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Mémoire de fin d'études Soutenu le 15 Septembre 07 Le design à tous les niveaux de l'entreprise, du produit aux locaux, de la politique RH aux finances.
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1
Année 2006 – 2007
Diplôme ICN
Mémoire de fin d’études
La politique de design en entreprise
comme outil de différenciation
par Mlle Donia Hamzaoui
Soutenu le
Tuteur
Christine Kratz
Assesseur
2
SOMMAIRE
SOMMAIRE 2
INTRODUCTION 4
I. LA DIFFERENTIATION EN TANT QUE VALORISATION DE L’OFFRE 6
A. LE PRODUIT 6 1. L’ESTHETIQUE 7 2. L’ADEQUATION ENTRE LA FORME ET L’USAGE 7 B. LE PRIX 8 1. LA DIFFERENCIATION PAR PRIX ELEVE 8 2. LA DIFFERENCIATION PAR PRIX FAIBLE 9 C. LA DISTRIBUTION 10 D. LA COMMUNICATION 12
II. LA DIFFERENCIATION EN TANT QU’AXE DE DEVELOPPEMENT 14
A. LE DESIGNER, ACTEUR DE LA CROISSANCE EXTERNE 15 1. LE DEVELOPPEMENT PRODUIT 15 2. LE DEVELOPPEMENT DU PORTEFEUILLE PRODUIT 18 3. LE DEVELOPPEMENT PRODUIT/MARCHE 20 B. LE CAPITAL MARQUE 24
III. LA DIFFERENCIATION PAR LA STRUCTURE 26
A. LA DIFFUSION DE L’IDENTITE ET LES VALEURS DE L’ENTREPRISE 26 1. LA CHARTE GRAPHIQUE 26 2. L’ARCHITECTURE COMMERCIALE 27 B. INTEGRATION ET DIFFERENCIATION 28 1. L’ESPACE DE TRAVAIL 28 2. DESIGN ET RESSOURCES HUMAINES 29
3
3. DESIGN ET FINANCE 29 C. DESIGN COMME COMPETENCE CLE. 30 1. DESIGN ET INNOVATION 30 2. MANQUE D’ANTICIPATION 31 3. DESIGN TROP INNOVANT 31
CONCLUSION 33
BIBLIOGRAPHIE 35
A. OUVRAGES 35 B. ARTICLES 36 C. SITES INTERNET 37
TABLE DES ANNEXES 38
ANNEXE 1 : NIKE ID 39 ANNEXE 3 : IPOD : EGO-DESIGN ? 47 ANNEXE 4 : APPROCHES SOCIO-SEMIOTIQUES DU DESIGN D'ENVIRONNEMENT DES LIEUX DE
DISTRIBUTION POSTMODERNES 49 ANNEXE 5 : ENQUETE IPSOS: LES CADRES EUROPEENS AU BUREAU 79 ANNEXE 6 : LE DESIGN MANAGEMENT PAR GINO FINIZIO 81 ANNEXE 7 : COMMENT LA SMART A RATE SON LANCEMENT 83 ANNEXE 8 : QU'EST-CE QUE L'ECODESIGN ? 84
4
INTRODUCTION
Dans les années 1980, de nombreux pays faisaient face au second choc pétrolier
alors qu’ils se relevaient à peine du premier. Dans un contexte économique de
récession, les secteurs d’activités de biens de consommation et d’équipements de la
personne se sont lancés dans une guerre des prix menant jusqu’à l’apparition du
hard discount à la fin de cette période. Les années 1990 ont vu alors un paysage
économique divisé entre les « cost-killers », entreprises poursuivant une stratégie de
coût, et les marques, faisant face à une importante remise en question et devant
justifier leur présence sur le marché auprès de tous les acteurs économiques et en
particulier, du consommateur.
En parallèle, ce dernier a pris du recul sur ses comportements d’achat, ses réponses
à la publicité, les conséquences de sa consommation. Observant les mécanismes de
développement d’une offre, il a découvert l’envers de nombreuses pratiques pas
toujours appliquées avec déontologie : publicité, délocalisation de la production,
traitements de déchets toxiques, etc.
La consommation de masse avait conduit à des excès qu’il fallait alors contrôler,
maîtriser, rationaliser et ajuster. Les consommateurs ont demandé aux marques de
s’expliquer et de légitimer leur statut et leur notoriété à travers différents critères,
comme la qualité, le rapport qualité/prix, les valeurs, le respect des normes, le
confort d’utilisation, la capacité d’innovation, etc.
Dans ce contexte, les entreprises ont dû dépasser la problématique du prix et
développer de réelles stratégies de différenciation, « stratégie par laquelle l’entreprise
cherche à produire une offre spécifique lui permettant ainsi de se démarquer de ses
concurrents et d’éviter une concurrence uniquement fondée sur les coûts et les
prix. » (p.14, Strategor, 2005).
En s’attachant aux composantes de l’offre, cette différenciation propose une vision
stratégique selon trois niveaux d’étude :
5
- Dans un premier temps, l’offre est analysée dans son lien direct avec
le consommateur et la comparaison qu’il en fait par rapport à la
concurrence. La différenciation concerne, ici, l’offre développée par le
service marketing.
- Une entreprise peut également choisir d’appliquer la différenciation
comme stratégie de croissance. La différenciation ne concerne alors
plus uniquement l’offre existante, mais se déporte sur tout axe de
développement stratégique.
- Enfin, depuis quelques années, certaines entreprises ont intégré la
différenciation comme valeur propre et l’appliquent au sein même de
leur organisation. Ce phénomène a été d’autant plus accentué par le
développement rapide et innovant des nouvelles technologies.
Les responsables à chacun de ces niveaux, du responsable marketing au directeur
général, expriment une volonté du changement. Par essence, la fonction design est
l’actrice voire le déclencheur de ce changement.
On donne trop souvent une définition réductrice du design se limitant à le décrire
comme un style, une ligne donnée à un objet alors qu’une des définitions du design
provient de sa double racine : dessin et dessein. Par la conception de projet
(systèmes, objets, symboles, etc.), le designer accompagne l’entreprise vers son
objectif de différenciation que ce soit par la valorisation de son offre lors du
lancement, par la croissance de son activité, sur son secteur ou externe à son
marché, ou par l’organisation elle-même. Ainsi, la politique de design devient un outil
de la stratégie de différenciation.
6
I. La différentiation en tant que valorisation de l’offre
La stratégie de différenciation, selon les stratégies génériques de Porter, consiste à
« proposer sur le marché une offre dont le caractère spécifique est reconnu et
valorisé par le client » (Strategor, p.854). Dans cette perspective, la différenciation
concerne la valorisation de l’offre conçue à l’aide d’une politique de design
directement rattachée à la fonction marketing. À travers le prisme du mix marketing,
le designer apporte les compétences nécessaires à l’élaboration de l’offre en
conscience des techniques de production, des objectifs budgétaires et des attentes
consommateurs.
A. Le produit
Comme le dit Raymond Loewy, « la laideur se vend mal » (Gallimard, 1963). Plus que
l’unique caractère esthétique, Raymond Loewy évoque ici l’importance de l’aspect
du produit au service de son usage. Il cite notamment en exemple son travail sur un
grille pain sur lequel il a effectué des améliorations esthétiques ayant un impact sur la
perception du client (stabilité, résistance, qualité), sur le coût de production (baisse
de 2$/grille pain), le tout en changeant l’esthétique référente du marché (1963,
p.226) et en plaçant « son » grille pain comme la nouvelle référence à 1$ de moins
que les autres.
Le premier niveau de différenciation se fait par le contact visuel, première perception
du produit par le consommateur. L’apparence d’un produit et de son packaging doit
communiquer les informations relatives au produit tout en étant séduisant, que ce
soit parce qu’il est perçu comme beau, amusant, extravagant, harmonieux, etc.
7
1. L’esthétique
L’esthétique est un facteur primordial dans l’insight consommateur1, particulièrement
difficile à maîtriser et à mesurer par les spécialistes du marketing. Le travail extérieur
du produit et de son packaging offre la possibilité de jouer sur cet insight et donc
d’influencer la part d’instinct dans le choix d’un produit.
Être designer ne relève pas de la définition populaire du design, qui ne lui associe
qu’un travail de l’esthétique. Certes l’aspect du produit est primordial, mais il doit
également correspondre à ses caractéristiques.
2. L’adéquation entre la forme et l’usage
Le designer s’attache à faciliter l’usage du produit grâce à une réflexion sur la forme.
L’aspect extérieur du produit est donc au service de la fonction. Si les
caractéristiques extrinsèques du produit ne correspondent pas à son utilisation, cela
serait une expérience déceptive pour le consommateur. Il ne renouvellera jamais son
achat sur ce produit ni sur la marque en général et risque d’en faire une mauvaise
publicité. Le décalage entre l’attente, générée par la forme, et le réel, issu de l’usage,
doit donc être réduit à son strict minimum. Ceci afin d’éviter le caractère déceptif de
l’utilisation du produit.
Grâce à la cohérence entre la fonction et l’aspect, le consommateur est à même
d’apprécier la valeur de l’offre et notamment la relation entre cette valeur et le prix
qu’il a payé.
1 Ressenti, croyance, perception
8
B. Le prix
Lors de la détermination de l’offre, le prix est fixé selon les objectifs de volume, de
valeur et de positionnement souhaité : entrée de gamme, moyenne gamme, haut de
gamme. Le prix psychologique est un critère primordial dans la constitution de l’offre
car il joue sur la perception de la qualité, de l’originalité et parfois de la rareté du
produit. Le consommateur se charge de faire intuitivement les associations d’idées
entre prix et produit. Grâce à toutes les informations qu’il reçoit (publicité, linéaires,
…), il analyse l’offre dans son ensemble et se fait une idée sur la qualité du produit,
ses avantages, ses particularités, etc. Tout cela est déduit à partir des échelles de
prix et de l’offre de référence.
La fonction du designer s’intègre alors à la problématique d’optimisation des coûts :
quel que soit l’objectif marketing (valeur ou volume), Le ratio valeur/coût représente
pour l’équipe design un facteur d’évaluation.
1. La différenciation par prix élevé
La différenciation par prix élevé correspond à « la capacité de l’entreprise à valoriser
suffisamment son offre pour que le client la préfère à celle des concurrents et
accepte de payer un prix supérieur à l’offre de référence du marché. » (Mercator,
2003).
Pour cela, la fonction design peut être sollicitée selon différentes priorités et effectuer
une réflexion sur :
- Une réelle innovation. La créativité et la technologie sont bien identifiées par
le consommateur comme créatrices de valeur.
9
- L’apparence, par exemple la recherche de matériaux plus nobles, de formes
créatives plus rupturistes. Le presse-agrume d’Alessi designé par Philippe
Strark s’élance sur ses pattes fines pour décorer les cuisines !
- La fonction : la convivialité de l’usage, l’ajout de nouvelles
fonctionnalités ou une amélioration technologique seraient
considérées comme des plus produits. Le marché des
téléphones portables repose sur cette chasse à la
fonctionnalité : téléphone, photo, vidéo, conversation
simultanée (chat ou tchat).
- Le caractère unique, original et limité du produit : la
personnalisation comme le propose Nike ID avec son
laboratoire sur Internet (cf. Annexe 1) ou réalisée par un
designer comme le meuble pour enfant dessiné par Ora
Ito pour Habitat.
Le presse-agrume Alessi
par Philippe Stark
2. La différenciation par prix faible
La différenciation par prix faible consiste à proposer une offre à un prix inférieur à
celui de l’offre de référence. Le consommateur ne doit en aucun cas ressentir les
efforts sur les coûts, excepté dans le cas du hard discount2. Dans ce cadre, le
designer intervient :
- Sur l’approvisionnement : à qualité équivalente voire parfois meilleure, il peut
trouver de nouveaux matériaux économiques , une technique pour avoir
moins de rebuts, ou un produit utilisant moins de composants, comme cela a
été fait pour la Logan de Renault.
2 La stratégie discount ne sera ici pas développée car pour des raisons de coûts, celle-ci ne fait pas appel à des
designer et sollicite plutôt les services achat, approvisionnement et production.
10
- Dans la chaîne de production : selon le produit et les techniques pour le
fabriquer, il peut permettre une standardisation de la production, une
réduction du nombre de tâches grâce à une optimisation du temps homme
et/ou du temps machine, etc. L’un des premiers exemples étant la Ford T.
Grâce à une réflexion sur le packaging, le designer peut également influer sur :
II. le volume et ainsi réduire le coût au m3 lors de l’acheminement des produits et
de leur stockage,
III. le taux de dégradation et de casse lors des manipulations, dans les transports,
dans les rayons, et même après la vente des produits pour mieux vendre les
quantités produites et réduire coût du Service Après Vente.
IV. Enfin, l’ergonomie du packaging peut également permettre une manipulation plus
rapide des produits par les équipes commerciales. Elles passent alors moins de
temps au remplacement des produits détériorés, à la mise en ordre du linéaire. Ce
temps dégagé permettant alors de couvrir une plus grande zone de distribution, de
mener une négociation efficace et de voir les distributeurs plus souvent pour ainsi
renforcer la relation client-fournisseur.
A. La distribution
Peu sensible à l’esthétique et à l’usage d’un produit, le distributeur fait l’expérience
du design en éprouvant la résistance, l’efficacité et l’attractivité du packaging dans
les rayons et lors du réassort. Ainsi, le designer peut agir à différents stades de la
mise à disposition du produit :
- Pour les chefs de secteur et les responsables de rayons, un packaging bien
pensé peut faciliter l’entretien d’un linéaire et le réassort. Ils sont alors moins
présents dans les rayons et plus axés respectivement sur les négociations et
sur les clients.
11
- Pour le distributeur, l’amélioration de l’esthétique du linéaire favorise
l’attractivité globale du rayon : Le trafic et la fréquence d’achat sont alors
augmentés.
- Pour la marque elle-même, un packaging réussi permet une identification
rapide, même de loin, en particulier lorsque le distributeur propose une offre
exhaustive sur un même type de produits. En jouant contre les codes
traditionnels du secteur, le designer permet
au produit de se démarquer dans son
linéaire et d’être repéré facilement. Plusieurs
exemples font référence aujourd’hui,
notamment l’utilisation de la couleur vert
pomme par la marque Fructis. Les produits
Fructis sont issus des technologies des
fruits, et positionner en milieu de gamme.
Or, dans cette catégorie de produits, le vert
est associé au bas de gamme. Fructis a
réussi à faire fléchir cette convention et
surtout, détient une visibilité incomparable
dans son linéaire.
- Enfin, pour le consommateur qui peut être interpellé par l’univers créé autour
du linéaire : la publicité sur le lieu de vente (PLV) ou la mise en avant des
produits (MEA). À la croisée de la distribution et de la communication, ces
outils doivent à la fois exprimer l’environnement créé autour du produit, être
faciles à installer, s’adapter aux rayons et à l’esthétique globale du magasin,
sans nuire à la circulation mais au contraire générer plus de trafic. Et c’est
dans ces conditions que le designer peut apporter son savoir.
12
En collaborant avec l’agence de communication, le designer participe au
développement de supports cohérents avec l’image de la marque, du produit et de
sa campagne de communication.
B. La communication
Si cette collaboration entre l’équipe de communication et la fonction design a été
développée suffisamment en amont, alors le dispositif de communication doit
paraître quasiment évident à tous et se déploie autour d’un seul élément central : le
produit. En 1995, JP Vauthier, responsable design chez Facom, , appelle cela
« l’ auto communication ».
La cohérence et la qualité d’une offre fait parler d’elle de manière complémentaire à
une campagne de communication « classique » (publicité, street marketing, …).
L’auto communication est plus souvent relayée par le buzz3, la presse spécialisée et
généraliste, Internet, le placement de produits, …
Le consommateur est surexposé à la publicité et fortement éduqué sur ses
mécanismes. Il est conscient des manipulations et refuse de se laisser influencer. La
cohérence de l’offre et l’auto communication donnent alors au consommateur la
possibilité d’avoir une certaine liberté de choisir. Cela l’incitera alors à la fidélité, au
renouvellement d’achat et à la fréquentation des lieux de distribution.
3 Bouche à Oreille
13
La politique de design est donc au cœur de la réflexion marketing lors de la
constitution de l’offre. Grâce à la connaissance pratique des processus de création
d’un produit, elle apporte l’assurance de la réalisation des objectifs à chaque étape
du mix. Mais la vision transversale du designer lui permet également de voir au-delà
de la constitution de l’offre. En participant au développement stratégique de
l’entreprise, la politique de design peut se révéler un outil de différenciation pertinent
face à l’intensité concurrentielle sur son secteur d’activité.
14
II. La différenciation en tant qu’axe de développement
D’après M. Porter (L’avantage concurrentiel, 1986), l’attractivité d’un secteur est la
résultante de 5 forces, dont la rivalité concurrentielle est au centre.
