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Industrie Musicale & Révolution Numérique Comment un secteur en crise s’adapte-t-il aux nouvelles pratiques culturelles ? Kadded Mehdy Mémoire en vue de l’obtention du Certificat d’Intelligence Economique, Spécialité : Information Stratégique en Entreprise Tutrice de mémoire : Céline Le Corroller

Mémoire : Industrie Musicale et Révolution Numérique

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Comment un secteur en crise s’adapte-t-il aux nouvelles pratiques culturelles ?

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Industrie Musicale&

Révolution NumériqueComment un secteur en crise

s’adapte-t-il aux nouvelles pratiques culturelles ?

Kadded Mehdy

Mémoire en vue de l’obtention du Certificat d’Intelligence Economique, Spécialité : Information Stratégique en Entreprise

—Tutrice de mémoire : Céline Le Corroller

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Kadded Mehdy

Industrie Musicale & Révolution NumériqueComment un secteur en crise

s’adapte-t-il aux nouvelles pratiques culturelles ?

—Mémoire en vue de l’obtention du Certificat d’Intelligence Economique,

Spécialité : Information Stratégique en Entreprise

Tutrice de mémoire : Céline Le Corroller

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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n'engagent pas

l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence.

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Remerciements

Premièrement, je tiens à remercier ma tutrice de mémoire Céline Le Corroller pour son aide tout au long de l’année, ainsi que toute l’équipe d’intervenants de l’Institut Politique d’Aix-en-Provence pour leurs cours enrichissants et formateurs suivis à l’ICD Paris. Je remer-cie également toute l’équipe de mon école, pour nous avoir donné l’opportunité d’obte-nir cette formation.

Dans un second temps, je souhaiterai remercier les artistes qui ont accepté de se prêter au jeu de l’entretien : Isaac Loho (alias. Henk Ol), Mounir Benhaj (alias. Medoc) ainsi que Eric Plovier (alias. Eric Reivolp), tous acteurs de la scène techno parisienne. Et pour finir, je remercie ma famille pour m’avoir soutenu tout au long de la rédaction de mon mémoire.

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Industrie Musicale & révolution nuMérique

I L’industrie de la musique face à l’innovation technologique—2

1—Le fonctionnement de la création musicale—42—Ladite « crise » de l’industrie musicale après la révolution numérique—7

II « Musicalisation » de la société : évolution et valorisationdes pratiques culturelles—10

1—Profusion de contenus musicaux —122—Stratégie de contrôle de l’expérience musicale—153—La musique comme « produit d’appel »—22

III Restructuration d’une industrie en quête de modèle—26

1—Le vivier musical—282—La sphère « indé » et les nouveaux intermédiaires—35

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Introduction

De l’ordinateur personnel au téléphone portable, des transports aux soirées privées, la musique est aujourd’hui plus que jamais présente dans nos vies, et ce en partie grâce aux nouvelles technologies liées à l’arrivée du numérique et d’Internet. Ainsi, les auditeurs se sentent de plus en plus proches de leurs artistes favoris, que ce soit via les réseaux sociaux ou bien de manière plus tangible, lors des nombreux concerts, festivals et autres soirées programmés tout au long de l’année. De plus, étant désormais plus accessibles au niveau de la production, les créations musicales se font de plus en plus nombreuses.

Mais paradoxalement, on peut entendre les médias de masse et les grandes maisons de disques ne jurer que par la « crise » de l’industrie musicale, que les auditeurs ne consom-ment plus de musique et que le secteur serait en plein déclin, notamment à cause du numérique et toutes ses dérives. C’est à partir de ce constat que nous pouvons nous poser la problématique suivante, ainsi que quelques questions de recherche :

Après l’avènement de l’ère du numérique et tous les bouleversements qu’elle aura entraî-nés, par quels moyens l’industrie musicale, comprenant les acteurs alternatifs/indépen-dants et les majors, peut-elle se réinventer et s’inscrire dans le cycle à venir ? Quelles sont les nouvelles pratiques des auditeurs ? Qu’en est-il du statut de la création musicale ? Comment gérer la surproduction de cette dernière ? Et pour finir, quelle position doivent tenir les différents acteurs de la filière ?

Nous verrons dans un premier temps comment l’industrie de la musique a toujours dû faire face aux évolutions technologiques, que ce soit du premier phonogramme, de la radio ou aux lecteurs mp3 d’aujourd’hui, les nouvelles technologies d’information et de communica-tion ont toujours eu leur part de responsabilité dans le déclenchement de ces situations de « crise ».

Dans un second temps, nous verrons comment notre société s’est « musicalisée » et com-ment les acteurs de l’industrie phonographique ont su valoriser ces nouvelles pratiques culturelles basées sur l’ubiquité d’une surproduction musicale. Car, en effet, le statut mar-chand de la musique a bien changé pendant ces dernières années.

Et pour finir, nous chercherons de comprendre comment les acteurs de ce paysage musi-cal tentent de se restructurer, changeant ainsi leurs rapports entre eux, qu’ils soient indé-pendants ou dans l’énorme rayonnement de l’oligopole des majors.

Étant moi-même présent dans l’univers des musiques électroniques, principalement à Paris, j’en ai profité pour recueillir quelques interviews de la part d’acteurs indépendants. Ils m’ont permis d’illustrer certains phénomènes que nous constaterons tout au long de ce mémoire.

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IL’industrie de la musique

face à l’innovation technologique

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1—Le fonctionnement de la création musicaleA—Brève histoire de l’industrie musicale

Avant l’industrialisation de la musique, cette dernière était uniquement réservée à un certain public, qu’elle soit savante, comme la musique classique, ou bien traditionnelle, comme la musique bretonne. C’est avec la venue du capitalisme et l’apparition des technologies d’enregistrement que la musique a pu se propager auprès du grand public.

C’est en 1877 que Thomas Edison captura pour la première fois un enregistrement vo-cal dans le but de le réécouter grâce à un système de cylindre lu par le premier phono-graphe. 10 ans plus tard, Emile Berliner développa le procédé en inventant le célèbre disque vinyle. C’est ainsi que vu le jour la toute première maison de disque, Columbia Records, qui était à la base une société technologique fabriquant uniquement ces sup-ports d’écoute. Ça sera seulement en 1938 que le directeur artistique fera sa première apparition, intégrant pour la première fois dans l’histoire phonographique la recherche d’artiste ainsi qu’une dimension graphique des supports comme les pochettes de vinyle, qui étaient jusqu’à présent sans aucune identité visuelle. Voici comment est né l’éternelle quête de nouveaux talents musiciens, prêts à être popularisés sur le plan industriel. Le blues fut un des premiers genres musicaux à s’être propagé au travers des Etats-Unis.

Les américains s’équipent du premier support de lecture populaire à succès, le gramo-phone, breveté par Emile Berliner. Les légendes du blues vont ainsi permettre l’exploita-tion industrielle de la musique enregistrée, notamment grâce à cette reproductibilité de support et aussi fortement appuyée par le « contexte d’émancipation lente mais progres-sive des populations noires d’Amérique »1.

À cette époque, les maisons de disques détiennent encore le contrôle total, que cela soit sur la production ou la diffusion, ainsi que sur les ventes des supports techniques d’écoute et d’enregistrement.

Au cours des années 1920, ces maisons de disques se portent à merveille :

— Victor Talking Machine Company, label américain fondé par Emile Berliner— Decca Records, label anglais— Columbia Records, label américain— Paramount Records, label américain— Okeh Records, label américain

C’est avec l’apparition de la radio, qui était à l’époque un « acteur technologique ex-térieur à l’industrie musicale »1 que « l’écoute de musique gratuite voit le jour »1. Addi-tionnées à la crise de 1929, les ventes de disques vont chuter de plus de 80%. Pour faire face à cette crise, les acteurs vont se consolider grâce à de nombreuses fusions, phénomène qui se perpétuera dans toute l’histoire de l’industrie musicale. Ainsi né la fameuse EMI (Electric Music Industry), issu de la fusion entre Gramophone Company et Columbia Records. En ayant aussi intégré les nouveaux acteurs technologiques comme la radio, l’industrie va ainsi occuper considérablement les ondes : « il sera désormais

1 Stan (2013), « Une petite histoire de l’industrie musicale », www.whojamelive.com

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courant d’annoncer à la radio les nouvelles sorties de disque, faire écouter les derniers enregistrements, inviter les artistes et annoncer les dates de concerts à moindre coût et à beaucoup plus grande échelle. »(Stan, 2013)

Plus tard, les maisons de disque vont pousser ce phénomène de promotion, et les concentrés que sur une minorité d’artistes de leurs écuries. La création de « légendes de toute pièce » est née grâce à cette surmédiatisation. Durant les années 1950 et 1960, les majors, concurrencées par l’arrivée des labels indépendants comme Atlantic Records (Ray Charles) et Sun Records (Elvis Presley et Jonnhy Cash), ne détiennent seulement qu’un tiers du marché du disque (Stan, 2013).

Dans les années 1970, la cassette audio de Philips cartonne, notamment grâce au fameux Walkman, lecteur portable de Sony. Elle est suivie par le CD (Compact Disc) de Sony et Philips qui rencontre également un vif succès dans les années 1980. Voyant que le marché ne cesse de croitre et voulant s’en approprier, les « grands » de l’industrie vont se lancer dans une « course de rachat de ces labels indépendants (…) Warner se lance en rachetant les labels Atlantic, Elektra et Asylum, pendant que Polygram (future Universal Music) rachète Island et Def Jam. » (Stan, 2013) Puisant dans cette concentra-tion de nouveaux talents, les majors n’ont plus qu’à les commercialiser et les promouvoir de manière industrielle

Aujourd’hui, ces majors ne sont plus qu’au nombre de trois : Universal, Warner et Sony. Malgré la crise du disque qu’on développera par la suite, cet oligopole à frange pos-sède plus de 75% des parts de marché de l’industrie phonographique.2

B—Les acteurs

Instruments de musique(Hardware) Musiciens

Managers

Maison de disques

Promoteursindépendants ClipDistributeurs

Détaillants

Promoteurs Producteurs d’événement

Concerts

Gestion collective de lapropriété intellectuelle

Films / TV Lieux publics

Radio

éditeurs

éducation musicale

Gestion du son(Hardware)

Presse / Radio / TV(Critiques)

Publicité / Promotions

2 Aude Fredouel (2013) iTunes rafle 75% du marché de la musique en ligne, Journal Du Net

Source : BALTZIS A. (2012)»

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Musiciens : qu’ils soient compositeur, auteur ou interprète, les musiciens représentent le cœur de l’industrie musicale. En voici quelques exemples : John Lennon (auteur-compositeur-interprête), Britney Spears (interprète), Aphex Twin (compositeur).

éducation musicale : qu’elle soit académique ou populaire, elle représente l’apprentissage de la musique. En voici quelques exemples : les cours d’éducation musicale dans les collèges français, les conservatoires de musique, les professeurs particuliers d’instruments ou de chants, les vidéos sur internet montrant comment jouer d’un instrument.

Instruments de musique : représentés par les fabricants de Hardware musicale, comme les luthiers Blazer & Henkes, les facteurs Yamaha, les fabricants de synthétiseurs Moog.

Gestion du son : aussi catégorisé comme hardware, ils représentent les créateurs de support d’enregistrement de la musique comme Sony ou Philips.

Managers : ils représentent les artistes, gèrent leur carrière en les conseillant sur le niveau pro-fessionnel comme le Colonel Parker a pu le faire pour Elvis Presley.

Publicité/Promotion : ils se chargent de faire connaître les artistes en ciblant les auditeurs adaptés. Ils vont par exemple signer des contrats avec des médias tels que la télévision ou la radio dans le but de promouvoir leurs artistes. Aujourd’hui des agences comme BETC Music se chargent exclusivement de la communication dans le monde de la musique en innovant sur les méthodes, notamment grâce aux nouveaux médias.

Presse, Radio, Télévision : ils sont les moyens de diffusion des publicités ou autres formes de promotion telles que des émissions lors de la sortie d’un album, ou des articles dans la presse.

éditeurs : ils se chargent d’exploiter commercialement les créations musicales et de faire en sorte qu’ils soient les seuls à en tirer profit, notamment grâce aux droits d’auteurs, comme EMI Music par exemple.

Gestion collective de la propriété intellectuelle : ils exercent les droits d’auteurs et de connexes dans l’intérêt des titulaires de ces droits. En France, nous avons la SACEM par exemple.

Films, Télévisions, Lieux Publics, Stations de radio : ils sont les médias publiques de diffusion de la musique, les éditeurs vont leur vendre les droits d’utilisation de leurs catalogues musi-caux, en passant par les sociétés de gestion collective de la propriété intellectuelle. En voici quelques exemples : Skyrock, TF1, Studios de cinéma.

Maisons de disque : elles remplissent plusieurs rôles comme la production, l’édition et la distri-bution. Quelques exemples : Universal, Bondage, Def Jam.

Producteur d’évènements : ils sont chargé d’organiser les évènements tels que des concerts ou des festivals.

Distributeurs détaillants : ce sont les vendeurs des créations musicales, qu’ils soient physiques comme la FNAC ou digitales comme iTunes.

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3 Selon www.snepmusique.com

2—Ladite « crise » de l’industrie musicale après la révolution numérique

A—Le marché du disque s’écroule

Le début du XXIème siècle fut un réel choc pour l’industrie de la musique. Au niveau économique, la crise est caractérisée par une importante chute des ventes de la musique enregistrée. Le graphique ci-dessous montre l’évolution des ventes d’albums par personne aux Etats-Unis de 1973 à 2009 :

Alors qu’il était prévu d’avoir une augmentation linéaire des ventes à partir des années 2000, on observe que l’arrivée de Napster fut en fait l’élément déclencheur de cette chute.

Le Syndicat National de l’Édition Phonographique se voit donc dans l’obligation de modifier les seuils de certifications à l’obtention des fameux disques d’or, de platines, de diamants3 :

Cette revalorisation montre bien les difficultés des acteurs du disque, où les moyennes des ventes baissent en continuation. Bien évidemment, le marché du numérique est arrivé assez ra-pidement, mais il n’a pas suffi à combler les pertes provoquées par les chutes catastrophiques du marché du disque.

Comme dans toute l’histoire de l’industrie musicale, les évolutions technologiques sont à l’ori-gine des importants bouleversements dans notre approche à la musique enregistrée : que ce soit le vinyle, la radio, la cassette, le CD ou le numérique, chacune de ces avancées a mo-difié les pratiques, de la production à la diffusion en passant par la consommation. Et il se trouve que dans chacun de ces cas, l’industrie en est ressortie plus forte et plus attrayante.

