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Mémoire de Master 2 au Celsa, mention très bien.
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1
UNIVERSITE PARIS – SORBONNE
Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information
et de la Communication
MASTER PROFESSIONNEL 2e ANNÉE
Option : COMMUNICATION POLITIQUE ET DES INSTITUTIONS PUBLIQUES
« LA MISE EN SCENE DE LA VIRILITÉ DES FEMMES CANDIDATES A
L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE »
Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique RICHARD
Directeur du CELSA
Sophie DUPIN DE SAINT-CYR
Option : Communication politique
et des institutions publiques
Promotion : 2009-2012
Soutenu le :
Note au mémoire :
Mention :
2
3
Remerciements
Je souhaite remercier Dalya Guérin, pour son soutien et son suivi attentif durant les mois de
recherche et de rédaction de ce mémoire, ainsi que Laurent Raverat, qui a accepté d’être mon
rapporteur professionnel.
J’aimerais ensuite remercier Virginie Julliard, Rainbow Murray et le responsable du pôle
conseil d’une grande agence de communication (qui a préféré rester anonyme), qui ont bien
voulu m’accorder un peu de leur temps et se prêter au jeu de l’interview.
4
5
Sommaire
Introduction……………………………………………………………………………………………p 8
I - Les stratégies de présentation de soi viriles des femmes politiques...……………………………p 15
A- Les femmes politiques en France………………………………………………………………...p 15
La condition féminine en politique
Virtus et Fortuna, symbolique de l’exclusion du genre féminin en politique
Les différences droite/gauche
B - La présentation de soi des femmes politiques…………………………………………………...p 22
La présentation de soi
Le genre mis en scène visuellement : analyse des affiches de campagne
C – Les différences de stratégies de mise en scène de soi…………………………………………..p 34
La neutralité de Martine Aubry contre l’oscillation de Marine Le Pen
L’ambiguïté de la stratégie de Ségolène Royal
II – L’autolégitimation virile des candidates à l’élection présidentielle…………………………….p 44
A – Virilité et légitimité en politique………………………………………………………………..p 44
L’illégitimité des femmes en politique
Etre Président de la République en France
La nécessaire virilité du détenteur du pouvoir politique
B – L’autolégitimation des femmes politiques par la présentation de soi virile……………………p 53
Autolégitimation et légitimité cathodique
Personnifier le pouvoir et incarner l’Homme présidentiel
La nécessaire virilité du détenteur du pouvoir politique
C – La virilité au cœur des stratégies de présentation de soi………………………………………..p 58
Le choix des thématiques
L’héritage et l’inscription dans une tradition virile
Faire de sa féminité un argument politique à des fins de légitimation
III – Le relais de ces stratégies de présentation de soi dans la presse………………………………..p 70
A – La presse et les femmes politiques………………………………………………………………p 70
Une parenthèse désenchantée
Le corps
L’éternelle « fille de » ?
6
B – Stratégies relayées, stratégies déconstruites…………………………………………………....p 78
Une stratégie déconstruite et non relayée : Ségolène Royal
Une stratégie relayée mais parfois dénoncée : Martine Aubry
Une stratégie efficacement relayée : Marine Le Pen
C – L’autonomie de la presse face aux stratégies de mise en scène de soi des candidates…………p 84
La langue employée et ses conséquences
Les comparaisons : « diviser pour mieux genrer »
Une technique journalistique contre les stratégies de présentation de soi : l’anecdote
Conclusion…………………………………………………………………………………………...p 96
Bibliographie……………………………………………………………………………………….p 101
Résumé……………………………………………………………………………………………..p 105
Mots-clés………………………………………………………………………………………...…p 107
Annexes…………………………………………………………………………………………….p 109
7
8
Introduction
« Les femmes sont des hommes comme les autres ! » a affirmé Marine Le Pen lorsqu’on lui a
demandé son avis sur le choix de François Hollande de créer un ministère du Droit des
Femmes.1 Avec une femme devenue le « troisième homme » de la compétition électorale, la
question du genre était, comme en 2007, omniprésente pendant la campagne présidentielle de
2012. « Guerrière », « fille de », « candidat » (au masculin), les surnoms dont la presse
affuble les prétendantes à la magistrature suprême sont révélateurs du mouvement permanent
entre masculin et féminin, virilité et féminité.
Ce mémoire a pour objet d’étudier les stratégies de présentation de soi des femmes politiques
du point de vue du genre, et plus particulièrement de la virilité, et d’observer le relais de ces
stratégies dans la presse. Le terme « genre » est la traduction française de « gender », en
anglais. Il s’impose en France, comme néologisme, dès les années 60. Le genre, selon
Virginie Julliard2, désigne « la construction sociale, historique et culturelle des rapports de
sexes. » Il s’agit du genre « ressenti », « social », contre le genre « biologique ».
J’exploite ici la théorie du genre en tant que distinction entre réalité biologique et identité
construite. Je pose qu’il peut exister une différence entre le genre biologique de l’individu
(masculin ou féminin) et le genre mis en avant dans la présentation de soi (virilité et féminité).
Chez les femmes politiques et candidates à l’élection présidentielle, c’est la notion de virilité
qui m’intéresse, qu’elle soit naturelle ou mise en scène. Il existe plusieurs degrés de définition
de cette notion qui, aussi bien dans Le Petit Larousse3 que dans Le Petit Robert
4, sont
hiérarchisés sous une forme ternaire. En première définition, on trouve la virilité comme
« ensemble des caractères physiques et psychiques du sexe masculin ». Au premier sens, au
sens biologique donc, virilité et masculinité sont indissociables. Le second degré de définition
dit ceci : la virilité est « la capacité d’engendrer, de procréer ; la vigueur sexuelle. ». En se
concentrant sur le sexe masculin, cette définition s’éloigne paradoxalement du corps
1 Le Point.fr, 8.03.2012 2 Emergence et trajectoire de la parité dans l’espace public médiatique (1993 — 2007), Histoire et Sémiotique au profit d’une étude sur le genre en politique à l’occasion du débat sur la parité soutenue le 2 décembre 2008 à l’Université Paris II-Assas p 420 3 Le Petit Larousse 2003 4 Le Petit Robert de la langue française 2007
9
biologique en ce qu’elle fait davantage référence au phallus métaphorique, le symbole
lacanien désincarné du désir et de la puissance (la fameuse « vigueur » sexuelle), plutôt qu’au
simple pénis. On s’éloigne donc peu à peu de la masculinité « de base », la masculinité
biologique. Le dernier degré de définition s’écarte définitivement de l’identité physique,
naturelle, pour entrer dans la dimension culturelle et historicisable de la virilité : la virilité
comme « mâle énergie, courage », pour Le Petit Larousse, ou comme « caractères moraux
culturellement associés au masculin » pour Le Petit Robert.
Tout au long de ce mémoire, j’étudierai ainsi la présence de ces caractères moraux chez les
femmes politiques, et leur concrétisation dans leurs choix de mises en scène médiatiques et
communicationnelles, en me libérant des contraintes du biologique inhérentes au premier
degré de la définition du concept. Je me rapprocherai ainsi du point de vue de Jean-Jacques
Courtine, professeur d’anthropologie à la Sorbonne, qui a collaboré à l’ouvrage « Histoire de
la virilité » en trois tomes5, et qui soutient « qu’à partir du moment où on considère que la
virilité, comme ensemble de valeurs, n’est pas nécessairement liée au sexe masculin
biologique, elle doit circuler. Le courage, la fermeté morale n’ont pas de sexe. »6
La virilité au sens moderne s’est construite dès le départ sur des caractères moraux bien
distincts des attributs purement physiques du masculin. La notion prend une dimension
politique au XVIe siècle avec Machiavel, dans Le Prince, où il oppose la virtus masculine
c’est-à-dire la force de l’âme, l’action « phallique », à la fortuna féminine, la nécessité
extérieure, la chance, à laquelle la virtus du Prince doit imposer sa loi s’il veut bien gouverner
et ne pas rester dans la passivité (versant féminin de l’action virile).7
Dans le cadre qui m’intéresse, le monde politique, la distinction qu’opère Machiavel entre
force morale, action masculine (virtus) et instabilité, passivité féminine (fortuna), est
essentielle pour saisir l’importance de la virilité. C’est bien le politique qui a attribué au vir (à
« l’homme », donc) le monopole symbolique de la bonne gouvernance. En France, le pouvoir
politique semble en effet être l’apanage des hommes. Bien qu’il n’existe pas, comme sous la
monarchie, de code édictant l’interdiction de l’accès des femmes à la fonction suprême, il
semble qu’il y ait un verrouillage symbolique de la Présidence de la République pour les
5 Seuil, 2011 6 Jean-Jean Courtine dans une interview pour Les Inrocks « C’est quoi un homme viril ? » 17.10.2011 7 Silvia Lippi, « Virilité en perte », La clinique lacanienne, 2007/1 n°12, p 203-225
10
individus de sexe féminin. Les femmes réussissant à s’inscrire dans le jeu politique seraient
donc pour la plupart des femmes viriles. Mais elles peuvent revendiquer leur virilité sous des
formes bien différentes. Catherine Achin, maître de conférences en science politique à
l'université Paris-VIII et chercheur au CSU/CNRS, a ainsi établi une typologie de la virilité
des femmes en politique.8
Elle définit une première catégorie de femmes politiques viriles comme étant celles des
« femmes-homme à l’identité sexuelle douteuse », des femmes imposantes, par le physique ou
le charisme, qui ont choisi de ne pas utiliser leurs attributs féminins pour peser dans le jeu
politique. C’est typiquement le cas de Martine Aubry, dont la mine souvent renfrognée, la
voix grave, les vêtements neutres et l’importante carrure en ferait presque un homme parmi
les hommes.
Catherine Achin définit une seconde catégorie de femmes en politique, les « femmes viriles »
qui, paradoxalement, sont celles qui exploitent le plus leurs attributs féminins et leur
sexualité, pour affronter les hommes en politiques. Cet usage du sexe ou du genre pour
accéder au pouvoir est une pratique agressive, à la manière de la sexualité virile. Elle prend
l’exemple d’Elisabeth Guigou, mais on pourrait également inscrire Ségolène Royal dans cette
catégorie.
Il se peut que certaines personnalités politiques de sexe féminin aiment à osciller entre ces
deux catégories, se constituant ainsi leur propre image virile. C’est notamment le cas de
Marine Le Pen, et je le développerai par la suite. J’ai ainsi choisi ces trois femmes (Ségolène
Royal, Martine Aubry et Marine Le Pen) comme principales figures de mon analyse.
J’illustrerai donc régulièrement mes arguments par des exemples issus de leurs campagnes
électorales.
La virilité des femmes en politique peut donc prendre deux formes différentes : une forme
dans laquelle la femme « s’oublie » pour endosser les caractères physiques ou les attitudes du
mâle, réclamant ainsi le droit d’être considérée à égalité avec les hommes politiques ou d’être
traitée de façon neutre, à l’instar du genre neutre qu’elles mettent en avant dans leur vie
politique. La seconde forme que peut prendre cette virilité féminine est l’inverse de la
8 Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », Raisons politiques, 2008/3 n° 31, p. 19-45.
11
première : les femmes vont sur-jouer leur féminité, souligner dans leur apparence physique et
leur comportement ce qui fait d’elles des femmes, tout en usant pour ce faire de l’agressivité
de la sexualité virile pour tenter d’imposer aux mâles composant l’environnement politique la
puissance de leur féminité. C’est bien cette agressivité et cette revendication de puissance qui
font d’elles des individus virils.
« La mise en scène de la virilité chez les femmes candidates à l’élection présidentielle » Le
sujet soulève alors plusieurs questions : comment les matériaux traditionnels d’une campagne
politique participent-ils à la construction d’une identité virile chez les femmes politiques?
Comment expliquer le verrouillage symbolique de l’accès des femmes à la plus haute fonction
de l’Etat ? Quelles qualités la fonction de Président de la République nécessite-t-elle ? Quels
liens peut-on faire entre virilité et légitimité à prétendre à la Présidence de la République ?
Quant à la presse, relaie-t-elle les messages émis par les candidates ? Cherche-t-elle à
conforter ou à déconstruire les stratégies de présentation de soi élaborées par les femmes
politiques ?
Pour répondre à ces questions, je poserai la problématique suivante : dans quelle mesure les
stratégies de présentation de soi des femmes politiques mettent-elles en évidence la nécessité
de paraître virile ?
Cette problématique contient plusieurs hypothèses :
1ère
hypothèse : Des stratégies de mise en scène de soi viriles imprègnent la communication
des femmes candidates à l’élection présidentielle française.
2ème
hypothèse : Ces stratégies de mise en scène de soi participent à la légitimation de la
candidature de ces femmes politiques.
3ème
hypothèse : La presse relaie ces stratégies de présentation de soi viriles.
De manière générale, j’entends qu’il y a, chez les femmes candidates à l’élection
présidentielle, un choix conscient de paraître virile ou de souligner leurs caractéristiques
physiques ou comportementales qui s’apparentent à la virilité. Je m’intéresserai donc à la
12
question des moyens mis en œuvre pour aboutir à la construction d’une identité bien
spécifique. La notion de présentation de soi sera analysée plus précisément en première partie.
Cadres théoriques
Les cadres théoriques mobilisés afin de répondre à cette problématique sont variés. Cette
question relève du domaine de la sociologie politique puisqu’il me faudra poser quelques
bases théoriques, tout au long de ce mémoire, relatives à la participation des femmes à la vie
publique et les spécificités historiques liées à la fonction présidentielle française. Cette
sociologie est manifestement dépendante du domaine de la science politique ainsi que du droit
constitutionnel, dont il me faudra également mentionner quelques principes. J’aborderai
également le domaine de la communication politique en entrant dans l’analyse de mon corpus,
dont je détaillerai ensuite la composition.
Méthodologie
J’ai choisi une méthodologie qualitative, en confrontant trois cas révélateurs de cette
présentation virile de soi. Je déploierai pour cela des analyses d’images et de contenu, en
exploitant des documents qui respectent les bornes chronologiques globales suivantes : avril
2007 (début de la campagne officielle des élections présidentielles de 2007) – mai 2012 (fin
de la campagne des élections présidentielles de 2012). Néanmoins, la grande majorité des
documents analysés sont issus de la campagne présidentielle de 2012, avec des bornes
chronologiques allant de novembre 2010 (annonce de la candidature de Ségolène Royal aux
primaires socialistes) à mai 2012 (fin de la campagne présidentielle de 2012)
Corpus
Les types de document qui composent mon corpus d’analyse sont les suivants :
- Les clips de campagne, d’avril 2007 à avril 2012
- Les discours de candidatures des femmes politiques étudiées, de mars 2012 à juin
2012
13
- Les affiches de campagne, d’avril 2007 à avril 2012
Mon corpus se compose également de nombreux articles de presse, afin d’observer si ces
stratégies de présentation de soi trouvent un relais bienveillant dans la presse, ou si au
contraire la presse entreprend de déconstruire les messages émis par les femmes politiques.
Les articles sont issus des journaux suivants : Lemonde.fr, lefigaro.fr et libération.fr,
Ouestfrance.fr ainsi que de deux hebdomadaires, lepoint.fr et lexpress.fr, l’un et l’autre de
tendance centriste, dirigés par de médiatiques directeurs de la rédaction, et ayant un important
socle de lecteurs sur internet.
Je me suis également servie d’autres journaux en ligne pour alimenter ma réflexion et ma
rédaction. Néanmoins les articles qui seront utiles à l’analyse du traitement médiatique des
femmes étudiées seront uniquement issus des journaux précités, et dans les bornes
chronologiques suivantes :
- Marine Le Pen: du 1er mai 2011 (annonce de sa candidature) à mai 2012.
- Martine Aubry : du 26 juin 2011 (annonce de sa candidature) à octobre 2011 (fin des
primaires socialistes).
- Ségolène Royal : de novembre 2010 (annonce de sa candidature aux primaires
socialistes) à octobre 2011, avec possibilité de puiser dans des articles datant de sa
candidature à l’élection présidentielle de 2007. Néanmoins, pour des raisons
d’équilibre et d’égalité de traitement, je me concentrerai davantage sur sa candidature
aux primaires socialistes de 2011.
La première partie de ce mémoire exposera le contexte de la condition des femmes dans la vie
politique française, tout en décrivant le concept de « présentation de soi » et en l’appliquant,
du point de vie du genre, aux stratégies communicationnelles des candidates à l’élection
présidentielle choisies pour l’étude. La seconde partie sera consacrée à l’étude des notions de
légitimité et de virilité en politique et à l’observation des stratégies d’autolégitimation des
candidates. Enfin, la troisième partie analysera le relais ou la déconstruction de ces stratégies
par la presse à travers un corpus d’articles.
14
15
Partie I – Les stratégies de présentation de soi viriles des femmes politiques
Il est nécessaire, en premier lieu, de replacer la problématique dans le contexte sociologique
et politique actuel en ce qui concerne la place des femmes dans la vie politique. Après cette
rapide contextualisation, j’étudierai plus précisément les stratégies de présentation de soi des
trois femmes politiques et candidates à l’élection présidentielle choisies pour cette analyse. Je
mettrai particulièrement en lumière ce qui les oppose, afin de démontrer la possible pluralité
des stratégies de présentation de soi virile.
A – Les femmes et la politique en France.
Cette première sous-partie a pour objectif d’éclairer la problématique en la replaçant dans le
contexte de la condition des femmes en politique, tant dans les difficultés qu’elles rencontrent
que dans l’incompatibilité symbolique entre féminité et politique. Je conclurai en nuançant
mon constat et en montrant quelles sont les différences de traitement des femmes politiques
selon qu’elles soient de droite ou de gauche.
1 – La condition féminine en politique
Dans sa thèse9, Virginie Julliard, maître de conférences à l’Université de Compiègne avec qui
j’ai eu l’occasion de m’entretenir, distingue trois « ères » dans la condition des femmes en
politique depuis les débuts de la Vème République. L’ère pré-parité, de 1958 jusqu’à la fin
des années 90, la « parenthèse enchantée » de la parité, de la fin des années 90 jusqu’en 2005
et l’ère post-parité. Quasi-absentes de la vie politique jusque dans les années 90, à de rares
exceptions, la vie politique se peuple de femmes en même temps que l’on commence à
évoquer la question d’une loi sur la parité.
Avant cela, les partis constituaient de véritables oligarchies masculines et la Vème
République était la « République des mâles », selon une expression de Mariette Sineau10
,
chercheur au CEVIPOF et spécialiste de la question du genre. Elle explique l’absence des
9 Emergence et trajectoire de la parité dans l’espace public médiatique (1993 — 2007), Histoire et Sémiotique au profit d’une étude sur le genre en politique à l’occasion du débat sur la parité soutenue le 2 décembre 2008 à l’Université Paris II-Assas. 10 « Les femmes politiques sous la Vème République – A la recherche d’une légitimité électorale », Revue Pouvoirs, n°82, 1997, pp. 45-57
16
femmes de la vie publique par les effets néfastes du nouveau scrutin uninominal majoritaire à
deux tours, qui empêche le renouvellement des personnalités politiques dans des
circonscriptions devenues des « fiefs électoraux ». Ainsi les femmes ont dû entrer dans la vie
politique « par le haut », c’est-à-dire en étant nommées dans les cabinets ministériels, à peine
sorties de l’ENA, pour ensuite se chercher un fief local, alors que le système électoral de la
Vème République privilégie davantage les parcours ascendants.
« De fait, pour s’imposer en politique sous la Cinquième, s’intégrer à l’establishment, bref, avoir un
destin national, les femmes ont dû adopter la voie de la « compétence », privilégier ce mode d’entrée
en politique par rapport à la voie de l’élection ou à celle du militantisme. Pour être prestigieux, ce
modèle est socialement élitiste, plus adapté aux filles de la haute bourgeoisie parisienne qu’à celles
des classes moyennes et populaire de province. »11
Ceci explique leur faible présence dans la vie publique. Mariette Sineau insiste sur le fait que
les femmes sont bien souvent plus nommées qu’élues et donc en proportion moindre dans les
diverses institutions d’une République qui favorise la légitimité électorale. Les femmes sont
donc conviées au gouvernement, mais non à la représentation.
Le changement a lieu presque brutalement au milieu des années 90, lorsque le nombre de
députés de sexe féminin dépasse le cap symbolique des 10% en 1997, quelques années après
que, pour la première fois, une femme, Edith Cresson, est nommée Premier ministre. C’est au
sein du gouvernement que le changement se ressent le plus. Si Alain Juppé, Premier ministre
de 1995 à 1997, avait amorcé ce changement en présentant un gouvernement avec un nombre
inédit de femmes, la véritable révolution a lieu avec l’arrivée de Lionel Jospin au pouvoir. En
effet, les femmes ministres de Juppé (aussi surnommées péjorativement les « jupettes »), dont
on déplorait l’instrumentalisation afin de faire passer des réformes impopulaires et
l’affectation à des portefeuilles ministériels de moindre importance, sont rapidement limogées
quand se présentent les premiers sondages défavorables.
Le Gouvernement de Lionel Jospin confie à des femmes des portefeuilles de premier ordre,
comme le suivi de la réforme des 35 heures par Martine Aubry, alors Ministre de l’Emploi et
de la Solidarité de 1997 à 2000. Cette même année est l’année charnière où l’on vote la loi sur
11 Mariette Sineau, Profession femme politique. Sexe et pouvoir sous la Cinquième République, Presse de Sciences-Po, 2001, p 153
17
la parité qui prévoit des sanctions pour les partis ne présentant pas un nombre suffisant de
femmes pour les élections au scrutin uninominal et ne respectant pas une parité totale pour les
élections au scrutin de liste. La période 2000-2005, représente une « parenthèse enchantée »,
selon Virginie Julliard, durant laquelle les médias encensent les femmes politiques par des
portraits élogieux et où les partis, notamment lors des élections régionales de 2004, font de
leur mieux pour respecter la loi. On aboutit d’ailleurs à un résultat inédit de 47,6% de femmes
élues dans les conseils régionaux cette année-là.
Au milieu des années 2000, on referme la parenthèse. La loi sur la parité n’a pas engendré la
révolution escomptée, puisque l’on compte, sous la XIIIème législature, environ 18,5% de
femmes à l’Assemblée nationale, faisant de la France l’un des mauvais élèves de l’Europe
dans ce domaine. Catherine Achin note que le renouvellement de la classe politique est
« marginal » et que la domination masculine, dans le domaine de la politique, s’en trouve
relativement inchangée.12
On remarque que souvent, les partis préféraient payer les amendes,
plutôt que de respecter les quotas prévus par la loi. Mais l’événement majeur qui marque ces
années-là, du point de vue de la question des femmes en politique, c’est la candidature de
Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007. Ce n’est pas la première fois qu’une
femme est candidate à l’élection présidentielle, mais c’est bien la première fois qu’issue d’un
grand parti, elle a une chance de la gagner. Rivale de Nicolas Sarkozy, la campagne de 2007
est une féroce bataille des genres13
, relayée dans les médias. Au-delà des aspects de quotas et
de parité, c’est la première fois que la question du genre en politique, et la manière de
l’exploiter à des fins stratégiques, est clairement posée.
2 – Virtus et Fortuna, symbolique de l’exclusion du genre féminin en politique.
Le genre féminin, ou « féminité », est constitué de l’ensemble des caractères physiques,
psychiques et moraux culturellement attribués aux individus de sexe féminin. Au-delà des
considérations concrètes évoquées dans la partie précédente (faible nombre de femmes élues,
système électoral défavorable…), il est à présent temps de considérer les rapports entre genre
féminin et politique et leur incompatibilité symbolique. C’est la théorie de Jane Freedman,
professeur à l’Université Paris 8 et au King’s College of London. Elle s’interroge, en effet, sur
12 Catherine Achin, « Au-delà de la parité » Mouvements 2012/1 n° 69, pp 49-54 13 Analysée par Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », Raisons Politiques, n°31, août 2008, pp. 19-46.
18
la relative absence des femmes dans la vie politique française et anglaise. Mais alors que la
plupart des chercheurs s’attardent à trouver les causalités sociologiques d’une telle mise à
l’écart du politique, Jane Freedman privilégie l’approche symbolique.14
Ainsi les
représentations dominantes de la féminité seraient responsables de l’exclusion des femmes de
la classe politique. Il y aurait donc une non-coïncidence entre les représentations de la
féminité et celles du pouvoir.
Les attributs culturellement attribués au genre féminin sont nombreux et ancrés dans
l’imaginaire commun. Nul besoin d’en rédiger une liste, ces caractères précis, positifs ou
négatifs, qui correspondent à une vision archétypale du genre féminin, viennent facilement à
l’esprit. Mais la féminité, c’est encore Pierre Bourdieu qui en parle le mieux :
« Etre féminine, c’est essentiellement éviter toutes les propriétés et les pratiques qui peuvent
fonctionner comme des signes de virilité, et dire d’une femme de pouvoir qu’elle est très féminine n’est
qu’une manière particulièrement subtile de lui dénier le droit à cet attribut proprement masculin
qu’est le pouvoir. »15
L’incompatibilité entre féminité et pouvoir politique semble historique : « la puissance
génitale a toujours symbolisé la puissance tout court. »16
Dès 1515, Machiavel révèle, dans Le
Prince, que la vertu politique, est liée à la virilité. Le terme « virtus » provient d’ailleurs de
« vir » qui en latin signifie « homme ». Il oppose donc la virtus masculine, la force de l’âme,
l’action « phallique » à la fortuna féminine, la nécessité extérieure, la chance (versant féminin
de l’action virile).17
Dans le chapitre XXV18
, il symbolise le rapport entre la virtus et la
fortuna par la métaphore d’un fleuve déchainé contre une digue, la fortuna étant la nature non
maitrisée et débridée contenue par la virtus, symbolisée par l’érection de ces digues solides et
droites. Ainsi, la vertu politique, puisqu’elle est intrinsèquement liée à l’homme, est
incompatible avec les caractères de la féminité, qui sont justement définis comme étant les
aspects contraires à la virilité. Aux hommes donc, et au politique, l’action, la rigueur, la
droiture et aux femmes, l’incontrôlable, l’accidentel et le désordre. « Le masculin associé à la
14 Femmes politiques : mythes et symboles, L’Harmattan, collection « Logiques politiques », 1997, recensé par Manon Tremblay dans Recherches féministes, vol. 10, n°2, 1997, p 233-236 15 La Domination masculine, Points Seuil «Essais », 1998, p 136 16 Michel Foucault, cité par Christophe Deloire et Christophe Dubois dans Sexus Politicus, Documents J’ai Lu, 2006, p 17. 17 D’après Silvia Lippi, « Virilité en perte », La clinique lacanienne, 2007/1 n°12, p 203-225 18 «Combien peut la fortune dans les choses humaines et comment on doit s’opposer » dans Le Prince, Le Livre de Poche, Edition de 2000, p 158
19
virtus et le féminin à la beauté est révélateur de la dissymétrie d’image entre les deux. Le défi
est donc aussi là, qui consiste à assurer la compatibilité d’image entre le féminin et le
politique, longtemps construits comme antinomiques. »19
Les femmes, historiquement exclues du monde politique, sont bien souvent restées dans
l’ombre du pouvoir, sans jamais y accéder. Est-ce d’ailleurs un hasard si le français est l’une
des seules langues au monde où le terme « reine » désigne uniquement l’épouse du roi ? Pour
une femme, on parlera donc de « régence » au lieu de « règne » et surtout, « d’influence » au
lieu de « pouvoir ».20
« La Révolution guillotine le roi, donc le père notera justement Balzac, mais si Capet est condamné à
mort c’est parce qu’il a subi l’influence de l’Autrichienne et des émigrés efféminés, qu’il n’a pas été le
père que l’on attendait, qu’il n’a pas été l’homme viril que l’on espérait. »21
« C’est une posture des plus traditionnelles »22
que de cantonner les femmes à l’ombre du
pouvoir, avec tout cela comporte en connotation de noirceur et de manigances. Les femmes
d’influence ont rarement bonne réputation : on pense à Marie-Antoinette, citée par Eric
Zemmour, qui ne s’est pas trouvée, à la postérité, auréolée de gloire, mais également à des
exemples plus récents, comme celui de Marie-France Garaud, « conseillère » de Jacques
Chirac et battue à l’élection présidentielle de 1981 :
« J’ai fait Jacques Chirac […] Je n’ai pas eu de pouvoir : j’ai eu de l’influence » [dit-elle] en 81 dans
l’émission « Cartes sur table ». S’il ne s’agit pas pour celle-ci du pouvoir de l’oreiller, sa fonction de
19 Marlène Coulomb Gully dans Présidente : le grand défi – Femmes, politique et médias, Payot, 2012, p 12 20
« Sous l’ancien Régime, la femme gouvernante prend les traits de la régente ou de la favorite. Longtemps, le pouvoir féminin a été perçu comme un pouvoir occulte. Il est loin d’être comparable au pouvoir légitime, réel et symbolique, puisqu’il a besoin d’un autre sujet pour être exercé, là où le véritable pouvoir s’exerce seul. Si le pouvoir de la régente est légitime, il s’exerce dans l’attente de la majorité du fils, il est donc indirect et temporaire. Son pouvoir est souvent perçu comme une captation illégitime. Catherine et Marie de Médicis, Anne D’Autriche ont régenté la France, ce verbe a gardé de leurs passages au pouvoir sa consonance négative. Gardienne des traditions d’un règne qui n’est plus, la reine mère devient une despote malfaisante lorsqu’elle continue d’exercer une influence décisive sur son fils devenu roi (Catherine de Médicis). Ce pouvoir occulte est le seul que les femmes aient exercé par le passé, aussi a-t-il durablement marqué les représentations des femmes de pouvoir et la conception que les femmes, elles-mêmes, se font du pouvoir » Virginie Julliard, thèse citée, p 536 21 Eric Zemmour dans Le Premier Sexe, J’ai Lu, 2009, p 82 22 Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 162
20
conseillère étant parfaitement licite dans l’organigramme gouvernemental, on note cependant que la
référence au couple qu’elle a formé avec Pompidou est permanente. »23
Conseillère occulte ou « favorite à la cuisse légère » – c’est ainsi que de nombreux médias,
dont TF1 avec le Bêbête Show, ont caricaturé Edith Cresson – la trajectoire de la femme en
politique, puisqu’elle est bien souvent plus nommée qu’élue, est suspecte. Peut-être leur
simple présence est-elle symboliquement suspecte.
3 – Les différences droite/gauche
Le constat peu optimiste de la condition des femmes en politique doit être nuancé et observé à
travers le prisme des clivages partisans qui composent le paysage politique français. La
gauche semble être plus ouverte à la question de la féminisation de la vie politique et de la
parité que la droite, une droite plus conservatrice, plus patriarcale, même, selon Marlène
Coulomb Gully, qui cite alors Huguette Bourchardeau, ancienne députée socialiste, parlant
des candidats RPR à l’élection présidentielle : «Tous les candidats adoptent le style du père,
c’est à qui aura le style le plus gaullien. »24
C’est d’ailleurs sous un gouvernement de gauche,
qu’en 2000, est votée la loi sur la parité. Une étude montre par ailleurs que le Conseil national
et le Secrétariat national du Parti Socialiste (ensemble des organes législatifs et exécutifs du
parti) comptait environ 40% de femmes en 2003, contre environ 19% pour l’UMP, à la même
époque et au sein des mêmes structures.25
Le féminisme a également plus pénétré les structures partisanes de la gauche, surtout depuis
mai 1968 qui a vu s’associer marxisme et féminisme, par exemple dans le combat pour
l’IVG.26
Selon Mariette Sineau, la gauche serait ainsi plus sensible à la condition des
femmes :
« […] l’idéologie de gauche, qui a pour principe général de prôner l’égalité – entre les classes comme
entre les sexes – incite les femmes à reconnaitre (et condamner) les injustices politiques dont elles
sont victimes. Au contraire, l’idéologie de droite, qui s’accommode mieux de certaines formes
d’inégalités, qu’elles soient dites « naturelles » ou sociales, n’est guère propice à une prise de
23 Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 87 24 Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 79 25 Etude citée par Catherine Achin et Sandrine Lévêque dans Femmes en politique, Coll. La Découverte – Repères, p 52. 26 Catherine Achin et Sandrine Lévêque, op.cit, pp 40-41
21
conscience féministe. On pourrait dire que les femmes parlementaires de droite « consentent » à la
domination (et à l’ordre traditionnel des genres), en niant subir des discriminations dans leur propre
parcours politique. »27
Elle insiste d’ailleurs sur le fait que les femmes de gauche sont plus sensibles aux théories du
féminisme que les hommes de gauche, alors qu’il existe un relatif consensus sur le rejet de la
question à droite, hommes et femmes confondus.