La théorie des 5 forces selon Michael Porter
L’élaboration d’une stratégie de différenciation contre chacune de ses forces et
préserve l’avantage concurrentiel en créant « une offre unique qui rend la
concurrence et la substitution difficiles » (Strategor, p.854). En intégrant une politique
15
de design au cœur de la stratégie de croissance, l’entreprise s’assure un
positionnement à caractère unique, inimitable avec toujours un temps d’avance.
Pour atteindre les objectifs stratégiques de l’entreprise, le design peut utiliser divers
outils d’analyse de l’évolution du produit, du portefeuille produit ou du marché. Grâce
à une connaissance aigue et pragmatique du marché et des forces environnantes, il
offre à l’entreprise la possibilité de ne jamais se reposer sur ses acquis ni même sur
ses succès et d’être en perpétuelle amélioration.
Plus que la conception d’un produit, le rôle du designer est ici celui d’un chef de
projets dont le produit est le résultat et les outils de mesure de la performance,
qualitatifs ou quantitatifs, sont très variés,: progrès technologique, rentabilité, durée
de vie du produit, communicabilité, … La politique de design peut être menée à
l’aide des outils d’analyse stratégique et intervient pour orienter les stratégies de
croissance et apporter des solutions adaptées à leur mise en place.
A. Le designer, acteur de la croissance externe4
1. Le développement produit
À l’aide de l’analyse du cycle de vie du produit, la politique de design s’affine au fur
et à mesure de l’évolution du produit. Le cycle de vie du produit se décompose en
quatre phases : le lancement (ou introduction), la croissance, la maturité et le déclin.
4 Design Management, Brigitte Borja de Mozota, Éditions d’Organisation, Jouve-Paris, 2001, p.216.
16
a) Le lancement
La phase de lancement correspond à l’introduction du produit sur le marché (Kotler
& Dubois, 1997). Comme cela a été développé dans la première partie, l’intervention
du designer en amont de la mise sur le marché garantit dès le lancement une offre
de qualité. D’après les remarques des premiers acheteurs, le designer optimise
l’offre selon les variables du mix.
b) La phase de croissance
C’est lors de la croissance que la mesure de la rentabilité peut être significative. À
cette étape, les ressources de production sont ajustées et les coûts fixes déterminés.
Le volume croissant doit favoriser la rentabilité voire le profit. Le designer ajuste les
caractéristiques du produit et l’adapte aux processus de production afin de faciliter
son industrialisation et de garantir son avantage concurrentiel. Son rôle est ici
17
primordial car c’est dans cette phase que la plus grande masse de concurrents
intègrent le marché. En intervenant sur la technologie et sa duplication, le designer
aide à contrer la menace des nouveaux entrants et avoir de l’ascendance sur le
pouvoir de négociation des fournisseurs, en particulier grâce aux capacités de
production.
c) La phase de maturité
« Tout produit connaît un moment où le rythme de ses ventes ralentit : il entre alors
dans la phase de maturité. » (Kotler & Dubois, 1997)
Il s’agit donc de relancer les ventes par des innovations complémentaires, de
nouvelles optimisations des coûts impactées sur le prix de vente ou par une
adaptation pour un nouvel usage du produit. Selon B. Borja de Mozota, cette phase
est celle du « design de détail. » En retravaillant minutieusement leur offre, comme
leur charte graphique, la SNCF et la RATP (cf. Annexe 2) font évoluer leur marques
(TGV, transilien, ticket T+…) et restent discrètement dans le quotidien
des utilisateurs. Ainsi, ils font face à des marchés de substitutions
tels que l’automobile ou l’avion. En dix ans, le logo de la SCNF s’est
modifié petit à petit pour s’avérer aujourd’hui complètement différent mais toujours
actuel.
d) Le déclin
Dans le meilleur des cas, cette phase représente la stagnation des volumes de vente
à un niveau faible. Par l’intégration de nouvelles technologies ou d’une reformulation
complète du produit, le « design de concept » (B. Borja de Mozota, 2001) réalise
alors un « lifting » du produit et relance un nouveau cycle de vie. Aujourd’hui, le
meilleur exemple est celui de la nueva Fiat 500, réédition actualisée de son aïeul de
18
1957. En modernisant sa silhouette et en communicant sur l’axe de la nostalgie, du
rétro, la Fiat 500 réapparaît. Son lancement est encore trop récent pour en connaître
les résultats en chiffre, mais il est sûr qu’elle a fait déjà beaucoup parler d’elle.
Fiat 500 ancien et nouveau modèle (1957 ; 2007)
L’anlyse et le suivie de l’évolution d’un produit tout au long de sa vie sur le marché
permet au designer d’effectuer des ajustements à chacune des étapes. Il faut
cependant bien prendre en considération que cette évolution n’est pas linéaire. Elle
dépend de la place du produit dans le portefeuille de l’entreprise et de l’interaction
que tous les produits exercent entre eux.
2. Le développement du portefeuille produit
La célèbre matrice du Boston Consulting Group est un outil d’analyse du portefeuille
produit. Elle permet d’identifier la rentabilité et la croissance d’un produit et de le
mettre ainsi en relation avec les autres produits du portefeuille.
L’analyse de l’interaction des différents produits du portefeuille et la recherche d’un
équilibre entre eux peut amener à des optimisations plus ou moins importantes.
19
Matrice BCG
a) Les produits « dilemmes » et « poids morts »
Les entreprises font souvent appel à une équipe de designers pour des produits qui
se placent dans les situations « dilemmes » ou « poids mort ».
- Dans le cas d’un produit « poids mort », il est plutôt recommandé
d’abandonner le produit. Les dépenses pour relancer le produit sont souvent
plus coûteuses que la création d’un nouveau produit plus adapté aux attentes
du marché.
- De la même manière qu’en phase de maturité, il est nécessaire de relancer les
ventes des produits « dilemmes ». A l’aide d’études et d’analyse de l’existant
et des tendances de consommation ou de progrès technologique, le designer
peut soit redynamiser le marché par l’adaptation du produit pour de nouveaux
usages, soit relancer une réflexion sur les coûts, les matériaux et les
processus de fabrication permettant alors une baisse des prix ou une
augmentation de la marge.
0%
leader suiveur Part de marché relative
Taux
de
croi
ssan
ce d
u m
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é
0,50%
POIDS MORT
DILEMMESTAR
VACHE À LAIT
20
b) Les produits à succès
Cela dit, même les situations idéales méritent que la politique de design s’en
préoccupe :
- Le produit « star » comme l’Ipod est initialement issu d’un design novateur et
nécessite des réajustements permanents par les designers. (Cf. annexe 3)
- Tandis que le produit « vache à lait », tel que le Nutella, doit faire l’objet d’un
design discret quasiment quotidien maintenant la pertinence du produit sur le
marché et ce, malgré ses évolutions.
Le design intervient à tous moments car il permet à l’entreprise de rester adaptée à
un marché en constante évolution. Cette dynamique du marché requiert qu’un
produit évolue de manière imperceptible pour maintenir l’échelle de valeur qu’il existe
entre l’offre et son marché.
3. Le développement produit/marché
La matrice d’Ansoff présente les différentes stratégies de croissance par rapport aux
mouvements sur les marchés et des marchés eux-mêmes :
Matrice d’Ansoff
Produits actuels Produits nouveaux
Marchés actuels Pénétration du marché Développement de
produits
Marchés nouveaux Extension de marchés Diversification
21
a) Pénétration du Marché :
La stratégie de croissance sur son propre marché sans changer de produit passe
par l’amélioration de la notoriété et nécessite de s’imposer comme la référence du
marché. Le design agit alors sur le produit ou sur la marque pour qu’ils marquent la
différence sur leur propre marché. Ceci renvoie essentiellement à l’intervention du
designer tout au long du cycle de vie du produit (voir partie II.A.1) et à sa
collaboration avec la communication pour développer une image pérenne adaptée
aux dynamiques d’ensembles générées par l’évolution du consommateur et de sa
société.
b) Extension de marché
Une stratégie de croissance peut consister à implanter son produit actuel sur un
nouveau marché. Le choix d’un nouveau marché se fait essentiellement sur les
critères géographiques. Dans ce cas, le designer intervient sur le produit actuel, sur
la marque ou sur le packaging afin de l’adapter au mode de consommation du
nouveau marché. Nous pouvons comparer la consommation, en Café Hôtel
Restaurant, de Coca Cola en France par rapport à l’Espagne. Malgré leur stratégie
très globale, Coca Cola peut sensiblement adapter son offre selon la région. En
France, un Coca Cola est servi soit dans une bouteille de 50 cl, soit dans une
cannette de 33 cl. En Espagne, il est servi dans des bouteilles de 25 cl. Il a donc fallu
travailler sur la consommation du produit selon les régions et adapter le packaging
ainsi que le moule pour l’outil de production pour encore améliorer la production
européenne de Coca Cola.
22
c) Le développement produits
Nous ne renvoyons pas ici à la partie précédente faisant référence au
développement d’un même produit mais plutôt à celui de nouveaux produits, sur un
marché déjà conquis. Il s’agit alors pour le design de capitaliser sur l’infrastructure et
les compétences existantes, comme le fait Apple avec sa gamme Ipod. (cf. Annexe
3).
En développant toute une gamme de lecteurs de musique spécifiques à chaque type
d’usage, Ipod investit plusieurs niveaux de prix, selon la sophistication des
fonctionnalités. Par son aspect, sa taille et ses différentes couleurs, le design de
chaque lecteur correspond à un positionnement.
Le tout nouveau Ipod Touch mise sur le haut de gamme et offre de nombreuses
fonctionnalités et une ergonomie ultra-simplifiée.
L’Ipod classic, le premier développé, s’actualise toujours plus, bénéficie de série
limitée (spécial U2 par exemple) ou de plus de fonctions (vidéos, photos, …).
23
L’Ipod mini puis le nano (version actualisée du mini) se concentre sur le corps du
secteur, lecteur mp3, tout en jouant la couleur et le prix. Il est 100 euros moins cher
que le classic.
Enfin, l’Ipod shuffle propose une lecture aléatoire avec assez peu de mémoire mais à
un prix accessible et correspond à l’offre référence du marché, soit environ 100
euros.
Cet exemple met en évidence la possibilité d’un développement de produits tous
différents avec une même fonction : écouter de la musique et sur un même marché :
lecteurs mp3. Après une étude des coûts des différentes technologies, des
composants et une analyse des besoins, le design travaille l’aspect et les
fonctionnalités du produit pour réaliser une telle segmentation.
d) La diversification
Une compétence (technologie, technique de production, utilisation de matériaux
spécifiques) peut être transférée d’un produit à un autre et d’un marché à un autre. Il
s’agit ici du design d’innovation.
Peugeot initialement expert dans la scierie a vu son activité s’essouffler et a donc
développé ses compétences du travail de l’acier pour développer des pièces de
métal et notamment des lames pour moulins. C’est ainsi que Peugeot a été amené
sur le secteur des moulins à café, à poivre, mais aussi sur la production de pièces
pour le marché de l’automobile. A l’époque (fin XIXème), la fonction design n’était pas
identifiée en tant que telle ; malgré tout, cette situation correspond bien à ce qu’on
appelle aujourd’hui le design d’innovation.
L’entreprise a également faire appel au design pour
que la diversification de l’entreprise se transmette
dans l’identité visuelle et que ses valeurs s’adaptent.
Pour ces deux activités, Peugeot a fait évoluer son
logo :
24
Pour les moulins, activité la plus proche de son métier de base, Peugeot a choisi de
garder le logo initial en le dynamisant, le lion pose ses quatre pattes sur une flèche et
signifie résistance, rapidité et stabilité.
Pour son activité de constructeur automobile, le lion s’est dressé
sur ses deux pattes arrière et s’élance pour ajouter puissance et
dynamisme à cette force de la nature.
B. Le capital marque
Comme le montre l’exemple de Peugeot, la marque doit être préservée et prise en
compte dans l’évolution de l’entreprise.
Une marque est « un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin ou toute
combinaison de ces éléments servant à identifier les biens ou les services d’un
vendeur, d’un groupe de vendeurs et à les différencier des concurrents ». Il est
possible de valoriser une telle marque au bilan comptable en appréciant sa notoriété,
sa fidélité, la qualité perçue et les associations mentales qu’elle génère » (p.437,
Kotler&Dubois, 1997).
Développer le capital marque et en assurer la cohérence fait partie de la mission du
designer. En concevant une marque cohérente, structurée, simple à retenir et à
identifier, le designer permet à l’entreprise de capitaliser directement sur la marque,
voire même de l’inscrire comme valeur boursière.
Le capital marque induit un comportement consommateur spécifique qui, au lieu de
comparer le produit ou le prix à d’autres offres, se dirige directement vers la marque
et a une telle confiance dans la marque qu’il testera tous les nouveaux produits issus
de sa gamme. Même les distributeurs ouvrent grand leur porte à ces marques.
Kleenex bénéficie de cette reconnaissance auprès de ses partenaires et des
consommateurs, tous volontaires envers une telle marque. À tel point, que depuis de
nombreuses années, nombreux sont ceux qui appellent un mouchoir, « un Kleenex ».
25
A travers les mots, les couleurs, les formes, les symboles, le designer insuffle les
valeurs que la marque doit évoquer. Grâce à la coordination entre l’équipe de design
et la communication, ces valeurs sont relayées et déployées sur tous les supports. Il
est particulièrement important de préserver la cohérence et d’exprimer les valeurs
selon des codes prédéfinis pour que l’impact soit fort, rapide, efficace et durable.
Pour assurer cette cohérence, la politique de design s’appuie sur l’identité visuelle de
l’entreprise et sur les valeurs qu’elle transmet tant à l’extérieur qu’en interne comme
base du développement du capital marque. Le design est une source des valeurs
pour l’entreprise.
En tant que composante intrinsèque de l’entreprise, nous revenons à la définition du
design comme double signification : dessin et dessein de l’entreprise. En dessinant
l’identité visuelle de l’entreprise, la politique de design annonce le dessein de celle-ci.
Ce dessein exprime des objectifs stratégiques, les valeurs fondatrices de l’entreprise
et doit être transmis dans tous les services de l’entreprise pour rayonner de l’intérieur
de la structure vers l’extérieur et ainsi assurer une réelle cohérence de la politique
générale de l’entreprise. Grâce à la traduction et à la diffusion de ces valeurs, la
politique de design insuffle une différenciation à la source en participant à la
construction de son identité, son individualité.
26
III. La différenciation par la structure
En marquant son individualité, l’entreprise détient la meilleure stratégie de
différenciation. Pour qu’elle soit crédible, l’image créée par le designer doit
correspondre de la manière la plus proche possible à l’histoire de l’entreprise, sa
culture, ses valeurs.
Aucun élément n’est choisi au hasard par le designer. Il capte des signes et raconte
par des symboles une histoire, l’histoire que les fondateurs, les dirigeants ou même
les employés racontent sans mots, par des ressentis ou des comportements.
« L’identité est la série de caractéristiques qui permet de reconnaître le caractère
unique de l’entreprise » (BBM, Design Management, p.170, 2002). C’est ainsi que les
acteurs extérieurs – consommateurs, prescripteurs, concurrents – et le personnel de
l’entreprise identifient cette dernière par des caractéristiques propres. Ils la
reconnaissent et perçoivent ses valeurs.
A. La diffusion de l’identité et les valeurs de l’entreprise
Plus les designers connaissent d’éléments, d’anecdotes et de détails sur l’entreprise,
meilleure sera son identité visuelle, tant à travers l’identité graphique que par le
l’architecture commerciale.
1. La charte graphique
Cette identité visuelle se traduit par la charte graphique, sorte de carte d’identité
issue du logo et de ses déclinaisons. Développée par l’équipe design, elle est le
premier élément de coordination avec l’équipe de communication. Le respect de
27
cette charte permet une cohérence et le déploiement d’une réelle personnalité pour
l’entreprise dans tous les supports de communication : du spot tv à la circulaire du
comité d’entreprise !
Les valeurs peuvent également être transmises grâce aux murs, aux sols et aux
meubles. C’est ce qu’on appelle globalement le design d’environnement et dans la
distribution, l’architecture commerciale ou l’agencement.
2. L’architecture commerciale
Côté consommateur, de nombreuses entreprises ont adopté une politique de design
d’environnement car les études démontrent que le comportement consommateur ne
s’induit pas que par le produit mais de plus en plus par l’expérience d’achat. Le fait
que l’architecture commerciale puisse aujourd’hui générer du trafic, transmettre des
valeurs ou faire vivre une expérience est avéré et a pour conséquence une
augmentation de la fréquentation et de la fréquence d’achat (cf. Annexe 4).
Ainsi, Séphora, parfumerie low cost, a utilisé les
codes de luxe comme le revêtement noir. Les
consommateurs perçoivent une qualité et un
environnement « parfumerie » haut de gamme
malgré les prix cassés par rapport aux offres
références du marché. Le tapis rouge, tapis des
stars, est également un signe du luxe mais
paradoxalement, il suggère l’accessibilité et invite les passants à découvrir le
magasin selon un parcours prédéfini.