Avant 1988 Avant 2006 Avant 2009 Aujourd’hui

Argent 50 000 35 000

Or 100 000 100 000 75 000 50 000

Double Or Inexistant Supprimé

Supprimé

Inexistant

200 000

Platine 400 000 300 000 200 000 100 000

Double Platine 600 000 400 000 200 000

Triple Platine 900 000 600 000 300 000Diamant 1 000 000 750 000 500 000

8

7

6

5

4

3

2

1

1973

1974

1975

1976

1977

1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Ventes prévues (basées sur la croissance historique)

Apparition de Napster

Ventes actuelles

Vente d’albums US

Alb

ums

vend

us p

ar p

erso

nnes

Graphique réalisé par la RIAA (Recording Industry Association of America)

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4 Nil Sanyas (2013) « iTunes domine le marché US, Amazon MP3 progresse fortement », www.pcinpact.com5 Arnaud de la Grandière (2009),« iTunes, le double jeu des majors», www.macgeneratin.com6 Selon ZDNet.fr (2013),« Chiffres clés:le marché français de la musique sur Internet »

B—Le cas d’iTunes Music Store

Dans le but de mieux comprendre le marché du numérique, nous étudierons dans ce sous-cha-pitre, et grâce à l’outils des cinq forces de Porter, la vente de musique en ligne par Apple : iTunes Music Store. En voici les cinq forces (plus celle de l’Etat) ainsi que son hexagonal sectoriel :

1° force : La rivalité entre les entreprises du secteur

Principaux concurrents : AmazonMP3, Virgin Media, EMusic, Starzik, Qobuz, Music Me, etc. iTunes Store et AmazonMP3 ne laissent que très peu de parts de marché pour les plus petits concurrents (15-20 %)4. Donc son principal concurrent reste AmazonMP3.La menace reste plutôt faible en général : 3.

2° force : La pression des clients/distributeurs

Apple est son propre distributeur. L’entreprise a réussi à imposer ses prix sur le marché du numérique grâce à son énorme catalogue et son avance sur le contrôle de l’expérience de l’écoute de la musique enregistrée.Apple subit très peu de pression : 2

3° force : La pression des fournisseurs

D’une part, l’iTunes Store a toujours réussi à avoir les catalogues des majors à très bon prix, et ce grâce à sa forte taille, fait qui empêche la négociation de la part de ces dernières avec la firme, même s’ils tentent désespérément de favoriser la concurrence dans le but de réduire la force d’Apple.5 De plus elle se trouve en bon rapport avec les agrégateurs tels que Believe ou Tunecore, qui leur fournissent énormément de contenu indépendant.Les fournisseurs ont réellement du mal à faire pression sur la firme de Steve Jobs : 3

4° force : La menace d’arrivée de produits de substitution

Le piratage reste une des plus grandes menaces en tant que produit de substitution. À côté vient le streaming (Spotify, Deezer, Amazon Cloud Player, etc.), nouvel eldorado de la mu-sique en ligne qui ne cesse de progresser. Il représente en 2013 environ 38 % du marché de la musique en ligne en France. Il ne faut pas oublier YouTube, qui représente la première source d’audience (54 %) à l’accès à la musique en France6.Les nouvelles offres se font de plus en plus nombreuses et les modes de consommations changent : 6

5° force : La menace de l’entrée de nouveaux concurrents potentiels :

Par exemple, Google Play Music (suivit du service streaming Google Play Music All Access) a récemment fait son apparition sur le marché du téléchargement en ligne. Elle représente une menace pour iTunes, qui va devoir s’aligner en créant à son tour un service de streaming (iTunes Radio).Le marché est en pleine reconfiguration, Apple doit faire attention malgré sa grande part de marché : 56° force : l’étatDe manière générale, l’État aide les acteurs de la filière phonographique. Par exemple HA-

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7 Guillaume Champeau (2012), « La Carte Musique Jeune s’arrête dans une indifférence totale », www.numérama.com8 Guillaume Champeau (2008), « Crise de l’industrie musicale : les vrais chiffres », www.numerama.com

DOPI redirige les utilisateurs de services illégaux vers les plates-formes comme iTunes. Elle va même tenter d’encourager les ventes légales en proposant des cartes créditées de télécharge-ment pour les jeunes, mais en vain, l’opération sera un échec7. Donc menace inexistante : 0

C—Pourquoi faut-il relativiser la crise de l’industrie musicale ?

Cette crise causée par le numérique est malgré tout à double tranchant : l’arrivée du numérique et d’Internet a permis aux utilisateurs d’expérimenter le piratage, principale cause des chutes de ventes physiques, mais on peut aussi dire que ce partage gratuit et volumineux a engendré de nouvelles pratiques chez les utilisateurs. Ces derniers vont en effet se donner à l’exploration musicale, et donc ne plus se limiter à quelques disques par mois ou voir par année. De cette manière, la curiosité des auditeurs va s’accroitre en s’ouvrant sur de nouveaux genres par exemple. On verra par la suite que le numérique a augmenté la présence de la musique dans nos vies ainsi que le nombre de créations musicales produites.

Contrairement à ce que les médias de masses prônent depuis des années, l’industrie musicale n’est pas réellement dans une mauvaise passe, il ne s’agirait qu’en effet de la crise du disque, semblable à la crise de 1929 aux Etats-Unis qui fut également causée par l’arrivée d’une nouvelle technologie d’information et de communication : la radio. Encore une fois, ce sont les acteurs de la filière phonographique qui n’ont pas su s’adapter aux nouvelles pratiques culturelles des auditeurs. Il serait donc trop facile de définir le piratage comme l’unique cause de la crise du début du XXIème siècle.

Pendant que pour d’autres acteurs, cette idée de crise se voit contradictoire lorsqu’on observe les revenus de grands éditeurs comme la Broadcast Music Inc. (BMI), qui est l’équivalent de notre SACEM. Cela va faire presque 30 ans que les revenus de la BMI ne sont pas en baisse. Au contraire, ses revenus se gonfler de presque 10 % chaque année4. Ces acteurs ont donc réussi à continuer de générer des revenus grâce à l’exploitation et à la diffusion de leurs cata-logues et notamment grâce à leur « attitude favorable à la technologie8 ».

Intensité concurrentielle

0

9

3

6

2

8

7

5

4

1

Pouvoir de négociation des distributeurs/clients

Pouvoir de négociation des fournisseurs

Menace des nouveaux

Produits de substitution

état

Itunes Music Store : 5+1 Forces de Porter

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II« Musicalisation » de la société :

évolution et valorisation des pratiques culturelles

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1—Profusion de contenus musicaux

Avant le phonographe d’Edison, à la fin du XIXème siècle, aucune économie concrètement basée sur la valorisation marchande de la création musicale n’était réellement concevable. En effet, la musique n’était qu’à l’époque consommée qu’en live, à défaut de pouvoir l’enregistrer. Le phonographe fut la première de nombreuses innovations technologiques ayant permis cette valorisation marchande. Au fil des années, maintes nouvelles techniques modifièrent la manière d’écouter la musique enregistrée, permettant son intégration de plus en plus prononcée, tel un loisir, dans la vie de tous les jours. Une des dernières innovations fut la numérisation des créations musicales, qui avec l’arrivée d’Internet, a encouragé une forte propagation de la musique dans notre vie de tous les jours. Les auditeurs en veulent toujours plus, c’est pour cette raison que le peer-to-peer fut considéré comme un fantasme réalisable pour ces derniers :

« Avant Internet et les logiciels comme eMule, si tes parents n’avaient pas une collection de CD, tu étais tristement condamné à écouter les titres qui passaient en boucle à la radio ou à la télé. Le téléchargement m’a permis de me faire une bonne culture musi-cale et d’avoir une certaine ouverture d’esprit, que ce soit les classics ou les dernières tendances indé, tout était à portée de clic ! » (Medoc, 21 ans, DJ techno)

Cette façon boulimique de consommer la musique a entrainé de lourdes conséquences pour l’industrie de la musique enregistrée. Le modèle basé sur la vente à l’unité d’albums ou de singles n’est donc plus d’actualité dans cet environnement numérique. L’expérience musicale se vit de plus en plus de manière ubiquitaire, intégrant une certaine flexibilité dans nos modes de consommation.

On peut aussi mettre en parallèle cette quotidienneté de la musique avec le phénomène du DJing, les rave parties et tout ce qu’il va avec. En effet, les raves et les soirées de musiques électroniques représentent bien cette musicalisation non-stop recherchée par les auditeurs car quand un DJ mixe, c’est généralement pour plusieurs heures, sans aucune coupure :

« Aujourd’hui dans les grandes villes comme Berlin, Paris ou Londres, on peut écouter et danser sur des rythmes effrénés pendant trois à quatre jours sans aucune coupure, ce qui révèle bien le besoin d’une forte présence musicale dans nos vies. » (ibid.)

L’industrie « doit être en mesure de valoriser (et donc comprendre) l’expérience esthétique telle que l’auditeur la vit au quotidien. » Les acteurs ont donc eu plus de mal à affronter les mutations dans les modalités des pratiques culturelles que le changement de format d’écoute. (PERTICOZ, 2012, p. 23)

A—Valorisation marchande d’une pratique culturelle

« Pour les acteurs de l’industrie phonographique, l’objectif est donc d’arriver à la création d’un marché de masse à partir d’une valeur d’usage profondément subjective et ressentie comme telle par l’auditeur. » (PERTICOZ, 2012, p.23) Ils doivent ainsi être capable de faire adhérer à un grand nombre d’individus singuliers (assez pour créer un marché) une création musicale éditée en séries de manière industrielle. La valorisation marchande se fait

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9 Mini Chiffres Clés 2013, Statistiques de la culture, Département des études de la Prospective et des Statistiques - DEPS

ainsi grâce à la capacité des acteurs économiques à encadrer une expérience esthétique bien spécifique. Selon un article de Tremblay publié dans Sciences de la Société et cité par Perticoz (2012), la technique n’est pas le seul critère à prendre en compte lorsque l’on analyse la pratique culturelle de l’écoute. Il faut prendre en compte les évolutions sociales et les changements culturels, où la technique serait donc une sorte de catalyseur/accom-pagnateur de nouvelles pratiques. Lorsqu’une innovation technique fait surface, ces usages dépassent généralement ceux attendus par son concepteur. Dans le même sens, on peut dire que les acteurs de l’industrie phonographique avaient sous-estimé les conséquences de site comme Napster.

L’écoute de musique enregistrée s’installe progressivement mais durablement dans nos mœurs. Cette tendance se solidifie à chaque génération depuis les premières enquêtes réalisées dans les années 1970. Selon le DEPS (Département des Études de la Prospective et des Statistiques), en 20089, 34% des français déclareraient écouter quotidiennement de la musique. De plus, ce chiffre aurait tendance à grossir chez les jeunes. La pratique d’écoute de musique est donc de plus en plus valorisée et devient ainsi un loisir auquel les auditeurs ne pourraient se passer. Elle est généralement indispensable dans le processus de création identitaire d’une personne, c’est le principe de « l’individu porteur de projet » de Philippe Bouquillion : l’individu construit son identité à travers sa consommations des biens culturelles (BOUQUILLION, 2007, p. 248). Les acteurs historiques se voient donc obliger de repenser la manière dont ils vont mettre leurs productions sur le marché. Le fait que les auditeurs ne dépensent pas systématiquement lorsqu’ils écoutent de la musique enregistrée ne signifie aucunement qu’ils en accordent moins d’importance. Mais cette situation reste tout de même contraignante pour continuer à financer la création. L’écoute s’est donc insé-rée dans le quotidien, profondément ancrée dans la vie de tous les jours laissant ainsi les auditeurs créer la « bande originale » de leur propre vie. Cette intégration quasi fusionnelle et la profusion des contenus musicaux sont un désir déjà présent depuis de nombreuses années chez les auditeurs, dont les majors ont su susciter ce dernier grâce à leurs nombreux catalogues musicaux (PERTICOZ, 2009, p. 126).

B—L’ubiquité musicale

Dès la fin du XIXème siècle, on peut observer un changement radical dans les manières de produire, de diffuser et d’écouter de la musique. Paul Valery l’avait judicieusement bien prédit, la musique est devenu ubiquitaire, c’est-à-dire que l’on peut écouter ce que l’on veut, quand on le veut et où on le veut :

« Leur présence immédiate ou leur restitution à toute époque obéiront à notre appel. Elles ne seront plus seulement dans elles-mêmes, mais toutes où quelqu’un sera, et quelque ap-pareil. Elles ne seront plus que des sortes de sources ou des origines, et leurs bienfaits se trouveront ou se retrouveront entiers où l’on voudra. Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyen-nant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, nais-sant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe. » (VALERY, 1928, p. 3s)

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Elle répond ainsi aux humeurs passagères, à l’instant présent, accompagnants les émotions de l’auditeur. Disques de cire, vinyles, cassettes audio et CDs furent les catalyseurs de cette nouvelle tendance.

Mais la numérisation et internet ont rendu cette mise en musique du quotidien beaucoup plus flexible. L’ordinateur et le lecteur mp3 (téléphone compris) sont devenus les principaux moyens d’écouter de la musique aujourd’hui. En ce qu’il concerne l’ordinateur portable, qui a sa place centrale dans les interconnexions des appareils numériques, il est un acteur important dans cette tendance où contenus musicaux, appareils et réseaux de communi-cation s’articulent entre eux. Perticoz y voit, que ce soit dans l’ordinateur ou le téléphone mobile, « matérialisation de l’identité de son possesseur, un outil de mise en scène de soi. » (PERTICOZ, 2012, p. 33)

Face à cette importante masse de titres, le fait que quelqu’un consomme un morceau en particulier parmi d’autres est tout à fait remarquable :

« A partir du moment où de toute façon, tout est enregistrable, le problème n’est plus d’enregistrer ni de communiquer, il est de recevoir, il tient dans la capacité information-nelle réceptive de l’être quotidien, possesseur d’un budget-temps nécessairement limité » (MOLES, 1986, p. 221).

L’attention accordée par les auditeurs devient, parmi cette profusion musicale, tout aussi important que l’œuvre en soi.