Malgré l’écriture très engagée politiquement de Mariette Sineau, on distingue tout de même
que, si la question des différences genrées, avec la promotion de politique de discrimination
positive est très prégnante à gauche, l’apparent consensus sur la question, à droite, ne signifie
par pour autant un désir d’exclusion des femmes politiques et l’attachement à une vision
stéréotype de la hiérarchie des genres. Après tout, l’UMP, autrefois RPR, a élu une Présidente
bien avant le Parti Socialiste. Il s’agit de Michèle Alliot-Marie, en 1999. J’ai pu m’entretenir
avec un responsable, qui a préféré rester anonyme, du Pôle Conseil d’une grande agence de
communication publique. Dans notre entretien informel, nous avons évoqué Michèle Alliot-
Marie :
« Avant [la loi sur la parité], il y avait des femmes en politique, mais elles n’avaient pas compris
qu’elles pourraient apporter quelques chose de complémentaire, de différent des hommes. Elles
avaient vraiment tendance à masquer leur féminité. Je me rappelle des femmes du courant « Femmes
Avenir » au sein du RPR. On disait vraiment que c’était des hommes déguisés en femmes. Ou des
femmes déguisées en hommes. On ne savait pas très bien. La femme emblématique du RPR, c’est
Michèle Alliot-Marie. Tout est dit ! Quand elle a été élue à la tête du RPR, c’était un immense pas en
avant. Mais bon, c’est tout de même une femme martiale, militaire, masculine en fait. »
Ainsi, droite et gauche ont leur propre approche du genre en politique, qu’il s’agit de ne pas
décrire grossièrement. Si la gauche est plus sensible aux questions féministes et promeut
l’expression des genres, elle souligne se faisant la différence des genres et donc leur inégalité.
L’expression exacerbée du genre féminin peut également être néfaste en politique, comme je
le développerai par la suite. La droite peut effectivement être étiquetée de conservatrice,
notamment sur la question de la parité, mais elle soutient une égalité des genres, incarnée par
exemple par la figure ambiguë de Michèle Alliot-Marie, qui peut être un symbole positif.
27 Mariette Sineau, op.cit. p 254
22
Les deux perspectives, celle de Mariette Sineau et celle que je lui oppose, nuancent le constat
pessimiste de la condition des femmes en politique. Malgré des résultats relativement
médiocres du point de vue de la parité et de l’inclusion symbolique des femmes dans le
champ politique, le domaine de la vie publique semble au moins ouvert au débat sur la
question du genre. Un débat qui ne semble pas prêt de se clore.
B - La présentation de soi des femmes politiques
Il s’agira ici de présenter les femmes politiques dont je vais plus précisément étudier les
stratégies de présentation de soi, tout en éclaircissant cette dernière notion. J’analyserai
ensuite les différentes façons qu’elles ont d’exploiter – ou de contenir – leur féminité dans
leur communication.
1- La présentation de soi
Par l’emploi de la tournure « présentation de soi », j’entends m’inspirer des travaux d’Erving
Goffman et j’avance que toute prise de parole, déplacement ou activité publique des femmes
politiques pendant la campagne présidentielle, intense moment d’expression politique, font
partie d’une plus large stratégie de communication, élaborée en amont et pendant la
campagne, qui serait la bonne mise en scène de soi, c’est-à-dire la capacité à donner à autrui
l’expression de soi-même que l’on a intérêt à susciter.28
La métaphore théâtrale filée tout au
long de l’ouvrage d’Erving Goffman semble trouver une résonnance dans l’analyse de la
communication des femmes politiques en campagne présidentielle puisqu’il s’agit bien pour
elles d’incarner des identités stratégiques29
– je n’irai pas jusqu’à parler de « rôles » pour ne
pas tomber dans des considérations psychologiques. Ces identités stratégiques, ce sont celles
qu’elles ont intérêt à incarner à des fins électorales.
28 D’après Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, Les Editions de Minuit, 1973, p 12 29 D’après la théorie d’Annie Collovald dans Identité(s) stratégique(s), Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 73, juin 1988. Penser la politique-2. pp. 29-40.
23
Je n’étudierai ces présentations de soi30
que du point de vue du genre.31
En effet, avec la
parité, certains universitaires ont déterminé que la féminité ou la virilité pouvaient être des
ressources mobilisables en politique. Alors que jusque-là, le genre des hommes et des femmes
politiques apparaissaient comme des attributs « naturels », la loi sur la parité a été l’occasion
de démontrer qu’il s’agissait de capitaux politiques comme les autres, à exploiter dans des
stratégies de communication.32
J’ai donc choisi trois femmes politiques et candidates à l’élection présidentielle – par le biais
de primaires, pour deux d’entre elles – selon un critère que j’ai développé en introduction, à
savoir la coïncidence des identités genrées stratégiques de ces femmes à la typologie de
Catherine Achin et Elsa Dorlin des femmes en politique33
.
Ségolène Royal correspond ainsi, selon moi, à la catégorie des « femmes viriles », dont la
féminité constitue une arme pour affronter les hommes politiques sur leur propre terrain. La
virilité se trouve alors dans l’exacerbation et l’agressivité du genre. Née le 22 septembre
1953, Ségolène Royal est diplômée de l’IEP de Paris, de l’Université Nancy-II et de l’ENA.
Elle devient juge administrative et avocate. Issue d’une famille nombreuse et catholique, le
divorce de ses parents entraînera une rupture entre la fille et le père, militaire de haut grade.
Elle se met en concubinage avec son camarade de promotion à l’ENA, François Hollande, et
l’annonce de leur séparation, retentissante, aura lieu le jour du second tour de l’élection
présidentielle de 2007. Remarquée par Jacques Attali, elle devient chargée de mission à
l’Elysée puis, de 1983 à 1988, conseillère de François Mitterrand dans le domaine des affaires
30 Je rapprocherai mon analyse de celle opérée par Catherine Achin lors de la campagne présidentielle de 2007 : « La campagne de 2007 et la lutte entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont ainsi permis de travailler sur les « identités stratégiques » des deux candidats. Il s’agit là d’analyser le travail de présentation de soi et la construction des images des candidats par l’interaction avec d’autres acteurs de l’espace politique, comme les journalistes, les sondeurs et les autres candidat-e-s. […] L’usage de la masculinité dans sa version exacerbée et mise en scène, la virilité, constitue une ressource d’action tout aussi disponible, même si ces capitaux corporels identitaires n’ont pas la même valeur lorsqu’ils sont mobilisés par les femmes et par les hommes. » Catherine Achin « Femmes et hommes en politique ; comprendre la différence. » publié sur le site de Médiapart le 10.03.2012 31 Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 13: “ l’argument de genre est partie prenante de ces stratégies de présentation de soi, et l’on verra qu’entre la neutralisation active de sa féminité par Arlette Laguiller et l’incarnation qualifiée de féminine d’une Christiane Taubira, par exemple, se déploie tout un spectre de possibilités, chaque candidate jouant sa partition de façon spécifique. » 32 Catherine Achin « Femmes et hommes en politique ; comprendre la différence. » publié sur le site de Médiapart le 10.03.2012 33 Dans « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », Raisons politiques, 2008/3 n° 31, p. 19-45. La typologie qu’elles développent est sensiblement la même que celle de Jane Freedman, d’après mon entretien avec Virginie Julliard.
24
sociales et de l’environnement. Après un échec aux municipales en 1983 dans le Calvados,
elle cherche à nouveau une implantation locale.
Le jour de la seconde investiture de François Mitterrand en tant que Président de la
République, elle va publiquement lui demander une circonscription, que celui-ci lui accorde.
Ce sera la seconde circonscription des Deux-Sèvres, réputée ingagnable par la gauche.
Jusqu’ici, le parcours de Ségolène Royal correspond en tout point au schéma de la trajectoire
des femmes en politique de Mariette Sineau évoqué dans la précédente partie. Découverte par
un homme, elle est nommée par un homme puis accompagnée dans son ancrage local…par un
homme. Néanmoins, après une vigoureuse campagne, elle remporte la circonscription. De
1992 à 1993, elle devient ministre de l’Environnement sous le Gouvernement Bérégovoy. De
1997 à 2000, sous le Gouvernement Jospin, elle obtient le portefeuille de l’Enseignement
scolaire, puis celui de la Famille et de l’Enfance. Elle accède à la Présidence de la région
Poitou-Charentes en 2004 mais est surtout investie par le Parti Socialiste, trois ans plus tard,
pour être candidate à l’élection présidentielle de 2007, à laquelle elle échoue. Elle sera
également candidate malheureuse au Congrès de Reims, en 2008, pour la Présidence du parti,
ainsi qu’aux primaires socialistes en 2011.
Martine Aubry, elle, correspond davantage à la catégorie « femmes-hommes » politiques, à
l’identité genrée trouble, d’après la typologie de Catherine Achin et d’Elsa Dorlin. Née le 8
août 1950, elle est la fille de Jacques Delors, ministre des Finances de 1981 à 1985 puis
Président de la Commission Européenne de 1985 à 1995 qui jouit toujours d’une excellente
réputation. Diplômée d’Assas, de l’IEP de Paris et de l’ENA, elle est haut fonctionnaire au
ministère du Travail puis au Conseil d’Etat. Elle évolue par la suite dans divers ministères
sous Mitterrand, presque toujours à l’Emploi à des postes techniques. En 1991, elle est
nommée ministre du Travail sous Edith Cresson, jusqu’en 1993, ayant été reconduite par
Pierre Bérégovoy.
Pierre Mauroy, ancien Premier ministre et maire de Lille, lui propose alors un ancrage local.
Son parcours est ainsi sensiblement similaire à celui de Ségolène Royal, à l’exception de leurs
thématiques de prédilection qui sont bien différentes, et j’aurai l’occasion d’en reparler. Elle
devient donc, grâce à un homme, maire adjointe d’une importante ville. Elle est également le
porte-parole de la campagne de Lionel Jospin en 1995, après que son père, Jacques Delors, ait
renoncé à l’investiture. En 1997, à la suite de la « vague rose », elle est élue députée dans la
25
cinquième circonscription du Nord, puis, rapidement, se voit confiée la place de numéro deux
du Gouvernement par Lionel Jospin, avec le portefeuille de l’Emploi et de la Solidarité. Elle
démissionne en 2000 pour briguer la mairie de Lille, à laquelle elle est élue un an plus tard,
pour se voir néanmoins battue à la députation en 2002. Elle se consacre dès lors pleinement à
son mandat de maire. En 2008, elle est élue Première Secrétaire du Parti Socialiste, à l’issue
du Congrès de Reims. Candidate aux primaires socialistes, elle échoue au second tour face à
François Hollande.
Marine Le Pen, elle, semble osciller en permanence entre les deux catégories de femmes
politiques décrites par Catherine Achin et Elsa Dorlin, comme je l’expliquerai par la suite.
Son parcours est résolument atypique par rapport aux deux précédentes candidates,
puisqu’elle n’est pas diplômée d’une grande école et qu’elle entame un parcours politique
traditionnel, ascendant plutôt que descendant. Néanmoins, le rôle du père est capital dans son
destin politique, comme pour Martine Aubry, toute proportion gardée. Née le 5 août 1968,
elle est la benjamine des trois filles de Jean-Marie Le Pen, que l’on ne présente pas. Diplômée
d’Assas, elle devient avocate. Elle se marie deux fois à des cadres du parti. Son compagnon
actuel, Louis Aliot, est vice-président du Front National. En 1993, elle se présente aux
élections législatives dans la 16e circonscription de Paris, dans laquelle elle obtient le score de
11% au premier tour. Cinq ans plus tard, elle est élue au Conseil Régional du Nord-Pas-de-
Calais.
En 2000, elle prend la tête de l’association « Génération Le Pen » contre Bruno Gollnisch, son
but assumé étant la dédiabolisation du parti. En 2002, elle échoue au second tour des élections
législatives à Lens mais se retrouve tête de liste, deux ans plus tard pour les élections
européennes, et obtient un siège au Parlement européen, qu’elle gardera en 2009. En 2007,
son père la nomme vice-présidente du FN après que Bruno Gollnisch a remporté les élections
du comité central. Elle devient directrice stratégique de la campagne de son père pour les
élections présidentielles de 2007. Malgré le faible score du FN à cette élection, Marine Le Pen
est l’une des rares cadres à obtenir un score satisfaisant aux élections législatives qui suivent,
même s’il ne lui permet pas de gagner un siège à l’Assemblée nationale. En 2011, elle
annonce son souhait de succéder à son père à la tête du parti, contre Bruno Gollnisch. Malgré
l’opposition de certains cadres et des organes de presse d’extrême droite, elle est élue
Présidente du FN avec 67,65% des voix. Candidate à l’élection présidentielle de 2012, elle
obtient 18% des suffrages au premier tour.
26
Ces trois courtes biographies montrent que le parcours des trois femmes correspond à
l’archétype des trajectoires féminines en politique – avec une réserve pour Marine Le Pen. La
place des hommes, et notamment du père, même s’il s’agit de pères de substitution pour
Ségolène Royal, est fondamentale dans le succès de leurs carrières politiques. Façonnées par
les hommes politiques, ces femmes en ont-elles adopté les caractères, par stratégie ou
mimétisme ?
2 – Le genre mis en scène visuellement: analyse des affiches de campagne
« Tonalité de la voix, posture et gestuelle des principaux candidats sont pensées et travaillées
dans les moindres détails. »34
Scrutées par les médias et les électeurs, les femmes politiques soignent leur apparence,
d’autant plus qu’elles savent que, puisque ce sont des femmes, on prêtera plus d’attention à
leur aspect physique35
et que surtout, on sera intransigeant, comme l’exprime Marlène
Coulomb Gully au sujet d’une ancienne candidate à l’élection présidentielle, Huguette
Bouchardeau:
« Ce retour permanent sur son physique et le handicap qu’il constitue pour sa carrière soulignent la
contrainte forte et ambiguë de l’apparence physique pour les femmes politiques. Belles, elles sont
soupçonnées d’avoir usé de leurs charmes ; laides, elles sont dénigrées. Les femmes sont toujours
« trop » belles ou « trop » laides, probablement parce qu’elles sont toujours de trop dans cet univers
masculin. »
Etre trop belle, on l’a justement reproché à Ségolène Royal. « Une élection présidentielle
n’est pas un concours de beauté ! » dira-t-on de sa candidature36
. La séduction des femmes
dans la vie politique est immédiatement connotée. En 2007, Ségolène Royal a pourtant subi
de nombreuses transformations physiques visant à la rendre plus séduisante37
. Femme
34 Virginie Julliard, op.cit., p 522 35 « L’image corporelle reste plus au cœur des représentations des femmes politiques que de celles des hommes politiques. Même dans l’espace public, cette image du corps féminin est privatisée, tantôt à la sexualité, tantôt à la maternité. » Jane Freedman, Manon Tremblay, op.cit. p 234 36 Une « gauloiserie » de Jean-Luc Mélenchon, en 2005. 37 « Une opération de chirurgie faciale a arrondi et affiné le bas de son visage ; les lunettes qu’elle portait à une époque ont disparu, rendant plus visible le bleu de ses yeux ; des cheveux plus courts au brushing souple ont
27
politique « féminine », sa rivale, pendant les primaires socialistes, peut apparaître comme son
antithèse. Martine Aubry, au sourire renfrogné, fait ainsi preuve de moins de « disponibilité
féminine anthropologique »38
et donc d’une moindre volonté de séduire. D’une structure
corporelle plus imposante alors que sa rivale est plus gracile, Martine Aubry correspond
objectivement à la catégorie des « femmes-homme » dans laquelle Catherine Achin classe
Margaret Thatcher et Jane Freedman, l’impressionnante Golda Meir39
. Quant à Marine Le
Pen, au sourire plus féroce que rayonnant et à la voix rauque et virile d’une fumeuse, elle
oscille entre les deux catégories, puisqu’elle se rapproche de la femme politique séductrice
par sa blondeur soigneusement entretenue et ses changements vestimentaires méticuleusement
décortiqués par la presse, comme j’aurai l’occasion d’en reparler.
Pour mieux cerner la façon dont les candidates expriment leur genre et se servent – ou non –
de leur féminité, j’ai choisi de comparer leurs présentations de soi genrées sur leurs affiches
de campagne. L’affiche de campagne a en effet l’intérêt d’être un pur produit de présentation
de soi, peu brouillé par des messages programmatiques plus complexes et moins personnels. Il
s’agit donc de se présenter aux électeurs et de laisser une forte impression, uniquement grâce
à des signes corporels, au sens barthésien du terme. J’ai donc analysé ces affiches à travers le
prisme du genre.
remplacé les serre-têtes et autres queue-de-cheval qu’elle affectionnait auparavant. Ségolène Royal a choisi, pour cette campagne, de se conformer aux critères de beauté valorisés par la norme contemporaine. Enfin, où Nicolas Sarkozy apparaît dur (« brutal » disent ses détracteurs), Ségolène Royal use désormais de son sourire comme d’une arme stratégique. […] le sourire de la candidate confirme son inscription dans le genre, de même que les métamorphoses physiques qu’on a observées et qui en ont fait une incarnation de la féminité. » Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 237 38 Selon l’heureuse formule de Marie-Joseph Bertini dans « Marie-Joseph Bertini, Femmes : le pouvoir impossible » Questions de communication, 14, 2008, pp 328-330 39 Selon Virginie Julliard, lors de notre entretien
28
- Martine Aubry : une virilité soulignée
Pour son affiche de campagne lors des primaires socialistes de
2011, Martine Aubry a choisi un fond bleu, dénué du logo du
Parti Socialiste. Si ce choix semble avant tout politique (le
rouge n’aurait pas été assez saillant pour une candidate issu du
parti dont c’est la couleur officielle), il n’est pas dénué de
signification. En effet, le bleu, couleur froide, est la couleur du
masculin par excellence. Si ce postulat binaire (bleu pour les
garçons, rouge ou rose pour les filles) semble être banal, il est
pourtant fortement ancré dans la culture populaire, et ce, depuis
la fin du Moyen-âge, selon l’historien Michel Pastoureau40
. Le
bleu sert ainsi à représenter le calme et le stoïcisme viril, contre le rouge, qui connote
davantage l’excitation voire l’hystérie féminine.
Le choix de la pose de la candidate est également très significatif. C’est l’une des rares
affiches de la présidentielle 2012 où le ou la candidat(e) est intégralement de face. Une pose
rare pour une personne de sexe féminin car, de manière générale, les femmes sont
représentées de façon désaxée, le buste orienté différemment de la direction du regard. Cette
iconographie, selon Michel Pastoureau, a déjà cours au Moyen-âge durant lequel le féminin se
représente par des corps désaxés, signe de folie. Une iconographie qui est ancrée dans les
mentalités et qui est toujours influente aujourd’hui, à en juger par les représentations de la
femme dans les affiches publicitaires, notamment pour les cosmétiques.
Sur cette affiche, la candidate affronte donc directement le vote des électeurs, une attitude
exclusivement virile41
mise en abyme dans le choix de la pose. Son sourire fermé connote
également une attitude virile qui s’oppose à l’éclat d’un sourire ouvert, traditionnellement
plus féminin. La coupe de cheveux est à mi-chemin entre le masculin et le féminin, rappelant
les chanteurs efféminées des années 70, soulignant encore une fois l’apparence trouble du
40 La Couleur de nos souvenirs, chez Seuil, 2010 41 Selon Pierre Bourdieu dans La domination masculine, op.cit , p 33: « [En Kabylie], les usages publics et actifs de la partie haute, masculine du corps – faire front, affronter, faire face, regarder au visage, dans les yeux, prendre la parole publiquement – sont le monopole des hommes ; la femme qui, en Kabylie, se tient à l’écart des lieux publics, doit en quelque sorte renoncer à faire un usage public de son regard (elle marche en public les yeux baissés vers les pieds). »
29
genre de la candidate. L’unique touche de féminité réside dans la couleur choisie pour la
veste, le rose. Mais cet aspect féminin de la veste est annulé par la coupe résolument neutre de
la veste de tailleur.
L’élément le plus intéressant de cette affiche est le choix de la mise en scène du second plan
de la photo. On y aperçoit distinctement trois corps d’homme tronqués, de face et de dos.
Homme parmi les hommes, le visage de la candidate masque le visage de celui qui se trouve
derrière elle, créant ainsi une figure mi-homme mi-femme qui correspond tout à fait à la
catégorie de femme virile dans laquelle j’ai choisi de la ranger. Le premier homme qui se tient
derrière elle porte un costume et le cordon d’un badge, symbolisant ainsi le travail et la
réussite, tandis que le second, dont on n’apercevoit que l’épaule, arbore une veste de jogging,
qui connote l’univers compétitif et viril du sport. « Soutenue » picturalement par ces deux
symboles, la candidate incarne la réussite masculine et le pouvoir.
- Ségolène Royal : le sur-jeu de la féminité
La première affiche de Ségolène Royal pour les élections
présidentielles de 2007, qui ne sera finalement pas retenue, la
montre au milieu et au second plan d’une foule de personnes
qui l’entoure. Contrairement à Martine Aubry, le sourire de
Ségolène Royal est ouvert et elle ne regarde pas l’objectif.
Sur cette photo, la candidate est au centre des attentions et est
exclusivement entourée d’hommes qui la regardent, ce qui
connote une féminité presque magnétique, qui a un fort
pouvoir sexuel sur les hommes ; une féminité virile, en
somme. Le choix du nom en police rose vient souligner le
sur-jeu de féminité qui règne dans cette affiche. On notera également le choix de l’italique
pour la police, qui évoque le corps désaxé dont je parlais auparavant, mais également la
soumission féminine, arme sexuelle redoutable, la flexibilité, la souplesse, contre le caractère
franc, affirmé et implacable d’une police droite, comme celle utilisé par Martine Aubry. On
note que le choix de l’italique sera conservé pour toutes les affiches de Ségolène Royal pour
la campagne de 2007.
30
Il s’agit ici de l’affiche officielle pour le premier tour de
l’élection présidentielle de 2007. Le positionnement de
Ségolène Royal semble alors clair et elle mise
sémiologiquement tout sur sa féminité exacerbée. Son visage,
légèrement orienté de trois-quarts et épuré par le choix du
noir et blanc évoque la délicatesse et la sensualité d’un
mannequin. Sa peau d’une blancheur virginale évoque la
vertu féminine de la chasteté. Malgré le fait qu’elle regarde
l’objectif, son regard semble perdu dans une rêverie, une
attitude culturellement définie comme féminine. Le visage
est encadré de rouge, couleur du sentiment et de l’excitation, comme je l’ai déjà mentionné, et
le slogan mérite que l’on s’y attarde puisqu’il est tout à fait égocentré. Ségolène Royal, qui,
sur cette photo, incarne la quintessence de la femme désirable, lisse de tout défaut, choisit
sémantiquement de ne faire qu’une avec « la » France et semble faire de son sexe le principal
argument de sa campagne.
Cette affiche est celle du second tour de l’élection présidentielle
de 2007. Ségolène Royal conserve le même argument : la France
présidente, c’est elle. Cependant, elle nuance les signes
apparents de sa féminité, certainement pour se donner une image
plus rigoureuse face à Nicolas Sarkozy. Elle s’attribue d’ailleurs
la couleur de son adversaire, le bleu de l’UMP. Si cette affiche
semble plus « institutionnelle », avec le choix de la couleur qui
vient réincarner une femme quasi-immatérielle sur l’affiche
précédente, elle conserve les principaux éléments d’une féminité
soulignée. Le sourire est ouvert et éclatant et le blanc, symbole
de la chasteté et de la fragilité, reste la couleur prédominante.
31
Cette affiche est celle de Ségolène Royal pour les
primaires socialistes de 2012. A première vue, la
candidate semble avoir conservé son principal
argument de campagne, c’est-à-dire sa féminité qui lui
permet d’être la France personnifiée. Cela semble
d’abord évident dans son slogan de campagne, qui use
du même artifice qu’en 2007, c’est-à-dire associer « la
France » à une photo de Ségolène Royal pour que l’une
se fonde symboliquement dans l’autre. Ici, cet artifice sémantique prend une forme visuelle,
car l’affiche reprend les codes graphiques du timbre postal de la République française (le
rouge mêlé de blanc), faisant de Ségolène Royal une nouvelle Marianne. Elle adopte la même
pose que la représentation de ladite Marianne sur le timbre, c’est-à-dire de profil ou de trois-
quarts, selon les années, le visage tourné vers l’horizon.
Une différence est notable, néanmoins, par rapport à 2007 : la présence de termes appartenant
aux champs lexicaux de la force et de la justice, thèmes virils, et j’y reviendrai. On peut déjà
entrevoir l’un des aspects du changement de stratégie de Ségolène Royal entre 2007 et 2012.
Si son image purement physique a peu changé, cette affiche annonce un changement dans le
contenu de son discours.
La candidate affiche ici un sourire éclatant, redoublant de féminité par rapport à une
Marianne souvent renfrognée sur les timbres. Ce désir d’incarner la figure allégorique de la
République française, symbole à la fois de féminité et de patriotisme, mais aussi d’érotisme
virginal, semble être entièrement assumé sur cette affiche. Le choix de l’icône est significatif
puisque Marianne semble être la figure de la féminité française la plus sexuellement
agressive, à l’opposé de la pure Jeanne d’Arc, par exemple. Marianne était, pour les
monarchistes du XIXème et le XXème, le symbole de la prostituée. A mi-chemin entre la
femme sensuelle et la mère nourricière, elle est souvent représentée seins nue, comme dans le
célèbre tableau d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple. C’est donc à cette figure à
la sexualité clairement accentuée que Ségolène Royal s’identifie, comptant sur son fort
pouvoir de séduction pour « contraindre » les électeurs.
L’affiche évoque également les muses du Pop Art immortalisées par Andy Warhol,
séductrices (Marilyn Monroe, Brigitte Bardot), respectables et autoritaires (Jackie Kennedy)
32
voire provocatrice (Liza Minnelli) mais toutes puissantes dans leurs domaines respectifs. Au-
delà de la sensualité féminine, c’est bien la puissance virile d’une séduction active qui est
exprimée en creux dans cette affiche.
- Marine Le Pen : une séduction travaillée
La seconde affiche est l’affiche officielle de la campagne de Marine Le Pen 2012. La
première est une ébauche et le projet a du être abandonné, certainement à cause de
l’utilisation des couleurs tricolores du drapeau français, dont l’usage à des fins publicitaires
est très réglementé. Elle vaut néanmoins d’être analysée. Héritière du père, femme d’extrême
droite à la rhétorique dure et agressive, Marine Le Pen, sous certains aspects, mériterait d’être
classée dans la catégorie des femmes-homme à l’identité ambiguë. Cependant, la candidate
oscille entre les deux catégories et joue de sa féminité pour affirmer le caractère unique de son
identité et se détacher politiquement du lourd héritage de son père, comme je l’expliquerai par
la suite. Elle parvient donc à effectuer un redoutable équilibre entre sa rigueur, sa rugosité
politique et sa féminité accentuée.
Dans ce sens, son physique est son principal atout, sa blondeur et son regard azur, mis en
valeur dans cette affiche, étant ses deux armes privilégiées pour affirmer sa qualité de femme
dans le microcosme exclusivement masculin qu’est l’extrême droite. Sa féminité lui permet
ainsi de sortir du carcan du candidat stéréotype de l’extrême droite, qui parvient rarement à
rassembler au-delà de son propre camp dans les urnes. Sur ces affiches, l’usage de sa
féminité est manifeste, notamment dans la première, où le regard est franc comme celui de
33
Martine Aubry, mais également séducteur, et où la pose évoque celle des stars de cinéma,
allongées et soumises à la caméra, l’œil métonymique de l’homme.
Le « Oui ! » saillant de son slogan évoque au choix le cri d’orgasme ou la soumission tacite
de l’acceptation de la demande en mariage. L’utilisation du terme « La France » rapproche
ces affiches de celles de Ségolène Royal ; mais le nom de la candidate n’est pas mentionné et
sa blondeur se fond dans le blanc du drapeau tricolore. Elle aussi semble ne vouloir faire
qu’une avec la France et utilise ainsi son sexe comme argument de campagne.
La seconde affiche est plus institutionnelle et moins provocatrice sexuellement. On pourrait la
rapprocher de celle de Martine Aubry, ce qui montre l’oscillation permanente de Marine Le
Pen entre les deux catégories de femmes politiques viriles. Elle fait également face à l’objectif
et son sourire est fermé. Son slogan, dénué de l’exclamation exaltée, semble plus nuancé et le
nom de la candidate apparaît désormais sur l’affiche. Femme séductrice, elle a troqué le noir
contre le bleu marine de la première affiche et devient ici femme-homme de pouvoir.
Ces différentes façons de mettre en scène son image, s’opposant parfois et se recoupant
souvent, montre la largeur de la palette des stratégies de présentation de soi des femmes
politiques du point de vue du genre. Les différentes mises en scène visuelles d’elles-mêmes
que j’ai pu mettre en évidence, montrent que des stratégies de présentation de soi genrée
imprègnent bel et bien la communication politique de ces candidates. Toutes ont choisi de
travailler leur image du point de vue du genre. Martine Aubry a fait le choix de souligner sa
virilité, pour évoquer l’univers du pouvoir et de la réussite. Ségolène Royal sur-joue sa
féminité pour personnifier la France et tacher ainsi d’en être la meilleure représentante. Quant
à Marine Le Pen, elle se montre séductrice, cassant ainsi les codes rigoureux de sa famille
politique et créant une certaine surprise.
Au-delà de l’expression physique du genre, présentée dans les affiches de campagne, et sans
pour autant cesser d’analyser les stratégies visuelles des candidates, je vais développer
l’aspect plus discursif de leurs stratégies de mise en scène de soi genrées.
34
C – Les différences de stratégies de mise en scène de soi
Cette partie a pour objet de mettre en lumière les différences de stratégies de présentation de
soi genrées, à travers l’analyse des clips de campagnes et des discours de candidatures de
Marine Le Pen, Ségolène Royal et Martine Aubry.
Les discours de candidature servent principalement, comme le nom l’indique, à annoncer une
candidature à une quelconque élection ainsi que l’ébauche d’un programme. Mais le ou la
candidat(e) s’en sert souvent pour se faire connaitre aux yeux de ses concitoyens : c’est donc
un texte aussi personnel que politique.
Le clip de campagne est également un exercice assez traditionnel. En un laps de temps
imparti, les candidat(e)s doivent se présenter, ainsi que leurs programmes, aux citoyens.
J’aimerais ajouter quelques précisions : si Marine Le Pen a réalisé son clip dans l’optique de
le faire diffuser à la télévision, et à destination de tous les citoyens, celui de Martine Aubry
n’est pas sorti du cadre de la campagne des primaires socialistes, puisqu’elle n’a pas été
finalement investie par son parti. Au-delà de cette distinction, il existe peu de différences
entre l’exercice réalisé au niveau national et l’exercice restreint au contexte de primaires
internes : les exigences sont les mêmes. Quant à Ségolène Royal, il semble qu’elle n’ait pas
voulu réaliser de clip pour la campagne des primaires socialistes. C’est pour cela que j’ai
analysé, de manière plus succincte, son premier clip de campagne de 2007, en gardant à
l’esprit le changement de stratégie de la candidate d’une élection à l’autre. A des fins de
comparaison, l’analyse du clip de 2007 s’est tout de même avérée intéressante.
1 – La neutralité de Martine Aubry contre l’oscillation de Marine Le Pen
On aurait tort, a priori, de classer Martine Aubry et Marine Le Pen dans la même catégorie
des « femmes-homme » viriles, même si cela semble tentant. Influencée par l’aspect physique
et l’accent autoritaire de Martine Aubry, comme par la rude rhétorique d’extrême droite – que
l’on a rarement entendue dans la bouche d’une femme – ainsi que par la voix gouailleuse de
Marine Le Pen, je les aurais sans doute classées dans la même catégorie. Et pourtant, après les
premières conclusions de l’analyse des affiches de campagne, j’ai confirmé mon hypothèse en
décryptant les discours et les clips, c’est-à-dire qu’il serait au contraire pertinent de les
différencier.
35
Ce qui prime en effet, chez Martine Aubry, c’est une rigoureuse mise en scène de la neutralité
genrée, c’est-à-dire le choix de faire le non-choix entre présentation de soi virile et usage de
ses caractères féminins. C’est ce que l’on observe dans son discours de candidature, tant en
termes de dispositifs scéniques que d’effets linguistiques.
Sobre face à ses militants, elle est seule devant la caméra, se détachant sur un fond gris bleu et
vêtue d’une veste noire sur une chemise blanche. Aucun signe distinctif de féminité, ni de
virilité mise en scène, malgré la masculinité reconnue des traits physiques et de la carrure de
la candidate.
