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Revue Mouvement Avril Juin 2012

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Page 1: Revue Mouvement Avril Juin 2012

La revue ind

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0 UVEMENTwww.mouvement.net

artistes, créations, esthétique et politique i avril-juin?OLZ i numéro 63 L14944 -63-Fi 12,00 ,BD

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Numéro spécial, LZE

Nègres, sauvageset bougnoulesQuand I'art bat en brèche lesrelents colonialistes et racistes.

ScènesAllen GinsbergSophie AgnelAlexis ForestierCatherine DiverèsArtistes de Croatie

PortfoliosStephan VanfleterenZiad Antar

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Part*ut en France surgissent de nouveaux projets de Ëh*âtrepr*f*ndément ar:erÉs dans Ë'§cole. te drarnatuq* Eric ila 5ilva,Ia c*mp*gnie du zi*u dans §es bleus, ie rnettsur er: scè*eAntcnin MÉnerd et d'autres *n *nt f*it un tenrain fertil* püurfæir* éclrre Ieurs cr**ticns.

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rencontre Eric Da Silva/Antonin Ménard/Nathalie Garraud 75

S'iI est un sujet en apparence consensuel enmatière de politique culturelle, c'est biencelui des arts à l'école. Agauche comme àdroite (facques Chirac évoquait cette questiondès les années 1970), tout le monde s'accordepour dire que la présence de I'art dans ledispositif scolaire, par le biais de Ia présenceconcrète d'artistes et donc d'une réellepratique des formes artistiques, est uneexigence pédagogique de premier plan.Même si certains répondent aux restrictionsbudgétaires actuelles en misant sur unereconversion de la question par I'introductionde cours d'histoire des arts, la présence desenseignements artistiques reste la boussoled'une grande majorité d'acteurs, dans lesmilieux culturels comme dans celui del'Education nationale. Reconnue et encouragéepar tous les ministres successifs, cette politiquede I'art à l'école avait été largement renforcéesous les mandats de Jack Lang et de CatherineTasca à la tête des ministères de la Culture etde l'Education nationale - même s'il y eut desdifficultés à mettre en æuvre une véritablepolitique transministérielle.Au terme de dix ans de gouvernements dedroite, le dispositif mis en place par lessocialistes a fondu comme neige au soleil et lapérennité des projets à finalité culturelle etartistique est de plus en plus difficile à tenirpour le corps enseignant comme pour lesartistes invités. Mais, paradoxalement, dansce contexte sinistré, précarisé et sans boussole,on observe I'irruption de projets singuliers,portés par des artistes, eux aussi singuliers,qui ont choisi d'investir le milieu scolaire,pour y inscrire de véritables propositionsartistiques. Dans leur esprit, I'Ecole n'est plussimplement une institution où ils dispensentleur pratique, leur savoir-faire ou leursconnaissances, elle devient un véritablemédium de création, où I'artiste reçoit autantqu'il donne.C'est de sa propre initiative qu'Eric Da Silvaa frappé à la porte du lycée Renoir à Asnièrespour s'y installer durant toute l'année scolaire.Il venait d'obtenir une résidence grâce auprogramme de soutien aux écrivains duConseil régional d'Ile-de-France, qui stipuleque les auteurs retenus consacrent 30 %

de leur temps, outre l'écriture, à entreren relation avec l'enüronnement qui accueilleIeur résidence. Une préconisation généraleun peu floue que le comédien, écrivain

et metteur en scène, fondateur del'Emballage Théâtre, a voulu concrétiserdans un cadre précis.Il avait déjà eu l'occasion de fréquenter Ie lycéeRenoir en 1984, non comme élève, mais pourparler avec eux de Ia GrandeetlaPetiteManæuure dArthur Adamov (un écrivaintristement oublié), qu'il présentait au Théâtrede Gennevilliers voisin, alors dirigé parBernard Sobel, qui l'a toujours soutenu, mêmedans les périodes les plus difficiles... Sesmoments de <, rencontres aaec le milieu scolaire

'> ,

lui ont d'emblée posé question. En ouwant laporte du théâtre, de son théâtre, à ces jeunesyeux d'élèves peu <. avertis ,>, il les écoute etsaisit très üte ce qu'il peut leur apporter : un<, désordre uiaant >> qui développe chez eux une<< intelligence spontanée et déroutante >>. ll reviendrasept fois au Théâtre de Gennevilliers, avec septspectacles qui tous tournent résolument le dosau répertoire qu'il avait transmis au départ.En traduisant Tiol'lus et Cressido de Shakespeare,il se rend compte qu'il doit quitter les mots dumaitre pour apprendre à ül're avec les siens,parce que ce sont les mots d'aujourd'hui quinous font üwe la üe d'aujourd'hui, quitteà embarquer les spectateurs dans des contréesimprévisibles.