Conclusion

L’industrie phonographie cherche plus que jamais à être plus proche de l’auditeur et de ses pratiques quotidiennes. Perticoz observe une multiplication des acteurs anciennement étrangers à la filière qui font surfaces comme Apple ou Orange par exemple. Et bien évi-demment, de nouveaux acteurs sont nés: Deezer, Bandcamp, Soundcloud etc. Benghozi et Paris considèrent que les nouvelles formes d’échanges mènent à différencier les usages et les utilisateurs, renforçant ainsi la floraison des marchés, des circuits de diffusion et des mo-dèles de rémunérations traditionnels (BENGHOZI, PARIS, 2001, p. 18s). Ils vont d’ailleurs en ressortir 5 types d’acteurs :

Sites de téléchargement en ligne : Virgin; Itunes Stores; Amazon Mp3; BeatportNetmedia (streaming musical) : Spotify; Deezer; Google Play All AccessOpérateurs mobiles : Bouygues; SFR; OrangeFabriquants de Hardware : Apple; Samsung; SonyLabels indé 2.0 : Believe Digital, The Orchard

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10 Aude Fredouel (2013) iTunes rafle 75% du marché de la musique en ligne, Journal Du Net

Mais le partage des marchés entre ces acteurs est inégal, une petite poignée d’acteurs va en effet dominer ce nouvel eldorado de la musique enregistrée. Une des clés de voute des acteurs dominants est le principe de la « long tail » de Chris Anderson, qui consiste à exploiter les fonds de catalogue, intéressant donc pour les grands distributeurs comme Apple ou Amazon, qui en ont fait leur gagne-pain. Quant à Deezer et Spotify, ils se sont placés comme interlocuteurs privilégiés, rendant difficile l’entrée des nouveaux acteurs. En effet leur rôle d’intermédiaire remplis la « fonction stratégique d’interface entre la profusion de contenus musicaux, les auditeurs et les annonceurs. » (PERTICOZ, 2012, p. 39) Ils sont considérés comme référence grâce à leur catalogue très exhaustif (productions des majors en général). Ainsi l’oligopole se renforce et ne semble pas être prêt de changer.

Contrairement à ces deux acteurs, Apple n’a guère subi le lobbying des majors. Déjà bien pérenne au lancement du duo iPod/iTunes, elle a su s’imposer devant les acteurs historiques de l’industrie. Les majors n’ont pas su anticiper le bouleversement du numérique, au profit d’Apple qui en a profité pleinement. Depuis, ces dernières ont tenté de nombreuses fois de réduire l’influence de l’entreprise de Steve Jobs, voulant favoriser de nouvelles alternatives concrètes à l’iTunes Music Store, mais en vain. Amazon MP3 et Google Play Music seraient les nouveaux espoirs des majors pour réduire l’influence d’Apple. Mais pour l’instant, avec presque 75% de parts de marché mondial de la musique en ligne (6,9 Milliards de dollars grâce à la musique)10, la marque de Cupertino garde le monopole, mais s’inquiète tout de même de l’arriver des deux autres géants américains. Les majors cherchent donc encore et en-core à réparer leur grave erreur d’appréciation du passé et surtout de ne plus les reproduire.

Quant à eux, les labels indépendants restent en situation précaire. Malgré les efforts com-muns comme la création de Merlin en 2007 – Structure à but non lucratif regroupant plusieurs labels indépendants dont l’objectif est de se serrer les coudes faces aux majors – Perticoz y voit une grande déception de leur part face aux espoirs qu’avait pu susciter internet. En effet, ils se retrouvent coincés entre les majors et les nouveaux acteurs du numé-rique. Ainsi, l’appel à de nouveaux intermédiaires est pour la plus part du temps inévitable si l’on souhaite obtenir un minimum de visibilité. De cet angle là, les liens entre l’artiste et son public ne se resserrent pas, mais bien contraire, ils se compliquent. La filière reste donc dominée économiquement par un petit nombre d’acteurs qui se solidifient avec le temps.

2—Stratégie de contrôle de l’expérience musicale

L’expérience, du latin experientia, signifie dans un premier temps l’épreuve, puis dans un second, la connaissance acquise grâce à la pratique. Aujourd’hui, elle désigne la pratique.Dans l’univers de la musique, l’expérience et le contrôle seraient les symptômes « des ten-sions qui existent entre les modalités de création, de valorisation, de partage et d’écoute de la musique aujourd’hui. (…) Le recours à la notion d’expérience dans une perspective musicale permet alors de la considérer non pas comme une entité figée, mais comme ‹ un faire › comme la combinaison toujours renouvelée de ce que nous en faisons et ce qu’elle nous fait faire. » (ROUZÉ, 2012, p. 45ss) Selon l’auteur, bien connaître et savoir anticiper les expériences musicales sont les fondements des stratégies de contrôle de l’industrie musi-

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cale. Ainsi les auditeurs façonnent leurs expériences musicales selon les précédents modèles de stratégie et : « donne lieu à des pratiques normatives ou au contraire à des pratiques ‹ alternatives › qui seront bientôt épurées de leurs dimension idéologique, puis récupérées et intégrées dans de nouvelles stratégies. »

A—Le contrôle des expériences : une logique normative

La filière musicale historique a toujours contrôlé les expériences de manière industrielle et a contribué à sa valorisation symbolique et économique. On peut observer aujourd’hui un oligopole à frange, où les majors garantissent l’édition et la distribution des labels in-dépendants (ROUZÉ, 2012, p. 48). Par exemple, Universal Music est né de la fusion de Polygram et MCA Music. Ces deux derniers possédaient déjà un grand nombre de labels tels que Geffen Records, A&M records et Motown Records.

Aujourd’hui ce ne sont plus que 3 majors qui se partagent plus de 70% des parts de marché de la musique enregistrée :

—Universal Music Group ;

—Sony Music Entertainement,

—Warner Music Group

Le contrôle des expériences fonctionne sur la maîtrise de contenus. C’est-à-dire que, soit les majors sélectionnent puis produisent du contenu, soit elles font l’acquisitions de nouveaux catalogues musicaux grâce au rachat de concurrents et de labels. De plus, elles ont réussi à imposer une logique de star-system, calqué sur le modèle hollywoodien. Le tout appuyé grâce à une stratégie basée sur le « hit » où seulement un petit nombre de d’artistes et de morceaux réalisent la majorités des recettes. Selon Patrice Flichy et repris par Vincent Rouzé, c’est une « logique qui permet de compenser les pertes des albums produits dont près de 70% seront déficitaires » (ROUZÉ, 2012, p. 49)

Les médias

Les médias traditionnels permettent une deuxième forme de contrôle de l’expérience. Ils assurent ainsi la promotion et deviennent ainsi de véritables prescripteurs.

« En France, malgré la multiplication des canaux de diffusion radiophoniques (depuis la libération des ondes en 1981) et télévisuels (avec les privatisations et l’arrivée de chaînes thématiques), les politiques audiovisuelles publiques et privées reposent moins sur la diver-sité de l’offre que sur celle de l’audience. En mars 2009, le passage sur TF1 de la tournée ‹ Les Enfoirés : la crise de nerf ›, dont les bénéfices sont reversés à l’association caritative Les restos du Cœur, a recueilli une audience historique avec 12,3 millions de téléspec-tateurs, soit 53,1% des parts d’audience. Même constat avec les programmes musicaux de téléréalité et de divertissement. Majoritairement, ces licences internationales déclinées nationalement telles que Popstar, À la recherche de la Nouvelle Star (M6), Star Academy (TF1), s’appuient sur des partenariats avec des majors telles qu’Universal Music » (ROUZÉ, 2012, p. 51).

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11 Selon sacem.fr

Ainsi les majors découvrent de nouveaux talents chaque année. Mais leur but ultime serait en fait de promouvoir leurs catalogues, de le valoriser. Bien conscient de ce contrôle d’ex-périence, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) demande aux majors une diversifi-cation de l’offre culturelle dans les médias. En conséquence, la musique perd sa place sur les chaines nationales. Selon le Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP), les concerts, clips vidéo et prestations de plateaux se font de plus en plus rares à la télévision :

Quand on observe que les artistes diffusés à la télévision proviennent seulement des majors, on en conclue donc chez les médias un formatage où seuls les chiffres des ventes importent. Selon les travaux de Hein et Perrenoud repris par Rouzé, les médias mettraient ainsi les ac-teurs alternatifs et indépendants à l’écart du contrôle expérientielle (ROUZÉ, 2012, p. 52).

Les technologies

Il est évident que le contrôle des expériences se réalise aussi via les technologies. Rouzé a observé au travers de l’histoire un combat technologique et commercial dans le but d’impo-ser, et donc, contrôler les supports d’écoute. Des années 1980 aux années 1990, Phillips et Sony furent en concurrence sur les supports de types cassette et CD. C’est avec l’arrivée du numérique qu’Apple s’impose avec son expérience tout-en-un. L’iTunes Store, ou Napster pour certain, se complémentent avec l’iPod de Steve Jobs, qui a su réussir à imposer aux autres acteurs du numérique le morceau de musique à 0,99 euro. Que ce soit donc piraté ou téléchargé légalement via iTunes, la musique est dans ce cas un véritable « produit d’ap-pel » servant à encourager les ventes de supports de lecture. Pour faire face au piratage, les majors se lancent dans une stratégie de résistance : c’est ainsi qu’apparaissent les fameux Digital Right Management (DRM), traduit en français par Gestion Numérique des Droits (GND). Il s’agit de restrictions délimitant géographiquement l’usage et limitant la copie dans le cadre privé. Les auditeurs perdent ainsi le contrôle de l’usage de leurs acquisitions, et s’en rendent compte. C’est pour cela que les majors, conscient d’avoir exercé un contrôle de trop, abandonnent les DRM en 2009. Ces derniers furent une des principales raisons de la difficulté de développement de la filière numérique. (ROUZÉ, 2012, p. 52)

Les normes juridiques

Enfin, les normes juridiques sont elles aussi une forme de contrôle. Présent depuis 1957, le droit d’auteur est géré par la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique. Selon la SACEM : « elle a pour mission essentielle de collecter les droits d’auteur en France et de les redistribuer aux créateurs français et du monde entier. Cette mission est fondamen-tale pour pérenniser la création et le fonctionnement de la filière musicale. »11 Elle va ainsi obliger chaque artiste à y déposer l’intégralité de ses œuvres, permettant un contrôle total

TF1

2,2 % 2,1 % 2,9 % 4 % 16 % 3,2 %

FANCE 2 FRANCE 3 ARTE M6 FRANCE 4

24h/24h part de diffusion de musique : année 2012

Parts consacrées à la musique sur les chaines principales françaises, SNEP (2012)

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12 ZDNet.fr (2013), « Hadopi : la coupure d’accès à internet, c’est officiellement fini »

de ce dernier, rémunérant les artistes selon leurs ventes et leur présence dans les médias.

De plus, « les débats européens et américains sur l’extension de la durée du droit d’auteur et du copyright soulignent d’ailleurs à la fois les liens directs entre les modalités juridiques et les logiques économiques. » (ROUZÉ, 2012, p. 53) Selon la SASEM, le SNEP et les majors, la crise du disque aurait été causée uniquement par les téléchargements illégaux. Ces imposants acteurs ont ainsi exercé un fort lobby envers les institutions publiques afin de mettre un terme à cette situation. De nombreuses campagnes de sensibilisations et de nouvelles lois font surface. La célèbre loi HADOPI en fait partie, à l’origine de la création de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet. La loi visait à sévir les personnes téléchargeant via le système peer-to-peer. Malgré la censure par le Conseil constitutionnel, la loi Hadopi 2 a intégré la coupure de l’accès à internet pour l’utilisateur « pirate » en cas de récidive. C’est seulement le 9 juillet 2013 que le gouverne-ment abroge cette disposition et ne condamne désormais qu’à une quinzaine de jours sans internet ainsi qu’une amende de 600 euros12. Le contrôle de l’expérience est donc aussi présent dans les échanges privés et permet ainsi une tentative de maitrise de ces derniers.

B—La récupération du contrôle : une alternative

Selon les travaux d’Antoine Hennion repris par Vincent Rouzé, l’expérience musicale im-plique l’interaction entre ce que nous faisons de la musique et ce que la musique nous fait faire. (ROUZÉ, 2012, p. 54s). Grâce à l’arrivée du numérique, Internet, des nombreux lo-giciels de création musicale (Musique Assistée par Ordinateur) ainsi que l’émergence d’une blogosphère et sites spécialisés, on assiste à une au phénomène inverse du contrôle des expériences. Le chercheur y voit une nouvelle volonté de la part des « amateurs » de vouloir changer les modèles industriels grâce à de nouveaux dispositifs dits « alternatifs », mettant en amont les formes de contrôle.

L’autoproduction

Le premier dispositif est directement inspiré du fameux « Do it Yourself ». Composer et dif-fuser un album était autrefois quelque chose de long et pénible, mais plus maintenant. Les logiciels de compositions tels que Ableton Live, FL Studio ou encore le plus simple d’entre eux : Garage Band, présent sur tous les ordinateurs marqués d’une pomme. Ainsi, confec-tionner son propre home-studio est aujourd’hui quelque chose de très accessible, que l’on soit musicien voulant concevoir des maquettes ou DJ/Compositeur/Remixeur, la production est à portée de tous :

« J’ai signé des dizaines de sorties sur des labels exclusivement numériques, qui m’ont permis d’acquérir une certaine notoriété et ainsi de pouvoir continuer à m’acheter du matériel pour mon home studio (…) J’ai commencé tout seul en pi-ratant des logiciels, en suivant des tutos sur le net et en bidouillant comme je pou-vais, aujourd’hui je sais maitrisé la totalité des logiciels de compo sans soucis » (Eric Reivolp, 23 ans, Dirigeant d’un label numérique, DJ, Compositeur, Remixeur)

Peut-être même un peu trop pour certains, car il en sort un grand nombre de créations hété-

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13 Boris Manenti (2012), Soundcloud : « Nous ne sommes plus un site underground », NouvelObs.com14 Scott Colothan (2007), EXCLUSIVE: RADIOHEAD SELL 1.2MILLION COPIES OF ‘IN RAINBOWS’, Gigwise.com

rogènes, aux qualités musicales et esthétiques très inégales. C’est ce que cet artiste pense :

« Quand on fait un tour sur Soundcloud, ou simplement quand on réécoute ses pre-mières prod’, on voit bien que la qualité laisse parfois à désirer chez les amateurs. Mais c’est comme ça… Cette masse de sons autoproduits m’a permis de forger mon oreille, plus le temps passe, plus je suis pointilleux, et c’est tant mieux ! »(Henk Ol, 26 ans, DJ, Compositeur, Remixeur)

Patrice Flichy y voit un inversement des rôles, l’amateur devient le professionnel et le profes-sionnel devient l’amateur, où les codes sont toujours présent, de manière hybride.