Des trois candidates, elle est la seule à évoquer, dans son discours, son engagement pour
l’égalité des droits des hommes et des femmes : «L’égalité des droits, et d’abord entre les
femmes et les hommes, doit enfin devenir une réalité. » Sans s’y inclure, elle énonce
simplement cette proposition. Sa neutralité mise en scène lui permettrait ainsi de faire ce type
de proposition, sans que cela entre en contradiction avec une stratégie fondée sur la mise en
scène d’un genre en particulier. D’ailleurs, qu’est ce que l’égalité homme-femme sinon la
volonté de négation des différences de genre, et donc un effort de neutralité ?
Le clip de campagne de Martine Aubry dure 1 minute et 48 secondes et présente en
introduction le slogan de la candidate, « La volonté du changement ». C’est un slogan
sémantiquement neutre du point de vue qui m’intéresse, bien loin des slogans fortement
36
personnifiés de Ségolène Royal qui montraient l’usage primordial de son genre comme
argument politique.
Le clip débute sur quelques accents d’une guitare rock qui préludent à une chanson « pop-
rock ambiante » qui donne du dynamisme à l’ensemble. La candidate est montrée debout sur
une estrade – des images très habituelles et très sobres d’un meeting politique sans fastes
apparents -, vêtue de sa sempiternelle veste de tailleur noire sur chemise blanche.
Le clip est monté de façon thématique, déclinant les divers thèmes de campagne de la
candidate, qui s’inscrivent sur un fond de couleur et sont ensuite illustrés par un extrait de
discours sur le sujet. L’ensemble est très technique et le programme politique l’emporte sur la
présentation de soi. Comme lors du discours de candidature, les thématiques avancées42
, par
leur diversité, ne permettent pas d’analyser le choix de la candidate du point de vue de la mise
en scène du genre. Les thèmes culturellement plus « féminins » (l’accès à la culture, la
création d’un pacte éducatif, l’écologie) s’entremêlent sans hiérarchie aux thèmes connotés
plus « virils » (les banques d’investissement, la police de proximité).
On remarque d’ailleurs, sur les huit thèmes ainsi abordés, un savant équilibre qui fait que
deux thèmes qui se suivent alternent connotations viriles et féminines. Ainsi, « créer une
banque publique d’investissement » précède « instaurer un nouveau pacte éducatif » et
« autoriser le mariage pour tous » succède à « rétablir une police de proximité ». Cet équilibre
ordonné contribue à l’effort de neutralité récurrent chez cette candidate.
Un extrait se révèle plus saillant que les autres. Martine Aubry annonce vouloir « combattre
l’extrême droite » sur un ton aussi belliqueux que viril. Elle ajoute suite à cela : « Pour faire
barrage à la droite extrême, je suis prête. » Une affirmation qui mêle virilité dans le ton et le
contenu sémantique, à laquelle vient s’ajouter une touche de féminité dans l’emploi du
participe passé féminin audible « prête ». Un nouvel exemple d’équilibre entre virilité et
féminité, souvent utilisé par Marine Le Pen d’ailleurs, qui participe à la mise en scène de la
neutralité de la candidate.
42 J’aborderai plus précisément l’aspect genré des thématiques en seconde partie, en m’appuyant sur les théories du chercheur britannique Rainbow Murray, notamment dans l’article «True” and “Assumed” Gender Differences: A Study of Representation in the French Parliament » Paper for PSA 2011, University of London
37
Cet équilibre et cette égalité quasi-parfaite entre féminité et virilité, que l’on peut observer
tant dans le clip de campagne que le discours de Martine Aubry, semble opérer une fusion des
genres qui se rapprocherait de la neutralité, s’opposent à la stratégie de présentation de soi
genrée mise en scène par Marine Le Pen.
Marine Le Pen présente plutôt une oscillation permanente entre virilité et féminité,
mouvement notamment mis en scène dans son clip de campagne. Sans entrer dans des
considérations psychologiques, à savoir si cette virilité est innée ou jouée, on ne peut
qu’observer la trajectoire stratégique de Marine Le Pen, de la virilité à la féminité, et le
permanent aller-retour entre les deux. Contrairement à Martine Aubry, le résultat de cette
oscillation n’est pas la neutralité, mais bien l’érection de deux pôles genrés, l’un viril, l’autre
féminin, qui soutiennent la construction de l’identité politique de la candidate.
Sur fond bleu, la candidate est vêtue d’une veste de tailleur qui rappelle le vert des treillis
militaires. « Mes chers compatriotes […] Le Président du pouvoir d’achat aura été celui du
désespoir d’achat ». Immédiatement, la candidate se met en scène, et son discours sonne
beaucoup moins technique et beaucoup plus personnel que celui de Martine Aubry. On
retrouve chez elle « l’humour gaulois » de son père et son amour des jeux de mot et d’une
expression sans détour très virile. « Toujours pour les plus gros, toujours moins dans votre
portefeuille. » On observe un autre pan de la rhétorique de la candidate, une rhétorique
familière, populaire à l’accent populiste, traditionnel chez les grandes figures – toutes
masculines – de l’extrême droite française.
38
Contrairement à Martine Aubry, Marine Le Pen n’a choisi qu’un seul sujet pour son
allocution : c’est le pouvoir d’achat, un thème rassembleur et peu marqué au niveau du genre.
On comprend que c’est dans la présentation de soi, et non de son programme, que la candidate
pourra faire s’épanouir sa stratégie de mise en scène. « Je contrôlerai sévèrement les marges
de la grande distribution […] Fini le hold up ! » dit-elle plus tard, reprenant la virile
thématique du Far-West et incarnant le shérif défendant une population oppressée.
Mais on distingue un tout autre visage de la candidate dans son discours de campagne, où elle
sur-joue, au contraire, sa féminité. La blondeur soigneusement brushée, la candidate arbore un
foulard rose sur une veste de tailleur noire, une touche de féminité qu’on lui a rarement vu
avant 2012.
Dès la première phrase de son allocution, elle prononce le mot « candidate », ce qui pose tout
de suite les jalons de son discours : ce sera celui d’une femme candidate à l’élection
présidentielle, une précision que ni Ségolène Royal ni Martine Aubry n’ont jugé utile
d’afficher si tôt dans l’allocution. « Ma présence comme candidate à cette élection
présidentielle résulte d’un dur combat. » A mi-chemin entre la femme et le guerrier, cette
phrase met en abyme toute la complexité de la personnalité de Marine Le Pen, entre mise en
scène et naturel.
« Le moment est venu de dire clairement à toutes les Françaises et à tous les Français quel est
le sens de ma candidature. Présidente de parti, femme, mère de trois enfants, je lutte. » Elle
fait ainsi de son sexe son argument politique premier – puisqu’à lui seul, il représente le
« sens » de sa candidature – et affirme sa féminité par une structure ternaire, un procédé
rhétorique fort en littérature. Toute l’essence du discours est donc là.
Le mot « mère » est d’ailleurs répété sept fois lors du discours, alors qu’il est absent des
discours des deux autres candidates. Quant au mot « femme », on le trouve cinq fois chez
Marine Le Pen, contre trois fois chez Royal et Aubry. On remarquera également que son
usage est très différent puisque Marine Le Pen s’associe en permanence au substantif « Je suis
une femme », tandis que les deux autres candidates ne s’impliquent pas linguistiquement dans
cette catégorie : « il faut assurer l’égalité homme-femme », « je veux rassembler les femmes
et les hommes de gauche »…Enfin, il faut souligner la phrase « Je suis une Française parmi
39
les Français.», qui met au même niveau sa nationalité et son sexe en termes d’argument
politique, un parallèle inédit au Front National :
« […] La présence de Marine Le Pen jouant tout à la fois sur sa filiation (fille de …), son genre (les
« gars de la Marine ») mais aussi sur la mise en scène d’une féminité « ajustée » aux milieux
populaires qu’elle entend séduire, témoigne d’une tentative d’invention d’une figure de féminité
politique d’extrême-droite […] »43
Ces deux analyses comparées montrent bien la différence des stratégies de présentation de soi
genrées des deux candidates. Si l’une soigne la mise en scène de la neutralité de son genre,
l’autre choisit d’aller et venir, de façon permanente, entre virilité et féminité.
2 – L’ambiguïté de la stratégie de Ségolène Royal
« Durant les débats pour la primaire socialiste [en 2006], à une question d’un journaliste sur
ses différences par rapport à ses deux adversaires, Ségolène Royal répond : « il y en a une,
bien visible. » Lors de son investiture officielle, elle souligne qu’en « choisissant une femme
pour mener le combat des idées socialistes, vous avez, plus de deux siècles après Olympe de
Gouges et Rosa Luxembourg, un véritable geste révolutionnaire. » Durant une émission,
pendant la campagne officielle, elle déclare que « le temps des femmes est venu ». Ségolène
Royal fait du genre un argument de campagne. »44
En effet, comme l’on également remarqué Catherine Achin et Elsa Dorlin, la campagne de
Ségolène Royal en 2007 était extrêmement genrée, pour rivaliser avec la virilité agressive
mise en scène par Nicolas Sarkozy45
. Ségolène Royal sur-jouait donc sa féminité et ses
attributs féminins, ce qui lui a valu de nombreux commentaires peu élogieux dans la presse et
le milieu politique46
.
Son clip de campagne, en 2007, illustre bien ce constat :
43 Catherine Achin, tribune sur le site de Médiapart, op.cit. 44 Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 230 45 Catherine Achin et Elsa Dorlin, op.cit. 46 Marlène Coulomb Gully, op.cit., pp 229-251 « Le duel Sarkozy-Royal : Napoléon vainqueur de Marianne »
40
Habillée en blanc sur fond de ciel, elle évoque une féminité virginale, qui fait écho à ses
affiches de campagne de l’époque. « Françaises, Français vous me connaissez. Je suis une
femme, une mère de famille de quatre enfants. J’ai les pieds sur terre. » C’est ainsi qu’elle fait
de son genre un argument politique. Tandis qu’elle décline ses qualités, des photos d’elle
défilent encore, pour les illustrer. On s’arrête alors sur une photo d’elle serrant la main à
François Mitterrand. Elle narre en voix off « [J’ai tenu mes engagements dans toutes mes
responsabilités] […] comme conseillère de François Mitterrand pendant sept ans. […]. » Elle
s’attarde longuement sur son expérience de mère de famille, de femme politique, sans
finalement aborder une thématique politique précise.
Qu’en est-il de sa stratégie de présentation de soi en 2011 ? Voici ce que révèle l’analyse de
son discours de candidature pour les primaires socialistes. N’oublions pas que Ségolène Royal
est une candidate particulière par rapport aux deux autres, puisqu’elle a eu cinq ans pour
réfléchir aux erreurs commises durant la campagne présidentielle de 2007. Ce discours est
d’ailleurs représentatif de ce qu’elle essaye de ne surtout pas reproduire, c’est-à-dire l’hyper-
féminisation de sa campagne présidentielle précédente, symbolisée par son slogan, « la France
Présidente ».
Si elle use toujours, de façon plus nuancée, de la personnification, ce discours montre sa
tendance à effacer sa féminité au profit d’une ambiguïté plus importante entre son genre
biologique, qu’elle avait justement tendance à sur-jouer, et la virilité.
41
On remarque d’abord un mouvement permanent entre la féminité et la virilité, dès la mise en
scène visuelle de sa déclaration de candidature.
On y voit la candidate, habillée de blanc et de rose, couleurs très féminines, et en compagnie
de cinq hommes, élus dans la région. Ségolène Royal a ainsi repris le blanc virginal de ses
affiches de 2007, en l’agrémentant d’une touche plus féminine encore, le rose, qui est
également la couleur de son parti. Comme sur l’une de ses affiches de 2007, Ségolène Royal
est accompagnée d’hommes. Elle n’est néanmoins plus entourée par eux, mais se tient
désormais devant eux, adoptant ainsi une posture de meneur. Ici commence l’ambiguïté : alors
qu’il était clair que les affiches de 2007 mettaient en scène le fort pouvoir séducteur de la
candidate, qui était alors au centre de l’attention des hommes, il est ici difficile de trancher :
se met-elle en scène comme étant un homme parmi les hommes ? Veut-elle se montrer en
posture de domination sur les hommes, exploitant ainsi le canon paradoxalement très féminin
de la dominatrice ? Ou veut-elle conserver la disposition de son affiche, qui faisait d’elle un
objet séducteur et attirant ? L’ambiguïté est entière.
Elle semble en effet vouloir effacer une féminité auparavant sur-jouée et cette recherche de la
neutralité est manifeste jusque dans le choix des verbes, car je n’ai recensé qu’un seul
participe passé qui, mis au féminin, change à l’oral : « Je m’y suis préparée et j’y suis prête ».
Un tel effacement de sa féminité, jusque dans la langue du discours, contraste grandement
avec la Ségolène Royal que l’on a connue pendant la campagne de 2007.
Ségolène Royal semble ainsi vouloir sortir de la catégorie « femme politique féminine » dans
laquelle l’ont enfermée Catherine Achin et Elsa Dorlin – entre autres – en 2007. Les raisons
42
de ceci seront développées dans la seconde partie et le succès de cette stratégie de virilisation
sera mesuré en troisième partie, lorsqu’elle sera soumise à l’épreuve de la presse.
En conclusion de cette première partie, je soulignerai le poids des injonctions paradoxales
dont sont victimes les femmes politiques, notamment en termes de présentation de soi genrée.
«Ségolène connaît les périls qu’il lui faut éviter. Ne passer ni pour une virago féministe, ni
pour une séductrice. Ne pas apparaître asexuée comme Arlette Laguiller, ni trop virile,
comme Michèle Alliot-Marie. »47
D’après Catherine Achin48
, ces injonctions montrent les
difficultés, pour ces femmes, d’inventer un nouveau rôle de féminité gouvernante. On risque
la stigmatisation en jouant sur sa féminité, on s’expose au soupçon sur sa sexualité ou « son
accomplissement en tant que femme. »49
.
Leurs parcours, plus jalonnés par les nominations que par les élections, semblent suspects à
l’œil du politique. Leur simple présence dans le jeu politique est souvent aussi dénigrée que
leur façon d’y entrer. J’ai pu établir que les parcours de Ségolène Royal et de Martine Aubry
étaient sensiblement semblables, et correspondaient à l’archétype précédemment décrit. Celui
de Marine Le Pen, plus atypique, n’en a pas moins toujours été régi par les hommes.
A l’issue de cette première partie, je peux donc établir que des entreprises de virilisation, très
diverses, teintent effectivement les stratégies communicationnelles des candidates à l’élection
présidentielle. Si Martine Aubry semble cultiver une certaine ambigüité genrée, avec une
nette préférence pour la virilité dans la composition de ses affiches, la virilisation de Ségolène
Royal entre 2007 et 2011 est évidente. Quant à Marine Le Pen, dont la situation en tant que
leader d’extrême droite est sans doute plus complexe, elle semble savamment osciller entre
une séduction féminine et une rigueur virile.
Les concordances de stratégies de mise en scène de soi des candidates laissent à penser qu’il
existerait une véritable nécessité de paraître virile, quand on est une femme en politique. C’est
l’hypothèse à laquelle je tenterai de répondre dans la seconde partie de cette étude.
47 Christophe Deloire et Christophe Dubois, op.cit. p 364 48 Dans sa tribune publiée sur le site de Médiapart, op.cit. 49 Des soupçons dont Arlette Laguiller, par exemple, a souvent été victime.
43
44
Partie II – L’autolégitimation virile des candidates à l’élection présidentielle
Je soulignerai ici l’importance de la notion de « légitimité » dans l’exclusion des femmes, tant
concrète que symbolique, du champ politique. Je démontrerai ainsi que les stratégies de
présentation de soi genrée étudiées précédemment, de la mise en scène de la neutralité à la
virilisation, font partie des processus d’autolégitimation des candidates à l’élection
présidentielle. J’établirai ainsi que la question de la mise en scène du genre est au cœur des
processus d’autolégitimation politique de soi.
A – Virilité et légitimité en politique.
Cette partie a pour objet d’expliquer l’illégitimité des femmes en politique et surtout
d’éclairer les liens entre pouvoir politique et virilité. Ainsi je justifierai les stratégies de
présentation de soi genrées que j’ai pu observer chez les candidates par leur volonté de
s’autolégitimer dans un milieu qui leur est hostile.
1 – L’illégitimité des femmes politiques.
« Elle n’est pas outillée ». Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il commenté la candidature de Ségolène Royal
aux élections présidentielles françaises de 2007. […] Cette déclaration du chef de l’UMP est
révélatrice du statut toujours marginal des femmes en politique française, notamment sur la scène
présidentielle. »50
Comme le dit Marlène Coulomb Gully, les femmes, en politique, sont souvent « de trop »
dans cet univers masculin ; la politique, comme l’ensemble des civilisations occidentales et
malgré les avancées connues depuis la moitié du XXème siècle, demeure fondée sur la
prééminence de l’homme51
. Tout semble détourner les femmes d’une carrière politique, que
ce soit la vie familiale, la tradition ou l’éducation52
.
50 Manon Tremblay, « Mariette Sineau : La Force du nombre – Femmes et démocratie présidentielle » dans Recherches féministes, vol. 22, n°1, 2009, p 177 51 D’après Catherine Achin, tribune publié sur le site de Médiapart, op.cit. 52 « On peut penser que la socialisation anticompétitive qui leur est souvent prodiguée fait que les femmes, devenues adultes, présentent moins souvent les traits de personnalité indispensables pour s’affirmer dans un univers aussi concurrentiel et âpre que le jeu politique – ce que l’on appelle en psychosociologie l’assertivité et
45
De plus, tantôt vue comme une « pistonnée », une « favorite » ou une technocrate, les
parcours typiques de la plupart des femmes en politique (que j’ai décrits en première partie et
dont deux de nos candidates sont issues) ont mauvaise réputation dans un pays qui valorise la
légitimité démocratique, et d’autant plus depuis la réforme du 6 novembre 1962, prévoyant
l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. La Vème République
privilégie plutôt les parcours ascendants, du militantisme « de base » jusqu’à la consécration
du suffrage universel, plutôt que les nominations, qui sont considérées comme
démocratiquement illégitimes.
Cette illégitimité symbolique et démocratique se manifeste dans le sexisme dont les femmes
sont continuellement victimes. Les témoignages sont nombreux :
« On ne les prend pas d’abord pour ce qu’elles sont : des individus qui font de la politique et qui sont
de sexe féminin. On tend à les ramener à leur corps pour les déprécier dans l’exercice de leur fonction
politique. Comme me l’a confié une députée : « Personne ne m’a jamais dit que je n’étais pas une
vraie élue parce que j’étais une femme. Mais je l’ai senti plus d’une fois. »53
Un sexisme qui flirte parfois avec la misogynie54
, et même au sein des hautes instances de la
République :
« Il n’y a pas dix ans, Roselyne Bachelot affirmait que l’injure sexiste était monnaie courante au
Palais Bourbon (« L’Assemblée nationale est un haut lieu du machisme et du sexisme en France,
l’ambiance y est celle d’une chambrée de caserne »). Dans tous les cas, l’agression sexiste révèle
combien la femme n’a pas encore, en politique, la même légitimité que l’homme, si bien qu’elle n’est
pas autant protégée que lui par sa fonction – le traitement infligé à Édith Cresson lors de son
accession à Matignon en 1991 est ici très éloquent… »55
la capacité de dominance. » Grégory Derville et Sylvie Pionchon, « La Femme invisible, sur l’imaginaire du pouvoir politique » Revue Mots Les Langages du Politique, n°78, 2005, pp 53-64 53 Mariette Sineau, «Les femmes politiques sous la Vème République, à la recherche d’une légitimité électorale » op.cit. 54 « Quand estimant nécessaire de conquérir une légitimité démocratique, écrit Élisabeth Guigou, je décidai que, ministre, mon devoir était de participer aux batailles électorales. Là j’allais vraiment découvrir ce que la politique réserve aux femmes. » En campagne dans le Vaucluse, elle a été l’objet d’insultes relevant de l’obscénité : ce qu’elle dénonce être le « pain quotidien des femmes en campagne électorale. » Mariette Sineau, op.cit. 55 Grégory Derville et Sylvie Cherpion, op.cit.
46
Moins violemment, cette illégitimité se manifeste de façon plus insidieuse dans la langue
utilisée pour se référer au monde de la politique. Ayant conduit trente-deux entretiens semi-
directifs avec un large panel d’interrogés, Gregory Derville et Sylvie Cherpion ont tiré
d’édifiantes conclusions56
. Les interrogés avouaient ne pas être habitués au terme « femme
politique » mais ne pouvaient en trouver d’autres, ou bien multipliaient les lapsus (« il/elle »).
En somme, ils ont remarqué le recours quasi exclusif au genre masculin (« les hommes
politiques »). Ces manières d’exprimer le genre en politique reflète le fort ancrage de la
domination masculine, et l’inadaptation du féminin au monde du pouvoir, au sein de
l’inconscient collectif.
Françoise Héritier, anthropologue féministe, estime pour sa part que :
« Les femmes sont marquées dès le départ d’une indignité physique constitutive et elles devront
toujours faire la preuve par l’excellence de leurs actes […] alors qu’il suffit aux hommes d’afficher ce
signe sexuel pour affirmer à la fois leur aptitude naturelle et intellectuelle [...] d’autorité et de droit à
régenter.»57
Je mentionnerai également, comme dernière manifestation de l’illégitimité des femmes en
politique, le discours – répandu – selon lequel l’entrée des femmes en politique marquerait le
déclin du monde politique lui-même.
« Les femmes entrent en politique quand le politique est vidé de sa substance, quand le pouvoir est
ailleurs, aux mains des lobbies et de la finance, aux mains des hommes. […] C’est parce qu’elle n’a
pas fait son deuil de la puissance du politique – et la société française dont elle est après tout issue –
rechigne encore à voir enjuponné le velours rouge des fauteuils de l’Assemblée nationale. » dit Eric
Zemmour, « viriliste » revendiqué, dans son ouvrage, Le Premier sexe.
Les femmes n’entreraient donc en politique que parce que ce milieu est déjà dévalorisé et
déserté par les hommes (Eric Zemmour trace d’ailleurs un parallèle avec l’Education
nationale). En faisant coïncider féminisation et dévalorisation de ce milieu, ce type de
discours est l’une des plus violentes charges contre la présence des femmes en politique.
56 Grégory Derville et Sylvie Cherpion, op.cit. 57 Françoise Héritier dans Masculin/féminin. Dissoudre la hiérarchie, citée par Virginie Julliard, thèse citée, p 501
47
L’entremêlement de ces différents discours, qu’ils s’agissent de résultats de recherche
montrant les contradictions entre politique et féminité présentes dans l’inconscient collectif,
de plaidoyers politique d’intellectuels comme Eric Zemmour ou de (nombreux) témoignages
de la difficile condition des femmes en politique par les intéressées, montre la prégnance, à
tous les niveaux de la société, de l’idée de l’illégitimité des femmes politiques.
Considérées illégitimes à entreprendre une carrière dans un milieu qui leur est si hostile,
cette « loi salique symbolique » a empêché les femmes d’accéder – jusqu’ici – à la
prestigieuse fonction présidentielle. Mais que représente cette fonction ?
2 – Etre Président de la République en France
Quand le Général de Gaulle reprend le pouvoir en 1958, il contemple le désastre politique
causé par la IVème République, son Assemblée nationale toute puissante, ses partis politiques
occupés à d’incessantes tractations, ses gouvernements éphémères et surtout, son Président de
la République, aussi symbolique qu’impuissant.
La Constitution de 1958, qui donne naissance à la Vème République, bouleverse le système
préexistant, en faisant du Président de la République le premier personnage de l’Etat et la
« clef de voute » du régime, selon le Général lors d’une conférence de presse en 1962.
Comme le dit Mariette Sineau, « Divers traits institutionnels de la Ve République la
constituent pourtant en une sorte de République des mâles, assurant à ceux-ci le monopole
légitime de la politique. »58
, notamment la réforme du mode de scrutin pour l’élection
présidentielle, qui la personnalise fortement et qui fait de l’accès à la fonction une lutte
féroce59
pour le pouvoir. Comme je l’ai précédemment évoqué en citant les travaux de
Grégory Derville et de Sylvie Cherpion, ce n’est généralement pas ce à quoi les femmes sont
encouragées dans leur éducation.
L’article 5 de la Constitution résume les principales attributions du pouvoir présidentiel : « Le
Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État.
58 Les Femmes politiques sous la Vème République – A la recherche d’une légitimité électorale, op.cit. 59 Edouard Herriot, ancien Président radical du Conseil des Ministres pendant la IIIe République, dira de ce type de scrutin qu’il encourage les « combats de gladiateurs »
48
Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des
traités. »
Il possède de nombreux pouvoirs propres, dont ceux non négligeables de pouvoir dissoudre
l’Assemblée nationale (art. 12) et celui de prendre les pleins pouvoirs en cas de crise (art. 16),
alors inédits. Le Président de la République française jouit de pouvoirs extraordinaires
comparés à ses nombreux homologues : ainsi, contrairement au Président américain, il ne peut
être victime d’une procédure d’impeachment. Enfin, dans les faits, le Président de la
République française s’arroge bien plus de prérogatives qu’il n’était initialement prévu dans
les textes, grâce à une pratique du pouvoir qui a sacralisé le « domaine réservé » du Président
(la défense nationale et la politique étrangère notamment) ainsi que le parlementarisme
rationalisé, qui fait qu’en cas de fonctionnement « normal » du régime (c’est-à-dire hors
période de cohabitation), le Président bénéficie d’une majorité solide et dévouée à
l’Assemblée nationale, qui lui permet de faire aisément voter les projets de loi auxquels il
tient.
Malgré les dispositions de l’article 20 (« Le Gouvernement détermine et conduit la politique
de la Nation. Il dispose de l'administration et de la force armée […] ») et de l’article 21
(« Le Premier ministre dirige l'action du gouvernement. Il est responsable de la Défense
nationale. Il assure l'exécution des lois. […] »), le Président de la République assume souvent
seul, et selon son bon vouloir, la direction politique du pays, en demandant à son Premier
ministre et à son Gouvernement de suivre la même ligne que lui. Ceci, encore une fois, n’est
guère prévu dans les textes mais a été, en quelque sorte, « constitutionnalisé » par la pratique
du pouvoir initiée par le Général de Gaulle et poursuivie par ses successeurs, de toutes
couleurs politiques. L’origine de cette pratique, exceptionnelle au regard des autres systèmes
constitutionnels en Occident, est ancrée dans la réforme du mode de scrutin de 1962.
La corrélation est reconnue et il semble ainsi que la légitimité démocratique l’emporte sur le
texte constitutionnel, élaboré lorsque le Président de la République était encore élu par un
collège de grands électeurs. Ceci explique pourquoi la notion de légitimité est essentielle pour
comprendre le fonctionnement de la Vème République et pourquoi les procédures de
légitimation sont si importantes pour tout candidat à l’élection présidentielle.
49
Le Président de la République concentre donc en sa personne quasiment toute l’autorité de
l’Etat. Son irresponsabilité, aux termes de l’article 68, évoque l’héritage de la loi salique des
monarchies d’antan et ce vieil adage, « le Roi ne peut mal faire. ». Ce n’est d’ailleurs pas le
seul héritage de la monarchie que l’on peut trouver dans les Républiques françaises
successives, comme je l’ai mentionné précédemment.
Bien qu’il n’existe plus de code édictant l’interdiction de l’accès des femmes à la fonction
suprême, il semble ainsi qu’il y ait un verrouillage symbolique de la Présidence de la
République pour les individus de sexe féminin, qui peut être expliqué par l’illégitimité
symbolique des femmes en politique, mais pas uniquement.
Ce verrouillage a également plusieurs origines culturelles, dont le modèle patriarcal des
sociétés occidentales ainsi que le fort héritage monarchique français, une monarchie bien
différente de celles que l’on peut trouver en Europe, caractérisée par l’absolutisme et
l’exclusivité masculine du trône. Le Roi, concentrant tous les pouvoirs en ses mains60
, était
l’incarnation de Dieu sur terre. Pierre de Bérulle, théoricien historique de l’absolutisme,
peindra ainsi la monarchie absolue : « Un monarque est un Dieu selon le langage de
l'écriture […] Un Dieu non subsistant, mais dépendant de celui qui est le subsistant par soi-
même ; qui étant le Dieu des Dieux, fait les rois Dieux en ressemblance, en puissance et en
qualité, Dieux visibles, images du Dieu invisible. »61
Dieu étant, dans la religion catholique,
une entité anthropomorphique et toujours masculine, son image sur terre ne pouvait être
incarnée par une femme. Les femmes se trouvaient ainsi déjà exclues de la représentation, non
pas de la représentation du peuple telle qu’on la connait aujourd’hui, mais bien de la
représentation du pouvoir de Dieu sur terre, les rendant par la même illégitime à prétendre au
trône.
L’autre causalité historique de l’exclusion symbolique des femmes en politique est la tradition
extrêmement prégnante de l’Homme providentiel, datant du XIXème siècle. Le XIXème voit
en effet les premiers pas hésitants des Républiques, remplacées successivement par une
monarchie et par un Empire. C’est qu’en effet les premières Républiques ne prenaient pas en
compte le désir populaire, ancré dans la personnalité du peuple français, de voir à la tête de
60 Les opposants à la Vème République et à la réforme de 1962 établiront de nombreux parallèles entre l’absolutisme et ce nouveau régime. 61 Discours de l’Etat et des Grandeurs de Jésus, adressé à Louis XIII en 1623
50
l’Etat quelqu’un qui incarnerait véritablement le pouvoir, à la manière du Roi ou de
l’Empereur et contrairement aux collèges et aux Assemblées qui ont échoué les uns après les
autres. On trouve la preuve de l’existence tangible de ce désir populaire dans les plébiscites de
1851 et de 1852 qui ratifièrent le coup d’Etat du Président Louis-Napoléon Bonaparte puis le
retour à l’Empire. On en trouve également une preuve dans la formidable popularité du
Georges Boulanger, le Général autoritaire, et le nombre d’adhérents à son mouvement.
La figure de l’Homme présidentiel est une figure éminemment virile puisqu’elle concentre les
notions d’autorité, d’action contre la fatalité (toujours le schéma de la virtus contre la fortuna)
et de détermination. Le Général de Gaulle, en sa qualité de militaire, par la personnalisation
du pouvoir qu’il a imposé et par son usage régulier des « référendums plébiscitaires », en est
la dernière incarnation archétypale. Aucune de ces qualités n’est culturellement,
historiquement associée au genre féminin. C’est bien cette tradition du pouvoir viril et les
principes constitutionnels qui la corroborent autant qu’ils l’accroissent qui assurent la
reproduction de l’hégémonie masculine sur la fonction présidentielle.62
Etre Président en
France reste donc encore symboliquement inaccessible aux femmes, du moins aux femmes
féminines et ne peut être envisageable que pour un candidat de sexe masculin certes, mais un
candidat de sexe masculin viril.
3 – La nécessaire virilité du détenteur du pouvoir politique
Virilité et légitimité semblent indissociables. C’est bien la représentation sociale dominante,
dont découle l’usage linguistique intempestif du genre masculin quand on se réfère à l’univers
politique.63
L’universel, l’idéal de la représentation démocratique, reste toujours pensé au
masculin64
, qui est identifié, de façon abusive, au neutre. Comme le dit Virginie Julliard65
, la
62 « […] l’ordre établi, avec ses rapports de domination, ses droits et ses passe-droits, ses privilèges et ses injustices, se perpétue en définitive aussi facilement, mis à part quelques accidents historiques et que les conditions d’existence les plus intolérables puissent apparaître comme acceptables et même naturelles […] Pierre Bourdieu, La Domination masculine, op.cit. p 11 63 Voir la partie II-A-1 et les entretiens semi-directifs menés par Gregory Derville et Sylvie Cherpion, op.cit. 64 Armelle le Bras, « Mariette Sineau : Femmes et pouvoir sous la Vème République, de l’exclusion à l’entrée dans la course présidentielle » Paris, Presse de Science po, 2011 65 Thèse citée, p 429
51
sphère politique valorise certains attributs associés au masculin (combativité, assurance ou
autorité), contrairement aux qualités féminines66
.
Gregory Derville et Sylvie Cherpion citent notamment l’anthropologue Françoise Héritier
(mais on peut également mentionner Georges Balandier) qui affirme que dans presque toutes
les sociétés, le pouvoir est lié à l’exercice de la puissance virile67
.