L’architecture commerciale représente seulement un aspect du design
d’environnement. Afin d’assurer la transmission des valeurs sur le marché, un
excellent moyen est la réputation transmise par les employés. Le designer s’intéresse
donc de très près au design des espaces de travail et participe ainsi à l’intégration.
28
B. Intégration et différenciation
Selon Lawrence et Lorsch, « l’intégration {permet} de reconnaître les différences et
de s’appuyer sur elles pour assurer la convergence des actions en vue d’objectifs
communs » (p.425, Strategor, 2005). Une entreprise s’appuie donc sur la
différenciation pour fédérer ses équipes autour de mêmes valeurs qui forment sa
personnalité et sa particularité. Mené par le groupe projet design, l’intégration est un
enjeu de taille car il requiert une connaissance pointue des comportements des
employés, des systèmes de l’entreprise, voire des recrutements et des fondateurs
eux-mêmes.
1. L’espace de travail
Il s’agit dans un premier cas de créer un environnement pratique et organisé, propice
au travail. Ce cadre insuffle des valeurs par l’utilisation des couleurs, des volumes,
d’objets de détails. Ce travail est particulièrement précis car il doit faciliter les
flux d’informations : il doit générer une circulation des personnes tout en créant des
endroits d’échanges informels, comme une machine à café avec un petit canapé
dans le recoin d’un couloir par exemple. D’après une étude Ipsos pour SteelCase,
« 80% des cadres français aimeraient avoir plus d’opportunités pour partager une
information ou une expérience avec leurs collaborateurs » (cf. Annexe 5).
L’étude du cadre de travail permet au designer d’orienter les flux sur les services clés
de l’entreprise et d’induire des processus mis en place par l’organisation, ceci de
manière efficace et quasi inconsciente pour le personnel.
Son travail améliore les échanges formels et informels. Il participe à la mise en place
d’un système d’information intangible.
29
2. Design et Ressources Humaines
Pour que ce système d’information fonctionne, il faut que les employés soient
sensibles au design ou tout du moins au changement induit par la fonction design.
La sensibilité au design peut devenir un critère de recrutement aidant à identifier des
qualités supplémentaires telles que le dynamisme ou la capacité à travailler avec des
fonctions transverses pour avancer ensemble vers l’innovation d’une entreprise en
croissance et donc en mouvement. Ainsi, la résistance au changement est minimisée
et l’entreprise peut se permettre d’innover et d’investir, menée ou au moins
accompagnée par ses employés.
L’équipe design doit se montrer capable de communiquer ses intentions et d’intégrer
chacun au processus du changement pour que tous se sentent impliqués dans le
développement et la croissance de l’entreprise. (cf. Annexe 6)
3. Design et finance
Cette démarche peut être facilitée par le service financier. En soutenant
financièrement des projets d’envergure sans être frileux et sans forcément penser
uniquement court terme. Les meneurs de projets, les personnes dynamiques de
l’entreprise se sentent ainsi soutenu par leurs dirigeants et participent à faire évoluer
les esprits, les compétences, l’entreprise dans son ensemble.
Mais un lien plus fort relie le design à la fonction finance : sa conscience du ration
valeur/coût. Chaque investissement émis pour la politique de design est au préalable
analysé par le designer et réfléchi pour augmenter le bénéfice de l’entreprise. – que
ce soit par l’augmentation de la valeur, l’amélioration du volume, ou la baisse des
coût grâce à la rationalisation d’une tâche ou d’une fonction. Cette pratique est
particulièrement pertinente dans le développement des offres low cost. Ainsi, Ikea a
30
revu sa chaîne de valeur, ses processus de fabrication, de livraison en restant exigent
sur le style pour offrir aux consommateurs des meubles à des prix accessibles sans
honte pour leur intérieur.
De part cette conscience du ratio valeur/coût, le design est accepté et valoriser par
le service financier. Il peut de plus en plus se situer au cœur de l’entreprise comme
pôle de compétences. Tout en mettant d’accord la finance, la production et le
marketing, le design s’intègre au cœur de la réalité des entreprise. Avec une vision
concrète et pragmatique, le designer conserve toujours une exigence d’innovation.
C. Design comme compétence clé.
Sur les secteurs pour lesquels les technologies évoluent très vite, de plus en plus
d’entreprises se concentrent sur la fonction design : Apple, Nokia, Renault.
En lien très étroit avec l’innovation, le design permet de préserver son avance sur un
marché très dynamique.
1. Design et innovation
Une innovation est une idée permettant de créer un nouveau produit, améliorer une
offre existante. Le design est une concrétisation de l’innovation, le moyen
« économique » et viable pour la mettre en application.
Pour cela, le designer doit à la fois être conscient des attentes du marché – tout en
les devançant – et maîtriser les technologies déjà employées.
Sa fonction va alors plus loin que l’innovation, puisqu’elle doit être placée dans la
réalité économique de l’entreprise et de son marché en tenant compte de ses
ressources. Le designer innove en considérant tous les stades de la fabrication.
31
En travaillant avec les ingénieurs, il participe au développement d’une innovation
technologique et intègre dans son processus la manière de la communiquer sur la
partie visible du produit.
Il n’est pas sans risque de faire reposer son activité sur la fonction design.
L’entreprise doit faire attention à deux types d’excès : un design trop tourné vers le
consommateur ou un design trop innovant pour son temps.
2. Manque d’anticipation
Par la nécessité de rester « consumer oriented », le designer risque d’être influencé
par les comportements existants, les attentes déjà exprimées par les
consommateurs. En particulier lorsque la fonction design est interne à l’entreprise.
Dans ce cas, les designers ne travaillent que sur un type de produits, de gamme ou
sur une seule technologie et peuvent avoir des difficultés à prendre le recul
nécessaire pour générer une réelle innovation. Dès son lancement, le produit est en
retard technologiquement :
- par rapport à la concurrence ayant mieux anticiper
- ou par rapport à l’évolution des attentes consommateurs.
3. Design trop innovant
Le danger contraire est que le designer anticipe trop et propose des produits que les
consommateurs ne sont pas prêts à accepter.
L’Avantime designée par Matra, produite et distribuée par Renault a été très mal
reçue par les consommateurs. Son design, qui aujourd’hui nous paraîtrait presque
élémentaire était trop innovant pour pouvoir vendre dès son lancement. En
concentrant ses compétences sur l’innovation et le design, Matra en a perdu le lien
avec la réalité. Et pourtant, c’est pour cette déconnection aux impératifs du marché
32
que les grands constructeurs ont souvent fait appel à cette entreprise créative.
L’exemple montre malgré tout que l’équilibre entre innovation, vision et économie
n’était pas respecté. Matra s’est fait racheté en août 2003, par Pininfarina,
constructeur italien.
Il est difficile de mesurer à l’avance l’accueil que le consommateur fera à un produit
surtout s’il provoque une rupture importante sur son marché. Cela dépend de
l’aptitude des consommateurs à accepter le produit, qu’il soit attendu ou non. Par la
nécessité de rester orienté vers les besoins du consommateur, le designer risque
d’être influencé par les comportements existants, les attentes déjà exprimées ou, au
contraire, de trop les anticiper, grâce à son savoir sur les sociostyles, à ses
connaissances pointues dans de nombreux domaines.
Lorsque la fonction design est interne à l’entreprise, elle ne se concentre que sur un
type d’offre, ou sur une technologie. Il lui est alors difficile de prendre le recul
nécessaire pour réaliser de réelles ruptures ; Dès lors, le produit est en retard par
rapport à l’évolution des attentes et/ou à la réponse des concurrents.
A l’opposé, un design trop innovant peut ralentir la réussite d’un lancement le temps
que les esprits s’adaptent. Cela ne signifie pourtant pas qu’il faille retirer le produit du
marché. Tout dépend des objectifs poursuivis et de la rentabilité du produit (cf.
Annexe 7).
33
Conclusion
Le cas de Matra montre que le design est certes une question d’innovation mais qu’il
doit intégrer de nombreuses données issues d’autres domaines : finances,
marketing, production. Son savoir et savoir-faire sont transversaux. Au contact des
autres services, il apprend, se nourrit des nouvelles informations et contraintes à
intégrer dans son processus de conception. Par ailleurs, c’est aussi grâce à ce
contact que toute une entreprise peut évoluer et se développer. Par une vision large
et sans préjugés, le designer propose des moyens concrets, pertinents et parfois
surprenant pour atteindre les objectifs souhaités.
L’équipe design, en cohésion avec les autres services, apporte des solutions à tous
les points stratégiques au développement de l’entreprise. Grâce à sa multi-
compétences, le designer comprend et intègre des contraintes lors de la conception
d’un produit, d’une identité, d’une technologie. Pour les consommateurs, l’innovation
visible n’est pas la seule exigence. Et ce souci d’une offre qui ait un sens découle
directement du passage de la consommation de masse à la consommation
« réfléchie ».
Depuis quelques années, les consommateurs prennent conscience des effets de la
consommation. Ils ont développé alors des valeurs dans lesquelles ils croient et pour
lesquelles ils souhaitent que les entreprises les revendiquent. L’expérience des
marques de distributeurs a sensibilisé les consommateurs sur le rôle des marques.
Ils leur demandent une forme de contrat moral exigeant un parti pris des marques,
une revendication de leurs valeurs.
C’est ainsi que Pantagonia révèle une des évolutions actuelles du design : l’éco-
design (cf. Annexe 7). Cet engagement envers l’avenir correspond au contrat moral
avec le consommateur. Il prend aussi en compte des problématiques majeures pour
les entreprises et pour leur viabilité dans notre économie. Au cœur des
préoccupations internationales, les pays sont en mutation vers une économie verte,
34
ce que l’on appelle le développement durable. Aujourd’hui, ceci ne peut plus être
seulement un axe de différenciation mais bien une réalité pour chaque entreprise. Le
design depuis plusieurs années accompagne cette transition, dans un premier temps
en tant qu’outil de la différenciation, puis comme contrat de base.
Par cet exemple, on peut constater que chaque axe de différenciation peut devenir
une exigence commune. Ainsi, le design, fonction évolutive de par son interaction
avec de nombreuses compétences, devient un savoir et un savoir faire stratégique
dont les entreprises ne pourront bientôt plus se passer pour survivre. La réalité
économique et la mondialisation vont évoluer vers une exigence du design comme
passage obligé pour chaque entreprise.
La politique de design n’est pas un simple outil de différenciation. Elle est un enjeu
stratégique de développement d’une organisation tant à l’interne qu’à l’externe.
35
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www.admirabledesign.com : Site-magazine du design ; Nombreux articles en
références à citer (RATP, Renault Logan, …)
http://www.pyramyd.com/ : Site d’actualité design
http://www.designaddict.com/design_index/index.cfm
http://www.alliance-francaise-des-designers.org/
http://www.frenchdesign.net/
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o http://ecodesign.centredudesign.fr/ressources/pdf/ExtraitEcoDesign_150606.pdf
o http://ecodesign.centredudesign.fr/recherche/pdf/Abst_Bastante_Capuz.pdf
o http://ecodesign.centredudesign.fr/recherche/pdf/Abst_Guzman_Capuz_2.pdf
o http://ecodesign.centredudesign.fr/ressources/pdf/NTReglementationEnv.pdf
Design Management Institute : http://www.dmi.org/dmi/html/index.htm
Comment la Smart a raté son lancement, Etienne Gless, L'Entreprise mis en ligne le
25/05/2001 : http://www.lentreprise.com/article/4.230.1.108.html
38
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 : Nike ID p.39
Annexe 2 : Ratp et ... design... p.40
Annexe 3 : Ipod : ego-design ? p.46
Annexe 4 : Approches socio-sémiotiques du design
d'environnement des lieux de distribution postmodernes p.48
Annexe 5 : Enquête IPSOS: les cadres européens au bureau p.78
Annexe 6 : Le design management par Gino Finizio p.80
Annexe 7 : Comment la Smart a raté son lancement p.82
Annexe 8 : Qu'est-ce que l'écodesign ? p.83
39
Annexe 1 : Nike ID
40
41
Annexe 2 : Ratp et ... design...
Ecrit par Fabrice Langlais le 20.03.2006
La Ratp et le design ? On n’y pense pas spontanément, osons le dire.
Pourtant notre reporter Fabrice Langlais a rencontré Yo Kaminagai, un
Japonais qui a fait reconnaître le design dans cette immense entreprise. Un rôle
pas évident, mais qu’il assume avec humilité... et détermination... Le résultat ? Ce
service public vient de recevoir l’Etoile de l’Observeur du design 2005* !
Découvrez avec Admirable Design la modernité de sa réflexion design et de ses
applications. Un exemple à méditer, comme on dit ...
Design Ratp, design pour la vie urbaine
Yo Kaminagai dirige l’Unité Design & Projets Culturels à la RATP. Cet ingénieur nous livre ici
une vision du design, qu’il a peut-être hérité en partie de son père, un artiste-peintre japonais
qui a vécu autant au Brésil, en Indonésie ou en France qu’au Japon. Rencontre avec un
passionné patient pour qui design rime avec sensible et humain.
Admirable Design : la Ratp
et le design, c’est déjà une
longue histoire...
Yo Kaminagai : depuis
l’origine, l’entreprise a fait du
design sans le savoir. En
1889, quand le patron de la
nouvelle Compagnie du
Chemin de fer Métropolitain
de Paris a fait appel à Hector
Guimard pour les entrées du métro, c’était significatif et novateur. _ Cela traduisait une
volonté d’inscrire le transport parisien dans le paysage urbain de son époque. Il y avait déjà
une volonté de rendre ce type de déplacement agréable et de communiquer un message
vers le grand public. Tout était déjà là : un brief, un casting, une méthode, un concept, un
déploiement industriel.
AD : Avec un tel passé, comment s’est organisée l’action du design dans cette entreprise
publique ?
42
YK : nous sommes héritiers de l’histoire de l’entreprise. Après les entrées Guimard du début
du 20ème siècle, on peut citer de nombreux évènements qui ont jalonné l’évolution de la
RATP, de son architecture et de son design : la qualité esthétique du réseau concurrent
Nord-Sud en 1910, les autobus à plate-forme des années 30, l’aménagement des grandes
gares du RER dans les années 60, l’ambition du projet Météor en 1990, le grand programme
du Centenaire du métro et aujourd’hui les multiples projets de tramway sont autant d’étapes
incontournables qui ont contribué à installer progressivement la place du sensible dans
l’entreprise. Ces projets sont le fruit de dirigeants « éclairés » qui se sont succédés à la tête
de l’entreprise et ont fait oeuvre d’architecture et de design en donnant une vision moderne
du transport toujours respectueuse du patrimoine.
Dans cette lignée, le design de la Ratp tend aujourd’hui à rendre le transport du voyageur
agréable en privilégiant la facilité d’usage dans des environnements dotés d’une qualité
émotionnelle.
Ce qui se traduit dans la recherche du confort, le plaisir de l’oeil et de l’oreille, la sensation
de rythme, de mise en scène et de récit, la maîtrise et l’harmonie de parcours. Notre
démarche embrasse l’ensemble de ces éléments avec les différents métiers du sensible,
pour que l’expérience du trajet soit ressentie par chaque voyageur comme positive et non
comme un moment agressif et angoissant.
43
AD : Comment se définit le design management dans cette grande maison ?
YK : L’objet de notre travail de design, c’est de forger un espace de transport qui,
paradoxalement est fait de vide. Notre base de travail, c’est de construire le ressenti de
chaque personne. Dans cette logique, et à l’échelle foisonnante de la Ratp, le risque c’est de
ne plus maîtriser le degré de désordre.
Certes, l’ordre parfait pourrait rassurer, mais il est très difficile à pérenniser. Il nous faut gérer
les degrés d’ordre/désordre en matière de signes, de styles, de hiérarchies, de
combinaisons, pour produire un design qui puisse être au service de notre mission première
: le transport de millions de personnes dans les meilleures conditions. Dans l’instant, le
public juge l’entreprise sur la performance du service rendu (fluidité, régularité, fiabilité,
adaptabilité...). Mais à moyen et long terme, il la juge aussi sur son ressenti durant son
déplacement, sur la qualité de son « expérience-client ». La Ratp, en utilisant le design, doit
faire en sorte d’être plus utile dans le service qu’elle propose et plus humaine dans ce
moment peu naturel que constitue le voyage collectif, souvent souterrain, dans un espace
confiné.
Cet « espace de transport » (mot apparemment banal mais désignant un lieu fortement
chargé de règles cachées, de rituels partagés) dispose d’une force symbolique considérable
: imaginer que dans quelques mètres carrés, se retrouvent des personnes d’origines sociales
très différentes, parfois même incompatibles, mais de façon régulée. On devine qu’il y a un
véritable acte d’allégeance, comme une loi invisible à laquelle les voyageurs obéissent.