De cette multiplication de créations amateurs, en émergent les Net-labels qui puisent dans ce vivier d’artiste amateurs, sans avoir à dépenser le moindre sou dans la production. Ce sont de véritables maisons de disques mais virtuelles, fonctionnant ainsi selon les mêmes logiques artistiques que les labels traditionnels, sélectionnant les artistes et les titres à éditer et s’occupent aussi généralement du graphisme et de la promotion. (LELOUP, 2013, 163)

Les nouvelles médiations

Alors que les médias traditionnels sont principalement sous le contrôle des majors, les nou-veaux médias permettent enfin aux amateurs de pouvoir faire surface. Les sources musicales se démultiplient, de nouveaux groupes et genres musicaux émergent. Le tout créant un flux très active où il n’est pas impossible de s’y noyer. (ROUZÉ, 2012, p. 56)

Pour valoriser sa musique, Myspace fut le précurseur des sites d’autopromotion dans le monde la musique. Aujourd’hui, de nombreux concurrents ont détrôné ce pionnier. Soun-dCloud en fait parti, et il n’a pas peur de son prédécesseur. Étant pour le son ce que You-tube est à la vidéo, la start-up berlinoise créée en 2007 n’a cessé de croitre : aujourd’hui, plus de 180 millions d’internautes publient 10 heures de son chaque minute13. Son succès est essentiellement du à son intégration très réussite des réseaux sociaux et des plateformes d’achats numérique.

Quant à eux, les artistes ont eux aussi voulu expérimenter de nouvelles formes de médiati-sations. Par exemple, le renommé groupe de rock moderne Radiohead laissa le choix en 2007 à ses fans de payer le prix qu’ils souhaitaient pour l’album In Rainbows14. Il s’agit d’un véritable engagement idéologique de la part du groupe voulant à tout prix se distancer d’EMI ou encore organiser une tournée de concerts autonome sous chapiteau.

On peut aussi saluer la venue de nouveaux moyens de promotions ces dernières années. Par exemple, le rappeur/compositeur Kanye West à joué la carte du minimalisme pour son dernier album nommé Yeezus. S’abstenant de toute communication traditionnelle, il entame l’orchestration de la sortie de son album par un simple « June Eihghteen » posté sur Tweeter, laissant ainsi spéculer les fans sur ces deux mots. Ensuite, quelques mystérieuses vidéos font surfaces sur le tout récent réseau social Vine. N’ayant aucune d’informations officielles à se mettre sous la dent, les internautes relaient ses vidéos de manière très virale. Un mois environ avant sa sortie, l’artiste fait projeter sans aucunes autorisations une vidéo de son titre engagé New Slaves sur des murs d’immeubles, et ce simultanément dans 66 lieux

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différents dans le monde entier. Action sauvage annoncée seulement par un unique tweet, Kanye West continue sa campagne en retirant la possibilité de précommander l’album sur l’iTunes Store, étonnant sachant que ces téléchargements anticipés permettent de gonfler les ventes en première semaine. Par la suite, même après la sortie de l’opus, aucun single ne sera envoyé aux radios. Cette logique minimalisme se retrouve aussi sur la pochette d’al-bum, vider de toute fioritures. Il appelle même aux fans de personnaliser eux-mêmes l’album et de poster leurs résultats sous les hashtags #PleaseAddGraffiti, #YeezusArt ou encore #YeezusGraffiti, malin quand on sait que le graffiti est très lié au rap. On observe ainsi une interaction plus que réussite entre l’artiste et les communautés actives du web, tout en fuyant intentionnellement les mass medias traditionnels.

Mais encore une fois, question d’enjeu économique, ces formes de partages ont été et seront détourné et réutilisé par les majors, laissant derrière eux cette volonté de promotion directe de la musique entre l’artiste et ses fans.

Les alternatives juridiques

Prônant une musique plus libre et partageable sans aucune restriction ou contrôle, les sites tels que Dogmazik ou Jamendo lancent de nouvelles alternatives juridiques à l’encontre du droit d’auteur. « Creatives commons » sont donc les licences qui permettent une distinction fondamentale entre bien moral et bien physique. Ainsi, l’auteur est protégé et sa musique peut circuler librement. (ROUZÉ, 2012, p. 57)

L’Auditeur en tant qu’acteur

Avec cette profusion du contenu musical qui ne cesse d’augmenter, la playlist est devenue un des points-clés de l’expérience musicale d’aujourd’hui. Ainsi, on compile nos titres fa-voris et on n’hésite pas à les partager avec nos proches ou encore avec le monde entier grâce à Internet. Le simple auditeur devient un médiatisateur/prescripteur qu’il ne faut pas sous-estimer. Il fait part de son expertise via les blogs, forums et sites spécialisés :

« Cette situation n’annonce pas tant la mutation structurelle de la filière qu’une mutation des statuts et des professions. L’amateur devenant un hybride entre le consommateur, le prescripteur, le professionnel changeant de statut en fonction des projets élaborés. » (ROUZÉ, 2012, p. 57s)

C—Le contrôle des expériences dans la communication et le marketing

« Dans les derniers développements du marketing, l’expérience est devenue une sorte d’idéal à atteindre dans une stratégie d’excitation extrême du consommateur. En effet, le consommateur ne demanderait plus seulement à rencontrer de simples produits ou services, il voudrait vivre des expériences extraordinaires. Ceci n’est pas nouveau en soi puisqu’il y a vingt ans que l’on signale l’émergence d’une consommation expérientielle et d’un réenchantement de la distribution, c’est le développement d’un cadre de gestion optimisée de la production d’expériences par l’entreprise qui est nouveau. Ce cadre a un nom, le marketing expérientiel. La théorie du marketing expérientiel s’appuie sur le

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procédé rhétorique le plus classique du marketing (Marion, 1995), celui de la réécriture de l’histoire en construisant comme réelle une période antérieure – celle du besoin de produits et des services – pour faire voir la ‹ nouveauté › dans l’expression des besoins du consommateur : le besoin d’expériences. » (CARÙ, COVA, 2006, p. 110s)

De ce fait, un nouveau modèle économique hybride fait surface, permettant ainsi l’assu-rance d’un contrôle tout en laissant place à l’exercice des expériences : le web dit « colla-boratif » (ROUZÉ, 2012, p. 59). Du simple commentaire posté sur Soundcloud à la revue d’album du dernier David Bowie sur son propre blog, en passant par la composition et l’autopromotion en ligne de sa musique, les amateurs deviennent de véritables créateurs de contenu. Ils vont même jusqu’à passer au stade de « producteur » via les nombreux sites de Crowdfunding (Finance participative). Ce nouvel eldorado du web collaboratif est en plein essor, il permet aux fans de financer des artistes et, selon son don, de participer plus ou moins à la production d’un album par exemple. Il peut ainsi figurer sur la liste de remercie-ment, assister à l’enregistrement en studio, avoir des goodies dédicacés etc. Les formalités d’échanges ne sont donc pas définies et résultent du choix de l’artiste. Mais il arrive que certains projets demandent de nouveaux couts pour la distribution ou la production, com-plexifiant ainsi la chaine d’intermédiation.

D’autres acteurs apparaissent également : les web radio telles que Spotify (Suède), Deezer (France) ou encore la nouvelle venue des géants d’internet dans cette filière telles que iTunes Radio, Google Play All Access ou encore Amazon Cloud Player. Leurs offres se basent sur l’écoute gratuite rentabilisée par la publicité ou par les abonnements Premium, qui consiste à payer une dizaine d’euros par mois pour un accès illimité, de meilleure qualité et accom-pagné de nombreux services. Toujours dans la logique du contrôle des expériences, les auditeurs peuvent partager leurs playlist ou simplement afficher ce qu’ils écoutent, le tout via l’application ou les réseaux sociaux, ces deux derniers étant fortement interconnectés. Malgré ces nouvelles formes de valorisation de la musique, le constat est tel que le finan-cement des contenus reste principalement dans les mains des majors ou à la charge de l’indépendant. (ROUZÉ, 2012, p. 58ss)

Conclusion

De l’artiste amateur aux majors en passant par les auditeurs, chacun s’essaie au contrôle des expériences, mettant ainsi l’industrie du disque en crise sans avoir renouvelé fonciè-rement sa structuration. La venue du numérique, accueilli dans les années 2000 comme le sauveur des acteurs indépendants, n’a pas été synonyme de grand changement des logiques de la période précédente. Malgré la crise du disque, ce sont toujours les majors qui imposent et structurent l’industrie, essentiellement grâce à leur lourd poids financier. Le contrôle des expériences est le « nerf de la guerre », que cela soit en amont de la filière comme le financement participatif ou en aval du système industriel comme les nouveaux médias :« les artistes de MyMajorCompany produits par les internautes sont édités par la major Warner. La plateforme d’écoute Wormee a signé un partenariat avec Orange, avant de se fondre dans Deezer, afin d’accroître l’accès aux contenus et la diffusion de musique

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15 Interview de Rodriguez dans le documentaire « Searching for the Sugar Man » de Malik Bendjelloul

en streaming pour la téléphonie mobile » (ROUZÉ, 2012, p. 61) Ainsi les liens entre acteurs propres à l’industrie musicale et l’industrie de services, comme la communication par exemple, ne cessent de se renforcer. Selon l’Observatoire de la musique et la SNEP, on tendrait vers une stabilisation du marché ainsi qu’une augmentation des ventes numériques. En ce qu’il concerne les artistes, l’espoir d’une rémunération durable ne sera pas entretenu par la Long Tail de Chris Anderson, mais permet une fois de plus un certain renfor-cement économique de la structuration de la filière. Les acteurs indépendants « jouent, quant à eux, une partition oscillant entre contrôle des expériences et expériences contrôlées. (…) L’enjeu est avant tout de se positionner par rapport au contrôle expérientiel des majors tant sur le plan de la valorisation que ceux du droit d’auteur. » (ROUZÉ, 2012, p. 61)

Des niches musicales se sont créées, cherchant avant tout l’expérience contrôlée. Elles représentent aussi bien les scènes locales que les micro-scènes internationales, le tout en marge du secteur traditionnel des industries de la culture et de la communication. Selon le chercheur, la mutation de l’industrie musicale serait donc davantage organisationnelle que structurelle. De nouvelles pratiques sont apparues autour de la musique, ainsi que de nou-veaux métiers, compétences et modes de valorisation.

3—La musique comme « produit d’appel »

A—Le prolongement de la stratégie de catalogue

Lorsqu’on demande au talentueux Sixto Rodriguez15 s’il était surpris que son premier album n’a pas marché aux Etats-Unis, alors qu’il rassemblait toutes les qualités pour, il répond sim-plement et modestement: « Étais-je surpris ? C’est ainsi dans l’industrie musicale, il n’y a aucune garantie ».

Alors que les techniques de marketing sont de plus en plus perfectionnées, personne ne peut être en effet certain du succès ou non d’un titre. Richard Caves appelle dans les années 2000 ce phénomène : la règle du Nobody Knows (MAGIS, 2012, p. 72). Le risque fait donc partie de l’industrie culturelle en général. Pour parer cela, l’éditeur de biens culturels cherche à tout-prix à étaler les risques.

Bernard Miège observe lui en 1984 une « dialectique du tube et du catalogue ». Selon un ouvrage de 2000 de ce dernier, et cité par Christophe Magis, le principe serait de « propo-ser une gamme de produits, répertoriés sur un même catalogue, et de calculer les résultats d’exploitation, et finalement le bénéfice commercial, non titre par titre, mais catalogue par catalogue. Les succès étant à priori considérés comme imprévisible, on étale les risques… et les chances sur une gamme de titres » (MAGIS, 2012, p. 72). Cette stratégie est notam-ment possible grâce au vivier d’artistes, en marge de l’industrie, dans lequel peut puiser les éditeurs afin de répartir les risques dans un secteur où l’incertitude règne. Ils seraient donc attirés par un certain glamour du secteur culturel (HESMONDHALGH, 2007, p. 71), en contrepartie d’une rémunération instable et incertaine selon le succès de l’artiste.

Sachant que, selon Nicolas Garnham, une sortie sur neuf est en moyenne un succès, les majors vont donc réussir à amortir les pertes d’argents de 8 échecs avec un seul succès,

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évidemment grâce à la stratégie de catalogue (MAGIS, 2012, p. 72).

Mais il arrive parfois, surtout depuis la crise du disque, que les succès ne rentabilisent pas les investissements. C’est pour cela que les acteurs de la filière vont chercher d’autres sources de revenus. Ainsi, de plus en plus de labels vont favoriser les éditions spéciales des supports de lecture comme des coffrets ou des vinyles à l’esthétisme soignée : du « versio-ning » selon Curien et Moreau (ibid.).

Malgré cela, les supports musicaux n’assument généralement pas une rentabilité. Le relais est donc donné au merchandising, qui passerait « de l’état de possibilité de bénéfices se-conds à celui de bénéfices principaux, pour des éditeurs phonographiques indépendants » et le principe qu’un succès sur neuf rentabilise le catalogue des titres s’applique également au catalogue des objets. (MAGIS, 2012, p. 77)

Mais la vente d’objet repose aussi sur la valeur symbolique de l’artiste, car si ce dernier n’a pas une image forte, le fan sera plus réticent dans l’achat de produits dérivés. Une fois de plus, l’expérience sera donc l’outil fondamental pour cette valorisation :

« En réalité, les deux stratégies (de catalogue et de merchandising) servent à remédier à deux problèmes différents au sein de l’industrie de la musique, dont le premier ne disparaît pas quand surgit le second : la stratégie de catalogue limite les risques liés à l’incertitude quant au succès effectif des productions, celle de merchandising renforce le catalogue en ne li limitant pas aux seules productions discographiques lorsque les disques se vendent moins. » (MAGIS, 2012, p. 76)

La rentabilité n’est de ce fait pas seulement calculée sur les ventes d’œuvres mais sur toutes les ventes liées à l’artiste.

L’arrivée du numérique a également renforcé cette stratégie, surtout pour les producteurs indépendants, qui ont vu leurs coûts réduire grâce aux facilités qu’offre l’e-business.