Eric Fassin, Professeur de Sciences Politiques à Paris VIII raconte en effet cette anecdote68
révélatrice de l’universalité de cette représentation : en pleine campagne présidentielle, en
2008, Barack Obama fait une partie de bowling devant quelques caméras et un parterre de
militants. Sa performance n’est pas extraordinaire :
« Non seulement Obama ne joue pas comme un adulte, mais sur MSNBC, un présentateur, Joe
Scarborough, n'hésite pas à le comparer à « ma fille de quatre ans et demi ». Au cas où l'allusion
serait passée inaperçue, sa collègue y insiste en riant : « Obama joue au bowling comme une fille ! »
Et lui de renchérir : « Les Américains veulent que leur Président, si c'est un homme, soit un vrai
homme. Avec un score de 150, « on est un homme, ou une femme qui sait jouer ». Mais Obama serait
décidément trop « délicat » (il utilise le mot dainty, comme on le dit d'une jeune fille exquise). »
L’énergie virile qui a déserté la performance sportive de Barack Obama fait donc s’interroger
ces journalistes sur la capacité à gouverner du candidat…
En France, cette représentation culturelle est également très prégnante, à en juger par les
propos de certains hommes politique, comme le très gracieux : « La France a envie qu’on la
prenne, ça la démange dans le bassin.» (Dominique de Villepin) ou « Les villes, c’est comme
les femmes, il ne suffit pas de les séduire, il faut savoir les prendre.» (Raymond Barre), et elle
66
« Les attributs sociaux associés au féminin (maternité, douceur, patience) se situent aux antipodes des valeurs du monde politique. De plus, ils paraissent ne nécessiter aucun apprentissage. Pour autant, et quoique cela contrarie la construction de leur féminité, les femmes désireuses de mener une carrière politique peuvent adhérer aux critères de la virilité qui désigne « le conformisme aux conduites sexuées requises par la division sociale et sexuelle du travail.» Virginie Julliard, thèse citée, p 430 67 « En Mélanésie, où elle [la puissance virile] apparaît comme un des moyens exprimant et légitimant par le langage du corps et des « humeurs » (le sang, le sperme) toutes les formes de la domination (des hommes sur les femmes, de quelques hommes sur tous les autres), comme en Afrique. La symbolique des royautés africaines de la tradition renvoie toujours aux signifiants de la puissance, dont celle du sexe. L'équivalent du roi est alors l'Étalon, le Taureau, le Lion, le Bélier. » George Balandier, « Le Sexuel et le social, lecture anthropologique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 76, janvier-juin 1984, pp. 5-19. Paris : Les Presses universitaires de France. 68 Dans « Des identités politiques », Raisons politiques 3/2008 (n° 31), p. 65-79.
52
est également partagé par le citoyen lambda69
: « On comprend que d’un point de vue qui lie
sexualité et pouvoir, la pire humiliation pour un homme consiste à être transformé en
femme. »70
Catherine Achin, Elsa Dorlin et Juliette Rennes, toutes trois spécialistes du genre en politique,
analysent l’institution du Président de la République comme étant un véritable rôle, ce qui se
rapproche de l’analyse goffmanienne des stratégies de mise en scène de soi que j’ai évoquée
en première partie.71
« Les normes juridiques, les rites, les savoirs accumulés et les routines,
les attentes qui pèsent sur les rôles, constituent des « contraintes » pour les acteurs, qui sont
autant des impositions de manières d'agir que des ressources pour l'action. »72
Il y aurait donc
des contraintes inhérentes au rôle codifié du Président de la République, qui barreraient
l’accès à la fonction à tous ceux – toutes celles – qui n’auraient pas les attributs requis pour
pouvoir l’incarner. « […] On sait par exemple à quel point en France la figure tutélaire du
général de Gaulle, premier Président de la République de la Ve République a pesé sur la
définition contemporaine du rôle présidentiel et a rendu délicate l'émancipation de ce moule
pour ses successeurs. »73
Dans l’univers viril de la politique, les femmes seraient donc vues comme des usurpatrices,
transgressant le principe fondamental de la hiérarchie des sexes74
et dévalorisant le milieu
qu’elles pénètrent.75
J’ai donc tenté de démontrer que le déficit de légitimité des femmes en politique, qui leur
interdit l’accès, notamment, à la fonction présidentielle, est enraciné dans la représentation
69 « L’homme politique idéal doit être – si j’ose dire - couillu » formule d’un lecteur du monde (14.04.2007) citée par Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 249 70 Pierre Bourdieu, La Domination masculine, op.cit., p 38 71 « L'un des outils les plus heuristiques de cette approche réside dans la notion de « rôle », telle qu'elle a été envisagée par les sociologues Peter Berger et Thomas Luckmann. Selon eux, si les institutions sont objectivées dans le langage, les symboles et les objets matériels, elles ne vivent qu'à travers la manière dont les rôles rattachés à l'institution sont tenus. Le rôle, c'est donc « l'ensemble des comportements qui sont liés à la position qu'on occupe et qui permettent de faire exister cette position, de la consolider, et surtout de la rendre sensible aux autres. Cette perspective permet d'échapper à l'opposition stérile entre une approche en termes d'apprentissage des rôles qui fait prévaloir une certaine « logique des institutions », et une analyse interactionniste qui tend à l'inverse à présenter les rôles comme des comportements résultant des seules attentes des partenaires. » Catherine Achin et al. « Capital corporel identitaire et institution présidentielle : réflexions sur les processus d'incarnation des rôles politiques », Raisons politiques 3/2008 (n° 31), p. 5-17. 72 Catherine Achin et al. op.cit 73 Catherine Achin et al. op.cit 74 D’après Mariette Sineau, Les Femmes politiques sous la Vème République, op.cit. 75 D’après Eric Zemmour, op.cit.
53
sociale, imposante et populaire, qui lie virilité et pouvoir politique légitime. Une virilité du
pouvoir politique qui se met souvent en scène, notamment depuis la fin du XIXème. On peut
l’expliquer par l’influence des diverses ligues d’extrême droite, l’avènement de la compétition
politique suscité par l’émergence d’élections au suffrage universel direct mais également par
l’apparition et la chute des courants idéologiques totalitaires qui ont marqué l’inconscient
collectif. La guerre a donné à la virilité de nouvelles caractéristiques qui s’ajoutent à la force
morale : le sens du sacrifice et l’acceptation d’affronter la mort.76
Les idéaux fascistes et
nazis, quant à eux, ont construit des stéréotypes physiques très précis de l’homme viril, qui se
sont largement diffusés en Europe, ainsi que l’exprime l’historien Henri Amouroux : « un mot
qui revient dans la presse à l’époque [de l’Occupation], c’est la virilité. Les Français étaient
attirés, séduits par les Allemands virils. Ils se disaient, enfin, nous sommes gouvernés ! »77
De cet entremêlement d’idéologies, de compétition politique et de tradition politique séculaire
est née la nécessité de souligner, voire de mettre en scène sa virilité pour quiconque souhaite
accéder au trône républicain suprême. Mais heureusement, comme le dit Marlène Coulomb
Gully qui cite un ancien Premier ministre français : « Pierre Mauroy décrète que Simone Veil
est le seul homme du gouvernement (Le Figaro, 11.02.1981). Pour bien gouverner, il faut
donc faire preuve de virilité qui, concession à souligner, n’est pas l’apanage des seuls
hommes. »78
B – L’autolégitimation des femmes politiques par la présentation de soi virile
Il s’agit désormais de démontrer que les candidates à l’élection présidentielle veulent pallier
leur déficit de légitimité en mettant en place des processus d’autolégitimation, sous forme de
stratégies de communication. C’est le concept de « légitimité cathodique » de Jean-Marie
Cotteret, Professeur de Sciences Politiques à Paris I, qui m’accompagnera tout au long de ma
démonstration.
76 Alain Corbin, historien français, dans une interview au journal Sud-ouest, le 12-01-2012 77 Henri Amouroux, historien, dans l’émission « Apostrophes » « Les intellectuels et la collaboration », le 01-12-1978 78 Marlène Coulomb Gully, op.cit., p 93
54
1 – Autolégitimation et légitimation cathodique.
Le verbe « légitimer » signifie « reconnaître par la loi, justifier ce qui est fondé en droit »79
.
La fonction de Président de la République est donc légitime, puisqu’elle émane d’un corpus
constitutionnel qui la justifie autant qu’il la contraint. Cependant, trop souvent la confusion
est faite entre « légitimité », c’est-à-dire une autorité, une domination reconnue de manière
consensuelle avec une base juridique en fondement, et « légalité », qui recouvre uniquement
ce qui est strictement conforme au droit. La légitimité, de manière plus large, peut
s’émanciper des textes et être consacrée par une pratique si celle-ci reçoit le consentement
tacite ou explicite d’un groupe d’individus donné.
C’est l’exemple du « domaine réservé » du Président de la République, qui lui arroge le
monopole de la gestion de la Défense et des Affaires étrangères alors que ceci n’est pas prévu
de manière légale, c’est-à-dire dans les textes. Cependant la légitimité démocratique du
Président de la République, entérinée par la réforme du scrutin présidentiel de 1962 et la
pratique du pouvoir qui en découle l’emporte aux yeux du peuple sur l’aspect strictement
légal du texte constitutionnel, comme je l’ai mentionné auparavant.
Les candidates n’auraient d’autre choix, pour acquérir la légitimité politique qui leur fait
défaut en tant que femmes, que de mettre en place des processus de légitimation d’elles-
mêmes. C’est ce que j’entends par « autolégitimation ». Selon Max Weber80
, il existe trois
fondements de la légitimité qui s’appliquent aussi bien à l’Etat qu’à l’homme (ou la femme)
de pouvoir. En premier lieu il cite la légitimité « traditionnelle », « l’autorité de l’éternel hier
[…] sanctifié par […] l’habitude enracinée en l’homme de les respecter. ». Sous certains
régimes, comme la monarchie, ce principe s’est souvent – mais pas toujours – allié au second
fondement, la légitimité « charismatique », qui se caractérise « par le dévouement […] des
sujets à la cause d’un homme [en tant qu’il se singularise] par des qualités prodigieuses. »
Notre système démocratique contemporain, d’un point de vue strictement légal, se fonde sur
le troisième principe énoncé par Weber : la légitimité dite « rationnelle-légale », justifié par
« une compétence positive fondée sur des règles établies rationnellement. ». Ces trois
79 Dictionnaire Larousse 2003 80 Max Weber, « Le Métier et la vocation d’homme politique », in Le Savant et le politique, pp 124-127, 1919, trad. J. Freund, Plon/UGE, 1959
55
principes sont exposés en suivant deux axes : du moins légal au plus légal et du plus archaïque
au plus moderne.
Cependant il est exclu d’isoler la légitimité rationnelle-légale comme unique donnée
explicative de notre système politique actuel. Selon Jean-Marie Cotteret, « la légitimité du
pouvoir passe aujourd’hui aussi par la capacité des gouvernants à communiquer. »81
Les
candidates à l’élection présidentielle compenseraient donc leur déficit de légitimité par une
autolégitimation communicationnelle et médiatique :
« Actuellement la vie politique française s’articule autour de deux pôles de légitimité : la légitimité
élective qui, juridiquement, règle la vie politique, confère l’autorité aux élus, et impose l’obéissance
aux électeurs et cathodique qui, elle, confère aux plus apparents, ceux qui accèdent aux médias, une
autorité réelle ».82
On peut rapprocher cette légitimité cathodique de la légitimité charismatique décrite par Max
Weber puisqu’elle semble en être la continuité naturelle, s’adaptant à la fois aux évolutions
des technologies de la communication et aux nouvelles exigences de la vie politique.
« Le duel, affrontement physique d’homme à homme ayant disparu, lui succède la guerre des images.
[…] Dans notre société de l’image, le passage devant les caméras pour un débat politique est un des
espaces privilégiés de l’exploit. […] Le combat des chefs politiques est passé de l’agora au plateau de
télévision. »83
Ce processus d’autolégitimation, ne répond à aucun critère inscrit dans des corpus légaux et se
montre par là même difficile à définir pour les gouvernés et à maîtriser pour les gouvernants.
S’entourant de conseillers en communication, les postulant(e)s au pouvoir et les titulaires
tentent de s’auto-légitimer en se construisant une image qu’ils pensent être conforme au
stéréotype populaire du détenteur du pouvoir présidentiel. C’est donc par la communication et
par la mise en scène de soi qu’ils tenteront de s’auto-légitimer. Ainsi, pour prétendre à la
légitimité présidentielle, les candidates construisent une image virile ou virilisante d’elles-
mêmes, se rapprochant au plus près des figures archétypales du pouvoir politique français,
comme l’Homme providentiel.
81 Jean-Marie Cotteret, Gouverner c’est paraître, Puf Quadrige, 2002, p 61 82 Jean-Marie Cotteret, Gouverner c’est paraître, op.cit, p 23 83 Christine Castelain-Meunier, Les Hommes aujourd’hui : virilité et identité, Acropole, 1998, p 30
56
2 – Personnifier le pouvoir et incarner l’Homme providentiel
A la lumière de cette démonstration, on peut à présent apprécier certains extraits des clips de
campagne et des discours de candidatures des femmes politiques comme étant des tentatives
d’incarner des figures du pouvoir traditionnellement viriles.
Ségolène Royal a mené une campagne présidentielle très personnifiée en 2007, comme je l’ai
mentionné en première partie. Elle semble avoir conservé ce ressort stratégique en 2011, ainsi
que le montre cet extrait de son discours de candidature : « La gauche n’a pas à rougir de
vouloir redonner au monde l’image de sa grandeur et la preuve de son unité. » dit-elle avant
d’entamer un développement en deux points, commençant par ces deux phrases : « J’ai
l’expérience des grandeurs […] » ainsi que « J’ai compris que le rassemblement des
socialistes devait se construire […] ». Elles correspondent parfaitement aux deux premières
propositions, auxquelles elles répondent dans une structure anaphorique qui met en valeur le
pronom personnel « je ».
On peut y voir une mise en abyme discursive de sa stratégie de personnification, elle qui
voulait, en 2007, incarner la France.84
Contexte des primaires socialistes oblige, c’est ici la
gauche, et non plus la « France Présidente » que Ségolène Royal souhaite représenter. On
remarque qu’il s’agit toujours d’un substantif féminin (« la gauche » ou « la France »), ce qui
lui permet d’adapter les codes de la personnification virile du pouvoir à son genre biologique,
genre dont elle fait à quelques reprises un argument politique, comme je le développerai par la
suite.
Martine Aubry, elle, prononce ces mots dans la péroraison du discours de son clip de
campagne : « Avec vous, avec tous, je suis prête à écrire une nouvelle page de l’Histoire de
France […] J’ai besoin de vous, de votre force, de votre enthousiasme, de vos valeurs ! »
L’appel à l’aide est l’un des procédés rhétoriques favori du Général de Gaulle, l’Homme
providentiel par excellence, à la fin de ses discours, et cela a d’ailleurs été repris par Nicolas
Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2012. L’appel à l’aide est paradoxalement un
procédé rhétorique très viril car il suppose que celui qui l’emploie ne soit pas associé aux
84 Voir partie I – B – 2 et l’analyse des affiches de campagne.
57
notions de faiblesse et de fragilité, comme une femme politique peut l’être, car cela viendrait
ruiner l’effet escompter, celui d’incarner une force fédératrice. C’est donc parce que Martine
Aubry a réussi à se construire une image de neutralité, et qu’elle bénéficiait déjà d’un capital
viril assez important, qu’elle peut se permettre une telle péroraison que l’on imagine mal, par
exemple, dans la bouche de la Ségolène Royal de 2007.
Mais c’est sans aucun doute Marine Le Pen qui use le plus des stratégies de personnification
et qui tente d’incarner l’Homme providentiel. Cela s’explique probablement par son besoin de
légitimité plus important, puisqu’elle porte la candidature de l’extrême droite à l’élection
présidentielle. Or, j’ai déjà évoqué l’attachement de ce type de courants idéologiques aux
figures traditionnelles du pouvoir.
Dans certains extraits de son clip de campagne, elle incarne le personnage de l’Homme seul,
thème très proche de celui de l’Homme providentiel, celui qui sait ce qui est bon pour le
peuple et qui, même incompris au début, saura le guider vers la lumière. Une figure qui a
également une forte résonance dans l’idéologie fasciste et de forts accents machiavéliques.
C’est ainsi qu’elle énonce : « De la CGT au MEDEF, de la gauche à la droite, tous sont pour
cette Europe [celle de Bruxelles]. Pas moi […] Je n’aime pas les dogmes et les idéologies. »
Elle ajoute, sur les élites politiques : « Je ne suis pas de leur bord. » Puis, sur la guerre en
Lybie : « Je pense à la guerre en Lybie, que seule j’ai dénoncée. »
L’oscillation entre virilité et féminité85
l’a d’ailleurs sans doute mené à choisir, pour son
discours, un sujet neutre mais populaire comme le pouvoir d’achat. Nouveau leader de
l’extrême droite, et on remarquera la difficulté de mettre ce terme au féminin, Marine Le Pen
a choisi de réaliser un clip de campagne sobre, fondé avant tout sur la parole plutôt que sur les
images, voulant principalement fédérer autour de sa personne. Son discours est très
personnalisé, notamment avec une longue anaphore en « Je veux… » et surtout quelques
procédés rhétoriques très révélateurs. « Dès mon élection, j’imposerai une baisse de 5% des
tarifs du gaz. L’Etat contrôlera les services publics. Je mettrai fin par exemple fin au racket
des radars automatiques. » Outre l’emploi du verbe « imposer », qui connote une vision très
monarchique de la gouvernance, elle fait succéder, comme sujets des deux phrases qui se
suivent, « L’Etat » et le pronom personnel « je », les faisant fusionner, à la manière de la
85 Voir partie I-C-1
58
maxime royale « L’Etat, c’est moi. ». Elle s’impose donc comme un leader incontestable, à la
manière d’un monarque en évoquant à la fois l’omnipotence et la virilité d’un Roi de tradition
française.
Elle utilise également, un peu à la manière de Ségolène Royal mais dans une stratégie de mise
en scène du genre totalement opposée, la personnification : « Je veux redonner une voix à la
France. La France est écoutée quand elle sort du lot. » La voix de la France, métonymie de la
France, c’est donc elle.
Elle achève son discours par ces mots : « Je ne vous abandonnerai pas. » Des mots qui
rappellent ceux de François Mitterrand à la veille de sa mort « Je crois aux forces de l’esprit et
je ne vous quitterai pas. » Une expression très forte, qui évoque la figure patriarcale et qui fait
écho au « J’ai besoin de vous » de Martine Aubry. On s’amusera des références croisées des
deux candidates, chacune évoquent une figure virile forte du camp opposé.
L’illégitimité politique initiale de ces candidates les encourage à s’auto-légitimer par le biais
de stratégies de communication qui favorisent la mise en scène de soi dans le rôle le plus
traditionnel – et le plus légitime – de la politique française, l’Homme providentiel. Ainsi, elles
mettent en scène les ressources politiques86
qui leur font défaut. On constate donc que la
question du genre, et plus particulièrement de la virilité, est au cœur de leurs différentes
stratégies de présentation de soi.
C – La virilité au cœur des stratégies de présentation de soi
Il s’agira ici de montrer que le dénominateur commun aux stratégies de présentation de soi
des candidates à l’élection présidentielle réside dans la mise en scène d’une certaine virilité,
afin d’acquérir la légitimité politique qui en est indissociable. J’organiserai la première partie
de cette démonstration en deux temps, en analysant d’abord le choix des thématiques des
candidates dans leurs clips de campagne et leurs discours de candidature, puis en soulignant
ce qui relève, dans ce même corpus, de l’héritage patriarcal et de l’inscription dans une
tradition virile. La troisième sous-partie nuancera néanmoins cette démonstration, car elle
86 Catherine Achin, Elsa Dorlin et Juliette Rennes, op.cit.
59
révèlera qu’une féminité également sur-jouée et mise en scène peut parfois faire partie de la
stratégie d’autolégitimation d’une candidate.
1 – le choix des thématiques
Comme je l’ai déjà évoqué à propos du clip de campagne de Martine Aubry87
, le choix des
thématiques est un choix genré. Certaines thématiques sont culturellement définies comme
étant « féminines » et d’autres « masculines », comme le dit le chercheur britannique
Rainbow Murray88
: « [Women] will be “ghettoised” within policy areas traditionally
associated with [them] and previously neglected […] »89
. Pendant longtemps sous la Vème
République, les femmes politiques, et notamment les rares femmes ministres, étaient
cantonnées dans certaines thématiques dont il était très dur de sortir. « […] while women
might be trying to cover the full range of policies, they are still expected to be the public face
of “feminine” policies. »90
Le ministère de la Défense dut ainsi attendre jusqu’en 2002 pour avoir une femme à sa tête et
encore était-ce la très virile Michèle Alliot-Marie. Ces thématiques, on peut aisément
l’imaginer, concernent les domaines du social, de l’environnement, de l’enseignement…En
somme, des domaines relevant du care, soit de « la transposition dans l’espace public des
tâches traditionnellement assurées par les femmes dans le domaine privé. »91
, dont la
crédibilité et la légitimité sont moindres dans le champ politique.
L’anthropologue Marc Abélès en fait le constat lors d’une enquête de terrain d’un an à
l’Assemblée nationale :
« La représentation des deux sexes au sein des commissions est notoirement inégale. On envoie les
femmes de préférence aux Affaires culturelles, familiales et sociales et à la Production et aux
Echanges. Si elles siègent aussi en nombre plus limité à la commission des Lois, les Affaires
87 Partie I-C-1 88 «True” and “Assumed” Gender Differences: A Study of Representation in the French Parliament » Paper for PSA 2011, University of London 89 « Les femmes seront ghettoïsées dans des thématiques politiques qui leur sont traditionnellement associées et qui étaient auparavant négligées. » 90 « Alors que les femmes essayaient de s’emparer de tous les thèmes politiques, on attendait d’elles qu’elles soient la vitrine des politiques « féminines » » Rainbow Murray, op.cit. 91 Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 21
60
étrangères, la Défense, et les Finances demeurent l’apanage des hommes. L’observateur qui s’étonne
du caractère ultra masculin de ces aréopages ne reçoit que des réponses évasives : cela tiendrait à
l’incompétence ou à l’inexpérience des élues, mais, assure-t-on, cette situation ne va pas durer. »92
A la tentative de Martine Aubry de mettre « la société du care » au sein du projet socialiste
pour 2012, en insistant sur le « bien-être et le respect » qui devaient l’emporter sur « le
matérialisme et le tout-avoir », le journaliste Jean-Michel Apathie a répondu en lui décernant
« un prix de nunucherie ».93
Le responsable du pôle Conseil de l’agence de communication spécialisée dans le consulting
politique m’a d’ailleurs tenu ces propos :
« A la base, la politique, c’est tout de même une affaire d’hommes. Par exemple, mon grand-père était
militant et ma grand-mère ne faisait que suivre. Il n’y a pas vraiment eu de femmes politiques jusque
dans les années 90. Avant quand il y en avait, elles n’avaient que des rôles secondaires, ou étaient
cantonnées à des questions « féminines », comme la famille. Et, de manière générale, elles étaient plus
conseillères que « politiques. » La politique suit un modèle très patriarcal, très « De Gaulle aux
affaires et Tante Yvonne à la maison ».
La formule de Rainbow Murray (« les femmes vitrines des politiques féminines ») est
d’ailleurs à propos lorsque l’on pense aux années pré-parité où les femmes, assignées à des
Secrétariats d’Etat qui n’étaient ni régaliens et souvent sans grand intérêt, servaient de vitrines
à des gouvernements arborant fièrement le blason de la modernité, à travers cet ersatz de
parité.
Entre 2007 et 2011, Ségolène Royal semble en tout cas avoir compris l’importance du choix
des thématiques des discours qui participent à mise en scène communicationnelle. Dès ses
premiers pas de ministre, au début des années 90, elle montre une certaine appétence pour des
sujets essentiellement « féminins » et en fait des combats notoires, comme celui qu’elle a
mené contre les mangas japonais, responsable selon elle de la violence chez les enfants ou son
engagement en faveur de la contraception chez les adolescentes du Poitou-Charentes. Ses
portefeuilles successifs n’ont jamais dépassé les frontières du care (Environnement,
Enseignement, Famille). En 2007, elle privilégie les thèmes sociaux et sociétaux par rapport
92 Marc Abélès, Un ethnologue à l’Assemblée, Poches Odile Jacob, 2000, p 52 93 « La société du care de Martine Aubry fait débat » par Samuel Laurent dans Le Monde du 14.05.2010
61
aux sujets plus régaliens ou économiques et fait de la famille, l’un de ses principaux
arguments de campagne94
.
Semblant avoir appris de ses erreurs, elle nuance cette stratégie lors de sa candidature dans le
cadre des primaires socialistes. Dans son discours de candidature, elle parle d’insécurité (« Est
ce équitable que certaines zones du pays soient devenus des zones de non-droit où la police ne
va plus parce que les caïds font la loi ? »), encourage l’action des PME (« Nous avons mis en
place de nouveaux outils financiers de proximité, préfigurant la banque publique
d’investissement, prévue par le projet des socialistes pour soutenir les PME, artisans,
commerçants qui sont aujourd’hui bridés par manque de crédits […] ») et aborde la question
de la condition ouvrière : « Et toutes les luttes sociales des ouvriers qui se battent contre les
délocalisations financières, et les parents d’élèves qui se battent pour maintenir les écoles de
leurs enfants. » On admire l’étrange parallèle entre les « ouvriers » et les « parents d’élèves »,
seule référence du discours au thème de la famille. La virilisation de son discours semble ici
évidente.
Le sujet de prédilection de Martine Aubry est une thématique à connotation masculine. Ayant
officié auprès de plusieurs ministres du Travail, avant de le devenir elle-même, Martine
Aubry est connue comme étant « la Dame des 35 heures ».
J’ai déjà évoqué, concernant cette candidate, l’agencement savant des sujets politiques dans
son clip de campagne, qui fait s’alterner thématiques « féminines » et thématiques « viriles »95
(l’accès à la culture puis les banques d’investissement, la création d’un pacte éducatif puis la
police de proximité…). Son discours de candidature montre la même organisation : Pêle-
mêle, elle évoque l’emploi, l’Education nationale, la justice, l’action sociale, la
diplomatie…sans aucune hiérarchie dénotant une stratégie d’appropriation de thèmes plus
connotés que d’autres, en matière de genre. Un équilibre qui semble mettre en abyme sa
stratégie de mise en scène d’une stricte neutralité.
Ainsi les thématiques choisies dans les discours participent bien à cet effort de légitimation au
travers de stratégies de présentation de soi. Une stratégie virilisante pour Ségolène Royal ou
dédiée au maintien de la neutralité pour Martine Aubry (donc du masculin, puisque la
94 Comme le montre la mise en scène de son clip de campagne. Voir Partie I-C-2 95 Voir partie I-C-1
62
neutralité est, par défaut, virile96
.) J’évoquerai plus tard, à dessein, les thématiques
privilégiées par Marine Le Pen.
2 – L’héritage et l’inscription dans une tradition virile
La figure du père joue (ou a joué) un rôle non négligeable dans le destin politique des trois
candidates. Qu’il s’agisse d’un patriarche comme Jean-Marie Le Pen, d’une icône comme
Jacques Delors ou des divers pères de substitution de Ségolène Royal, la figure du père
occupe une place primordiale dans les stratégies de mise en scène de soi de ces femmes
politiques. Renié, exploité ou inventé, la gloire ou l’opprobre des géniteurs rejaillit sur la
progéniture, ainsi que leur virilité, par la même occasion. La référence au père est donc – pour
la plupart d’entre elles – un garant de légitimité ainsi qu’un moyen de s’auto-légitimer en se
revendiquant symboliquement d’une virilité héritée.
Durant son discours de candidature, Martine Aubry s’écarte à deux reprises de la neutralité
pour évoquer son père, Jaques Delors, ancien ministre et Président de la Commission
européenne dont elle revendique à deux reprises l’héritage, de façon implicite : « Je vous le
dis aussi en m’appuyant sur ce que j’ai de plus cher, les valeurs transmises par ma famille
[…] », « Vous le savez bien, c'est presque dans mes gênes, l’Europe est pour moi un combat
de toujours. ». Une revendication discrète, qui se lit entre les lignes, mais qui est bien
présente.
Ségolène Royal, quant à elle, cite François Mitterrand dès le second paragraphe de son
discours de candidature : « […] cette Venise Verte, qui bénéficia de l’attention de l’Etat, avec
la venue de François Mitterrand venu en 1992 appuyer notre volonté commune […]. » Elle
invoque ici le père, elle qui est la seule des trois candidates à ne pas voir une ascendance
mobilisable comme argument politique. Elle s’inscrit donc de fait dans la lignée
mitterrandienne, ce qui lui donne une stature de potentiel chef d’Etat mais également une
posture d’héritier de cet homme dont la vigueur virile, tant dans la pratique du pouvoir que
dans les conquêtes amoureuses, est de notoriété publique.97
Elle le citera une nouvelle fois au
cours de son discours.
96 Voir partie II-A-3 97 A ce sujet, Christophe Deloire et Christophe Dubois dressent un portrait édifiant de l’ancien Président de la République dans leur ouvrage Sexus Politicus, Ed. Albin Michel, 2006, « L’exception française » pp 175-229
63
Plus loin, elle fait référence à un autre homme d’Etat : « […] la conception désintéressée de la
politique qu’avait le Général de Gaulle […] ». On comprend la manœuvre, d’un point de vue
politique : bien qu’il soit l’ennemi historique du camp socialiste, Charles de Gaulle est une
figure fédératrice de la politique française et quiconque souhaite un jour postuler à l’élection
suprême doit revendiquer, à un moment ou un autre, les mêmes aspirations à une politique
trans-partisane que l’ancien Président. Du point de vue du genre, Ségolène Royal évoque ici
le souvenir de l’homme dont Pompidou avait dit qu’il avait laissé la France « veuve »98
,
allusion à la virilité de ce Président militaire. Ainsi, Ségolène Royal exploite ces deux figures
viriles. Je suppose qu’elle le fait à la fois pour se créer une lignée politique et pour que la
gloire virile qui auréole ces deux hommes rejaillisse sur celle qui les fait revivre dans son
discours.
Il faut ensuite s’intéresser au lieu du discours. Alors qu’elle avait choisi la ville de Vitrolles,
dans la Nord, bastion socialiste par excellence, pour son discours de candidature en 2006,
Ségolène Royal s’adresse ici à l’ensemble des sympathisants socialistes depuis son propre
fief, la région Poitou, dont elle est présidente depuis 2004. Elle a donc choisi de s’exprimer
dans un milieu très rural, qu’elle décrit d’ailleurs dans le tout premier paragraphe de son
discours : « Dans ce pays de terre et de chemins d’eau, creusé à mains d’hommes depuis le
onzième siècle, pour gagner des pâturages et sortir les paysans de la misère, créant un paysage
étonnant […] ». Un discours qui encense la ruralité et le travail de la terre, thème viril
tristement célèbre pour avoir été exploité par les idéologies fascistes et collaborationnistes
dans les années 30 et 40, puis par la droite poujadiste. Aujourd’hui dénué de toute connotation
politique, à force de partage entre l’extrême droite louant le sol français et l’extrême gauche
s’octroyant le monopole de la cause paysanne, le thème du travail de la terre reste tout de
même un apanage du travail viril. Ségolène Royal s’inscrit ici de façon inédite dans la
tradition paysanne virile.
Le rapport au père de Marine Le Pen est autrement complexe. A la fois son mentor et son
boulet, Jean-Marie Le Pen fait rejaillir sur sa fille des années d’outrance et de polémiques
plutôt que du prestige politique. Or, l’un des souhaits les plus ardents de Marine Le Pen,
comme on a pu le voir dans sa rapide biographie, est de « dédiaboliser » (selon l’expression
98 «Le Général de Gaulle est mort ; la France est veuve… » cité par Marlène Coulomb Gully in Présidente : le grand défi. Femmes, Politique et Médias, Ed. Payot, 2012
64
désormais consacrée) le Front National, laissant au placard « Durafour crématoire » et autres
« détails » afin d’avoir une véritable chance de gagner une élection nationale. Bien que la
figure de Jean-Marie Le Pen soit d’une virilité incontestable (ancien « Para », homme à
femme et homme de fer…), Marine Le Pen, de par sa ressource virile naturelle, semble
finalement trouver plus d’inconvénient que d’avantage dans cette filiation.
Voici ce qu’elle dit dans son discours de candidature : « Je considère que nous avons traversé
des siècles d’obscurantismes tragiques, de guerres parfois inutiles, de pouvoir absolu, de
révolutions sanglantes dont les effets n’ont pas toujours servi les pauvres, d’exploitation de
l’homme par l’homme […] » Du point de vue du genre, cette phrase n’est pas anodine.
Fustigeant la violence, Marine Le Pen incarne la « paix féminine ». Le niveau de lecture peut-
être triple, car la candidate balaie autant le passé sulfureux de son parti, le poussant vers une
modernité apaisée, que l’héritage belliqueux du père, se construisant une identité opposée à
celle de Jean-Marie Le Pen. Elle évoque également l’exploitation de « l’homme par
l’homme ». On peut bien entendu prendre le mot « homme » non pas dans son acception
universel, mais bien dans sa réalité biologique. Marine Le Pen ferait alors du sexe masculin et
de la virilité pugnace la cause des maux du monde, auxquels seul un leader de sexe féminin
pourrait remédier. Encore une fois, elle semble faire de son sexe et de sa féminité un
argument politique.
