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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
MASTER PROFESSIONNEL
Mention : Information et Communication Spécialité : Marketing, Publicité et Communication
Option : Communication Stratégique et Marketing
Aux frontières du magasins : le lieu de divertissement culturel comme nouveau territoire de marque
préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD
Nom et prénom : Durand-Mille Irène
Promotion : 2011-2012
Soutenu le : 21 novembre 2012
Note au mémoire :
1
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ........................................................................................................ 3
I. Où il apparaît que la « crise » de la publicité traditionnelle donne naissance à des formes de discours alternatives ................................................................................ 14
A. L’avènement de nouvelles formes de consommation .................................. 14
1. Une rupture dans le modèle classique ............................................................ 14
1.a De la société de consommation au postmodernisme ................................ 14
1.b Un nouveau modèle qui met fin à « l’autorité des marques » .................... 18
2. Due à un trop-plein de publicité ? ................................................................... 20
2.a La publiphobie et ses origines ................................................................... 20
2.b Une évolution du marketing de l’interruption au marketing de la permission......................................................................................................................... 23
B. Une évolution qui change la donne dans la communication des marques .. 25
1.L’ère de la conversation ................................................................................... 25
1.a La relation directe : une réponse à l’individualisme ................................... 25
1.b Du contrat de lecture… .............................................................................. 27
1.b … au contrat de conversation .................................................................... 30
2. La réponse des marques à ces changements fondamentaux : la publicité « hors de vue » ................................................................................................... 33
2.a Des techniques plus discrètes qui investissent le quotidien ...................... 33
2.b L’exacerbation d’une volonté de production de contenu ............................ 35
II. La marque devient productrice et investit de nouveaux territoires ................... 38
A. La marque et l’expérience de marque : une panacée communicationnelle ? 38
1.La production de contenu en créant du divertissement ................................... 38
1.a La consolation par le divertissement .......................................................... 38
1.b La quête des loisirs et du spectacle ........................................................... 41
2. Un divertissement qui ancre la marque dans l’expérience .............................. 44
2.a Une expérience qui s’inscrit dans la durée ................................................ 44
2.b Une mise en scène du sens pour réenchanter le quotidien ....................... 46
2.c L’estompage du produit et de l’acte d’achat au profit de l’expérience : analyse scénographique du 114 ...................................................................... 49
B. De nouveaux territoires investis................................................................... 49
1. Au-delà de l’espace marchand : s’éloigner du cœur de marque ................. 49
1.a L’investissement du quotidien : l’espace et le temps ................................ 50
1.b Hyperréalité et appropriation de l’espace ................................................. 52
1.c Une redéfinition du lieu-média ................................................................... 54
2
2. De la médiation marchande à la médiation culturelle .................................. 55
2.a Les marques et la culture .......................................................................... 55
2.b Une forme communicationnelle hybride ..................................................... 58
III. Au-delà du divertissement : lieu de culture ou lieu de culte ? .......................... 61
A. Le paradoxe de la marque ................................................................................ 61
1. La création de liens multiples ......................................................................... 61
1.a Quand on parle de crise du lien social ....................................................... 61
1.b L’espace public dédié à la mise en scène de la culture devient créateur de lien social ......................................................................................................... 63
1.c Un lieu de fête qui semble alors rassembler des fidèles ............................ 65
2. Une remise en cause du don désintéressé ..................................................... 66
2.a La présence de l’échange du Don ........................................................... 66
2.b En échange : une valorisation de la « culture de marque » ....................... 68
B. Recommandations ............................................................................................ 71
CONCLUSION .......................................................................................................... 75
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... 78
ANNEXES ................................................................................................................ 81
3
INTRODUCTION
Street marketing, Guerilla marketing, marketing expérientiel, ambiant
marketing, marketing de l’authentique, la liste des approches alternative du
marketing est longue. Ces approches se sont développés depuis quelques
décennies en réponse à la résistance du consommateur devant le marketing
communément appelé « traditionnel ». Ces formes de communications qui
investissent le territoire physique de la ville ou du quotidien du consommateur
permettent aux marques de s’affranchir des frontières du marketing à la « Mad
Men », cette fameuse série télévisée qui met en scène le milieu publicitaire des
années 60. En effet, la période durant laquelle se déroule l’intrigue est une période
clé dans l’histoire de la publicité avec la mise en place de procédés
communicationnels qui sont encore utilisés aujourd’hui.
Ainsi, cette époque voit apparaître la montée en puissance de la marque qui ne
possède plus simplement une dimension rationnelle. Le consommateur commence à
acheter la dimension imaginaire du produit lui conférant un statut social bien défini.
La publicité se décline alors sur les 4x3, dans les magazines et les spots télévisés et
radios, l’avancée de la technologie permettant ainsi une pluralité des supports
médias et donc du média-planning. C’est l’explosion des médias de masse. Les
méthodes de communication instaurées vont servir de fondement à la
communication traditionnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui.
De plus, comme l’explique Mark Tungate, journaliste britannique et chroniqueur pour
le magazine Stratégies destiné aux professionnels de la communication, ces
techniques traditionnelle on peu ou prou changé jusqu’aux années 1990 :
« Pendant presque trente ans, le paysage publicitaire a évolué avec une incroyable
lenteur. Toute personne qui aurait travaillé avec Bill Bernbach au début des années
1950, ne se serait pas sentie perdue dans une agence de la fin des années 1970.[…]
Au début des années 1990, la fragmentation des audiences TV et la montée
d’Internet a changé quelque chose1 ».
1 Mark Tungate, Le monde de la pub, Dunod, Paris, 2009
4
Le modèle de publicité prôné depuis des années devient insuffisant, il devient de
plus en plus compliqué pour les agences de n’être que dans l’exécution média de la
demande du client au meilleur prix, faisant naître ainsi un climat de défiance de la
part du consommateur. Beaucoup de nouvelles agences fondées dans les années
2000 se créent en réaction et en opposition aux grandes agences qui n’évoluent pas
assez à leur goût.
Les agences publicitaires classiques et les marques ont du faire évoluer leur manière
de travailler et leurs attentes de retour sur investissement. Aujourd’hui, le marketing
alternatif semble être une forme à part entière dans la stratégie de communication
des plus grandes marques. En effet, la publicité classique ne fait plus rêver et il faut
trouver des nouvelles manières d’attirer l’attention du consommateur que ce soit en
online ou en offline. « Les annonceurs réduisent la voile sur le mass média et veulent
parler directement aux communautés.2» affirme Thomas Jacquemier, Directeur
Général de Quadriplay, agence spécialisée dans la communication de proximité.
Afin de mieux comprendre le sens même de la notion de « marketing
alternatif », nous en avons cherché la définition. Selon le site definitions-
marketing.com, un site grand public dont la ligne éditoriale est très influencée par la
recherche du plus de trafic possible, nous apprenons que :
« Le marketing alternatif est un concept flou dont la signification peut varier en
fonction de ses contextes d’utilisation. On peut cependant considérer que le
marketing alternatif regroupe l’ensemble des techniques marketing considérées
comme "non traditionnelles".L’appartenance d’une technique marketing au marketing
alternatif est souvent provisoire, car de nombreuses techniques marketing
innovantes sont d’abord considérées comme des alternatives avant de devenir
"traditionnelles"».
Nous avons volontairement choisi de garder cette définition afin de démontrer que ce
concept reste très vague pour le grand public. Par l’analyse de cette définition même,
nous remarquons que ce concept publicitaire n’a pas réellement de définition propre.
2 http://www.strategies.fr/etudes-tendances/dossiers/191536/191090W/extension-du-domaine-du-
tactique.html
5
Le contenu de l’énoncé laisse le lecteur dans le vague, la sémiotique elle-même se
trouvant nuancée : « flou », « on peut considérer ». La notion de marketing alternatif
semblerait être un concept fourre-tout inventé par les publicitaires pour justifier la
mise en place de nouvelles techniques visant à investir des territoires hors de
l’espace marchand en lui-même et des médias traditionnels. Mais cette notion n’en
reste pas moins une forme communicationnelle réelle si l’on s’en réfère au nombre
de sites et de blogs spécialisés dans la communication qui possèdent une sous
partie « marketing alternatif » : publigeekaire.com, marketing-alternatif.com,
buzzetcie.com.
En cherchant les origines de cette forme de communication, il semblerait que l’une
des figures de proue de la communication hors des médias traditionnels serait Jay
Conrad Levinson, le père du concept de « Guerilla Marketing ». Pour lui, le Guerilla
Marketing c’est « l’art d’exécuter des activités marketing de façon non
conventionnelle et sur un très petit budget.3 ». En effet, les techniques qui permettent
de mettre en place une telle communication sont variées mais aussi peu coûteuses.
Ainsi, la mise en place d’une campagne de street marketing permet un coût limité en
comparaison avec les achats d’espace pour une publicité tout en investissant les
zones de passages et de l’espace public grâce à la distribution de tracts ou de flyers.
Une opération de « clean tag », procédé qui consiste à écrire sur le sol ou le mur en
le nettoyant de sa saleté, demande peu de moyens mis en place. L’agence TBWA a
utilisé ce procédé en mars 2012 afin de promouvoir les volontaires du Service
Civique en faisant participer des artistes sur les murs de la ville de Paris. Ces
derniers ont donc nettoyé au Karcher des pans entiers de revêtement mural, l’eau
faisant apparaître des formes artistiques.
Le Guerilla marketing semble être une des premières techniques qui s’éloigne de la
communication traditionnelle. Mais il reste réservé pour des marques qui ont peu de
budget alors que nous allons étudier la communication des « supermarques » qui
investissent un espace avec beaucoup de moyens.
Les grandes entreprises utilisent donc de plus en plus ces différents procédés
alternatifs issus du Guerilla Marketing pour toucher une plus large part de public tout 3 Jay Conrad Levinson, Guerilla marketing pour trouver un emploi, Diateino, 2012
6
en variant leur communication. Elles ont donc commencé à investir des espaces
publics autre que ceux réservés aux médias traditionnels. Elles utilisent aussi un
budget plus conséquent pour obtenir des effets encore plus spectaculaires et
s’éloignent donc du concept initial prônant le coût réduit. Ainsi, le pour le lancement
de Prometheus, un film d’action et de science-fiction produit par Ridley Scott, c’est
une station de métro abandonnée qui a été entièrement habillée selon le décor de
l’affiche du film et ce pour un budget très conséquent. Entre le 16 mai et le 25 mai
2012, les usagers de la ligne 9 du métro parisien pouvait observer entre la station
République et Strasbourg Saint Denis, une tête géante nimbée de lumière bleue
rappelant l’entrée de la grotte du film. Ce dispositif a par ailleurs été relayé sur
internet bien avant sa mise en place afin que les gens en parlent sur les réseaux
sociaux.
Les variations et les déclinaisons de ces techniques sont variées et il semble alors
difficile d’en faire une définition homogène. Cependant, lors de l’étude des deux
exemples suivants, on remarque que quelques grandes lignes transparaissent dans.
Premier exemple avec la marque de mobilier Ikea qui a depuis quelques années
investi le mobilier des transports urbain afin de promouvoir ses produits. Pendant
deux semaines de l’hiver de l’année 2010, la marque a remplacé les bancs des
abribus par de confortables canapés issus du design suédois. La signature de cette
campagne s’intitulait : « Ikea améliore votre quotidien ». Un an après, ce sont les
sièges des stations du métro parisien qui sont remplacés par la nouvelle collection.
Enfin, pour la dernière campagne de 2012, la marque suédoise ouvre un salon de
repos ouvert à tous dans l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. On y trouve des
espaces de repos cloisonnés avec des lits, des espaces d’échanges autour d’une
table basse, tout cela avec le même slogan déjà présent dans les précédentes
campagnes.
L’autre exemple que nous allons citer sera celui de la marques d’eau gazeuse
Badoit. En septembre 2012, la marque met en place l’opération Badoit Express.
C’est une opération de restaurant éphémère qui a eu lieu dans le RER parisien. A
l’heure du dîner, les usagers ont pu voir leur wagon transformé en restaurant. Un
chef étoilé leur a servi un menu gastronomique complet, rythmé au gré des arrêts du
train.
7
Au vu de ces deux exemples, il est nécessaire d’effectuer une analyse de ce que
nous entendons par espace public.. Nous avons délibérément choisi d’utiliser deux
campagnes qui ont pour territoire le transport public. En effet, il s’agit tout d’abord
d’un lieu de passage continuel et donc susceptible de toucher le plus grand nombre
d’individu. Cette notion de public et d’espace public sera un concept récurrent dans
notre étude. En effet, comme nous le verrons lors de la présentation de notre corpus,
nous aborderons l’action des marques et leur présence dans un espace public. Il est
donc nécessaire ici de bien introduire cette expression d’espace public et de la
définir afin d’éviter toute confusion. L’un des premiers théoriciens à avoir abordé
cette notion est Jürgen Habermas. Pour lui, l’espace public est défini comme
l’infrastructure qui va permettre à des individus qui discutent de politique dans des
espaces privés comme les cafés ou les salons à rendre leurs opinions publiques. Il
s’agit alors d’un « processus au cours duquel le public constitué d’individus faisant
usage de leur raison s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la
transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir d’Etat4 », cette
définition donnant ainsi un rôle purement politique à cette notion. Or nous parlerons
dans notre sujet d’espace public en tant que sphère de la vie publique de l’individu,
lorsqu’il sort de la sphère privée qui est son habitat. L’espace public dans notre
étude ne sera donc nullement abordé d’un point de vue politique mais par sa
définition géographique en tant qu’espace où l’individu peut circuler librement.
En restreignant l’espace public à sa définition géographique, nous nous avons
délibérément mis de côté les manifestations des ces nouvelles formes
communicationnelles sur le territoire du digital qui serait un autre sujet alors que le
nôtre. Nous avons voulons nous pencher sur ces marques qui prennent possession
de l’espace urbain et public qui font partie du quotidien du consommateur. L’espace
urbain est en effet investi par les acteurs du marketing « comme espace à pratiquer,
comme un lieu d’expériences humaines, sociales, artistiques…5 » en dehors de
l’espace marchand en lui-même. C’est ce paradoxe que nous voulons étudier ici,
cette transition entre l’espace marchand où tout est clairement fabriqué et mise en
place pour favoriser l’achat et ces nouveaux territoires investis par les marques qui
4 Jürgen Habermas, L’Espace Public, Payot, 1990
5 Caroline de Montety, La ville comme scène d’énonciation des marques : appropriations, simulations,
médiatisations, Extrait du IX Colloque de l’Association Internationale de Sémiotique Visuelle, Lisbonne, octobre 2011
8
mettent le produit au second plan, ne crée pas de médiation marchande telle qu’elle
est au niveau économique.
Nous avons donc voulu comprendre les motivations de ces marques qui prennent
possession de l’espace urbain et culturel en produisant des évènements à moyen ou
long terme. Ainsi, pourquoi une marque de champagne de luxe telle que Krug s’est-
elle installée dans la Samaritaine à Paris pendant une dizaine de jours dans un
restaurant éphémère ? Où résident les enjeux dans cet investissement financier où il
semblerait qu’il n’y ait pas de réel retour sur investissement, le dîner coutant 200
euros comme dans n’importe quel restaurant étoilé parisien6 ? Nous allons donc
essayer ici de comprendre ces enjeux et les résultats d’une telle forme de
communication.
Qui plus est, lors de notre choix de corpus, nous nous sommes rendus compte que le
lien entre la production de l’évènement ou l’investissement d’un certain espace
s’éloignait parfois catégoriquement du cœur de la marque. En effet, le lien entre le
champagne de luxe et un restaurant éphémère semble logique, car il s’agit de
gastronomie. En revanche le lien entre une marque de chaussures de sport et un
barbier semble plus ténu comme nous le verrons lors de la présentation de notre
corpus qui va suivre.
6 Krug En Capitale, http://www.krugencapitale.fr
9
CORPUS
- Le 114 by Puma Social
Le 114 est un bar de la rue Oberkampf à Paris investi pendant un an par la marque
de chaussures de sport Puma de octobre 2011 à octobre 2012. Il a été rénové et
réinvesti par la marque dans le cadre de sa campagne « Les Athlètes de la Nuit »,
qui marquait une disruption dans sa communication face à la concurrence directe. En
effet, au lieu de se positionner sur le sport, l’effort et le surpassement physique de soi
comme le font les leaders du marché, Puma a décidé de se positionner sur l’esprit de
la fête et du divertissement. En investissant ce bar, la marque a instauré une série de
concerts gratuits et ouverts à tous (The 114 Show, Scène Ouverte) chaque semaine
ainsi que des soirées à thèmes le week-end (La Boum de Gunther Love, Troc mes
potes). Ce premier élément de notre corpus est à l’origine du sujet de ce mémoire.
En effet, la marque ayant cherché à se faire peu présente, ce bar ressemble à un bar
de quartier comme il en existe d’autres dans la ville. De plus, ayant fréquenté cet
endroit en tant que client et ayant échangé avec les autres clients, je me suis vite
rendue compte que la plupart des gens ne semblaient pas savoir que Puma avait été
à l’initiative de ce lieu. En effet, la communication reposait beaucoup sur le travail
d’équipe du groupe Les Airnadettes, un collectif de performeurs-artistes travaillant à
cette occasion pour Puma.
- La Villa Schweppes
Nous avons voulu rester dans le divertissement qui est l’angle par lequel nous
étudions le sujet, le second sujet de notre corpus est donc le lieu investit par la
marque de boisson gazeuse Schweppes lors du festival de Cannes. La marque crée
cet évènement depuis quelques années déjà mais nous étudierons plus
spécialement le festival de 2012. La Villa Schweppes marque le positionnement de la
boisson sur le monde de la nuit et de la fête avec la création du site onvillanuit.com
qui retrace les évènements qui se passent lors du festival de Cannes. Les festivaliers
pouvaient s’y retrouver le jour et la nuit car la marque offrait des soirées avec des
DJs mais aussi par exemple des cours de yoga.
10
- Le Nike Barbershop
Enfin, notre dernier élément de corpus a été moins médiatisé mais reste néanmoins
un cas intéressant à étudier. Nike a investit pendant un mois un « barber shop »
c'est-à-dire un salon de coiffure créé spécialement pour l’évènement. A l’occasion de
l’Euro 2012, la marque offrait ainsi aux fans de football de se faire les mêmes coupes
de cheveux que les joueurs. L’endroit offrait aussi des soirées festives avec des DJs
et des activités tels que des compétitions de babyfoot ou les retransmissions des
match de football en live. Ce dernier cas a été choisi pour son absence de lien au
premier abord entre le cœur de la marque et l’endroit produit pour cette occasion.