B—Le Merchandising lié au style de vie

Jusque là très prisée par les géants de l’industrie souhaitant s’allier aux industries de télécom-munications ou à celles du hardware, la stratégie de merchandising deviendrait aussi la ré-ponse des nombreux producteurs, face aux majors, afin de pouvoir rester indépendant : « ils s’appuient en cela sur un imaginaire particulier, en rapport avec un passé mythifié de la production phonographique indépendante. » (MAGIS, 2012, p. 78)

D’après Dave Laing et David Hesmondhalgh, le punk en fut le parfait exemple : musique pro-duite à l’époque par des éditeurs indépendants, ils avaient intégré la production d’objets à la production musicale (ibid.). David Buxton y voit de véritable sous-cultures, fondé sur des styles de vie bien particuliers et incorporant une manière d’être et de se comporter ainsi que certains signes distinctifs dont les objets et la musique. (ibid.). Les groupes sociaux se définissent selon les coupes de cheveux, les vêtements, les dialectes, les quartiers fréquen-tés, etc. Chacun de ses détails étaient tout aussi signifiant que la musique elle-même. Ainsi se reflètent les stratégies de merchandising des actuels acteurs indépendants. Prônant un

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monde où le développement des artistes et la création musicale seraient placés au centre du processus de production, les labels indépendants construisent ainsi leur imaginaire autour d’un life style.

On retrouve cette forme de merchandising dans de nombreuses autres sous-cultures telles que le hip-hop, le reggae, l’EDM (Electronic Dance Music) etc. Il est intéressant d’observer l’évolution de la culture de la techno - ou tout comme d’autre styles d’EDM - qui aux temps des raves partys dans les années 1980 et 1990, étaient bien loin de cette culture du mer-chandising. En effet, le DJ n’était pas considéré comme artiste à part entière et était resté dans l’ombre à l’instar de l’esprit de communion qu’on y retrouvait. C’est au fils des années que les jeux d’identités sont apparus, mettant en avant le DJ/Compositeur comme un l’aurait été un chanteur de rock. Aujourd’hui de nombreux artistes ont imposé leurs identités, leurs « aura » et profitent à bon escient de cette ère nouvelle en proposant en plus de leurs sorties musicales, de nombreux objets à acheter.

Cette authenticité reste malgré tout valable que pour une certaine typologie d’auditeur, le merchandising est aussi associé à un fan business où il est question de « traire » un maximum l’argent d’un auditeur. (MAGIS, 2012, p. 81)

C—Les labels-marques

On observe une réelle diversification des éditeurs, devenant des « marques » à part entière. Les collaborations se font de plus en plus nombreuses, entre l’image et le son par exemple : le label de musique électronique allemand Raster Noton intègre depuis plusieurs années déjà une forte dimension visuelle, cherchant l’osmose entre compositeurs et graphistes.

Sound Pellegrino, le label d’un des anciens gérants d’Institubes – qui a du fermer avec la crise du disque – nommé Julien Pradeyrol (alias Teki Latex), a su rebondir sur la vague du numérique en créant un label exclusives digital, facilitant la sortie rapide et simplifiés des sons. Leur site internet propose du contenu en masse (podcasts, interviews…) ainsi qu’un store regroupant tous les produits dérivés. Et cela n’est pas tout, des nombreuses collabora-tions avec des marques-créateurs de modes indépendants ont été réalisé, renforçant encore plus l’identification du public à l’artiste en générant des revenus supplémentaires.

« On pensera ainsi au fameux « son Decca », véritable image de marque de l’éditeur classique Decca, liée à un système particulier de captation des instruments ; ou alors à l’idée sonore si particulière cristallisée autour de nom de labels soul comme Stax ou Tamla Motown. En revanche, ce qui est vraiment inédit (…) est d’avantage la modalité de valorisation de cette ‹ image de marque › de l’éditeur phonographique qui tend, par ailleurs, à s’éloigner d’un domaine conceptuel lié seulement et fondamentalement à la musique (avec des catégories telles que le ‹ son ›, par exemple) pour cristalliser dans une constellation d’image de marques (ou le son n’est qu’une des composantes). » (MAGIS,

2012, p. 83)

Selon l’auteur, les auditeurs propres aux labels ne sont donc plus les cibles directes, les éditeurs élargissent leur secteur d’activité. La communication fait de plus en plus appel

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aux petites niches créées par les labels indépendants, donnant toute suite une meilleure notoriété pour la marque annonceur. La marque-éditeur serait donc le « nouveau catalyseur autour duquel l’auditeur gravite ». L’auditeur s’identifie à la marque, aux artistes et s’investi sur les plans émotionnel et symbolique. Fait menant à l’achat des disques et objets destinés à consolider l’image de marque et la faire prospérer.

Alors que les acteurs indépendants recherchent une certaine « authenticité » à associer à leur marque, les majors y perçoivent de leur côté un moyen de créer de nouvelles sources de revenues pour parer les ventes de contenus musicaux.

Conclusion

Après la chute libre des ventes causées par le numérique, l’économie de la musique se retrouve incertaine face à ce problème où aucun modèle nouveau ne soit en mesure de rem-placer de manière durable l’ancien système tant soutenu par les législations. On y constate, pour certains éditeurs, des stratégies mettant au premier plan les revenus de type indirects ou secondaires de l’industrie musicale, telle que le « merchandising », prolongement éco-nomique de la stratégie de catalogue aussi étudiée dans ce chapitre. Cela a permis aux éditeurs indépendants de rendre cette stratégie viable artistiquement grâce à la fabrication d’imaginaires authentiques liés aux sous-cultures. (MAGIS, 2012, p. 88s)

De plus, cette stratégie de marchandising suit la logique du contenu culturel produit dans le but de diffuser, promouvoir et valoriser d’autres types de produits de consommation (BOU-QUILLION, 2009, p. 13).

Les éditeurs vont ainsi flouter l’écart entre les différentes industries, surtout avec celle de la communication, afin de trouver de nouvelles pratiques communicationnelles pour leurs ar-tistes. La valorisation de l’artiste ou du label en marque illustre parfaitement cette tendance, qui renvoi au fameux star-system déjà présent dans l’industrie depuis des dizaines d’années. De nos jours, cet effet de marque se propage dans de nombreux secteur, en particulier dans les communications des biens et services, telle une nouvelle ère qui s’installe.

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IIIRestructuration d’une industrie

en quête de modèle

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1—Le vivier musical

Nous avions montré précédemment que la filière musicale, ou plus généralement toutes celles de la culture, cherchaient principalement à réduire les risques d’échec causés par la surproduction de contenu. Cette spéculation autour du « nobody knows » de Caves est donc un des principaux facteurs de la valorisation de la création musicale.

Stéphane Costantini voit que pour réduire l’incertitude du succès, les industries culturelles place cette surproduction aux cœurs des stratégies, tout particulièrement pour la filière musi-cale. La surproduction des contenus ainsi que leur grande variété ont historiquement mis en place deux types de logique, définies par l’auteur, servant à la valorisation d’œuvres par la création de rareté :

— En amont de la filière, une logique de « filtrage » où la majorité d’acteurs et consom-mateurs se focaliseraient autour d’une minorité d’artistes et de productions dans un même temps. Les effets sont : 1) limitation des coûts de production, de distribution et de diffusion des créations musicales ; 2) de générer des économies d’échelles, liées à la reproductibilité des biens ; et 3) la satisfaction à la demande informationnelle (MIÈGE, 2000) des médias historiques réduisant l’telles que la télévision, la presse écrite ou la radio. Ces derniers ont réduis considérablement l’espace et le temps alloués à la musique enregistrée ;

— En aval de la filière, la propriété des biens musicaux est de plus en plus exclue. Ainsi les acteurs industriels ont tenté de limiter partiellement, que cela soit de manière technique (DRM par exemple) ou de manière légale (Copyright par exemple), le caractère de non-rivalité de l’œuvre, c’est-à-dire que sa consommation simultanée entrainerait des pertes du bien. (COSTANTINI, 2012, p. 98)

Ces logiques ont permis le maintient de la valorisation basée sur cette notion de rareté, tout en renouvelant régulièrement la production de contenu musical. Mais l’arrivé du numérique a bouleversé ces deux types de logiques : la diminution des couts de production et de diffu-sion des œuvres pour la première ; et le retour à la non-rivalité du contenu musical pour la seconde. C’est pour cela que nous verrons l’analyse cette transition de l’industrie musicale vers le numérique en se basant sur les modifications économiques et organisationnelles ef-fectuées au niveau de la production et de la diffusion. De plus les technologies numériques et leurs utilisations généralisées ont considérablement modifié les rapports des acteurs face à cette profusion et cette création de la rareté, en particulier pour les musiciens. Internet a permis l’arrivée de nouveaux usages ainsi que celle de nouveaux acteurs, mais il a égale-ment modifié la variété des modes de diffusion et de promotion, touchant en premier lieu les musiciens. (COSTANTINI, 2012, p. 99s) L’objectif est donc l’étude des transformations structurelles de la filière industrielle et de ses enjeux pour les acteurs économiques. La conception des musiciens sera aussi au cœur de ce chapitre sur le vivier musical, notion que nous allons définir dans un premier temps.

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A—Les différentes situations des viviers

C’est en 1978 que la notion de vivier artistique apparaît. Elle traduit la manière dont les acteurs appréhendent les musiciens, dans une dimension socio-économique et collective. Dans le besoin de diversifier les risques d’échec, les éditeurs cherchent leur renouvellement grâce à l’accès aux travailleurs culturels. Les chercheurs remarquent que : « les caractéristiques du marché artistique sont telles que, sans longue prospection, l’éditeur soucieux d’élargir l’éventail de son catalogue se trouve à même de pouvoir disposer d’une importante force de travail de réserve. Ce réservoir de travail humain peut être assimilé à un véritable vivier à ceci près (…) que son entretien n’est rarement le fait des éditeurs eux-mêmes. » (HUET & alii, 1978 :134)

Les auteurs définissent ainsi trois types de viviers :

— Un premier vivier de type privatif constitué et rémunéré par l’éditeur, telle une « écurie » de jeunes interprètes d’un directeur artistique.

— Le second comprend essentiellement la totalité de la profession artistique, à travers les relations professionnelles que l’éditeur crée de manière informelle. Le show-business représenterait, pour l’industrie du disque, un lieu de productions po-tentielles de forme quasi organisée.

— Le troisième serait le vivier rassemblant l’ensemble des pratiquants non profession-nels, ou rémunérés de manière occasionnelle, à condition qu’ils représentent une force de travail potentielle ainsi qu’une certaine masse de public, fait inséparable du secteur professionnel.

« Le musicos se distingue avant tout par la profondeur de son engagement dans la vie musicale. Pour une majorité de pratiquants, la musique est un loisir qui tient en général une place importante dans le rythme de vie : on répète entre amis, le soir ou le week-end, ‹ pour le plaisir › et pour préparer le concert annuel de la fête de la musique. (…) On sait que la plupart de ces musiciens débutants arrêtent rapidement sans avoir jamais envisagé autrement que par fantasme de jouer en public et encore moins d’être payés pour le faire. D’autres en revanche vont consacrer de très longues années à apprendre puis à exercer un métier. Vouant leur vie entière à la pratique musicale, ils ‹ ne font que ça › : ils sont les musicos. » (PERRENOUD, 2007, p. 5ss)

Selon le point de l’éditeur, les musicos « ceux qui ne font que ça », se retrouve dans les deux premiers types de vivier, alors que « ceux qui font quelque chose à côté » se situeraient plutôt dans les deux derniers types.

Costantini dégage, en s’appuyant sur les recherches de Philippe Coulangeon et de Olivier Donnat, deux grandes tendances de fond décisives de ces trente dernières années :

— « Un boom des pratiques musicales amateurs » : présent dans l’enfance et l’ado-lescence, provenant en partie des nouvelles politiques culturelles. On observe une réelle démocratisation de la culture. Selon Olivier Donnat, l’activité musicale serait une « pratique de toute une vie », ainsi les adultes ont plutôt tendance à pratiquer

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16 ADAMI (2008), « L’artiste-producteur en France en 2008 »

depuis leur enfance car l’apprentissage précoce est ancré socialement. De plus, en France, la pratique musicale est implantée depuis plus longtemps que toutes autres activités artistiques.

— Depuis les années 1980, les intermittents (musiciens-interprètes) et le nombre de contrats de travail ont respectivement quadruplé et quintuplé, selon une logique de « croissance déséquilibrée »

On observe donc une augmentation considérable de ce vivier ces trente dernières années. Mais pour ceux qui cherchent à « ne faire que ça », nombreux sont ceux qui doivent accu-muler d’autres activités, artistiques ou non, afin de survivre dans ce vivier. La multiplication du nombre de musiciens, qu’ils soient professionnels ou amateurs, est suivi d’une « situation de flou » autour de la distinction de ces deux derniers. « Les musiciens dits professionnels, du recours récurrent à la polyactivité, à la pluriactivité, de non-déclaration (les paiements ‹ au noir › étant encore souvent de mise dans de nombreux espaces de diffusion), ou de l’in-certitude quant à l’accès au statut d’intermittent d’une année sur l’autre. » (CONSTANTINI, 2012, p. 104) De ce fait, on retrouve une certaine indétermination au niveau de l’entrée dans ce vivier, pour les musicien « en professionnalisation » : « Ne faire que ça » ou « faire quelque chose à côté », telle est cette indétermination. (PERRENOUD, 2007)

B—Des facilités d’accès et de nouveaux intermédiaires

« Il y a deux ans, je recevais dix albums par semaine, maintenant c’est cent par jour, dont les trois quarts sont autoproduits » (Annie Benoid, directrice du distributeur indépendant l’Autre Distribution à l’ADAMI, 2008). En voici quelques chiffres16 :

On y voit un signe d’évolution du vivier, où les pratiquants tentent de se substituer à son employeur. Les home studios se font de plus en plus nombreux dès les années 1990 grâce à la baisse des prix de hardware et à la numérisation, laissant ainsi la possibilité pour les artistes d’enregistrer facilement et à bas cout des maquettes, ou même bien des albums directement diffusables sur le marché. Le très punk Do It Yourself se popularise et se bana-lise, « répondant notamment aux demandes d’autonomie, de créativité et d’authenticité. » (CONSTANTINI, 2012, p. 105)

De ce fait, un nouveau marché lié à l’autoproduction émerge, brisant les barrières à l’entrée imposées par la production discographique. Il semble impensable aujourd’hui, pour un ar-tiste adepte de l’autoproduction, de ne pas être présent sur les réseaux sociaux ainsi que les plates-formes de contenus musicaux. Alors que Facebook, Youtube, Dailymotion n’étaient pas spécialement conçu pour la musique, tous sont devenus d’importants acteurs de la fi-

Nombre de demandes en autoproduction déposées à la SDRM

Nombre de maquettes en autoproductionproposées au distributeur numérique Believe

2007

Environ 4 500

Environ 20 000

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17 ADAMI (2008), « L’artiste-producteur en France en 2008 »

lière musicale. En effet, chacun de ces sites disposent des pages spéciales consacrés à la musique, permettant des interactions entre artistes et auditeurs. Selon Philippe Bouquillion et Jacob Matthews, et repris par Constantini, ces effets de réseaux causés par les utilisateurs sont « la clef de voûte qui permet d’être aujourd’hui un acteur dominant au sein du web » (CONSTANTINI, 2012, p. 106)

Sur les plates-formes de contenus, les artistes sont considérés et mis en valeur en officialisant et labélisant leur fanpage afin d’en étendre leurs capacités. Par exemple, Soundcloud pro-pose des comptes Pro et ProUnilimited afin d’avoir des services plus adaptés aux artistes professionnels.

