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1 Histoire abrégée du Franc-Lyonnais et de la principauté de Dombes par Jean-Jacques TIJET Rares sont les départements français comme celui de l’Ain - sur lequel se situaient le Franc- Lyonnais (en grande partie) et la principauté de Dombes - à présenter une telle géographie : il est composé de plusieurs « pays » aussi divers que le Bugey, la Dombes, la Bresse et le Revermont 1 . Ne dit-on pas d’ailleurs, les Pays de l’Ain ? A l’est le Bugey est une contrée de montagnes et de plateaux (le Jura) mais aussi de combes et de vallées, comme celle de la rivière Séran - qui se jette dans le Rhône à Cressin-Rochefort, près de Belley - appelée le Valromey ; les principales cités sont Nantua au nord, Belley au sud et Ambérieu à l’ouest. Au nord-est de Lyon, sur un plateau coincé entre Saône et Rhône, la Dombes est une zone d’étangs (on en compterait plus de mille) dont Chatillon-sur-Chalaronne, Villars-les-Dombes, Trévoux et Méximieux sont les fleurons. Elle est séparée du Bugey (à l’est donc) par la rivière Ain. Au nord de la Dombes, la Bresse offre un paysage de bocages et donne à l’Ain sa capitale Bourg-en-Bresse mais aussi de charmants villages comme St Trivier-de-Courtes au nord, Montrevel au centre et Bâgé-le-Châtel en face de Mâcon. Le Revermont s’étend autour de Coligny - délimité au nord par St Amour et par Treffort-Cuisiat au sud - avec 2 zones géographiques différentes, les premiers contreforts du Jura pour l’une et la plaine bressane qui les longe pour l’autre. (voir la première carte à la fin du document pour le situer) Après les temps obscurs et difficiles de la fin du premier millénaire et suite à une certaine stabilisation de la société féodale - vers le début du XI e siècle - 5 principales seigneuries (elles sont terres d’Empire 2 puisque situées à l’est de la Saône) se partageaient l’ensemble de la région, celle de Baugé qui était certainement la plus importante car elle englobait une grande partie de la Bresse actuelle (en juillet 1272 par le mariage de Sibille - l’unique fille du dernier seigneur Guy II - avec un prince de Savoie - qui deviendra en 1285 le comte Amédée V, plus tard surnommé « le Grand » - elle devient possession de la Maison de Savoie) et une partie de la Dombes du nord ; elle avait pour « capitale » Bâgé 3 , 1 J’oublie volontairement le Pays de Gex, hors sujet… que les Gexois me pardonnent ! 2 Leurs seigneurs étaient-ils vassaux directs de l’empereur ou vavasseurs (c'est-à-dire vassaux d’un autre vassal comme le comte de Bourgogne) ? Ce n’est pas toujours évident. 3 Pourquoi au fil du temps, Baugé est devenu Bâgé ? Mystère…

Histoire du Franc-Lyonnais et de la principauté de Dombes

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Histoire abrégée

du Franc-Lyonnais et

de la principauté de Dombes par Jean-Jacques TIJET

Rares sont les départements français comme celui de l’Ain - sur lequel se situaient le Franc-

Lyonnais (en grande partie) et la principauté de Dombes - à présenter une telle géographie : il est composé de plusieurs « pays » aussi divers que le Bugey, la Dombes, la Bresse et le Revermont1. Ne dit-on pas d’ailleurs, les Pays de l’Ain ?

A l’est le Bugey est une contrée de montagnes et de plateaux (le Jura) mais aussi de combes et de vallées, comme celle de la rivière Séran - qui se jette dans le Rhône à Cressin-Rochefort, près de Belley - appelée le Valromey ; les principales cités sont Nantua au nord, Belley au sud et Ambérieu à l’ouest.

Au nord-est de Lyon, sur un plateau coincé entre Saône et Rhône, la Dombes est une zone d’étangs (on en compterait plus de mille) dont Chatillon-sur-Chalaronne, Villars-les-Dombes, Trévoux et Méximieux sont les fleurons. Elle est séparée du Bugey (à l’est donc) par la rivière Ain.

Au nord de la Dombes, la Bresse offre un paysage de bocages et donne à l’Ain sa capitale Bourg-en-Bresse mais aussi de charmants villages comme St Trivier-de-Courtes au nord, Montrevel au centre et Bâgé-le-Châtel en face de Mâcon.

