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Jérémy Le Roch-Valentin Martineau M2 SSSATI Les rentransmissions de rencontres sportives sous l'angle du droit de la concurrence 1

Retransmission rencontres sportives et droit de la concurrence

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Jérémy Le Roch-Valentin Martineau M2 SSSATI

Les rentransmissions de rencontres sportives sous l'angle du droit de la concurrence

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«On parle d'1,5 milliard d'euros qui aurait été subtilisé aux clubs, il faut absolument que le Conseilde la concurrence s'auto-saisisse» Ainsi a réagi Jean-Michel Aulas après avoir appris que leprésident François Hollande avait fortement œuvré, en faisant pression sur le Qatar, à ce que legroupe Canal+ conserve une partie des droits télévisuels de la Ligue 1.

Aujourd'hui indissociable du sport professionnel, la télévision apparaît comme un outil dans cequ'on a coutume d'appeler le « sport spectacle »En effet, la télévision présente dans cet optique un double avantage : elle est à la fois source derevenus pour les clubs mais permet également aux consommateurs de s'imprégner d'une ambiance,de vivre un match comme s'ils y étaient. D'autres médias interviennent comme la radio ou plusrécemment Internet (via la pratique du streaming).Enjeu économique de haute importance, la retransmission des rencontres sportives mérite d'êtrerégie par le droit de la concurrence.Tout d'abord, l'arrêt Walrave et Koch rendu par la cour de justice de l'Union européenne le 12décembre 1974 indique que dès lors que le sport est envisagé comme une activité économique, ildoit être soumis au droit européen.En l'espèce, la retransmission des rencontres sportives répondant à une logique de marchépuisqu'elle met aux prises plusieurs opérateurs concourant pour l'obtention de droits de diffusion,doit être soumises aux règles de droit européen. Cela se manifeste notamment par le respect desarticles 101 et 102 du traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er janvier 2009 interdisant les ententesentre entreprises dans l'optique de réduire la concurrence. Dans le cadre de notre analyse, nous nous intéresserons principalement à la télévision et au sport leplus imprégné par le mécanisme des droits TV en Europe c'est à dire le football.Ce sujet sera l'occasion pour nous d'observer la manière dont le droit de la concurrence permettant àdes entreprises de pouvoir se faire une place sur un marché après compétition avec d'autresopérateurs économiques, s'articule avec la logique du marché du sport professionnel. Cela passeranécessairement par une analyse des décisions marquantes en la matière notamment celles émanantde l'Autorité de la concurrence ou encore de la cour de justice de l'Union européenne.

Ce constat nous amène à nous poser la question suivante :Comment le droit de la concurrence régule-t-il le marché des droits de retransmission des rencontressportives ?

Tout d'abord, nous verrons que le droit de la concurrence imprègne fortement ce marché. (I)Cela se manifeste par la mise en place d'outils permettant une action efficace notamment au niveaueuropéen. Il faudra ensuite se pencher de manière plus précise sur les différents modèles existant enla matière. Nous prendrons alors l'exemple du modèle individualisé de vente des droits télé qui avaitcours en Espagne jusqu'en 2015. Après cela, nous constaterons que sous l'effet du droit européen, on observe une convergence vers lemodèle centralisé de vente des droits télé. (II) Pour illustrer ce propos nous prendrons l'exemple dumodèle de répartition français et nous analyserons les causes qui ont menées bon nombre de pays àévoluer vers ce système. Nous terminerons notre présentation en précisant que le droit de laconcurrence malgré ces bienfaits n'est pas en mesure de pouvoir gommer les inégalités préexistantesentre les équipes issues des différents championnats européens.

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I Le marché des retransmissions de rencontres sportives : un marché soumis au droit de laconcurrence

Les retransmissions des matchs de compétitions sportives de par leur nature économique doiventnécessairement être soumises au droit de la concurrence. Des mécanismes propres à ce champ dudroit viennent réguler ce secteur. (A) En outre, nous constaterons que deux modèles de vente des droits coexistaient jusqu'à une époquerécente à savoir le modèle centralisé et le modèle individualisé. Nous illustrerons ce dernier enprenant l'exemple de l'Espagne pays au sein duquel le modèle individualisé est resté en vigueurjusqu'à la saison 2015/2016. (B)