METHODOLOGIE :
Afin d’étayer notre sujet notre méthodologie s’est appuyé sur différents éléments. Le
premier a été de mettre en place des entretiens semi-directifs avec des
professionnels de la communication ainsi que des individus qui ont participés aux
évènements relatifs à notre corpus. Ainsi, nous avons mené ces entretiens avec
Romain Lesaffre dont le nom de scène est Château Brutal car il fait partie du collectif
Le Airnadette et s’occupe aussi de leur communication. Nous avons aussi interrogé
Aude Sarkamari en charge des relations publiques chez Cake Paris, l’agence
advertainment du réseau Havas. Enfin, nous avons rencontré Fabien Hebert,
photographe qui a collaboré à différents shooting pour les magazines de modes et
qui a travaillé avec Nike. Après avoir effectué ces entretiens, nous avons aussi fait de
l’observation non participante de la scénographie du 114 suivie d’une analyse
sémiologique des costumes du personnel. L’étude des ouvrages théoriques des
sociologues du XXe siècle a aussi permis de mieux cerner le sujet et ses
questionnements.
11
Nous avons délibérément cité le corpus et la méthodologie avant même de formuler
la problématique de notre sujet car cette problématique découle dans notre
raisonnement de l’étude du corpus et des questionnements qu’il soulève d’un point
de vue sémiologique, professionnel et universitaire.
PROBLEMATIQUE
Il semblerait donc qu’aujourd’hui les marques s’éloignent des lieux classiques de
médiation marchande tels que les magasins, les panneaux publicitaires, les
messages radio et télévisés pour investir d’autre territoires. Par cet investissement,
elles s’éloignent alors de leur cœur de marque et créent voire produisent de
nouveaux contenus. Ces lieux investis sont des espaces publics dédiés au
divertissement et au contenu culturel au sens large c'est-à-dire à cette culture pour
tous qui existe aujourd’hui et qui constitue la culture de masse. Nous nous sommes
donc penchés sur ces nouvelles formes communicationnelles qui semblent être à mi-
chemin entre la communication publicitaire et la création de contenu qui se suffit à
elle-même. Cela soulève un questionnement qui nous avons formulé ainsi :
Dans quelle mesure l’intervention des marques sur de nouveaux territoires
géographiques produit-elle une forme communicationnelle hybride au service d’un
estompage de lieux marchands destinés à vendre des produits ?
Le rôle des marques dans ces nouveaux territoires semble en effet flou par le peu de
retour sur investissement réel qui en résulte. Il est donc nécessaire d’appréhender
toutes les dimensions visibles ou pas de ce genre d’investissement.
12
HYPOTHESE 1 :
Dans une première hypothèse, nous avons ainsi cherché à comprendre les raisons
qui poussent les marques à faire évoluer sa communication et ses actions en rendant
le produit moins présent. Nous nous sommes appuyés sur les travaux universitaires
de Caroline de Montety, Karine Berthelot Guiet et Valérie Jeanne Perrier sur « Les
métamorphoses de la communication des marques et des médias » afin de poser
notre postulat qui est le suivant :
Les nouvelles formes de communications seraient une démarche de
dépublicitarisation qui semble une réponse nécessaire face aux évolutions de la
consommation
Dans ce premier postulat, nous tenterons alors de démontrer que la société de
consommation actuelle a mis en place des résistances qui remettent en cause la
publicité traditionnelle. Face à l’évolution du modèle classique de consommation, le
rôle de la marque se transforme et cette dernière met en place des techniques de
communication moins agressives.
HYPOTHESE 2 :
Dans une seconde hypothèse, nous étudierons les moyens mis en place par les
marques pour servir cette tendance à opter pour des formes de communications
plus discrètes pour reprendre les termes de Caroline de Montety. En effet, notre
angle d’approche reste la production de divertissement par les marques. Notre
hypothèse sera la suivante :
Une réponse qui permet à la marque de produire de l’expérience aux frontières de la
médiation culturelle et de la médiation marchande par le biais de l’entertainment
Nous verrons ainsi dans cette partie comment le divertissement permet d’ancrer la
marque dans l’expérience et offre de l’émotion au consommateur qui est entre temps
devenu un public.
13
HYPOTHESE 3 :
Après avoir étudié les formes de dépublicitarisation et les moyens mis en place avec
les efforts des marques pour estomper le produit et offrir du contenu intéressant et
gratuit au public, nous tenterons de démontré les limites de ce système. En effet, il
est difficile lorsque l’on est une marque d’oublier la finalité même de la
communication à savoir l’acte d’achat.
Le lieu de divertissement investit par la marque devient alors un véritable lieu-média,
incarnation physique de cette dernière, offrant ainsi un temple de la consommation
avec ses fidèles et ses évangélistes
En plus de créer du lien social, la marque en investissant ces lieux crée une réelle
valeur de marque et tente malgré tout de recevoir une reconnaissance dans une
logique de don contre-don.
14
I. OU IL APPARAIT QUE LA « CRISE » DE LA PUBLICITE
TRADITIONNELLE DONNE NAISSANCE A DES FORMES DE
DISCOURS ALTERNATIVES
Il semble nécessaire de présenter dans une première partie les changements
des modes de consommation de la société, bien que cela soit aujourd’hui un fait
établi dans notre monde occidental. Pour ce faire, un rappel de ce qu’à été pendant
longtemps la société de consommation de masse suivi de l’analyse de la rupture
dans ce modèle classique paraît pertinent. Il est indispensable d’évoquer le contexte
et les mutations du consommateur et de la marque afin de pouvoir ensuite présenter
les transformations profondes qui se sont effectuées depuis quelques années.
A. L’avènement de nouvelles formes de consommation
1. Une rupture dans le modèle classique
1.a De la société de consommation au postmodernisme « Le consommateur va prendre le pouvoir7 » affirment Bernard et Véronique Cova
dans le numéro de septembre 2008 de la revue Recherches et Applications en
Marketing. Cette affirmation que nous pouvons mettre maintenant au présent de
l’indicatif n’est plus à prouver.
En effet, le temps de la consommation de masse cher à Baudrillard semble être
révolu, bien qu’il soit nécessaire de nuancer ce concept. Lorsque La société de
consommation est publié en 1970, la société est confrontée aux débuts de
l’hypersegmentation de la consommation ainsi qu’à la dématérialisation de l’objet.
Les années 1960 ont marqué les débuts de la consommation de l’objet tel que la
voiture, la radio ou la télévision pour le statut social qu’il confère. L’objet n’est plus
acheté pour son utilité ou sa fonction première c'est-à-dire pour sa valeur d’usage
mais pour répondre à un besoin, sa valeur d’échange social8. La consommation de
masse apparaît dans un contexte où les différentes classes de la société :
7 Les figures du nouveau consommateur : une genèse de la gouvernementité du consommateur, Cova
et Cova, RAM, Volume 24 – n°3, septembre 2009 8 Jean Baudrillard, La société de consommation, Folio, 1970
15
dominants, dominés et classe moyenne se trouvent face à une évolution crée par la
volonté des classes moyennes de faire partie des dominants. Pour cela, elle va donc
se doter des attributs matériels des dominants en les achetant. Ce phénomène va
fortement marquer les modes de consommations actuels, à savoir que nous
consommons la dimension symbolique des objets pour obtenir un statut social.
Baudrillard écrit alors « Dans la logique des signes comme dans celles des
symboles, les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou un besoin défini.
Précisément parce qu’ils répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale,
soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de
signification9. »
Par exemple, malgré l’apparition et l’existence de téléphones portables bons
marchés, le consommateur aujourd’hui ne pourra pas s’empêcher de camper toute
une nuit voire trois nuits consécutives devant l’Apple Store pour pouvoir jouir le plus
vite possible de l’énième sortie d’un nouveau téléphone intelligent. Posséder un
Iphone de la nouvelle génération est signe de richesse, de distinction sociale et de
rareté. Nous ne consommons donc plus un produit mais du sens et de l’imaginaire,
l’identité et l’appartenance se construisent par ce que l’objet véhicule.
La période qui suit le début des années 1970, appelée postmodernité, est une
période de changement de paradigme ou l’individualité laisse la place à la
communauté, et la raison devient subjectivité et passion. Au fil des ans, on s’éloigne
peu à peu du modèle de classe prôné par Baudrillard car la classe moyenne devient
de plus en plus généralisée. Les repères se retrouvent brouillés et les instances
d’autorités sont remises en cause. En effet, malgré l’abondance de produits et de
publicités aujourd’hui, il devient difficile d’affirmer que le consommateur se laisse
seulement guider par la passion dans le choix de ses achats de services et de
produits.
Pendant longtemps, les sociologues et économistes tels que John Kenneth
Galbraith10 ont démontré que le consommateur était un récepteur passif du
message, qui se laissait berner par la publicité et ses promesses de bonheur. Le
9 Jean Baudrillard, La société de consommation, Folio, 1970 10
S A. Galbraith J. K., L'Ère de l'opulence, Calmann-Lévy, Paris, 1961
16
concept d’A.I.D.A. a pendant longtemps été l’apanage des stratégies publicitaires qui
avaient donc pour seul but d’attirer l’Attention du consommateur, de susciter de
l’Intérêt puis du Désir pour enfin arriver à l’acte d’Achat en lui-même. L’individu
semblait être une personne faible qui se laisse influencer par les entreprises qui
imposent leurs produits. Il semble chercher de la reconnaissance sociale et
personnelle par l’achat d’objets matériels. Gilles Lipovetsky explique cette thèse en
ces termes :« étouffant le consommateur sous un déluge d’images de bonheur, lui
promettant santé et beauté, la publicité est ce qui crée et recrée les besoins que
l’appareil productif cherche à satisfaire. Dirigé par les techniques de persuasions, le
consommateur est dépossédé de toute vraie autonomie : c’est l’offre et la
communication marchande qui détiennent désormais le pouvoir souverain11 », pour
mieux pouvoir la réfuter en expliquant que la phase dans laquelle se trouve
aujourd’hui la société est une phase où l’individu naît d’emblé dans un univers de
consommation, apprend à vivre avec et donc en acquiert une certaine forme de
pouvoir sur cette dernière. La communication des marques n’a plus un rôle d’autorité
totale sur la vente du produit. L’individu n’est plus un sujet passif face au matraquage
publicitaire.
Les facteurs qui expliquent cette évolution sont pluriels. Le plus important reste
évidemment l’avancée technologique et l’apparition du digital dans le quotidien de
l’individu. Ainsi, Internet a permis de faciliter à une vitesse remarquable l’échange de
l’information. En un clic, l’utilisateur peut vérifier les symptômes qu’il a avant même
d’aller consulter le médecin, poser une question relative à la qualité d’un produit ou
encore critiquer un service au plus grand nombre de ses « followeurs ». La légitimité
de l’information évolue, les instances qui avaient auparavant autorité sont remises en
cause et tout un chacun peut se positionner en tant qu’expert en la matière. Des
associations de consommateurs se créent, aujourd’hui au nombre de 17 dont UFC-
Que Choisir. Leur pouvoir que l’on pourrait qualifier de lobbying auprès des pouvoirs
publics et professionnels est assez étendu comme le prouvent les actions contre les
tarifs des acteurs du secteur de la téléphonie mobile, qui ont ainsi débouché sur une
lourde amende aux opérateurs français en 2005. Cette diffusion de l’information
rapide et illimitée permet donc de mettre en place un jeu d’influence, restructurant la
11
Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal - Essai sur la société d'hyperconsommation, Gallimard, 2009
17
société toute entière et donc les manières de consommer. Ainsi, selon l’étude
Infolab/L’Express, 90% des Français estiment que l’information comme sujet
d’échange avec les autres est un enjeu dans une société de plus en plus éclatée
médiatiquement et sociologiquement12.
La fragmentation sociale est un autre facteur qui affaiblit le rôle des marques et
augmente le pouvoir du consommateur. En effet, les segmentations qui servaient à
cibler le public à convaincre ne semblent plus être applicables aujourd’hui. Ainsi,
comme l’expliquent les sociologues anglais A. Fuat Firat et A. Venkatesh, le rôle de
la femme n’est plus défini : « la femme postmoderne est encouragée à changer
d’image en permanence, et à passer de la mère prévenante au manager efficace,
puis à la compagne élégante […] chaque rôle implique une personnalité et un style
particuliers.13 ». Le consommateur devient polyvalent, il peut être pleinement
conscient d’acheter un portable pour le statut que ce dernier va lui apporter et faire
en même temps ses courses en hard-discount. Ajouté à cela, le consommateur est
aussi en recherche d’authenticité, une sorte d’équilibre entre le fond et la forme du
produit ou du service consommé. Les discours écologiques ont permis le retour de
l’importance de l’origine du produit, du terroir, comme le prouvent le succès des
produits dits BIO. 75% des Français déclarent ainsi faire confiance à un produit
portant un label de certification sociale et environnementale14.
Nous entrons donc dans l’ère de la recherche de l’identité profonde et de la
transparence avec le rejet de la pure imagination offerte par le produit. Les
consommateurs exigent une transparence assumée de la part des marques que ce
soit sur le discours du produit ou sur le discours de l’entreprise. Lors d’une
communication de crise, les marques ne peuvent plus voiler ou effacer le problème,
les individus se regroupent et demandent eux-mêmes des explications à la marque
comme nous avons pu le constater avec par exemple la censure effectuée par Kit
Kat lors de la campagne Greenpeace. Cette campagne dénonçait l’utilisation de
l’huile de palme dans les barres chocolatées et détournait les visuels et les publicités
de la marque Kit Kat. Cette dernière a essayé de censurer et de traduire en justice le
12
Etude Infolab/L’Express, 2011 13
A. Fuat Firat et A. Venkatesh, Postmodernity : the age of marketing in Comportement du consommateur, Présentation de textes choisis, J.BREE et C. DERBAIX, 2000 14
EtudeEthicity/ Kantar Media Intelligency, 2011
18
lobbying militant écologiste mais elle a dû faire ensuite machine arrière face à
l’indignation des consommateurs qui menaçaient de boycotter la marque.
Cependant, il est nécessaire de nuancer cette volonté de transparence. En effet, le
consommateur se tourne vers le concret et le réel sans pour autant oublier la figure
métaphorique de la publicité car il y est habitué.
1.b Un nouveau modèle qui met fin à « l’autorité des marques »
Enfin, les transformations et les bouleversements de médias créent de nouveaux
types d’usages et de comportement. Aujourd’hui, 3 Français sur 4 utilisent plus de
trois médias par jour, nous annonce une étude de l’Express15, avec bien évidemment
toujours la télévision devant laquelle la moyenne passe 72 minutes par jour.
Viennent ensuite la radio, l’internet fixe et la presse magazine. Ces quatre médias
sont les médias les plus utilisés dans une journée type. Les outils qui mesuraient le
taux d’impact des publicités sont mis à mal. Le téléspectateur échappe de plus en
plus à l’Audimat car il peut regarder des émissions et des films grâce à la Vidéo à la
demande sur d’autres écrans que la télévision (internet ou les téléphones portables
par exemple). Ces évolutions dans la pratique marquent un bouleversement
économique de taille dans les stratégies publicitaires classiques. En effet, le
téléspectateur était auparavant passif face au poste de télévision lors du visionnage
du journal télévisé suivi du film de début de soirée. Il était donc simple à ce moment
là de mettre en route les occasions de toucher le consommateur. Pierre Berthelot
l’explique ainsi :
« On profite alors de l'attente du programme de première partie de soirée pour
démultiplier les occasions de stimulations publicitaires entre la fin du journal de 20
heures et celui-ci. Ainsi, en vingt ans, on a vu le bulletin météo s'émanciper du
journal télévisé qui l'accueillait laissant place à plusieurs plages publicitaires avant et
après les deux programmes16 ».
15
Etude Infolab/L’Express, 2011 16
Pierre Berthelot, Les médias magasins : du prétexte à l'implication. In: Communication et langages. N°146, 4ème trimestre 2005
19
Cependant, avec cette hyperfragmentation des médias, il devient quasiment
impossible de capter l’attention du consommateur d’une façon assez prolongée pour
lui faire passer un message publicitaire. Le foisonnement d’informations auquel nous
nous trouvons confrontés nous empêche d’être dans les conditions nécessaires pour
percevoir le message, comme l’a affirmé Patrick Le Lay, Président de TF1 : « pour
qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit
disponible17 ».
De plus, on peut observer la création d’outils d’évitement techniques d’une part ainsi
que l’exacerbation des outils d’évitement cognitifs. Nous avions évoqué plus tôt que
le schéma AIDA créé pour mesurer les retombées psychologiques et la perception
cognitive de la publicité n’était plus fiable pour déterminer l’efficacité du message
publicitaire. Ce schéma est remis en cause par les chercheurs comme le démontre
Henri Joannis, professeur à HEC. Il explique que, sur une étude de cent lecteurs qui
lisent un journal, quarante remarquent un encart publicitaire, dix lecteurs le lisent en
partie et cinq seulement lisent entièrement l’annonce18. Il y’a une sélection
inconsciente de la part de l’individu lors de la réception d’un message. Si on prend
l’exemple des campagnes anti-tabac, les fumeurs font une présélection et ils ignorent
inconsciemment ces campagnes. Ils ne s’en souviennent plus et les trouvent nulles.
Outre ces outils d’évitement de psychologie cognitive, les outils d’évitement
techniques qui sont apparus lorsqu’Internet est devenu un média de masse font
aujourd’hui partie de notre quotidien. Le rapport annuel de Pricewaterhouse-Coopers
de 2011 annonce que sur les derniers dix ans, l’investissement publicitaire sur
Internet à dépassé en Amérique du Nord les 26 milliards de dollars contre 8 milliards
à la fin des années 1990. Les formats de publicités peuvent être cités au nombre de
trois si l’on se réfère au travail d’un chercheur de l’Université d’Austin19, qui les
appelle Lead, Jump et Destination : les bannières et les liens payants contenant des
animations et du son pour capter l’attention, les publicités forcées c'est-à-dire les
fenêtres intempestives qui apparaissent lors de la navigation et que nous appelons
17
Télérama, n° 2884, 20 avril 2005 18
Henri Joannis, De l'étude de motivation à la création publicitaire et à la promotion des ventes, Dunod, 1965 19
Yoo, C. Y., Preattentive processing of Web Advertising. Thèse de doctorat, University of Texas, Austin, 2005
20
aussi fenêtres pop-up, enfin les sites internet de marques qui diffusent leurs propre
contenu . Nous pouvons aussi ajouter l’envoi d’emails non attendus. Pour tous ces
formats publicitaires, des outils techniques ont été développés par l’utilisateur afin de
les éviter. Par exemple, les fenêtres intempestives sont bloquées par une application
que l’on installe sur son ordinateur, les emails de réclame peuvent être détectés et
automatiquement qualifiés de « spams » ou de pourriel c'est-à-dire de
communication électronique non sollicitée et les fenêtres possédant des bannières
sonores sont d’emblée supprimées. Nous observons donc la mise en place d’une
résistance grâce à des stratégies d’évitement face aux techniques de publicités
intempestives qui remettent en cause la publicité traditionnelle.
