection de l’enfance et de la famille, rapport présenté par Pierre Naves et Bruno Cathala, juin 2001.

4 - Cette difficulté devrait, dans l’avenir, être écartée par le travail d’harmonisation des sources statistiques qu’effectue actuel-lement l’Observatoire national de l’enfance en danger, travail qui sera renforcé par la création des observatoires départemen-taux prévus par la loi sur la protection de l’enfance.

5 - L’aide sociale à l’enfance, bénéficiaires, séries chronologiques 1990-1996, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, août 1998.

6 - Ces proportions semblent être toujours d’actualité, puisque, dans le Val-de-Marne, en 2005, les chiffres étaient les suivants : 366accueils provisoires administratifs contre 1 109 placements judiciaires, et 429 aides éducatives à domicile contre 843 mesuresd’AEMO judiciaires et 710 mesures d’investigation (180 enquêtes sociales et 530 mesures d’investigation et d’orientation éducative).

7 - Ordonnances de placement provisoire.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 6: entre la prise en charge judiciaire et administrative

100 Informations sociales n° 140

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

> Le point de vue du conseil générald’Eure-et-LoirLa protection de l’enfance est une architecturecomplexe, peu lisible pour les usagers, voire pourles acteurs eux-mêmes. Depuis 2004, le conseilgénéral est chargé de la coordination de l’en-semble, tout en étant co-responsable avec l’État.Pour tous il importe de savoir qui arbitre, quidécide, qui exécute et qui est responsable…

Au moment où la solidarité se trouve de plus enplus sollicitée pour l’accompagnement des plusdémunis et le soutien entre les générations, le dis-positif de protection de l’enfance est interpellé sursa cohérence et son efficience au regard desmoyens qu’il mobilise.

Des constats préoccupantsLe dispositif de protection de l’enfance, aujour-d’hui (1), représente une dépense de 5milliards d’eu-ros pour l’ensemble des budgets départementauxd’ASE (sur les chiffres concernant la répartition desmesures, voir l’article d’Isabelle Frechon dans ce dos-sier). On observe une augmentation de 7 % dessignalements administratifs et judiciaires (soit 95 000en 2004), à laquelle s’ajoute un surcroît de signale-ments de mauvais traitements suspectés ou avérés,impliqués dans 20 % des cas (soit 19 000 en 2004).

Un cadre législatif et réglementairequi évolueRappelons les textes à l’origine du dispositif deprotection de l’enfance :– l’ordonnance du 23 décembre 1958 (art.375/CC) instaure l’assistance éducative et confie àl’autorité judiciaire la protection de l’enfant endanger ;– le décret du 7 janvier 1959 (art. R.221-1/CASF)confirme à la protection sociale la mission d’assu-rer la protection de l’enfant en risque de danger.Les lois de décentralisation (juin et juillet 1983) ontconduit à la redéfinition des fondements de l’inter-vention administrative par la loi du 6 janvier 1986