A Les mécanismes de droit de la concurrence appliqués au domaine des retransmissions derencontres sportives

En tant que domaine soumis au droit de la concurrence, les retransmissions des rencontres sportivesdoivent respecter un certain nombre de principes définis de manière précise par la Commissioneuropéenne et codifiés en France à l'article R 333-3 du code du sport.1

Tout d'abord, elles doivent être soumises à une procédure d'appel à candidatures publique. Cette exigence vise d'abord à informer de manière transparente les opérateurs économiques de lamise en vente des droits de retransmission. Suite à cela l'objectif est également de permettre la libreconcurrence entre eux, celui ayant l'offre la plus intéressante économiquement raflant la mise.En France, la cour de cassation a déjà eu l'occasion de se prononcer sur un litige touchantdirectement ce critère.2

En l'espèce, elle a indiqué que le refus opposé par une fédération sportive à une chaîne privée detélévision, d'accéder au marché des droits de retransmission des rencontres peut avoir pour objet oupour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et constitue une pratique interdite parles articles 7 et 8 de l'ordonnance n°86-123 du 1er décembre 1986 et par les articles 85 et 86 duTraité CEE.Il est à noter que cette solution est la bienvenue car elle permet de faire jouer la concurrence, enpermettant à toutes les chaînes de faire valoir leurs arguments. D'autant plus dans la télévision oùl'acquisition des droits de retransmission de rencontres sportives peut constituer un atoutsupplémentaire pour attirer de nouveaux clients et ainsi gagner en notoriété.ex : Canal+ a perdu les droits de retransmission de la Premier League au profit du Groupe Altice(SFR Sport) après avoir déjà perdu une partie des droits de retransmission du championnat deFrance de Ligue 1, acquis par la chaîne Bein SportDe nombreuses conséquences peuvent découler de la non-obtention des droits de retransmissioncomme le départ de leurs meilleurs consultants,la baisse du nombre d'abonnés et a fortiori unenotoriété en baisse.

Ensuite, l'attribution des droits télévisuels s'effectue par lots permettant ainsi à plusieurs opérateursde pouvoir pénétrer sur ce marché.Cette idée est mise en mise en avant dans plusieurs décisions de l'Autorité de la concurrence.Ainsi, elle rappelle que : « […] cette disposition [la vente par lots] a pour objet d’éviter la constitution d’un lot ou dequelques lots trop importants qui ne pourraient être acquis que par les opérateurs les plus

1 Quels arbitrages pour le football professionnel ? Les problèmes liés au développement économique du football professionnel, www.senat.fr2 Cass, com, 1er mars 1994, n°92-12124

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puissants, mais aussi de lots composés de telle sorte que leur indépendance ne soit qu’apparente etque le diffuseur soit conduit à rechercher l’acquisition de lots couplés ou à se lier avec un autrediffuseur pour être en mesure d’exploiter les lots dans des conditions techniques et économiquessatisfaisantes ; »3

Troisième critère dégagé par la Commission européenne: une durée des contrats d'exclusivité limité.Dans la plupart des pays membres de l'Union européenne, ces contrats sont limités à trois ans. Cependant en France, depuis 2007, la Ligue de football professionnel a porté leur durée à 4 ans.4

A l'époque, la LFP estimait que la décision du ministre de l'économie en date du 30 août 2006autorisant l'acquisition par les groupes Vivendi Universal et Canal + des chaînes TPS et CanalSatellite provoquait un changement du contexte concurrentiel. Cet argument avait été anticipé parFrédéric Botlony dans un article écrit en 2005.5

Selon la ligue, l'allongement à 4 ans était nécessaire pour permettre l'entrée de nouveaux opérateurséconomiques sur le marché.La modification devient effective suite à deux décisions du Conseil de la Concurrence.6 Il en ressort que celui-ci était d'accord pour y procéder tout en y émettant un certain nombre deréserves.On peut y voir une solution d'opportunité permettant avant tout à la LFP d'attirer davantaged'opérateurs et d'espérer augmenter le montant des droits TV. Dans les faits, ce décret a un effet assez résiduel d'autant plus maintenant car si le Qatar est depuisson implantation au PSG présent sur le terrain des droits TV via sa chaîne Bein Sport, la faiblessedu championnat, explicable par plusieurs facteurs (pelouses de mauvaise qualité, fuite des talentsvers des championnats plus compétitifs) fait que les opérateurs économiques ne se bousculent paspour acquérir les droits de diffusion de la Ligue 1.En conséquence, le passage des contrats de 3 à 4 ans n'a que peu d'effet dans la pratique puisque leniveau du championnat de France a tendance à décliner. Une lueur d'espoir semble néanmoinsperceptible depuis la nomination de Didier Quillot au poste de président de la LFP.Ce dernier s'affaire à entamer des réformes structurelles qui pourraient rejaillir de manière favorableà terme sur les droits TV de la L1.