Pourquoi, comment, quelle organisation visuelle, sonore, tactile, doit-on mettre en place
pour que cet espace de transport fonctionne au mieux ? Ce sont là les sujets sur lesquels
nous aimons travailler.
AD : comment cela se traduit dans votre quotidien ?
YK : l’unité Design & Projets culturels, d’un peu moins de 15 personnes, assure le pilotage
et la cohérence des différents projets de développement de produits, dans le cadre d’une
politique où la qualité des espaces de transport constitue une des finalités stratégiques de
l’entreprise.
Nous collaborons avec des unités situées dans l’ensemble de l’entreprise, soit avec peut-
être une centaine de personnes qui se retrouvent impliquées dans la gestion du sensible au
travers de leurs activités techniques. L’unité Design & Projets culturels tire une partie de sa
force et de sa légitimité de son positionnement transversal, au service de tous les modes
(métro, bus, RER, tramway) et de tous les métiers (ingénierie, exploitation, maintenance,
communication, commercial ...).
44
Le travail consiste pour nous à écrire à chaque fois un cahier des charges soigné, d’instruire
les processus de décision conduisant à choisir les bons projets de design (par des
consultations, des jurys, etc ...) puis à assurer le pilotage des études de design dans le cadre
du processus de management de projet de l’entreprise. Nous veillons à ce que chaque
projet intègre les objectifs d’usage et de sens en réponse à l’attente des voyageurs et aussi
des clients institutionnels.
C’est pourquoi nous devons intervenir le plus en amont possible pour stabiliser le design à
temps et garantir un minimum de dérive en coûts ou en délais dans les projets. Cette
implication dans l’opérationnel permet de diffuser cette approche du sensible dans
l’ensemble de l’entreprise. Pour que chacun puisse agir ultérieurement à son niveau, à
chaque instant.
C’est un véritable travail d’Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage, mais également de «
maïeuticien » au sein de l’entreprise.
AD : Pourquoi cette articulation design & culture ?
YK A la Ratp, le design management vise à réintroduire une émotion positive et de bien-être
dans les déplacements. On ne vise pas à faire des espaces de transport un lieu de loisirs
mais un lieu à vivre.
L’espace public, dont nous avons la charge, est un outil éminent de lien social, qu’on ne
peut bonifier qu’au travers d’une approche multidisciplinaire. Réfléchir par le design permet
pour nous de penser notre cadre de vie, le cadre dans lequel un piéton, un individu, une
personne va se déplacer.
A partir du ressenti du voyageur, l’objectif de la RATP est de satisfaire une exigence «
sensible » : parce que tous les sens sont sollicités dans le trajet et que cela permet de
toucher la personne qui est dans chaque voyageur.
Vous comprenez bien que la dimension culturelle s’impose d’elle-même : l’inscription de
notre politique de design et d’architecture dans le patrimoine et l’histoire des transports
publics franciliens et son ambition à
projeter le transport dans son
époque, dans sa modernité,
constitue un enjeu culturel.
La station Arts et métiers
45
C’est donc sur la base d’un raisonnement de fond que s’est mise en place à la RATP une
action culturelle qui ne se limite pas à des ré-actions face à des opportunités mais qui se
traduit en une politique construite sur la base d’une stratégie. En tant qu’acteur important de
la culture urbaine, notre action se décrit donc par deux axes complémentaires :
- une politique de design et d’architecture, qui traduit cette participation culturelle active, en
faisant appel aux créateurs contemporains pour la modernisation et la création de l’univers
offert aux clients ;
- une véritable programmation culturelle cohérente.
Nos opérations visent autant la valorisation du patrimoine que leur animation, la mise en
scène des stations ou des installations culturelles dédiées. Ainsi, au moment du Centenaire
du Métro, une des actions phares a consisté à installer une oeuvre d’art public de Jean-
Michel Othoniel sur la Place Colette, à l’accès à la station Palais-Royal, devant la Comédie
Française. Ce « Kiosque des noctambules » s’inscrit dans la modernité d’une évolution
urbaine ainsi que dans l’histoire de la société.
Design de panneau extérieur
AD : Nous avons compris l’importance des arts, de la culture, du transport sensible, mais
quel sera le visage de la Ratp dans le futur ?
46
YK : résolument humain. Lorsque nous demandons à un artiste une oeuvre, ou à un
designer un
produit, nous invitons à une rencontre entre l’auteur, un contexte, un public. Nous valorisons
le mode de transport dans l’imaginaire de chacun, avec des points de repères originaux et
forts dans le paysage.
Le rôle de la RATP n’est plus aujourd’hui uniquement de rendre accessible le travail,
l’éducation, les loisirs. Elle accompagne désormais la mobilité de chacun, qu’elle soit
physique (d’un point à un autre) et mentale (changement de rythme, de situation ...). Pour
que ces changements ne se traduisent pas en stress, l’univers du transport doit intégrer des
objectifs d’émotion, d’image, de mise en scène.
Le design peut orchestrer la rencontre entre les arts et l’ingénierie dans les formidables
théâtres que sont nos espaces de transport et plus particulièrement les stations du métro.
Les projets importants vont apparaître dans les prochaines années donneront l’occasion de
souligner combien le transport participe à la culture de chacun, à la culture de la ville et de
l’époque. Il appartient au design de l’exprimer de la façon la plus saillante possible ...
* l’étoile de l’Observeur du design 2005 décernée pour les interfaces écrans des nouveaux
automates de la RATP, design de l’agence Attoma, qui a conçu, réalisé et accompagné ce
projet
"Ratp et ... design..." est imprimé depuis http://www.admirabledesign.com/Ratp-et-design
47
Annexe 3 : Ipod : ego-design ?
Ecrit par Nicolas Chomette-Bender le 17.01.2005
Suite à l’article de Gérard Caron "Apple : tout pigé !", Nicolas Chomette pousse la
réflexion plus particulièrement sur l’Ipod. Véritable phénomène de société,
spécialement aux Etats-Unis, s’est écoulé durant les fêtes de fin d’année à quatre
millions et demi d’exemplaires, dont 98% aux utilisateurs de Pc ! Dix millions sont
en circulation dans le monde. Comment expliquer cela dans un marché qui
pourtant en a vu bien d’autres ?
S’il est un objet qui s’est retrouvé dans de nombreux souliers de Noël, c’est bien le i-
pod d’Apple. Petit, léger, blanc, lisse, ergonomique (en un mot : design), il est le
premier objet symbole de ce début de siècle.
Les années 80 furent celles du walkman, les années 90 du téléphone mobile, voici le
temps du ipod.
48
Qu’importe si, question autonomie, il n’est pas le plus performant ou si sa capacité
de stockage est très supérieure au nombre de morceaux que l’on a envie d’écouter
chaque jour. L’important est de le posséder pour
signer son appartenance à la modernité. Pas de
l’exhiber comme un vulgaire sac griffé ou un
téléphone porté en sautoir. Non. Plutôt de le
suggérer. Nuance. Le protéger d’un étui. Le tenir
dans sa main. Le sentir près de soi au fond d’une
poche ou dans l’intérieur d’une doublure. Ne laisser
dépasser que ses discrets écouteurs et leur fil blanc.
L’i-pod ne se montre pas, il se reconnaît.
On l’achète pour son design et on hésite à le sortir.
Paradoxe ? Non, simple rappel que le design est une
expérience personnelle et que le plaisir d’un bel objet
est aussi pour soi.
"Ipod : ego-design ?" est imprimé depuis http://www.admirabledesign.com/Ipod-ego-design
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Annexe 4 : Approches socio-sémiotiques du design
d'environnement des lieux de distribution postmodernes
par Patrick HETZEL
Résumé
Le cadre postmoderne et la socio-sémiotique proposent de nouvelles manières de
regarder les faits de consommation. Dans le présent papier, la socio-sémiotique
permet de prendre en charge et de comprendre ce qui se passe lorsque des
individus interagissent avec des systèmes signifiants comme des lieux de
distribution.
Cette recherche part du constat que depuis une dizaine d'année, afin de mieux
comprendre ce qui se passe dans le système de distribution et dans la mise au point
d'agencements spatiaux de lieux de vente (encore appelés "design
d'environnement"), des approches nouvelles ont été développées en marketing, à la
croisée des chemins de diverses sciences sociales comme la sociologie,
l'anthropologie et la sémiotique. Ainsi, le cadre postmoderne propose-t-il une
nouvelle manière de regarder les faits de consommation. Ils ne sont alors plus
uniquement vus comme actes entrepris par un "homo economicus" poussé par une
rationalité sans faille mais aussi comme des actes relevant de la quête d'un plaisir
hédonique voire d'une expression identitaire, c'est à dire où les dimensions
symboliques opèrent au moins autant, sinon plus, que les dimensions utilitaristes. La
socio-sémiotique est alors tout naturellement une discipline clé puisqu'elle se
propose de prendre en charge et de comprendre ce qui se passe lorsque des
individus interagissent avec des systèmes signifiants comme par exemple des
marques ou surtout, comme dans le cas présent auquel nous nous attachons plus
spécifiquement, des lieux de distribution. La présente contribution cherche donc à
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mettre en perspective les développements récents Outre-Atlantique mais aussi en
Europe en matière de compréhension et d'analyse des lieux de distribution avec une
approche "socio-sémiotique" et s'inscrivant dans ce paradigme spécifique qu'est la
postmodernité. Après une explicitation de l'importance pratique et théorique du
sujet, le présent chapitre s'attache à effectuer un développement théorique des
concepts en présence afin de déboucher sur une mise en pratique de ceux-ci au
travers d'exemples, ce qui permettra, in fine, de conclure par une petite prospective
à l'usage des managers.
1. Importance du thème de recherche.
Notre propos s'insère dans une thématique générale, celle du développement de
nouveaux lieux de vente dans notre société de consommation occidentale. Il est
donc intéressant ici de rappeler que les lieux de vente sont des entités économiques
qui sont, du côté de leurs concepteurs, envisagées comme des unités devant être
profitables, c'est à dire où un retour sur investissement justifie les moyens déployés.
Si l'on se penche alors sur les résultats financiers de la plupart des entreprises de
distribution en Occident, force est de constater que dans la plupart des cas, elles
fonctionnent de façon extrêmement professionnelle. Toutes les règles actuelles du
management et du marketing y sont appliquées. Il n'y a pas de place pour
l'amateurisme. En effet, en raison du montant de plus en plus gigantesque des
investissements à réaliser lorsqu'un nouveau magasin est ouvert, il est capital de
réussir. Le lieu de vente est donc une entité qui est gérée comme un produit dans
une entreprise industrielle. D'ailleurs, le "lancement" d'un nouveau concept de
distribution est généralement minutieusement travaillé comme cela se fait pour un
produit. De ce point de vue, un concept de distribution et un lieu de vente sont au
secteur tertiaire de l'économie (les services) ce qu'un produit est au secteur
secondaire de l'économie (l'industrie). Il se gère comme un produit aux différentes
étapes de sa vie sur le marché. Tout doit être fait pour que le pré-lancement et le
lancement soient un succès mais aussi afin de retarder l'arrivée de la phase de
maturité (celle où les consommateurs commencent à juger le concept marketing du
distributeur comme obsolète). C'est aussi la raison pour laquelle, très régulièrement,
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l'offre doit être étendue et renouvelée afin d'offrir un nouveau sujet de
communication, d'attirer de nouveaux clients et faire revenir d'anciens clients. A
l'heure où les consommateurs deviennent volatiles et exigeants, difficiles à fidéliser, il
faut trouver des raisons de les faire venir ou revenir. On peut d'ailleurs ici aussi tirer
un parallèle avec l'industrie automobile, qui est de plus en plus obligée, durant la vie
d'un produit sur le marché, d'effectuer une opération de "re-styling" du véhicule pour
séduire à nouveau les acheteurs. Dans un tel environnement, il faut donc que les
financeurs aient à faire à des véritables professionnels dès la phase de pré-
lancement car un échec au moment du lancement n'est généralement plus
rattrapable.
Les marketeurs en charge du développement de nouveaux concepts de distribution
ont compris que le plus important était de plaire à la clientèle, l'objectif final étant de
les faire acheter. Il y a de plus en plus une déconnexion entre l'univers de la
conception de l'offre par les professionnels et celui de la réception de celle-ci par les
consommateurs. En effet, là où l'offre est perçue par les clients comme
extraordinaire, surprenante, irrationnelle, les logiques qui ont prévalu pour sa
réalisation relèvent bien plus de l'ordinaire, du non-surprenant et du rationnel.
Finalement, il y a deux logiques qui se superposent dans les lieux de vente mais qui
ne se rencontrent pas. D'une part la réalisation d'un concept de distribution est le
résultat de nombreuses réunions, d'imposants dossiers, de discussions où il n'y a
pas de place pour l'imprévu. D'autre part, le résultat sera d'autant plus pertinent que
les consommateurs y découvriront au contraire tout à fait autre chose: le rêve,
l'imprévu, la possibilité de s'évader de leur quotidien. Finalement, l'individu a été
placé au centre du processus. Tout est construit de telle sorte que l'on minimise la
probabilité de rejet d'un concept de distribution par la clientèle. Il faut le faire aimer,
de préférence avant même de l'avoir ouvert. On peut même, avec un certain cynisme
affirmer que si les financiers acceptent le projet, eux qui sont d'habitude tellement
réticents, la probabilité que les consommateurs acceptent l'idée est très forte. Les
financiers sont devenus la première barrière à la réalisation car en raison du montant
des investissements, ils sont devenus incontournables.
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C'est dans ce contexte spécifique de la distribution occidentale que la question de la
compréhension des lieux de distribution et de la capacité à lire le sens sous les
signes qu'offrent les agencements spatiaux de lieux de vente est devenue essentielle
pour les managers de l'univers de la distribution. Les recherches menées sur le plan
académique en marketing ont donc tout naturellement cherché à alimenter ces
réflexions en fournissant aussi bien des grilles de lecture de ce qui se passe sur le
lieu de vente que des éléments d'interprétation de l'évolution globale du système
distributif comme en attestent par exemple les récentes publications de Sherry
(1998) et Schmitt (1999) aux États-Unis.
2. Des concepts à la croisée des chemins.
2.1. De la postmodernité.
Dans cette partie, pour montrer quel est l'intérêt de recourir à un cadre postmoderne
pour aborder les enjeux actuels que comportent la distribution et l'évolution de la
consommation, nous traiterons successivement des grandes lignes du courant
postmoderne et de ce que ce cadre d'analyse apporte au marketing.
2.1.1. De la postmodernité en général.
La postmodernité est un concept caractéristique de l'histoire culturelle de l'Occident.
Il apparaît dans les années soixante dix dans plusieurs disciplines des sciences
humaines. D'abord utilisé par les architectes, on peut considérer que le lancement
de ce concept est largement dû à Daniel Bell (1973; 1976) qui affirme que l'époque
postmoderne se caractérise par une rupture, par la fin du modèle bourgeois qui était
l'apanage de la modernité. Il situe d'ailleurs l'époque moderne, qui est l'ère du
développement du capitalisme, entre la fin du 18ème Siècle et la décennie soixante
dix du 20ème Siècle, c'est à dire sur une période d'environ 200 ans. Avant, il y a
pour lui l'ère traditionnelle, et après, l'ère postmoderne. Pour être précis, l'idée de
postmodernité n'a de sens que par rapport à la modernité. D'un point de vue
historique, la première fois que le concept de modernité apparaît, c'est à l'époque de
la Renaissance lorsque l'on fait une opposition entre les Anciens et les Modernes.
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Cependant le sens actuel de la Modernité, nous le devons aux sociologues
allemands tels que Weber ou Simmel qui ont opposé société industrielle, capitaliste
et société artisanale, qualifiant la première de moderne et la seconde de
traditionnelle. Reprendre aujourd'hui cette terminologie pour la postmodernité, c'est
indiquer qu'on a à faire à un changement entre deux époques, c'est admettre une
historicité des faits sociaux.
Ce concept de postmodernité connaît donc depuis une vingtaine d'années un large
développement à la fois en Amérique du Nord et en Europe. On peut entre autre
identifier une importante école française de la postmodernité. Certains auteurs s'en
réclament explicitement comme Lyotard, Deleuze, Derrida, Habermas, Ferry ou
Maffesoli, et d'autres s'y rattachent implicitement comme Foucault, Baudrillard ou
encore Virilio. La postmodernité peut être définie de différentes manières, mais ce qui
semble rassembler tous les auteurs qui abordent ce sujet, c'est d'accepter avec
Lyotard (1979) que l': "On tient pour postmoderne, l'incrédulité à l'égard des
métarécits". Ainsi la postmodernité se caractérise par le fait qu'il n'existe plus
d'idéologie ou de système de pensée unique permettant de conférer le sens à la vie
en général ou de percevoir une vérité globalisante. Une conception postmoderne de
la société est donc en rupture idéologique avec les valeurs modernes de progrès,
d'évolution vers un monde meilleur ou d'utopies collectives.