Le Revermont s’étend autour de Coligny - délimité au nord par St Amour et par Treffort-Cuisiat au sud - avec 2 zones géographiques différentes, les premiers contreforts du Jura pour l’une et la plaine bressane qui les longe pour l’autre. (voir la première carte à la fin du document pour le situer)

Après les temps obscurs et difficiles de la fin du premier millénaire et suite à une certaine

stabilisation de la société féodale - vers le début du XIe siècle - 5 principales seigneuries (elles sont terres d’Empire2 puisque situées à l’est de la Saône) se partageaient l’ensemble de la région,

celle de Baugé qui était certainement la plus importante car elle englobait une grande partie de la Bresse actuelle (en juillet 1272 par le mariage de Sibille - l’unique fille du dernier seigneur Guy II - avec un prince de Savoie - qui deviendra en 1285 le comte Amédée V, plus tard surnommé « le Grand » - elle devient possession de la Maison de Savoie) et une partie de la Dombes du nord ; elle avait pour « capitale » Bâgé3,

1 J’oublie volontairement le Pays de Gex, hors sujet… que les Gexois me pardonnent !

2 Leurs seigneurs étaient-ils vassaux directs de l’empereur ou vavasseurs (c'est-à-dire vassaux d’un autre vassal comme le

comte de Bourgogne) ? Ce n’est pas toujours évident. 3 Pourquoi au fil du temps, Baugé est devenu Bâgé ? Mystère…

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celle de Thoire (le château du seigneur dominait la commune actuelle de Matafelon-Granges dans le Bugey) qui absorbera - à la fin du XIIe siècle - la plus grande seigneurie de la Dombes, celle de Villars (la fille et héritière du dernier sire de Villars – qui meurt en 1187 – est mariée à Etienne de Thoire),

celle de Coligny4 qui se partage entre Bugey et Bresse et celle de Montluel (certainement la plus petite - en terme de superficie - des 5, qui comprenait le

territoire autour de Béligneux-La Valbonne aujourd’hui, Sathonay, Les Echets et Pérouges). Comme les terres, à cette époque, étaient partagées entre seigneurs laïcs et seigneurs

ecclésiastiques il faut mentionner aussi comme propriétaires fonciers de la région, l’évêque de Belley qui était seigneur temporel de la ville, les grands monastères comme l’abbaye bénédictine d’Ambronay (à 4 km au nord d’Ambérieu), l’abbaye de Saint Rambert (dans la vallée de l’Albarine, à 10 km au sud-est d’Ambérieu), l’abbaye de Nantua et même des abbayes « étrangères » comme les « lyonnaises » de l’Île-Barbe et d’Ainay (possessionnées en Dombes et Bresse) sans oublier l’abbaye bénédictine dauphinoise de Saint Chef qui possédait des terres en Bugey !

Tous ces territoires ont été, durant le Moyen Âge et la Renaissance, des lieux d’alliances et de conflits entre les seigneurs des principautés « locales » que nous venons de citer mais également des lieux privilégiés de conquêtes pour les grands seigneurs environnants comme le roi de France, le comte puis duc de Savoie, le dauphin de Viennois, l’Eglise de Lyon en tant que comte de Lyon, le comte de Genève et les sires de Beaujeu de l’autre coté de la Saône sans oublier les comte et duc de Bourgogne au nord !

Le Franc-Lyonnais et la principauté de Dombes – au nord de Lyon - petits territoires « historiques » enclavés dans la Dombes et la Bresse et résultats de coutumes et de traditions – qui furent maintenues par suite de ce respect que l’on avait alors pour les usages établis5 - ont eu, c’est le moins que l’on dire, une origine et une « existence » peu banales.

Il était une fois le Franc-Lyonnais… toutes les histoires extraordinaires et mystérieuses

commencent ainsi et c’est le cas de cette minuscule contrée ! D’abord, quel était son territoire ? Même s’il a évolué avec le temps et avec le développement des paroisses (l’équivalent des communes d’aujourd’hui) on peut le situer sur une bande d’environ une douzaine de kilomètres de long (3 lieues dans les textes anciens) pour environ quatre kilomètres de large ; il était constitué de treize paroisses, formant deux enclaves distinctes séparées par le village de Trévoux :

dans l’une, Cuire-La-Croix-Rousse6, Caluire (sauf les quartiers de Saint-Clair et de Vassieux), Fontaines, Rochetaillée, Fleurieu, Vimy (Neuville-l’Archevêque depuis la fin du XVIIe siècle lorsque Camille de Neuville de Villeroy, archevêque de Lyon, devient seigneur temporel du village et Neuville-sur-Saône aujourd’hui), Genay, Bernoud (aujourd’hui hameau de Massieux), Civrieux et St Jean-de-Thurigneux,

et dans l’autre, St Bernard, Jassans-Riottier et St Didier-de-Formans. (voir la deuxième carte à la fin du document) Sachant que les terres de ces 13 villages n’étaient pas contenues entièrement dans le Franc-