2. Due à un trop-plein de publicité ?
2.a La publiphobie et ses origines
Nous avons donc vu que la fragmentation et la diversification des médias ainsi que
ses évolutions permettent de nouveaux supports pour la publicité. Le consommateur
est donc exposé à des centaines de messages publicitaires par jour donnant
naissance à un sentiment de frustration et de méfiance vis-à-vis de la communication
de marques. L’étude commanditée par l’agence Australie à TNS Sofres en 2011 est
assez représentative des sentiments du consommateur face à la publicité. 80% des
interrogés affirment que la publicité est une source d’ennui et ils y prêtent de moins
en moins attention. 52% annoncent ne plus y prêter attention contre 45% en 200720.
Au magazine Stratégies qui relaie cette étude, Vincent Leclabart, président de
l’agence Australie, tient les propos suivant : "Les marques perdent le contact avec
les consommateurs, soit parce qu'elles ne leur correspondent plus en termes
économiques, soit parce qu'elles n'arrivent plus à les séduire par leurs actions
marketing21".
Les opposants au modèle de consommation sont de plus en plus nombreux même
s’il est nécessaire de rappeler que la publiphobie en France n’est pas un phénomène
20 Etude Australie-TNS Sofres, Publicité et Société, 2011 21
Stratégies, n°1645, 27 septembre 2011
21
nouveau. Il existe une tradition de dénigrement de la publicité liée aux racines judéo-
chrétiennes de la société. En effet, tout ce qui touche au rapport marchand et au
mercantilisme était considéré comme immoral et impur par la religion puis l’Eglise.
L’historien Marc Martin montre que la publicité est doublement immorale pour la foi
catholique car elle permet à ceux qui créent la publicité de gagner de l’argent sans
faire un travail concret et qu’elle déforme aussi souvent la vérité.22
La réclame est considérée comme un message mensonger proche du discours des
bonimenteurs de foires. Emile de Girardin, celui que l’on qualifie de père de la
publicité car il a été le premier en 1836 à faire recette avec les annonces paraissant
dans son journal La Presse, est par exemple considéré comme un charlatan. Marc
Martin rapporte qu’à l’époque Charles de Rémusat décrit Girardin comme un homme
« plus immoral que méchant […]. Il se jeta dans diverses entreprise de presse
mercantile, employa toutes les manœuvres du charlatanisme, en inventa de
nouvelles. »23. La défiance face à la publicité est donc bien présente dès ses débuts.
Les années 1960 marquent aussi le développement du mouvement anti-
consumériste qui découle de la contre-culture anticapitaliste, prônant un retour à la
nature tel que pratiqué par des « hippies ». La publicité connait ses premiers
détournements artistiques avec Andy Warhol qui peint ses fameuses séries de
Campbell Soup.
Plus la publicité fait partie de la culture, voire de la pop-culture, plus les discours anti-
publicitaires se font virulents. On voit donc aujourd’hui de véritables collectifs se
proclamant « casseurs de pubs » qui vouent une haine profonde à la communication
des marques. Parmi eux, on compte le Collectif des déboulonneurs, Les Chiennes de
gardes ou encore Paysage de France (association de défense contre les affiches
défigurant les paysages nationaux). Ils ont été fortement influencés par ce que l’on
pourrait qualifier de premier ouvrage antipub, La persuasion clandestine de Vance
Packard, sociologue et économiste américain. Dans son ouvrage, il dénonce ce qui
pour lui est une manipulation des foules des foules et des esprits, à savoir la
publicité. Pour lui, il ne s’agit que de propagande publicitaire : « La psychanalyse des
foules est devenue, dans les campagnes de persuasion, le fondement d’une
22
Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, Odile Jacob, 1992 23
C. de Remusat, Mémoires de ma vie, Paris, Plon, 1960
22
industrie puissante. Les spécialistes de la persuasion s’en sont emparés pour mieux
nous inciter à acheter leurs marchandises, qu’il s’agisse de produits, d’idées,
d’opinions, de candidats, de buts, ou d’états d’esprit24 ». Ces théories sont vivement
et constamment reprises par les détracteurs de la publicité.
L’une des actions les plus utilisées par les mouvements anti-pub peut se qualifier de
« culture du barbouillage »25 qui détourne le message initial d’une affiche publicitaire
par le biais d’une inscription faite au marqueur ou au gros feutre sur le visuel.
D’autres procédés comme le détournement de publicité sur Internet sont aussi
fréquents. A noter que des marques reprennent aujourd’hui ce genre de procédés
pour arriver à leurs fins. Par exemple Greenpeace, l’association mondiale qui milite
pour le respect de l’environnement, a créé une véritable vraie-fausse campagne
laissant croire que cette campagne était lancée à l’initiative de la compagnie
pétrolière Shell. Greenpeace a ainsi créé un faux site semblable en tout point à la
page officielle du pétrolier, intitulé Artcticready.com. Ce site semblait faire la
promotion des opérations de forage en Arctique et proposait à l’internaute d’imaginer
leur affiche publicitaire pour Shell. On pouvait donc voir sur l’entête du site : "Chez
Shell, nous voulons que tout le monde se sente aussi enthousiaste que nous à l'idée
d’extraire les ressources indispensables de l’Arctique. Après tout, l’Arctique est un
héritage commun à toute l’humanité. Ce que nous y faisons concerne tout le monde."
Beaucoup d’utilisateur ont cru au premier degré de ce site tandis que d’autres ont
détournés les visuels à cœur joie pour dénoncer les actions de la compagnie
pétrolières26.
On peut donc affirmer qu’aujourd’hui, les techniques utilisées par les groupes
d’antipub sont reprises et réinvesties par les marques elles-mêmes. Puiser dans la
culture populaire et dans les tendances pour créer des stratégies de communication
est très commun pour les marques. Les actions et les critiques contre la publicité et
la communication des marques est donc bien présente aujourd’hui, il peut nous
sembler qu’elle découle de cette surcharge de messages et d’omniprésence des
techniques de communication des marques. Cependant, comme nous l’avons
24
Vance Packard, La persuasion clandestine, Calmann-Lévy, 1958 25
Sébastien Darsy, Le temps de l’anti-pub, Actes Sud, 2005 26
Annexe 1 : p. II
23
expliqué en amont, le consommateur n’est plus un être passif et sans défense, il met
en place lui-même une résistance personnelle qui confère à la publicité « un pouvoir
modéré » et non pas « une domination totalitaire27 ».
2.b Une évolution du marketing de l’interruption au marketing de la permission
Cette résistance que nous avons décrite, qu’elle soit donc cognitive, mécanique ou
comportementale, est devenue un réel concept étudié par les chercheurs. Pour les
chercheurs américains Speck et Elliot, la résistance c’est « toutes les actions
choisies par les utilisateurs des médias qui réduisent leur exposition à la publicité28 »,
ce qui résume bien les outils d’évitements mis en place par l’individu.
Ainsi, pour Dominique Roux, professeur et chercheur en comportement du
consommateur, la résistance se défini par les formes d’oppositions que l’individu crée
envers la culture de la consommation. La résistance renvoie alors à deux notions :
« une manifestation d’opposition dans une situation perçue comme oppressive, et
une propension variable à s’opposer29 ».
Cette résistance est donc due aux techniques d’intrusions qui existent dans la
publicité. En effet, l’économie de l’attention a longtemps été la philosophie première
des stratégies de communication. La publicité était un corps étranger que l’on devait
à tout prix faire accepter et faire regarder par le consommateur. Elle coupe donc les
programmes télévisés ainsi que les émissions de radio, se mélange au courrier que
l’on reçoit dans notre boîte à lettre ainsi que dans nos emails, ou capte un regard
errant dans le paysage urbain. Le marketing de l’interruption a longtemps semblé
être la réponse aux formes communicationnelles traditionnelles. Nous abordons ici le
concept d’attention comme « le processus par lequel un consommateur sélectionne
l'information dans un environnement pour l'interpréter » et « le moment auquel le
consommateur prend conscience d'un stimulus particulier dans son
environnement30».
27
Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal - Essai sur la société d'hyperconsommation, Gallimard, 2009 28
“all actions by media users that differentially reduce their exposure to ad content” 29
Dominique Roux, La résistance du consommateur : proposition d’un cadre d’analyse, Recherche et Applications en Marketing, vol. 22, n° 4/2007 30
AMA Dictionary, 2011
24
L’attention est donc le résultat de réponses et de stimuli cognitifs et les spécialistes
du marketing ont décidé de la traiter comme un « filtre de l’information », une
condition sine qua non de l’efficacité de la réception d’un message. Pour Seth Godin,
la publicité c’est « l’art de créer et de placer des messages qui font intrusion dans les
pensées du consommateur pour l’inciter à agir31 ». On parle donc bien d’intrusion,
d’une interruption dans la vie quotidienne du consommateur pour le pousser à
acheter. Le marché publicitaire se trouvant de plus en plus encombré, la réponse des
spécialistes de la communication a été d’augmenter encore plus les endroits et les
moments d’interruptions, allant même jusqu’à placer des supports média dans les
toilettes des bars. Une telle demande d’attention est perçue automatiquement
comme agressive voire même violente d’où la montée de la résistance du point de
vue de l’individu.
L’auteur de marketing qui explique la fin du marketing de l’interruption compare ainsi
la profusion des messages à un hall d’aéroport. Lorsque nous nous trouvons dans un
hall d’aéroport vide et que nous nous dirigeons calmement vers la porte
d’embarquement, nous répondons avec bienveillance à un individu qui nous
interrompt sur notre chemin pour nous demander une information. A contrario, si
nous nous trouvons dans ce même aéroport à une heure de grande influence, ou
nous avons été sollicité de toute part par des « œuvres de bienfaisances plus ou
moins douteuses32» et où la foule des voyageurs nous empêche d’accéder à la porte
d’embarquement, la réaction face à la même demande d’information d’un étranger
sera différente s’il s’avère que c’est le trente-sixième à avoir posé la même question,
il est possible que nous ne l’entendions même plus.
Cette métaphore décrit bien l’inutilité du marketing de l’attention aujourd’hui.
L’attention du consommateur est limitée voire quasiment inexistante. C’est pourquoi
nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle ère où la publicité n’est plus intrusive ou
imposée mais ou les marques changent de discours et demandent au consommateur
le droit d’entrer dans son quotidien. C'est-à-dire que la réception d’information est
devenue un « acte volontaire33». Le message doit donc être attendu par le
31
Seth Godin, Permission Marketing, Maxima Paris, 2009 32
Ibid. 33
Ibid.
25
destinataire et pertinent. Seth Godin parle alors du « marketing de permission » et
annonce qu’il s’agit de l’outil le plus efficace de fidélisation des clients. Mais il se
cantonne simplement au média internet alors que ce marketing de la permission
semble être aussi applicable dans les milieux urbains comme nous le verrons dans la
suite de notre étude. Le dernier exemple qui incarne ce concept de « permission
marketing » peut être l’opération menée par Red Bull en octobre 2012. La marque de
boisson énergisante a diffusé en direct, sur le site de partage de vidéo Youtube, le
saut d’un homme, Felix Baumgartner, s’élançant de la stratosphère pour atterrir en
chute libre sur le sol terrestre. Cette opération a été menée et mise en place par la
marque Red Bull dans le cadre de sa stratégie de communication « Red Bull donne
des ailes ». Plus d’une dizaine de millions de téléspectateurs ont regardé cet
évènement de leur propre gré, en se connectant sur l’interface Youtube. Cette
opération montre bien que la marque a fourni un contenu que le public a accepté de
recevoir.
Les évolutions dans le mode de vie et de consommation des individus ont
bouleversé les formes communicationnelles traditionnelles, que ce soit dû à la
profusion des messages actuels, à la résistance du consommateur ou à un besoin de
transparence et d’honnêteté de la part des marques. Face à cela, ces dernières vont
réagir et offrir des réponses et des stratégies nouvelles. ??? Les marques réagissent
aux effets de leurs propres besoins ?
B. Une évolution qui change la donne dans la communication des marques
1.L’ère de la conversation
1.a La relation directe : une réponse à l’individualisme
Avec l’exacerbation de l’individualisme que certains sociologues appellent même
« hyper-individualisme34 », les marques doivent s’adapter à cette perte de liens entre
les personnes. Autrefois, les individus se trouvaient liés par le village, la religion ou le 34
Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal - Essai sur la société d'hyperconsommation, Gallimard, 2009
26
métier mais la société de masse a fait disparaître ces relations socio-culturelles. La
société cherche à valoriser l’individu en tant que personne unique « au nom d’une
philosophie libérale et de la modernité35 » comme l’écrite Dominique Wolton.
L’expérience individuelle devient un concept sacré, ou la réalisation du soi est prôné
par tous les slogans publicitaires : « Just do it » de Nike, « Parce que je le vaux
bien » de L’Oréal…
Dans un contexte ou les certitudes partagées dans la société sont en train de
s’écrouler, la mondialisation, les crises sont passées par là. L’individu se replie sur
lui-même et ne peut se faire confiance qu’à lui-même. Il demande alors une
reconnaissance sociale de son individualité. Cette attitude se traduit alors par de
nouvelles logiques de consommation comme par exemple les parts individuelles
dans les supermarchés ou le développement d’objets personnalisables. L’une des
premières réponses à cet « hyper-individualisme » dans la communication des
marques a été la mise en place du marketing direct.
Le marketing direct a semblé dans un premier temps un remède à cette
individualisme latent. Selon l’Association des agences conseil en communication
(AACC), « le marketing direct vise à exploiter une réaction directe individualisée
entre une marque et ses clients ou prospects en se servant du média le plus adapté :
mailing, presse, télévision, téléphone, Minitel, affichage, etc., et souvent en les
combinant ». Mais il ne s’agit pas seulement d’une vente à domicile comme le rappel
Pierre Desmet, professeur à l’ESSEC : « Le marketing direct est une démarche
marketing qui consiste à collecter et exploiter systématiquement dans une base de
données des informations individuelles sur une cible et à gérer une transaction
personnalisée».
Cette technique de vente est née avec les catalogues de vente par correspondance
dès le dix-neuvième siècle qui permettent de fidéliser un client en ciblant au fur et à
mesure des ventes ses besoins. Un autre terme aujourd’hui peut désigner les
techniques de ciblage , le terme de « marketing relationnel ». En effet, le marketing
ne fut au début qu’une simple technique de vente à distance pour les
consommateurs se trouvant dans des régions éloignées des grands centres 35
Dominique Wolton, Penser la communication, Flammarion, 1997
27
commerciaux, mais au fur et à mesure les entreprises ont commencé à prendre en
compte l’aspect affectif de la relation avec l’acheteur en favorisant la fidélité et la
confiance. Cette technique a alors débouché sur la création du concept de CRM pour
Customer Relationship Management qui peut être défini comme « la capacité à bâtir
une relation profitable sur le long terme avec les meilleurs clients sur l’ensemble des
points de contact36 ». Les courriers papiers, les appels téléphoniques ainsi que les
emails deviennent de plus en plus personnalisés. Grâce aux fichiers de données
récoltées lors des achats avec les cartes de fidélités ou lorsque le client surfe sur
Internet, les entreprises peuvent s’adresser directement à chaque individu.
Mais il semblerait que la pratique du marketing direct ne soit pas efficace à long
terme et lasse les consommateurs qui demandent toujours plus. Seth Godin affirme
ainsi que face au publipostage, « 98% de l’audience cible a ignoré, rejeté ou mis au
rebut ces envois37 ». Les entreprises se sont jetées sur cette solution
complémentaire à la publicité traditionnelle car les promesses avaient l’air réelles.
Cependant, d’une façon similaire aux formes communicationnelles classiques, les
consommateurs font face aujourd’hui à une profusion de catalogues dans les boîtes
à lettres et de messages ciblés mais inutiles dans leurs courriers électroniques. Les
consommateurs savent que leurs données sont vendues et partagées au plus
offrant, ce qui ôte au marketing relationnel cette relation de proximité dont il s’était
prévalu.
1.b Du contrat de lecture…
En théorisant toutes ces données et en analysant l’évolution des demandes du
consommateur et la réponse des marques à cela, on remarque l’apparition d’un
paradigme dans le contrat classique de réception du message. Il semblerait que le
contrat de lecture entre le média et le lecteur soit contesté et que la relation entre le
modèle classique d’énonciateur et de destinataire soit en train d’évoluer et de muter.
Le contrat de lecture tel qu’il a été développé par Eliseo Veron puis repris par Patrick
Charaudeau fait écho et puise dans les modèles communicationnels des les
36
Sophie Mensior-Courtois et Claude Macornay , La Saga Du Marketing Direct, Perrin, 2008 37Seth Godin, Permission Marketing, Maxima Paris, 2009
28
sciences de la communication. Ces modèles sont en effet au pluriel car au fil des
écoles, chaque chercheur et théoricien a construit son propre schéma.
Ainsi, le modèle de Shannon et Weaver développé en 1948 dans l’ouvrage Théorie
mathématique de la communication est considéré comme le texte fondateur de la
théorie de la communication. L’information transmise entre deux personnes
nommées l’une source et l’autre destinataire passe par des outils. Ces outils au
nombre de deux sont l’émetteur et le récepteur. Mais le passage de l’information par
le biais d’un outil posait le problème de l’encodage de l’information et son décodage.
Ce modèle, qui prenait exemple sur le passage à l’information mécanique avec le
télégraphe, a été repris et réadapté à la linguistique par Roman Jakobson. Il explique
que la communication entre deux entités se fait en deux parties, la transmission puis
la réception de l’information :
« Un destinateur qui encode un message selon un code commun, partagé
avec le destinataire auquel il l’adresse, lequel le décode. La circulation du message
nécessitant un contact dans un contexte donné. Les interlocuteurs et leurs messages
peuvent utiliser en les combinant ou non, diverses fonctions du langage, qui ne sont
pas qu’informatives mais relationnelles et esthétiques38 ».
Il distingue alors l’émetteur, qui est l’auteur du message, du récepteur qui reçoit le
message. Entre ces deux personnes, destinataire et destinateur, il détermine quatre
facteurs de la fonction linguistique : le contexte , le message, le contact et le code.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’information pour Jakobson est uni-canal. C’est sur ce
dernier point qu’il va être souvent critiqué par ceux qui lui succèdent, comme Pierre
Bourdieu dans son essai Ce que parler veut dire, qui lui reproche de ne pas prendre
la langue comme fait social mais seulement comme un objet théorique abstrait et non
mouvant. En effet, Jakobson a négligé les facteurs non-verbaux et le contexte
environnemental qui, pour les sociologues, sont des facteurs qui conditionnent la
communication.
Le contrat de lecture puise dans la linguistique de l’énonciation telle qu’elle a été
présentée par Jakobson mais il fait aussi appel à l’Ecole de Palo Alto. La stratégie 38
Roman. Jakobson, Essai de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963
29
d’énonciation étudiée par Eliseo Veron dans sa théorie du contrat de lecture reprend
toutes les théories citées pour les appliquer au marketing de la presse en 1985.
Eliseo Veron prend en effet en compte le contexte socio-économique de la diffusion
de l’information par les médias, il préfère parler alors d’ « acte de communication »
plutôt que d’ « acte d’information ». Il affirme que le lecteur ne va pas seulement
acheter un magazine pour l’information qu’il va y trouver mais aussi pour la manière
dont l’information sera communiquée.