2.1.2. Postmodernité et marketing.
Le concept de postmodernité a fait son apparition en marketing assez récemment,
essentiellement grâce à des auteurs nord-américains comme Hirschman, Holbrook,
Firat ou Venkatesh, mais aussi européens comme Badot et Cova ou Brown en
Grande-Bretagne. Il a donné lieu à quelques contributions majeures, notamment à
une réflexion quant aux paradigmes permettant d'appréhender la complexité de la
consommation postmoderne (Hirschman, Holbrook, 1992), le rôle du marketing dans
la société de consommation actuelle (Firat, Venkatesh, 1993; Ostergaard, 1993) ou
encore la composante narrative du marketing vu comme une instance de production
et de légitimation de discours dans la société (Brown, 1995 et 1998). En France, ce
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concept a essentiellement été développé par Badot et Cova (1992a; 1992b), à la fois
dans un ouvrage et un papier de recherche. Cependant le travail qui nous intéressera
le plus ici est celui de Francesco Morace (1990) qui pose l'enjeu essentiel du
marketing comme étant l'intégration des nouvelles modalités d'accomplissement des
individus dans une société postmoderne.
Tout et son contraire deviennent possibles. Tous les styles, toutes les tendances
bénéficient du droit à l'existence. Nous en voulons pour exemple la présence parmi
les créateurs de mode, de gens qui réalisent des collections très différentes, comme
par exemple Karl Lagerfeld, Claude Montana, Jean-Paul Gaultier ou Christian
Lacroix.
Les tribus remplacent les classes sociales. "La dynamique sociale de la
postmodernité est faite d'une multiplicité d'expériences, de représentations,
d'émotions quotidiennes trop souvent négligées. (...) A la logique de l'identité est en
train de succéder un processus d'identification à un groupe, un sentiment, une
mode. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'émergence des réseaux, des petits
groupes, des rassemblements éphémères et effervescents au sein de la société de
masses." (Maffesoli, 1988)
Les systèmes de valeurs se transforment. "La société postmoderne n'a plus d'idole,
ni de tabou, plus d'image glorieuse d'elle-même, plus de projet historique, c'est
désormais le vide puissant sans logique, ni apocalypse." (Lipovetsky, 1983)
Les phénomènes de mode s'amplifient et envahissent tout le système des objets et
la création de lieux de commercialisation. Dans une société postmoderne, les
phénomènes de mode s'appliquent non seulement au secteur de l'habillement mais
aussi à tous les secteurs où la possession matérielle conduit les individus à exprimer
leur identité au travers de ce qu'ils possèdent, utilisent ou consomment.
A travers le concept de postmodernité, le marketing peut donc étendre son champ
d'action puisqu'il devient lui-même un fait culturel. Il n'est plus l'expression d'une
non-culture, mais bien l'expression culturelle de l'époque postmoderne. Cette
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époque offre de nouvelles possibilités, notamment pour faire coexister des éléments
qui auparavant étaient considérés comme opposés. Ne voit-on pas se développer
les vêtements unisexes ? (ce qui dans l'époque moderne paraissait encore
impossible). Marion (1992) dit par exemple à ce sujet: "pour ce qui concerne les
classes moyennes des pays développés, on assisterait à la cohabitation des pôles
tradition/modernité et à la coexistence de la diversité des goûts, gommant
notamment dans le sportswear, les oppositions traditionnelles entre le masculin et le
féminin, les jeunes et les moins jeunes, les old-fashioned et les fashion victims, etc.
(...) On comprend alors toutes les difficultés suscitées par la recherche de groupes
homogènes pouvant constituer des segments de la demande." Tout ceci autorise
par exemple les chercheurs de la Domus Academy de Milan, à proposer ce qu'ils
appellent un marketing des tendances, c'est à dire un marketing qui tient compte de
trois impératifs (Bucci, 1992): "L'éclatement (d'un marché de masse à une masse de
marchés), la vitesse ( des caractéristiques stables et objectives du produit à la
référence volatile à une tendance de mode) et l'intangibilité (des attributs matériels du
produit à ses attributs immatériels et symboliques)".
Pour conclure cette partie consacrée au cadre d'analyse "postmoderne", on peut
aussi ajouter que deux grands moments théoriques se succèdent assez nettement à
l'intérieur même de ce courant de la postmodernité. D'une part, des chercheurs en
sciences sociales comme Baudrillard (1968, 1970, 1972) et Bourdieu (1979)
défendent un point de vue idéologique où la consommation est avant tout un
mécanisme de distinction de classe et contribue à la reproduction sociale. D'autre
part, des sociologues dont les productions sont plus récentes comme celles de
Maffesoli (1988, 1990) ou Lipovetsky (1983, 1987) adoptent un point de vue différent
puisqu'ils mettent plutôt l'accent sur le rôle que va jouer la consommation pour
affirmer les stratégies personnelles des acteurs. Nous nous efforcerons plus loin de
montrer qu'entre ces deux approches il ne faut pas forcément choisir puisque ce qui
fait la spécificité des phénomènes de consommation, c'est justement leur caractère
"ago-antagoniste" permettant la coexistence de logiques contraires qui peuvent être
pleinement exploitées par le système de distribution.
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2.2. De la socio-sémiotique.
Cela fait désormais une trentaine d'années que la socio-sémiotique est peu ou prou
utilisée par les marketeurs pour analyser certaines situations de consommation ou
encore pour analyser des objets de communication. Loin de s'amoindrir, cette
tendance des années 60 semble connaître périodiquement un regain d'intérêt et les
années 90 n'y échappent pas. En France, où ce courant s'est largement répandu,
praticiens et chercheurs ont beaucoup contribué à la diffusion des connaissances
élaborées par les sémiologues de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
par la mise en oeuvre des concepts et leur application à des "corpus" de l'univers du
marketing (dépouillement d'enquêtes qualitatives, analyses de messages
publicitaires, d'études de concepts de distribution et compréhension du design
d'environnement, etc.). Nous pensons en effet, avec d'autres, qu'une discipline
comme le marketing ne saurait ignorer les trente années de pratique et de
coopération entre sémiologues et marketeurs. Notre travail tentera de cerner les
apports essentiels qui en résultent, avec tout ce que cela peut éventuellement
impliquer en terme de renouvellement des perspectives et des objets de recherche,
car les sémiologues nous proposent parfois une autre vision du monde. Ces
différences d'approches, loin d'appauvrir le marketing, peuvent contribuer à l'enrichir
(Hetzel et Marion, 1993). En tout cas, le projet "socio-sémiotique postmoderne" a
pour vocation de s'intéresser aux modalités de production et de réception du sens
afin d'établir une théorie de la signification (Gottdiener, 1995) voire une théorie du
shopping (Miller, 1998).
3. Lire un l ieu de vente comme un texte: vers une socio-sémiotique des
l ieux de vente.
La socio-sémiotique peut être un cadre fructueux dans deux contextes décisionnels
différents: d'une part au travers d'une étude de la demande avant l'ouverture d'un
nouveau concept afin de mieux intégrer les attentes des futurs clients ou encore
étudier les spécificités de l'univers concurrentiels afin de mieux se positionner,
d'autre part, en phase aval de l'ouverture du lieu de vente afin d'en faire évoluer le
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concept et le design d'environnement au travers d'une compréhension générale de
l'évolution de la distribution.
3.1. Vers une compréhension locale de la distr ibution.
La création d'un lieu de vente suppose que deux évaluations soient préalablement
effectuées. La première se rapporte aux flux quantitatifs de clients potentiels. La
seconde, qui nous concerne ici, est plus qualitative: comment organiser l'espace
commercial en accord avec les attentes des clients ? Comment guider les
responsables chargés de l'agencement concret d'un espace commercial sinon en se
portant à l'écoute des clients potentiels. Le recueil d'un certain nombre d'opinions au
cours de réunions de groupe est une méthode traditionnelle pour repérer les souhaits
et les insatisfactions des consommateurs. Cependant cette étape est insuffisante si
l'on se contente de délivrer une série de remarques plus ou moins bien organisées.
Une telle liste est inutilisable aussi bien pour le décideur que pour le responsable
d'études qui voudrait procéder à une quantification de ces opinions. La création d'un
nouvel hypermarché à Lyon (France) a donné lieu à une contribution originale de la
sémiotique, comme l'indique Floch (1989) qui a d'ailleurs réalisé l'analyse sémiotique.
Le travail sémiotique a constitué à reconnaître, derrière la diversité des expériences
rapportées au cours des réunions de groupe, un nombre finalement restreint de
comportements, de critiques ou de souhaits. Certes, chaque consommateur
manifeste des attentes spécifiques mais si l'on aborde ces souhaits comme autant
de programmes d'action, il est possible de les définir les uns par rapport aux autres à
partir des quelques valeurs qui les composent. Il n'est pas possible ici de restituer
l'ensemble des discours recueillis, mais on peut reprendre le carré sémiotique
structurant les réponses à la question: "pourquoi aller dans un hypermarché ?".
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Figure 1: Carré sémiotique synthétique des réponses à la question: "Pourquoi allez
vous au
supermarché?"
Source: Jean-Marie
Floch, 1989, La
contribution d'une
sémiotique
structurale à la
conception d'un
hypermarché,
R.A.M., Volume 4, N°2, Pages 37-59
Une fois ce carré réalisé, il devient alors possible d'établir un lien entre les grandes
catégories de valeur recherchées par les consommateurs et leur traduction concrète
dans le lieu de vente.
Une autre forme d'analyse sémiotique consiste à réaliser une interprétation de
l'univers concurrentiel en présence afin de mieux asseoir son propre positionnement
avant le lancement d'un nouveau concept de distribution. C'est dans cette
perspective que se situe par exemple l'approche qui a été utilisée en amont du
concept de distribution "Baiser Sauvage" en Rhône-Alpes avant son ouverture
(Hetzel, 1993). En effet, une étude socio-sémiotique basée sur une analyse d'un
corpus photographique de l'univers concurrentiel a permis de mettre en évidence
que les formes les plus évoluées et performantes de distribution de lingerie (des
concepts de franchise comme par exemple Princesse Tam-Tam ou encore des
succursalistes comme Etam) avaient substitué au sacro-saint comptoir, un
agencement spatial où la cliente pouvait aller directement au contact du produit. Ce
passage du "comptoir" au "libre-service" était intéressant à observer car il signifiait
aussi que l'on mettait l'accent sur une nouvelle forme de relation avec la clientèle.
Dans le premier cas, ce qui domine, c'est la notion de besoin puisque le préalable à
Fonctionnalité Taille humaine Rapidité Convivialité
Valeurs utilitaires Valeurs existentielles
(valeur d'usage) (valeur de vie)
PRATIQUE UTOPIQUE
CRITIQUE LUDIQUE
Valeurs non existentielles Valeurs non utilitaires
Calcul Flânerie
Distanciation Pur plaisir
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la mise en contact entre la cliente et les produits, c'est une phrase du type: "de quoi
avez-vous besoin ?". Dans le second cas, la cliente pouvant être en contact direct
avec les produits sans l'entreprise d'une relation formalisée avec une vendeuse, elle
peut plus facilement laisser libre cours à ses envies et non plus se situer dans une
perspective du besoin. De toute évidence, ce que les magasins "traditionnels" de
distribution de lingerie n'avaient pas encore intégré, c'est que le libre-service était
devenu une règle incontournable. Comme toutefois, ces magasins étaient encore
souvent détenteurs de la commercialisation de grandes marques, un nouveau
concept de distribution pouvait donc voir le jour en associant libre-service et mise à
disposition de grandes marques, ce qui au moment du lancement de "Baiser
Sauvage" allait constituer une offre novatrice.
Pour finir avec ce point, un autre exemple assez révélateur de cette tendance, c'est
celui des marques Pimkie et Agnès B. (Hetzel, Aubert, 1993). Au travers de l'exemple
de ces deux marques, les auteurs montrent l'intérêt d'une démarche sémiotique
dans la phase de mise en place d'une offre. En effet, une approche de type
sémiotique peut permettre d'aller de la phase d'analyse de l'identité d'une marque
jusqu'à la mise en place d'un espace commercial. Ainsi est proposé aux managers
et aux designers un outil d'articulation du sens qui, dès la phase de conception, leur
permettra de réfléchir et de dialoguer ensemble sur la manière dont l'agencement de
l'espace de vente peut contribuer à la maximisation du processus commercial et à la
satisfaction des clients. De plus, lorsqu'on réalise un nouveau projet de design
d'environnement commercial, cela donne lieu à une réflexion sur la façon d'intégrer
les processus de perception de l'obsolescence des points de vente générés par des
phénomènes de mode.
3.2. Vers une compréhension globale de l 'évolut ion de la distr ibution.
Les approches socio-sémiotiques permettant une compréhension générale de
l'évolution de la distribution ne manquent pas. Ainsi, Marc Augé met-il en perspective
le degré de "non-lieux" (1992) que comportent par exemple les supermarchés ou les
hypermarchés tout en insistant sur la relation contractuelle entre l'entreprise et son
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client, ne serait-ce qu'au travers du caddie que celui-ci pousse devant lui. Dans une
approche plus managériale, Véronique Aubert (1996) met en lumière les modalités
d'appropriation et de détournement des lieux tertiaires par le client en se servant
pour cela d'une approche de type socio-sémiotique telle que mise au point par
Veron et Levasseur (1991). Witold Rybczynski (1986) quant à lui, utilise une grille de
lecture sémiotique pour développer l'idée que dans notre société occidentale, l'un
des thèmes centraux des espaces marchands est devenu celui du "chez soi" afin
d'établir une plus grande proximité entre le client et l'espace marchand. Avec une
approche similaire mais peut-être plus structuraliste, Gottdiener (1997) montre que
les espaces commerciaux contemporains aux États-Unis sont marqués par une forte
"thématisation". C'est à dire, que ce qui est vendu, ce ne sont plus uniquement des
produits mais c'est tout un espace thématique dont la vocation est de contribuer à
ce que les consommateurs découvrent un peu de rêve, qu'ils s'évadent de leur
quotidien. C'est d'ailleurs une démarche assez similaire qu'utilise par exemple Ana
Claudia Alves de Oliveira (1996) pour établir une socio-sémiotique interprétative des
vitrines de magasins, permettant ainsi de déceler le sens sous les signes. De sorte
qu'avec Nigel Thrift (1996), on retiendra l'idée forte qui se dégage généralement des
approches socio-sémiotiques des lieux de distribution: il est indispensable d'explorer
les interrelations entre les consommateurs, les lieux et les systèmes d'objet puisque
les lieux sont des construits sociaux à la fois produits par la distribution et
reconstruits par la consommation. Dans ce qui suit, nous allons donc donner
quelques clés de cette lecture "socio-sémiotique" des lieux de vente.
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4. Un design d'environnement qui s'est complexif ié à travers le temps.
Pour montrer combien l'agencement spatial des lieux est devenu complexe et
sophistiqué au sein d'un certain nombre de points de vente, nous proposons de
passer en revue quelques exemples susceptibles d'illustrer cette idée générale.
4.1. La st imulat ion des cinq sens et l ' intertextual i té publ ic/privé: les
magasins Ralph Lauren.
Les concepts de distribution qui cherchent à systématiser un travail sur les cinq sens
ne sont plus isolés. Dans tous les grands centres commerciaux aux États-Unis, on
peut aujourd'hui en compter plusieurs: ils s'appellent Ralph Lauren, Rain Forest
Caffee ou encore Nature Company. Dans de précédentes publications, nous avons
déjà mis en évidence quels étaient les fondements du magasin Ralph Lauren de la
Place de la Madeleine à Paris (Hetzel, 1995a) ou encore ceux qui sous-tendaient le
concept Nature & Découvertes, version française et adaptée du concept d'origine
californienne "Nature Company" (Hetzel, 1995b). Dans ce qui suit, nous allons
simplement reprendre quelques uns des éléments les plus caractéristiques de ces
concepts afin de montrer combien il s'agit là d'un travail sur les cinq sens et surtout
aussi pour insister sur le fait que ces marques ou enseignes cherchent à créer une
ambiance très particulière qui a plutôt pour objectif de passionner le consommateur
et de créer chez lui une émotion plutôt que de le faire réfléchir sur son processus
d'achat. Ce qu'on lui vend alors, c'est toute une expérience, un vécu, un plaisir
d'achat et non pas simplement un objet. Pour appréhender ce genre de
phénomènes, des chercheurs comme Holbrook et Hirschman (1982) nous
proposent d'ailleurs un modèle spécifique, qu'ils ont qualifié d'"expérientiel". Au
travers d'une telle approche, on peut prendre conscience du fait que le client vit alors
une véritable "expérience". Par ailleurs, on pourrait aussi aller jusqu'à dire que le rôle
de ce genre de concepts aujourd'hui dans le système de distribution est comparable
à celui que Jacques Séguéla assignait en son temps à sa publicité, c'est à dire de
réenchanter le monde, développer une poésie publicitaire autour du système des
objets industriels, que la technique avait contribué à désenchanter (Séguéla, 1979).