L’héritage de Jean-Marie Le Pen est en effet lourd à porter. Pour avoir une chance à l’élection
présidentielle, Marine Le Pen a dû se distinguer de son père à la fois pour ne pas être
enfermée dans la catégorie « Fille de » et pour faire oublier ses dérapages et échecs électoraux
successifs depuis dix ans. Durant la campagne, Jean-Marie Le Pen a d’ailleurs multiplié les
« bourdes »99
, ce qui n’a pas profité à sa fille.
C’est donc pour devenir présidentiable à part entière et éviter d’être éclaboussée par son père
qu’elle tente de nier son héritage, voire de s’en construire un nouveau. On trouve des indices
de cette stratégie au sein de son discours.
99 Il a d’ailleurs, selon lui, été écarté de plusieurs meetings de la candidate.
65
« Je suis citoyenne française mais je suis aussi mère. Comme toutes les mères, je voudrais que
ma famille puisse vivre dans un climat de sécurité, que mes enfants puissent rentrer le soir
sans que je craigne en permanence les vols, les rackets, les trafics de toutes sortes. »
Plusieurs arguments politiques se retrouvent ici : Marine Le Pen établit d’inédits parallèles et
fait de sa maternité son atout le plus efficace dans la lutte contre la délinquance, l’un des
thèmes privilégiés par les électeurs du Front National. La mère pourrait donc réussir là où le
père a échoué. Elle n’est donc plus la fille de Jean-Marie Le Pen, mais une adversaire à son
niveau, niant ainsi son lien de parenté avec l’ancien Président du Front National.
Enfin, il faut relever l’unique citation du discours, une citation du roi Henri IV : «Qu’ils ne
s’inquiètent pas des obstacles, du mépris, des injures, de la fatigue ; qu’ils se remémorent en
chaque moment difficile cette phrase d’Henri IV : l’immense amour que je porte à la France
m’a toujours tout rendu facile ». Elle s’inscrit ainsi symboliquement dans l’illustre lignée des
rois de France, elle qui prétend à la fonction suprême de la monarchie républicaine.
Outrepassant le père biologique, elle s’insère donc dans l’Histoire de France pour s’affirmer,
seule, sur la scène politique française.
Pour Martine Aubry et Ségolène Royal, évoquer le père fait donc partie d’un processus
d’autolégitimation virilisant. Pour Marine Le Pen, c’est peut-être, au contraire, le sur-jeu de sa
féminité qui pourrait la délivrer de la légitimité corrompue du père. Ainsi, contrairement à
Marine Le Pen, Martine Aubry semble vouloir utiliser son héritage – certes plus léger à
porter, quitte à être cataloguée « fille de… », Ségolène Royal, quant à elle, semble vouloir se
construire une lignée pour en extraire de la légitimité.
3 – Faire de sa féminité un argument politique à des fins de légitimation
Le sur-jeu de la féminité peut parfois faire partie des stratégies communicationnelles
d’autolégitimation des femmes politiques. C’est notamment observable chez Marine Le Pen et
Ségolène Royal. Martine Aubry ne semble jamais présenter une féminité exacerbée et
respecte scrupuleusement la mise en scène de sa propre neutralité genrée.
Ainsi, en des circonstances très particulières, une mise en scène de soi féminine peut s’avérer
bénéfique pour acquérir la légitimité politique traditionnellement octroyée au genre masculin.
66
On remarque ainsi, dans le discours de candidature de Marine Le Pen, de nombreuses
références à sa féminité100
et à sa condition de mère. On aurait pourtant pu penser que sa
condition de femme était un handicap pour diriger un parti d’extrême droite. A cette
remarque, le responsable du Pôle Conseil d’une agence de communication publique a répondu
ceci :
« Marine Le Pen gênait le parti parce que c’est une femme. A l’extrême droite, cette problématique est
amplifiée. Mais bon, elle peut utiliser son genre parce qu’elle a compris qu’elle n’avait rien à perdre,
qu’il fallait qu’elle se distingue de son père et que de toute façon, qu’elle soit féminine ou pas, ceux
qui n’allaient pas voter pour elle parce qu’elle était une femme, elle les avait déjà perdus. Alors elle a
décidé de s’adoucir, d’incarner une nouvelle génération pour le parti. C’est une femme moderne : elle
est divorcée et le social, la famille, ce n’est pas son truc. »
Donc le fait qu’elle multiplie les allusions au thème de la famille dès le troisième paragraphe
de son intervention relève bien d’une mise en scène de sa féminité.
C’est donc par stratégie, pour se détacher du père et gagner en légitimité de manière
autonome que Marine Le Pen s’est écartée de sa virilité que l’on qualifie souvent de
« naturelle » pour adopter une attitude plus féminine, tant dans son comportement que dans
ses propos. Première femme leader d’un parti d’extrême droite susceptible de gagner une
élection nationale, Marine Le Pen utilise ainsi son sexe et sa féminité pour changer l’image du
parti et la rendre plus lisse.
Sa stratégie d’hyper-féminisation est donc justifiée et peut se lire d’une triple façon, comme je
l’ai mentionné auparavant (pour se rendre « présidentiable », en tant que leader d’extrême
droite, pour effacer l’héritage du père et pour redorer le blason de son parti).
Ségolène Royal, elle, a emprunté la trajectoire opposée, puisqu’elle est passée d’un sur-jeu de
sa féminité à une mise en scène de soi plus rigide et plus virile. Ainsi, son clip de campagne
de 2007 (ou elle dit notamment « C’est comme ça que je conçois la politique […] Moi-même,
ayant dû concilier la vie familiale et la vie professionnelle, je sais que ce temps est précieux»)
évoque celui de Marine Le Pen en 2012 (« Présidente de parti, femme, mère de trois enfants,
100 Voir partie I-C-1
67
je lutte »). Mais pourquoi n’a-t-elle pas, en 2007, directement élaboré une stratégie de mise en
scène de soi virile au lieu de présenter, au contraire, une féminité exagérée ?101
« Si Ségolène Royal a « joué » les femmes en politique, c’est parce que Nicolas Sarkozy a lui aussi, et
lui d’abord, « joué » les hommes en politique dans une forme quasi inédite sous la Cinquième
République de sur-virilisation (le « je vous parle en tant que mère » de Ségolène Royal et le
« karcher » de Nicolas Sarkozy). »102
Ainsi la mise en scène de soi féminine peut être une ressource défensive face au sur-jeu de la
virilité d’un adversaire et peut être une arme politique pour se distinguer de ses pairs :
« Pour être élu, un candidat doit nécessairement attirer l’attention des électeurs. Il doit être
remarquable (ou éminent) et présenter un certain relief par rapport à l’ensemble des autres citoyens.
Un individu dont l’image ne se détache pas de celle des autres dans l’esprit de ses concitoyens passe
simplement inaperçu et n’a guère de chance d’être élu. […] Pour être élu, peut-on dire en utilisant le
vocabulaire de la psychologie cognitive, un individu doit être saillant (salient) d’une manière ou
d’une autre […] le relief dépend de l’environnement dans lequel l’individu se trouve et dont son image
doit se détacher. »103
Ainsi le sur-jeu de la féminité peut constituer une stratégie efficace au sein d’un milieu quasi-
exclusivement masculin. Face à Nicolas Sarkozy et sa stratégie d’hyper-virilisation104
,
Ségolène Royal a voulu se distinguer par sa féminité. Une stratégie qui, comme on a pu le
constater, n’a pas porté ses fruits.
En conclusion, je dirais que virilité et légitimité politique sont liées, au grand dam des
candidates à l’élection présidentielle qui souffrent d’emblée d’un déficit de légitimité due à
leur condition de femme dans ce milieu viril. Pour pallier cela, elles mettent en place des
stratégies d’autolégitimation qui consistent – la plupart du temps – à adopter dans leur
communication des caractères culturellement attribués aux hommes en cherchant à évoquer la
figure traditionnelle de l’Homme providentiel. Elles veillent à ce que leur choix de
101 Voir partie I-C-2 102 Catherine Achin et Elsa Dorlin, op.cit. 103 Bernard Manin, Principes du Gouvernement représentatif, Champs Essais, 1995, p 182 104 « Nicolas Sarkozy et la masculinité mascarade du Président », Catherine Achin et Elsa Dorlin, op.cit.
68
thématiques ne soit pas trop connoté « féminin » et elles revendiquent également leur filiation,
biologique ou affective, à un homme politique illustre. Néanmoins, il peut arriver qu’une
stratégie de mise en scène de soi virile semble moins pertinente pour arriver à ses fins
(politiques) qu’un sur-jeu de sa féminité. C’est ainsi que l’on assiste à l’hyper-féminisation
épisodique de Marine Le Pen, lorsqu’elle tente de faire oublier le passé sulfureux de son père,
de donner une image de modernité au Front National et de s’imposer comme unique leader du
parti loin de l’ombre du patriarche. Ségolène Royal, quant à elle, a usé de cette stratégie –
sans succès – pour affronter la virilité exacerbée de son adversaire et se distinguer au sein de
la sphère politique. Mais les stratégies élaborées par les candidates et leurs équipes, sont-elles
relayées de manière fidèle et efficace vers le citoyen ?
69
70
Partie III – Le relais des stratégies de présentation de soi dans la presse
Cette dernière partie a pour objet d’étudier le relais des stratégies de présentation de soi des
femmes politiques candidates à l’élection présidentielle dans la presse. Peut-on observer un
relais fidèle, dans la presse, de ces stratégies communicationnelles ?
A – La presse et les femmes politiques
Il s’agit ici de confronter les opinions de chercheurs (qui sont en grande majorité des
chercheurs de sexe féminin) concernant le traitement des femmes politiques par la presse.
J’illustrerai ensuite ces différents points de vue en analysant des thèmes récurrents propres au
traitement médiatique spécifique de la femme politique en France, à savoir la relation
père/fille ainsi que l’attachement à la description du corps et aux habitudes vestimentaires.
1 – Une parenthèse désenchantée
« […] les médias sont un des lieux de médiation d’une société avec elle-même, et peuvent s’y saisir les
représentations du genre et s’y jouer la scène de ses transformations […] Dans nos sociétés
contemporaines, les médias ont une responsabilité particulière dans la constitution des savoirs, la
circulation des représentations et le renforcement ou l’infirmation des croyances. Ils sont susceptibles
de participer à la définition des identités, notamment sexuées. »105
Les médias, et notamment la presse participent directement au succès (ou à l’échec) des
stratégies de communication politique. Encensés un jour, conspués le lendemain, les hommes
politiques savent que cet organe de légitimation106
peut rapidement les mener du capitole à la
roche tarpéienne.
Mais les femmes politiques savent qu’elles auront du mal à se hisser jusqu’au capitole sans
l’aval d’une presse qui ne réserve pas, selon un consensus des études françaises récentes sur le
sujet, un traitement égal aux hommes et aux femmes politiques. Selon Virginie Julliard, les
médias contribuent à la définition des identités genrées mais ils peuvent également relayer et
alimenter les stéréotypes genrés qui nuisent à quiconque tente de les transgresser, et
105 Virginie Julliard, op.cit, 2008, p 12 106 Voir les écrits de Jean-Marie Cotteret sur la légitimation cathodique et médiatique, que j’ai mentionnés en seconde partie.
71
particulièrement en politique. Des chercheurs comme Marie-Joseph Bertini, Professeur à
l’Université de Nice-Sofia Antipolis et Jane Freedman conçoivent un lien de cause à effet
entre le discours tenu par les médias, notamment leurs définition des identités genrées et les
caractères qui leur sont attribuées, et l’exclusion symbolique des femmes en politique.107
Marie-Joseph Bertini et Marlène Coulomb Gully s’accordent également sur la disparité
quantitative du traitement médiatique des hommes et des femmes politiques.108
« Et ce n’est
pas le discours des médias qui leur donnera davantage de place dans la société : ceux-ci
maintiennent les femmes en marge du pouvoir. […] Le constat est édifiant : les femmes
représentent seulement 18 % des personnes citées dans les médias. »109
Au-delà de cette différence quantitative, les médias, selon Marie-Joseph Bertini et Jane
Freedman, semblent en général insidieusement mais efficacement discréditer les rares femmes
qui accèdent aux premières pages des journaux, en les enfermant dans des figures
caricaturales et réductrices. Marie-Joseph Bertini en recense cinq : la muse, la madone, la
mère, l’égérie, et la pasionaria. Elle affirme ainsi que les médias assignent chacune à sa place,
et maintiennent la femme dans sa position de dominé. Jane Freedman insiste, quant à elle, sur
la grille de lecture très genrée des médias qui distinguent de façon explicite femme politique
« féminine » et femme politique « virile » 110
, en les renvoyant en permanence à des
stéréotypes.
On aurait pu penser que la loi sur la parité, en 2001, permettrait que la presse devienne le
nouveau vecteur d’une valorisation des caractères dits « féminins » en politique. Ceci n’a duré
qu’un an et la « parenthèse enchantée » s’est refermée dès les élections présidentielles de
107
Cécile Sourd, « Femmes ou politiques ? La représentation des candidates aux élections françaises de 2002 dans la presse hebdomadaires », Revue Mots n°75, Usage politique du genre, 2005, p 76 108 « Une enquête dans le Monde en 2002 rappelle cette évidence « à fonctions égales, la visibilité des femmes politiques dans les médias reste largement inférieure à celles des hommes qui occupent des fonctions comparables. » Marlène Coulomb Gully, op.cit., p 143 109 Marieke Stein : « Marie-Joseph Bertini, Femmes le pouvoir impossible » Fayard, Coll. Essai, 2002 110 « […] la presse dépeint encore les politiciennes en fonction de stéréotypes traditionnels associés à la féminité (dont ceux de l'épouse, de la mère et de la fille), [mais] aussi en fonction de qualités contradictoires, qualités tantôt intrinsèques à leurs rôles maternels et familiaux (par exemple la douceur ou l'empathie), tantôt associées à l'identité masculine (la combativité ou l'entêtement par exemple). Ce chapitre est aussi l'occasion de réfléchir sur l'idée de différences femmes-hommes en politique, plus précisément sur l'existence d'approches «féminines» et «masculines».» Manon Tremblay, « Jane Freedman : Femmes politiques, mythes et symboles » op.cit.
72
2002. Catherine Achin a d’ailleurs bien remarqué les disparités dans le traitement des
candidatures de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal dix ans plus tard.111
« Les soupçons d’incompétence et d’illégitimité travaillent les portraits en clair-obscur parus
depuis les débats sur la parité, et il paraît décidément bien difficile de sortir des schémas
archétypaux qui travaillent nos imaginaires et nos mythes. » L’incompétence et l’illégitimité,
d’après Virginie Julliard seraient ainsi encore largement mobilisées pour disqualifier,
explicitement, certaines femmes politiques, comme Ségolène Royal semble en avoir fait les
frais.112
Ce bref condensé des théories des chercheurs français spécialisés dans le genre et les médias
me permet d’établir le contexte dans lequel s’inscrit mon analyse du corpus de presse réservé
au traitement des candidatures de Marine Le Pen, Martine Aubry et Ségolène Royal. Avant
d’observer le relais (ou l’absence de relais) de leurs stratégies de présentation de soi dans la
presse, je vais montrer qu’elles sont soumises à un traitement médiatique spécifique qui
rejoint en pratique les théories énoncées dans cette partie. Comme le dit Virginie Julliard,
l’intérêt que les médias accordent au physique des femmes politiques ou à leurs rôles
familiaux ne faiblit effectivement pas.113
2 – Le corps
Pour décrire la différence de traitement que réserve la presse aux hommes et aux femmes
politiques, on peut d’ores et déjà souligner l’importance que revêtent le physique et l’allure
vestimentaire d’une femme, dans un article qui lui est consacré. Des éléments qui apparaissent
secondaires quand il s’agit d’un homme. « L’histoire des femmes passe par l’histoire de leur
corps. Parce qu’en fait elles ne sont (ou elles n’ont été longtemps ?) qu’un corps... Ce corps
méconnu d’elles-mêmes a été célébré, écouté, inventé, interrogé, décodé par l’imaginaire
masculin pendant des siècles. »114
Le corps reste donc davantage au cœur des représentations
111 « Les journalistes et commentateurs ont beaucoup reproché à Ségolène Royal de « faire la fille » tout en la renvoyant la plupart du temps à ce rôle, sans réserver un traitement symétrique à Nicolas Sarkozy : son hyper-virilisation est restée invisible pour la plupart des observateurs, qui n’ont pas vu là l’un des ressorts de la rupture vantée par le candidat. » Catherine Achin, tribune dans Médiapart, op.cit. 112 Virginie Julliard, op.cit., p 499 113 Virginie Julliard, op.cit., p 440 114 Jane Freedman, citée par Cécile Sourd dans son mémoire : « L’exclusion symbolique des femmes politiques dans les médias français », soutenu le 15 décembre 2003 à l’IEP de Lyon.
73
de la femme et la presse s’en fait le miroir. Ainsi les parures et les vêtements des candidates
sont soigneusement décrites dans les pages des magazines et des quotidiens. « Déviante par
rapport à la norme puisque « illégitime » en politique, la femme se voit présentée dans les
médias dans sa singularité de femme, constamment renvoyée à l’altérité de son corps. »115
Du
sourire aux chaussures, en passant par la coiffure, tout est passé en revue par une presse qui,
parfois, semble vouloir garder les femmes enfermées dans leurs coquilles charnelles afin de
ne pas les laisser se mélanger aux hommes.
Marine Le Pen fait particulièrement l’objet de ce type de commentaires et ses choix
vestimentaires sont bien plus scrutés que ceux des deux autres candidates étudiées. On en
commente les évolutions, et ce que cela dénote en termes de stratégie : « "On l'a connue
"Versaillaise bcbg", vamp jouant de cheveux longs, working girl en tailleur-jupe, rock'n'roll
version jeans. Elle s'est longtemps cherchée." Aujourd'hui, elle s'est notabilisée […] et oscille
entre deux types de tenues, selon qu'elle opère en meeting ou sur un plateau TV. […] De
même joue-t-elle de sa blondeur […] Jusqu'à jouer des codes mêmes machistes, […] Elle a
opté pour le blond bébé, celui de la femme idéale. C'est aussi bien le blond de l'idiote, de la
candeur, de la victime que celui de la femme glaciale et mécanique. Résultat : elle peut se
permettre des propos bien plus durs que si elle était brune. »116
. L’emploi de l’expression
« jouer de » montre que le journaliste n’est pas dupe et semble parfaitement conscient que
cette blondeur soigneusement entretenue fait partie d’une plus large stratégie de présentation
de soi.
La transformation physique de Marine Le Pen fascine les journalistes : « Pour l’heure, la
dame est avenante comme une présentatrice de télévision. Elle a perdu 10 kilos en quatre ans.
Et la fête, assure-t-elle, c’est fini, pour démentir son surnom au Paquebot, «la night-
clubbeuse». Elle a aussi renoncé à ses longs cheveux de Loana, adoptant la coupe de Claire
Chazal et Laurence Ferrari »117
. La coiffure de Marine Le Pen trouble particulièrement car
cette blondeur, symbole fort d’une féminité presque érotique, semble contraster avec le style
oral et politique viril de la candidate.
115 Cécile Sourd, mémoire cité, p 36 116 Le Monde, 18.04.2012 117 Libération, 15.01.2011
74
Sa métamorphose en termes d’habitude vestimentaire fait également la joie des journalistes.
Une transformation qui fascine car elle est paradoxale : en changeant de look pour devenir
« la parfaite mère de famille », une figure pourtant très féminine118
, Marine Le Pen est devenu
plus que jamais redoutable et virile dans la construction de sa nouvelle légitimité politique.
Un paradoxe, une ambivalence remarquée par les journalistes : « Son look est classique et
élégant, sans excès de sophistication. Sa force, c'est l'ambivalence de son style : à la fois
proche et lointain, avenant et distant, "accessible" mais aussi "hautain", voire autoritaire. »119
Marine Le Pen est sans conteste l’un des personnages politiques qui fascine le plus la presse,
mais aurait-on attaché tant d’importance à son allure si elle avait été un homme ?
Au-delà de l’attachement de la presse à l’enveloppe corporelle des femmes politiques, on
recense un second lieu commun propre au traitement médiatique des femmes, c’est-à-dire la
définition par le statut familial.120
Rares sont les candidates dont on ne mentionne ni le statut
marital, ni le nombre d’enfants. « Assignées au monde privé de la famille et du foyer versus le
monde public de la politique, les femmes restent cantonnées aux rôles de
fille/épouse/mère. »121
. Je n’analyserai que le rôle de « fille » en montrant la prégnance de tels
schémas dans la presse.
3 – L’éternelle « fille de » ?
La « fille de » est un cas typique. Il concerne particulièrement Martine Aubry et
paradoxalement, dans une moindre mesure, Marine Le Pen, qui semble s’être peu à peu
détachée, pour les journalistes, du joug du père après avoir acquis une certaine autonomie
identitaire.
118 Le Monde, 18.04.2012 119 Le Monde, 09.12.2011 120 Pour saisir l’ampleur de ce phénomène, l’étude du cas d’Arlette Laguiller, célibataire sans enfants à l’élection présidentielle de 1974, est particulièrement révélatrice. Marlène Coulomb Gully, op.cit., « Arlette Laguiller, la matrice androgyne », pp 40-49 121 Julie Boudillon, « Une femme d’extrême droite dans les médias. Le cas de Marine Le Pen », Revue Mots n°78, « usages politiques du genre, pp 79-89
75
« Le discours journalistique implique donc que les femmes en politique sont légitimées par leur
parenté, une connotation qui est beaucoup moins présente dans le discours à propos des hommes
politiques qui sont dans la même position, comme fils ou comme neveu d’un autre député ».122
Dans les articles et les portraits que la presse consacre à Martine Aubry en cette période de
campagne, on mentionne bien souvent son lien de parenté avec l’ancien pilier du Parti
Socialiste Jacques Delors. La périphrase la plus courante pour la désigner est d’ailleurs « la
fille de Jacques Delors »123
« […] Jacques Delors déclare urbi et orbi : "Ma fille est la
meilleure." Une déclaration qui n'est pas que sympathique, elle est aussi très forte. Car
Jacques Delors n'est pas du genre fiérot à se pousser du col, ni à la ramener. C'est lui, on s'en
souvient, qui avait refusé de se présenter à l'élection présidentielle de 1995 alors que tout
le PS était à ses pieds, le suppliant en vain. Il ne s'était pas senti d'y aller. Pas senti à la
hauteur d'une situation politique qu'il jugeait trop compliquée pour lui. C'est dire qu'il ne
s'engage pas à la légère, que le label Delors, c'est du sérieux, et que, quand il dit "Ma fille est
la meilleure", on est prié de le croire sans qu'aucun procès en népotisme puisse sérieusement
lui être fait. »124
Contrairement au clan des Le Pen, la famille Delors est une famille respectée
et encensée par la presse. La légitimité politique de Jacques Delors rejaillit sur sa progéniture
qui se voit couronnée du statut d’héritier et qui pourrait même arriver au bout du chemin que
le père n’a pas osé emprunter. Même si elle est parfois attaquée par ses adversaires sur son
statut de « fille de », la presse fait de cette filiation une caution de légitimité pour « l’héritier »
qu’est Martine Aubry.
« Les femmes ne semblent pas avoir dans ces représentations une existence indépendante.
Elles ne peuvent se légitimer que par référence à un homme. »125
La question du lien de
parenté entre Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen exalte tout de même la presse, le patriarche
du Front National étant l’une des figures majeures de la vie politique française depuis les
années 70. La presse la décrit comme un « clone » de son père, selon les propos rapportés de
la mère de l’intéressée126
ou expose leurs divergences : « Ces deux là s'adorent. Il est l'homme
de sa vie, son héros […] Mais il est jaloux. Jaloux d'être supplanté. Jaloux de constater que les
journalistes qui le honnissaient, lui, la courtisent, elle. [...] Il supporte mal qu'elle renie ses
122 Jane Freedman, citée par Cécile Sourd dans son mémoire cité plus haut 123 Le Monde, 27.06.2011, Le Figaro, 18.11.2011…). 124 Le Point 26.08.2011 125 Jane Freedman, citée par Cécile Sourd dans son mémoire, cité. 126 Libération, 15.01.2011
76
saillies sur la Shoah. Il souffre de la voir normaliser un parti que lui a toujours voulu hors
norme, de la voir rompre avec une part de ce qu'il est, lui. »127
Marine Le Pen est donc parfois
totalement assimilée à son géniteur : « Le Menhir laisse le devant de la scène à son clone en
perruque blonde. »128
Le motif du « clone » revient assez souvent. Péjoratif, il évoque
l’univers sombre de la science fiction et fait de Marine Le Pen une créature « hybride », entre
l’homme et la femme. Néanmoins, comme le dit Julie Boudillon, une telle dénomination peut
comporter une connotation positive pour l’intéressée :
« Il semblerait que Marine Le Pen, qui d’ailleurs se réclame parfois de la ressemblance physique avec
son père, s’approprie l’ethos de son père, marque de fabrique garante en partie de son succès
électoral. En réalité, face à l’électorat du Front national, elle construit sa légitimité en jouant sur cet
aspect viril, constitutif de l’ethos populiste des leaders d’extrême droite. »129
« "Marine Le Pen occupe largement la scène de ses meeting, écartant les bras pour
symboliser le rassemblement, parlant haut et fort d'une voix rauque, comme son père.»130
La
verdeur du père rejaillit inévitablement sur la fille et, au sein de l’écriture journalistique, on
observe, à la manière du motif du « clone », une étrange fusion entre les deux figures. Ainsi,
celui que l’on surnomme « le Diable de la République » - ce surnom ayant d’ailleurs donné
naissance à un documentaire éponyme sur le personnage – a une fille qui, depuis qu’elle est
entrée en politique, se trouve affublée du surnom « la fille du diable »131
. Pourtant au fil de la
campagne, « la fille du diable » devient rapidement le diable lui-même, comme le montre le
titre de cet article traitant du look vestimentaire de la candidate : « le diable s’habille en jean
brut »132
. La fille devient le père et jouit de sa légitimité et de sa virilité.
Et ceci, même quand les journalistes s’appliquent à accentuer leurs différences : «La fille lisse
le discours du père, laisse les oriflammes frontistes aux combattants d’autres guerres. «Lui
c’est lui, et moi c’est moi.» La Shoah, l’Indochine, l’Algérie ? «Culture du XXe siècle.»133
Impossible pour la presse d’évoquer Marine Le Pen sans mentionner Jean-Marie d’une
quelconque façon. Lors de la campagne, rares sont les articles qui n’évoquent pas le chef du
127 Le Point, 11.05.2011 128 Libération, 15.01.2011 129 Julie Boudillon, article cité, p 87 130 Le Monde, 18.04.2012 131 Libération, 15.01.2011 132 Le Monde, 09.12.2011 133 Libération, 15.01.2011
77
clan Le Pen. La seul mention de ce nom suffit finalement à fonder la légitimité de la fille, que
l’on accuse étonnamment peu d’être « fille de », comparé aux diverses attaques dont est
victime Martine Aubry, et que j’ai pu recenser.
Au fil de la campagne, la fille dépassera le père comme l’élève, le maître, dans les intentions
de vote et les sondages. Marine Le Pen devient symboliquement la cheffe du clan et la presse
le relaie : « Jaloux de lui voir promise par presque tous les sondages une place au second tour
de la présidentielle quand lui-même ne l'avait obtenue, cette place, que par effraction, en 2002
[…] Créer la polémique, c'est tout ce qui lui reste pour voler la vedette à sa fille. Pour
reprendre le pouvoir sur elle. »134
Ces deux cas de « fille de » sont différents : Martine Aubry semble, sous la plume
journalistique, autant jouir de la légitimité politique de son père que de souffrir de son ombre.
Quant à Marine Le Pen, elle semble être, au fil de la campagne dans la presse, dégagée de
l’ombre nuisible de son père pour finalement le surpasser en termes de popularité et de
prédiction de succès électoral. Son nom lui octroie la légitimité virile et la visibilité nécessaire
à une carrière prospère en politique, et son propre parcours en fait une figure de la politique à
part entière. Pour la presse quotidienne et hebdomadaire, d’ordinaire peu ouverte à l’extrême
droite, Marine Le Pen fait un sans faute.
134 Le Point, 11.05.2011
78
B – Stratégies relayées, stratégies déconstruites : le surprenant consensus de la presse
Il s’agit à présent, à travers le corpus, d’observer si la presse choisit de relayer, de dénoncer
ou de déconstruire les stratégies de mise en scène de soi genrées des candidates. A ma grande
surprise, j’ai observé un réel consensus des organes de presse, tout formule confondues
(quotidienne ou hebdomadaire) et toutes identités partisanes confondues – aussi bien
Libération que Le Figaro, par exemple – sur le fait de soutenir ou de défaire les stratégies de
communication des candidates. Si ma troisième hypothèse avançait que la presse, de manière
générale, relayait les messages émis par les candidates, je me suis rendue compte que cela
fonctionnait plutôt au cas par cas. Si la presse relaie efficacement la stratégie de Marine Le
Pen, elle semble déconstruire en permanence la stratégie et les messages émis par Ségolène
Royal. Le consensus de la presse est moindre concernant Martine Aubry, puisque sa stratégie
ambiguë et parfois inconstante provoque quelque fois des commentaires dissonants.
1 – Une stratégie déconstruite et non-relayée : Ségolène Royal
De manière générale, ce qui prédomine dans le traitement de la candidature de Ségolène
Royal par la presse, c’est la déconstruction de sa stratégie, d’une part par la construction
d’une contre-identité constituée en grande partie d’attributs féminins « négatifs » et d’autre
part par la mise en évidence et la dénonciation des tentatives de virilisation et
d’autolégitimation.
« Ségolène Royal ne s'éternise d'ailleurs pas sur cette bataille de chiffres, et conduit l'entretien
sur un autre terrain : "Cette augmentation ne tient pas compte de la pénibilité des tâches...".
Ségolène Royal se dit forte de son expérience et "complètement aguerrie". Elle promet
désormais de revenir "dans la campagne en faisant de la politique par la preuve". »135
La
structure anaphorique souligne les contradictions de la candidate qui déclare vouloir faire de
la politique « par la preuve » et qui pourtant, n’étant pas à l’aise avec les chiffres – la preuve
la plus tangible du discours politique – se réfugie à nouveau dans le care féminin. Le
commentateur met ici en évidence l’incapacité de la candidate à être à la hauteur de l’identité
politique qu’elle tente pourtant de mettre en scène, dénonçant ainsi la stratégie de Ségolène
Royal. Sa prétendue incompétence est un terme récurrent, même de manière détournée, dans
le traitement de sa candidature par la presse : « Certains ont jeté le soupçon sur sa compétence
135 Le Monde, 8.07.2011
79
malgré toute son expérience de l'action politique trois fois ministre, députée pendant dix-huit
ans, présidente de Région. »136
Sa stratégie est une nouvelle fois montrée du doigt lorsqu’elle choisit, pendant la campagne,
de se positionner davantage sur les sujets de prédilections de la droite, réputés plus
« masculins » : « Ségolène Royal tente de se montrer ferme, développant l'argument de la
pression qu'exercerait la présence d'immigrés illégaux sur les salaires, tout en se défendant
de tenir un discours de droite […] »137
Il arrive quelque fois qu’elle soit infantilisée et ses propos, quelque peu tournés en ridicule :
"Je vais prouver que je suis la plus forte et la plus expérimentée pour battre Nicolas Sarkozy »
ce qui se transforme en gros titre en : « Royal : prouver qu’elle est « la plus forte ».138
Le plus flagrant est sans doute la tournure très psychologisante que peuvent prendre certains
articles sur Ségolène Royal. C’est notamment le cas d’un article paru dans Le Figaro du
10.10.2011 : « Deux psychiatres ont analysé pour Le Figaro la défaite de Ségolène Royal et le
dilemme du second tour entre Martine Aubry qui l'a trahie et François Hollande qui l'a
quittée. » Cet entremêlement de la vie publique et de la vie privée est assez propre au
traitement médiatique de la candidature de Ségolène Royal, où l’émotionnel prime en
permanence sur le rationnel. Ségolène Royal est sans cesse renvoyée à son affect, à sa vie
privée et finalement, en quelque sorte, à l’espace privé, pendant féminin, selon Pierre
Bourdieu, de l’espace public au sein duquel seuls les hommes sont habilités à s’exprimer.139
Aucun cliché n’est épargné dans cet article : on y parle de « blessure narcissique », de
« larmes », de « gifle électorale ». Le vocabulaire de la blessure est omniprésent, Ségolène
Royale est psychanalysée et ramenée à la fragilité de sa condition de femme. L’article ne fait
absolument pas allusion aux conséquences politiques de la défaite (comme cela a été le cas
avec Martine Aubry et les autres prétendants à l’investiture socialiste), mais bien uniquement
à l’impact émotionnel. Ségolène Royal semble même être, par ce traitement exceptionnel et
cette féminisation intense, rayée du champ politique.