Lyonnais on ne peut que constater la complexité de la situation7 ! Pourquoi ces villages ou ces hameaux ou même parfois ces quelques maisons font partie de ce territoire et pas d’autres ? C’est un mystère ou plutôt… à la suite de faits et circonstances que la nuit des temps a recouverts ! Essayons cependant de citer quelques évènements plus ou moins avérés.

A l’origine, ils « appartenaient » aux sires de Villars puis à ceux de Thoire-Villars. En 1187 une grande partie du sud de la Dombes – mais l’ensemble du territoire du futur Franc-Lyonnais - est cédée à l’abbaye de l’Île-Barbe par Etienne de Villars lorsque celui-ci est reçu comme chanoine d’honneur de ladite abbaye. De ce fait, ces villages ne sont pas concernés par le traité de

4 La dynastie des Coligny sera célèbre au XVI

e siècle avec l’amiral Gaspard de Coligny, chef protestant assassiné le 24 août

1572 à Paris (point de départ du massacre de la St Barthélémy). Voir mon document Brève histoire de la sirerie de Coligny avec

des révélations sur son illustre seigneur Gaspard II de Coligny. 5 André Steyert (1830-1904) dans sa Nouvelle histoire de Lyon

6 Cuire sera rattachée à Caluire fin 1790 (loi définitive votée en mai 1797) et La Croix-Rousse – devenue commune à la

même époque - au IVe arrondissement de Lyon en 1852

7 … le tiers de Caluire, le quart de Civrieux, quelques maisons de St Jean-de-Thurigneux, etc. d’après André Steyert

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rattachement du comté de Lyon au domaine royal des souverains français, signé en avril 1312 à Vienne entre le roi Philippe IV le Bel, l’archevêque de Lyon Pierre de Savoie et son Chapitre et des représentants de la bourgeoisie lyonnaise. Peu à peu toutes les terres de la seigneurie de Thoire-Villars deviennent possession des comtes de Savoie sauf celles qui appartiennent à l’abbaye. A la fin du XIVe et au début du siècle suivant – époque de grands troubles dus à la guerre de Cent-Ans – les habitants de celles-ci demandent protection – moyennant finance - au seul seigneur capable de les aider à se défendre en cas d’attaque de bandes de mercenaires « sans employeurs » qui dévastaient alors le pays (les fameux Tard-Venus – « venus après les autres à la curée de la France » - ou les célèbres Grandes Compagnies), le comte de Savoie (duc à partir de 1416). Cependant il ne s’agit pas d’annexion et la contrée reste « indépendante » de tous liens vassaliques même si elle est théoriquement, terre d’Empire.

Il y a aussi un mystère en ce qui concerne la date de réunion de ces terres à la France qui serait aussi la date de leur appellation de Franc-Lyonnais. Il me semble qu’elle s’est effectuée en plusieurs étapes.

Dans un premier temps Charles VII - vers les années 1455, auréolé de ses victoires sur les Anglais ? – demande expressément au duc de Savoie Louis Ier de « desserrer » l’emprise qu’il s’était permis de prendre sur la région et ordonne au bailli de Mâcon de prendre sous sa protection les habitants8.