Économiquement, ces acteurs dépendent de la publicité et des abonnements premiums. Mais concernant la rémunération des artistes, les majors de l’industrie discographique et quelques sociétés d’auteurs bénéficient d’accords avec ces plates-formes afin de toucher leurs parts sur les marges publicitaires dégagées, alors que presqu’aucun labels indépen-dants ne profite de ces accords. Très similaire concernant les modèles d’affaires, la musique à la demande forge sa valeur ajoutée sur les abonnements premium. Mais contrairement aux premiers, le contenu est le fruit d’accords avec les labels et sociétés d’auteurs, alors que les artistes ne peuvent y ajouter eux-mêmes leur musique. C’est en 2006, avec Tunecore, qu’apparaît alors un nouveau type de service musical : distribution exclusivement numérique des artistes dits autoproduits ou des labels indépendants. De nouveaux acteurs comme Be-lieve Digital, CD1D ou The Orchard ont suivis le pas très rapidement. Par exemple, Believe a enregistré presque 400 nouveaux contrats : 15-20% de professionnels, 50 % de semi-pros et le reste des amateurs17. L’entreprise française va évoluer et séparer les activités de la-bel (promotion et marketing) des autres services en lançant Zimbalam, uniquement conçu pour accueillir tous les contenus de manière automatisée et sans filtrage. (CONSTANTINI, 2012, 106s)

Enfin, le crowd-funding vu dans le second chapitre, viens s’ajouter à ces nouveaux types de service, renforçant les liens artiste-auditeurs grâce à une prise de participation des utilisa-teurs dans un projet tel qu’un album ou une tournée par exemple. Ces derniers choisissent parmi de nombreux artistes ou groupes ayant préalablement remplis leur page dédiée avec des morceaux déjà enregistrés, leur biographie ainsi que photos et vidéos, servant de ce fait à récolter des fonds auprès de son public-producteur dans le but de produire son al-bum ou d’organiser sa tournée. Ainsi le site en lui-même n’est plus qu’un simple médiateur, éternisant les risques liés à la commercialisation d’un album. Mais on peut quand même remarquer une certaine part décisionnelle de la plateforme lorsqu’elle choisit de mettre en avant des artistes sur leur page d’accueil, orientant ainsi les choix des utilisateurs. On peut comparer ce système au financement par « mécène » des années 1980, seulement qu’avec le crowd-funding, la finalité est capitalistique car les revenus de l’album sont partagés selon les pourcentages versés par les contributeurs. (CONSTANTINI, 2012, p. 107s)

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C—Les nouveaux rapports entre labels, artistes et pure players

Dans le passé, les contraintes liés à la production, à la distribution et à la promotion ont encouragés les labels dans leurs stratégies d’intégration : raison essentielle de la structure oligopolistique de ce marché (BENGHOZI & PARIS, 2001, p. 10s). Philippe Bouquillion va lui constater un renforcement des relations d’interdépendance entretenues avec les autres industries de la communication et de l’information comme les médias ou l’industrie audiovi-suelle. C’est avec l’arrivée du e-commerce que les premiers services musicaux ont réussi à contourner ces contraintes en cherchant d’ouvrir de nouvelles perspectives. « Et ceci, en se servant du faible coût de stockage et de transport de données sur Internet comme d’un levier pour proposer des services concurrençant plus ou moins directement ou court-circuitant les producteurs discographiques et les médias traditionnels. » (CONSTANTINI, 2012, p. 109)

Internet a donc modifié la donne du marché musical en supprimant des contraintes liées à la distribution et à l’exposition médiatique, remettant en causes les rapports entre majors et in-dépendants, et celles liées à la signature, remettant en cause les rapports entres créateurs et diffuseurs, entre l’aval et l’amont. (BENGUOZI & PARIS, 2001, p. 12) Les nouveaux acteurs tentent également de bouleverser les rapport établis au niveau de la chaîne de valeur ajoutée de la musique, s’adressant de manière direct au vivier, proposant des services alternatifs de production (MyMajorCompany…), de promotion (Soundcloud, Youtube…) et de distribution (Zimbalam, CD1D, etc.). Ces derniers, proposant des services nouveaux en terme de pro-duction et d’intermédiation, sont encore en phase expérimentale, ils ne font que s’additionner aux formes de valorisations déjà connus au lieu de les substituer. Mais la taille de ce vivier musical est désormais conséquente et permet d’attirer l’attention des acteurs importants de la distribution et de la promotion sur lui. (CONSTANTINI, 2012, p. 109s)

De même, les habitudes professionnelles et organisationnelles changent, vis-à-vis des ar-tistes, pour les maisons de disques traditionnelles. Notamment dans le scouting (recherche de nouvelles signatures) ainsi que dans la gestion de l’image de l’artiste sur les réseaux sociaux, où un nouveau métier est apparu : le Community Manager. Il a pour rôle de gérer la communication on-line des artistes en mettant à jour les contenus, en recrutant et en faisant interagir les fans ou encore en proposant de nouveaux dispositifs interactifs tels une vidéo vi-rale, des jeux-concours ou encore une application pour smartphone. Cependant, les pages d’artistes étant personnelles, il arrive parfois que les Community Manager s’expriment à la place des artistes, surtout ceux issus de labels importants, où la communication est très contrôlée. L’intégration des outils 2.0 est donc au cœur des stratégies marketing, cherchant ainsi à conserver et développer une certaine forme d’authenticité des relations entres les artistes et le public, étant soit réelles et/ou orchestrées. (CONSTANTINI, 2012, p. 110s)

D—Perceptions du vivier musical

Chez les nouveaux acteurs, Constantini y voit deux grandes stratégies dans la course à la valorisation économique, faisant chacun appel au vivier musical :

— En amont, une stratégie par filtrage. La rareté est créée par sélection traditionnelle,

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constituant un vivier musical privatif (de type premier) servant les éditeurs comme les majors.

— En aval, c’est-à-dire au niveau de la distribution et de la diffusion, une stratégie de recherche de profusion de contenus et ses producteurs. Cela dans le but d’encoura-ger un maximum d’utilisateurs-contributeurs de leurs services à diffuser et distribuer les créations produites. Cette stratégie concerne principalement les deux derniers types de viviers : relations professionnelles, amateurs et semi-professionnels.

Mais on peut observer que, parmi les nouveaux acteurs, ces stratégies ne sont pas utilisées exclusivement et diffèrent selon les modalités de chaque service. (CONSTANTINI, 2012, p. 113)

MyMajorCompany va par exemple s’adresser premièrement au vivier dans sa totalité, puis grâce aux internautes, filtrer ce dernier et investir sur leurs artistes favoris, qui intégreront dans la suite le label :

« Les sites de crowd-funding, tel MyMajorCompany, supposent la réunion sur une place de marché de musiciens, provenant du vivier au sens large, et d’internautes producteurs, qui vont par leurs investissements procéder à une sélection – et donc, créer de la rareté – d’artistes dont les œuvres seront ensuite valorisées de façon traditionnelle. »(CONSTANTINI, 2012, p. 113)

Ces sites profitent de la vague d’autoproduits en proposant aux artistes d’alimenter leurs pages web de musiques, images et textes.

On retiendra aussi le cas de Believe Digital qui a réussi, via Zimbalam, de s’adresser à la fois aux petits labels ainsi qu’aux autoproduits, tout en n’excluant pas la possibilité de signer indépendamment d’autres artistes à succès. Dans ce cas, deux stratégies y sont complémen-taires : celle de la recherche d’abondance de contenus valorisables par la suite avec celle de la valorisation par filtrage.

Semblablement, Dailymotion s’adresse à tous les viviers de manière distinctes : à ses parte-naires grâce aux comptes « Official User », et aux restes des producteurs de contenus créa-tifs grâce à la signature « Motion Maker ». La stratégie principale est bien évidemment la recherche de profusion, mais on retrouve également celle de filtrage valorisée par la mise en avant de manière assumée d’une ligne éditoriale. (CONSTANTINI, 2012, p. 114)

Conclusion

N’ayant pas sollicité le vivier musical dans son ensemble, l’industrie discographique laisse place aux nouveaux acteurs, basant leur succès sur les technologies d’informations et de communications ainsi que sur internet. Constantini montre qu’en effet, ils arrivent à s’adres-ser à la totalité du vivier, tout en le valorisant économiquement. L’autoproduction vient ici brouiller les distinctions symboliques entres artistes professionnels, artistes amateurs et leurs publics (BOUQUILLION, 2008 : 287) :

— En mettant à disposition au vivier des moyens de diffusion et de promotion de

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leurs créations au format numérique, court-circuitant ainsi le chemin traditionnel de l’industrie discographique ;

— En exploitant économiquement l’abondance et la variété des contenus ;

— En sélectionnant et valorisant certains contenus prisés par le public ;

— En externalisant, selon l’acteur, la recherche de nouveaux artistes (scouting), la diffusion et la promotion du vivier, vers les musiciens et les auditeurs.

Devenant ainsi les premiers dans les offres légales, ces pure players ont un rôle à double tranchant vis-à-vis du vivier, ayant permis à ce dernier d’avoir une meilleure visibilité et autonomie face aux structures privées. Malgré cela, ces acteurs vont interagir de plusieurs façons différentes avec ce vivier en l’envisageant, selon le cas, « comme des usagers (donc des clients), des partenaires (soit des collaborateurs), voire des marques (soit, in extenso, des entrepreneurs). » (CONSTANTINI, 2012, p. 120) Ces nouveaux acteurs ne semblent pas substituer aux acteurs historiques, mais cherchent avant tout à occuper les secteurs jusqu’à présent inexploités, s’intégrant ainsi dans la chaîne de valorisation. Et c’est l’au-tonomisation des artistes, grâce au numérique, qui a rendu légitime le fait que les acteurs s’engagent de moins en moins dans la production de contenus, visant plutôt la diffusion, la promotion et la distribution numérique.

En ce qu’il concerne les indépendants et les majors, on observe des rapports de domina-tion ainsi que de coopération. Philippe Bouquillion en a déduit que, ces nouveaux acteurs, cherchent une intégration pérenne parmi les autres grands acteurs de la filière musicale, menant une stratégie de complémentarité avec l’industrie discographique historique, ainsi qu’une externalisation de la création et de la promotion, le tout appuyé sur l’autonomisation des musiciens.

Cependant les activités liées à cette autonomisation sont de plus en plus délicats et re-quièrent un certain professionnalisme. Étant peu formé pour, le vivier musical se voit remplir d’inégalités, laissant ainsi les artistes dans l’incertitude d’une carrière stable. Ainsi, « nous assisterions à la fois au renforcement du brouillage, au sein du vivier, entre les amateurs et les ‹ professionnels › - au niveau des productions, mais aussi de la création de leur image – et, avec l’augmentation du nombre général de musiciens, à l’accentuation de leur mise en concurrence sur un ‹ marché de l’attention › où la demande n’est pas totalement illimitée. » (CONSTANTINI, 2012, p. 122)

Quant à la valorisation symbolique des artistes, Internet semble avoir jouer un rôle bien particulier dans le renouvellement du vivier, laissant ainsi les acteurs du web constituer leur offre de biens et services autour de cette valorisation. L’assurance d’une « création de ra-reté » a permis, en transformant cette valorisation symbolique en valorisation économique, l’entretien du vivier en soutenant l’engagement des artistes. C’est donc, pour les acteurs, à leur avantage de mettre en avant cette valeur symbolique des musiciens lors de la diffusion de leurs productions sur le web, légitimant ainsi leur présence parmi le vivier et les acteurs historiques de la musique. Mais on peut se demander quels seront les effets de cette inté-

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gration des nouveaux acteurs parmi les anciens, spécialement au niveau de la structuration de la filière entre majors et indépendants. Les enjeux ne sont pas à négliger car ils prennent en comptes les modalités de renouvellement et de développement de la création musicale française qui, malgré les efforts des certaines associations, se fragilise. (CONSTANTINI, 2012, p. 122s)

2— La sphère « indé » et les nouveaux intermédiaires

A—Ne pas être « dépendant »

Définition de l’indépendance

Comme vu précédemment, dans l’industrie musicale, il y a les majors, qui se partagent à trois plus de 75% de la musique enregistrée, puis les indépendants. Ces derniers sont par définition les structures indépendantes des majors, et malgré leur nombre plus important, leur impact commercial est bien plus faible.

« Être indépendant, c’est se définir négativement : c’est ‹ ne pas être dépendant › des ma-jors et par extension des logiques de marché qui animent l’industrie du disque. »

(David PUCHEU, 2012, p.129)

Voulant mettre fin aux logiques marchandes, les acteurs qui se revendiquent indépendants ont une ligne éditoriale entièrement focalisée sur l’activité artistique. La valorisation écono-mique est donc considérée comme un soutien financier permettant la pérennité de l’activité artistique, et non pas de réaliser une plus-value. Malgré cela, on verra que l’indépendance n’est pas forcément question de choix ou de volonté. Afin de mieux comprendre ce pay-sage « indépendant », David Pucheu a catégorisé trois types d’indépendants :

— Les indépendants à vocation indépendante (qu’on appelle plus communément les « indés »). Indépendants des majors de part leur activité propre, ils revendiquent leur identité culturelle dans cette opposition. Leurs structures, souvent appuyés par des réseaux bénévoles, sont généralement de petite taille.

— L’indépendance structurelle, ou indépendance de fait désignant un grand nombre d’acteurs tels les labels, éditeurs, distributeurs, producteurs etc. Leurs activités dé-pendent souvent de collaborations et de partenariats avec les majors. Les pure players, qui basent entièrement leur activité sur les services en ligne, rentrent aussi dans cette catégorie.