Chaque support de presse crée son propre contrat de lecture avec le destinataire.
Quand une femme lit Elle par exemple, elle attend du magazine féminin qu’il
s’adresse à elle comme à une femme du monde, qui aspire à un certain niveau social
tandis que lors de la lecture d’un Marie-Claire, l’énonciation est plus familière, plus
proche de la lectrice. En d’autres termes, le contrat de lecture se défini « comme un
dispositif d’énonciation, qui diffère selon les organes de presse, où est mise en forme
la relation de lecture que propose le producteur du discours, en l'occurrence l'éditeur
et l'équipe rédactionnelle, à ses lecteurs. Le contenu comme la façon de dire prime
pour ce qui est d'établir une relation particulière, si possible durable, un lien affectif
ou privilégié avec le lecteur39 ». Ce concept a été pendant longtemps utilisé et
évoqué aussi bien par les organes de presse que par les régies publicitaires qui
capitalisaient sur ce contrat entre la presse et un public fidèle.
Dans ce contrat de lecture, il est nécessaire de mentionner que selon les explications
d’Eliseo Veron, le rapport défini est toujours celui de l’émetteur (le titre de presse) au
récepteur (le lecteur) qui fait le choix d’acheter un titre qui répond à ses attentes. Il
semblerait que le lien entre ces deux entités soit un lien d’échange et non plus
unidirectionnel. Les médias feront donc tout pour répondre aux attentes du public
pour respecter le contrat de lecture. Ce modèle a aussi été adopté par les autres
médias comme la télévision et la radio. Jean-Maxence Granier, chercheur et
fondateur du cabinet de conseil Think Out, donne ainsi un exemple très pertinent et
concret du contrat de lecture dans les émissions télévisées. Il explique que deux
émissions qui parlent du même sujet peuvent avoir des contrats de lecture tout à fait
39
Pierre Gonzales, Production journalistique et contrat de lecture : autour d'un entretien avec Eliseo Veron. In: Quaderni. N° 29, Printemps 1996. Sciences de la Vie et médias
30
opposé en prenant l’exemple de Turbo sur M6 et d’Auto-Moto sur TF140. Ces deux
émissions ont pour sujet l’automobile mais la première est dans « une relation
d’abord accessible et pédagogique41 » tandis que l’autre se pose en expert, critique
et soulève « davantage le capot des voitures42 ». Ce modèle rencontre donc bien un
succès chez tous les acteurs et professionnels des médias car il donne véritablement
à penser et interpréter le destinataire du média. Le concept du contrat de lecture est
surtout utilisé pour les médias mais nous pouvons aussi effectuer un parallèle avec le
contrat créé entre les marques et le consommateur lors de la diffusion du message
publicitaire. En effet, il s’agit bien pour les marques de diffuser une information par le
biais de la publicité et de réussir à répondre aux attentes du consommateur et de son
imaginaire de l’image de la marque pour créer un lien et tenter de le fidéliser. Si une
publicité se démarque trop de sa communication habituelle, elle risque de perturber
le consommateur et de le déstabiliser dans son contrat de lecture.
1.b … au contrat de conversation
Patrick Charaudeau développe encore plus la notion de contrat médiatique qui
semble aussi parfaitement applicable à la relation entre la marque et le
consommateur. Pour lui, le contrat de communication se crée selon quatre principes :
le principe d’interaction, le principe de pertinence, le principe d’influence et le
principe de régulation sont nécessaires pour instaurer un contrat entre deux
instances. Il prend ensuite en compte le besoin de la part du média de faire naître
l’intérêt du lecteur en jouant sur ses sentiments afin de toucher le plus grand public
possible : « L’instance médiatique est « condamnée » à faire ressentir des émotions
à son public, à mobiliser son affect, afin de déclencher chez lui intérêt et passion
pour l’information qui lui est transmise43 ». Il y a donc deux finalités dans le contrat,
celle de transmettre l’information et celle de faire ressentir et de capter l’attention du
plus grand nombre. Une telle définition est applicable à la publicité traditionnelle qui
cherche à utiliser le ressort de l’émotion pour atteindre le consommateur.
40
Jean Maxence Granier, Du Contrat de Lecture au Contrat de conversation, In : Communication et Langages, n°169, septembre 2011 41
Ibid. 42
Jean Maxence Granier, Du Contrat de Lecture au Contrat de conversation, In : Communication et
Langages, n°169, septembre 2011 43
Patrick Charaudeau, "Le contrat de communication de l'information médiatique", Revue Le Français dans le monde, numéro spécial, juillet 1994, Hachette
31
Le succès du concept de contrat est aussi dû au fait qu’il donne un rôle moins passif
au destinataire. Si le public n’est plus satisfait du contrat de lecture, il peut faire le
choix d’y mettre un terme en changeant de chaîne ou en achetant un autre journal.
Cependant, il semble difficile d’y voir un véritable lien comme voudrait le croire Eliseo
Veron. Pour lui, il y a un échange entre le média et le public. Cependant, cet
échange est idéalisé par les médias qui voudraient voir un public type qui reçoit le
message et l’information envoyée de la même manière. La finalité du contrat semble
pendant longtemps unidirectionnelle, le public ayant peu de moyens techniques pour
envoyer par lui-même un message aux médias ou aux marques.
Le développement des NTIC avec le téléphone portable et les SMS puis Internet a
permis de changer la donne. On observe alors une remise en cause du contrat de
lecture tel que nous l’avons étudié et le passage à une autre forme de contrat qui se
caractérise par la conversation. « L’échange de paroles est la manifestation la plus
élémentaire du lien social44 » comme l’écrit Edmond Marc dans la préface de
l’ouvrage de Catherine Kerbrat-Orecchioni, La Conversation. Il confère ainsi à cet
acte de langage un rôle de ciment social qui permet l’échange entre deux individus
dans leur vie quotidienne. L’acte de conversation est un acte qui semble anodin mais
qui est au cœur même de la conception et de la création de la société. L’interaction
créée par la conversation est une valeur qui relève ainsi de l’ordre social comprenant
ses propres règles et rites auxquels l’individu ne peut pas déroger sous peine de
passer pour un malade mental.
C’est ce qu’explique et défend Erving Goffman dans Les Rites d’interaction. Pour lui,
la conversation est non seulement un acte de langage verbal, mais elle prend aussi
en compte tous les signes non-verbaux d’une conversation.
« Dans toute société, chaque fois que surgit la possibilité matérielle d’une interaction
verbale, on voit entrer en jeu un système de pratiques, de conventions et de règles
de procédure qui sert à orienter et à organiser le flux des messages émis.[…]
Lorsque les personnes effectuent cette ratification réciproque, on peut dire qu’elles
sont en conversation […] elles se déclarent officiellement ouvertes les unes aux 44
Catherine KERBRAT-ORECCHIONI , La Conversation, Seuil, 1996
32
autres en vue d’une communication orale et garantissent conjointement le flux de
paroles45».
Le sociologue parle ainsi de l’engagement mutuel que doivent prendre deux
personnes lorsqu’elles veulent entrer en conversation. Ce n’est que sur cet
engagement que l’acte de communication peut se faire. Nous pouvons alors faire un
parallèle entre ce qu’écrit Goffman et les actions du consommateur aujourd’hui à
l’encontre des marques. Il semblerait qu’il y ait une forte demande d’engagement et
de conversation de la part du public en ce qui concerne les médias et du
consommateur en ce qui concerne les marques. En effet, l’ expression « dialogue
avec les marques » prend de plus en plus de place lors des réflexions théoriques des
professionnels de la communication. Jean Maxence Granier parle d’abord du
passage du contrat de lecture au contrat de conversation en appliquant ses théories
à la relation entre un média et son public. Mais comme nous l’avons abordée pour le
contrat de lecture, le contrat de conversation peut aussi être appliqué au
consommateur et aux marques.
Jean-Maxence Granier parle alors d’évolution : le passage du public représenté au
public interactif. Les émissions télévisées invitent aujourd’hui le public à prendre la
parole, que ce soit par l’envoi de SMS ou par internet. Cette prise de parole peut
même être retransmise en direct sur le plateau télévisé avec une banderole qui défile
en bas de l’écran et contient les questions du public aux invités par exemple. Le
chercheur voit dans cet essor de l’interactivité les bienfaits du « web 2.0 » qui donne
accès à une espace de publicisation où il est très facile d’entrer et où « les effets de
réseau sont puissants ». Les médias classiques ne sont plus en position de
supériorité face au nouveau jeu médiatique : « au-delà des effets de mode, la
blogosphère, les forums, les tags, les réseaux sociaux, les mondes virtuels dessinent
une nouvelle carte de la communication et obligent les médias à muter et à y
redessiner une place qui leur soit propre46 ». On assiste alors à la naissance d’un
nouveau rapport entre les médias et leur public, un rapport qui se construit sur la
conversation et l’interactivité. Nous appliquerons alors cette notion de passage du
45
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, Éd. de Minuit, (Le sens commun), 1974 46
Jean Maxence Granier, Du contrat de lecture au contrat de conversation, In : Communication & Langages, n°169, Septembre 2011
33
contrat de lecture au contrat de conversation à la relation entre les marques et leurs
clients.
Le consommateur demande aujourd’hui plus de contact et d’interactivité de la part
des marques car il sait qu’il a le pouvoir de réagir et de se faire entendre. Les
marques et les agences de publicités utilisent d’ailleurs de moins en moins le terme
de consommateur et des néologismes tels que « consom’acteur » ou « prosumer »
ont été inventés pour définir cette évolution. Le consommateur est désigné comme
un « producteur co-créatif d’expériences authentiques et autonomes47». A cela, les
marques doivent offrir une réponse en s’éloignant des codes traditionnels des formes
communicationnelles.
2. La réponse des marques à ces changements fondamentaux : la publicité « hors de vue »
2.a Des techniques plus discrètes qui investissent le quotidien
Face à un consommateur qui est acteur de ses choix, qui connaît tous les ressorts
de la communication des marques et qui fait part de la saturation qu’il ressent par
rapport aux messages publicitaires, les marques doivent user de nouveaux moyens
stratégiques et techniques pour se faire écouter et entamer la conversation. Elles ont
besoin de redevenir crédible et de se faire plus discrète. Elles vont alors faire appel à
des formes communicationnelles hybrides qui prennent exemples sur d’autres
dispositifs. C’est ce qu’explique Caroline de Montety dans sa thèse : « Magazines de
marque : métamorphose d’une promesse ». Elle y développe le concept de
dépublicitarisation en analysant la manière dont les marques investissent des formes
médiatiques pour devenir productrices de médias et/ou de contenu. Caroline de
Montety a travaillé sur cette notion avec Valérie Patrin-Leclerc et Karine Berhetelot-
Guiet. Ces trois chercheurs ont ainsi défini cette notion :
Dépublicitarisation : tactique des annonceurs qui vise à se démarquer des formes
les plus reconnaissables de la publicité pour lui substituer des formes de
communication censées être plus discrètes : immixtion dans des productions
47
Dominique Roux , La résistance du consommateur : proposition d’un cadre d’analyse, In :Recherche et Applications en Marketing, 22, 4, 2007
34
médiatiques préexistantes (parrainage télévisuel, placement de produits au cinéma,
à la télévision ou dans le jeux vidéo, etc.) ; imitation des formes médiatiques
instituées (magazine de marque, programme court, web TV, série de marque, etc.) ;
production de formes culturelles (film, livres de marque, jeux vidéo, musée,
exposition, etc.) […] La dépublicitarisation est une adaptation aux évolutions de la
réception sociale de la publicité (mise à distance, suspicion voire rejet des
consommateurs) et aux transformations des représentations et pratiques
professionnelles des acteurs de la communication et du marketing.
Cette définition reprend tous les facteurs et enjeux qui découlent des effets du
postmodernisme tels que nous les avons décrits avec la décrédibilisation du discours
des marques et la remise en cause de l’efficacité publicitaire. La dépublicitarisation
permet dans un premier temps de mettre la publicité « hors vue » car elle est
devenue « visible, pour ne pas dire trop visible48 ». Les marques utilisent des
dispositifs qui ne sont pas reconnus comme des dispositifs publicitaires classiques
mais plutôt comme des dispositifs culturels. Dans un second temps, le recours à
cette notion permet donc à la marque de s’incarner dans des produits et services qui
possèdent une représentation culturelle et qui va donc marquer une légitimité dans
leur discours et leur activité. Caroline de Montety a choisi d’étudier et d’approfondir
un des aspects de cette communication avec le magazine de marque en tant que
production médiatique de la part d’une entreprise. Dans ses études, il y est démontré
que le magazine de marque est une forme hybride entre discours journalistique et
discours de marque dans une « stratégie rhétorique qui permet de naturaliser la
marque49». Le magazine de marque prend exemple alors sur le modèle
journalistique mais comme nous l’avons vu dans la définition donnée de la
dépublicitarisation, les marques peuvent aussi s’investir dans la production d’autres
formes de contenu culturel. Le dénominateur commun à ces techniques est qu’au
lieu de diffuser simplement un message, les marques tentent de créer du contenu
qu’elles voudraient intéressant pour obtenir l’intérêt du public.
48
Valérie Patrin-Leclerc, La publicité dans la presse : une visibilité à risque, GRIPIC, 15 mars 2000 49
Caroline de Montety, Les magazines de marques : entre « gestion sémiotique » et cuisine du sens, In Communication et Langages, n°143, mars 2005
35
2.b L’exacerbation d’une volonté de production de contenu
Lorsque l’on parle de création de contenu, il est nécessaire d’aborder aussi la notion
de Brand Content qui, bien que possédant des racines historiques, a connu un réel
essor ces dernières années.
Le contexte économique et sociologique depuis quelques années a été un des
vecteurs principaux du développement exacerbé du contenu de marque dans la
communication. En effet, le contenu de marque ou « Brand Content » n’est pas un
phénomène nouveau. L’exemple le plus évoqué de création de contenu de marque
est le Guide Michelin, qui a permis à des milliers d’automobilistes d’user leurs pneus
sur les routes de France et de Navarre.
Comme l’annonce Marie-Laure Sauty de Chalon50, membre du Conseil National du
Numérique, « le public n’est plus dans la salle ». Il y a un renversement des valeurs,
la marque ne peut plus aller chercher le consommateur mais elle doit faire en sorte
que le public aille à sa rencontre. Si l’on prend l’exemple de la culture et de
l’entertainment, le public va faire l’effort d’aller chercher ce qui l’intéresse afin de
mieux se divertir. Il existe donc une hybridation croissante entre la publicité et
l’éditorial, le culturel et le publicitaire, l’information et la communication comme nous
l’avons évoqué avec les recherches de Caroline de Montety.
Le contenu de marque consiste donc à créer un contenu intéressant, qui ne possède
pas forcément de lien direct avec les produits même de la marque comme l’explique
Jean Noël Kapferer : « le brand content commence quand la marque cesse de parler
de ses produits ». Pour Daniel Bô, fondateur de l’institut d’études QualiQuanti, c’est
« la capacité des marques à créer et à proposer des contenus plus élaborés qu’un
simple message univoque ». Ce contenu peut être divertissant, didactique, pratique
ou informatif. Ce nouveau mode de communication connaît donc un regain d’intérêt.
De plus, contrairement au message publicitaire, le contenu se suffit à lui-même, il ne
cherche pas forcément à pousser à l’achat d’un produit. La marque a fait rentrer dans
sa communication la notion d’échange telle que l’ethnologue Marcel Mauss51 le
50
Marie-Laure Sauty de Chalon in Nouveaux Débats Publics, juin 2007 51
Marcel Mauss, Essai sur le don, in Sociologie et Anthropologie, PUF, 1968
36
conçoit. En offrant un contenu gratuit et intéressant, la marque espère recevoir en
retour l’intérêt sincère du public.
« Lorsque la communication n’est plus seulement une transmission de message
mais « quelque chose qui a de la valeur » ; et que la marque le met à disposition
gratuitement – le plus souvent - la communication se conçoit comme un don52».
En 2010, le Festival de Crans Montana qui récompense les meilleures créations
publicitaires présente pour la première fois une catégorie Brand Content. La web-
série « Mes Colocs » de BNP Paribas créée par le réalisateur Riad Sattouf a
remporté le Cristal du Contenu de Marque. Une étude du Custom Content Council53
démontre que 73% des consommateurs préfèrent recevoir une information sur un
produit sous la forme d’un contenu plutôt que sous une forme publicitaire. Les
entreprises, quant à elles, révèlent que 29% des investissements en communication
en 2010 étaient consacrés au Brand Content aux Etats-Unis.
Il semblerait donc que le recours au Brand Content répond aux nouvelles attentes du
consommateur et cherche à créer des liens fondés sur l’expérience et l’intérêt d’un
« public ». Le contenu diffusé devient ainsi un contenu culturel et non plus
simplement publicitaire. La marque devient donc créatrice d’un contenu dans une
logique de création et d’intégration, destinée non plus à des consommateurs mais à
un public qui y voit un intérêt précis. Elle devient ainsi éditrice d’un contenu éditorial
et non plus commercial. Le contenu c’est aussi quelque chose qui possède son
intérêt propre, qui se suffit à lui-même. Il n’y a pas cette vocation mercantile propre à
la publicité.
Face à cette production « gratuite » de contenu, il semblerait aujourd’hui que les
marques deviennent vectrices et prescriptrices de culture par le biais du Brand
Content. En effet, si l’on observe le rôle de la marque dans la culture, cette dernière
semble passer de partenaire culturel à médiatrice ou créatrice de contenu culturel. La
52
Daniel Bô, Brand Content, comment les marques se transforment en média, Dunod, 2009 53
www.customcontentcouncil.com/study
37
marque peut donc produire des films, comme « I’m Here »54 un court métrage de 30
minutes réalisé par Spike Jonz pour la marque Absolut Vodka.
Dans ce contexte de dépublicitarisation, les dispositifs qui servent cette notion sont
multiples. Nous avons donc fait le choix de nous intéresser à l’action des marques
dans un lieu physique déterminé par la création de divertissement et d’une forme de
« mise en culture ». En effet, les études scénographiques et sémiotiques que nous
avons effectuées sur notre corpus sont représentatives de cet effacement de la
marque au service de son image et d’une production d’expérience qui ne se limite
pas seulement au produit. Nous avons voulu nous pencher sur ces lieux
d’expériences culturelle, sonore, musicale et sociale qui nous semblaient être une
réponse légitime aux nouvelles formes de communication.
Le Nike Barbershop, la Villa Schweppes et le 114 Puma Social Club sont en effet des
résultats du marketing alternatif et de la production de contenu par les marques. Ils
s’opposent aux lieux marchands et aux concepts stores ou magasins éphémères par
cette qualité de ne pas mettre en avant le produit ainsi que son acte d’achat. Ainsi,
pour le 114, le produit le plus acheté était la bière et non les chaussures. Comme l’a
dit Romain Lesaffre lors de notre entretien : « On s’est retrouvé chacun avec son
modèle, on a dessiné des baskets qui ont été vendues au 114 à 114 euros. C’était
quasiment le seul produit vendu là-bas55 ».