136 Le Monde, 27.06.2011 137 Le Monde 3.05.2011 138 Le Figaro, 14.08.2011 139 Pierre Bourdieu, La Domination masculine, op. cit. p 33
80
L’article évoque, théâtralement, le « dilemme » qui l’oblige à choisir entre son ancien mari et
sa rivale. Plusieurs psychologues sont invités à se prononcer sur la question : « Ségolène
Royal a donné l'image d'un personnage à la Jeanne d'Arc, seule, qui mène son combat pour la
vérité et la justice […] Cette défaite va renforcer Ségolène Royal dans cette posture de femme
seule. ». Il s’agit ici d’un discours très genré : on convoque la traditionnelle figure de Jeanne
d’Arc et on dresse un portrait très iconique de Ségolène Royal. Seulement on note que la
« femme seule » n’est ici pas utilisée avec la même connotation que « l’Homme seul », figure
emblématique de la tradition politique française. On est plutôt, une nouvelle fois, dans le
registre du privé, de la femme célibataire, isolée et vulnérable. Pour la presse, et
contrairement à ce que la candidate tente de mettre en scène, Ségolène Royal n’est pas une
femme politique virile. C’est même tout juste une femme politique.
Ce serait une femme faible, qui se voile les yeux, en décalage avec la réalité de la vie
politique : « Prête à se battre contre tous. Royal n'est pas la favorite pour les primaires
aujourd'hui. Au journaliste qui le lui fait remarquer, elle rétorque fermement : «Vous avez
tort.»140
Il arrive parfois qu’on lui prête des caractères positifs liés au féminin, même si cela
reste assez rare : « Tout cela, encore une fois, fait chaud au cœur et contredit cette idée toute
faite que la politique serait un jeu impitoyable où il ne s'agirait que de combattre l'autre à
défaut de le tuer. Ségolène Royal, au fond, et malgré elle, a révélé au PS sa vraie nature, toute
de charité. C'est pourquoi, malgré les apparences, elle est la grande gagnante des primaires et
reste la madone du PS. »141
De manière générale, il n’existe pas de continuité entre la stratégie de mise en scène de soi
orchestrée par Ségolène Royal et l’identité que lui façonne la presse. Les efforts de virilisation
et d’autolégitimation sont sapés par les journalistes qui la ramènent en permanence à son sexe
et à son illégitimité à prétendre à la Présidence de la République. Non seulement la renvoie-t-
on à son genre biologique, mais en plus on lui attribue les caractères péjoratifs culturellement
affectés au féminin (le caprice, la colère, la faiblesse…). Il serait dur de déterminer qui de la
presse ou de Ségolène Royal est responsable pour cette dissonance flagrante entre les
messages qu’elle émet et ce qui est reflété dans la presse. A-t-elle abusé de l’utilisation de son
genre à des fins politiques pendant la campagne précédente ? A-t-elle trop mélangé vie privée
et vie publique au cours de sa carrière, dont l’exemple le plus retentissant fut la publication de
photos de ses nouveaux nés dans Paris Match en 1992 ?
140 Le Figaro, 24.01.2011 141 Le Point, 13.10.2011
81
2 – Une stratégie relayée mais parfois dénoncée : Martine Aubry
Si la presse ne semble pas prendre le contre pied de l’identité genrée mise en avant par
Martine Aubry, elle dénonce toutefois les quelques tentatives de féminisation de la candidate,
en soulignant leur caractère artificiel et électoraliste. « Les femmes seraient-elles la nouvelle
cible électorale de Martine Aubry ? […] Le 14 septembre, elle réunissait son groupe de
soutien féminin à la Mansouria, restaurant marocain du 11e arrondissement - "tenu par une
chef femme", tient à préciser son équipe, pour parler avortement, égalité professionnelle,
violences faites aux femmes... Elle veille aussi à son image dans la presse féminine. On l'a
vue ainsi, dans Grazia du 9 septembre, sur une étonnante photo enlacée par les bras tatoués
d'une amie artiste noire de Roubaix. Du people ciblé où elle parle shopping - Zara ou Armani
-, grands couturiers - elle trouve Lagerfeld " génial " mais trop cher - musique, danse,
bouquins, régime ... et de l'Élysée où elle se voit. »142
La mention de « l’étonnante » photo
avec son amie artiste ou ses propos rapportés et orchestrés de manière presque comique
concernant la mode montrent que la presse ne veut pas d’une Martine Aubry qui semble renier
sa stratégie initiale pour courtiser certains segments d’électeurs.
Si la presse montre parfois une Martine Aubry qui force sa nature en se féminisant, c’est
paradoxalement à son avantage puisque cela met en évidence, par contraste sa virilité – et
donc sa légitimité – « naturelle » contre une féminisation « forcée ». C’est l’Express du
25.09.2011 qui en parle le mieux : « Mardi, c'est sur le plateau du " Grand journal "
qu'elle brocarde " l'attitude " de DSK vis- à-vis de la gent féminine. […] Pour autant, il ne faut
pas s'y tromper : c'est surtout pour s'attirer les faveurs de la moitié de l'opinion que Martine
Aubry s'autorise cette attaque ad hominem. La candidate fait même d'une pierre deux coups :
en plus de dégainer la " carte femme ", elle marque sa différence avec François Hollande, dont
le positionnement a parfois manqué de tranchant sur ce sujet. » Le journaliste dénonce donc
une tactique électoraliste contraire à sa stratégie initiale de présentation de soi, mais lui donne,
en fin de compte l’avantage face à son adversaire. « Elle ne fait pas de son sexe un étendard
[…] Mais l’argument principal pour rallier les féministes à Martine Aubry porte moins sur le
bilan que sur sa crédibilité. Avant d’être une femme, elle est «présidentiable». On
entend «envergure», «solidité», «responsabilité» » (Libération 21.09.2011).
Les journalistes sont-ils tous si conciliants avec la stratégie de Martine Aubry ? Le consensus
de la presse est ici moins solide que pour Ségolène Royal et Marine Le Pen. Si certains louent,
142 Le Monde 21.09.2011
82
entre les lignes, sa virilité quasi « naturelle », d’autres évoquent son ambiguïté genrée en des
termes moins laudatifs : ils (re)construisent l’image d’une femme mal à l’aise avec son genre,
hésitant à se positionner. C’est l’exemple de cet article du Monde 17.10.2011 à l’intitulé lourd
de sous-entendus « La candidate incertaine ». On y relate entre autres, les coups de colère de
Martine Aubry : « Si c'est comme ça, j'arrête tout ! Je pars, explose Martine Aubry, qui a déjà
empoigné son sac à main ». Le détail du sac à main pourrait symboliser la féminité contrariée
de la candidate. On peut également citer l’anecdote du crayon dans l’œil. « Devant le grand
miroir du bureau du premier étage, la nouvelle première secrétaire du PS se refait une beauté,
tout en calant au téléphone avec le porte-parole du parti, Benoît Hamon, les derniers détails de
la réunion. Soudain, le crayon de maquillage glisse et s'enfonce profondément dans l'œil de la
patronne du parti. […] Elle ne supporte plus les flashes des photographes, ce qui, pour une
personnalité politique de premier plan, s'avère gênant. » Le journaliste manipule les symboles
de la féminité (l’accessoire, le maquillage) pour en faire des objets signifiant le malaise de la
candidate par rapport à son genre.
Malgré la dénonciation des rares tentatives de féminisation de la candidate, la presse relaie la
stratégie de Martine Aubry en soulignant l’ambiguïté du genre qu’elle met en scène. Ce statut
de femme-homme lui permet d’acquérir une certaine légitimité politique, comme le montrent
certains articles de presse qui, sans pour autant explicitement la louer, mettent en valeur les
qualités de la candidate.
3 – La stratégie fidèlement relayée : Marine Le Pen
L’ambivalence genrée de Marine Le Pen est parfaitement relayée dans les médias qui
décrivent tour à tour sa féminité et son pouvoir de séduction (« Mère de trois enfants, divorcée
deux fois, la candidate frontiste aime à s’appuyer sur son parcours personnel : « Je sais ce que
c’est que d’élever des enfants seule », l’entend-on dire souvent. Blonde, apprêtée, elle sait
aussi jouer sobrement de son charme. Elle n’a rien de repoussant. Elle est dans une certaine
séduction et joue sur le fait qu’elle est une femme »143
et la virilité agressive héritée de son
père (« A la fin des années 90, quand Bruno Mégret tenta de s’emparer du FN en attaquant le
clan familial - surnommé le «canal alimentaire», c’est Marine Le Pen qui a rugi, plus fort
encore que son père, crinière dehors. On a découvert un mélange de Saint-Just et de Fouquier-
143 Le Figaro, 17.04.2012
83
Tinville, elle était prête à tout pour couper les têtes.»144
Une stratégie relayée à grand renfort
d’images et de comparaisons : « Ce débat qui devait tourner autour des mesures de son
programme en faveur des femmes, Marine Le Pen ne l'a pas abordé comme un match de boxe
- c'est pourtant son habitude - mais comme une corrida. Elle était le torero. »145
Ce mouvement permanent entre féminité et virilité est une stratégie de mise en scène de soi
qui est parfaitement décodée par la presse qui, pour autant, ne la contrecarre ni ne la
déconstruit : « Cette touche virile brouille ainsi les pistes et impose la singularité de son
personnage. « « C’est une femme avec un ethos, une façon d’être masculine […] Elle a une
voix de fumeuse, un parler gouailleur, une certaine agressivité, en somme des traits que l’on
associerait à un homme. […] Marine Le Pen joue sur les deux tableaux, sa féminité et sa
masculinité, c’est assez troublant. Elle se présente ainsi comme une femme forte. » […]
L’ambiguïté de Marine Le Pen ne se borne pas à son personnage public : l’ambivalence de
son discours brouille également les pistes électorales »146
Marine Le Pen est à la fois la candidate dont la stratégie est la plus commentée, certainement
parce qu’elle est la plus transparente et la plus prononcée mais également celle dont la
stratégie est relayée le plus fidèlement et le plus objectivement. Je n’ai recensé aucune
tentative de déconstruction et de reconstruction d’une identité alternative, comme c’est le cas
pour Ségolène Royal. Marine Le Pen est sans doute la candidate qui fascine le plus et qui
pourtant suscite le moins de critiques sur sa présentation de soi
144 Libération, 15.01.2011 145 Le Monde, 05.04.2012 146 Le Figaro, 17.04.2012
84
C – L’autonomie de la presse face aux stratégies de mise en scène de soi des candidates
Au-delà du simple relais ou de la déconstruction, on observe que la presse se permet quelque
libertés avec les stratégies de présentation de soi genrées des candidates, en choisissant de les
appuyer, de façonner des contrastes ou de construire, comme pour Ségolène Royal, des
identités genrées alternatives. Voici quelques exemples de techniques au travers desquelles la
presse arrange à sa manière les stratégies dont elle se fait le relais plus ou moins fidèle.
1- La langue employée et ses conséquences
Les journalistes peuvent utiliser un langage plus implicite dans la rédaction de leurs articles.
Ils peuvent ainsi choisir de véhiculer d’insidieux messages, presque subliminaux, dont ils
peuvent être eux-mêmes inconscient. C’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de nommer les
candidates à l’élection présidentielle, ou d’y faire référence. Comme le dit Marlène Coulomb
Gully : « [on note] la mention de « Marie-France » (Garraud) par son seul prénom, comme le
sont souvent les femmes politiques dans les médias, ce qui contribue à les délégitimer dans le
cadre de la sphère publique. »147
Ainsi, pendant la campagne de 2007, les journalistes ont
popularisé la fameuse formule « Ségo-Sarko », se référant à l’homme avec la distance du nom
de famille, et à la femme avec la familiarité du prénom.
Parfois, c’est le contraire qui se produit : « Côté PS, le maire de Dijon, François Rebsamen,
tacle Mme Royal […] »148
Marque de respect ou écriture inconsciente, sans verser dans la
recherche des causalités psychologiques de la rédaction, la différence est manifeste : Ségolène
Royal est renvoyée à son genre avec l’emploi du titre d’appel « Madame » tandis que
François Rebsamen jouit de son autonomie par rapport à son sexe. La différence est plus
manifeste dans l’article suivant : « Martine Aubry a certes répété que Mme Royal avait "tout à
fait le droit" d'être candidate aux primaires. »149
Malgré les efforts de construction d’une
nouvelle identité stratégique, comme je l’ai expliqué auparavant, la presse semble vouloir
enfermer Ségolène Royal dans son genre biologique, dont elle a autrefois tiré profit
politiquement. « Les gens croient qu'être président, c'est toujours plus facile que ça paraît.
C'est un long travail, (...) il faut un projet, ça ne s'improvise pas", a déclaré jeudi Mme
147 Marlène Coulomb Gully, op.cit., p 63 148 Le Monde, 9.01.2011 149 Le Monde 25.01.2011
85
Royal »150
On remarque ici un habile jeu de contraste, conscient ou inconscient, entre
l’emploi du terme masculin « président » accolé sous forme de propos rapporté à « Mme
Royal », les rendant incompatibles de fait.
Ainsi, le niveau le plus élémentaire de l’usage de la langue montre que la presse s’attache à
déconstruire l’identité virile voulue par Ségolène Royal. Qu’elle soit nommée par son
prénom, quand son adversaire est appelé par son nom de famille, ou l’inverse, la différence de
traitement est significative en ce sens qu’elle isole Ségolène Royal des autres candidats
légitimes, en employant insidieusement l’argument du genre.
Un argument du genre qui peut tout aussi bien être explicitement posé, lorsqu’il s’agit
d’autres candidates, comme Marine Le Pen avec laquelle la presse se montre (étonnamment.)
cordiale.
Marine Le Pen est la seule candidate à l’élection présidentielle à susciter de telles
interrogations explicites sur son genre, comme le montre le titre de cet article du Figaro du
17.04.2012, « Marine Le Pen brouille les genres ». La Présidente du FN navigue en effet en
permanence entre virilité et féminité, une stratégie qui soulève de nombreux commentaires
dans la presse : «Être femme en politique n’est toujours pas aisé. Certaines sont attaquées
pour leur féminité ou leur statut de mère de famille, d’autres parce qu’elles utiliseraient trop
les attributs des hommes. Et puis, il y a Marine Le Pen qui brouille les pistes. Trois experts
analysent son art de battre des cils tout en tapant du poing. » Alors que la presse s’est
montrée plus subtile ou plus réservée sur la question du genre mis en avant par les deux
précédentes prétendantes à la Présidence de la République, en usant de références, métaphores
et anecdotes en tout genre, c’est la première fois que le mot « genre » est employé pour parler
d’une candidate.
En effet, comme je l’ai évoqué auparavant, Marine Le Pen ne cultive pas une ambiguïté tirant
sur la neutralité, comme Martine Aubry. Elle entretient plutôt deux pôles fortement genrés
entre lequel elle fait d’incessants allers retours. Une stratégie si forte, et donc si visible, ne
peut qu’éveiller de nombreux commentaires : « Inconsciemment, nous avons un regard sexué
sur les orateurs […]. Si Marine Le Pen s'agitait trop, ce serait mal perçu, elle paraîtrait trop
150 Le Monde, 04.02.2011
86
virile. Avec elle, tout passe davantage par le visage, les yeux, le sourire, autant de mimiques
qui visent à adoucir le propos et à créer la connivence. […] C’est l’opportunisme du caméléon
[...] »151
.
Un vrai caméléon en effet, qui arrive à esquiver les écueils récurrents dont sont victimes les
femmes politiques : « Alors que Ségolène Royal était la cible d’attaques misogynes en 2007
(« Ce n’est pas un concours de beauté », « Qui va garder les enfants ? », etc.), Marine Le Pen
semble épargnée par la verve sexiste. Les médias ont à peine évoqué sa perte de poids et sa
nouvelle coupe présidentiable, alors qu’Eva Joly est régulièrement raillée pour ses montures
colorées ou sa chevelure désordonnée. Peut-être parce que le nouveau visage de l’extrême
droite est aussi une femme à poigne ? « Elle est couillue, c’est un lion ! » dixit sa sœur
Yann. »152
Elle peut ainsi tenir des discours très différents sur sa condition féminine, qui
seront relayés par une presse qui n’en relèvera pas les contradictions. Ainsi, elle déclare dans
Le Point du 8.03.2012 : «Non, être une femme n'est pas un atout en politique. Au contraire,
c'est plus exigeant, car la vie familiale percute de plein fouet l'activité politique: être une mère
et une candidate à la présidentielle, ce n'est pas facile. », se positionnant en victime des
inégalités hommes-femmes, pour affirmer ensuite, dans le Monde du 05.04.2012 : « On n'est
pas une espèce à protéger ! » afin de se justifier de son opposition au principe de parité et à la
création du ministère du Droit des Femmes.
Alors que la presse relève explicitement les contradictions du genre de Marine Le Pen, elle ne
semble pas pour autant déconstruire sa stratégie d’ambivalence genrée. Les journalistes se
montrent néanmoins assez rudes avec Ségolène Royal dont ils ne traitent le genre que de
façon implicite, l’isolant et la renvoyant sans cesse à une hyperféminité dont elle veut sortir et
défaisant ainsi une stratégie murie depuis son échec à la présidentielle de 2007.
2 – Les comparaisons : « diviser pour mieux genrer »
« [Pour les journalistes], une candidature de femme entre nécessairement en concurrence avec
les autres candidatures de femmes. »153
Alors quand Martine Aubry et Ségolène Royal entrent
151 Le Figaro, 17.04.2012 152 Le Figaro, 17.04.2012 153 Marlène Coulomb Gully, op.cit., p 78
87
en compétition l’une contre l’autre lors des primaires socialistes de 2011, la presse répertorie
leurs différences et semble accentuer ce qui les distingue, virilisant et légitimant Martine
Aubry et, par contraste, féminisant Ségolène Royal, qui voit se déconstruire sa stratégie
d’autolégitimation virile dans les pages des journaux :
Le Figaro, 14.08.2011 :
« Martine Aubry. «La France souffre d'un triple déficit», celui des finances publiques, de l'emploi, et de la
compétitivité, indique-t-elle dans le Journal du Dimanche (JDD). Les deux tiers des déficits publics sont
dus à la politique de Nicolas Sarkozy, dit-elle en s'appuyant sur un rapport de la Cour des comptes.
« Ségolène Royal. «Ce n'est pas juste une crise financière, mais une crise de civilisation», avance la
présidente de la région Poitou-Charentes dans un entretien accordé au Parisien-Aujourd'hui en France.
Selon elle, «le niveau de vie des gens et l'emploi» sont menacés.
Aubry. Il faut immédiatement «supprimer 10 milliards d'euros de niches fiscales», selon la maire de Lille.
Elle promet d'affecter 50% de la marge financière dégagée par cette mesure et par la reprise de la
croissance à la réduction des déficits, reprenant ainsi une mesure figurant explicitement dans le programme
du PS. Elle s'oppose en revanche à la règle d'or, à savoir fixer dans la Constitution le principe d'équilibre
des finances publiques.
Royal. «Je propose que les dépenses nouvelles soient gagées par des économies». Elle accuse Nicolas
Sarkozy d'avoir «doublé le déficit public» en partie à cause de «cadeaux fiscaux aux grandes fortunes».
Aubry. La candidate veut supprimer les avantages fiscaux liés aux heures supplémentaires «qui bloquent
les embauches». Elle veut allouer 50% des futures marges de manœuvre budgétaires aux «investissements
d'avenir», c'est-à-dire en grande partie à l'emploi.
Royal. Elle ne mentionne qu'une seule fois les mots «emploi» et «chômage» dans l'interview au Parisien,
pour dénoncer la situation actuelle. Sans avancer de proposition sur le sujet.
L’article oppose les points de vue des deux candidats sur des sujets précis, comme la dette ou
l’emploi, en ne faisant que rapporter leurs propos après la mention de leurs noms. Néanmoins
tout semble extrêmement calculé. Lorsqu’elles s’opposent sur le déficit, le journal rapporte
des propos techniques à Martine Aubry et mentionne un rapport de la Cour des Comptes,
tandis que Ségolène Royal reste plutôt évasive sur le sujet, sans mentionner de chiffre, et
88
évoque plutôt l’aspect social de l’enjeu. Tout au long de l’article, on prêtera à Martine Aubry
un discours très technique, agrémenté de chiffres et de propositions, tandis qu’on accordera,
au mieux, à Ségolène Royal, le pendant social du problème économique – la fameuse
problématique du care féminin – et au pire, l’absence de toute proposition et le report de la
responsabilité sur les précédents gouvernants. On attribue donc à Martine Aubry le monopole
de la crédibilité sur ces sujets très masculin tandis que Ségolène Royal semble totalement
illégitime à gérer ces problématiques. En somme, on érige Martine Aubry en gouvernant
légitime et rationnel, tandis qu’on souligne l’incapacité et l’incompétence de Ségolène Royal
(« Elle ne mentionne qu'une seule fois les mots «emploi» et «chômage» […] Sans avancer de
proposition sur le sujet. »), en la cantonnant au domaine de l’affect.
« Quant à la maire de Lille, "sa seule expérience électorale, c'est une législative perdue en
2002. Passer de rien à une campagne présidentielle, ce n'est pas facile", lance celle qui fut
candidate du PS à l'Elysée en 2007. […] Martine Aubry, elle, n'a pas réagi aux attaques de
Mme
Royal. Contacté par Le Monde.fr, le député Olivier Dussopt, porte-parole de la
candidate, ne souhaite faire "aucun commentaire", assurant que Mme
Aubry "reste concentrée
sur son message, son projet et sa campagne". »154
Face à la « bassesse » des attaques de sa
rivale, le journaliste offre à Martine Aubry la grandeur et la distance de celui qui n’est pas
atteint par les critiques.
Ségolène Royal est renvoyée à son genre biologique et Martine Aubry s’en trouve virilisée
par comparaison. « Invitée, lundi 24 janvier au soir, de Canal+, Martine Aubry a certes répété
que Mme
Royal avait "tout à fait le droit" d'être candidate aux primaires. Mais elle n'a pu
s'empêcher de noter, dans un éclat de rire : "Elle est un peu impatiente, là, Ségolène". Et de
rappeler, paraphrasant Mitterrand, qu'il y a "beaucoup de belles fleurs au PS" […].»155
Les
propos rapportés par les journalistes montrent la distance et de l’ironie de la candidate.
Il y a également la formule « là, Ségolène », dont on ne saura jamais si elle n’était pas plutôt
« la Ségolène », une formule cavalière dont Martine Aubry a été obligée de se justifier. Dans
l’article du Figaro qui compare leurs discours sur les enjeux économiques (voir tableau plus
haut), Martine Aubry apparaît, contrairement à Ségolène Royal, comme légitime sur des
sujets pourtant très techniques et souvent réservés aux hommes. Lorsque la presse relate son
154 Le Monde, 8.09.2011 155 Le Monde 25.01.2011)
89
refus de répondre aux critiques de Ségolène Royal, elle incarne alors la sobriété contre
l’outrance, l’impassibilité virile contre l’agitation féminine.
Ainsi, les comparaisons effectuées entre les deux femmes par la presse avantagent souvent
Martine Aubry à qui l’on accorde, de façon schématique, une stature d’homme. Et c’est par
contraste que Ségolène Royal se voit affublée des aspects les plus vils de la féminité.
3 – Une technique journalistique contre les stratégies de présentation de soi : l’anecdote
On a vu auparavant que la presse entreprenait de déconstruire la stratégie d’autolégitimation
genrée de Ségolène Royal, en la renvoyant de façon systématique aux attributs négatifs de la
féminité. L’une des techniques littéraires pour y parvenir est le récit d’anecdotes savamment
sélectionnées et construites. Nombreuses sont les anecdotes, dans la presse, qui montrent
Ségolène Royal dans toute son hyperféminité, de préférence en compagnie d’un homme qui
viendra souligner le contraste entre féminité et légitimité virile.
« Ségolène Royal assure que c'est elle qui l'y a poussé. Elle vante son combat contre «les
lobbies pétroliers et automobiles» et sa résistance aux «manœuvres politiciennes», comme
lorsque Luc Châtel, en visite dans sa région, a refusé de monter dans un prototype de la MIA
pour une photo à ses côtés. »156
On a ici la description d’une femme vantarde et en creux le
scepticisme du journaliste avec l’emploi de la formule « assurer que ». Luc Châtel, alors
ministre en exercice, est décrit comme un homme réaliste peu réceptif aux fanfaronnades de la
femme.
« Colère et champagne pour Ségolène Royal : la socialiste n'a pas apprécié qu'on fasse passer
son intervention après d'autres réactions lors de son passage à France 2. […] Dans la loge, la
candidate à la primaire socialiste pique une grosse colère parce que des réactions enregistrées
d'autres ténors de la gauche ont précédé son intervention en direct. "A l'avenir, vous allez me
respecter", dit-elle, menaçante, aux journalistes de la chaîne publique. Puis, toujours aussi
agacée, elle demande qu'on lui serve une coupe de champagne. Jean-Marie Le Guen,
député très proche de l'ex-patron du FMI, s'en voit aussi proposer une, mais refuse: "Ce n'est
pas vraiment le moment." »157
156 Le Figaro, 2.09.2011 157 L’Express, 24.05.2011
90
Cette anecdote, que le journaliste a sciemment choisi de relater, montre une Ségolène Royal
capricieuse, colérique et superficielle, trois nouveaux attributs négatifs de la féminité, avec
des termes infantilisants à la limite de l’offense (« pique une grosse colère »). La figure de
l’homme, ici incarnée par Jean-Marie Le Guen, incarne à nouveau l’autorité et la contenance,
qui condamne la femme pour son comportement irresponsable. La femme politique qu’est
Ségolène Royal est alors vue comme une « mineure », un individu politique inférieur.
« Le point faible de François Hollande, c'est l'inaction, déclare ainsi la présidente de Poitou-
Charentes à propos de son ex-compagnon. "Est-ce que les Français peuvent citer une seule
chose qu'il aurait réalisée en trente ans de vie politique ? Une seule ? demande-t-elle. […]
Pierre Moscovici, coordonnateur de la campagne de M. Hollande pour la primaire PS, a aussi
appelé jeudi au respect entre les candidats socialistes. Ce ne sont pas de tels propos qui feront
avancer la campagne de la primaire. Je suis, comme François Hollande, favorable à une
campagne du respect (...) L'objectif, c'est de battre Nicolas Sarkozy [en 2012, et il faut donc]
éviter toute forme d'attaque qui, demain, donne des atouts au candidat de la droite contre le
candidat socialiste. »158
L’article compile les piques que Ségolène Royal adresse à ses
adversaires, François Hollande et Martine Aubry. Il n’est rédigé qu’à partir de propos
rapportés mis entre guillemets. La pièce se joue en deux actes et s’achève par la
condamnation de l’homme, qui dresse le portrait d’une femme candidate irresponsable, voire
hystérique, attaquant de façon virulente ses adversaires.
Dans la presse, la parole rapportée de l’homme joue un rôle fondamental dans la
déconstruction de la stratégie genrée de Ségolène Royal, ainsi qu’on le voit : « Son score à la
primaire PS ne lui permettra pas de peser pour la suite. Ses larmes de déception, dimanche
soir, ont ému les dirigeants socialistes. Laurent Fabius, qui est pro-Aubry, a trouvé sa
campagne «extrêmement courageuse, digne». «Ça doit être très difficile pour elle sur le plan
humain, mais je pense qu'elle doit être saluée», a-t-il dit. Durant la campagne, son ancien
compagnon François Hollande, meilleur expert de la vie des socialistes, confiait sa certitude :
«Elle pense vraiment qu'elle a une chance.» Entre 2007 et 2011, Ségolène Royal avait
pourtant changé. Tous ses rivaux en convenaient : elle était beaucoup mieux préparée qu'il y a
quatre ans. »159
La compassion est omniprésente dans cet article. On y relate les « larmes de
déception », on évoque la difficulté de la défaite « au plan humain », on s’émeut du fait
158 Le Monde, 8.09.2011 159 Le Figaro, 10.10.2011
91
qu’elle puisse « penser avoir une chance » et enfin on lui reconnait, comme à une écolière, le
fait qu’elle était « beaucoup mieux préparée ».
Aurait-on pu écrire ceci d’un homme ? Probablement pas. C’est l’anecdote d’un événement
politique entièrement fondée sur l’affect et l’impact émotionnel, personnel, d’un événement
politique, très loin de la respectueuse distance que l’on réserve aux hommes dans un contexte
similaire. Les « larmes de déception » ont dissout en l’espace d’un instant l’identité virile
qu’elle avait tenté de construire durant la campagne des primaires, et la presse a bondi. Deux
hommes sont présents dans le récit de l’anecdote, Laurent Fabius et l’ancien compagnon,
François Hollande. Leurs propos rapportés sont compatissants et participent à la mise en
évidence de la fragilité de la candidate, qui doit être louée pour ses efforts malgré la défaite.
Ségolène Royal, principal objet d’un article où elle n’a pas le droit à la parole est ici une
figure archétypale de la faiblesse féminine.
A titre de comparaison, j’évoquerai la place des hommes dans les anecdotes relatées à propos
de Martine Aubry.
« Volontariste, «résolue à se battre», Martine Aubry a voulu prouver à ses adversaires, qui
l'accusent d'être une candidate de substitution à Dominique-Strauss-Kahn, qu'elle avait envie
de se lancer dans la course. En hausse dans les sondages, elle est désormais quasiment à
égalité avec François Hollande, l'autre favori. » (Le Figaro, 29.06.2011). Dans la langue
employée et le style narratif, on constate qu’il n’y a pas de différence de traitement (le prénom
et le nom sont utilisés pour les trois protagonistes). Contrairement à Ségolène Royal, lorsqu’il
s’agit de Martine Aubry et qu’un homme intervient dans l’article, ils sont à égalité. Une mise
en abyme, en quelque sorte, du résultat des sondages évoqués dans l’article. Le vocabulaire du
combat (« se battre », « ses adversaires ») participe à l’idée que Martine Aubry est l’égale des
hommes dans l’arène politique. C’est donc un nouvel exemple qui montre le relai
relativement fidèle de sa stratégie par la presse.
Elle est d’ailleurs attaquée, en bonne et due forme, par son principal adversaire, François
Hollande : « J'ai été dès mon premier vote à gauche. Je me suis engagé au Parti socialiste très
tôt, j'ai été un militant, j'ai été un élu, j'ai conquis tous les mandats que j'ai gagnés. Je n'ai
hérité de rien, a-t-il fait valoir, visant Martine Aubry, fille de Jacques Delors. »160
En relatant
l’attaque de François Hollande contre Martine Aubry, le journaliste en fait des adversaires
160 Le Monde 11.10.2011
92
égaux, d’homme à homme. A titre de comparaison, je n’ai pas recensé d’attaques de François
Hollande contre Ségolène Royal dans mon corpus.
La personnalité ambiguë de Martine Aubry semble interroger la presse. La Une de Libération
du 20.01.2011 est l’une des unes du journal qui a engendré le plus de débats cette année.
Les traits sont durs et le maquillage, presque outrancier, comme s’il fallait à tout prix la
grimer…en femme. Les journalistes et les internautes ne sont pas dupes. Les débats sont
nombreux : « un mage », « un revenant », « Docteur Hyde » peut-on lire sur les forums.
L’Express du 20.09.2011 tranche : « Dark Knight et Blue Velvet ». Entre le Joker de Batman
et Isabella Rosselini. L’ambiguïté règne toujours.
Comme Marine Le Pen, Martine Aubry a parfois un comportement dont on pourrait dire qu’il
est, dans l’imaginaire commun, opposé à son genre biologique. Sa familiarité, voire la
vulgarité de ses propos est retranscrite de manière minutieuse dans la presse : « "Je vous
emmerde, je suis moi-même", leur répond-elle parfois »161
. Son commentaire sur la « gauche
molle »162
incarnée par François Hollande a également fait couler beaucoup d’encre,
notamment sur la connotation sexuelle de la métaphore. Martine Aubry incarnerait donc la
« gauche dure » contre la mollesse de son adversaire. Nul besoin de filer la métaphore, cela
semble assez clair.