— Pour finir, la forme d’indépendance englobant la totalité des « gros » labels indé-pendants, pour la plupart sous la tutelle majors. Pouvant aussi s’identifier aux deux premiers types précédents, ces acteurs ont un mode d’organisation structurelle assez proche des majors, interagissant de nombreuses fois avec ces dernières.

Cette classification peu paraître réducteur, mais elle semble indispensable pour contrer la fausse image d’une masse « indépendante » allant dans la même direction. Image souvent véhiculée par les médias, assimilant « la voix des indépendants » à des structures particu-lières comme la FELIN, qui représente les petites structures indé, ou l’UPFI, qui représente

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les « gros » labels indépendants.

Parmi les indépendants à vocation indépendante, David Pucheu observe une volonté de certains labels à maintenir leur « polarité authenticité/commerce » en signant un de leur artiste avec un des majors, ainsi leur vocation artistique tend à se dévaloriser. Pendant que d’autres vont au contraire envisager leur rôle de façon complémentaire avec les majors quand leur structure ne permet plus d’assurer comme il faut les phases de production, de diffusion ou de promotion.

De façon générale, l’indépendance reste malgré tout relative, voir paradoxale : les majors, basant leurs stratégies sur la concentration verticale, tirent les ficelles de la production à la diffusion de la musique, et sont souvent des médiateurs indispensables pour les acteurs in-dépendants. Il serait donc faux de croire que la crise du disque a permis aux indépendants d’éliminer les majors de leur circuit de diffusion pour de bon (PUCHEU, 2012, p. 131)

Pucheu observe aussi de plus près l’indépendance à travers les labels, ceux à vocation indé-pendante. Contrairement aux labels des majors, ces labels indépendants ne se contentent pas de remplir leur rôle traditionnel qui consiste à produire et promouvoir des artistes. À l’inverse des modes d’organisations industrielles, ces acteurs indépendants sont avant tout flexibles et polyvalents. Ces labels peuvent aussi bien produire des artistes, mais également réaliser leur identité visuelle, organiser leur tourné ou encore orchestrer leur commercia-lisation. L’activité de ces acteurs est considérée comme le « développement » de projets, s’engageant ainsi à accompagner, soutenir et promouvoir sur le moyen ou long terme des projets artistiques cohérents avec l’image du label. Aujourd’hui les majors s’inspirent du mode de fonctionnement de ces indés, en créant les contrats « 360 degrés » où le merchan-dising et l’organisation de concerts sont inclus. « Non qu’il s’agisse de maximiser les profits sur l’ensemble des revenus générés par les artistes, cette démarche relève bien davantage de la nécessité de multiplier les sources de valorisation économique de la musique à long terme dans une logique de mutualisation. » Car bien souvent, c’est une infime partie des artistes d’un label indé qui permet, grâce à sa notoriété, de faire d’offrir de la visibilité aux nouveaux artistes. Un des autres caractéristiques propre à un label indé est la revendication territoriale de leur activité avec la volonté d’entretenir des liens entre leurs artistes et le public de proximité, notamment grâce à la scène de leur ville ou de leur région.

La revendication indépendante

Alors que les acteurs indépendants ont toujours existé depuis le début de l’industrie phono-graphique, la revendication « indépendante » à l’origine du mouvement culturel indé est ap-parue seulement à la fin des années 1970 en France, émergeant des bouleversement éco-nomiques et idéologiques. C’est d’ailleurs Barbara Lebrun qui observera des mouvements de concentration internationale dans les années 1970, qui ont donné naissance à cette situation d’oligopole de la filière musicale actuelle, accentuant ainsi l’important déséquilibre entre majors et indépendants (PUCHEU, 2012, p. 132). Pour Pucheu, c’est avec la crise du disque des années 1970 que s’est amplifié ce sentiment, transformant ainsi le déséqui-

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libre économique en déséquilibre éditorial. Les majors se focaliseraient sur la production d’artistes et genres ayant un fort potentiel commercial, mettant en avant la valorisation com-merciale de la production artistique grâce au marketing et la communication intensive. Les labels indé vont au contraire se concentrer sur la production artistique ainsi que sur le déve-loppement de nouveaux artistes et la recherche de nouvelles niches stylistiques. Il s’agissait là d’une vision bien moins rentable que celle choisie par les majors, mais malgré tout viable économiquement grâce à l’important réseau de disquaires indépendants de l’époque :

« Il est évident que le climat idéologique des années 1970, marqué par la confrontation bipolaire entre capitalisme et socialisme a alimenté les modes de justification du dis-cours militant des labels indé. » (PUCHEU, 2012, p. 133)

En France, ce sont les fameux soixante-huitards qui ont également orienté la structuration de ce mouvement et ses envies d’autonomisation. Deux autres éléments ont joué un rôle im-portant pour le mouvement indé : la libéralisation des ondes radios et les nouvelles politiques culturelles du début des années 1980. En ce qu’il concerne la libéralisation des ondes en 1981, elle a engendré de « nouvelles formes d’appropriation sociale de la technologie et ainsi donné naissance à de nouvelles façons de faire et d’écouter la radio. » (PUCHEU, 2012, p. 133). Ainsi, de nouveaux genres musicaux sont proposés aux grand public, qui vont enfin trouver une valorisation symbolique, tout comme les artistes locaux qui vont bé-néficier d’une meilleure visibilité dans leur région. Les pouvoirs publics vont eux soutenir ces labels indé, notamment via le « Plan Label » de Jacques Lang à la fin années 1980, aidant la production musicale grâce à des allégements fiscaux par exemple. « Diversité culturelle » et « exceptionnalisme » seront les mots d’ordres de ce soutien du gouvernement.

Parmi les nombreux labels indé français nés dans les années 1980 après la vague des contre-cultures britanniques, Bondage Records fût l’un des plus notable. En plus de leur forte idéologie indépendante, l’organisation de ce label était cohérente, partageant ainsi les valeurs associatives et coopératives à des fins économiques sociales et solidaires.

Ce petit historique du mouvement indé montre une « évolution dynamique avec la société. » (PUCHEU, 2012, p. 134). C’est d’ailleurs en tant que défricheurs de nouveaux talents et tendances, que les indé sont plus qu’indispensables pour les majors.

L’évolution de l’indépendance

Pour Pucheu, le contexte des socio-historiques des indé des années 1980 est maintenant bien loin. En effet, les acteurs à vocation indépendant semble ternir dans les années 1990, laissant place aux indépendants qui le sont plus par stratégie que par conviction politique, leur permettant ainsi d’attirer l’attention des majors ou dans certain cas, tenter de les concur-rencer. C’est avec l’arrivée des « médias de masse à vocation commercial dans le paysage culturel français », que la musique s’est de plus en plus uniformisée. Le courant de radio libre finit par s’effacer aux profit des publicitaires imposant leur grille de programmation. On retrouve d’une part, la multiplication des accords avec les majors et d’autre part, la diminution de la variété des morceaux musiques diffusés sur les ondes. Les radios ont ainsi

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accéléré le processus de « formatage » musicale (GUIBERT, 2000 : 9). Dans le même sens, Pucheu observe la disparition progressive des disquaires indépendants, laissant place aux grandes surfaces, un des lieus principaux de la distribution musicale sur support. Les autres distributeurs spécialisés comme Virgin ou la FNAC ont grandement réduit leur offre disco-graphique avec l’arrivée du numérique, misant ainsi sur les ventes de hardware.

En ce qu’il concerne le rapport des indépendants avec les majors, Adorno observe l’ab-sorption économique et symbolique de nombreux styles musicaux par ces dernières, que ce soit le mouvement rock’n’roll des années 1950 au pays d’Elvis, ou plus récemment le reggae et le hip hop, souvent porteurs d’un discours d’une certaine résistance politique. Les majors n’ont pas seulement fait que puiser dans le « réservoir de talents et d’expérimenta-tions artistiques des indé » (PUCHEU, 2012, p. 135). Elles se sont aussi souvent inspirées directement de leur mode organisationnelle et de leur flexibilité, dans le but d’être plus réactives face aux changements économiques, sociales, technologiques et idéologiques. En effet, Pucheu observe une ramification structurelle en petites entités ressemblant fortement au modèle des indépendants, visant ainsi un certain public en recherche d’authenticité. De nombreux labels faussement indépendants sous la tutelle des majors ont ainsi vu le jour, qui, touchées par la crise du disque, ont abandonné leurs volontés de suivre le mouvement indé en s’orientant vers des impératifs de rentabilités, laissant de côté les artistes sans perspec-tives de grand succès commercial.

L’auteur y voit également une séparation idéologique au cœur des indé dans les années 1990. La majorité des acteurs indépendants ne s’identifient aux propos de l’Union des Producteurs Phonographiques Français, qui représentent une petite sélection de labels indé-pendants, qui sont généralement les plus « gros » et les plus distants de la philosophie indé.

Comme vu précédemment, l’arrivée du numérique et d’Internet ont grandement bouleversé les pratiques comme la manière de consommer, d’écouter ou de partager la musique, ou encore de la distribuer et de la promouvoir. Les contenus musicaux deviennent de données informationnelles parmi tant d’autres mettant ainsi les indépendants et les majors au même niveau face aux nouveaux acteurs : les plates-formes de téléchargement illégales et légales, les opérateurs téléphoniques, les logiciels de peer-to-peer et les services d’écoute en strea-ming. Ces derniers vont ainsi passer au premier plan de l’industrie musicale et « apparaissent comme des dispositifs de médiation pour la diffusion de la musique (qui n’est qu’un type de donnée informationnelle parmi d’autres) ; des administrateurs ou propriétaires de ‹ ca-naux ›, de ‹ tuyaux › de communication en d’autres termes. Ils occupent pourtant aujourd’hui une situation clef dans la chaîne de production de la valeur des musiques enregistrées. » (PUCHEU, 2012, p. 136)

B—Les indé et la révolution numérique

Crise des indé : de la représentation à la médiation

La « révolution numérique » a apporté à l’industrie de la musique autant de solutions que de problèmes. Internet a ainsi fourni aux indé les outils nécessaire à la diffusion et promotion de

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leur musique, qui étaient auparavant seulement à disposition des majors. Mais on ne peut non plus affirmer que ces indépendants ont pu échapper, grâce à Internet, aux logiques marchandes propres à la filière musicale. En effet, la situation se trouve être plus complexe que cela.

Comme souvent, lors d’une révolution technologique, on voit apparaître maints espoirs et craintes de la part de nombreuses sphères comme la politique, l’éducation, le journa-lisme, l’éducation ou la musique. Pour Internet, un « fantasme collectif » s’est formé : celui de l’auto-médiation, (PUCHEU, 2012, p. 137) où les médiateurs institutionnels traditionnels seraient amenés à se confondre avec les usagers de ces réseaux. Les artistes peuvent désor-mais s’autoproduire et gérer la diffusion de leur musique vers les auditeurs. L’« usager géné-rateur de contenu » est la clé de voute du fameux Web 2.0 et la notion d’« empowerment », où l’usager serait au donc pouvoir, vient appuyé ce fantasme de la fin des médiations insti-tutionnelles. Certains acteurs l’ont bien compris, par exemple avec le principe de la longue traine de Chris Anderson. Figure emblématique de l’économie 2.0, c’est d’avantage aux médiateurs qu’elle profite, à l’instar des indé ou même des majors.

Pucheu reprendra les propos Miège et Matthews, qui démontre qu’il ne s’agirait pas de la fin des médiations mais plutôt à une « démultiplication exponentielle » de ces dernières (PUCHEU, 2012, p. 138). Par exemple, aujourd’hui un artiste faisant parti d’un label indé est présent sur de nombreux réseaux sociaux et services « 2.0 » comme Facebook et Twitter, il détient son propre site Web et ses sorties sont diffusées mondialement grâce au streaming comme Spotify ou Deezer. De plus, ces dernières sont disponibles à travers un large réseau de plate-forme de téléchargement légal en ligne (iTunes, Virgin, Amazon, Napster, etc.) grâce au service Believe Digital pour les labels indé ou Zimbalam pour les artistes autopro-duits amateurs. Cette facilité de produire de la musique et de la diffuser engendre parado-xalement une problématique par rapport à la valorisation symbolique, notamment à cause de cette surproduction, où l’on peut facilement s’y noyer à travers l’océan de production, qu’elles soient médiocres ou excellentes. Le fameux « Do It Yourself » reflète d’une part cette opportunité technique, et d’autre une démarche militante. Mais la sphère indé se retrouve à nouveaux marginalisée : l’économie de réseaux caractérisant l’industrie phonographique d’aujourd’hui n’avantage pas vraiment les indépendants qui ont du mal à bénéficier de ca-pacités financières conséquentes ou de catalogues convenables en quantité. Malgré cela, « l’auto-médiation continue pourtant d’animer la dynamique idéologique du capitalisme informationnel. » (PUCHEU, 2012, p. 139) Deux fait tendent à appuyer ce phénomène : l’in-tégration des services de streaming par l’oligopole et l’ascension des nouveaux médiateurs indé tel Believe Digital.

Les nouveaux intermédiaires

Aujourd’hui en France, un des plus important médiateur se nomme Believe Digital. Il est en quelque sorte le « label des labels indépendants » en Europe. Selon Pucheu, il semble quasi impensable aujourd’hui pour les indé de ne pas faire appel à ce service pour gérer sa distribution numérique. Cette dernière se trouve être gratuite mais elle peut être agrémentée

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d’un service de mise en avant payant sur la totalité des plates-formes de téléchargement légales et d’écoutes en ligne.

C’est notamment grâce aux faibles couts entrants qu’implique la distribution numérique que Believe diminue considérablement les risques lors de la distribution de la majorité des labels qui leur demandent. C’est ici que revient encore le principe de la longue traine : ne cherchant plus les artistes à grand succès, ils basent leur réussite financière sur la signature d’un grand nombre d’artistes pouvant générer une plus-value aussi infime soit-elle. Fait « qui nous renvoie à un enjeu majeur de l’économie de l’information : la production de valeur relève désormais principalement de la capacité des acteurs à gérer l’accès à la profusion de contenus informationnels, à un certain type de ‹ date › numériques, en l’occurrence : la musique enregistrée indépendante. » (Pucheu, 2012, p. 139) Comme le disait Marx, il s’agit de transformer la qualité en quantité, fait clairement semblable au processus de nu-mérisation des biens artistiques.

L’éditorial sur les plates-formes de distribution et de diffusion est très important et influe gran-dement les ventes. En effet mettre un artiste en avant sur iTunes par exemple, permet de multiplier jusqu’à vingt fois les recettes. De plus les albums les plus téléchargés gagnent en-core plus de visibilité, creusant ainsi les écarts entre les succès et le reste. Ces acteurs vont ainsi déclencher ces « effets de réseaux » (issu de la loi de Metcalfe : « l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs »).