Cette première partie nous a permis d’infirmer notre première hypothèse, laissant
voir que les marques ont du s’adapter et mettre en place de nouvelles formes de
communications qui sembleraient relever du concept de dépublicitarisation. Nous
allons voir dans une deuxième partie par quels moyens ces techniques sont créées.
54
http://www.imheremovie.com/. 55
Annexe 2 : page II
38
II. LA MARQUE DEVIENT PRODUCTRICE ET INVESTIT DE
NOUVEAUX TERRITOIRES
Les différentes techniques de dépublicitarisation semblent donc être un moyen pour
la marque d’échapper à la résistance du consommateur et d’investir de nouveaux
territoires. La production de contenu, comme nous l’avons vu est un moyen qui offre
bien plus que le produit en lui-même. Pour Thomas Jamet, Directeur Général de
Moxie entité de Publicis Group, « soumis à un nombre croissant de sollicitations, les
consommateurs se tournent vers des contenus qui portent pour eux une réelle
valeur, et délaissent les autres. Le Brand Content permet de passer du « marketing
de l’interruption » au « marketing de l’attention », de faire tomber la barrière entre
éditorial et publicitaire56 ».
Le contenu de marque informatif a donc permis aux marques de devenir de
véritables media. Nous allons donc voir dans cette seconde partie comment les
marques produisent du divertissement et créent ainsi de l’expérience au profit de ce
qui ressemble à un estompage du produit.
A. La marque et l’expérience de marque : une panacée communicationnelle ?
1.La production de contenu en créant du divertissement
1.a La consolation par le divertissement
La volonté de se divertir est liée à l’histoire de la civilisation. « Panem et circences »,
le poète romain Juvénal parlait ainsi avec mépris du peuple Romain qui se contentait
du pain et de jeux offerts par les empereurs romains afin de contenter l’opinion
publique. Lorsque l’on cherche la définition de la notion de divertissement, le
dictionnaire du Larousse parle d’ « action de divertir ou de se divertir, amusement.
Ce qui divertit, distraction57 ». Le divertissement serait donc ce qui amuse et ce qui
56
Interview accordé le 14 janvier 2011 pour lesarchivistes.com 57
Le Petit Larousse 1999, Paris, Larousse, 1998
39
distrait. Mais de quoi ? Nous recherchons une distraction pour ne plus penser ou voir
autre chose. Lorsque quelqu’un me parle et que je pense à autre chose, je suis
distrait, je ne l’écoute pas et ne peut pas retenir ce qu’il me dit. Mais il semblerait que
les marques trouvent aujourd’hui un intérêt à nous distraire, à nous offrir du temps de
loisir et de distraction avec des investissements économiques importants.
Ainsi, en début d’année 2012, la vodka Absolut, qui se mêle depuis ses débuts au
monde artistique américain, a choisi d’investir un lieu très connu dans le monde de la
nuit New-yorkaise, le Baron Chinatown. Mais contrairement à la technique
traditionnelle du sponsoring qui consiste pour une marque d’alcool à financer une
soirée en échange d’une présence du logo voyante sur le lieu, Absolut offre ici de
véritables concerts privés sur une durée de deux mois. La marque met ainsi en place
une véritable campagne de lancement pour promouvoir non pas sa bouteille
alcoolisée mais les groupes de musiques et les artistes présents lors de ces concerts
à grand renforts de Guerilla Marketing, de campagne d’affichage sous le nom de «
Encore ! Sessions ». Maxime Kirchner, Vice Président de Pernod Ricard USA,
affirme ainsi dans un entretien accordé à Docnews.fr : « L’enjeu pour Absolut est de
rester fidèle à cette mission et faire en sorte non seulement de s’inscrire dans notre
culture et notre société mais aussi d’y contribuer58 », laissant voir cette volonté de
production de contenu de la part des marques.
Mais avant d’aller plus loin dans l’étude des motivations et des enjeux des marques
dans la production de divertissement, il est nécessaire de rappeler les différentes
thèses et idées écrites sur cette notion. En effet, la recherche de divertissement
semble être une réponse à plusieurs facteurs. Les écoles de pensée suivies par les
philosophes semblent se répondre à ce sujet. Pour Sénèque, le divertissement
considéré comme la débauche est une occupation du temps inutile. En effet, le
temps est un bien précieux et il est nécessaire de le consacrer à la méditation et au
repos pour atteindre le bonheur et la vérité. Les hommes qui s’occupent d’une
manière ou d’une autre ne font que dépenser sans but le temps de vie qui leur à été
accordé. Il explique cela dans De la brièveté de la vie :
58
Docnews.fr, Absolut lance son show musical, Avril 2012
40
« Enfin tout le monde convient qu'un homme trop occupé ne peut rien faire de bien :
il ne peut cultiver ni l'éloquence ni les arts libéraux ; un esprit tiraillé, distrait,
n'approfondit rien ; il rejette tout comme si on l'eût fait entrer de force ; l'homme
occupé ne songe à rien moins qu'à vivre : cependant aucune science n'est plus
difficile que celle de la vie59 ».
La distraction empêche alors l’homme de songer à vivre, en d’autres mots, le
divertissement lui permet d’arrêter de penser au sens de la vie et à la mort qui lui
incombe alors que pour Sénèque, le temps qui passe doit être un sujet de réflexion
pour atteindre la sagesse. Cette théorie peut être rapprochée du divertissement
pascalien, selon cette idée que l’homme doit être tout le temps occupé afin d’oublier
sa propre mortalité. En effet, pour Pascal, l’homme s’adonne au divertissement pour
ne pas sombrer dans la paralysie face à l’absurdité de la vie. Toutes les occupations
sont bonnes à cela, les divertissements frivoles comme la chasse ou le jeu aussi.
Fuir l’ennui par les loisirs, c’est ce qu’explique Blaise Pascal dans ses Pensées.
« Le divertissement est une chose si nécessaire aux gens du monde qu’ils sont
misérables sans cela. Tantôt un accident leur arrive, tantôt ils pensent à ceux qui leur
peuvent arriver, ou même quand ils n’y penseraient pas et qu’ils n’auraient aucun
sujet de chagrin, l’ennui de son autorité privée ne laisse pas de sortir du fond du
cœur où il a une racine naturelle et remplir tout l’esprit de son venin60 ».
Le divertissement est donc nécessaire et universel, tous les hommes s’y adonnent.
Ce serait l’action de se détourner de nos pensées et de l’objet de notre pensée.
Nous pourrions alors expliquer la production de divertissement par les marques par
cette volonté de nous détourner de la communication publicitaire, de ne plus faire
penser le consommateur à la présence de la publicité ou du produit mais, à l’inverse,
de lui offrir du spectacle. Car cette production de divertissement orchestrée par les
marques est une sorte de spectacle offert au consommateur.
59
M. Charpentier - F. Lemaistre, Les Œuvres de Sénèque le Philosophe, t. II, Paris, Garnier, 1860 60
Blaise Pascal, Pensées, Gallimard, coll. Folio classique, 1977
41
1.b La quête des loisirs et du spectacle
Nous avons vu aussi que les marques n’étaient plus en position de force et qu’elles
devaient comprendre les envies et les intérêts du consommateur. Or il s’avère que
nous nous trouvons aujourd’hui dans une « société du spectacle » et de loisirs. La
société est en recherche constante et permanente de spectacle et de plaisirs. Car
lorsque nous nous trouvons face à un jeu, un film, une pièce de théâtre ou un
concert, c’est l’envie et le besoin de plaisir qui nous font regarder ce qu’il se passe.
L’individu actuel est en recherche permanente de plaisirs car il n’est plus contraint
par ses besoins primaires. Il semblerait alors que les activités de divertissement
jouent alors un rôle dans la cohésion sociale dans une société hédoniste. Certains
voient dans le divertissement le nouvel « opium du peuple », en ce sens ou il offre un
bonheur illusoire et éphémère. Ainsi, pour Guy Debord, le spectacle est l’héritier de
la religion et découle de la tyrannie des mass media. La vie quotidienne est de plus
en plus fragmentée car l’individualisme a remplacé les sphères traditionnelles de la
société. Le spectacle devient « un instrument d’unification 61» mais il reste
mensonger car « dans le monde réellement renversé, le vrai est le moment du
faux62 ».
Malgré les critiques très virulentes de Guy Debord au sujet de cette société du
spectacle, il serait nécessaire de nuancer les méfaits du divertissement sur l’individu.
En effet, la production de divertissement n’est finalement qu’une réponse au besoin
de l’individu qui en redemande. La civilisation des loisirs est une réalité du monde
moderne car les loisirs ont un rôle de plus en plus important. Que ce soit dans les
repas de loisirs, les voyages, le temps occupé à écouter de la musique et regarder la
télévision, tout augmente. « La civilisation de l’objet a été remplacée par une
« économie de l’expérience », celles des loisirs et du spectacle, du jeu, du tourisme
et de la distraction63 » affirme alors Gilles Lipovetsky. L’individu est en recherche
constante de plaisir, de distractions, il se perd dans le tourbillons de ce que lui offrent
les spectacle. Pour Lipovestky, l’achat même devient une source de plaisir et la
consommation est devenue récréative. Les centres commerciaux sont alors 61
Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard, 1988 62
Ibid. 63
Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal - Essai sur la société d'hyperconsommation, Gallimard, 2009
42
transformés en « zones de temps de plaisir ». La production du spectacle et donc du
plaisir par les marques que nous étudions ici va encore plus loin dans cette
expérience car elle s’éloigne des espaces marchands pour mieux pouvoir se
concentrer sur le spectacle et semble même oublier le produit et l’acte d’achat-plaisir
au profit d’autre chose, de création dans le quotidien du consommateur.
Le néologisme inventé par les professionnels du marketing pour désigner l’action des
marques dans la production de divertissement au-delà du simple sponsoring ou
placement de produit est « l’Advertainment ». Cette contraction d’ « advertising » et
d’ « entertainment » désigne à juste titre la production de divertissement par une
marque. La plupart des articles dédiés à cette forme communicationnelle insistent sur
les formats médiatiques tels que la web-série, le film court, le jeu vidéo qui peuvent
être facilement lancés et relayés sur Internet. « Les nouveaux médias ont accéléré le
développement du "branded entertainment", le contenu de marque64», explique
Stéphanie Jolivot, directrice générale adjointe de Mediaedge-CIA au magazine
Stratégies. Sans contredire le fait que le développement des réseaux sociaux et du
web ont permis aux marques de développer la production de contenu dans le digital,
nous aimerions nous attarder un peu plus sur la production de divertissement liée à
un lieu physique et géographique. Les formes d’advertainment varient en effet selon
le degré d’implication de la marque. Cette typologie est expliquée dans le schéma
suivant65 :
64
Strategies.fr, L’Advertainment reveille la pub, 20 décembre 2007 65
Cristel Antonia Russell, Advertainment: Fusing Advertising and Entertainment PH.D, ©2007 University of Michigan, Yaffe Center
43
La forme la plus simple d’action sur la marque dans l’Advertainment sera le
placement de produit (product placement) dans un film, une série ou un programme
télévisé. Ce placement de produit est utilisé pour apporter une touche réaliste au
spectacle, pour l’ancrer dans le réel. L’engagement de la marque est faible, et la
production de divertissement quasi-nulle car le produit n’apporte rien de plus au
spectacle.
Vient ensuite l’intégration du produit (product integration), qui revient à dire que le
produit joue un rôle dans la production du divertissement. Il y est fait référence
ostensiblement. Par exemple, lors de notre entretien avec l’un des membres du
groupe des Airnadette qui produisent leur show musical décalé, j’ai appris que les
marques leurs on fait des propositions d’advertainment bien avant leur partenariat
avec Puma. Ainsi, le groupe a travaillé avec la marque de jeans Levis sur leur
premier spectacle : « On a commencé avec Levis. C’était assez intéressant, on a fait
sans agence, en direct, par le biais des rencontres, et donc on a fait une vidéo
spéciale, l’univers d’Airnadette versus l’univers de Levis. Ils ont ensuite sponsorisés
la comédie Musicale, il y avait le logo sur l’affiche. Et aussi, et là ça devient plus
rigolo, il y avait une de leur pub, celle avec le lavomatic qui se trouvait sur scène
avec le manager qui arrive derrière avec le panneau Levis66 ».
La marque a donc fait partie intégrante du spectacle, devenant un produit artistique
en elle-même. Nous verrons aussi plus tard dans notre analyse comment et pourquoi
les Airnadette ont gardé cette partie du spectacle, même après la fin du contrat avec
Levis. L’intégration de produit demande en effet une collaboration assez étroite entre
le producteur, ici en l’occurrence l’artiste, et la marque. Les termes du contrat doivent
alors convenir aussi bien à l’artiste qu’à la marque, comme l’a exprimé Romain
Lesaffre : « La vraie bonne collaboration avec les marques doit se faire dans la
bonne humeur67 ».
Enfin, lorsque la production de contenu ainsi que le degré d’intégration sont à leur
plus haut pourcentage, on parle alors de « Branded Entertainment ». Les rôles sont
alors inversés et c’est bien la marque qui est à l’origine de la production du
66
Annexe 2 : p.II 67
Annexe 2 : p.III
44
divertissement et embauche les acteurs qui l’aideront à produire le divertissement. La
marque est donc impliquée dans la création même du divertissement et du spectacle.
Au lieu de se trouver dans une logique d’association et d’exister en marge d’un
contenu déjà présent comme c’est le cas lors du parrainage ou du sponsoring, la
marque fait partie du contenu. Puma a directement contacté le 114 et les artistes qui
y ont été produits. La marque a fait part de son envie de s’incarner dans un lieu festif,
ce qui semblait découler de sa campagne de communication « Les athlètes de la
nuit ». Elle s’est ainsi mise dans le rôle du producteur en permettant tous les soirs
aux groupes musicaux de jouer et en mettant tous les moyens à disposition de ces
artistes. Ou bien lorsque Schweppes décide d’investir une villa lors du Festival de
Cannes et de produire tous les jours des activités et des soirées avec des DJs et des
groupes musicaux dans le vent, on peut aussi parler de production de contenu de la
part de la marque car elle est à l’origine de l’initiative. C’est donc cette dernière partie
de l’advertainment, où l’intégration de la marque dans le divertissement est quasi-
complète et où elle se pose alors en productrice de divertissement et par là même
s’ancre dans le réel et l’expérience du public.
2. Un divertissement qui ancre la marque dans l’expérience
2.a Une expérience qui s’inscrit dans la durée
La production de spectacle et de divertissement dans un lieu physique tel qu’une
villa, un bar ou un appartement privé, comme nous le verrons avec le Nike
Barbershop, crée de l’expérience pour le public. Cela marque alors l’estompage de
l’objet en lui-même à la faveur de « l’économie de l’expérience ».
L’hyperconsommateur cher à Lipovetsky semble en effet accorder moins
d’importance à la possession d’un produit pour ce qu’il est et cherche des instants
extraordinaires qui lui apportent plaisir et divertissement.
45
« L’hyperconsommateur est celui qui attend de l’inattendu dans les environnements
marchands programmés, qui recherches des univers « fous » ou féeriques, des
expériences et des spectacles toujours plus hallucinants68 ».
Lipovetsky parle ici d’une phase nouvelle de l’hyperconsommation avec la recherche
constante d’expériences de consommations. Une expérience qui joue sur l’émotion
et la création de sentiments. Tout d’abord, il est nécessaire de définir cette notion
d’expérience. En effet, le mot expérience possède différentes significations en
Français. Ces significations dans notre langue françaises pourraient être
comparables aux deux mots utilisés en Allemand pour désigner les variantes de
l’expérience. Die Erfahrung rend compte de l’expérience transmise, cette pratique
dont nous avons tiré une leçon ou un savoir et que l’on peut transmettre de
génération en génération. Das Erlebnis est caractérisée par l’expérience vécue dans
un contexte ponctuel et momentané. Il existe une dichotomie entre ces deux formes
d’expérience qui a été étudiée au début du siècle par Walter Benjamin.
Dans Expérience et pauvreté, le sociologue explique comment l’Erfahrung est en
train de disparaître dans la société au profit de l’Erlebnis individuel et égoïste.
L’expérience vécue est due au choc urbain et au développement des médias qui ne
vivent que dans l’instant du message communiqué. « Depuis la fin du siècle dernier,
nous avons connu toute une série de tentatives pour ressaisir la véritable
expérience, par opposition à celle qui se dépose, comme une précipité, dans
l’existence normalisée et dénaturée des masses soumises à la civilisation69 ». Pour
lui, la recherche d’expérience individuelle est contre nature, car elle annonce la
venue du monde moderne. Aujourd’hui, l’individu est, comme nous l’avons vu,
demandeur d’expérience pas ponctuelle mais bien dans le temps, cette Erfahrung
qui reste ancrée dans la continuité. Les stimulations ponctuelles qui découlent des
« chocs » cognitifs n’intéressent plus l’individu, qui est déjà trop sollicité. Nous
pouvons reprendre la tableau effectué par Daniel Bô, Président de l’Institut d’études
QualiQuanti, qui a écrit sur le contenu de marque.
68
Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal - Essai sur la société d'hyperconsommation, Gallimard, 2009 69
Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris Payot, 1979
46
Erfahrung Erlebnis
Expérience que l’on a Expérience que l’on vit
Acquise dans le temps Éprouvée dans l’instant
Cumulative et continue Discontinue, chocs et à-coups
Commune, intégratrice (faire partie d’une
culture commune)
Privée, isolée
Élargissement de l’horizon, rattachement
à une communauté ou un univers entier
Concentration, renvoi vers l’unicité du
sujet, de ses sensations individuelles
Dans ce tableau, on remarque que ces deux sortes d’expériences sont finalement
antithétiques et qu’il est bien nécessaire de les différencier lorsque l’on parle
d’expérience en communication.
L’expérience que nous abordons dans cette partie, créée par la production de
divertissement, répond à cette demande de recherche de plaisir et de sens par le
consommateur. Les émotions sont en effet un élément clé dans le comportement
d’achat. Pour Patrick Hetzel, il existe trois motivations dans le comportement d’achat.
La première sera la recherche d’éclectisme avec une demande de diversité, vient
ensuite la recherche de plaisir et enfin la recherche d’appartenance à un groupe, une
communauté. Le Mercator défini le marketing expérientiel comme la « création
d’expériences qui permettent d’engager le consommateur dans une relation positive,
riche en sens et en sensations, avec une marque70 ».