(art L. 221-1/CASF) comme devant “apporter unsoutien matériel, éducatif et psychologique auxmineurs confrontés à des difficultés susceptibles decompromettre gravement leur équilibre et meneren urgence des actions de protection à leur égard”.Par ailleurs, la loi du 10 juillet 1989 introduit unenouvelle catégorie de mineurs à protéger relevantde maltraitances, organise le recueil des signale-ments et définit, conformément à l’article L. 226-4 du Code de l’action sociale et des familles, lesmodalités de saisine du parquet par le présidentdu conseil général, dès lors “qu’un mineur est vic-time de mauvais traitements ou est présumé l’êtreet qu’il est impossible d’évaluer la situation ouque la famille refuse manifestement d’accepterl’intervention du service de l’aide sociale à l’en-fance”. Enfin, la loi du 2 janvier 2004 (CC) intro-duit l’exigence de la prise en compte de l’intérêtde l’enfant dans les décisions de protection qui leconcernent.Doivent également être prises en compte les modi-fications intervenues en ce qui concerne les droitsdes familles, tant dans leurs rapports avec l’Aidesociale à l’enfance (loi du 6 juin 1984 et décret du23 août 1985) que dans le cadre de la réforme del’assistance éducative (décret du 15 mars 2002).Ainsi, l’ASE doit concilier (sauf circonstancesexceptionnelles) les prérogatives de l’autoritéparentale qui ne sont pas incompatibles avec lamesure de placement (entretien, éducation, sur-veillance), tout en garantissant la capacité del’exercice des actes usuels de la vie courante parle service de prise en charge (vie quotidienne, loi-sirs, sorties, etc.).En matière d’assistance éducative, il s’agit deprendre en compte les prérogatives liées à l’auto-rité parentale en permettant l’accès au dossier eten garantissant le débat contradictoire. De ce fait,les familles peuvent, préalablement à l’audiencejudiciaire, consulter les pièces du dossier et pré-parer leurs arguments devant le juge des enfantsen toute connaissance de cause.En conséquence, on voit, au travers de l’évolution

Marie-Paule Martin-Blachais, directrice “Enfance et famille”, conseil général d’Eure-et-Loire

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 7: entre la prise en charge judiciaire et administrative

101n° 140 Informations sociales

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

du cadre législatif et réglementaire, un élargisse-ment des publics accessibles au dispositif de pro-tection administrative, ainsi qu’une déclinaisonpartielle des modes de saisine de l’autorité judiciai-re par le conseil général qui, depuis la loi du 10juillet 1989, définit seulement les situations de sus-picion de mauvais traitements, sans précision pourles autres catégories de mise en danger des mineurstelles que prévues au titre des mesures de protec-tion judiciaire (art. 375 et suivants du Code civil).Ceci peut faire obstacle à une clarification du cir-cuit de signalement, facilite la dispersion desmodes d’entrée dans le dispositif de protection del’enfance et accentue ses défaillances (saisine apriori du judiciaire, informations partielles, évalua-tion unilatérale des situations familiales, procédured’urgence injustifiée, etc.), ne rend pas suffisam-ment lisible la hiérarchie du dispositif, à savoir lafonction première de la protection administrativeet le recours subsidiaire à la protection judiciaire.La mise en place d’une cellule de signalementcentralisée au sein du département, telle que pré-vue dans le projet de réforme de la protection del’enfance, et la fonction de chef de file du disposi-tif de protection de l’enfance dévolue au présidentdu conseil général devraient considérablementaméliorer la procédure de recueil de signalementscomme l’articulation entre ce qui relève de l’ad-ministratif et du judiciaire.

Le conseil général, chef de file…Depuis 1970, de nombreux rapports, dont plus desix en 2005 (2), soulignent la complexité du dis-positif, son manque de lisibilité et de complémen-tarité, qui devrait pourtant reposer sur la co-res-ponsabilité des autorités administratives et judi-ciaires.L’acte I de la décentralisation (juin et juillet 1983)attribue la prévention et la protection sociale audépartement ; l’acte II, dans le cadre de la loi du13 août 2004, confie au président du conseilgénéral la compétence de chef de file de l’actionsociale sur le territoire départemental aux fins decoordination de l’ensemble des acteurs.Le dispositif de protection de l’enfance fonction-

nant sous la co-responsabilité publique de l’État etdu conseil général, il convient que, conformémentà la circulaire du 10 janvier 2001, l’État, sous l’au-torité du préfet, garantisse la coordination desadministrations d’État (police, gendarmerie, juri-dictions, PJJ, Éducation nationale, Jeunesse etSports, DDASS) avec les politiques départemen-tales locales associant l’ensemble des acteurs (col-lectivités locales, secteur associatif, établissementspublics, établissements privés habilités).L’existence de schéma de protection de l’enfanceconjoint (État/département), l’élaboration dechartes partenariales, de protocoles et de procé-dures partagées, la mise en œuvre de conférencesannuelles de la famille, etc. sont autant d’élémentsfavorables à la consolidation du dispositif, à la cla-rification des rôles et des fonctions de chacun, àl’amélioration de la complémentarité des acteurs.