Quelques années plus tard, son fils le roi Louis XI essaie d’étendre son influence en Savoie où règne le falot duc Amédée IX marié à Yolande de France, sa propre sœur ! Alors, faut-il croire que Louis XI - qui est venu plusieurs fois à Lyon – s’est entendu à la fois avec l’Eglise (l’archevêque de Lyon ou l’abbé de l’Île-Barbe) et avec la Maison de Savoie pour s’approprier cette minuscule province et ne pas laisser à un prince étranger un pays qui s’étendait jusqu’aux portes de Lyon ? (d’après l’abbé Gacon dans son Histoire de Bresse et de Bugey édité en 1825). C’est possible et, de toute manière, tous les historiens semblent d’accord pour dire qu’au début du XVIe siècle le Franc-Lyonnais est français en se basant sur 2 constatations :

� le terme « Franc-Lyonnais » apparait pour la première fois dans un document daté de 1473,

� le Parlement de Paris reconnaît les franchises et privilèges du Franc-Lyonnais en 15259. Admettons ces faits mais n’oublions pas qu’aucun érudit n’a pu déterminer avec précision, qui a déclenché l’annexion et quand elle a été effective ! Terminons avec la citation d’Antoine Grand10 «… le Franc-Lyonnais, à la fin du XVe siècle, s’était soustrait à la protection des princes de Savoie pour se placer sous l’égide plus sûre des rois de France ».

Par contre les conditions de la réunion sont bien connues car elles ont perduré jusqu’à la Révolution de 1789 ! Ce sont celles d’une sorte de protectorat :

� les Francs-Lyonnais étaient affranchis de toute espèce d’imposition directe ou indirecte (aide, gabelle, taille par exemple)

� en retour de cette franchise, ils devaient payer au trésor royal une contribution de 3 000 livres tous les 8 ans (appelé le don gratuit)11.

Pourquoi ces avantages si particuliers ? A la fin du XVe siècle, annexer purement et simplement ce « morceau d’empire » aurait été contraire au droit coutumier féodal qui régissait encore les relations entre monarques et grands seigneurs ; c’est la raison pour laquelle on a conseillé au roi de France de prendre sous sa protection ce territoire… qui ne fait pas partie du royaume puisque ses habitants ne paient pas d’impôts !

8 Selon Martin Basse dans son Histoire de Caluire-et-Cuire. Etonnant car le Mâconnais - après avoir été acheté par Louis IX à

son dernier seigneur Jean de Braine en 1239 - était, à cette époque, rattaché au duché de Bourgogne… Rappelons que le bailli

est sensé représenter le roi qui lui a délégué la charge de rendre la justice en son nom dans une entité territoriale. 9 Personnellement je doute de cette date car François I

er, défait à Pavie le 24 février 1525, est prisonnier de Charles Quint...

en captivité, se préoccupait-il de ce minuscule bout de territoire en Lyonnais ? A l’époque le Parlement de Paris est le seul en

France. Dans ses attributions non judiciaires, il enregistre les ordonnances et édits royaux. 10

Historien lyonnais (1856-1923) 11

Il faudrait pouvoir comparer ces livres du début du XVIe avec les euros du début du XXI

e d’une part et connaître le nombre

de « feux » ou familles qui devaient payer d’autre part, pour nous rendre compte de l’importance de cette contribution !

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Un syndic élu parmi les habitants était responsable du maintien des privilèges et de la bonne gouvernance de ce mini Etat (dont la capitale a d’abord été Genay puis Neuville à la fin du XVIIe siècle) régi par les codes habituels d’alors : le Sénéchal de Lyon jugeait les causes en premier ressort et les instances en appel étaient portées au Parlement de Paris12. Les exemptions de tout impôt et le paiement du don gratuit ont été renouvelés constamment par tous les rois de France mais se terminent, fin 1789, lorsque l’Assemblée nationale constituante découpe le territoire de la France en départements. Le nivellement général voulu par l’Assemblée qui supprime, sur l’ensemble du pays, tous les privilèges et les coutumes ancestrales, met fin à la belle histoire du Franc-Lyonnais.

L’histoire de la principauté de Dombes dont Trévoux était la capitale est plus facile à tracer. Elle débute lorsque le 15 juillet 1218 Marguerite de Baugé - la fille de Guy Ier sire de Baugé - épouse le baron Humbert V de Beaujeu. Les terres entourant la petite cité de Miribel deviennent alors – par contrat de mariage - un fief des Beaujeu, seigneurs de notre Beaujolais actuel et donc vassaux du roi de France (puisque leurs possessions sont à l’ouest de la Saône). C’est la première incursion d’un « prince français » dans un territoire « terre d’Empire » puisque situé à l’est de la Saône.

La deuxième étape est encore un mariage, celui d’Anne, à la fois comtesse de Forez par sa mère et dauphine d’Auvergne par son père, qui épouse en 1371 Louis II duc de Bourbon, descendant de Robert de Clermont, dernier fils du roi Saint Louis et à l’origine de la fameuse lignée13. L’année suivante, à la mort de Jeanne de Forez - la mère d’Anne - le Forez devient une possession du duché du Bourbonnais.