2.b Une mise en scène du sens pour réenchanter le quotidien
Ce besoin d’expérience et de spectacle répond à une « thématique » de
réenchantement que nous connaissons bien. Les progrès de la science qui ont peu à
peu repoussé le pouvoir de l’Eglise et de la religion sont pour Max Weber les causes
d’une perte de l’imagination de l’homme et de sa croyance dans les contes et les
mythes. Le sociologue allemand évoque alors cette idée de « désenchantement du
monde » (Entzauberung der Welt71) pour expliquer la perte de sens du monde due
70
J. LENDREVIE, J. LEVY, D. LINDON, Mercator. Théorie et pratique du marketing, 8. e. éd., Dunod,. 2006 71
Max Weber, L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, Pocket, 1989
47
au fait qu’il peut être raisonné d’une manière scientifique. Cependant, nous avons vu
que l’individu est aujourd’hui en quête constante de sens et cette thèse est remise
en question par les écrits de Michel Maffesoli et ses confrères. La société
postmoderne en effet marque le retour des passions, de la recherche du sens et des
émotions dans le tissu social, c'est-à-dire un « réenchantement du monde ».
Il existe donc un réel besoin de créer des expériences et les marques se sont
introduites dans cette brèche.
« Les nouvelles formes de la consommation sont devenues de plus en plus
spectaculaires en augmentant le nombre et la taille des extravagances et des
stimulations qu’elles proposent. Ces spectacles servent à réenchanter les
cathédrales de la consommation de sorte qu’elles seront une attraction
continue[…]72 ».
Le vécu de l’expérience est devenu un résultat que veulent obtenir les marques.
Ainsi, lorsque Schweppes veut créer un spectacle qui sorte de l’ordinaire, la marque
de boisson gazeuse va faire venir un léopard, animal qui est l’emblème de
Schweppes. La présence d’un animal sauvage et rare au beau milieu des invités de
la croisette et la marque a de quoi faire parler et créer de l’inattendu.
Cette demande d’expérience semble tout d’abord entrer dans le cadre de la
consommation. La Villa Schweppes à Cannes, par exemple, offre à ses invités
l’opportunité de boire le soda dans un cadre festif, où le divertissement est
continuellement présent et qui répond à ce consommateur à la recherche
d’expérience sensible. En plus de consommer le produit offert dans un cadre
agréable, le consommateur ou invité voit tous ses sens mis en éveil et est immergé
dans un univers complètement dédié à l’émerveillement et à l’enchantement.
L’expérience de consommation ne se limite donc plus aujourd’hui seulement à l’achat
ni à ce qui l’entoure comme l’éveil du besoin, l’anticipation de l’achat ou l’évaluation
même du produit. Lors de l’étude de notre corpus, nous remarquons qu’aucun des
produits de la marque n’est réellement mis en valeur pour en favoriser l’achat.
72
George Ritzer In Planète conso : marketing expérientiel et nouveaux univers de consommation, Patrick HETZEL, Ed.Lavoisier, 2002
48
Ainsi, pour la Villa Schweppes, la boisson est offerte si l’invité la demande mais il a
aussi accès à toutes les autres marques et boissons alcoolisées. Dans le bar du
Puma Social Club, au 114, le produit est présenté mais mis sous verre tel un objet
d’art comme nous le verrons lors de notre analyse scénographique. De même, pour
le Nike Barbershop, il était possible de se faire créer des Nike ID, ces chaussures de
sports que l’on crée soit même, « à customiser ». Mais l’acte d’achat n’est pas la
priorité dans ces cadres d’expérience.
Contrairement à l’expérience dans un espace marchand, le consommateur se
retrouve ici en immersion complète dans l’expérience sensorielle et sensible. La
consommation expérientielle repose donc sur la création d’émotions, car la
consommation semble être maintenant émotionnelle comme l’explique Lipovetsky : «
elle ne remplace rien, ne console de rien, elle vaut seulement pour elle-même en tant
qu’agent d’expériences émotionnelles73 ». En effet, le ressenti émotionnel semble
guider l’individu dans ses choix et ses actions. Le cognitif et l’affectif sont aujourd’hui
imbriqués, il est difficile de voir le consommateur comme un Homo Economicus qui
maximise l’utilité et ne fait que des choix rationnels. Un tel comportement existe bien
mais il coexiste avec la recherche de plaisir et d’émotions. Il y a alors un consensus
entre la dimension affective et la dimension purement économiste. L’expérience est
présente pour offrir ainsi à l’individu ce besoin d’émotion et de surprise comme le
synthétisent bien Bernard Cova et Véronique Cova : « le consommateur cherche
moins à maximiser un profit qu’à revendiquer une gratification hédoniste dans un
contexte social ; la consommation provoquant des sensations et des émotions qui,
loin de répondre seulement à des besoins, vont jusqu’à toucher à la quête identitaire
du consommateur74 ».
Le divertissement offert par les marques leur permet de créer des cadres
d’expérience actionnant ainsi des ressorts affectifs. Le produit en lui-même semble
être mis au deuxième plan car c’est l’expérience qui compte et non pas la
consommation du produit.
73
Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal - Essai sur la société d'hyperconsommation, Gallimard,
2009
74
Cova Bernard et Cova Véronique, « L'hyperconsommateur, entre immersion et sécession », in Nicole Aubert ,L'individu hypermoderne , ERES « Sociologie clinique », 2006
49
2.c L’estompage du produit et de l’acte d’achat au profit de l’expérience : analyse scénographique du 114
Lors de l’étude de notre corpus pour ce sujet de réflexion, nous avons voulu
comprendre et voir la place du produit dans le cadre du divertissement produit par les
marques. Pour ce faire, une observation non participante suivie d’une analyse
scénographique du 114 Puma Social nous a semblé être un bon exemple75. En effet,
dès la façade, nous nous trouvons dans un environnement que l’individu peut
s’approprier. Ainsi, cette façade est peinte en noir mat, les seuls éléments visibles
sont le logo du bar composé du chiffre 114 et précédé du déterminant « Le »,
conférant au lieu un caractère unique. Apposé au logo et dans une typographie
minimale et très petite se trouve la mention « Puma Social ». Enfin sur la devanture
un remarque le slogan « Les athlètes de la nuit ». A la porte se trouve un videur qui
gère le flux des clients. Une fois passé par le sas, on se retrouve dans un bar divisé
en deux parties. L’une comprenant des endroits de repos avec des canapés, des
fauteuils et le bar, l’autre étant composée d’une piste de danse et d’une scène. La
circulation entre ces deux espaces se fait assez facilement. Les murs sont
sobrement décorés. Un pan de mur est composé de photos du photomaton qui se
trouve au fond de la salle derrière le bar, ces photos sont placées autour du logo de
Puma. La marque est disséminée ça et là dans l’espace. Derrière le bar, on peut voir
les chaussures de sport exposées sous le plafond. Mais elles ne sont pas en vente,
elles font parties du décor. La présence de gros logo est inexistante, les signes de la
marque sont minimisés par le nom du bar et sa programmation. L’espace et la
marque semblent alors cohabiter dans une cohésion qui ne perturbe par le client.
B. De nouveaux territoires investis
1. Au-delà de l’espace marchand : s’éloigner du cœur de marque
Le choix de notre corpus n’était pas anodin. En effet, dans les trois cas étudiés, nous
remarquons que la marque a investi une symbolique de lieu qui est celle du
quotidien : un bar de quartier pour le 114, un barbier-coiffeur pour le Nike
75
Annexe 1 : p. III
50
Barbershop et un club de nuit pour la Villa Schweppes. Outre une immersion de la
marque dans la création de l’évènement culturel, cette dernière semble investir le
quotidien même de l’individu. De plus, l’investissement de ces nouveaux lieux sert la
dépublicitarisation et l’hypothèse que nous voulons démontrer ici. Le lien entre le
produit et le lieu investit semble très ténu : quel est le rapport entre une marque de
chaussures de sport et un bar festif ou un barbier ? Nous voudrons donc éclaircir ici
les motivations et les enjeux de ce choix.
1.a L’investissement du quotidien : l’espace et le temps
Le point commun dans ces marques qui créent du divertissement ou un évènement
réside dans le fait que les lieux où se déroulent ces expériences sont des lieux de la
vie quotidienne. Les marques ont investi des espaces publics tels que le bar, la
boîte de nuit où encore le barbier. Nous nous trouvons alors ici dans une
problématique qui s’éloigne des concepts stores et pop up stores très en vogue en
ce moment. Ces derniers sont des lieux dédiés à la marque avec certes une
recherche d’expérience de consommation plus importante que dans un espace
marchand traditionnel mais l’acte d’achat reste la raison première de leur existence.
Dans le corpus étudié, nous remarquons que ces lieux appartiennent à l’espace
public. Il est nécessaire d’abord de bien marquer la différence entre la notion de
public et de privé tel que nous l’aborderons ici.
Le public « se dit de ce qui est commun, à l’usage de tous, accessible à tous : Jardin
public. Voie publique. Réunion, séance, vente publique. Cours public76 » tandis que
ce qui est privé « se dit de ce qui concerne la vie personnelle d’un personnage
officiel ; particulier : les appartements privés de la reine.[…] Se dit de ce qui n’est pas
ouvert à tout public, qui est réservé à quelques personnes : Projection privée de
cinéma. Club privé de danse.77».
Parmi les différentes définitions sémantiques qui étaient présentes, nous avons
choisi de ne citer que celles qui se rapportaient à la notion d’espace car c’est ce qui
nous intéresse ici. Ces deux notions permettent en effet d’appréhender ces sphères
76
« Le partage notionnel privé/public : esquisse d’une phénoménologie linguistique du sens commun », Georges-Elia Sarfati in Espace(s )Public(s), Espace(s) Privé(s), L’Harmattan, 2004 77
Ibid.
51
que sont les images de l’espace public et de l’espace privé. Nous aborderons alors
l’espace public comme l’espace du dehors, l’espace qui se trouve hors de la sphère
intime qui est ici le lieu d’habitation. L’espace public constitue le cadre de la « vie
quotidienne » selon sa définition donnée par le Thésaurus Larousse, « vie civile
(opposée à la vie militaire) ; vie active, vie professionnelle ; vie publique ; vie
sociale ». Les lieux investis par les marques font donc bien partie de la vie
quotidienne si l’on se réfère au champ linguistique et aux images des
représentations.
Plus que de lieu, nous sommes ici bien dans une optique d’espace investi par la
marque, tel que lieu pratiqué 78 si l’on reprend les termes de Michel de Certeau. Ce
dernier, en effet, marque une distinction entre le concept d’espace et celui de lieu.
Le lieu est ce qui vient avant l’espace, c’est l’infrastructure existante et stable qui ne
bouge ni n’évolue. Ce lieu devient espace lorsqu’il est pratiqué, lorsque il est investi
par l’être qui lui confère alors une dimension spatio-temporelle qui n’existait pas
auparavant.
« L’espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par
l’ensemble des mouvements qui s’y déploient. Est espace l’effet produit par les
opérations qui l’orientent, le circonstancient, le temporalisent et l’amènent à
fonctionner en unité polyvalente de programmes conflictuels ou de proximités
contractuelles79».
Les marques semblent donc avoir investi le lieu pour le rendre mouvant et l’ancrer
dans une nouvelle dimension. Que ce soit un bar, un coiffeur, une station de métro
ou une villa festive, elles invitent l’individu à pratiquer ce lieu, à l’habiter et à l’ancrer
dans le réel. Ce lieu devient donc pratiqué et fait alors partie de la vie quotidienne de
celui ou celle qui le pratique. En effet, nous avons vu que ces espaces se distinguent
des espaces marchands par le rôle qu’ils jouent dans le quotidien de l’individu. Ce
sont des endroits déjà fréquentés par la société de loisirs, le seul changement réside
dans le fait que ce sont les marques qui produisent ces espaces. On constate donc
un glissement qui s’opère de l’espace marchand à l’espace public et quotidien. Cela
permet aux marques de se faire plus discrète et de ne plus se positionner dans une
offre marchande avec le consommateur. Elles lui offrent ici du quotidien et du loisir.
78
Michel de Certeau, L'invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, Gallimard, 1990 79
Michel de Certeau, L'invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, Gallimard, 1990
52
1.b Hyperréalité et appropriation de l’espace
Cet investissement du quotidien de l’individu par la marque soulève la question de
l’hyperréalité telle qu’exposée par Baudrillard. Sommes-nous dans la création d’un
imaginaire qui améliore la réalité ou bien au contraire dans le retour au réel et à la
simplicité ? En effet, les théories de la société postmoderne résident dans le fait que
l’hyperréalité remplace le réel considéré comme trop dur par des images simulées et
améliorées. Ces reproductions offrent une expérience simulée comme c’est le cas
par exemple dans les parcs d’attractions EuroDisney où tout n’est que décor et
carton pâte. Les concept stores et les flagships que nous avons évoqués plus haut
incarnent aujourd’hui ces espaces hyperréels. Le décor est créé par la marque pour
la marque, tout se trouve être aux couleurs et au service du marketing afin
d’empêcher toute intrusion extérieure. La création d’expérience est donc produite par
la marque et tout est dédié au produit comme on peut le constater avec les cafés
« Nespresso » par exemple.
Bernard Cova affirme ainsi que : « la gestion du design du lieu commercial se doit
d’être en cohérence totale dans les moindres détails pour décliner parfaitement le
thème de la marque et stimuler les cinq sens de l’individu ainsi mis en scène80. » Il
ajoute que l’expérience de consommation se doit d’être dans « un cadre totalement
thématisé, enclavé et sécurisé ». Or, nous observons aujourd’hui un rejet de ces
lieux totalement consacrés à la marque comme l’explique Romain Lesaffre lors de
notre entretien : « C’est vrai que les concepts stores t’as pas envie d’y rentrer, t’as
peur de faire tâche. J’aimerais pouvoir rentrer dans l’endroit et me sentir comme
chez moi81 ». Ce verbatim illustre parfaitement cette demande de retour à la réalité et
d’authentique et non plus de l’authentoc de la part du consommateur. Ce dernier
demande à la marque de faire partie de son quotidien et l’étude de notre corpus le
démontre bien. Il semble que nous passons de l’appropriation d’un espace par la
marque, qui laisse peu de place à la participation de l’individu, à une demande de
réappropriation par ce dernier.
80
Cova Bernard et Cova Véronique, « L'hyperconsommateur, entre immersion et sécession », in
Nicole Aubert ,L'individu hypermoderne , ERES « Sociologie clinique », 2006 81
Annexe 2 : p.III
53
En investissant des espaces de la vie quotidienne, la marque va à la rencontre d’un
public et non l’inverse. Cela répond à cette envie de s’approprier l’expérience, de la
rendre personnelle et donc réelle. Les flashmobs et autres évènements créés de
toutes pièces par les marques rendent cela impossible, donnant uniquement l’illusion
de cette réalité. Lorsque l’on entre dans le bar du 114, l’espace entier est dédié à sa
pratique et à son appropriation. Nous avons vu par l’analyse scénographique que la
marque était presque effacée dans cet espace, laissant libre cours au client pour qu’il
investisse cet espace, qu’il en sorte et y rentre à sa guise. L’acte d’achat du produit
étant inexistant, la seule médiation marchande qui y est présente est celle de la
boisson. Cette appropriation se décline aussi par l’appropriation des produits de la
marque par le personnel.
L’analyse sémiologique des costumes démontre deux choses. Tout d’abord, le
personnel qui se trouve derrière le bar pour servir les clients peut faire le choix ou
non de porter une chemise ou un t-shirt appartenant à la marque. S’il choisit de
porter un produit de la marque, le logo peut apparaître comme ne pas apparaître. Le
personnel peut par ailleurs customiser ou personnaliser la chemise en la déchirant
par exemple. L’individu est donc libre de s’approprier ou non la marque, qui lui laisse
un réel libre-arbitre. Nous ne sommes plus alors dans une situation d’immersion
mais plutôt dans celle de l’appropriation par l’expérience. L’appropriation est en effet
une manifestation de l’autorité d’un individu ou d’un groupe d’individu sur un lieu, en
allant plus loin, on peut dire que l’appropriation de l’espace est considérée comme la
construction et la délimitation d’un « chez soi »82,terme que nous avons retrouvé lors
de notre entretien avec Romain Lesaffre.
Ainsi, le mobilier du Nike Barbershop était composé de fauteuils et canapés
Chesterfield qui rappellent donc l’intimité et le confort d’un salon anglo-saxon83. On
remarque par ailleurs que la mise en scène de l’expérience par le produit semble ne
plus exister car ce dernier est devenu un simple élément du décor. En effet, que ce
soit dans le bar du 114 ou dans le Barbershop, les produits de la marque se trouvent
sous verre, rappelant ainsi l’objet d’art qui n’a pas d’utilité propre. Les chaussures
82
Cova Bernard et Cova Véronique, « L'hyperconsommateur, entre immersion et sécession », in Nicole Aubert ,L'individu hypermoderne , ERES « Sociologie clinique », 2006 83
Annexe 1 : p.VIII
54
Puma se trouvent en hauteur sous le plafond du bar, enfermées dans du plexiglas,
tandis que les maillots de foot de Nike sont accrochés dans des cadres sur le mur84.
L’objet fait donc partie du cadre et du décor du lieu, il n’est plus voué à être
consommé. Il semble avoir perdu sa valeur en tant qu’objet de consommation,
rejoignant ainsi le concept d’interaction lieu-objet de Rémi Mencarelli. Dans la revue
Recherche et Application en Marketing85, il affirme ainsi que l’expérience vécue par
le consommateur ne se trouve pas forcément dans son interaction avec le produit en
lui-même. L’environnement physique, c'est-à-dire l’espace investi, possède à ses
yeux une part importante dans la création de l’expérience. « Valeur de l’objet et
valeur du lieu se situent alors au même niveau de causalité sur le plan
conceptuel86 ». Ici, dans notre étude, il est possible de dire que la valeur du lieu a
supplanté la valeur de l’objet, le lieu reprenant le rôle de médiateur entre la marque
et le consommateur, rôle qui appartenait avant à l’objet. On pourrait alors parler de
« lieu-média » pour reprendre l’expression de Pierre Berthelot.
1.c Une redéfinition du lieu-média
Pierre Berthelot aborde deux notions distinctes qui sont le médiamagasin et le lieu
média lors de ses recherches sur « Les médias magasins : du prétexte à
l'implication ». Il explique ainsi dans un premier temps que l’hypermarché est un
média pour toutes les marques qui y sont présentes car c’est un espace d’exposition
publicitaire par excellence. Chaque parcelle de cet espace peut être destinée à faire
passer un message. L’hypermarché devient alors une « régie publicitaire » qui
permet une optique de double consommation : la consommation par l’achat et la
consommation avec les stimulations publicitaires. Cependant, on peut dire que le
contrat de lecture est respecté car le consommateur se trouve bien dans un lieu de
consommation privé qui légitimise cette abondance de signes publicitaires.
En revanche, cela reste moins légitime pour les espaces publics. Pour Pierre
Berthelot, dans un premier temps de son analyse, tout espace constitue un prétexte
à la marque pour s’afficher : « chaque lieu, chaque surface, chaque événement est
84
Annexe 1 : p.VIII 85
Rémi Mencarelli, L’interaction lieu-objet comme conceptualisation de l’expérience vécue : test d’un modèle intégrateur, Recherche et Application en Marketing, Volume 23- n°3, septembre 2008, 86
Ibid.