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Car si l'histoire du commerce a conduit à l'avènement de la distribution,
parallèlement on a aussi pu constater la déshumanisation des lieux de vente et le
passage du marchandage à l'étiquetage. Des concepts qui réinventent la sollicitation
des cinq sens sont alors la forme moderne, revue et corrigée à l'aune de la société
de consommation, des souks traditionnels où régnaient le marchandage et la
sollicitation des cinq sens. On peut alors noter que l'échange marchand n'est pas
qu'un simple achat, il est une véritable expérience, il fait référence à un vécu, lequel
est au moins aussi important que le bien qui sera transféré au moment de la
conclusion de la négociation. Le lien et le bien sont dans ce cas indissociables (fer à
ce sujet, l'intéressante approche développée par Cova, 1995).
Chez Ralph Lauren, entreprise où le marketing joue un rôle important, les
concepteurs du lieu ont travaillé sur les cinq sens pour essayer de donner une
"impression" au consommateur et générer chez lui une émotion toute particulière en
jouant même sur la saturation des cinq sens. C'est en cela que nous pensons que
Ralph Lauren est un concept de distribution particulièrement intéressant et riche car
en avance par rapport à beaucoup d'autres concepts de distribution qui n'avaient
pas encore poussé aussi loin le caractère systématique de la prise en compte des
cinq sens du consommateur dès la phase de constitution et de conception de l'offre.
Pour décrire la boutique, nous passerons en revue plus particulièrement quatre
aspects: l'agencement intérieur, l'univers de Ralph Lauren, la stimulation des cinq
sens et l'intertextualité espace public/espace privé.
4.1.1.L'agencement intérieur.
Contrairement aux boutiques japonaises qui sont des structures géométriques très
dépouillées, la boutique Ralph Lauren, de par l'accumulation de détails, fait plus
penser à un intérieur de maison (d'où les vitrines dans le magasin, les tableaux, les
fauteuils, etc.). Tout a été construit comme si l'on se trouvait dans la maison de
Ralph Lauren. Se trouver dans ce lieu, c'est donc déjà voler un peu d'intimité au
propriétaire... Contrairement à ce qui se passe dans les boutiques japonaises qui
offrent une perspective architecturale (surface unie sur surface unie, lignes droites,
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etc....), la boutique Ralph Lauren joue sur la prolifération des objets (empêchant ainsi
le client d'avoir une vue d'ensemble car chaque détail attire le regard). Ralph Lauren
s'impose ainsi plus comme le symbole d'un classicisme européen contre une sorte
de modernisme oriental. Chez Ralph Lauren, tous les thèmes abordés dans le lieu de
vente sont européens. L'exotisme y a valeur de découverte (le détail décoratif va
jusqu'à la longue vue). Contre toute attente, il y a de l'exotisme chez Ralph Lauren
mais on ne le retrouve pas autant dans la forme que dans le contenu (les détails).
4.1.2. L'univers Ralph Lauren.
Celui-ci est basé sur deux principes:
* l'harmonie des couleurs (avec un décor en acajou, du cuir, des couleurs chaudes,
la laine des tapis) qui donne le sentiment d'être à la température idéale.
* les détails développent tous les mêmes thèmes (par exemple: les tableaux et les
antiquités).
Ainsi, tout ce qui est hors du commerce mais qui fait le contexte de la vente est
présent pour donner l'image de ce qui est à vendre. Il n'y a pas de différence
significative entre ce qui est à la vente et ce qui ne l'est pas. En fait, les objets qui
donnent un sens à la vente ne sont pas mis en vente. Le vêtement, comme dans
beaucoup de lieux de vente, pourrait donner sens au détail; ici au contraire, c'est le
détail qui donne le sens du vêtement car le détail appartient à un schéma culturel.
4.1.3. La stimulation des cinq sens.
Tout est fait pour que l'on s'identifie au propriétaire des lieux. Or, à force de se sentir
chez soi, on finit par désirer pour soi même ce qui est là. Aussi, pour ne pas se sentir
exclu d'un univers que l'on apprécie, à la sortie de la boutique, on achète quelque
chose. Le consommateur n'achète alors pas un simple vêtement ou un simple objet
mais plutôt un morceau de l'âme du lieu où il se trouve. Si l'on admet l'hypothèse
que dans le lieu de vente Ralph Lauren, on trouve des éléments de sollicitation des
cinq sens, alors il ne reste qu'à les passer en revue pour voir comment certains
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facteurs environnementaux du lieu de vente renvoient à tel ou tel sens. C'est ce que
nous allons faire ici.
- La vue:
L'espace de vente est cloisonné, il fonctionne comme la maison de Ralph Lauren
avec des pièces qui se succèdent et qui sont aménagées différemment (comme
dans une maison). Tout y est rangé comme s'il y avait un propriétaire des lieux,
porteur des vêtements qui sont accrochés, comme s'il y avait un utilisateur des
accessoires qui s'y trouvent.
- L'odorat:
Rien dans le lieu n'est parfum de synthèse, rien n'est industriel, on y trouve des
odeurs de cire, de parfum Ralph Lauren, de parfum de fleurs, de bois de cuir.
- L'ouïe:
Il s'agit plus d'une absence de bruits. Les tapis étouffent les pas, l'écho des
parquets. Les bruits sont globalement assourdis, par un environnement qui ne laisse
aucune place au vide: bois, tapis, cuir, etc.
- Le toucher:
Comme ce qui est élément de décor n'est pas différencié de ce qui est à vendre, le
seul moyen de le savoir est d'avoir un contact direct avoir le produit: toucher les
étiquettes pour voir par exemple le prix. L'univers produit chez Ralph Lauren découle
d'une esthétique du "lisse". L'objet n'est pas à vendre dès lors que le grain des
matières (encore plus que les couleurs) laisse supposer qu'il est usé par le temps.
C'est l'articulation entre la vue et le toucher qui permet de faire la distinction entre ce
que le consommateur peut acheter et ce qu'il ne peut acheter.
- Le goût:
Ce sens peut-être saisi par deux types de choses:
65
* le thé ou le café qui sont offerts, des produits typiquement coloniaux qui viennent
mettre en exergue la notion d'exotisme
* le whisky qui est également offert à toute personne qui achète une "grosse pièce".
Ce dernier produit répond à une tradition purement anglo-saxonne, à une civilisation
qui est à la base de l'univers de Ralph Lauren.
Tous ces éléments sont là pour saturer de façon homogène, convergente et
complète les cinq sens du consommateur. Alors que dans certaines esthétiques
modernes ou asiatiques (les boutiques japonaises par exemple), une seule chose
prime comme plaisir esthétique (ce qui est visuel et abstrait); la boutique Ralph
Lauren quant à elle, fonctionne sur quelque chose de global touchant aux cinq sens
et de détaillé. En fait, ce qu'opère Ralph Lauren, c'est ce que nous appelons
"impression synésthésique". Il n'y a pas d'hétérogénéité entre les cinq sens. Tous les
éléments de l'environnement convergent et renvoient à un même code culturel de
type anglo-saxon. Le magasin est ainsi une sorte de "petite maison idéale" où tout a
pour but de solliciter les sens du consommateur pour qu'il se sente bien et pour qu'il
ressorte avec un produit qui lui rappellera ce moment de bien être. C'est ceci la
création de la valeur chez Ralph Lauren et elle permet d'expliquer que des produits
se vendent à des prix élevés.
4.1.4. L'intertextualité espace public/espace privé.
Comme le fait fort justement remarquer Rybczynski (1986) ce qui caractérise notre
époque postmoderne, c'est la manière dont l'espace public et l'espace privé se
trouvent de plus en plus entremêlés. Une fois de plus, les États-Unis sont à l'avant-
garde de cette tendance, particulièrement présente dans un contexte comme celui
des magasins Ralph Lauren. En effet, le créateur de mode fut parmi les premiers à
vouloir construire un lieu de vente qui puisse donner l'impression d'un lieu privé: le
magasin doit donner l'impression au client de se trouver dans la maison de Ralph
Lauren. Sur le plan de l'expression, cela s'exprime avec une mise en scène tout à fait
comparable à celle d'une maison. Pour atteindre cet objectif, la marque a eu recours
66
à des professionnels provenant de deux origines complémentaires: des architectes
spécialisés dans les décors de films et d'autres spécialisés dans la muséographie. En
effet, il fallait tout faire pour donner l'impression que le lieu est toujours habité, lui
donner un caractère "authentique", domaine dans lequel les architectes
susmentionnés excellent bien évidemment. Le résultat, c'est que le lieu public (le
magasin) prend tous les attributs du lieu privé (la maison). De fait, même si le
consommateur ne s'y trompe pas et qu'il a tout à fait conscience qu'il se trouve dans
un lieu public, cette rhétorique a toutefois une vocation implicite: celle de rapprocher
le client de la marque. En effet, il se crée ainsi un effet de mise en proximité tout à fait
intéressant entre la marque et son client. Lorsque l'on va alors jusqu'à reconstituer
une chambre à coucher (symboliquement celle de Ralph Lauren) dans le lieu de
vente, on va même jusqu'à entremêler les sphères du public et de l'intime, donnant
ainsi sans nul doute l'impression au consommateur d'avoir une réelle proximité avec
la marque pour ne pas dire le créateur lui-même. C'est une autre forme de mise en
hyper-réalité (au sens de Baudrillard) du lieu de vente.
4.2. Des sens organoleptiques au sens phi losophique: vers un concept
hol ist ique de la marque Nature & Découvertes.
Nature & Découvertes, la version française du concept nord-américain "Nature
Company" est très intéressant à analyser car il montre comment un distributeur peut
aller jusqu'à vendre un concept philosophique qui prend racine sur la fameuse
"vague verte" qui s'est développée depuis quelques années déjà en milieu urbain.
Pour essayer d'appréhender toute la complexité du concept "Nature & Découvertes",
nous proposons de décrire successivement le projet d'entreprise, la philosophie de
l'entreprise, comment elle sollicite les cinq sens et pour finir comment elle traduit son
concept sur le lieu de vente.
4.2.1.Le projet d'entreprise de "Nature & Découvertes".
"Nature & Découvertes" se positionne comme étant un lieu d'expression des "vraies
valeurs retrouvées". Sa vocation est d'aider les gens à comprendre la nature et, par
67
voie de conséquence, à la respecter. Ainsi, le concept des magasins ne se contente-
t-il pas de s'appuyer sur un mouvement favorable à l'environnement mais il prend
part pour faire de la découverte de la nature "un exercice quotidien". La charte
d'entreprise de "Nature & Découvertes" explicite très clairement cette volonté (Nature
& Découvertes, 1995):
Nature & Découvertes existe pour proposer à un public de tout âge, des
produits de qualité permettant l'observation, la compréhension, la
participation et l'appréciation du monde naturel dans un esprit
pédagogique positif.
Nous voulons que nos magasins soient des lieux d'émerveillement,
d'harmonie et d'accueil, où nos guides vous transmettront leur passion
pour la nature et les sciences naturelles.
En vous faisant partager notre émerveillement devant la beauté et la
diversité de notre planète, nous croyons, qu'ensemble, nous pouvons
chaque jour être un peu plus les protecteurs de cette oasis qu'est la
terre.
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette charte d'entreprise, c'est que les
trois paragraphes font référence à trois dimensions complémentaires:
Paragraphe 1: on évoque la vocation de l'entreprise
Paragraphe 2: on évoque la promesse, le contrat que l'on établit avec le
consommateur
Paragraphe 3: on évoque la manière dont on va intégrer l'acheteur comme acteur
dans le projet d'entreprise.
Il y a dans ce texte, pourtant très court, un enchaînement logique qui indique bien
que l'objectif de l'entreprise est de raviver le sens de l'émerveillement, de
l'esthétisme et de la convivialité qui sommeille dans chaque individu. "Nature &
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Découvertes" n'existe donc que par et au travers d'un certain idéal. L'entreprise
s'adresse à un public de tous âges, aussi bien des enfants (les futurs
consommateurs de demain) que des adultes, afin de les faire participer à l'harmonie
de la nature. Dans le but de partager cet idéal, les magasins doivent (selon les
propos de l'un des dirigeants): "Etre aussi proches et aussi merveilleux que la nature
elle-même". Ainsi, dans l'aménagement spatial des magasins, les matériaux, la
présence de points d'eau, renvoient à l'image de la nature. De même que l'éclairage,
aussi proche que possible d'une lumière naturelle doit donner l'illusion d'un "sous-
bois". On peut en déduire que le concept de "Nature & Découvertes" correspond
bien à cette thématique environnementale décrite plus haut. Voyons maintenant plus
en détail ce concept.
4.2.2. La philosophie du concept de distribution "Nature & Découvertes".
Né pour répondre à cette tendance sociétale de "retour aux sources", "Nature &
Découvertes" est une chaîne de magasins de moyenne surface, spécialisée dans les
sciences et la nature, qui rassemble un large assortiment de produits inspirés par la
nature (terre, mer, espace) et par les phénomènes qui s'y rapportent. La volonté de
"Nature & découvertes" est de créer un échappatoire avec le monde moderne et le
stress qui en découle en aidant les consommateurs à découvrir, à mieux
comprendre et à observer la nature et l'univers. Les gammes de marchandises
traitent des disciplines suivantes: astronomie, minéralogie, géographie,
océanographie, observation de la nature, botanique... de même que les cadeaux et
articles de décoration qui leurs sont liés. La clientèle ciblée est principalement
urbaine. La nature s'exprime au travers d'objets et de produits dont elle est l'unique
source d'inspiration. Ainsi, plus qu'une bonne idée, c'est un état d'esprit, un "way of
life", une nouvelle façon de voir les choses et d'appréhender la nature que "Nature &
Découvertes" cherche à diffuser comme image auprès des consommateurs. Les
magasins permettent de voir, d'écouter, d'apprécier, de sentir et de goûter la nature
toute proche mais si invisible aux yeux des populations urbaines. Le rôle de "Nature
& Découvertes" est d'ouvrir une porte vers l'émotion, l'émerveillement et le plaisir.
69
4.2.3. "Nature & Découvertes" ou la sollicitation systématique des cinq sens.
Un consommateur qui rentre chez "Nature & Découvertes" trouvera ses cinq sens
sollicités. Comme dans tous les magasins, le sens visuel sera bien entendu fortement
stimulé. Cependant ce qui fait la grande particularité de "Nature & Découvertes",
c'est que justement on ne s'arrête pas là, mais qu'on sollicite aussi les autres canaux
organoleptiques. En effet, la musique "d'ambiance" diffusée par le magasin permet
au client de découvrir des chants d'oiseaux, des sons de la forêt, de la nature. Il lui
sera aussi possible d'écouter le son de certains objets qui sont en vente en les
manipulant: les cloches, les appeaux, etc.. Le fait de pouvoir toucher tous les
produits incite le consommateur à se familiariser avec de nouvelles formes, de
nouveaux aspects de matériaux et ainsi à entrer en contact physique avec les
produits. La sensation gustative est également sollicitée puisque le client peut boire
une tisane aux herbes. Et pour finir, les odeurs naturelles dégagées par le bois, les
plantes et les senteurs artificielles diffusées, recréent l'atmosphère olfactive et
humide du sous-bois, c'est ainsi que l'on sollicite le nez du client.
En fait, sous des apparences de grande liberté et de nature retrouvée, il ne faut pas
s'y tromper. Cet environnement est un artefact, une construction pure et simple. Il
renvoie à une conception assez démiurgique des choses: imaginez donc un instant
une entreprise qui recrée la nature en ville, cela revient à se prendre pour le "grand
architecte d'un petit univers" et le consommateur a l'impression de maîtriser cette
nature recréée, ce qui n'est pas forcément le cas avec la vraie. Pour ancrer une telle
construction dans la réalité, pour rendre réel ce qui parait irréel voire impossible, il
devient alors indispensable de se servir des cinq canaux perceptuels pour donner
une impression au consommateur, bien réelle celle-ci. En effet, nul ne pourra nier
qu'il aura non seulement vu mais aussi entendu, touché, goûté et senti un certain
nombre de choses. Et ceci de façon tout à fait concrète. Il y a là un premier aspect
intéressant, et qui par exemple a été développé par un philosophe comme Virilio
(1984), c'est que le réel et l'irréel peuvent être juxtaposés dans notre civilisation
postmoderne car rien n'est plus réel que l'expérience que va vivre un consommateur
dans un magasin "Nature & Découvertes". Toutefois, la totalité de cet environnement
70
n'est qu'une construction, un artefact, en somme une "hyper-réalité". Par rapport à
beaucoup d'autres lieux de vente, il y a chez "Nature & Découvertes" une
surdétermination des effets sensoriels dans la mesure où la sollicitation se fait, en
même temps, sur tous les canaux de la perception. De plus, on peut aussi ajouter
que dans pareille situation, on ne fait pas appel à la raison du consommateur mais
on le plonge dans l'univers de ses perceptions, c'est à dire aussi de ses passions, on
stimule non pas son objectivité mais sa subjectivité.