En 1400 le duc Louis II « reçoit » la seigneurie de Beaujeu (soit l'ensemble des territoires de la maison de Beaujeu, situés d’une part rive gauche de la Saône, également appelé à l'époque Beaujolais à la part de l'empire, et d’autre part rive droite le Beaujolais propre, fief du royaume de France) par décision du Parlement de Paris suite à la condamnation pour félonie d’Edouard II, dernier sire de Beaujeu, qualifié de brutal, insolent, débauché, chicanier et cupide… (il meurt d’ailleurs peu de temps après ; il était harcelé par ses créanciers et en lutte avec les bourgeois de sa cité de Villefranche. La Savoie contestera toujours cette cession car ses comtes recevaient autrefois l’hommage des seigneurs de Beaujeu).

En 1402 Humbert VII de Thoire-Villars (son fils unique est décédé) vend ses terres en les partageant entre le jeune comte de Savoie Amédée VIII14 - celles se trouvant à l’est - et le duc de Bourbon Louis II pour celles qui longent la Saône (Trévoux, Ambérieux et Le Châtelard notamment).

Cet entreprenant et chanceux – ou intrigant ? - duc de Bourbon est ainsi, au tout début du XVe siècle, possessionné en France (Bourbonnais, Forez, Beaujolais15) et en Empire (une partie de la Dombes et de la Bresse). Il établit alors, sur son territoire situé rive gauche de la Saône, un véritable État souverain (c’est le terme employé par la plupart des historiens ; si on prend en compte les « mœurs de l’époque » cela doit signifier en réalité qu’il crée une institution appelée Conseil souverain où siégeaient son représentant - appelé parfois gouverneur -, un ecclésiastique, un procureur et quelques conseillers choisis parmi les habitants les plus aisés ; il servait essentiellement de tribunal d’appel en matière civile et criminelle et réglementait la sécurité publique), indépendant du royaume de France… jusqu’en 1523, année où tous les domaines de son descendant - par son mariage avec l’héritière Suzanne de Bourbon16 - Charles III de Bourbon-Montpensier, duc de Bourbon, duc d’Auvergne, comte de Forez, seigneur de Beaujeu et prince souverain de la principauté de Dombes mais aussi connétable de France seront confisqués par François Ier à la suite de sa trahison.

Celle-ci est liée à une affaire d’héritage et d’honneur, semble-t-il, pour ce personnage très ambitieux. Charles de Montpensier (Montpensier est un comté d’Auvergne) par son mariage avec Suzanne de Bourbon (en 1505) devient le seigneur le plus riche de France. Mais à la mort de

12

D’après l’abbé Gacon dans son Histoire de la Bresse et du Bugey 13

Elle s’intitule Bourbon, par le mariage de Robert avec Béatrice de Bourgogne, dame de Bourbon. 14

Il commence ainsi une « brillante carrière » puisqu’il sera duc, pape, évêque et cardinal… 15

Son fils Jean Ier

en épousant – en 1400 – Marie, duchesse d’Auvergne incorporera l’Auvergne dans ses possessions 16

Suzanne est l‘unique enfant du duc de Bourbon Pierre II (de Beaujeu) et d’Anne de France, fille du roi Louis XI. Son mari

Charles de Bourbon-Montpensier est issu d’une branche cadette de la famille des Bourbons (de Louis, 2e fils de Jean I

er).

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celle-ci (avril 1521) il est plus ou moins déshérité par François Ier qui, en plus, le met à l’écart durant une campagne militaire menée en Picardie en 1521. S’estimant lésé – en tant qu’héritier - et humilié – en tant que connétable - il se met à la disposition de l’ennemi de son roi, le roi d’Espagne et empereur du Saint Empire germanique Charles-Quint ; il prend ainsi, une grande part à la défaite et à la capture de François Ier à Pavie en 1525.