55
depuis considéré par les marques comme une nouvelle occasion de s'exposer87 ». Il
qualifie alors cette technique d’intrusive car tout espace est alors détourné, mis aux
couleurs et au service de la marque. L’investissement de l’espace public devient
complètement intrusif comme par exemple la marque de poupée Barbie qui investit
toute une rue à Londres et la peint dans la couleur rose. L’espace urbain a donc été
complètement dénaturé et approprié par la marque. Il semblerait alors que
l’investissement de lieu ne serait qu’une opportunité pour la marque pour gagner en
visibilité. Cependant, Pierre Berthelot explique ensuite que notre environnement tout
entier fait aujourd’hui partie de « l’univers de communication ». Tout lieu ou objet
constitue naturellement un medium. Les marques aménagent ainsi un environnement
en instaurant une relation avec leur consommateur, le transformant un invité d’un lieu
artificiel. Mais Pierre Berthelot ne s’attache qu’au lieu-magasin, où la finalité est celle
de faire vendre directement. Or, les lieux que nous étudions ici semblent être au-delà
de cette définition car il ne semble pas offrir de réelle relation marchande avec la
marque sur place. Nous irons alors encore plus loin dans la définition du lieu-média,
lui conférant une nouvelle dimension qui semble s’affranchir de la médiatisation
marchande.
2. De la médiation marchande à la médiation culturelle
2.a Les marques et la culture
Au sujet de la culture et du Brand Content, Thomas Jamet annonce que « le
marketing et la culture s’auto-nourrissent, s’influencent88 ». Lorsque l’on analyse le
lien qui peut exister entre les marques et la culture, il est indéniable que la présence
des marques est un fait assimilé et est devenu un fait fréquent dans la culture.
Pour Naomi Klein, « les produits culturels sont depuis toujours les jouets
préférés des puissants89 », du mécénat des grandes familles de la Renaissance à
celui des grandes fortunes industrielles du XXIème siècle, la culture a en effet toujours
été l’apanage de la richesse. Depuis deux siècles, les grandes marques se sont
87
Pierre Berthelot, Les médias magasins : du prétexte à l'implication. In : Communication et langages. N°146, 4ème trimestre 2005 88
Interview accordé le 14 janvier 2011 pour lesarchivistes.com 89
Naomi Klein, No Logo, la tyrannie des marques, Babel, 2000
56
aussi prêtées au jeu, créant peu à peu des liens étroits avec les artistes. Dès le
XIXème siècle, la publicité fait appel aux plus grands artistes tels que Toulouse
Lautrec pour illustrer des affiches de cabaret ou de théâtre.
Il est vrai qu’il est difficile pour une marque de ne pas empiéter sur le terrain
de l’Art pour créer ses campagnes, son image ou son logo. A partir des années
1980, les marques voient une opportunité dans l’engagement de leur image globale
lors d’un évènement culturel. Ce sponsoring ne se limite pas à l’apposition d’un logo
sur une affiche événementielle en échange d’un simple financement. Les marques
ont choisi de faire partie intégrante de ces expériences culturelles c'est-à-dire qu’il ne
s’agit plus de « sponsoriser la culture mais d’être la culture90».
La marque en tant que telle a donc empiété sur des territoires plus vastes,
notamment sur le territoire de la culture. Reprenons les propos de l’anthropologue
Bruno Remaury lors de son entretien sur « La place de la culture dans le prisme des
marques91 ». Il y définit deux liens bien distincts entre les marques et la culture. Pour
lui, le premier lien est celui où la marque « fait culture », où le nom du produit ou de
l’entreprise fait partie commune avec la culture au sens d’une société donnée. Il
s’agit ici, par exemple, de ces marques mythiques et des « lovemarks92 » citées par
Kevin Roberts, PDG de l’agence Saatchi&Saatchi, qui font partie intégrante de
l’histoire culturelle d’un peuple et de sa « mémoire collective93 ». Le second lien
évoqué, qui est l’objet d’une réflexion poussée dans Marques et récits. La marque
face à l’imaginaire culturel contemporain, constitue la « culture [qui] fait la
marque94 ». Il fait ici référence à la culture et à ses mythes et ses récits repris et
adaptés par une marque afin de se construire une image et une identité à des fins de
communication. Mais ici, le terme de culture est utilisé dans son acception la plus
large, c'est-à-dire anthropologique et ethnologique où il comprend « la connaissance,
les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et autres capacités ou habitudes
acquises par l’homme en tant que membre de la société95 ». Des marques telles que
90
Ibid. 91
http://www.ifm-paris.com/pdf/moderecherche3.pdf
92 KEVIN ROBERTS, LOVEMARKS : LE NOUVEAU SOUFFLE DES MARQUES, EDITIONS D'ORGANISATION, 2004
93 http://www.ifm-paris.com/pdf/moderecherche3.pdf
94 Ibid.
95 Edward Burnett Tylor, La Civilisation primitive, Reinwald, Paris, 1871
57
Benetton ou Coca Cola ont dépassé la simple notion de nom de produit pour faire
partie de l’histoire de la société occidentale. Ainsi, les marques mythiques qui ont
construit leur identité grâce au récit et au storytelling, cet « art de raconter des
histoires96 » font effectivement partie complète et intégrante de la culture de la
société occidentale.
Lorsque nous parlons de culture ici, nous abordons la culture plurielle, au sens où il
n’existe plus seulement une valeur culturelle légitime mais des valeurs culturelles.
En effet, il n’est plus légitime de distinguer UNE culture noble, d’élite et UNE culture
de masse, car les objets culturels sont aujourd‘hui accessibles à tous. Contrairement
à ce qu’annonce Jean Baudrillard, la culture est certes aujourd’hui « la seule vraie
pratique culturelle, celle des masses, la nôtre (plus de différence) » mais elle n’est
pas « une pratique manipulatoire, aléatoire, labyrinthique de signes, et qui n’a plus
de sens97 ». Il n’y a plus de hiérarchisation entre les différentes sortes de culture,
toutes les formes d’œuvres, qu’elles soient issues de la culture de masse ou
destinées à un cercle élitiste sont des objets culturels de même valeur.
L’implication des marques dans la production de culture n’est donc plus à prouver.
Cependant, il existe une différence entre les activités de sponsoring ou de
parrainage et l’action d’investir un lieu culturel, un espace public. Ainsi, lorsque la
marque de bière Heineken organise chaque année le « Heineken Open’air Festival »
dans le nord de la Pologne, un festival de musique électronique et pop-rock, tout
l’espace est brandé à l’image de la marque. Les flyers, les portants, les dépliants et
les banderoles sont au couleur de la marque avec le logo bien apparent98. La seule
bière vendue sur place pendant ces trois jours de festivités est Heineken. Le
« prétexte » est donc bien apparent, le festival devenant un média pour promouvoir
la marque. La marque finance tout et la médiation marchande semble bien présente
dans cet espace. Or, si l’on compare cet évènement aux évènements produits par le
114, on constate une différence de stratégie. En effet, comme nous l’avons vu avec
la scénographie de lieu, la marque, bien que présente si on la cherche en
connaissance de cause, semble tout faire pour s’effacer et laisser la place aux
96
Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer et formater les esprits, La Découverte, 2007 97
Jean Baudrillard, L’effet Beaubourg, Ed. Galilée, Paris, 1977 98
Annexe 1 : p.IX
58
artistes qui se produisent sur scène. Ainsi, si l’on opère une analyse des signes
d’une affiche présentant un concert au 114, on peut relever quelques points qui
confirment notre hypothèse. Nous avons choisi celle du « Live Show – Stuck in the
Sound »99.
L’affiche est divisée en trois parties. La première qui se trouve dans le haut du visuel
annonce le thème de la soirée : « The 114 Show » surmonté, dans une typographie
nettement plus petite, de l’annonce « Puma Social présente ». La photo du groupe
qui se produit occupe le centre de l’affiche, son nom se situant en-dessous et avec la
même charte graphique que le nom de la soirée plus haut. Enfin, le logo du bar se
trouve dans la partie basse de l’affiche, le chiffre « 114 » enveloppant et effaçant
presque la mention « Puma Social » qui se trouve en dessous de la barre du « 4 »,
comme nous l’avons déjà vu lors de l’analyse sémiologique de la scénographie. La
première remarque que nous pouvons faire est donc évidemment la mise en avant
volontaire du lieu et de l’évènement par rapport au logo de Puma dont la typographie
est plus petite. Ensuite, la tournure sémantique « Puma Social présente » interpelle
le lecteur de l’affiche. La marque se personnifie à travers l’utilisation du verbe
« présenter » et se pose en tant que producteur de spectacle et médiateur. Cette
tournure semble faire écho aux affiches placardées par les forains tels « Le Cirque
Bouglione présente… », par exemple. La marque ne pose donc pas seulement son
logo dans un coin de l’affiche, elle s’affirme en tant que médiateur culturel.
On peut donc se demander si lieu-média est un prétexte pour la médiation
marchande comme semble le supposer Pierre Berthelot ou bien si on peut aussi
approcher cette notion de lieu-média en parlant de médiation culturelle.
2.b Une forme communicationnelle hybride
Les cas que nous étudions ici se trouvent à mi-chemin entre la médiation culturelle et
la médiation marchande. Ils remplissent en effet les critères de médiation marchande
tels que Bernard Lamizet la définit. La médiation culturelle et l’espace public sont
fortement corrélés, en ce que cette médiation ne peut exister hors de ce lieu qui est
l’objet de trois définitions : un lieu de circulation, un lieu collectif et un lieu où se
99
Annexe 1 : p.IX
59
manifeste l’appartenance à la vie politique. Bernard Lamizet affirme ainsi que « C’est
dans l’espace public que sont mises en œuvre les formes de la médiation, en ce qu’il
s’agit du lieu dans lequel est possible une telle dialectisation des formes collectives
et des représentations singulières100 ». Il y a donc d’une part la dimension politique
de la médiation culturelle et de l’autre une dimension esthétique, les « enjeux de la
représentation » ayant une signification différente selon l’une ou l’autre dimension.
Les cas de notre étude semblent se placer dans la seconde acceptation de la
définition, à savoir des lieux de représentation esthétique. A travers l’étude des
théories de l’auteur, nous pouvons alors prétendre que ces lieux investit par les
marques semblent être transformés en espaces culturels. En effet, l’espace pratiqué
devient même un espace culturel car la représentation y est fabriquée que ce soit
avec les groupes de musique du 114 où bien les DJs qui se produisent dans la Villa
Schweppes.
« L’espace culturel représente une forme de particularisation de l’espace public, il en
constitue une secondarisation, l’inscription dans sa dimension langagière et
symbolique101 ».
L’espace culturel est aussi un lieu qui est articulé autour de la représentation et de
l’information. Cette information devient réelle et authentique uniquement si elle est
interprété par le destinataire et rentre alors dans une logique de représentation. Ce
processus qui définit la médiation culturelle ne peut exister sans ce processus
d’information et de représentation. La place de celui qui interprète est donc
fondamentale : « il n’y a pas d’évènement culturel sans public102 », ce public faisant
donc « partie intégrante d’un évènement qu’il fonde par sa seule présence103 ». Le
public qui reçoit et qui interprète les événements culturels permet l’existence de ces
derniers. Si l’on applique cette définition à notre sujet, elle s’avère vraie.
En effet, le bar du 114 n’est plus rempli par les consommateurs de la marque mais
par un public qui vient délibérément profiter du spectacle qui l’intéresse. La
promotion, comme nous l’avons vu plus haut ne se fait pas sur la marque mais sur le
spectacle qui est produit. Les invités de la Villa Schweppes s’y rendent pour assister
100
Bernard Lamizet, La médiation culturelle, L’Harmattan, 1999 101
Ibid. 102
Ibid. 103
Ibid.
60
aux évènements qui y ont lieu tous les soirs. Il semblerait donc que ces lieux se
trouvent dans un processus de médiation culturelle ou, tout du moins, ont cette
volonté. Les signes ne trompent pas. La sonorité même du nom « Le 114 » pour ce
bar situé au 114 de la rue Oberkampf semble faire écho au 104, un lieu de lieu de
création et de production artistique qui propose des expositions et des spectacles
dans le 19e arrondissement de Paris.
La marque semble donc être devenue un réel acteur de la culture, un acteur de la
diffusion de cette culture. Elle permet la présence de la culture dans l’espace public,
elle rejoint en ce sens les structures institutionnels de la médiation culturelle. En tant
qu’acteur de la diffusion, la marque se trouve alors visible dans cet espace dédié à la
culture, créant ainsi un être hybride à mi-chemin entre médiation culturelle et
médiation marchande.
Nous sommes partis du postulat que les différentes techniques de dépublicitarisation
semblaient être un moyen pour la marque d’échapper à la résistance du
consommateur et d’investir de nouveaux territoires. Nous avons étudiés ces moyens
mis en place par le biais du marketing expérientiel, de notre corpus et de l’étude de
l’espace investit. Il en résulte que les marques, dans une optique de
dépublicitarisation investissent des lieux de spectacle et des espaces culturels selon
une logique de méditation culturelle, l’expérience de marque par la consommation du
produit se trouvant diminuée au service d’une expérience culturelle et sociale.
Cependant, cette nouvelle forme communicationnelle hybride, à mi-chemin entre la
médiation marchande et la médiation culturelle est-elle vraiment ce que les marques
veulent nous faire croire ? A savoir que l’investissement de ces espaces praticables
se fait dans le seul but d’offrir de l’expérience au public sans réel but marchand et
économique.
61
III. AU-DELA DU DIVERTISSEMENT : LIEU DE CULTURE OU LIEU
DE CULTE ?
Les lieux de divertissement et de médiation culturelle semblent avoir été investit par
les marques qui deviennent productrices de cette culture. Il apparaît que leur
stratégie se fait dans une optique d’estompage de son identité et de sa présence
pour laisser plus de place à l’expérience du spectacle et du lieu. Or, toute
communication à une fin en soi, celle de faire passer une information ou un
message. On peut alors remarquer une tension entre le lieu en tant que média qui
crée du divertissement ou bien qui est tout entier au service de la marque, dans une
logique d’hyperpublicitarisation.
A. Le paradoxe de la marque
1. La création de liens multiples
1.a Quand on parle de crise du lien social
Nous avons vu que la société moderne puis postmoderne connaissait une crise du
lien social avec l’éclatement des sphères sociales et l’avènement de l’individualisme.
Le lien social, en effet, a été bouleversé par l’évolution de la société moderne . Au
XIXe siècle, la révolution industrielle et la révolution démocratique ont remis en
cause l’ordre de la société traditionnelle qui reposait sur la religion, l’appartenance à
un lieu et à la famille. Les liens communautaires traditionnels reposaient pour les
philosophes des Lumières sur un contrat rationnel et consentit. Or, ce contrat n’existe
plus dans la société moderne, les anciens cadres sociaux n’ont pas été renouvelés
et l’Etat n’a plus assez de pouvoir pour maintenir le lien social comme l’écrit Emile
Durkheim :
« Tandis que l’Etat s’enfle et s’hypertrophie pour arriver à enserrer assez fortement
les individus, mais sans y parvenir, ceux-ci, sans liens entre eux, roulent les uns sur
62
les autres comme autant de molécules liquides, sans rencontrer aucun centre de
forces qui les retienne, les fixe et les organise104».
Les individus ont donc besoin non pas seulement d’un contrat qui assure leur
cohésion mais de liens affectifs, fondés sur les sentiments et les relations humaines
pour leur permettre d’être relié les uns aux autres.
Le lien social connaît aujourd’hui aussi quelques menaces tels que l’éclatement de la
cellule familiale, un isolement de l’individu plus facile, moins d’investissement dans la
sphère politique. La famille en effet, ne « socialise plus » comme l’exprime Marcel
Gauchet dans La Démocratie contre elle-même. Elle n’est plus là pour produire un
élever un individu vers la société mais elle est plutôt un « refuge contre la société ». Il
existe aujourd’hui une distance culturelle entre les différentes générations dans une
famille qui ne permet pas forcément le dialogue. L’évolution du rôle de la famille dans
la construction du lien social est un exemple parmi d’autres qui illustre le processus
d’individualisation : « L’individualisation désigne le processus par lequel les individus
acquièrent la capacité à se définir par eux-mêmes et non uniquement en fonction de
leur appartenance à telle ou telle entité collective105 ».
L’individu s’est émancipé des anciennes sphères sociales en raison de la mutation
de ces institutions sociales mais aussi par sa propre volonté. Il est impossible de
définir exactement à quel moment ce processus d’individualisation s’est engagé mais
il est certains que le rôle de l’urbanisation et l’émergence du pouvoir centralisé en
constituent des facteurs. La diversification dans la société découle de ces facteurs,
laissant à l’individu la possibilité de se créer et de construire de nouveaux groupes
d’appartenance sans avoir à passer par l’Etat, la famille ou le village. L’individu
devient alors maître de ses choix et dispose d’une liberté plus importante dans cette
prise de choix. Pour Norbert Elias, cette nouvelle forme d’autonomie n’est pas un
choix mais une obligation : « Non seulement ils peuvent devenir plus autonomes,
mais ils le doivent. A cet égard, ils n’ont pas le choix106 ». Cet impératif se trouve
alors être un cadeau empoisonné, l’individu pouvant tout aussi bien être satisfait des
ses choix ou bien les regretter. En effet, chaque détail de la vie quotidienne relève de
104
Emile Durkheim, Le Suicide, Paris, PUF, 2004 105
Pierre-Yves Cusset, Domaines et Approches, Le lien Social, 128 La Collection Universitaire de Poche, 2011 106
Norbert Elias, La société des individus In Pierre-Yves Cusset, Domaines et Approches, Le lien Social, 128 La Collection Universitaire de Poche, 2011
63
la décision unique de l’individu que ce soit son travail, son habitat, son état marital et
ainsi de suite.
L’individu aujourd’hui décide lui-même des liens qu’il veut entretenir avec les
personnes et il semble avoir un peu plus de mal à coexister dans l’espace public. Le
vivre ensemble semble être une réalité de plus en plus difficile à formuler. A ce
sujet, le journaliste de l’Ecole de Chicago Robert E. Park affirme que « si, en société,
nous vivons ensemble, nous vivons aussi à l’écart les uns des autres, de sorte que
les relations humaines peuvent être toujours analysés, avec plus ou moins
d’exactitude, en termes de distance107 ». Les individus deviennent alors des
étrangers les uns pour les autres dans les grandes villes, minimisant la possibilité de
conflit car ils n’engagent que des relations restreintes et superficielles avec les
individus qui ne font pas partie de leur sphère. La crise du lien social comme certains
l’observent aujourd’hui est ainsi due à l’indifférence que les gens expriment à l’égard
des autres individus qu’ils côtoient dans leur quotidien.
Mais il existe, face à ce lien social qui semble être remis en cause par certain
théoriciens, des sphères et des situations qui recréent ce lien social. Les lieux de
rencontres dans les espaces publics, les lieux de spectacles et de divertissement
sont propices à ce genre de situation. La médiation culturelle et la production de
culture sembleraient alors remplir ce rôle de créateur de lien social.