4.2.4. "Nature & Découvertes": "Chaos ab ordo" ?
Le concept va tellement loin, que l'on fournit même aux employés des méthodes
pour réaliser de façon méthodique et ordonnée une présentation "en vrac" laissant
croire au consommateur que les objets ont été disposés de façon anarchique. Pour
nous, c'est le comble de la postmodernité: "partir de l'ordre pour générer le chaos";
alors que dans l'époque moderne c'était plutôt l'inverse, on s'efforçait toujours de
mettre de l'ordre dans le chaos, du moins chez les distributeurs. En somme, de la
maxime latine "ordo ab chaos" on passe à la maxime "chaos ab ordo". Là encore, on
peut s'apercevoir que c'est un cas intéressant où l'entreprise adopte des techniques
de marketing en totale adéquation avec la demande sociale: si les consommateurs
veulent avoir l'impression d'être libres sur le lieu de vente, qu'à cela ne tienne, on
développera de façon méthodique une disposition qui aura pour objectif de traduire
la "non-organisation". Ainsi "Nature & Découvertes" va jusqu'à organiser le non-
organisé (cela, le Club Méditerranée par exemple, l'avait fort justement compris voici
plusieurs décennies déjà).
Comme dans l'Emile de Jean-Jacques Rousseau, où l'auteur préconise une
éducation en contact direct avec la nature et où l'homme s'habitue à éduquer ses
sens et apprend à tirer de justes conclusions de ses propres expériences, "Nature &
Découvertes" propose une expérience où l'individu va s'immerger dans la nature:
celle recréée par l'entreprise pour les besoins de la cause. En somme, rien n'est trop
beau pour le consommateur puisqu'on va jusqu'à lui reconstruire, près de chez lui ce
"micro-univers" naturel dans lequel il pourra aller se replonger...
71
Chez "Nature & Découvertes", la nature devient donc objet de culture et la culture
sert à découvrir la nature. Cela est très astucieux car l'enseigne s'adresse bien
entendu avant tout à des consommateurs urbains, tiraillés entre cette éternelle
opposition entre nature et culture. L'enseigne, comme la plupart de nos enseignes
de création récente, s'inscrit dans notre temps mais elle cherche à puiser des
références, des valeurs, dans l'univers de la nature humaine voire de la philosophie.
Le discours de l'entreprise devient alors très intéressant car sous des apparences de
liberté, on propose une vision holistique qui est dans l'"air du temps": réconcilier
ceux qui n'ont cessé de s'éloigner de la nature (c'est à dire les urbains) avec elle.
D'ailleurs, ce projet est aussi réaffirmé dans beaucoup de documents et catalogues
de l'entreprise où l'on trouve une citation d'un chef indien: "Nous n'héritons pas la
terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants". Le discours de l'entreprise
à cet égard est très évocateur, puisqu'on trouve des messages comme: "Il faut
redonner goût aux choses simples", "Il faut permettre aux individus de s'émerveiller
comme lorsqu'ils étaient enfants", "Il faut aider les consommateurs à trouver une
harmonie avec le cosmos". De toute évidence, cette entreprise fait plus que de
distribuer des produits...
5. Un design d'environnement où les marques mettent en scène des
l ieux de vie.
Ce qui est particulièrement caractéristique avec les concepts actuels de la
distribution, c'est que l'on ne se contente plus de travailler sur une mise en scène
des produits mais que l'on demande déjà aux architectes de faire un travail de mise
en scène du lieu. Le tout étant, in fine, de trouver une harmonie entre le lieu et ce
qu'il vend. Sans compter que dans un certain nombre de cas, ce qui est vendu avant
tout, c'est déjà une ambiance, une "magie du lieu". Le client qui repart avec un
produit, ne fait alors que repartir avec la "trace", l'objet tangible qui va lui permettre
de certifier, d'authentifier, de se rappeler de son parcours. L'objet acheté est alors
symboliquement comparable au trophée de chasse que certains chasseurs arborent
ou conservent fièrement. Il est la tangibilisation d'un processus, d'un parcours, d'un
vécu personnel, dont l'objet n'est qu'un point d'aboutissement. C'est d'ailleurs ainsi
72
que l'on peut expliquer l'existence, au sein même de la fameuse "Mall of America" (le
plus grand centre commercial au monde, qui se trouve à côté de Minneapolis dans le
Minnesota) d'un magasin d'objets souvenirs et cadeaux portant le logo "Mall of
America". C'est une "mise en abîme" fabuleuse: le centre commercial est devenu un
tel "terrain de chasse", que les clients sont prêts à acheter et arborer fièrement l'objet
qui témoignera du fait qu'ils y ont été. On célèbre ainsi le culte de la consommation
jusque dans ses extrêmes, on ne se contente plus de la vivre en achetant et en
consommant à la "Mall of America", mais on va ériger le lieu même de la pratique en
objet emblématique. C'est ce qui nous permet de dire que nous sommes passés
progressivement du profane au sacré dans ces centres commerciaux. On ne se
contente plus d'un système où le leitmotiv serait: "là où plusieurs magasins sont
réunis, le Dieu consommation sera parmi vous" mais on va jusqu'à dire "le Dieu
consommation sera parmi vous là où une cathédrale aura été érigée pour lui". Toute
l'attention est donc portée sur ce lieu car c'est lui qui déterminera si le Dieu
consommation sera présent ou non, si les consommateurs adeptes de la religion du
moment, achèteront ou non. Voilà ce qui explique sans doute déjà cette attention
toute particulière portée aux lieux de consommation: les magasins et les centres
commerciaux.
Un autre exemple fort de la "sacralisation" d'un lieu de distribution est sans doute
celui des fameux "flagship stores" américains. Véritables temples de la marque, ils
sont conçus comme des lieux de vie où l'on peut mettre en situation des produits.
Ces magasins réconcilient loisirs et shopping. Il s'agit de sortes d'expositions
permanentes de tout le savoir-faire de l'entreprise, souvent d'ailleurs dans des lieux
prestigieux. Innovateur en la matière Outre Atlantique, Nike a ouvert sept immenses
magasins "Nike Town" de toute évidence plus proches du parc d'attraction que du
magasin d'articles de sport, de sorte qu'à Chicago, lors de l'ouverture les gens ont
accepté de faire la queue pendant plusieurs heures avant de pouvoir pénétrer dans
le fameux temple de la marque. De toute évidence, ces lieux sont destinés à
renforcer l'image de la marque et à stimuler les achats. Mais Nike n'est plus la seule
marque à disposer ainsi de son lieu de culte: Armani, Levi's, Benetton, Reebok ou
73
Swatch ont fait de même. Une architecture spectaculaire et des espaces "style de
vie" (comme par exemple des espaces avec des expositions, des cafés, des bars,...)
qui doivent aider à valoriser la marque au travers d'un concept de distribution hors
du commun.
6. Une forme urbaine revisitée: le centre commercial doublé d'un parc
d'attraction.
L'idée nous vient encore des États-Unis, ou plus précisément du Canada, puisque le
premier exemple de ce genre a été implanté à la fin des années quatre vingt à
Edmonton dans l'Alberta. Depuis, l'idée a été reprise au Minnesota et plus
récemment en Allemagne à Obersdorf. Mais revenons sur l'exemple sans doute le
plus emblématique puisqu'il s'agit de toute évidence de plus grand centre
commercial au monde: la Mall of America. Implanté à Bloomington, dans la banlieu
de Minneapolis, au Minnesota, "The Mall of America" est particulièrement intéressant
parce qu'il réunit dans une même unité spatiale, un gigantesque centre commercial
et un parc d'attraction thématique ouvert à tous ("Knott's Camp Snoopy"), où seule
l'utilisation des équipements est payante.
L'objectif principal au moment de la construction du centre commercial était de
prévoir un lieu qui, en raison de sa taille, devait être facile à comprendre pour un
consommateur. De ce fait, le bâtiment est conçu comme un gigantesque
quadrilatère. A chacun des coins se trouve, sur trois niveaux, un grand magasin
(Bloomingdale's, Macy's, Nordstrom et Sears), au milieu du lieu se trouve le parc
d'attraction Snoopy, lequel est entouré par quatre cents magasins répartis sur trois
niveaux et sur 4 gigantesques allées permettant de relier les 4 grands magasins.
Pour chaque côté du quadrilatère a été imaginé une ambiance, un thème particulier,
avec des couleurs très distinctes:
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* South Avenue: localisée entre Macy's et Bloomingdale's, cette zone est la partie la
plus sophistiquée et haut de gamme du centre commercial avec beaucoup de
magasins de mode.
* East Broadway: localisée entre Bloomingdale's et Sears, cette zone "high-tech" est
la partie la plus contemporaine du centre avec une décoration avec des néons et des
chromes.
* North Garden: localisée entre Sears et Nordstrom, cette zone essaye de
reconstituer l'ambiance d'un gigantesque jardin.
* West Market: localisée entre Nordstrom et Macy's, cette zone reconstituée
l'ambiance d'une gare britannique avec des petits ponts et des banquettes pour se
reposer.
Un centre commercial où loisirs, culture et consommation s'entremêlent. Il est très
difficile de qualifier "The Mall of America", s'agit-il d'un centre commercial, d'un parc
d'attraction ? Là, la société de consommation rejoint celle des loisirs. De plus, les
loisirs et la consommation sont érigés au rang de culture. On se déplace dans cette
cathédrale des temps modernes comme dans un musée. C'est dans un tel lieu que
la société de consommation montre sa grandeur et sa toute puissance. Elle est
devenu une valeur centrale. "The Mall of America" est à la fois un haut lieu de la
culture de consommation nord-américaine d'aujourd'hui mais elle traduit aussi une
forme du système de valeur dominant dans toute la société occidentale
contemporaine: elle est le temple qui permet d'abriter le culte de la consommation.
Lorsqu'on entre dans ce centre commercial, on éprouve deux types d'émotions
contradictoires. On est à la fois fasciné par cette construction quelque peu
"magique" qui permet en plein hivers très froid du Minnesota de se promener comme
dans un lieu estival et en même temps, on éprouve aussi une gêne liée au
gigantesque "construit" qui s'offre à nous. On ne peut s'empêcher de penser qu'une
tentation "démiurgique" a sans doute été à l'oeuvre pour construire ce qui constitue
encore à ce jour, l'un des plus grands centres commerciaux au monde (à ce jour et
75
depuis août 1999, le plus grand se trouve à Atlanta). L'énormité de la réalisation
impressionne mais contribue aussi à donner le vertige. On a envie de se raccrocher à
quelque chose. La peur du vide se mélange au plaisir de découvrir ce que l'humanité
est capable d'ériger en cette fin de vingtième Siècle pour satisfaire le Dieu ou le
Démon de la consommation auquel le centre est tout entier consacré. Il s'agit bel et
bien d'une cathédrale des temps modernes comme Zola, au Siècle dernier, l'avait
déjà suggéré au début de son roman "Au Bonheur des Dames" pour parler des
grands magasins du boulevard Haussman à Paris. Comme dans une cathédrale de
l'époque gothique, dont l'objectif était aussi de signifier la grandeur de Dieu, il fallait
impressionner l'impétrant, lui signifier qu'à côté du divin, il n'était pas grand chose. Il
y a sans doute un peu de cela lorsqu'on pénètre dans le "Mall of America". Acheter,
manger, boire et se divertir deviennent alors une version postmoderne du potlach
des sociétés traditionnelles étudiées par les anthropologues. Temps et espace du
quotidien sont ici mis en parenthèse: les consommateurs sont là pour avoir une
expérience. D'ailleurs, lorsque le centre commercial et le "Knotts Camp Snoopy"
sont en pleine activité, à intervalles réguliers, on entend les cris des groupes
d'individus qui font l'expérience de la grande roue. Alors, pendant quelques
secondes, les autres personnes présentent dans le centre commercial arrêtent de
faire du bruit, comme si elles étaient entrain de "communier" avec ceux qui vivent
cette expérience...
Au "Mall of America" la réalité et la non-réalité se rejoignent. En effet, rien de plus réel
qu'un centre commercial tel que celui-ci. Mais en même temps, il y a un jeu entre
plusieurs dimensions qui vont s'entremêler: la réalité côtoie la non-réalité que
constituent par exemple les artefacts d'arbres en plastique. Si d'une certaine
manière ils sont bien "réels" (ils existent même s'ils sont un artifice d'un arbre
naturel), il sont aussi un peu irréels. Mélangés avec des arbres naturels, le visiteur ne
peut s'empêcher de toucher, palper pour savoir s'il a à faire à une "construction"
basée sur du vrai ou du faux. Par ailleurs, des lieux comme le Rainforest Caffee (où a
été reconstruit une forêt tropicale avec de faux arbres mais de vrais animaux, des
bruitages qui reprennent les bruits de la forêt, des diffuseurs d'odeurs qui essayent
76
de rapprocher le consommateur d'un lieu "exotique", alors que le concept est la
combinaison d'un restaurant et d'une boutique où l'on vend vêtements et gadgets)
ou encore Planet Hollywood où l'on peut fréquenter des icônes de stars, sont certes
des fictions mais qui reposent sur une translation dont le seul objectif est de donner
l'impression de la réalité. L'objectif de tels concepts est de faire croire que l'on vit
une expérience qui se rapproche le plus possible d'une "réalité". On s'est rapproché
d'Hollywood ou de la forêt tropicale et tout cela sans avoir à en payer le prix fort et
surtout sans prendre de risque. Cette notion de prise de risque est essentielle pour
comprendre ce qui se passe dans les lieux de services comme la Mall of America. En
effet, la toute dernière attraction qui a ouvert ses portes durant l'été 1996, porte le
nom de "Underwater World". Sur le plan architectural c'est une gigantesque
succession de bassins aquatiques. Pour le visiteur, que l'on fait passer sous et entre
les bassins, sur un tapis roulant, c'est une possibilité unique de se rapprocher et de
découvrir la faune et la flore. En un peu plus d'une demi-heure, il va être emmené,
des univers aquatiques peu colorés propres au Mississipi au Nord des États-Unis
aux univers très colorés de la faune et de la flore du Golfe du Mexique.
Symboliquement, en très peu de temps, on parcourt des milliers de kilomètres, en
plus sous l'eau. C'est un exploit unique. Pour le réaliser, il faut un monde
d'hypperréalité car non seulement ni en sous-marin ni en tenue de plongée, la même
chose n'est possible, mais de surcroît, cela ferait prendre un risque au visiteur qu'il
n'a pas à prendre dans le cas présent. En somme, on fait tout pour lui. On met
l'expérience à sa portée, qu'il soit jeune ou vieux, valide ou invalide. Ce qui va par
contre constituer une énorme différence par rapport à d'autres "expériences" comme
par exemple le "rafting" tel que décrit par Arnould et Price, c'est que tout cela peut
se faire sans efforts. C'est la version "diggest" et "light" de la découverte des milieux
aquatiques. Ce culte de la nature, c'est en même temps celui de la culture, ce sont
les deux côtés d'une même pièce. Mais l'hyperréalité ne s'arrête pas là. A un
moment donné, on est à quelques centimètres de requins impressionnants. Force
est alors de constater, que la plupart des parents qui sont venus avec leurs enfants
se sentent obligés de leur préciser qu'une telle proximité est possible en raison de
l'exploit technique que constitue la création de ce monde aquatique, toutefois que
77
dans la "réalité" non seulement ils ne pourraient pas se rapprocher d'aussi près, mais
que cela leur serait fatal. En somme, l'exploit technique permet de donner plus de
réalité encore que la nature. C'est en cela qu'il convient de parler d'hyperréalité. A la
"Mall of America", tout comme dans tous les lieux de ce type, on donne l'occasion
d'expériences aventureuses, le danger en moins. Mais l'aventure sans danger est-
elle encore de l'aventure ? Il s'agit sans nul doute de l'équivalent "décaféiné" et
"allégé" de l'aventure. Le "Mall of America" est une réalité tellement vraie, qu'elle
véhicule avec elle aussi toute sa fausseté...
De plus, à travers des phénomènes de nivellement (réunir tout dans un même
espace temps), on arrive à créer une fusion entre la copie et l'original. Ainsi, s'il est
des éléments qui sont reproduits à l'identique de choses qui existent, ils sont
juxtaposés avec de faux originaux: le Legoland n'est pas l'original (puisque le
véritable se trouve au Danemark) et les dollars qui circulent sont à l'effigie de
Snoopy... En somme, les consommateurs ont non seulement droit à la chose vraie et
originale ("The Mall of America") mais en plus, ils peuvent jouir de l'abondance et la
multiplicité des vérités localement reconstruites et reproduites. Pris isolément les
attractions, les concepts de restaurants ou de lieux de vente ne vont pas donner le
vertige. Celui-ci va être produit par la juxtaposition dans un espace/temps délimité
d'autant de choses. D'ailleurs de toute évidence, l'une des clés de lecture est la
transformation de la relation au temps et à l'espace.