Dans un premier temps la principauté de Dombes est donnée à la mère du roi, Louise de Savoie et, à la mort de celle-ci en 1531, rattachée au domaine royal17. C’est à cette époque qu’est créé, par François Ier, le Parlement de Dombes ; à l’image de celui de Paris, il a une double fonction, celle d’une cour souveraine de justice et celle d’un centre d’enregistrement de tous les actes et jugements liés à la gouvernance de la principauté. Cependant il est spécial car il est aussi Chambre des Comptes18 chargée du contrôle des recettes et dépenses. Il siège à Lyon en « territoire emprunté » et est composé du Gouverneur de Lyon, du Sénéchal (c’est le premier officier de l’administration royale), du Procureur et divers autres administrateurs. C’est certainement aussi à cette époque que les habitants obtiennent les mêmes exemptions d’impôts que ceux du Franc-Lyonnais, à partir (je le suppose selon les mœurs de l’époque) d’immunités ancestrales qu’ils avaient obtenues de leurs anciens seigneurs. Je ne suis pas sûr, par contre, qu’ils les aient conservées car, d’après l’abbé Gacon… la gabelle19 fut introduite en Dombes en 1577 et d’après André Steyert, au début du XVIIIe siècle, …il faut signaler l’augmentation de l’impôt sur le vin, destiné à arrêter la multiplication des cabarets et le développement excessif de la vigne qui tendait à envahir les terres, au détriment des autres produits. Par contre ils étaient soumis au don gratuit car l’abbé Gacon révèle qu’en 1693, le duc du Maine alors prince souverain de la principauté de Dombes, différa de deux ans son paiement, à cause de la disette qui était en Dombes aussi bien qu’en France.

C’est le roi François II (petit-fils de François Ier) qui, par un décret du Parlement de Paris daté du 27 septembre pour les uns, 27 novembre pour les autres, de l’année 1560, restitue le territoire au descendant de Charles, Louis II de Bourbon-Montpensier (c’est le fils de Louise de Bourbon-Montpensier, sœur du connétable) : la principauté de Dombes redevient, ainsi, souveraine. Quelles ont été les raisons de ce jeune roi maladif ? (il a 16 ans et meurt quelques jours plus tard, le 6 décembre après un règne de 17 mois) Aucun historien – à ma connaissance – ne les évoque ! On peut supposer que les requêtes de la famille Bourbon-Montpensier ont été nombreuses et qu’elles ont enfin abouti sous le règne de ce faible roi ; son frère, le roi Charles IX, confirme cependant cette opération par une transaction du Parlement de Paris en juin 1561.

Je n’ai pas évoqué les conflits séculaires entre d’une part, la seigneurie de Thoire-Villars puis celle de Beaujeu puis enfin le royaume de France avec d’autre part, le comté puis duché de Savoie pour la domination de la Bresse, de la Dombes (en dehors de la principauté et du Franc-Lyonnais), du Bugey et du Valromey (tous ces territoires avaient été acquis par la Savoie – par alliance ou traité mais aussi par grignotage – depuis le XIIe siècle) mais ils étaient bien réels durant et depuis la guerre de Cent Ans : c’étaient des luttes de frontière et de prédominance – sur fond de système féodal - sur des territoires et châteaux à la limite de ces pays20. Ils prirent fin par le traité de Lyon signé entre Henri IV et le duc Charles-Emmanuel Ier en janvier 1601. L’annexion définitive de ces provinces par la France21 qui met fin à plus de 3 siècles de domination savoyarde, permet à Lyon et à nos 2 « mini Etats » de ne plus être places frontières et selon André Steyert « … de n’être

17

C’est l’illustre Jacques de Chabannes seigneur de La Palice, gouverneur du Lyonnais et maréchal de France qui reçoit en

1523, à la place de son roi, les serments de fidélité des nobles et communautés de la province. Il sera blessé mortellement à

Pavie en 1525 ; ses compagnons d’armes – sachant qu’il était extrêmement apprécié des dames… - lui décerneront le (très

médiocre) compliment post mortem suivant « Hélas, La Palice est mort. Est mort devant Pavie. Hélas, s’il n’était pas mort. Il

ferait encore envie » qui, comme chacun sait, sera déformé fâcheusement pour passer à la postérité ! 18

Crée par Saint Louis, c’est l’ancêtre de la Cour des comptes 19

C’est un impôt indirect sur le sel… qui fait l’objet d’un monopole d’état (il permet la conservation des aliments) 20

La bataille la plus importante est celle de Varey (au sud-est de Pont d’Ain) le 7 août 1325 entre le comte de Savoie et le

sire de Beaujeu contre le dauphin du Viennois allié au comte de Genève 21

Depuis l’avènement d’Henri IV (1589) la France et la Savoie étaient en guerre (l’une avait envahi l’autre). En contrepartie

la France cède à la Savoie le marquisat de Saluces… minuscule territoire mais stratégique – à l’époque – car il contrôlait un

passage entre la France et le Piémont (voir pour détails mon texte sur Les occupations françaises de la Savoie).