Un défaut d’articulationEn effet, le président du conseil général disposed’une fonction de protection générale des mineursaccueillis hors du domicile familial, au titre del’article L. 227-1 du CASF. Par ailleurs, quand lemineur est confié à des particuliers ou à des éta-blissements au titre des articles 375 et suivants,celui-ci est placé, conformément à l’article L. 227-2 du CASF, sous la responsabilité conjointe duprésident du conseil général et du juge desenfants. Enfin, lorsque le mineur, par décision dujuge des enfants, est confié à l’ASE en qualité deservice “gardien”, il revient en même temps auconseil général la charge “d’organiser, de dirigeret de contrôler la vie de ce mineur et donc la res-ponsabilité de ses actes”, celle-ci n’étant pas fon-dée sur l’autorité parentale mais sur la garde (Courde cassation, 1996).Pour l’accomplissement de ses missions et sanspréjudice de ses responsabilités vis-à-vis desenfants qui lui sont confiés, le service de l’ASEpeut faire appel à des organismes publics ou pri-vés habilités ou à des personnes physiques. Le ser-vice contrôle les personnes physiques ou moralesauxquelles il a confié des mineurs en vue de s’as-surer des conditions matérielles et morales de leur

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 8: entre la prise en charge judiciaire et administrative

102 Informations sociales n° 140

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

placement (art. L. 221-1 du CASF).De ce fait, la multiplicité des responsabilitésgagnerait à être clarifiée au regard de la complexi-té des postures des décideurs dans le dispositif, quirend peu lisibles les lieux de décision et d’arbitra-ge quand il s’agit de concilier les prérogatives entrejuge des enfants, service gardien, familles et éta-blissements ou services de prise en charge.Prenons l’exemple d’un des enfants d’une famillefaisant l’objet d’une décision de placement judi-ciaire par le juge des enfants pour mise en dangerdu mineur. Il est confié à l’ASE et orienté dans unétablissement social habilité. Dans ce cas, lesparents détiennent toujours l’autorité parentale,mais le service de l’ASE est déclaré civilement res-ponsable, y compris lors des retours en héberge-ment familial. Quelques questions sont soule-vées : quelle représentation se font les parents dela répartition des prérogatives entre juge desenfants et service de l’ASE s’il y a demande d’hé-bergement chez un tiers ? Quelle articulationentre responsabilité du service ASE en qualité deservice “gardien” et projet individuel personnaliséde l’établissement d’accueil tel que prévu au titrede la loi du 2 janvier 2002 ? Quelles seront lesmodalités relationnelles entre parents et établisse-ment alors que le commanditaire est l’ASE et nonles parents, et l’usager le mineur confié ? Quellesseront les modalités relationnelles dans le disposi-tif triangulaire juge des enfants, ASE et établisse-ment ou service public ou privé habilité, en matiè-re d’information, de décision, d’arbitrage, decoordination et de recours ?

Le passage du champ administratifau champ judiciaireL’évolution des notions (danger, risques de danger,maltraitance…) retenues pour identifier lespublics pris en charge interrogent aujourd’hui surles critères de champs de référence. Par manquede définition consensuelle du danger ou du risquede danger, il apparaît plus pertinent de retenir laprotection administrative dans le champ du