7. Petite prospective pour la prise de décision managériale.
Au terme de ce travail, il nous faut bien dire que nous n'avons sûrement pas été
exhaustifs dans notre manière d'envisager l'analyse socio-sémiotique de la
distribution car l'entreprise justifierait un ouvrage à lui tout seul. En effet, plusieurs
formes ont été ignorées alors qu'elles représentent une part considérable du volume
des transactions. Toutefois, cela est délibéré, car nous avons essentiellement
cherché à être prospectif et montrer qu'il y a sans doute une pluralité de manière de
s'intéresser à l'univers de la distribution. En cela, ce document est plus un support à
la discussion et à la réflexion qu'une photographie de la situation Ainsi, comme nous
78
venons de le voir, même si le contexte dans lequel évolue la distribution en France et
à travers le monde aujourd'hui est très différent de celui d'il y a simplement dix ans,
force est de constater qu'il y a toujours de la place pour des concepts de distribution
extrêmement différents et diversifiés. Toutefois, il est aussi frappant de noter que
l'avantage qui reste encore très largement sous-exploité du côté des distributeurs
disposant d'un lieu de vente réel (un support physique sur lequel le client va lui même
se rendre physiquement), c'est le fait d'insister sur l'impression synesthésique qu'ils
sont susceptibles de créer. En effet, dans ce cas précis, ce qui leur permettra de se
différencier par rapport à la V.P.C., c'est que de tels distributeurs pourront par
exemple tirer avantage du toucher, de l'odorat, voire du gustatif (ce que font déjà des
entreprises évoquées plus haut et qui sont très en avance dans ce domaine par
rapport à la moyenne dans leur univers concurrentiel). A cet égard, il est même
intéressant de constater que des agences de voyage, qui commercialisent quelque
chose d'immatériel, aient aussi commencé à exploiter ce filon. Ainsi, Havas Voyages
a créé à Paris une agence avec des sous-univers thématiques par destination, où
l'on diffuse chaque fois une odeur très caractéristique de l'univers: on va de l'odeur
de sous-bois à celle de noix de coco, en passant par des odeurs d'ananas. Et chose
curieuse, le chiffre d'affaires de cette agence est très supérieur à la moyenne du
secteur, ce qui tend à prouver qu'il suffit de savoir se différencier pour plaire aux
consommateurs, et que pour ce faire, rien ne remplace l'imagination créative: le ré
enchantement de nos univers commerciaux nous réserve encore quelques belles
surprises surtout lorsque le virtuel viendra sophistiquer les supports physiques
"authentiques"...
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Annexe 5 : Enquête IPSOS: les cadres européens au bureau
Observatoire Steelcase des cadres européens - Analyser et comprendre l'environnement de travail en Europe -
L’Observatoire Steelcase des cadres européens est une enquête qui a été menée par internet du 20 au 28 février 2007 dans six pays (France, Allemagne, Grande Bretagne, Espagne, Italie, Pays-Bas) auprès d’échantillons nationaux représentatifs des cadres européens du secteur privé (2400 cadres travaillant dans les secteurs du transport, de la construction, du commerce et des services, 400 personnes interrogées pour chaque pays).
Quelles sont les habitudes de travail des cadres français ?
Des cadres multi-missions
Les cadres travaillent en moyenne sur 6,6 projets par mois, mais ce chiffre recouvre de fortes disparités: près de la moitié d'entre eux travaillent sur moins de 6 projets tandis que 22% répartissent leur activité sur plus de 10 projets.
Un temps professionnel qui mêle travail individuel et travail collectif.
Avant tout, les cadres travaillent seuls (65% le font souvent) mais le travail en binôme est également répandu (50% travaillent souvent avec une autre personne), ou en équipe réduite de moins de 6 personnes (43%). Un quart des cadres font souvent des réunions de 7 personnes ou plus (24%).
Ce travail individuel n’exclut pas le management d’équipes : 39% des cadres managent une équipe; 30% se concentrent sur leur travail individuel; 30% élaborent des projets.
Le mail n’a pas tué le face-à-face…
Le papier semble clairement en perte de vitesse : seul un tiers (37%) des cadres continue de l'utiliser. Si le téléphone est encore le moyen de communication le plus couramment employé (95% des cadres français l'utilisent souvent), les cadres recourent également aux e-mails (87%) ou aux rencontres en face-à-face (90%). Cette bonne résistance de la réunion en face à face dans un monde où les technologies de l'information et de la communication tiennent une place de plus en plus prépondérante est encore soulignée par le fait que seuls 29% des cadres français tiennent souvent des conférence-calls et 6% des vidéos-conférences.
Un tiers des cadres est concerné par la notion de nomadisme professionnel
Si les cadres sont avant tout sédentaires (89% travaillent souvent dans les locaux de leur société), près d'un quart d'entre eux travaille aussi souvent en déplacement (29%) ou dans d'autres locaux de leur société (22%). Le travail effectué depuis la maison (17% ont répondu "souvent") et depuis les locaux d'une autre société que la leur (12% ont répondu "souvent") reste rare.
Les cadres sont encore 85% à travailler souvent dans un espace de travail qui leur est
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réservé, mais un tiers d'entre eux partage un espace de travail d'équipe plutôt qu'individuel (34%).
Une volonté de partager davantage l'information
80% des cadres français souhaiteraient avoir plus d’opportunités pour partager informations et expériences avec leurs collaborateurs. Paradoxalement, 50% d’entre eux travaillent en binôme, 43% en équipe réduite (3 à 6 personnes) et 24% en équipe étendue (7 personnes et +).
Malgré un travail en équipe très fréquent, les besoins de partage de l’information ne sont pas pleinement satisfaits. De nouveaux modes de travail, impliquant l’aménagement des lieux informels de l’entreprise, peuvent apparaître comme une solution à cette insatisfaction. En proposant une alternative entre une configuration traditionnelle de bureau et un espace de détente, ces nouveaux lieux favorisent la rencontre, l’échange et l’inspiration.
Autre obstacle à ce partage de l’information, l’assignation des cadres à un espace de travail bien défini (76% des cadres français). Ainsi cloisonnés, aucun échange n’est rendu possible.
La demande pour plus d'autonomie dans la gestion du temps de travail est également très importante. 48% des cadres français estiment qu'il serait prioritaire de pouvoir organiser leur temps à leur convenance et 40% demandent plus d'autonomie dans leurs tâches quotidiennes.
Changer l’espace de travail
27% des cadres français pensent que leur espace de travail les empêche d’atteindre leur niveau de performance maximal. Et la moitié d’entre eux souhaiterait qu’il soit changé (pour 15% c’est même une priorité).
Les entreprises françaises sont très mal notées par leurs cadres en ce qui concerne la prise en compte du confort en position assise.
Les cadres français attribuent cette insatisfaction à leur siège (absence d’ergonomie, manque d’appui ou de dureté au niveau du dossier, inadaptation à leur morphologie) mais également au temps passé à être assis et au manque d’information pour l’ajuster.
La prise en compte de l’impact environnemental
61% des cadres français sont intéressés par une meilleure connaissance de l’impact environnemental des matériaux utilisés dans leurs fournitures de bureaux. Cette prise en compte apparaît comme étant propre aux pays du sud de l’Europe. En effet, les cadres espagnols et italiens (avec respectivement 77 et 70%) sont, avec les français, les plus sensibles à cette question.
Les cadres français souhaiteraient voir cette considération être prise en compte de façon concrète; 73% d’entre eux se disent prêts à recommander en interne l’achat de fournitures de bureaux qui ont un impact faible sur l’environnement.
Concernant ce dernier point, 15% d’entre eux ne savent pas comment régler leur siège et seulement 11% ont reçu des informations pratiques.
(Mentions obligatoires : EU Steelcase Survey / Ipsos)
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Annexe 6 : Le design management par Gino Finizio
Ecrit par Kamel Ben Youssef et Elviro Di Meo le 3.07.2006
Gino Finizio est à la fois architecte, artiste, écrivain et manager de ses créations. Il
a été le précurseur de certaines disciplines liées au monde du design et
réellement innovantes ; disciplines qu’il a d’abord enseignées à l’étranger, où il a
trouvé un terrain fertile pour ses études et ses recherches. Pour nous faire
découvrir ce gourou du design management, deux nouveaux rédacteurs se sont
joints à l’équipe d’Admirable Design : Kamel Ben Youssef, enseignant à Nanterre
et chercheur en design et stratégie marketing, et Elviro Di Meo, architecte,
professeur de design à Naples.
Au passage, découvrez quelques clés du design made in Italy...
Une définition du design management...
Le Design Management, comme l’observe Finizio, tient dans la réalisation de
programmes plongés dans plusieurs cultures qui interagissent avec le projet design.
Il est de plus en plus tourné vers les entreprises grâce au développement des
technologies et de processus évolués.
Une méthode pour créer l’innovation et l’avantage concurrentiel dans les marchés de
référence.
D’où l’exigence d’introduire sur le marché international de nouvelles générations de
produits adaptés à l’homme, à l’environnement et aux nécessités du marché.
Le Design Management fait partie intégrante du processus de création dans les
entreprises ; il s’est répandu dans le monde académique de façon radicale. « Ce
domaine d’étude - relate Finizio – éveille aussi un intérêt croissant auprès des
Universités tournées vers les sciences économiques et la communication, comme la
Bocconi et la Iulm de Milan. Il en va de même dans de nombreux mastères
d’Economie, de Gestion et de Design, y compris celui en Transportation Design
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organisé par la Domus Academy, pour « Quattroruote » à Milan, dont je suis le
directeur scientifique ».
Industrie, marketing et design
Finizio parle de sa formation professionnelle en ayant bien conscience qu’il a
devancé son époque, il conserve cependant un certain détachement philosophique
propre à l’intellectuel. « Après avoir acquis une expérience significative au niveau
marketing et management, comme dirigeant industriel et directeur opérationnel de
trois centres de profit auprès de 3M de Caserta, l’une des entreprises école parmi les
plus importantes du monde pour acquérir de l’expérience dans le domaine du design
« Made in Italy » - argumente-t-il - j’ai occupé le poste de directeur du marketing
pour B&B Italia, puis de directeur général et administrateur délégué de Giorgetti. Le
secteur de l’ameublement que j’ai choisi, justement pour sa culture de conception.
Cela m’a rapproché du design et du processus créatif qui précède le développement
de nouveaux produits. Le travail m’a ensuite permis d’entrer en contact avec les
grandes entreprises internationales plus sensibles encore à l’innovation de processus
et de produit par le design ». « Le Design Management n’a pas rencontré de difficulté
à s’insérer, mais il a fallu un certain temps pour
répandre et faire assimiler la nouvelle discipline dans les grandes et les petites
structures qui affectionnent la tradition ».
Les points de rencontre les plus sensibles à la nouvelle réalité scientifique, ajoute le
Professeur Finizio, doivent être cherchés dans le cadre des bureaux techniques,
bureaux d’étude, centres de recherches, centres de style et centres d’advanced
design, où l’on étudie constamment de nouveaux concepts de produit, les matériaux
innovateurs, les technologies et processus industriels.
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Annexe 7 : Comment la Smart a raté son lancement
Écrit par Etienne Gless pour LEntreprise.com | Mis en ligne le 25/05/2001
http://www.lentreprise.com/3/3/3/article/152.html
La Smart, lancée en 1998, ne s'est vendue cette année-là sur le marché qu'à
moins de... 2 000 exemplaires par an contre 20 000 attendus ! Voici les raisons de
ce décollage manqué.
Le concept se voulait révolutionnaire, mais la clientèle n'y a vu qu'une voiture de
plus, à deux places et chère. Les gourous du marketing avaient tout faux.
!!Après analyse du flop, il ressort qu'en France la Smart souffrait d'un prix trop élevé.
La valeur perçue par le consommateur ne justifiait pas le niveau de tarif. !!
La marque s'est lancée avec un réseau de commercialisation trop faible : une
quinzaine de points de vente dans l'Hexagone. Insuffisant pour toucher la cible visée. !!
La marque a longtemps ignoré certains segments de marché, comme le véhicule
urbain pour les professionnels.!!Tirant les leçons de son échec, début 1999, la société
MicroCompactCar (groupe Daimler-Chrysler) a tout revu : les prix à la baisse, les
équipements à la hausse. Et, surtout, la distribution a été intégrée dans le réseau de
vente Mercedes. Le message publicitaire aussi a changé et se veut moins
prétentieux. Les premiers bénéfices de ce virage à 180 degrés ont commencé à
porter leurs fruits en 2000 : la Smart a franchi le cap des 2 000 exemplaires vendus
par mois (2 800 en août 2000).
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Annexe 8 : Qu'est-ce que l'écodesign ?
En France, on utilise aussi le terme d'éco-conception pour parler d'écodesign
L'écodesign consiste à prendre en compte l'environnement tout au long du
cycle de vie du produit, dès la phase de conception ou d'amélioration des
produits. À la recherche du meilleur compromis, le concepteur procède par
sélection et par combinaison de solutions sur l'ensemble du cycle de vie du
produit et intègre l'ensemble des impacts sur l'environnement. L'écodesign est
une approche globale, s'appliquant à tous les composants du produit
(accessoires, emballages, pièces de rechange?). L'objectif prioritaire est de
minimiser les impacts environnementaux des produits en vue d'améliorer la
qualité de vie aujourd'hui et demain. Il invite de ce fait à repenser sa
démarche de conception d'un produit.
1 - Objectif
L'écodesign se concentre sur les meilleures solutions Toute modification des
caractéristiques d'un produit sur une étape de son cycle de vie a des
répercussions sur l'environnement. L'écodesign se concentre sur la recherche
des meilleures solutions en termes de qualité d'usage/prise en compte de
l'environnement. Dans la pratique, le concepteur doit vérifier que la
modification envisagée ne va pas dégrader d'autres caractéristiques du
produit. Par exemple, l'amélioration de la recyclabilité d'un produit doit
s'accompagner d'une vérification des modifications engendrées : le produit
est-il plus lourd ? Génère-t-il plus de déchets ? Les fonctions du produit sont-
elles respectées ? La qualité n'est-elle pas amoindrie ? etc. Il est indispensable
d'éviter les déplacements de pollution ou, du moins, d'arbitrer entre ces
différentes sources de pollution pour déterminer celle qui doit être
prioritairement réduite. L'écodesign invite à une démarche d'amélioration
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continue.
Un facteur d'innovation l'écodesign est aussi un facteur d'innovation aidant les
entreprises à repositionner leur stratégie en y associant l'environnement. C'est
une opportunité pour développer une nouvelle offre qui peut s'avérer être un
avantage concurrentiel au vu des demandes naissantes du marché. Concevoir
des produits fonctionnels, économes, durables, sûrs, c'est répondre aux
attentes de l'utilisateur ; c'est également affirmer que " des produits de qualité
sont aussi de qualité environnementale ". Aux composantes classiques (la
faisabilité technique, la maîtrise des coûts, l'attente des clients) dans la
conception de produit, l'écodesign rajoute l'environnement.
2 - Principes
Une nouvelle approche L'écodesign c'est concevoir autrement. En effet, il
s'agit de minimiser les impacts sur l'environnement d'un produit, tout en
assurant une qualité égale. 3 principes peuvent être utilisés lors de la
conception du produit :
- prendre en compte le " cycle de vie du produit ", - considérer le produit en tant que système " multicomposant ", - avoir une approche environnementale " multicritère ".
2.1 - Prendre en compte le cycle de vie du produit
Il s'agit lors de décrire l'ensemble des étapes de la vie d'un produit :
l'extraction des matières premières, la fabrication, les transports, la
distribution, la consommation et la gestion de fin de vie (recyclage,
réutilisation, compostage). On parle alors de cycle de vie du produit. On utilise
aussi l'expression du 'berceau à la tombe'.
2.2 - Considérer le produit en tant que système multicomposant
Le produit doit être pris en compte avec l'ensemble des éléments qui le
compose, c'est à dire :
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- l'objet en lui même, - les emballages primaires (unité de vente consommateur), secondaires
(emballage de regroupement) et tertiaires (emballage de transport et de logistique),
- les consommables nécessaires à son fonctionnement, - les pièces de rechange, - les éléments de promotion (PLV, courriers publicitaires, ?).
En effet, il peut arriver que l'un de ces éléments ait plus d'impacts sur
l'environnement que le produit lui-même.
2.3 - Avoir une approche multicritères
L'approche multicritère intègre l'ensemble des paramètres environnementaux
:
- consommations de matières premières et d'énergie sur l'ensemble du cycle de vie du produit et de ses composants.
- rejets dans l'eau, l'air, les sols, production de déchets, sur l'ensemble du cycle de vie du produit et de ses composants.
- transformations des milieux naturels et du cadre de vie.
Rubrique réalisée avec la participation d'ecodesign.fr (o2france)
http://www.prorecyclage.com/concepts_generaux/eco-conception/eco-
conception1.html