Pour certâins

vénitable médiurn

Car, pour Eric Da Silva, l'écrivain n'a pas pourfonction de nous consoler, bien au contraire,il donne forme et vie à des <. personnages dedéroutes et pourtant d'acharnement », de ceuxqui, selon lui, sont nés à partir des voixcollectées par le sociologue Pierre Bourdieu,dansLaMisèredumonde. Le cortège de cesêtres invisibles, absents de la scène théâtraledominante, a pris des proportions horsnormes, au point de devenir une <, saga dedix pièces ,>. Quand ils ont commencé à prendrevie sur la scène, Eric Da Silva s'est trouvéconfronté à une question très simple, maisabyssale ; <. Faire du théôtre bien sûr, mais pour.faire

exister quoi ? Je ne pourrais pas oiare si je crolaisque je Ïaisais du mal. ,>

D'où le retour aux élèves du lycée Renoir,26 ans plus tard, pour essayer de deüner aveceux << à quoi peut bien serair cette littêrature >> , qu,ia vocation à s'incarner pour dire Ie monde,sans prétendre pour autant le comprendreet le contrôler. Ces questionnements précieuxprennent dans ce lieu un relief exceptionnel.Et motivent le choix d'Eric Da Silva de<, s'installer,> dans cette école pour y proposerune expérience assez inédite . <, Ici, à Renoir,il était possible d'accêder à une compréhension parla sensation etl'qcpérience. ,> Une manièrede pédagogie qui renverse tranquillementla mécanique scolaire ambiante.Mais il est un autre argument, qui est venuaiguiser le désir de l'écrivaln. Le lycéed'Asnières est équipé d'un magnifique petitthéâtre, de dimension modeste certes, maisparfaitement équipé, avec des cintres, descoursives, des pendrillons, des coulisses et desloges. Un équipement qui, aujourd'hui,semblerait incongru, presque déplacé, maisqui témoigne de la politique menée dansles années 1970 par les maires communistesde ladite <. banlieue rouge >>. Une formule quinétait pas un slogan et qui cherchaitwaiment,par tous les moyens, à démocratiser Ia culture.Dans leur esprit, I'Ecole méritait un véritablethéâtre et non un préau au rabais. Si l'art doitentrer dans I'enceinte des lycées, il doit le fairepar la grande porte. Da Silva est l'héritier decette conüction, même s'il n'est pas dupe.Il a beaucoup pratiqué les ateliers d'initiationpratique (toujours au Lycée Renoir) et il ena bien mesuré les contradictions.Quand il commence à mener des expériencesde pratique plus encadrées par la structure dulycée, il fait ce constat lucide : <,Las,latalement,les choses ont perdu ileleurJluidité - c'était courud'auance -, dès lors que I'obligation ou la trop forteattente de résultats manquèrent à l'appel réJlexe del'instant. » II s'agit donc d'être très clair : I'Ecolen'a pas pour vocation de former des artistes,mais, pour autant, elle a tout à gagner, ens'enrichissant par d'autres typesd'expériences : se laisser gagner par la forcedes <, inuisiblesJaits et gestes que sont les mots et lesphrases d'une littérature pour le plateau >>.

D'où le projet radical de la résidence d'EricDa Silva. Avec son équipe artistique, ilaccompagne durant toute I'année une classede première en option théâtre, avec un

artistes, I'Ecoleest devenue un

de leur créatlon,

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76 Eric Da Silva/Antonin Ménard/Nathalie Garraud rencontre

programme peu banal : la traversée intégralede sonDécalogue loic. Dix mois pour dix piècesUn défi qui n'a de sens qu'à la condition detrouver une réponse concrète et active de lapart des principaux enseignants de la classe.Et c'est ce qui s'est passé pour cette classe depremière L, dont la professeure de français et

de théâtre, Marie-Christine Boncour, a acceptéde consacrer I'ensemble des heures disponiblesà cette expérience artistique. Sans plus séparerles heures de théorie, normalement assuréespar ses soins, et les heures d'atelier depratique, elle propose et assume uneconfiguration du travail inédite qui réorganise

complètement la répartition des tâches et dessavoirs - condition sans 1aquelle la résidenced'Eric Da Silva n'aurait jamais pu avoir lieu.En plus du travail hebdomadaire, certainsélèves de ia classe tiennent un b1og, formés etaccompagnés par un ingénieur informaticien.Un blog entièrement pris dans 1e cadre scolairedes « TPE ,>. La compagnie d'Eric Da Silva ainvesti dans I'achat de matérie1 informatique,financé par la résidence, mais destiné à resterdurablement dans le lycée. Une décision quipose cette question cruciaie : comment lesélèves d'un lycée peuvent-ils rendre compted'une te1le expérience ? Ce médium peut-illeur permettre d'exprimer 1'expérience que Iethéâtre leur permet de faire ? A quellesconditions ?