contractuel ; c’est-à-dire requérant l’accord desparties devant une problématique reconnue, iden-tifiée, partagée, pour laquelle les mesures d’aidesproposées font l’objet d’un document, conformé-ment à l’article L. 223-1 et R.223-6 du CASF,contractualisé et formalisé, opposable et intégrantles voies de recours. Il s’agit donc bien d’unedémarche d’accompagnement négociée sanscontrainte, librement consentie et co-construitepar les deux parties.L’absence de ces conditions devrait conduire à lasaisine de l’autorité judiciaire (déni, conflit,impossibilité d’évaluer, refus des mesures d’aideproposées), telle que prévue au titre de la loi du10 juillet 1989 relative aux mauvais traitements.La diversité des origines des signalements (sani-taires, sociaux, éducatifs, familiaux, etc.) et lamultiplicité des portes d’entrée (signalement auprésident du conseil général, saisine directe duparquet ou du juge des enfants) dans le dispositifde protection de l’enfance sont assez caractéris-tiques de notre système français. Il ne permet pasla mise en place d’une organisation garantissant lahiérarchisation des réponses au regard de la com-plexification des problématiques posées et lerecours du judiciaire en seconde intention – dèslors que la protection administrative ne peut assu-rer la mesure de protection initiale.L’externalisation de certaines mesures (comme leplacement direct ou l’assistance en milieu ouvert)fonctionnant en auxiliaire de justice sans réelengagement formalisé dans le dispositif de protec-tion de l’enfance ne permet pas de garantir lenécessaire travail en réseau, la continuité du par-cours de l’enfant et de sa famille ni la complé-mentarité des actions, mais peut parfois induireclivage et rupture dans la prise en charge auniveau du système de protection de l’enfance,compromettant le sens et la cohérence de l’action.Aussi, un dispositif de droit commun de protec-tion de l’enfance et une articulation coordonnéedes actions permettraient une meilleure cohéren-ce du dispositif.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F

Page 9: entre la prise en charge judiciaire et administrative

103n° 140 Informations sociales

L’enfant dans le système administratif et judiciaireRU B R I QU E

NOTES

1 - Sources : enquête nationale 2004 ; rapport annuel 2005 de l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (ODAS).

2 - Voir dans ce même numéro (article de Manuel Palacio) la liste des rapports récents.

Bibliographie> Marie-Paule Martin-Blachais, “Le petit enfant en souffrance aux lisières de la cité”, Édition ANPA-SE, Émergence, n° 74, 2006, p. 81-84

> Didier Houzel, Les enjeux de la parentalité, Érès, 1999.

> Louis de Broissia, L’amélioration de la prise en charge des mineurs protégés, rapport au ministredélégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille, juillet2005.

> Joseph Goldstein, Anna Freud, Albert J. Solnit, Dans l’intérêt de l’enfant, ESF, 1980.

Réinvestir le champde la préventionLes travaux des experts (Anna Freud, John Bowlby,Esther Bick…) s’accordent sur le fait que la cellu-le familiale est le premier lieu d’expérience et desocialisation de l’enfant : lieu de découverte etd’apprentissage, d’attachement, d’identification etde structuration de l’estime de soi au regard del’accès à une sécurité interne suffisante. Ceci plai-de pour développer le champ de la prévention etde la protection administrative, pour favoriser lessynergies des adultes qui entourent l’enfant etainsi tisser le nécessaire réseau partenarial deprise en charge. L’enfant doit être au centre des

préoccupations institutionnelles.En conséquence, au regard d’un dispositif actuel quise caractérise par une forte judiciarisation des situa-tions et une majorité de mineurs confiés à l’ASE, ilest nécessaire de clarifier, tant pour les enfants etleurs familles que pour les acteurs eux-mêmes, l’ar-chitecture de notre dispositif de protection de l’en-fance aux fins d’identifier les lieux d’arbitrage, dedécision, de coordination, demise enœuvre, d’exé-cution, de responsabilité et de recours. C’est undouble souci de transparence pour les usagers et desécurisation des fonctions et des pratiques pour lesprofessionnels qui doit nous guider.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 92

.137

.84.

132

- 10

/02/

2014

11h

33. ©

CN

AF

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 92.137.84.132 - 10/02/2014 11h33. © C

NA

F