Enfin, le dernier critère dégagé par la Commission européenne est l'absence de clausesautomatiques de renouvellement. L'objectif affiché une nouvelle fois est la protection de la libre concurrence entre opérateurséconomiques afin d'éviter toute situation de monopole.

Si on constate qu'un certain nombre de principes de droit de la concurrence s'applique à laretransmission des rencontres sportives, force est de constater que jusqu'à récemment, deux modèlesde vente des droits s'affrontaient et devaient composer avec tous ces critères.

3 Avis n° 04-A-09 du Conseil de la concurrence en date du 28 mai 2004 relatif à un projet de décret sur la commercialisation par les ligues professionnelles des droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportives 4 Décret n° 2007-1676 du 28 novembre 2007 relatif à la durée des contrats conclus pour la commercialisation des droitsd'exploitation audiovisuels codifié à l'article R 333-3 du code du sport5 Frédéric Bolotny ,La nouvelle flambée des droits TV du football français,RJES 2005, n°74, p.121, Recueil Dalloz6 Avis n°07-A-07 du 25 juillet novembre 2007 relatif aux conditions de l'exercice de la concurrence dans la commercialisation des droits sportifs et l'avis n°07-A-15 du 9 novembre 2007 portant sur le projet de décret modifiant l'article R 333-2 Code du Sport

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B La vente individualisée des droits de retransmission des rencontres sportives : l'exemple dufootball espagnol avant la saison 2015/2016

Avant la saison 2015/2016, les clubs professionnels négociaient leurs droits de manière individuelle.Concrètement, ils négociaient directement avec les opérateurs économiques sans passer par la liguede football espagnole.Ce système avantageait clairement les mastodontes de la Liga BBVA à savoir le Real Madrid et leFC Barcelone. Pour expliquer ce choix de modèle, il faut remonter à la loi du 3 juillet 1997 dite Loi deretransmission.En effet l'alinéa 2 de son article 6 précise que « pour pouvoir réaliser la retransmission lesopérateurs doivent négocier avec les titulaires des droits [c'est à dire les clubs]tout en respectantles principes de publicité et de libre concurrence [...] »Globalement, cette loi va légitimer le modèle individuel de vente des droits télévisuels pour lefootball professionnel espagnol sur le territoire hispanique.Avant cela, une décision du tribunal de défense de la compétence du 10 juin 1993 donne lapossibilité à plusieurs opérateurs d'acquérir les droits télévisuels de la Liga notamment via lesystème de lots et la durée limitée des contrats.7

Dans les faits, cette situation s'est concrétisée en 2006 par l'entrée sur le marché des droitstélévisuels de la Liga et de la Copa del Rey de Audiovisual Sport après un accord passé avecl'entreprise Mediapro.Toutefois, comme le souligne José Vincente Garcia Santamaria, le modèle espagnol « comporte uneinsécurité juridique (du point de vue de la répartition des droits) ce qui conduit les chaînes detélévision à saisir les tribunaux pour régler leurs conflits d'intérêt.»8

En définitive, alors que le championnat espagnol possède deux des meilleurs clubs du monde avecle FC Barcelone et le Real Madrid, le modèle de répartition des droits télé en vigueur jusqu'à lasaison dernière était instable et ce pour plusieurs raisons.Tout d'abord, les clubs dictaient leur loi en imposant leurs propres conditions dans la vente desdroits et en créant par la même occasion des conflits d'intérêts entre chaînes de télévision, ce quiconduit à de nombreux litiges. La négociation des contrats n'est pas transparente puisque lesmontants des droits accordés aux différentes équipes ne sont pas accessibles.Ensuite, l'équilibre des compétitions est faussé puisque les grands clubs s'accaparent la majorité desdroits télé. Cela a pour conséquence de les maintenir sur la durée comme places fortes du footballespagnol et donc de creuser davantage l'écart avec les autres équipes de Liga.José Maria Del Nido, président du FC Séville soutenait dans une interview donnée à Marca en2011 :« Notre ligue n’est pas une ligue compétitive. Il y a deux clubs qui s’emparent de l’argent du reste.Les opérateurs (télé) feront ce que dictera la Liga. Les droits de télévision sont collectifs etn’appartiennent pas à une équipe concrète. La poule aux œufs d’or est bientôt épuisée. »9