161 L’Express, 28.06.2011 162 Le Monde, 13.10.2011
93
Dans le portrait que lui consacre Ouest France le 28.06.2011, on voit que la presse relaie
toujours l’ambigüité genrée de la candidate : « Femme d’Etat », « mère sévère »,
« teigneuse », « bonne vivante »… Les qualificatifs pleuvent pour décrire Martine Aubry, qui
décide enfin de faire ce à quoi son père, Jacques Delors, avait renoncé en 1995 : briguer
l’Elysée. » Tout au long du portrait se dessine une femme à la « King », comme l’a décrit
Catherine Achin. Le titre du portrait est révélateur : « Une dame de fer qui pleure parfois ». Il
fait référence à Margaret Thatcher, « The Iron Lady », qui était d’ailleurs l’exemple que
Catherine Achin a choisi pour illustrer sa théorie de la « King ». On lit le portrait d’une
Martine Aubry qui est « une femme impériale et implacable » mais qui peut « verser des
larmes ». Elle est autant passionnée de football et de sport que d’art et de littérature. Un
être « avec ses passions, ses paradoxes et sa face noire […] capable de cette violence propre à
la politique où l’on trahit, où l’on ment. ». Martine Aubry n’est donc ni homme, ni femme,
donc mi homme, mi femme, c’est un « être » neutre, ce qui paraît tout à fait en adéquation
avec l’identité genrée qu’elle met en avant dans sa communication.
Contrairement au traitement réservé à Ségolène Royal par la presse, lorsque, dans des articles,
des hommes surgissent aux côtés de Martine Aubry, ce n’est pas pour la condamner. Bien au
contraire. Puisqu’elle est leur égale, ils viennent la chercher: « Que veux-tu que je te dise ?
Elle veut pas, elle veut pas !" […] Claude Bartolone est désespéré. Tout est en place pour
que Martine Aubry prenne le parti, et elle ne veut pas ! Depuis des mois, les fabiusiens et les
strauss-kahniens, soucieux de préserver l'avenir élyséen de leurs champions respectifs et donc
d'empêcher Ségolène Royal de s'emparer du PS, poussent Martine Aubry à incarner la
candidate des "reconstructeurs". Ils sont presque arrivés à leur fin. »163
On vient la chercher, comme l’Homme providentiel, cette figure très gaullienne de la solitude
et de l’entêtement (« Elle veut pas, elle veut pas ! »). Lorsqu’en effet Martine Aubry est
décrite comme une femme seule, elle n’incarne pas la même figure de la « femme seule » que
Ségolène Royal, la femme abandonnée et isolée. Non, Martine Aubry, c’est plutôt la cheffe
qui n’a besoin de personne et encore moins des hommes pour prendre le pouvoir : « Sobre.
Seule devant un fond bleu, agrémenté des drapeaux français et européen, seule en scène, sans
ténor socialiste à ses côtés, Martine Aubry a lancé, mardi 28 juin dans sa ville de Lille, sa
campagne pour la primaire socialiste et donc la présidentielle.»164
Dans ce style littéraire très
romancé et rare dans un article de presse quotidienne, on peut sentir la déférence, consciente
163 Le Monde, 17.10.2011 164 Le Monde 28.06.2011
94
ou inconsciente, du journaliste envers Martine Aubry et surtout l’impeccable relais de sa
stratégie de neutralité genrée.
De manière générale, la presse se montre plus tendre avec Martine Aubry qu’avec Ségolène
Royal. Le meilleur exemple est cet extrait d’un article du Point du 22.09.2011 : « "Oui, je suis
une femme politique, mais je suis socialiste, républicaine, et c'est en ce nom-là que je me bats
pour l'égalité entre les hommes et les femmes. […] A trois semaines du premier tour de la
primaire du 9 octobre, la maire de Lille a ironisé sur le "manque d'envie" qu'on lui prête, "ce
que, chez les hommes, on appellerait modestie" ». L’utilisation du discours rapporté et la
construction de la proposition montre la volonté du journaliste de relayer fidèlement les
paroles de cette dernière.
En conclusion, il semble que la presse se montre traditionnellement peu tendre avec les
femmes politiques, les renvoyant sans cesse à leur genre biologique, soulignant leur
incompétence « naturelle », les enfermant dans leur statut marital ou familial et les tenant à
part, de manière général, de l’univers viril de la politique en se focalisant davantage sur leur
nouvelle couleur de cheveux que sur leur programme politique. Mais en y regardant de plus
près, on s’aperçoit que la presse réserve un traitement différent à chaque candidate à l’élection
présidentielle. Le plus étonnant est peut-être le consensus des divers organes de presse, aux
sensibilités politiques et aux formats assez hétérogènes, sur la façon de traiter les stratégies de
présentation de soi viriles des candidates.
Ainsi, Marine Le Pen a l’honneur de voir sa stratégie d’ambivalence genrée soigneusement
relayée par la presse, malgré les interrogations explicites qu’elle suscite. Martine Aubry voit
sa stratégie d’ambiguïté genrée relayée, sauf lorsqu’elle tente de se féminiser à des fins que la
presse qualifie d’électorales. Les journalistes l’empêchent donc de sortir de sa neutralité mi-
naturelle mi-mise en scène. Quant à Ségolène Royal, elle voit sa stratégie de virilisation
entièrement déconstruite au profit d’une hyper-féminisation aux attributs négatifs. Sans doute
n’ont-ils pas oublié sa stratégie de 2007.
95
96
Conclusion
Dans quelle mesure les stratégies de présentation de soi des femmes politiques mettent-elles
en évidence la nécessité de paraître virile? Telle était l’interrogation qui a sous-tendu ma
réflexion tout au long de ce mémoire.
J’ai pu observer les différentes stratégies de présentation de soi communicationnelles et
médiatiques élaborées par les candidates et leurs équipes en les analysant à travers le prisme
du genre, notamment du genre viril. Pourquoi Marine Le Pen, Ségolène Royal et Martine
Aubry se sont-elles évertuées, de façon différente, à mettre en scène un genre qui ne
correspond pas à leur genre biologique ? Si j’ai employé le terme « nécessité » dans la
problématique, c’est bien parce que cette mise en scène révèle l’obligation structurelle en
politique de posséder les caractères culturellement attribués au sexe masculin, c'est-à-dire les
caractères virils, pour incarner le pouvoir. Cette obligation découle de la tradition politique
française qui fait du Président de la République un rôle aux aspects rigides et inaltérables,
auquel on ne peut prétendre que si l’on est considéré comme légitime. Et c’est bien le lien
entre légitimité politique et virilité qui éclaire la volonté de ces femmes de masquer leur
féminité et d’adopter les vertus du mâle afin d’accéder à la magistrature suprême.
Ces stratégies de présentation viriles, qui m’ont interpellé, ont été le point de départ d’une
recherche destinée à comprendre l’illégitimité des femmes et la forte masculinité du milieu.
C’est grâce à l’analyse de ces stratégies que j’ai pu saisir l’enjeu principal de la
problématique, c’est-à-dire le lien nécessaire, inéluctable, entre légitimité politique et
caractères culturellement associés à la virilité.
J’ai d’abord émis l’hypothèse que des stratégies de mise en scène de soi viriles imprègnent la
communication des trois femmes candidates à l’élection présidentielle de 2012. Cette
hypothèse se trouve confirmée à l’issue de l’analyse du corpus composé des clips de
campagnes, des affiches et des discours de candidature des trois femmes politiques étudiées.
La nuance majeure que j’apporte désormais à l’hypothèse est que ces stratégies, si elles ont
toutes comme objectif de viriliser les candidates, sont très différentes les unes des autres et
n’ont pas forcément les mêmes résultats.
A une virilisation exacerbée, Martine Aubry préfère une neutralité qui se fonde sur une subtile
alliance de caractères masculins et féminins. Choix des thématiques de campagne, mise en
97
scène visuelle de ses allocutions, références, tout est savamment équilibré pour ne verser ni
dans l’excès de féminité ni dans une virilité trop brutale et trop affirmée. Il en résulte la mise
en scène d’une neutralité sobre et d’une ambiguïté genrée qui la distingue de ses rivales.
Ce n’est pas en effet l’ambiguïté qui caractérise la stratégie de présentation de soi de Marine
Le Pen, mais bien une ambivalence genrée. Marine Le Pen joue sur les deux tableaux. Avec
sa blondeur hitchcockienne et sa virulence d’extrême droite, elle oscille en permanence entre
une hyperféminité, dont elle se sert parfois de manière agressive ou qu’elle utilise pour
cautionner des propos corrosifs sur l’immigration et la délinquance, et une virilité qu’elle
semble avoir héritée de son père pour son âpreté et sa rhétorique mordante.
Quant à Ségolène Royal, semblant avoir appris de ses erreurs stratégiques de 2007 et de
l’échec de ses efforts d’hyperféminisation face à la virilité du candidat Sarkozy, elle nuance
désormais sa stratégie, en tentant de se viriliser tout en continuant, en apparence, à faire de
son sexe un argument politique pour incarner « la France ».
J’ai ensuite avancé que ces stratégies de mise en scène de soi participaient à la légitimation de
la candidature de ces femmes politiques. Après avoir distingué l’origine du lien entre
légitimité et virilité dans la tradition politique française, j’ai pu établir que ces stratégies de
mise en scène de soi viriles avaient pour objet d’acquérir une légitimité suffisante pour
concourir, au même titre que les hommes, à la Présidence de la République. A défaut d’être
légitimes, d’emblée, dans le champ politique, les candidates ont donc élaboré ces stratégies de
présentation de soi qui s’apparentent à des processus d’autolégitimation.
L’hypothèse est confirmée, mais doit être à nouveau nuancée. J’ai en effet découvert qu’en de
rares circonstances, une présentation de soi féminine peut également faire partie d’un
processus d’autolégitimation. C’est notamment le cas pour Marine Le Pen qui, désirant à la
fois moderniser le Front National et se libérer de l’héritage accablant de son père, a parfois
fait de son sexe et de sa maternité des arguments politiques pour gagner en légitimité en tant
que personnalité politique autonome. C’était également le cas pour Ségolène Royal, en 2007,
qui a opposé une féminité qu’elle voulait saillante à l’hypervirilité de Nicolas Sarkozy.
Enfin, ma dernière hypothèse affirmait que la presse relayait ces stratégies de présentation de
soi viriles. L’hypothèse n’a pu être vérifiée de manière si générale, puisqu’il se trouve que la
presse réserve un traitement spécifique à chacune des candidates. Il est d’ailleurs étonnant de
voir à quel point ce traitement spécifique fait consensus entre les différents organes de presse
98
aux opinions politiques parfois divergentes, puisque je n’ai recensé que très peu de
dissonances dans le corpus d’articles choisis pour l’analyse.
La presse soutient la stratégie de présentation de soi de Marine Le Pen dont elle se fait le
fidèle relais, tout en exprimant explicitement des interrogations concernant l’ambivalence
genrée de la candidate. La stratégie est mise en évidence, soulignée, mais toujours justement
relayée.
La stratégie de Martine Aubry est relayée mais dénoncée à la moindre incartade vers une
féminisation qualifiée d’électoraliste.
La stratégie de Ségolène Royal est celle qui est la plus malmenée par la presse, qui semble
vouloir la ramener sans cesse aux caractères les plus vils culturellement attribués au sexe
féminin et à sa stratégie d’hyperféminisation de 2007 dont elle a tenté, durant les primaires
socialistes, de se défaire.
Pour résoudre la problématique initiale et confirmer mes hypothèses, j’ai choisi l’analyse de
contenus c’est-à-dire d’articles, d’images et de discours. Dans l’optique d’une prolongation de
cette recherche, on pourrait envisager l’analyse d’entretiens semi-directifs qui seraient
conduits avec des citoyens lambda ou des femmes politiques, pour recueillir leurs
impressions, leurs attentes et leurs exigences en matière de présentation de soi des
candidat(e)s à l’élection présidentielle.
Ce mémoire avait donc pour objectif de rendre explicite un phénomène observable depuis
quelques années en communication politique, c’est-à-dire la virilisation des femmes politiques
dont les aspirations deviennent de plus en plus élevées. Des femmes qui s’entourent
désormais d’équipes de conseillers en communication et qui savent aussi bien construire que
contrôler leur image, en verrouillant notamment l’accès à leurs vies privées qui les
ramèneraient, aux yeux du public, à leur condition de femme. Le cas de Ségolène Royal, dont
j’ai comparé les stratégies de 2007 et de 2011, est parfaitement révélateur en ce sens.
Contrairement à la « pipolisation » tout azimut de 2007, la campagne de 2012 a montré un net
changement en termes de stratégies communicationnelles pour les candidates, avec une
moindre exposition de la vie privée et de plus grands efforts dans la construction d’une image
et d’une identité « d’homme d’Etat ».
Au-delà de l’élection présidentielle et de ses prérequis, c’est une fenêtre sur la condition des
femmes françaises en politique que j’ai tenté d’ouvrir. La conclusion de ce mémoire pose la
99
question de l’inefficacité de certaines mesures de discriminations positives, comme la loi sur
la parité, qui cherchent à gagner par le nombre une guerre culturelle et symbolique.
En effet, comme le montre le découpage réalisé par Virginie Julliard des différentes étapes de
la féminisation du monde politique, il y a eu un grand impact symbolique de la loi sur la parité
au début des années 2000. Un phénomène qui s’est vite essoufflé, puisque la « parenthèse
enchantée de la parité » s’est refermé extrêmement vite. Face à des politiques de
discrimination positive qui échouent les unes après les autres, ce mémoire a également pour
objet de montrer la prégnance de certaines représentations genrées dans l’inconscient
collectif, les causalités historiques de l’exclusion des femmes du monde politique et par là
même, la vacuité, à mon sens, des « politiques-vitrines » que constituent les mesures de
discrimination positive. La loi sur la parité en est un exemple, puisqu’au lieu de prendre en
compte la nécessité de travailler sur les représentations et d’arriver à une réconciliation des
genres par l’éducation, elle creuse le fossé entre homme et femme par la contrainte légale et
l’imposition de quotas.
Le véritable enjeu n’est pas, selon moi, de rendre acceptables les qualités culturellement
féminines dans l’univers politique (en se référant à l’éternelle querelle du care féminin contre
le cure masculin). Au contraire il s’agit de déconstruire, à la manière des chercheurs adeptes
de la théorie du genre, les schémas culturels historiques (et « historicisés », pour reprendre
une terminologie bourdieusienne) qui ont attribué, presque arbitrairement, tel ou tel caractère
à un sexe ou à l’autre, cantonnant les femmes à « l’oikos nomos » et les hommes, à
l’organisation de l’espace public.
Où en est-on aujourd’hui ? Marine Le Pen, Ségolène Royal et Martine Aubry ont toutes les
trois échoué à l’élection présidentielle, dans des proportions différentes. Le second tour de
l’élection présidentielle a vu le retour à la « norme-mâle », pour reprendre une expression de
Catherine Achin. Les élections législatives ont amené quarante femmes supplémentaires à
l’Assemblée nationale ainsi qu’une nouvelle aspiration à davantage de parité, à tous les postes
et dans tous les cabinets de la République. En pensant, comme depuis dix ans, que le nombre
fera flancher les mentalités et que le quantitatif finirait par devenir qualitatif. Ce qui peut être
discutable.
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101
Bibliographie
Ouvrages
ABELES (Marc), Un ethnologue à l’Assemblée, Odile Jacob, 2001, 334 p.
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Travaux universitaires
JULLIARD (Virginie), « Émergence et trajectoires de la parité dans l’espace public médiatique (1993-2007). Histoire et Sémiotique au profit d’une étude sur le genre en politique à l’occasion du débat sur la parité", thèse soutenue le 2-12-2008 à l’Université Panthéon- Assas SOURD (Cécile), « L’Exclusion symbolique des femmes politiques dans les médias français », mémoire soutenu le 15-09-2003 à l’IEP de Lyon Articles
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SINEAU (Mariette) « Les femmes politiques sous la Ve République – A la recherche d’une
légitimité électorale » Pouvoirs n°82, 1997
SOURD (Cécile), « Femmes ou politiques ? La représentation des candidates aux élections françaises de 2002 dans la presse hebdomadaire » dans Mots n°78, Usages politiques du genre, 2005, pp 68-77 STEIN (Marieke) « Marie-Joseph Bertini : Femmes, le pouvoir impossible » Pauvert/Fayard, coll. Essai, 2002, 252 p. TREMBLAY (Manon) « Jane Freedman : Femmes politiques, mythes et symboles » Recherches Féministes, vol. 10, n° 2, 1997, pp 233 – 236 TREMBLAY (Manon) « Mariette Sineau, La force du nombre - Femmes et démocratie présidentielle », Recherches féministes, vol.22, n°1, 2009, p 177-180
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Résumé
Du point de vue du genre, les stratégies de présentation de soi des femmes candidates à
l’élection présidentielle s’apparentent à des efforts de virilisation. Elles mettent ainsi en scène,
dans leurs affiches, clips de campagne ou leurs discours, un genre qui ne correspond pas à
leur genre biologique. Si elles le font toutes de façon différente, leur objectif semble être le
même : la présentation de soi virile. C’est à partir de ce constat que j’ai cherché les
motivations sous-jacentes à ces stratégies de mise en scène de soi. Il semblerait que la femme
souffre d’une illégitimité politique presque naturelle et qu’au contraire, virilité et légitimité
politique soient indissociables. On en trouve de nombreux exemples dans la tradition politique
française. Les femmes politiques candidates à l’élection présidentielle se viriliseraient donc
pour acquérir de la légitimité ; leurs stratégies de mise en scène de soi peuvent donc être vues
comme des processus d’autolégitimation. Mais ces processus d’autolégitimation virile sont-ils
relayés dans la presse ? Pas de manière si générale : la presse semble soutenir et relayer la
stratégie d’une candidate et déconstruire celle d’une autre. C’est finalement la question de la
condition des femmes en politique qui se pose et de l’efficacité des solutions légales mises en
place pour pallier leur manque de légitimité.
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Mots-clés
- Femmes politiques
- Genre
- Autolégitimation
- Mise en scène de soi
- Président de la République
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Annexes
Annexe 1 : Interview avec le responsable d’un pôle conseil en communication…………...p 111
Annexe 2 : Discours de candidature de Marine Le Pen………………………………………p 114
Annexe 3 : Discours de candidature de Ségolène Royal……………………………..............p 120
Annexe 4 : Discours de candidature de Martine Aubry………………………………………p 133
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Interview avec une responsable du pôle conseil d’une agence de communication
publique
J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le directeur du pôle conseil d’une grande agence de
communication publique. Militant de droite, il a préféré rester anonyme. Notre échange n’a
pas pris la forme d’une rigoureuse interview, mais plutôt d’une discussion. Voici un condensé
de ses propos.
« A la base, la politique, c’est tout de même une affaire d’hommes. Par exemple, mon grand-
père était militant et ma grand-mère ne faisait que suivre. Il n’y a pas vraiment eu de femmes
politiques jusque dans les années 90. Avant, quand il y en avait, elles n’avaient que des rôles
secondaires, ou étaient cantonnées à des questions « féminines », comme la famille. Et, de
manière générale, elles étaient plus conseillères que « politiques. » La politique suit un
modèle très patriarcal, très « De Gaulle aux Affaires et Tante Yvonne à la maison ». C’est ce
que j’appelle l’époque pré-parité, avant que la loi de 2000 ne soit votée. C’est-à-dire qu’il y
avait peu de « femmes politiques » parce qu’il y avait peu de femmes en politique à la base,
très peu de militantes ! Quand la parité a été votée, on s’est dit « c’est bien gentil, mais on ne
trouvera jamais 50% de femmes à faire élire ! ». On était obligé de refuser des hommes sur les
listes pour les municipales mais d’aller chercher leurs épouses !
Le vrai déclic, ça a donc été la loi de 2000. Avant, il y avait des femmes en politique, mais
elles n’avaient pas compris qu’elles pourraient apporter quelques chose de complémentaire,
de différent des hommes. Elles avaient vraiment tendance à masquer leur féminité. Je me
rappelle des femmes du courant « Femmes Avenir » au sein du RPR. On disait vraiment que
c’était des hommes déguisés en femmes. Ou des femmes déguisées en hommes. On ne savait
pas très bien. La femme emblématique du RPR, c’est Michèle Alliot-Marie. Tout est dit !
Quand elle a été élue à la tête du RPR c’était un immense pas en avant. Mais bon, c’est tout
de même une femme martiale, militaire, masculine en fait. Et impossible de savoir si c’est
naturel ou sur-joué, moi je pense que c’est une sorte d’habitus. Elle a vécu à fond dans ce
milieu pendant 30, dans ce milieu d’homme, alors c’est presque du mimétisme. C’est très vrai
de l’ancienne génération de femmes politiques, un peu moins de la nouvelle. Mais quand
même, il y a toujours un côté viril un peu sur-joué, pour faire oublier que féminité égale
faiblesse. Le milieu politique reste misogyne. Si elles se sont virilisées, c’est pour ne pas se
112
faire trop attaquer. Moi je l’ai déjà entendu au niveau local, quand j’ai proposé des militantes
pour des postes en fédération : « oui, mais bon j’ai un problème : c’est une fille. »
Ségolène Royal a pu jouer de son genre en 2007, mais parce qu’elle est de gauche. Ça aide.
Le féminisme vient de gauche, après tout.
Marine Le Pen gênait le parti parce que c’est une femme. A l’extrême droite, cette
problématique est amplifiée. Mais bon, elle peut utiliser son genre parce qu’elle a compris
qu’elle n’avait rien à perdre, qu’il fallait qu’elle se distingue de son père et que de toute façon,
qu’elle soit féminine ou pas, ceux qui n’allaient pas voter pour elle parce qu’elle était une
femme, elle les avait déjà perdus. Alors elle a décidé de s’adoucir, d’incarner une nouvelle
génération pour le parti. C’est une femme moderne : elle est divorcée et le social, la famille,
ce n’est pas son truc. Ça lui a quand même fait gagné un million de voix de plus que son père.
Martine Aubry, c’est encore la génération d’avant, elle est plus âgée. C’est un peu la MAM de
gauche. Mais je pense que la masculinité est plus jouée chez MAM, car ça lui a permis de se
faire respecter. Chez Aubry, ça paraît plus naturel : on n’a pas besoin de ça à gauche.
Je ne pense pas que la presse joue beaucoup avec les stéréotypes mais c’est vrai qu’il a une
différence de traitement. On n’appellera pas une femme par son nom de famille, ce n’est pas
respectueux.
Je ne pense pas que Ségolène Royal se soit virilisée en 2011. Je crois qu’elle s’est virilisée
pendant la campagne de 2007. Entre les deux tours, elle s’est raidie, elle est devenue plus
martiale. C’était l’idée de « l’ordre juste ». »
113
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Déclaration officielle de la candidature de Marine Le Pen à la Présidence de la
République à Henin Beaumont 13.03.12
Ma présence comme candidate à cette élection présidentielle résulte d’un dur combat.
Un combat que nous avons gagné, contre tous les sectarismes, toutes les pressions pour la
démocratie, pour la France.
A partir d’aujourd’hui des millions de citoyens vont reprendre espoir, pouvoir entrer dans la
campagne, et vont enfin être représentés à l’élection.
J’espère me montrer digne de leur confiance.
Qu’ils sachent qu’ils peuvent avoir confiance en moi, que je suis consciente de la tâche
immense, des sacrifices inouïs nécessaires au redressement de notre pays ; qu’ils sachent que
je suis prête, comme eux, à me battre pour ma patrie ; que je sais que notre combat est celui
des enfants que nous sommes vis-à-vis de nos aïeuls, de nos parents mais aussi des parents
que nous sommes et de notre responsabilité vis-à-vis de nos enfants.
Qu’ils ne s’inquiètent pas des obstacles, du mépris, des injures, de la fatigue ; qu’ils se
remémorent en chaque moment difficile cette phrase d’Henri IV « l’immense amour que je
porte à la France m’a toujours tout rendu facile ».
Le moment est venu de dire clairement à toutes les Françaises et à tous les Français quel est le
sens de ma candidature.
Présidente de parti, femme, mère de trois enfants, je lutte.
Je combats en politique tout ce qui blesse dans la France d’aujourd’hui, ce qui affaisse la
France aujourd’hui et je défends la vision de la France que j’aime.
Je suis citoyenne française mais je suis aussi mère.
Comme toutes les mères, je voudrais que ma famille puisse vivre dans un climat de sécurité,
que mes enfants puissent rentrer le soir sans que je craigne en permanence les vols, les
rackets, les trafics de toutes sortes.
Comme toutes les mères, je m’inquiète pour mes enfants.
Et pour toutes les mères, je veux que l’on retrouve l’ordre et la tranquillité.
Mais je constate que ca n’est pas le cas, que nous n’en prenons pas le chemin !
Je trouve honteux que les politiques de gauche comme de droite, au pouvoir depuis des
décennies mentent sciemment sur ce sujet. Le nombre des agressions ne fait que croître … Le
nombre des immigrés impliqués dans ces agressions lui aussi ne cesse d’augmenter. Sur ce
sujet le mensonge est partout, il est devenu le dernier rempart pour protéger les politiques
115
d’une réalité souvent irrespirable pour les habitants des grandes villes, mais aussi également
des campagnes.
Un simple tour aux urgences de n’importe quel hôpital de France, permettrait aux aveugles et
aux sourds qui nous gouvernent de s’en rendre compte par eux même.
En tant que mère, je souhaite comme tous les parents de France que mes enfants réussissent
leur vie.
Je demande à l’école de leur transmettre le savoir accumulé par les générations brillantes qui
nous ont précédées mais aussi l’envie d’être eux-mêmes, donc différents des autres. Je ne
veux pas du nivellement par le bas.
Je ne veux pas que la bien-pensance politique impose dans la plupart des collèges et lycées la
dictature des plus faibles intellectuellement ou des plus violents.
Je ne veux pas d’une école qui banni la note parce qu’elle refuse de voir la vérité en face et
rechigne à combattre la baisse dramatique du niveau scolaire.
Je ne veux pas d’une école qui ne permette qu’aux enfants dont les parents ont un niveau
social ou de fortune suffisant de s’en sortir
Est-ce là la justice sociale que nous voulons ?
A ce sujet, recruter 60 000 enseignants pour améliorer l’éducation est une absurdité.
Avons-nous vraiment besoin de 60 000 enseignants de plus déprimés, dégoutés, incapables de
se faire obéir ? !
Nos enseignants souffrent d’un mal que la société a trop longtemps toléré, le refus de toute
forme d’autorité sur certains élèves. Aucun investissement matériel et humain ne pourra
réparer les dégâts d’une société qui cède en permanence aux lois des individus insoumis et des
minorités violentes.
Mais je suppose qu’à l’Ecole alsacienne ou dans les grands lycées élitistes de Paris, ou sont
scolarisés les enfants de beaucoup de nos dirigeants actuels de gauche comme de droite, on ne
souffre pas de ce problème !
On me dit farouchement anti-immigration. C’est vrai.
On ose me dire xénophobe ou raciste. Rien ne peut plus aller à contre sens de la vérité de ma
vie. Je le dis simplement, je refuse totalement les immigrés qui ne veulent pas reconnaitre
l’autorité du droit et de la culture française.
La civilisation française est une alchimie splendide de nos arts, de nos lois, de nos lettres, de
nos droits fondamentaux chèrement acquis, de nos croyances, de nos valeurs, de nos
traditions, de nos habitudes, de nos mœurs, de nos codes, de notre mode de vie et il faudrait
maintenant tourner la page ?
116
J’aime passionnément la France et sa culture. Je considère que nous avons traversé des siècles
d’obscurantismes tragiques, de guerres parfois inutiles, de pouvoir absolu, de révolutions
sanglantes dont les effets n’ont pas toujours servi les pauvres, d’exploitation de l’homme par
l’homme, pour un arriver à une conception hautement civilisée des droits de l’homme et du
citoyen .
Je ne veux pas que cette civilisation plie sous les coups de l’intérêt sordide des financiers, ou
de l’idéologie de fanatiques dont les conceptions nous ramènent à l’Inquisition. Nous ne
pouvons continuer à vivre dans la peur.
Je veux avec les Français, une France inscrite dans le monde moderne, fière de sa civilisation
et ne cédant pas à ceux qui veulent lui imposer des principes qui ne sont pas les siens.
Tout au long de notre Histoire nous avons su évoluer vers une amélioration des rapports
humains et cette évolution est un progrès de notre civilisation.
Pouvons-nous remettre ce progrès en cause sous la pression de minorités religieuses ? Chacun
peut pratiquer son culte et respecter ses coutumes, chrétien, juif, musulman, bouddhiste, il n’y
a qu’une seule condition dans le respect la Constitution française.
Je suis Européenne, à la condition que l’Europe n’impose pas ses lois et ses règlements à la
France.
Aujourd’hui Bruxelles commande et avec elle la toute-puissante finance régit de plus en plus
le monde économique dont dépend notre travail et notre pouvoir d’achat.
La marge de manœuvre de nos politiques devient si faible pour gérer les intérêts de la France
qu’on est en droit de se demander à quoi il peut servir de les élire.
Ils ne peuvent plus agir. Ils ne peuvent plus que regarder le peuple s’enfoncer dans la
pauvreté, la précarité, l’angoisse.
Je trouve honteux le mensonge des politiques qui prétendent avoir le pouvoir de changer le
sort des Français alors qu’ils sont impuissants.
Eux-mêmes soumis, ils veulent soumettre tout le monde et se contentent de concentrer le
débat sur des sujets secondaires ou en limitant les libertés individuelles par des lois sur le
tabac, par des radars sur toutes les routes.
Je suis indignée que cette terrible maxime « les promesses n’engagent que ceux qui y croient
» soit devenue le credo de tous nos politiques.
Dans quelle société vivons-nous pour accepter d’un tel cynisme ?
Je veux l’honnêteté en politique. Je préfère ceux, qui comme moi reconnaissent un état de
chose, font peu de promesses, mais décident avec les Français de lutter pied à pied contre ces
dictatures celle de l’Europe et des minorités, au nom de notre liberté et de notre prospérité.
117
Je veux rappeler solennellement que le modèle de société que propose la gauche affairiste qui
veut revenir au pouvoir est diamétralement opposé à mes convictions.
Je ne veux pas non plus de cette « dictature du malheur ».
Je ne veux pas qu’on transforme tout le monde en assisté dans l’unique but de prendre le
pouvoir sur leur subsistance, sur leur vie, sur leurs rêves et donc sur leur âme et leur
conscience.
Je ne veux pas d’un système où plus personne ne s’enrichit par son travail, et où seules les
banques profitent.
Elles ont déjà assez profité de l’explosion de notre dette et des intérêts que nous leur versons.
Ce temps a assez duré.
Je ne veux pas non plus de cette gauche trotskiste, et des « lendemains qui chantent » qu’elle
promet, dont on sait qu’ils seront payés de larmes amères, comme celles versées dans les pays
de l’Est et au Cambodge.
Je veux une France ou chaque différence puisse s’exprimer, où gagner sa vie ne soit pas un
pêché, où les plus pauvres soient soutenus et aidés, où toutes les réussites soient encouragées
qu’elles soient matérielles ou spirituelles.
Economiquement je souhaite que l’entreprise soit valorisée et non dénigrée, protégée et non
assistée.
Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour développer les possibilités de création de valeur
par la France, et pour cela je m’opposerai au modèle de la loi de la jungle, où la concurrence
déloyale est devenue insurmontable, où la délocalisation, la destruction économique, la
pauvreté et le chômage de masse sont devenus l’horizon infranchissable.
Je rendrai à nos entrepreneurs la liberté de se battre à nouveau à armes égales.
Mais je suis aussi une femme qui lutte contre la droite des mensonges ; la droite qui a
abandonné ses valeurs.
J’en ai assez des mensonges, du cynisme électoraliste.
Je trouve honteux de promettre tous les cinq ans l’inverse de ce qu’on fait le reste du temps.
Je suis de ceux et de celles qui pensent que la fin ne justifie pas les moyens… qui pensent que
la valeur de l’homme se mesure moins au résultat obtenu qu’aux moyens mis en œuvre pour y
parvenir.
Qu’on ne peut pas rompre avec les valeurs de droiture, d’honnêteté, de loyauté, de courage,
uniquement pour accéder au pouvoir.
Mais aussi qu’accéder au pouvoir n’a aucun sens si on se refuse à l’exercer.
Je dis que la France ne peut perdre cinq années de plus.
118
Je pense que les puissants ont eu le pouvoir trop longtemps et qu’il faut maintenant que le
peuple français se redresse, redevienne exigeant avec ses dirigeants.
Je suis une Française parmi les Français. J’ai des convictions fortes que je ne veux imposer à
personne.
Mais je veux les porter, parce que ce sont celles, je pense, de la majorité des Français.
Je pense que les Français doivent enfin avoir le courage de voter pour eux-mêmes, pour leurs
enfants, et ne plus voter pour tout donner à d’autres.
Je dis que les politiques sont disqualifiés pour les affaires de l’Etat.
Je dis que le peuple doit parler et à nouveau se faire entendre.
Je dis que l’esprit de la France n’est pas mort.