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Ces questions sont au cæur du nouveau projetde 1a compagnie marseillaise du zieu dans lesbleus, animée par Nathalie Garraud et OlivierSaccomano. Après avoir interrogé pendantplusieurs années la présence du tragique dansnotre monde à travers un triptyque alignantEschyle, Sophocle, 1e dramaturge anglaisHoward Barker et un jeune écrivain, FéIixJousserand, la compagnie a lancé un nouveaucycle de créations sur le thème del'adolescence, ce moment de la vie qui enconcentre toutes Ies contradictions. entre1'engouement et la désorientation. La premièreétape de cette recherche doit se déroulerdurant toute 1'année scolaire dans différentsétablissements, où seront présentées devant lesélèves des formes brèves, appelées << études '>,des petits dialogues entre deux interlocuteursdésaccordés. Un nombre d'étapesimpressionnant, de Fécamp à Marseille, enpassant parAmiens et la banlieue parisienne,pour partager un récit et des questions, avecun public actifet concerne.Le principe d'écriture repose sur 1e pillageet Ie démontage (Brecht, Godard), de sorte

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et Ia présentation du spectacle Randonnée.Tousmangent sur place et dorment à proximité.Une véritable traversée qui a donnéI'impulsion du nouveau projet de lacompagnie. Les spectacles s'élaborent en effeten contact direct avec le thème traité. PourRandonnée, la compagnie est partie enrandonnée deux fois quinze jours ! Lorsqu'elletravaillait sur la folie, le spectacle a été répétédans un hôpital psychiatrique.Pout Deoantnous, consacré à l'adolescence, il était doncd'autant plus évident de s'immerger à nouveaudans Ie milieu représenté sur le plateau. C'estdans sept lycées de Basse-Normandie que lacréation s'est construite, avant d'êtreinterprétée... dans d'autres lycées, toujourssous la forme d'une réelle résidence immersived'une semaine, comme en janüer dernier aulycée Paul Cornu de Lisieux.La Franche-Comté nest pas en reste sur cessujets, avec une politique active de résidencesd'artistes dans les écoles, conduites par la Drac.Des périodes de travail conséquentes de troissemaines, qui accordent aux artistes un waitemps de création. Loin d'une simple logiqued'animation, la priorité est véritablementdonnée à la création, comme ce fut le cas pourRaphaël Patout dont Ia compagnie Mala Nochea créé Le Salut de Narcisse au collège de Pouilley-

rencontre Eric Da Silva/Antonin Ménard/Nathalie Garraud 77

Ies-ügnes, dans le cadre du Festival des cavesinitié par Guillaume Dujardin. La danse n'estpas en reste, elle non plus. Des résidencessimilaires ont été proposées à la chorégrapheNathalie Pernet dans un lycée professionnel deLons-le-Saunier, ou au danseur Sylvain Groud,dans I'internat du lycée Cuüer de Montbéliard,Côté arts plastiques, certains Fonds régionauxd'art contemporain relèvent également le défi,comme à Dunkerque ou, à l'invitation du FracNord-Pas-de-Calais, le photographe RégisBaudy a rencontré des élèves du collège Àubracet créé une série photo et üdéo. Par-delà leursdifférences esthétiques, tous ces projets ontchoisi le terrain de l'école pour éclore, etdémontrent de façon exemplaire les richessesd'une véritable rencontre entre I'art et I'Ecole,dans le respect de Ieurs exigences réciproques.

Quand on pense au nombre de lycées quimaillent le territoire, on se dit quedécidément, il n'y aura jamais trop decompagnies théâtrales en France !

Bruno Tackels

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que <. Ies ocfeurs jouent des masques contemporains,empruntant auc masques au passé r>. Parce qu'ils'agit d'étudier l'amour, I'histoire ou1'économie, des scènes décrivant une situationactuelle seront confrontées à des scènesd'autres époques. Une nouvelle manière, pourles élèves, de réüser leurs connaissances. Cesétudes serviront ensuite d'impulsion pourl'écriture de la prochaine création du zieu dansles bleus, NotreJeunesse, qui se veut résolument1111s <. pièce historique ,>, regardant notreépoque comme si elle n'était pas la nôtre. Danscette démarche novatrice, on reconnaît Iamême curiosité que celle d'Eric Da Silva, lemême désir de faire repasser les questionsdans le camp de ceux qui nous les adressent.Le metteur en scène Antonin Ménard, baséà Caen, est lui aussi convaincu de l'importancede I'Ecole dans son cheminement artistique.A condition que le rendez-vous soit bien pensé.D'où cette proposition d'une véritable<, immersion » dans un établissement scolaire.Pendant une semaine entière, Ies acteurs de lacompagnie CHanTier2lTHéâTre proposenttrois §pes d'interventions, des performancespendant les récréations, des interventions àI'intérieur des cours, préparées avec lesenseignants de français, de mathématique, dephilosophie, de biologie, d'anglais et de sport,