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plus exposés à chaque instant aux surprises d’un ennemi, qui pouvait venir assaillir leurs portes par la seule connivence du duc de Savoie ».

Maintenant que sa géographie et son histoire sont stabilisées, évoquons son territoire. Il était divisé en 3 parties enclavées dans la Dombes et la Bresse, la première qui longeait la Saône de Trévoux à Thoissey comprenait Ambérieux (en Dombes) et St Trivier, la seconde était disposée en V avec, aux extrémités, Le Chatelard, Chalamont et Lent et la troisième – minuscule - appelée « la Suisse en Dombes » à l’intérieur d’une zone appelée « le couloir bressan » (car entre les 2 premières parties avec Châtillon au nord et Villars au sud) comprenait uniquement un hameau de Bouligneux au nord de ce village…Il y a beaucoup de mystères dans cette répartition et il faut croire qu’elle a été établie selon les us et les coutumes accumulés depuis les temps les plus anciens ! (voir la deuxième carte à la fin du document)

Plusieurs princes se sont succédés à la tête de cette principauté jusqu’à l’avènement de Marie de Bourbon-Montpensier qui épousa, en 1626, Gaston d’Orléans le frère unique du roi de France Louis XIII. Elle disparait l’année suivante et c’est sa fille Anne-Marie-Louise d’Orléans qui lui succède (durant sa minorité son père possède l’usufruit de la souveraineté). Plus connue sous le nom de La Grande Demoiselle, elle est à l’origine de la construction à Trévoux d’un hôpital que l’on peut voir encore aujourd’hui. Cependant ses démêlés politico-sentimentaux avec le pouvoir royal – elle prend une part importante dans la Fronde22 contre son cousin Louis XIV et son ministre Mazarin pour protéger le prince de Condé sur lequel elle fonde des projets matrimoniaux puis tombe amoureuse du jeune duc de Lauzun qu’elle veut épouser malgré l’interdiction du roi – font qu’elle est obligée de céder la principauté de Dombes au roi (en janvier 1681, en échange de la libération de Lauzun après 10 ans d’emprisonnement à Pignerol ?) qui l’attribue à son fils légitimé qu’il a eu avec Madame de Montespan, Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine.

C’est lui qui impose aux membres du Parlement de résider à Trévoux et c’est la raison pour laquelle il édifie un bâtiment pour l’accueillir qui sera inauguré en 1703 mais dont les travaux continueront jusqu’en 1725. Classé « Monument historique » (et visitable) il est encore aujourd’hui utilisé par la justice et l’administration.

Son 2e fils, Louis-Charles de Bourbon, comte d’Eu (qui a succédé à son frère, Louis-Auguste II en 1755), sera le dernier prince de Dombes ; le 28 mars 1762, par une transaction avec Louis XV, il échange la principauté contre diverses terres, toutes situées en Normandie. Il semble que, depuis la mort du duc du Maine en 1736, les princes ont à subir une révolte parlementaire se traduisant par une opposition systématique à leurs demandes… mais comme les 3 derniers ducs n’ont pas daigné visiter leur possession23, ceci peut expliquer cela ! Ainsi le refus de voter le don gratuit (et donc sa perception) a pour conséquence la suppression des immunités fiscales (1739) dont la Dombes jouissait depuis tant d’années et son assujettissement à l’impôt annuel.

L’histoire particulière de la principauté de Dombes est terminée, elle « rentre » dans le giron de la Couronne… comme l’exprime André Steyert « ce petit Etat, dernier souvenir géographique de la domination des empereurs germaniques sur la rive gauche de la Saône, restitué enfin à la France et confondu dans l’uniformité administrative et judiciaire du pays, n’exista plus qu’à l’état d’expression géographique ». Et c’est ainsi que périclitèrent les 2 activités qui faisaient la renommée de la petite cité de Trévoux !