J’affirme que La France peut retrouver le chemin de la réussite et de la grandeur, le peuple
retrouver le chemin de la fierté, de la dignité retrouvée et de la liberté.
J’appelle les Français à me suivre sur ce chemin, tous les Français quel que soit leur parcours,
leurs origines, qu’il soit homme ou femme, jeunes ou vieux, qu’ils croient au ciel ou qu’ils
n’y croient pas, parce que les Français le méritent, parce que la France le mérite.
Vive la République.
Vive la France.
119
120
Déclaration officielle de la candidature de Ségolène Royal à la Présidence de la
République dans le Poitou 36.06.12
Mes chers Amis, mes chers Compatriotes,
Pour m’adresser aux Français, j’ai choisi d’être parmi vous, les habitants du Marais, que l’on
appelle encore les maraîchins, pour vous dire la plénitude et le bonheur que je ressens en
décidant de m’engager dans la campagne présidentielle, afin de continuer à être utile à la
France, à notre pays, à notre patrie.
Dans ce pays de terre et de chemins d’eau, creusé à mains d’hommes depuis le onzième
siècle, pour gagner des pâturages et sortir les paysans de la misère, créant un paysage
étonnant, cette Venise Verte, qui bénéficia de l’attention de l’Etat, avec la venue de François
Mitterrand venu en 1992 appuyer notre volonté commune, en lançant ici les grands travaux de
restauration, sur ce port d’Arçais, de ne pas laisser détruire ce monument de la nature, chargé
d’histoire, paysage étonnant d’une richesse humaine et biologique extrême, qui a échappé de
justesse à la destruction parce que nous nous sommes mobilisés, pour sauvegarder ce qui doit
l’être.
C’est un lieu paisible et reposant, où l’on apprend à ralentir, comme il en existe aux quatre
coins de notre beau pays, la France.
Ce lieu symbolise les valeurs de l’action politique telles que je les aime:
la fidélité à ses racines, et votre présence affectueuse, maires ruraux et anciens maires,
est la preuve de cette amitié au long cours de tous ceux qui m’entourent et
m’accompagnent depuis le début, ma toute première élection, ici il y a plus de vingt
ans, sur ce sud Deux-Sèvres qui me rappelait mon enfance et mon adolescence rurale
des Vosges ;
la persévérance car il nous en a fallu pour prouver qu’un autre développement,
harmonieux et cohérent, respectueux de l’environnement et créateur d’emplois était
possible ;
l’esprit visionnaire, car il en fallait pour faire, il y a vingt ans déjà, de l’excellence
environnementale et de l’économie solidaire, notre feuille de routepour réhabiliter,
année après année, résultat après résultat, un grand site national candidat au
patrimoine mondial de l’Unesco.
121
J’en retiens que l’action politique doit obtenir des résultats rapides, mais en pensant toujours
aux conséquences de ses actes sur les générations futures.
Enraciner, protéger, préserver pour bien rassurer les Français afin d’engager le pays dans les
changements nécessaires. Voilà quelle sera la bonne façon de présider la France en 2012.
Oui, c’est à vous que je confie solennellement le sens que revêt à mes yeux le beau combat
républicain qui doit rendre aux Français, en 2012, le droit à l’espérance.
A tous ceux qui sont inquiets et même angoissés, souvent pour eux et toujours pour leurs
enfants.
A tous ceux qui sont révoltés par trop d’injustices, par trop d’inégalités qui se creusent chaque
jour davantage entre les gagnants et les perdants du système actuel.
A vous qui êtes résignés.
A vous qui ne reconnaissez plus la France telle que vous l’aimiez.
A vous qui ne croyez plus à l’efficacité de l’action politique au point de croire que le pays est
définitivement vaincu par la globalisation financière qui appelle une moralisation et les règles
d’un ordre international juste, toujours promis et jamais réalisé.
C’est à vous que je m’adresse
vous qui avez perdu et qui avez peur de perdre encore
Vous me l’avez dit partout où je suis venue depuis 2007, dans de nombreux départements de
France :
« On nous a tout pris ».
« On nous a pris nos retraites ».
« On nous a pris notre dignité au travail ».
« On nous a pris la sécurité ».
« On nous a pris notre système de santé, et même notre école. »
Eh bien moi je veux vous rendre tout cela.
Et même plus encore, car il faudra construire notre avenir commun et rendre à chacun une
espérance pour que, pour nos enfants, demain soit meilleur qu’aujourd’hui et que l’ascenseur
social redémarre pour tous ceux qui font des efforts, qui veulent travailler, créer, entreprendre,
mais qui sont bridés par tant de barrières.
Pour que la situation de nos enfants soit égale ou meilleure que la nôtre tout simplement.
C’est ce que l’on appelle le progrès social.
C’est le vrai sens de notre histoire, histoire que je veux écrire avec vous.
122
Qui ne voit que notre Etat Providence, a été tellement démoli que les acquis de la Résistance
devront être à nouveau reconstruits.
Je pense en particulier à la Sécurité Sociale, aux retraites, à la santé, à la dignité au travail, à la
liberté des médias qu’il faudra rendre indépendant du pouvoir de l’argent, comme le
proclamait le conseil national de la Résistance.
Pourquoi la droite qui nous gouverne a oublié les leçons de l’après-guerre et la conception
désintéressée de la politique qu’avait le Général de Gaulle, auquel elle se réfère tout en
tournant le dos à sa pensée, « il faut compenser les ferments de divisions sous peine de danger
mortel » disait-il, ou encore « il faut viser haut et se tenir droit ». On en est loin.
Ce n’est pas parce que la droite qui nous gouverne a abandonné ce qui lui restait comme
référence structurée que la gauche doit rougir d’être fidèle à sa mission en reprenant le
drapeau « de cet acte d’énergie, de cet acte de foi qui conditionne la résurrection de la France.
La France est malade il faut que la guérison soit à son œuvre » écrivait-il. Jamais ces mots
écrits dans une autre période sont, pour aujourd’hui, n’est-ce pas, criants de vérité. Eh bien,
puisqu’une partie de la droite affairiste les a laissé tomber, n’hésitons pas à les porter. Et un
jour prochain, tous les républicains humanistes convergeront vers la gauche unie, pour
accomplir le changement.
Oh j’ai bien entendu et vous aussi (« désormais quand il y a une grève en France plus
personne ne s’en aperçoit »), le mépris à l’égard de tous ceux qui sont obstinément descendus
dans la rue pour défendre les acquis sociaux et la valeur travail, sa juste reconnaissance par
des salaires et par des retraites qui permettent de vivre et pas seulement de survivre. Et toutes
les luttes sociales des ouvriers qui se battent contre les délocalisations financières, et les
parents d’élèves qui se battent pour maintenir les écoles de leurs enfants.
La gauche n’a pas à rougir de défendre la sécurité sociale, l’œuvre de ceux qui en regroupant
toutes leurs forces ont permis à la France de retrouver son équilibre moral et social.
La gauche n’a pas à rougir de vouloir redonner au monde l’image de sa grandeur et la preuve
de son unité.
C’est pour toutes ces raisons que je propose aux Français de construire un ordre social
juste, appuyé sur la force citoyenne de chacun d’entre vous.
Je m’y suis préparée et j’y suis prête.
1/ J’ai l’expérience des grandeurs et de la dureté d’une campagne présidentielle, de ce
moment majeur de la vie politique du pays.
123
L’élan populaire de 2007 me demande un devoir de fidélité.
Les rudesses qu’il faut savoir endurer je l’ai ai vécues sans me laisser aller à copier les
mauvaises méthodes qui dégradent le débat politique.
Jamais je n’ai manqué à ce devoir de dignité, de tenue et d’exemplarité,de ce que les citoyens
sont en droit d’attendre.
J’ai beaucoup réfléchi à ce qui nous a manqué alors pour l’emporter et à la part d’erreurs qui
m’incombe.
2/ Oui, j’ai compris mes erreurs, j’ai appris que je n’ai pas toujours su me faire comprendre en
donnant parfois, faute de temps pour expliquer, l’impression d’improviser.
J’ai compris que le rassemblement des socialistes devait se construire, qu’il n’était pas
automatique comme je l’imaginais dans le feu de mon action difficile tournée vers notre
adversaire commun. Alors que, sans doute, j’aurais dû aller chercher, un par un et une par
une, ceux qui pouvaient être légitimement contrariés par le résultat de la compétition interne.
On gagne ensemble ou on perd ensemble. Et les Français le veulent ce changement, et
l’exigent cette unité, sans étouffer un débat d’idées et de propositions de haute tenue qui leur
donnera la liberté de choisir.
L’union est un combat, je ne l’oublierai pas, tout le monde se rassemblera derrière celle ou
celui qui sera désigné, les 9 et 16 octobre prochain par le vote des primaires. Je voudrais une
nouvelle fois, en responsabilité rassurer tous les Français qui s’inquiètent des divisions. Si je
suis désignée je rassemblerai et je sais que François, Martine, Arnaud, Manuel, et peut-être
d’autres, partagent le même sens des responsabilités puisque nous nous retrouvons
régulièrement pour en parler. Personne n’est isolé , les inquiétudes en ce sens doivent être
levées.
Je sais désormais que c’est dans les moments difficiles que l’on doit faire preuve de la plus
grande force morale.
Il le faut car 2012 ne sera pas 2007 : ce n’est pas une revanche qu’il faut prendre, c’est
un nouveau départ, parce que notre pays a besoin de trouver unenouvelle voie et donc la
victoire doit être au rendez-vous.
« La victoire, disait François Mitterrand, vous ne la rencontrerez que si vous la forcez. C’est
une affaire de volonté, de continuité et de clarté d’esprit dans la fidélité aux engagements. La
chance, c’est vous qui la forgerez de vos mains ». C’est cette conviction qui nous rassemble,
nous socialistes.
124
3/ Mais laissez moi aussi évoquer les réussites et les compétences d’une action qui m’a
donnée, à la présidence de la région où nous sommes avec plus de 60 % des voix des Français
qui me voit travailler et obtenir des résultats, avec toutes les équipes qui m’entourent et les
partenaires économiques et sociaux.
Je veux être la Présidente des solutions.
celle de la morale de l’action,
celle du socialisme qui marche et qui obtient des résultats.
J’entends trop souvent dire, qu’il n’y a plus rien à faire, que l’on n’aurait plus qu’à subir, à se
replier sur soi, à se méfier du voisin ou à le jalouser.
Moi je vous assure que l’on peut agir efficacement et rapidement, et pas seulement à la marge
pour changer concrètement la vie quotidienne dès 2012.
Ici nous apportons la preuve de cette compétence par les résultats obtenus dans cette région où
nous démontrons, comme dans un laboratoire, ce qu’il est possible de faire, dès 2012 dans
tout le pays, dans plusieurs domaines.
Nous mettons en pratique ce pouvoir d’impulsion et cette volonté de transformation en
rassemblant les forces vives, entreprises, associations, élus de toutes tendances, organisations
de salariés et de professions libérales, autour de plusieurs objectifs clairs fixés par la région.
Je voudrais vous en donner quelques exemples.
1/ Nous tenons le cap de la conversion écologique de l’économie par la croissance verte.
Et la région Poitou-Charentes est devenue la première région écologique d’Europe avec un
plan sur l’énergie solaire et les énergies renouvelables unique dans son ampleur.
Cette mutation nécessaire, loin d’être une contrainte, est une chance de développer de
nouvelles filières industrielles, de créer de nouvelles richesses, de nouveaux emplois, de
nouveaux métiers.
Demain, conformément à cet effort couronné de succès, je veux faire de la France la première
puissance industrielle écologique d’Europe et reconquérir les emplois industriels perdus dans
les industries traditionnelles, et le pays le plus en avance sur les mutations énergétiques, les
économies d’énergie, les énergies renouvelables, les ….. de l’après-pétrole et de la sortie du
nucléaire.
Nous y mettrons tous les moyens nécessaires car c’est de là que viendra la nouvelle croissance
et par conséquent la lutte contre les déficits.
125
2/ Deuxième exemple : la Région Poitou-Charentes, est la seule collectivité publique en
France à être entrée dans le capital d’une entreprise industrielle stratégique, Mia Electric, à
hauteur de 30 %, pour accompagner la mutation écologique de l’entreprise Heuliez et
produire une voiture électrique.
Demain, conformément à cet effort couronné de succès, toutes les régions seront autorisées à
défendre leurs industries et l’Etat n’hésitera plus à entrer au capital des banques et des grandes
entreprises qu’il renfloue par des fonds publics.
3/ Troisième exemple : nous avons mis en place de nouveaux outils financiers de
proximité, préfigurant la banque publique d’investissement, prévue par le projet des
socialistes pour soutenir les PME, artisans, commerçants qui sont aujourd’hui bridés par
manque de crédits et auxquels je demanderai en contrepartie de cette aide de prendre des
jeunes en alternance, et des seniors en tutorat.
4/ Quatrième exemple : nous sommes la première région pour la création de nouvelles
entreprises dans le domaine de l’économie sociale et solidaire : nous proposons
systématiquement, chaque fois qu’une entreprise est en difficulté, un soutien aux salariés pour
qu’ils examinent un projet de reprise en coopérative et ça marche même si c’est parfois
difficile. Je pense à ces ouvrières du textile, « Chizé confection et Couture venise verte » qui
ont repris leur entreprise et qui aujourd’hui manquent de main d’œuvre qualifié.
Cette autre vision de l’économie et cet engagement social-écologique, autour de projets forts,
a déclenché une nouvelle dynamique régionale. Et cela sans augmenter les impôts depuis
2004 : en défendant le pouvoir d’achat des habitants du Poitou-Charentes et en optimisant la
dépense publique, car tout euro dépensé doit être un euro utile.
Une démocratie sociale vivante et une démocratie participative qui associe directement les
citoyens aux décisions qui les concernent notamment par la création du budget participatif
dans les lycées, qui par exemple, a débouché sur des actions culturelles massives ou encore
sur la création du pass contraception.
C’est ainsi, de nos jours, que l’on doit gouverner pour transformer, en écoutant pour agir
juste.
126
5/ Cinquième et dernier exemple : le pacte pour l’emploi des jeunes créé ici deviendra demain
une grande cause nationale afin que toute la nation se mobilise pour en finir avec ce fléau de
l’inactivité des jeunes, principal souci pour les parents et les grands-parents qui savent que
l’oisiveté ne mène à rien de bon.
Je veux que tous les jeunes aient une bonne raison de se lever le matin, soit pour un emploi
soit pour un apprentissage, soit pour une formation en alternance, soit pour un service civique,
soit pour un engagement première chance comme nous le faisons ici avec succès.
Chacun aura compris que si la puissance de l’Etat vient, au lieu de l’inertie actuelle, en appui
de toutes les initiatives locales, alors nous gagnerons ce combat crucial contre le chômage des
jeunes. Toutes les régions de France sont engagées dans ce combat, avec moi elles auront le
soutien de l’Etat.
Mais nous savons que la situation budgétaire et financière de la France est très difficile, des
efforts seront à fournir, tous ceux qui vous disent que tout va bien pour être réélus vous
mentent.
Seulement, les efforts ne seront acceptés que s’ils sont équitablement répartis, ce qui est loin
d’être le cas aujourd’hui.
C’est la condition impérative de la reconquête d’une cohésion sociale gravement dégradée et
sans laquelle il n’y a pas de relèvement possible.
C’est pourquoi je veux vous apporter la garantie d’une action équitable.
Oui, je veux être une présidente équitable pour construire avec tous les Français un nouvel
ordre social juste.
C’est parce que nous serons équitables que nous serons efficaces.
Nous tiendrons fermement ce cap, cette boussole de l’équité.
-Est ce équitable que les grandes entreprises du CAC 40 ne paient que 8 % d’impôts en
augmentant le salaire des patrons de 25 %, tandis que les PME, les artisans, les commerçants
sont imposés à plus de 30 %, alors même qu’ils ont créé 80 % des emplois au cours des
dernières années ? Les socialistes proposent de changer cela par une réforme juste de la
fiscalité des entreprises. Et je mettrai en place un Grenelle des PME et un « small business
act » à la française.
-Est ce équitable que les 1 % des Français les plus fortunés reçoivent 15 milliards de cadeaux
fiscaux tous les ans depuis dix ans ? Les socialistes proposent de changer cela par une réforme
127
juste du système fiscal. Dès 2012 seront lancés les Etats Généraux de la fiscalité pour que
chaque Français puisse adhérer au bien-fondé de la réforme.
-Est ce équitable que les niches fiscales coûtent plus de 65 milliards d’euros par an et que la
droite s’en prenne au revenu des plus pauvres mais encourage ainsi sans vergogne l’assistanat
des plus riches ?
-Est ce équitable que 10 % des Français les plus fortunés possèdent plus de 60 % du
patrimoine immobilier ? Et qu’il soit de moins en moins facile pour les revenus moyens
d’accéder à la propriété ? Les socialistes proposent de changer cela en permettant à chaque
famille d’accéder plus facilement à la propriété de son logement.
-Est ce équitable que les jeunes délinquants sortent de prison plus délinquants que quand ils y
sont entrés, vu l’état catastrophique des prisons ? Je ferai l’encadrement militaire des
délinquants, et j’ai proposé au Ministre de la Défense de l’expérimenter ici dans un régiment
qui doit fermer et qui pourrait redonner à des jeunes sans repères un métier, une autorité, une
instruction civique, en un mot la reconquête de l’estime d’eux-mêmes pour repartir du bon
pied.
-Est ce équitable que certaines peines ne soient pas accomplies par les voyous et cela sous les
yeux des policiers qui les ont arrêtés et de la justice qui les a jugés ? Je veux une politique de
sécurité et de justice efficace et qui aura les moyens de fonctionner.
-Est ce équitable que certaines zones du pays soient devenus des zones de non-droit où la
police ne va plus parce que les caïds font la loi ? Les socialistes proposent que les maires aient
les moyens de donner à tous leurs habitants, en appui sur des services de l’Etat qui
fonctionnent bien, le droit fondamental à la sécurité.
-Est ce équitable que les petits paysans éleveurs aient tant de mal à vivre de leur travail alors
que les prix augmentent pour les consommateurs ? Je propose des circuits courts pour que la
juste rémunération du travail agricole permette de maintenir des campagnes vivantes.
-- Est-ce équitable que l’immigration clandestine soit le plus souvent le fait de trafiquants peu
scrupuleux qui espèrent ainsi une baisse des salaires. Je propose une politique de
l’immigration, humaine mais ferme, car la cris économique ne nous permet absolument pas
d’ouvrir les frontières mais nous impose un devoir de co-développement et de transfert de
technologie.
-Est ce équitable que les prix flambent et que les salaires stagnent ? Je propose le blocage des
50 produits de première nécessité et le blocagedu prix de l’énergie pour maintenir le pouvoir
d’achat des Français.
128
-Est ce équitable que les revenus du travail soient plus imposés que les revenus du capital
? Les socialistes proposent de changer cela.
-Est ce équitable que les salaires et les retraites des femmes soient ainsi rabotées ?
-Est ce équitable que les banques qui ont été renflouées par l’Etat n’aient aucun compte à
rendre sur les tarifications bancaires et l’endettement angoissant des ménages qui en résulte ?
Je propose que la réforme bancaire qui sera faite, sera la première action du nouveau
gouvernement.
-Est ce équitable que les salaires soient aussi bas qu’ils soient à peine supérieurs aux minima
sociaux ? Les socialistes proposent une conférence salariale qui s’attachera à une plus juste
répartition des résultats des entreprises qui marchent.
-Est ce équitable q’un compte excédentaire en début de mois ne soit pas rémunéré et qu’en fin
de mois, pour le moindre découvert, des pénalités et des crédits revolving plongent des
familles et les retraités dans la précarité ? Je propose que des règles bancaires protègent les
usagers.
-Est ce équitable que l’égalité des chances à l’école recule ? Je veux changer cela, en faisant
de l’Education, encore l’Education, toujours l’Education la grande priorité du nouveau pacte
républicain. Nous en reparlerons au cours des semaines qui viennent.
Car la liste est longue de ces injustices qui s’aggravent, et je pourrai la prolonger, je le ferai en
venant vers vous pour prouver que des solutions existent et que les Français peuvent
reprendre confiance dans l’action publique.
Ce souci d’équité, d’ordre social juste est d’autant plus impératif que, comme vient de le dire
la Cour des Comptes, le déficit français est deux fois plus élevé que celui de l’Allemagne, et
supérieur à celui de l’Italie où la croissance est pourtant moindre.
La droite au pouvoir nous répondra : c’est la crise. Or celle-ci n’explique que 40 % du déficit
selon la Cour des Comptes.
C’est dire à quel point les politiques de relance économique, de soutien aux entreprises, d’une
France forte de ses talents, de sa créativité sont d’une extrême urgence, face à la coupable
inertie d’une équipe au pouvoir.
A quel point aussi le nouvel horizon de la croissance verte et de l’excellence
environnementale, de l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche doit nous
permettre de repartir de l’avant, appuyée sur la réforme des financements bancaires.
129
A quel point aussi, ce n’est pas le moment, de faire reculer l’école, de baisser l’exigence de
formation des enseignants et de renvoyer vers pôle emploi le recrutement de ceux qui ont la
lourde charge de construire l’égalité des chances pour nos enfants.
On nous dit que l’éducation coûte cher ? Mais laissez moi vous répondre que bien plus élevé
est le coût de l’ignorance, de la délinquance, de la violence, du chômage, de l’angoisse des
parents et de la perte du sens de l’effort et des principes de l’éducation civique.
Il faudra aussi d’ailleurs répondre à la crise morale par l’exemplarité du comportement des
élus qui sont là pour servir et pas pour se servir,en ayant toujours à l’esprit que la meilleure
éducation c’est celle qui se fait par l’exemple et que l’autorité n’est légitime que lorsqu’elle
s’impose les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’à ceux qui sont censés obéir aux règles.
C’est cela la République du Respect que j’ai toujours défendue et que je continuerai à
défendre car c’est elle qui permettra de gagner le combat contre toutes les formes de violence.
« La France est-elle finie ? » se demande certains avec inquiétude.
La France ne doit pas être effacée de l’histoire.
L’actuel président de la République décide de se retirer d’Afghanistan parce que les
Américains le font? Mais c’est la France, ne croyez vous pas, qui aurait du être la première à
le faire.
Le ministre des Affaires étrangères déclare qu’il va agir pour une Etat Palestinien, parce que
les Américains le font ? Mais c’est la France, ne croyez vous pas, qui aurait dû être la
première à le faire. Nous aurons une politique étrangère digne de notre tradition diplomatique.
L’Europe est à reconstruire, avec un idéal et des outils économiques communs, elle doit
protéger nos salariés contre les produits venus d’ailleurs qui ne respectent pas les mêmes
normes sociales et environnementales.
En 2012, la France va se relever, trouver en elle l’énergie vitale de le faire avec la force
citoyenne qui va nous animer. Voilà ce que je vous propose. Mettez-vous en mouvement,
rejoignez ces forces citoyennes.
Je ne m’adresse pas seulement aux socialistes et à la gauche mais à tous ceux qui veulent que
ça change, à ceux qui se sont laissés piéger dans des promesses fallacieuses, faites en 2007,
par le candidat de la droite. Tout était possible, disait-il,
Oui, on a vu pendant quatre ans, que tout était possible même le pire.
130
La France d’aujourd’hui, beaucoup de Français ne s’y reconnaissent plus, ce n’est pas celle
que nous voulons transmettre à nos enfants. Et c’est pour changer cela, pour être utile à la
construction d’une France que nous serons fiers de transmettre à nos enfants, que je m’engage
dans cette candidature présidentielle.
La politique a trop menti, le sectarisme règne, les plus fortunés sont les plus choyés tandis que
tous les autres sont condamnés au déclin.
Il nous avait promis « La République irréprochable » et nous avons la collusion avec le
pouvoir financier.
Il nous avait promis « L’Etat impartial » ?
Et nous avons un démantèlement de la protection sociale au profit des amis du pouvoir qui
tiennent les assurances privées et autres fonds de pension.
Il nous avait promis « un plan Marschall » pour donner du travail aux jeunes ? Et nous avons
une situation explosive que dénonce les maires de droite comme de gauche, et à laquelle il
faudra répondre de toute urgence.
Il avait promis aux classes moyennes, à la France qui travaille, d’accéder à la propriété. Rien
n’est plus difficile aujourd’hui.
C’est un déclassement que nous subissons, un glissement, qu’il faudra stopper pour retirer la
France vers le haut.
Il nous avait promis de la démocratie et nous avons un pouvoir solitaire et autocratique, où le
Président décide seul, ignore le peuple, croit qu’il est tout, et que le Parlement n’est rien.
Nous ferons bien marcher la démocratie parlementaire, la démocratie sociale et la démocratie
citoyenne et participative.
Il nous avait promis davantage :
« d’impartialité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence dans l’exercice du pouvoir ».
C’est tout le contraire qui a été fait.
Il nous avait dit que « La France qui gagne perdrait tout si elle méprise la France qui ne se
sent pas bien ».
C’est exactement ce qui est en train de se passer.
Chers amis,
131
Sur le fronton de nos écoles et nos mairies notre devise est inscrite : Liberté, Egalité,
Fraternité, auxquels j’ajoute la laïcité, la solidarité et la liberté d’entreprendre et de créer.
Mobilisons nos cœurs et nos intelligences,
mettons en mouvement la force citoyenne du peuple Français, qui, lorsqu’il est uni autour des
valeurs qui le rassemblent, continue, comme il le fera, si nous sommes nous même unis et à la
hauteur de la tâche qui nous attend, et nous le serons, pour qu’en 2012,
la France renoue avec son histoire prestigieuse qui la faisait admirer dans le monde entier et
vers laquelle se tournaient, pour s’en inspirer, tous les regards des peuples qui ont soif de bien
être et de liberté.
Mes chers amis,
Nous ferons tout pour que ce rêve devienne en 2012, une belle réalité, et que très rapidement
la vie quotidienne des Français s’améliore.
Je vous remercie.
132
133
Déclaration officielle de la candidature de Martine Aubry à la Présidence de la
République à Lille 28.06.12
Mes chers compatriotes,
J’ai souhaité aujourd’hui m’adresser à vous.
Dans moins d’un an a lieu l’élection présidentielle. La France a rendez-vous avec la
démocratie, c’est-à-dire avec elle-même.
Notre pays subit de grands désordres, désordre économique, désordre budgétaire, désordre
social, qui entraînent d’autres désordres dans les vies comme dans les lieux de vie. Un
pouvoir enfermé dans ses certitudes, a touché à tout sans rien régler.
Je le dis : on ne peut pas innover, créer, soigner, éduquer, et soumettre ces nécessités vitales
aux seules lois du marché. On ne peut pas critiquer le pouvoir financier, tout en le laissant
continuer ses pratiques détestables. On ne peut pas protéger les Français en imposant les
recettes libérales qui les fragilisent.
On ne gouverne pas en opposant les jeunes aux plus âgés, les travailleurs aux chômeurs, les
Français aux étrangers. On ne préside pas la France sans porter haut ses valeurs et son
identité, qui ont fait l’admiration du monde. Derrière l’apparence de l’énergie, trop souvent
confondue avec l’agitation, ce pouvoir a surtout une réalité : une politique injuste
exclusivement menée au profit des privilégiés.
Il est temps, il est grand temps que cela change vraiment.
Je veux rendre à la France sa force, sa sérénité, son unité.
Je veux redonner à chacun le goût de l'avenir et l'envie d'un destin en commun.
Aussi, j’ai décidé de proposer ma candidature à l’élection présidentielle.
Oui, la France connait des heures difficiles. Mais je suis résolue à me battre de toutes mes
forces pour lui redonner avec vous un avenir. Il n’est pas de plus beau combat, il n’est pas de
mission plus noble.
J’ai la conviction que face aux multiples défis de notre monde, une vision claire, une action
cohérente et un langage de vérité permettront de récréer de la confiance, de redresser notre
pays et de le rassembler dans la justice. La peur, le repli sur soi et le défaitisme : ce n'est pas
la France!
- Je vous le dis ici dans ma ville de Lille, capitale d’une grande région industrielle où rien n’a
jamais été donné, où tout a été conquis par le courage des femmes et des hommes. Lille, terre
d’hospitalité pour ceux venus d’ailleurs, qui contribuent aujourd’hui à notre prospérité. Lille,
que j’aime tant, qui m’a tant donné et qui m’a tant appris.
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- Je vous le dis en m’appuyant sur ce que j’ai de plus cher, les valeurs transmises par ma
famille : la morale, le sens de la justice et le goût des autres. Je puise ma force dans mes
convictions de toujours, celles de la République et celles de la gauche. Pour moi, la liberté
rime avec l’égalité, pour donner à chacune et chacun les moyens de construire sa vie. Pour
moi, seule la fraternité permet une société apaisée où chacun donne le meilleur de lui-même
aux autres. Pour moi, la laïcité est une valeur inestimable que nous devons protéger
précieusement.
- Je le dis aussi après trois années de travail à la tête du Parti Socialiste, confiante dans le
grand projet du changement que nous avons préparé tous ensemble pour répondre à vos
attentes et aux besoins du pays. J’ai vu, j’ai entendu, j’ai écouté, j’ai échangé avec beaucoup
d’entre vous.
Les difficultés et même la colère sont là, mais le désir d’agir pour que notre pays retrouve un
sens est puissant. Nul n’ignore la situation réelle de la France et la dureté de la crise. Nous
aurons des efforts à réaliser, mais je m’y engage, ils seront justement répartis. On ne peut pas
demander toujours plus à ceux qui ont peu et donner à ceux qui ont déjà tout. Tout ne sera
évidemment pas possible tout de suite, mais nous reprendrons ensemble le chemin du progrès.
- Je m’adresse à vous aujourd’hui pour vous dire que je veux relever le défi d’une France
innovante, compétitive et écologique.
Nous avons des ressources puissantes pour être dans le peloton de tête des nations. Nos
ouvriers, nos employés, nos cadres, nos agriculteurs, nos entreprises, nos chercheurs, nos
artistes, nos créateurs débordent de compétences, d’imagination et d’initiatives. Nos jeunes
sont énergiques et créatifs. Il faut leur faire confiance et leur donner les moyens de leur
autonomie.
Nous avons tous les atouts pour réussir dans la compétition mondiale en bâtissant, dans une
France conquérante, un nouveau modèle économique, social et écologique, qui donnera à la
France une génération d'avance.
- Je veux aussi restaurer la justice associée à la promesse républicaine.
Les Français doivent pouvoir vivre de leur travail, avec des emplois qui valorisent et
permettent de progresser. Les jeunes doivent pouvoir faire des projets de vie et de travail. Les
parents doivent pouvoir éduquer et protéger leurs enfants.
Chacun doit avoir accès aux soins et à un logement digne. Nos anciens ont droit à une retraite
décente et à une prise en charge de la perte d’autonomie par la solidarité nationale. La sécurité
qui est un droit essentiel, doit être assurée : le gouvernement utilise l’insécurité pour faire
peur, moi je veux la combattre. Nous nous appuierons sur des services publics rénovés,
135
attentifs à chacun, et sur une fiscalité juste.
Je vous promets de nouvelles conquêtes. L’égalité des droits pour tous, et d’abord entre les
femmes et les hommes, doit enfin devenir une réalité. La culture doit être mise en avant pour
nous inspirer, nous faire grandir et nous réunir.
- Je veux enfin que notre pays retrouve toute sa voix dans le monde.
La France ! Notre France, avec une diplomatie et une défense respectées, doit œuvrer pour la
paix, la démocratie et la prospérité du monde!
Et aussi pour l’Europe ! Vous le savez bien, l’Europe est pour moi un combat de toujours.
Mais je veux une nouvelle Europe, une Europe qui produit et qui protège, une Europe qui fait
respecter de nouvelles règles dans le commerce international, une Europe forte et en même
temps solidaire.
Redonner à la France son poids et sa voix, rassembler dans la justice, tout cela sera possible
grâce à un vrai souffle démocratique : une présidente qui préside, un gouvernement qui
gouverne, un parlement renforcé et respecté, l’indépendance de la justice et des médias
assurée, des syndicats et des associations au cœur du changement, une nouvelle
décentralisation réelle et démocratique. Il faut oser la démocratie jusqu’au bout, comme nous
le faisons avec nos primaires citoyennes !
Mes chers compatriotes de la métropole et des Outremers,
Nous rêvons d’un véritable changement au profit de tous, un changement où les mots se
transforment en actes.
Je suis enthousiaste à l’idée d’aller à votre rencontre.
Je veux plus que tout rassembler, rassembler aujourd’hui les femmes et les hommes de
gauche, les écologistes et les humanistes, pour que demain en 2012 nous puissions rassembler
les Français et la nation toute entière.
Avec votre soutien, avec votre confiance, je prends aujourd’hui devant vous l’engagement de
la victoire en 2012.
Vive la République !
Vive la France !