Il faut ajouter que de ce fait, ce modèle n'était pas économique viable sur le long terme car il crée unnivellement du championnat par le bas.Enfin, la dernière limite du modèle individuel se situe dans la difficile exportation du championnatespagnol à l'international du fait de la situation de monopole qui apparaissait trop souvent.

7 Décision 319/92 du 10 juin 1993, mentionnée dans José Vicente Garcia Santamaria, « modelo centralizado versus modelo individualizado », Revista Telos, 2011

8 José Vicente Garcia Santamaria, « modelo centralizado versus modelo individualizado », Revista Telos, 20119 Michael Lopez et Ruben Vazquez, La répartition des droits télé dans le championnat espagnol (Liga BBVA) : Barça etMadrid plus en tête que jamais !, www.jetdencre.ch

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En effet, une des failles du système de vente individualisée résidait dans le fait que bien souvent onobservait un manque de transparence concernant les termes des contrats. Par conséquent, celas'inscrivait en opposition avec les obligations de transparence exigées par le droit européen. Dèslors, la commercialisation des droits télé du championnat espagnol hors du territoire national étaitrendue plus difficile.

Malgré tout, nous allons voir que ce championnat a su se montrer pragmatique pour tendre vers lemodèle centralisé de vente des droits télé. La principale raison réside comme nous l'avons évoquédans une des principales failles du système individuel de vente des droits télévisuels à savoir ladifficile exportation du championnat espagnol à l'international. Ce changement a dû s'accompagnerd'une mise en conformité du modèle espagnol vis à vis du droit de la concurrence.

II L'harmonisation progressive du système de répartition des droits TV sous l'influence du droiteuropéen

Alors que ses voisins avaient opté depuis plusieurs pour le modèle centralisé de répartition desdroits télévisuels en matière de football, le football espagnol a dû s'y résoudre à son tour.Pour symboliser cette mise en avant du système centralisé, nous prendrons l'exemple du footballfrançais. (A)Ensuite, nous constaterons que malgré tous ses bienfaits, la pénétration du droit de la concurrencedans le domaine des retransmissions de rencontres sportives voit son action limitée puisque desinégalités demeurent entre les championnats européens. (B)

A La promotion du modèle centralisé au niveau européen : l'exemple français Contrairement à l'Espagne jusqu'en 2015/2016, la France avait déjà opté pour le modèle centraliséde répartition des droits télé.Concrètement, c'est la ligue de football professionnel qui conformément à l'article R 132-9 du codedu sport,se voit confier via une convention passée avec la fédération française de football un certainnombre de compétences parmi lesquelles la gestion de la commercialisation des droits télévisuels dela Ligue 1 et Ligue 2.

L'article L 333-2 du code du sport donne la compétence exclusive à la ligue en matière derépartition des droits télévisuels de Ligue 1 et Ligue 2.En outre, la répartition des droits télé répond à plusieurs critères fixés par l'article L 333-3 du codedu sport. Ainsi, 50% sont répartis de façon égalitaire entre les clubs, 25% en fonction du classement de lasaison précédente, 5% en fonction du classement sur les cinq dernières saisons et 20% en fonctiondes retransmissions télévisuelles sur la saison en cours.La conformité du système de la vente centralisée au droit de la concurrence a fait l'objet d'uneappréciation au niveau européen via la commission européenne et au niveau français parl'intermédiaire de l'Autorité de la concurrence..Dans une décision de 2003, la Commission a affirmé que l'UEFA pouvait les vendre de manièrecollective sous réserve que ceux-ci soient préalablement soumis à une procédure d'appel d'offres.10

10 Décision 2003/778/ CE du 8 novembre 2003 relative à la vente centralisée des droits commerciaux sur la Ligue des Champions de l'UEFA