Son atelier de monnayage et d’orfèvrerie, d’abord. Le système féodal permettait à chaque

comte et duc, maître presque absolu dans leur principauté, de « battre monnaie » comme d’ailleurs les évêques et archevêques, princes dans leur diocèse. Mais peu à peu le roi, pour affirmer son pouvoir et unifier son territoire, interdira les monnaies « locales » et imposera la sienne24. Mais la Dombes n’est pas en France ! C’est Marie de Berry (et d’Auvergne, épouse de Jean Ier - fils de Louis II ; durant la captivité de son mari25, elle semble avoir gouverné la principauté avec

22

Tout le monde sait qu’en juillet 1652 elle fit tirer les canons situés en haut de la Bastille sur les troupes royales 23

Alors que la Grande Demoiselle est venue à Trévoux et a visité ses Etats des bords de Saône en décembre 1658 ; elle fut

enchantée des beautés du paysage… tel qu’un peintre, a-t-elle écrit, n’en saurait faire de plus beau ! 24

Cela commence avec Philippe II Auguste au début du XIIIe siècle qui interdit la livre angevine pour la livre tournois.

25 Il a été capturé par les Anglais à Azincourt en 1415 et mourra à Londres en 1434

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fermeté et intelligence) qui – vers 1420 - est à l’origine de la création d’un atelier monétaire à Trévoux ; elle reprend en cela une tradition et un droit coutumier datant de la fin du XIIIe siècle lorsque l’archevêque de Lyon, Henri Ier de Thoire-Villars, frère d’Humbert III seigneur de la cité, y avait fait frapper sa monnaie archiépiscopale ! C’est ainsi que les ducs de Bourbon-Montpensier « par la grâce de Dieu, princes souverains de Dombes » eurent jusqu’en 1686 une monnaie de renom (même si son introduction dans les provinces françaises n’a jamais été facilitée mais seulement acceptée) ; elle leur permit une certaine indépendance financière… tout en flattant leur orgueil ! Aujourd’hui, les diverses pièces de cette monnaie - sorties des creusets de Trévoux - font le bonheur des collectionneurs ! Pourquoi 1686 ? Le duc de Maine, en possession de la Dombes, délaisse alors le droit de monnayage, ne voulant pas porter ombrage à la France de son père, en proie à de difficiles embarras financiers. C’est toute l’ambigüité de cette monnaie de Trévoux, espèce de monnaie française frappée sur un territoire étranger et libre !

Cependant l’industrie de l’orfèvrerie perdure, celle de l’affinage qui purifie un métal (or ou argent) et l’amène à un degré défini par la loi et celle du tirage qui permet de fabriquer des galons ou tissus d’or et d’argent. Elle prendra fin en 1766 par un édit royal qui supprime les affinages privés dans la ville de Trévoux : la Dombes n’est plus un Etat souverain.

Son atelier d’imprimerie ensuite. Dès le début du XVIIe siècle Trévoux, cité d’Empire proche du

royaume de France - mais où ne s’exerce pas sa censure - accueille une imprimerie dont les activités sont relancées plus tard par la Grande Demoiselle. Durant le règne du duc du Maine l’imprimerie trévoltienne acquiert une grande renommée avec les diverses éditions (1704, 1721, 1732, 1743 et 1752) du célèbre Dictionnaire de Trévoux dont les Jésuites ont commencé la rédaction en 1701. Suivent ensuite les Mémoires pour l’histoire des Sciences et des Beaux-arts (ou Journal de Trévoux, mensuel paru de 1701 à 1767 mais édité à Lyon à partir de 1731 puis à Paris en 1752 ; il est dirigé et rédigé par des ecclésiastiques ; malgré la foi inébranlable dans le progrès des sciences et des arts de ceux-ci, il aura toujours de nombreux détracteurs parmi les philosophes de l’époque et les encyclopédistes) et le Nouveau Mercure de 1708 à 1711.

Ces publications assurèrent à cette petite ville un éclat universel dans le monde lettré du XVIIIe siècle mais minées par les polémiques qu’elles ont engendrées, elles prirent fin avec l’annexion à la France en 1762… dont la célébration a été l’occasion de grandioses festivités.

Mais gageons que, les lampions éteints, nombre de Trévoltiens ont dû déchanter car, avec leurs privilèges disparaissaient aussi et leur notoriété et leur économie. Eternelle inconséquence des hommes !

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Carte montrant les limites de la Bresse, de la Dombes et du Revermond

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Carte du Franc-Lyonnais (en bleu) et de la Principauté de Dombes (en rouge)

(extrait de la Nouvelle Histoire de Lyon d’André Steyert)