Le distributeur numérique Believe Digital signe également des artistes comme le ferait un label traditionnel. Enfin presque, ce dernier va en effet juste s’occuper de la promotion et de la diffusion sur les réseaux sans pour autant les produire. Believe évite ainsi les pertes liés à la production en s’occupant que d’artistes autoproduits. La société française va en plus proposer aux artistes ayant une forte notoriété un partenariat avec la major EMI Music afin de distribuer physiquement leurs productions, tout en gardant l’exploitation digitale de son catalogue. Believe arrive ainsi à se placer stratégiquement dans la chaîne de production de la valeur du marché actuel de la sphère musicale indépendante, mettant ainsi l’entreprise au cœur du monde indépendant. Positionné plus en aval de la chaîne de production de la valeur dans le marché digital, le streaming musicale a pour service la diffusion des catalo-gues des majors et ceux des indé (passant par l’interface Believe). Ces sociétés de service sont structurellement indépendantes eux aussi des majors ainsi que de la filière musicale en générale. On les appelle les pure players, car elles tirent profits directement des potentialités qu’offre Internet. Le leader du streaming européen Deezer fait parti de ses pure players. Les créateurs français avaient préalablement lancé un site d’écoute en ligne gratuit et alimenté exclusivement par les usagers, suivant ainsi la tendance web 2.0 : Blogmusic, ancêtre de Deezer, s’est vu dans l’obligation de fermé en avril 2007 sous la pression juridique de la SA-CEM. Seulement quelques mois plus tard, Deezer fait surface, cette fois en règles concernant les droits d’auteurs grâce à un accord avec la SACEM. C’est en 2008 que le pure player français va signer, avec les majors et indé comme Believe, des accords d’exploitation des catalogues, augmentant considérablement leur bibliothèque de contenu. Mais cela n’est pas

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tout rose pour Deezer, sous la pression de l’oligopole de l’industrie musicale et en manque de rentabilité, la société va devoir s’intégrer et suivre les logiques du système industriel global en appliquant les stratégies commerciales de ce dernier : publicité pour l’offre gratuite, offre pre-mium, accords avec les acteurs de la communication, mise en avant des artistes bankables, etc. Les opérateurs mobiles comme Orange (qui détient 11% de parts chez Deezer) ont su tirer profit de la diffusion numérique musicale pour leur activité. Bien plus qu’un « produit d’appel » comme on a pu le voir dans un chapitre précédent, « il s’agit aussi et surtout d’une stratégie de captation de la valeur relative à l’accès à la profusion musicale, accès dont les smartphones sont devenus les agents privilégiés. » (Pucheu, 2012, p. 142)

L’auteur observe également que les indé sont de plus en plus impuissants face à ces pure players. Leur rémunération à l’écoute est très faible tout comme les revenus publicitaires, donc insuffisant pour faire marcher correctement un label indé et ses artistes alors que les majors ont su imposer leurs conditions concernant l’exploitation de leur fond de catalogues.L’entrée en force des nouveaux acteurs industriels et intermédiaires techniques caractérise les mutations modernes de la filière musicale. Pour Pucheu, cela encourage d’ailleurs le discours contestataire des indé. En effet, les logiques concernant la valorisation musicale de ces nouvelles structures sont très éloignées de celles prêché par le mouvement indé. Et comme toujours, ce dernier va continuer le combat face à ces acteurs pour tenter de s’im-poser parmi eux.

La (re)valorisation territoriale de l’indépendance

De manière générale, les « crises » ont toujours engendré une certaine remise en cause de la part des « victimes » de ces dernières. Dans l’industrie musicale, les acteurs repensent ainsi à leur condition, leur positionnement dans un milieu déstabilisé qui ne demande qu’à changer et à être reconfiguré. C’est ce que constate Pucheu, en reprenant les travaux de Michel Canon, en utilisant plutôt le terme de « controverse », il y voit un contexte propice au renouveau, à la concertation permettant ainsi la mise en place de nouvelles stratégies d’alliances inédites rapprochant de ce fait les acteurs historiques fragmentés qui se retrouve soudainement « face à eux-mêmes ». (PUCHEU, 2012, p. 143).

En ce qu’il concerne l’oligopole qui domine l’économie musicale malgré son discours victi-misant, Pucheu observe un repositionnement plus large que celui des indé. Les majors vont en effet s’étendre au-delà de la filière musicale en se plaçant « au cœur de l’économie informationnelle contemporaine ».Tandis que les indé sont plus septiques face aux pure players qui conçoivent les créations musicales comme de simple « fichiers son », des produits informationnels distribués « à la pelle » associés aux abonnements et forfaits. Pour contrer cela, la filière indé va tenter une « (re)valorisatiton de la musique indépendante à travers des stratégies de mutualisation à l’échelle nationale. Parallèlement, un dialogue étroit entre acteurs indé et territoires s’est ouvert » (PUCHEU, 2012, p. 144).

C’est en 2004 que quelques labels indé (dont Bondage Records, label du groupe Berurier Noir mentionné précédemment) vont décider de s’entraider afin de valoriser au mieux les

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18 Selon cd1d.fr

créations indé en formant la fédération CD1D. Ouvertement « millitante », elle est matéria-lisée par une plateforme numérique de vente en ligne/vente par correspondance ayant pour but la défense de la « diversité culturelle » ainsi que des courants alternatifs musicaux. Associé à plus de 200 labels indé depuis sa création, CD1D a 4 grandes missions18 :

— « La recherche de nouveaux modèles économiques alternatifs destinés à permettre aux artistes et aux labels indépendants de continuer à produire et diffuser leurs œuvres non formatées— L’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer les échanges et les modes de diffusion directe entre amateurs de musiques et créateurs— Une vision collective du travail au travers de la mutualisation des outils et des équipes afin d’améliorer l’activité quotidienne et le degré d’expertise des labels (rela-tions médias, gestion de royalties, groupements d’achats d’espaces ou de pressage)— Le tissage de liens avec des groupements indépendants en région et à l’internatio-nal (Europe, Méditerranée, Francophonie) afin de construire une large communauté d’individus soucieux de soutenir la création »

« Télécharger (illégalement) c’est découvrir, acheter c’est soutenir », tel est le slogan de la fédération française, affichant leur volonté d’aller au-delà des politiques répressives face au piratage afin de se positionner en tant que prescripteurs de choix. N’étant pas une entreprise commerciale, la fédération à but non lucratif reverse 85% de ses recettes aux labels et aux artistes. De la même manière, quelques régions françaises vont aussi créer leur fédération : Phonopaca pour la Région PACA en 1998, la FEPPIA (Fédération des Éditeurs et Producteurs Phonographiques Indépendants d’Aquitaine) en 2008, la FLIM (Fédération des Labels Indépendant de Midi-Pyrénées) en 2009, la FEPPRA (Fédération des Editeurs et Producteurs Phonographiques Rhône-Alpes) ou encore la FEPPAL (Fédération des Éditeurs et Producteurs Phonographiques en Pays de la Loire). C’est en 2010 que ces acteurs locaux donnent naissance à la FELIN (Fédération nationale des Labels INdépendants), calquant ainsi le modèle de la CD1D en créant une plateforme de vente par correspondance/télé-chargement. Cette initiative vient appuyer ce désir de valoriser territorialement la musique indépendante. Ainsi « l’objectif de ces stratégies ne relève pas simplement d’un souci de ‹ survivance économique ›, mais également de la mise en œuvre à l’échelle régionale, inter-régionale, nationale voire internationale d’un vaste chantier d’actions et de réflexions com-munes sur le devenir de la musique indépendante, sa valorisation et les stratégies pouvant lui être associées (autour de rencontres professionnelles, de forums, de journées d’étude, etc.). » (PUCHEU, 2012, p. 145)

C’est ainsi que la « crise » de l’industrie musicale a provoqué la (ré)organisation de la filière indé. Mais il s’agit là de bien plus qu’une simple stratégie de résistance ou d’auto-défense face aux géants de l’industrie : les indé veulent s’intégrer de manière structurellement dis-tincte aux autres acteurs, affirmant ainsi une « identité positive » axé autour de la création artistique, de l’expérimentation locale ainsi que de l’expression culturelle. (ibid.) C’est no-tamment grâce à ces collaborations interrégionales que la sphère indé réussi à tisser des

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liens étroits avec les politiques culturelles locales, à l’inverse des politiques nationales de valorisation de la musique indépendante qui semblent concevoir uniquement la production musicale dans un champ industriel. C’est pour cette raison que Pucheu pense que les ac-teurs indépendants sont capitaux pour la vie culturelle locale. Mais malgré une avancée qu’on peut définir de concrète, il reste encore à convaincre un large public, pour qui ces stratégies de valorisation restent malgré tout marginales à leurs yeux.

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Conclusion

L’industrie musicale a toujours été à l’origine de nombreux questionnements, que ce soit sur la manière de la produire ou de la diffuser, principalement liée aux pratiques culturelles et à la valorisation marchande de la musique enregistrée. Les rapports entre les acteurs sont également au cœur des débats, l’éternel oligopole des majors contre les indé reste toujours d’actualité. C’est pour cela que nous avons tenté de répondre à ces questions remises au gout du jour par l’arrivée de ces nouvelles technologies d’information et de communica-tion : le numérique et Internet.

La crise que vit l’industrie phonographique est bel et bien présente, mais pas nécessaire-ment de manière péjorative comme l’opinion publique peut l’entendre. En effet, malgré quelques points négatifs, comme la quasi-mort du marché du disque, elle a tout de même quelques aspects positifs.

La musique ne cesse de gagner du terrain dans notre société, elle est plus que jamais « indispensable » pour les nouvelles générations. Elle permet de se créer une identité, de s’affirmer auprès de son environnement social. Ce dernier étant de plus en plus connecté, la création musicale se répand ainsi aisément. Certains acteurs ont d’ailleurs bien compris que la créativité et son audience sont dorénavant à portée de tous. En contrôlant l’expérience d’écoute, ils ont su (re)valoriser la musique enregistrée, la portant ainsi dans de nouveaux secteurs, et ce dans le but de vendre d’autres biens et services, qui auparavant n’avaient aucun rapport avec la musique.

On a vu que ces changements de mode de consommation ont bien évidemment entrainé une restructuration de la filière. Pendant que certains tentent de se passer des intermédiaires en créant leurs propres réseaux et de nouveaux modes de fonctionnement, de nouveaux ac-teurs sont apparus. Parmi eux, les pure players, des services qui ont su tirer profit du numé-rique et d’Internet. D’autres voient comme solution une reconcentration au niveau territoriale de la musique indépendante, toujours dans l’éternel but d’en écarter les « grands » acteurs. Car ces derniers ont, en effet, tendance à déprécier le vivier musical, qui peine à se faire entendre, notamment sur leurs revenus perçus.

On a donc vu deux univers différents : un souhaitant avoir le contrôle total de la filière, im-posant ses codes et modes de consommations, un autre voulant mettre en avant la création musicale et le collectivisme au cœur de l’industrie. Malgré les petites interactions entre ces deux catégories, souvent plus avantageuses pour la première que la seconde, les idéolo-gies restent tout de même très opposées.

Le numérique serait-il en passe de devenir la solution à ce problème causé paradoxalement par son arrivée ? Nous ne pouvons encore en être certains, mais comme pour le phéno-mène de grande consommation, on observe une certaine prise de conscience de la part des consommateurs, fait qui pourrait servir à limiter l’influence des majors si nous sommes un peu optimiste. Mais tout porterait à croire que l’empire que ces dernières ont construit n’est pas près de tomber.

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Interviews

Eric Plovier (alias. Eric Reivolp), Gérant de label, DJ, Compositeur, Remixeur, 23 ans

Isaac Loho (alias. Henk Ol), DJ, Compositeur, Remixeur, 26 ans

Mounir Benhaj (alias. Medoc), DJ techno et étudiant, 21 ans

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Annexes

The Oatmea

http://theoatmeal.com/comics/music_industry

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Table des matières

Introduction—1

I L’industrie de la musique face à l’innovation technologique—21—Le fonctionnement de la création musicale—4A—Brève histoire de l’industrie musicale—4B—Les acteurs —52—Ladite « crise » de l’industrie musicale après la révolution numérique—7A—Le marché du disque s’écroule—7B—Le cas d’iTunes Music Store—8C—Pourquoi faut-il relativiser la crise de l’industrie musicale ?—9

II « Musicalisation » de la société : évolution et valorisationdes pratiques culturelles—10

1—Profusion de contenus musicaux —12A—Valorisation marchande d’une pratique culturelle—12B—L’ubiquité musicale—132—Stratégie de contrôle de l’expérience musicale —15A—Le contrôle des expériences : une logique normative—16B—La récupération du contrôle : une alternative—18C—Le contrôle des expériences dans la communication et le marketing—203—La musique comme « produit d’appel »—22A—Le prolongement de la stratégie de catalogue—22B—Le Merchandising lié au style de vie—23C—Les labels-marques—24

III Restructuration d’une industrie en quête de modèle—26

1—Le vivier musical—28A—Les différentes situations des viviers—29B—Des facilités d’accès et de nouveaux intermédiaires—30C—Les nouveaux rapports entre labels, artistes et pure players—32D—Perceptions du vivier musical—322—La sphère « indé » et les nouveaux intermédiaires—35A—Ne pas être « dépendant »—35B—Les indé et la révolution numérique—38

Conclusion—44Bibliographie—45Annexes—48

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Dans le but de mieux comprendre ladite crise de cette dernière décennie dans le sec-teur de la musique, nous avons tenté d’expliquer ses conséquences à travers ce mémoire.

Premièrement, après avoir retracé brièvement l’histoire de l’industrie musicale, on a observé le rapport entre les évolutions technologiques et les bouleversements économiques du milieu.

Deuxièmement, nous avons vu une certaine «musicalisation» de notre société, essentiel-lemnt causée par la profusion et l’ubiquité des productions musicales. Ensuite, nous nous sommes questionnés sur la valorisation marchande de nos pratiques culturelles, qui est à l’origine du contrôle de l’expérience musicale exercé par l’oligopole à frange du secteur, pou-vant ainsi se servir de la musique comme « produit d’appel » dans le but de vendre d’autres biens et services.

Et pour finir, nous avons observé la restructuration de l’industrie phonographique, qui cherche à tout prix un nouveau modèle, en se penchant sur le vivier musical en général, ainsi que sur la sphère « indé » qui souhaite se passer des majors.