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Cette décision vient confirmer la logique de marché mise en avant par l'Union européenne dès letraité de Rome de 1957. En effet, en offrant la possibilité de centraliser la vente des droitstélévisuels et en constituant plusieurs lots, elle permet de faire jouer la concurrence entre lesdifférentes chaînes de télévision et facilite par la même occasion l'exportation des droits àl'international.De plus, elle met en évidence l'idéologie européenne en matière de sport car la vente centralisée desdroits télévisuels renvoie à l'idée de répartition égalitaire entre les clubs ce qui est de nature àpréserver l'équilibre des compétitions. L'attachement de l'Union européenne à ce principe a étérappelé à de nombreuses reprises par la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européennecomme par exemple dans l'affaire Lehtonen du 13 avril 2000.

En France, l'Autorité de la concurrence y répond également par l'affirmative.11 Dans cet avis, elle avance comme argument principal que «[...] la poursuite de l’intérêt général dusport professionnel passait par une centralisation de la gestion commerciale des droitsaudiovisuels, afin de produire des ressources suffisantes pour assurer, sur une base solidaire, unegrande partie du financement des clubs professionnels. »La solidarité entre les clubs apparaît donc comme la principale justification à une gestion centraliséepar la Ligue.

La loi Lamour du 1er août 2003 précisait déjà que "Les produits [des droits d’exploitationaudiovisuelle] revenant aux sociétés leur sont redistribués selon un principe de mutualisation, entenant compte de critères arrêtés par la ligue et fondés notamment sur la solidarité existant entreles sociétés, ainsi que sur leurs performances sportives et leur notoriété." Seulement, comme l'indique Fabrice Rizzo « […] la loi doit corrélativement garantir aux sociétéssportives au nom de la libre concurrence la possibilité d'exploiter individuellement une partie desdroits audiovisuels»12 Ce constat met en avant le fait que les clubs de football sont de véritables entreprises qui doiventdisposer de ressources à même d'assurer leur pérennité. Cela est primordial puisque la sociétésportive est par essence fragile à cause du système promotion/relégation en vigueur en Europe.En effet, dans ce système, chaque équipe peut en théorie descendre à l'issue de chaque saison.Dès lors, la solidarité entre les clubs permet de réduire les risques de retrouver les mêmes équipesdans les profondeurs du classement et d'entretenir ainsi l'incertitude des compétitions.Le modèle centralisé s'est depuis récemment étendu à toute l'Europe.Ainsi, en Espagne, la situation a changé puisque le préambule du décret royal du 30 mai 2015dispose que:« Aucune autre formule que la vente centralisée ne permet la vente des droits TV horsd'Espagne . L'incapacité du secteur à pouvoir tirer profit de ce mode de commercialisation oblige àune actualisation urgente qui permette de ne plus perdre des parts de marché.Dans ces circonstances, il y a possibilité d'implanter avec un bon nombre de garanties le systèmede commercialisation centralisée des droits audiovisuels à partir de la saison 2016/2017.»En définitive, la perte de parts de marché au niveau européen a obligé le championnat espagnol àrevoir son modèle notamment dans le but de rattraper son retard sur son principal rival à savoir laPremier League anglaise.

11 Avis n°04-A-09 du 28 mai 2004 relatif à un projet de décret sur la commercialisation par les ligues professionnelles des droits d'exploitation audiovisuelles des compétitions ou manifestations sportives12 Fabrice Rizzo, La propriété complexe des droits de retransmission télévisée Le cas français, Finance et Bien commun 2007,n°26, Recueil Cairn

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Cela permet en outre au football espagnol de s'aligner sur la vision européenne du sportprofessionnel à savoir un domaine basé sur l'équilibre des compétitions. Ainsi, on observe une nouvelle répartition des droits télés : 50% sont répartis de manière égalitaire,25% en fonction des performances sur les 5 dernières saisons et 25% sur un critère Impactoenglobant qualité des infrastructures et popularité des clubs.13 Cependant, même si cette réforme est entrée en vigueur plus tôt que prévu (lors de la saison2015/2016), les inégalités demeurent.Ainsi, le Real Madrid et le FC Barcelone avaient réussi à obtenir après négociations avec la ligueespagnole le versement pour la saison 2015/2016 d'une somme égale au montant perçu en termes dedroits télé lors des deux saisons précédentes à savoir 140 millions d'euros chacun.

L'expansion du modèle centralisé à la quasi totalité de l'Union européenne traduit la logique demarché promue par le droit européen. Pourtant, force est de constater que l'action du droit de laconcurrence reste limitée et ne semble pas en mesure de gommer les inégalités existantes entre lesdifférents championnats.

B Des inégalités persistantes entre les différents championnats européens

Le droit de la concurrence s'il tente de réduire les inégalités entre les championnats placés sousl'égide de l'UEFA ne peut pas totalement les effacer.Ainsi, alors que le modèle centralisé est en vigueur dans ces deux championnats, l'écart du montantdes droits télévisuels reste très important entre la Premier League et la Ligue 1. Pour preuve, laligue anglaise de football (FA) a réussi à obtenir une nette revalorisation des droits télé sur lapériode 2016-2019 puisque ceux-ci s'élèvent à 6,9 milliards soit 2,3 milliards par an.A titre de comparaison, ce montant est nettement moins important en France puisqu'il atteint 748,5millions d'euros pour la période 2016-2020.14

Plusieurs raisons peuvent expliquer un tel écart.Tout d'abord, une attractivité bien moindre de la Ligue 1 par rapport à la Premier League.En effet, la plupart des grands clubs possèdent une renommée mondiale ceux qui est encore loind'être le cas pour les clubs français.En effet, à titre d'exemple, Liverpool Manchester United ou encore Chelsea effectuent leurpréparation d'avant-saison dans des pays cibles comme les États-Unis ou la Chine à des fins dedéveloppement commercial. Cela contribue a fortiori à augmenter les droits de retransmission duchampionnat anglais.En France, seul le PSG depuis son rachat par le Qatar, apparaît en mesure de rivaliser.Derrière lui, les clubs français éprouvent d'énormes difficultés. Cela peut aussi s'expliquer en partie par la pression fiscale énorme qui pèse sur les clubs en Francenotamment depuis l'instauration de la taxe Hollande.A ce propos, Richard Olivier, président de la Direction Nationale du contrôle de gestion jusqu'en2015 affirmait en 2012 que « La fiscalité et le poids des charges sociales des pays concurrents de laFrance restant plus favorables, dans un univers économique européen du football, nous avons peude chances de décrocher un trophée européen, quel qu'il soit, si on les alourdit encore... »15

13 Anthony Alyce, Comment seront répartis les droits télé de la Liga BBVA ?, www.ecofoot.fr, 6 novembre 201514 Encadrement des droits-télé du football au niveau européen et équité sportive, www.senat.fr15 Entretien avec Richard Olivier : Quels enjeux pour le football français?, Jurisport 2012, n°123, p.23, Recueil Dalloz

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Une perspective d'amélioration semble néanmoins possible car l'obtention de l'Euro 2016 a permis àde nombreuses villes, réputées comme places fortes de Ligue 1 de se doter d'une nouvelle enceinteou de la moderniser. De même, quelques stars sont présentes comme Angel Di Maria, MarioBalotelli ou l'ont été comme Zlatan Ibrahimovic jusqu'à récemment.Un autre effet de l'écart des droits télévisuels peut être noté à savoir l'attrait des superstars pour laPremier League.En effet, Manchester United a réussi à attirer l'été dernier Paul Pogba notamment pendant queManchester City réussissait à conserver un joueur comme Yaya Touré.En France, le PSG après de longues négociations n'est pas parvenu à recruter la star brésilienneNeymar, qui a préféré prolonger son contrat avec le FC Barcelone jusqu'en 2021.Les droits télé se répercutent également sur le recrutement des jeunes joueurs.Ainsi, bon nombre de jeunes français désirent après quelques mois et de bonnes performances enLigue 1 rejoindre la Premier League. Pour eux, ce championnat « fait rêver », «Il y a beaucoup de gros matches à jouer », « une grosseambiance dans les tribunes ». Cet état de fait pousse les clubs de Ligue 1 à être relégués dans une sorte de deuxième divisioneuropéenne contrainte de vendre ses meilleurs éléments pour pouvoir survivre économiquement.Cela conduit forcément à un nivellement par le bas du niveau global du championnat de France et afortiori à une perte d'intérêt pour les diffuseurs potentiels.Malgré tout, la ligue de football professionnel, sous l'impulsion de son directeur général DidierQuillot planche sur différentes pistes afin de donner un nouvel élan à la Ligue 1.Enfin, la différence de montants des droits télés se ressent sur la scène européenne et notamment autravers de sa compétition phare la Ligue des Champions où depuis quelques années ce sont lesmastodontes européens qui trustent les places dans le dernier carré. Ils perçoivent ainsi la majoritédes droits télés associés à la participation à cette compétition.Les critères de répartition des droits télévisuels dans les grands championnats participent aussi aumaintien d'une élite. Ainsi, le critère concernant la popularité des clubs favorise indéniablement le Real Madrid et le FCBarcelone.16 Dans la même veine, en Italie où le modèle centralisé a été adopté suite à l'entrée envigueur de la loi Melandri, le critère relatif au nombre de tifosi avantage des clubs comme laJuventus Turin ou le SSC Naples.17

En définitive, on remarque que les droits télés constituent la majeure partie des ressources desclubs. Leur encadrement par le droit de la concurrence est par conséquent nécessaire mais ne suffitpas à atténuer les disparités entre les différents championnats.

16 Anthony Alyce, « Quelle est la répartition 2015-2016 des droits TV de Liga BBVA ? », www.ecofoot.fr, 7 juin 201617 Loi Melandri mise en place par le décret-loi du 9 janvier 2008 relatif à la propriété, à la commercialisation des droits

audiovisuels sportifs et à la répartition des ressources

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Bibliographie

Articles de revues juridiques

Frédéric Bolotny ,La nouvelle flambée des droits TV du football français,RJES 2005, n°74, p.121, Recueil Dalloz

Fabrice Rizzo, La propriété complexe des droits de retransmission télévisée Le cas français, Finance et Bien commun 2007,n°26, Recueil Cairn

Entretien avec Richard Olivier : Quels enjeux pour le football français ? – Jurisport 2012, n°123, p.23, Recueil Dalloz

Lois et décrets-lois

Ley 21/1997, de 3 de julio de 1997, reguladora de las Emisiones y Retransmisiones de Competiciones y Acontecimientos Deportivos.

Loi n°2003-708 du 1er août 2003 dite Loi Lamour

Décret n° 2007-1676 du 28 novembre 2007 relatif à la durée des contrats conclus pour la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuels

Decreto Legislativo 9 gennaio 2008, n. 9 "Disciplina della titolarita' e della commercializzazione dei diritti audiovisivi sportivi e relativa ripartizione delle risorse"

Real Decreto-ley 5/2015, de 30 de abril de 2015, de medidas urgentes en relación con la comercialización de los derechos de explotación de contenidos audiovisuales de las competiciones de fútbol profesional

Jurisprudence

Décision 319/92 du 10 juin 1993 du tribunal de la compétence (Espagne)

Avis n°04-A-09 du 28 mai 2004 relatif à un projet de décret sur la commercialisation par les ligues professionnelles des droits d'exploitation audiovisuelles des compétitions ou manifestations sportives

Avis n°07-A-07 du 25 juillet 2007 relatif aux conditions de l'exercice de la concurrence dans la commercialisation des droits sportifs

Avis n°07-A-15 du 9 novembre 2007 portant sur le projet de décret modifiant l'article R 333-2 Codedu Sport

Cass, com, 1er mars 1994, n°92-12124

CJCE, Walrave et Koch, 12 décembre 1974

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Articles de code

Article L 333-2 du code du sport

Article L 333-3 du code du sport.

Article R 333-3 du code du sport

Article R 132-9 du code du sport

Autres sources

Anthony Alyce, Comment seront répartis les droits télé de la Liga BBVA ?, www.ecofoot.fr, 6 novembre 2015

Anthony Alyce, « Quelle est la répartition 2015-2016 des droits TV de Liga BBVA ? », www.ecofoot.fr, 7 juin 2016

José Vicente Garcia Santamaria, « modelo centralizado versus modelo individualizado », Revista Telos, 2011

Michael Lopez et Ruben Vazquez, La répartition des droits télé dans le championnat espagnol (LigaBBVA) : Barça et Madrid plus en tête que jamais !, www.jetdencre.ch

Encadrement des droits-télé du football au niveau européen et équité sportive, www.senat.fr

Quels arbitrages pour le football professionnel ? Les problèmes liés au développement économique du football professionnel, www.senat.fr

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