1.b L’espace public dédié à la mise en scène de la culture devient créateur de lien social
Pour Bernard Lamizet, la médiation culturelle ne peut d’ailleurs se concevoir sans sa
dimension sociale. Il affirme ainsi, dès la première page de son introduction que :
« C’est la médiation qui, par sa dimension sociale et culturelle, nous fonde en tant
que sujet sociaux et, par conséquent, met en œuvre l’ensemble des dynamiques
107
R.E.Park In Pierre-Yves Cusset, Domaines et Approches, Le lien Social, 128 La Collection Universitaire de Poche, 2011
64
constitutives de la sociabilité : la médiation fonde la dimension à la fois singulière et
collective de notre appartenance et , au-delà, de notre citoyenneté108.»
La médiation se trouve être en quelque sorte productrice du sens qui va permettre le
vivre ensemble et la cohésion de la vie collective autour de la mise en scène de la
culture, mise en scène qui va permettre au public de recevoir le spectacle ou l’œuvre
d’art produite. Le fait même d’assister à une représentation culturelle donne à voir
son appartenance à la collectivité pour un individu. On se rend ainsi dans un bar ou
dans un endroit festif pour évoluer en groupe, pour créer du contact social en sortant
de son espace privé. Hors de chez lui, dans un espace public dédié à une mise en
scène des pratiques culturelles, l’individu fait partie d’un public qui reçoit et interprète
le même concert, la même musique et la même ambiance. Qui plus est, la fête et
donc le divertissement est historiquement une des pratiques culturelles les plus
vieilles qui favorisent le lien social : « la fête donne une consistance esthétique, dans
l’espace public, à l’expression collective de la sociabilité et de l’appartenance109 »,
permettant alors à l’individu de montrer volontairement son adhésion à un processus
de formation du lien social. Il sort, en effet, hors de son habitat, de son espace privé
où il est seul sujet, pour rejoindre un espace public où il devra se mettre en scène et
se mélanger à ses pairs.
Les lieux festifs font parti des rares lieux où l’espace personnel, que Erving Goffman
défini comme l’espace autour d’un individu “où toute pénétration est ressentie
comme un empiètement110 », n’existe plus. C'est-à-dire que dans les endroits tels
que les bars, les clubs, les salles de concert, l’individu renonce à son espace
personnel sans pour autant se sentir dans une situation de danger. En effet, dans
ces lieux festifs, l’espace entre deux personnes est quasiment inexistant, les uns
sont collés aux autres, chacun empiète sur l’espace personnel de l’autre soit
interprété inconsciemment comme une violation de son espace privé. Tandis que
dans d’autres situations, ces mêmes individus auraient ressenti un malaise
concernant la proximité forcée avec un autre individu.
108
Bernard Lamizet, La médiation culturelle, L’Harmattan, 1999 109
Ibid. 110
Erving Goffman, Les Relations en public. La Mise en scène de la vie quotidienne II, Collection « Le
sens commun », 1973
65
Le lien social se trouve donc être fortement valorisé dans ces espaces permettant
l’adhésion d’un individu à une dimension collective. Il fait alors parti d’une
communauté ou d’une tribu si l’on reprend le terme de Michel Maffesoli qui a écrit sur
ce phénomène d’adhésion volontaire, où la présence est limitée temporellement et le
lien crée est émotionnel et non pas rationnel. Les liens sociaux que l’on tisse avec
les gens dans la vraie vie, dans un espace public sont des liens fort à l’opposé des
liens faibles crées uniquement en ligne. Mais il est nécessaire de se demander si,
dans notre cas où la marque fait partie des acteurs de diffusion de la médiation
culturelle, la création du lien social est uniquement horizontal (d’individu à individu)
ou aussi vertical (de l’individu à la marque).
1.c Un lieu de fête qui semble alors rassembler des fidèles
En effet, l’espace public investit par la marque pour diffuser du contenu culturel peut
aussi être considéré comme un véritable temple qui lui est dédié. Cet espace
regroupe ainsi une communauté qui y revient souvent en raison de plusieurs
facteurs. Pour le 114, les groupes d’amis apprécient la gratuité du lieu ainsi que son
ambiance de bar de quartier un peu branché mais où l’on peut venir en chaussures
de sport. Pour la Villa Schweppes, la communauté se retrouve autour des festivités
lors de la semaine du Festival de Cannes, pour se divertir le soir après les projection
et se relaxer. Enfin, le Nike Barbershop est dédié à une communauté de fan de
football qui se regroupent autour de l’évènement de la coupe du monde dans un
cadre tout aussi festif. Ces communautés se créent alors autour de l’émotion et de la
festivité.
Mais la fête s’organisait à l’origine pour célébrer une divinité à grand renfort de
musique et de danses. Ces divinités ont ensuite été remplacées par d’autres motifs
de célébrations qu’ils soient historiques, religieux ou culturels. Dans les lieux investis
par les marques, les signes de la marque ainsi que son existence reste présents
même s’ils sont estompés. Ils portent tous le nom de la marque, le logo est répété
dans plusieurs endroits même si le produit n’est pas poussé à être consommé. Les
individus semblent alors se retrouver dans un temple aux couleurs de la marque, qui
66
n’existerait pas sans elle et sans son action. On peut se demander alors si la divinité
à célébrer aujourd’hui n’est pas la marque elle-même et que le regroupement des
individus dans ces lieux ne fait pas d’eux des fidèles et des évangélistes. Le lieu ne
serait alors qu’un prétexte pour l’image de la marque et la gratuité affichée serait un
leurre.
2. Une remise en cause du don désintéressé
2.a La présence de l’échange du Don
La gratuité est l’un des premiers aspects qui nous frappe dans ces lieux. Lors de
notre entretien avec Fabien Hebert, qui a fait les photographies pour les soirées au
Nike Barbershop, nous avons appris que tout était gratuit : « C’était gratuit de se
couper les cheveux, tout était gratuit, la bouffe aussi111 ». De même, la spécificité du
114 by Puma Social était d’offrir des concerts gratuits de groupes de pop-rock qui
font en général salle comble dans les salles de concerts parisiennes. Enfin, les
évènements de la Villa Schweppes sont aussi gratuits de même que les boissons,
qu’elles soient avec ou sans alcool. Cette gratuité semble au premier abord se situer
dans une logique de don gratuit, c'est-à-dire de don comme une foi en soi. La
marque ne demande rien à son public, il est libre d’aller est venir comme bon lui
semble, de consommer le produit s’il en a envie.
Les messages publicitaires sur ces lieux sont inexistants en dehors du logo que nous
considérons comme un signe. Cette gratuité semble alors rejoindre le concept de
don tel qu’il est pour le philosophe Sénèque , à savoir un don unilatéral sans
recherche de profit par la personne qui donne. Il explique ainsi dans Des Bienfaits
qu’il faut donner sans attendre de recevoir en retour : « On donne pour le plaisir de
donner, sans tenir compte de ses bienfaits112 ». Il affirme ensuite que la valeur du
don n’a rien à voir avec l’objet du don mais avec la valeur que lui donne celui qui
offre le bienfait en fonction de ce qu’il pense bon vis-à-vis de celui qui va le recevoir.
111
Annexe 2 : p.V 112
Sénèque, Des Bienfaits, I, 2 , Ed. Alea, 2005
67
Face à cette acceptation du don altruiste et désintéressée vint s’opposer une autre
vision adoptée par les anthropologues, notamment Marcel Mauss et Bronislaw
Malinowski, du début du XXe siècle qui ont observé la mécanique du don dans les
tribus. Ainsi, la théorie maussienne du don/contre don, place la logique du don dans
un échange qui crée du lien social. Pour Marcel Mauss, le potlatch qui signifie
« donner » dans les tribus amérindiennes, a l’apparence économique d’un échange
mais c’est une pratique qui domine la vie religieuse, artistique et juridique de toute la
tribu et de la société. Elle inscrit totalement celui qui donne dans un espace social
composé de normes et de règles. Ces dons se font par ailleurs entre individus d’une
même tribu mais aussi d’un clan à un autre. Ils peuvent être matériels (pierres,
bijoux), humains (échange de femmes) ou symboliques (fêtes, danses). Celui qui
donne un potlatch améliore son statut social. De plus, celui qui reçoit doit rendre à
chacun en fonction de son rang et chacun à son tour rend le double. Nous nous
trouvons alors dans un circuit d’échange très éloigné du don désintéressé que nous
avons vu chez Sénèque. En effet, il existe trois dimension dans ce contexte de don :
donner, rendre et recevoir. Ces dimensions mettent alors en valeur le paradigme du
don expliqué par Marcel Mauss :
« L'action de donner, qui semble matérialiser une relation de sympathie, revêt en fait
une dimension agressive. Car le cadeau crée une dette. En obligeant son partenaire,
le donateur acquiert sur lui de l'ascendant, sinon du pouvoir. Il le contraint à
l'obligation, éventuellement coûteuse, de rendre et d'être pris, peut-être malgré lui,
dans une escalade embarrassante, dans une partie risquée où sont en jeu nom,
réputation, rang, fonction ou simplement fortune113 ».
L’individu se retrouve dans une compétition de prestige ou il est obligé de donner, de
rendre et de recevoir. S’il refuse ce système, il ne respecte plus les règles, perd la
face ainsi que son honneur et peut mettre en danger les relations entre deux tribus.
Le don/contre don sert alors de lien social en créant une obligation mutuelle
d’offrande qui ne peut être rompue. Cette vision du don-échange semble être
applicable dans la société occidentale individualiste où l’on les services rendus
créent une dette pour l’autre.
113
Marcel Mauss, Essai sur le don, in Sociologie et Anthropologie, PUF, 1968
68
De plus, une marque « ne peut pas ne pas communiquer » pour reprendre les
termes de Watzlawick. En effet, dans un contexte économique, la marque et
l’entreprise ont toujours un but à atteindre, celui de vendre ou de se faire connaître
dans une optique de marchandisation. Il est impossible de penser une marque
complètement altruiste qui serait à l’origine d’un évènement dans le seul but de faire
plaisir au plus grand nombre. Investir des lieux de divertissement, offrir de la gratuité
au public, produire du spectacle, s’opère dans ce paradoxe du don que nous avons
étudié. En effet, ces espaces sont des espaces de « culture de marque », ou la
marque crée de la valeur symbolique à son propre égard.
2.b En échange : une valorisation de la « culture de marque »
Malgré une apparente volonté d’être simplement médiateur culturel, ces lieux
semblent finalement être surtout créés pour devenir des lieu-médias du discours de
marque. Ce discours se construits à travers l’ensemble des attributs de la marque
tels que les produits, son histoire, ses activités de communication liés à l’activité
commerciale, les logos ou les visuels. Le discours de marque affirme au récepteur
l’existence de la marque et son statut de marque afin de construire l’identité de
marque et de permettre l’identification et la reconnaissance. Offrir du divertissement
à un public, dans un caractère festif et agréable permet de mettre le public dans une
disposition positive à la réception. En effet, si le public est comblé du spectacle, la
reconnaissance n’ira pas seulement aux artistes et au lieu mais aussi à la marque.
Elle gagne ainsi en valeur sentimentale car elle est associée à un lieu physique qui
est agréable au consommateur. Par ailleurs, la présence du discours de marque tel
que nous l’avons défini ne peut être niée, les logos et autres signes de la marque se
trouvant bien intégré à l’espace.
Il y’a donc une double médiatisation dans ces espaces investis par les marques, la
première qui est celle de la culture et la deuxième étant celle de la marque. Ces
médiatisations se chevauchent mais l’une peut parfois phagocyter l’autre si la
stratégie mise en place n’est pas réussie et donc non cohérente. Dans notre corpus,
nous pensons pouvoir affirmer que la cohérence est tenue en ce qui concerne le bar
du 114. L’existence de la Villa Schweppes a connu quelques critiques que nous
69
évoquerons plus loin. Nous nous trouvons alors dans un « bricolage » que Caroline
de Montety défini comme la culture de marque :
« La ‘culture de marque’ se présente comme un système cohérent de
représentations articulées autour du marchand et du non marchand. La marque
serait mise en culture, par une opération de ‘bricolage’ permettant de la
contextualiser, en l’insérant dans un monde possible articulé autour d’elle114 ».
Caroline de Montety parle ainsi d’un monde articulé autour de la marque. Si l’on se
réfère à notre sujet, cela revient à dire que tous les lieux investis sont des « micro-
mondes » qui servent l’identité de marque. Il y’a deux acceptations du concept de
culture de marque qui sont imbriquées l’une avec l’autre dans notre sujet. La
première est celle que nous avons vue, définie par Caroline de Montety. Mais on
peut aussi parler de culture de marque comme ce qui fait partie de l’identité de
marque, c'est-à-dire ce qui spécifie « le sens, le projet, la conception de soi de la
marque115 ». La marque, en effet, choisit son offre culturelle, elle crée une stratégie
dans ces lieux qui vont être un miroir de sa culture, de son image.
Ainsi, le bar du 114 a été crée car Puma a lancé sa campagne « Athlètes de la nuit »
où elle se positionne comme une marque de lifestyle, qui offre au consommateur
l’image festive que la marque souhaite incarner. Le lieu se retrouve donc être
l’incarnation de la philosophie de la marque et de ce qu’elle veut symboliser aux yeux
du public. Elle devient alors maître de la programmation culturelle et des évènements
qui y sont produits afin de diffuser sa propre culture. En ce sens, le lieu devient alors
en quelque sorte un immense temple de la publicité au service d’une seule marque,
ce qui remet en cause l’hypothèse de départ que nous avons formulée qui abordait
ce concept de lieu en tant que technique de dépublicitarisation.
La notion de dépublicitarisation est certes acceptable dans le sens où l’expérience
même des produits est quasi-inexistante, ils deviennent des éléments immobiles du
décor. Cependant, cet estompage ne semble être qu’un leurre pour mieux servir le
114
Thèse de Caroline de Montety, Magazines de marque : métamorphoses d’une promesse,
Université Paris Sorbonne, 2005 115
Jean-Noël Kapferer, Les marques, Capital de l’entreprise, Eyrolles, 2007, Paris
70
discours de marque, ce qui amène la marque dans un processus
d’hyperpublicitarisation telle que définie par Caroline de Montety et Karine Berthelot-
Guiet :
Hyperpublicitarisation : corollaire des tactiques de dépublicitarisation des
annonceurs, elle consiste en une hypertrophie de la communication publicitaire. A
l’inverse des processus de masquage et d’effacement des formes publicitaires
propres à la dépublicitarisation, il s’agit d’une recherche de maximisation de la
présence publicitaire, qui se concrétise soit dans la recherche de moyens de
densifier sémiotiquement la teneur publicitaire du discours soit dans la création
continue de « médias ». Cette dernière passa à la fois par un travail d’occupation, de
tous les espaces disponibles […] et par un opération de requalification de tout
espace en support et de tout support en média.
On observe donc une limite dans ces lieux, la marque ne pouvant pas ne pas
communiquer elle endosse d’autres formes de communication qui finalement
confère une « hypertrophie de la communication » étant donnée que le champ
sémiotique du discours se trouve agrandi grâce au lieu qui devient un support
presque illimité de ce discours. La dépublicitiarisation de cet espace dévoué au
divertissement culturel n’arrive pas à effacer complètement la relation marchande et
l’essence même de la communication d’une marque qui est de faire vendre. Cette
dernière doit alors trouver un équilibre entre sa recherche de crédibilité en tant que
productrice de contenu culturel et sa recherche de communication publicitaire.
71
B. Recommandations
Investir un espace et le dédier au divertissement et à la médiation culturelle pour une
marque semble être un exercice, comme nous l’avons vu, assez périlleux. Si le
positionnement et la stratégie de la marque n’est pas clairement définie dès le début,
de même que sa volonté de s’effacer face à la production culturelle, il est possible
que cette dernière rencontre une résistance de la part du public.
- Si la marque souhaite investir dans un lieu et produire du divertissement
culturel, elle doit faire passer ses intérêts après ceux de la médiation culturelle
et de ses acteurs afin d’acquérir une légitimité. En effet, plus la marque a l’air
impliquée dans la production culturelle et dans la liberté laissée à cette production,
plus elle sera appréciée par le public. Ce dernier, en effet, n’est pas dupe et est
conscient de la double médiation qui est présente sur le lieu. Cependant, ce public
est dans une attente de liberté complète en ce qui concerne à l’appropriation du lieu
et donc de la marque. S’il se sent libre et non conditionné par l’omniprésence de la
marque, il aura envie de revenir dans cet endroit qui lui est agréable. Au contraire, si
la charte de la marque est trop marquée et immuable, que ce soit dans le décor ou
dans les accords passés avec les artistes, le public se sentira pris au piège. Ainsi,
Puma a laissé carte blanche aux Airnadette qui n’avaient pas d’interdictions
concernant leur performance ainsi que l’ambiance bon enfant qu’ils diffusaient
pendant leurs soirées : « c’est devenu un temple de la connerie » affirme Romain
Lesaffre en parlant du 114 et Puma ne leur a jamais rien reproché, ils savaient que la
marque étaient assez libre pour ne pas avoir peur pour son image.
- Il est nécessaire pour la marque de produire un divertissement pour lequel
elle semble avoir un positionnement cohérent. La cohérence dans la production
de contenu et qui plus est de contenu culturel est une condition sine qua non pour
une bonne réception de l’évènement. En effet, si la marque investit un espace ou
une affiche promouvant un évènement simplement pour profiter de l’image de
l’évènement, elle se trouve décrédibilisée. La crédibilité s’acquiert en ce sens que
l’investissement semble une suite logique de la communication de la marque et de
son image. Ainsi, le 114 a été crée à la suite de la campagne « Les Athlètes de la
72
nuit» où Puma se positionnait dans le secteur de la fête et du divertissement
contrairement à ses concurrents directs comme Adidas qui se positionne sur le sport
et la performance. La création de ce bar semble une déclinaison logique de la
campagne et c’est pour cela que ça a fonctionné. De même, le Nike Barbershop a
été crée en déclinaison de la campagne de Nike qui portait sur les coupes des
joueurs de la Coupe du Monde de Football. La stratégie élaborée était que n’importe
qui pouvait se faire la même coupe de cheveux que son sportif préféré. Le lieu est
aussi devenu un lieu de divertissement pour les fans de football mais aussi pour ceux
qui voulaient profiter de l’endroit avec des soirées organisées le soir. La légitimité de
la présence de la marque se faisait donc grâce à la déclinaison de sa stratégie
marketing. Au contraire, cette légitimité a été remise en cause lorsque Schweppes a
décidé d’ouvrir sa Villa à Cannes pour le festival. En effet, les critiques sur les
réseaux sociaux ont été très fortes, notamment via la création d’un site qui tournait
en dérision et dénonçait les « check-in » des personnes présentes sur le lieu. Le
tumblr missionvillaschweppes.tumblr.com a été spécialement créé pour les
personnes qui utilisaient le hashtag #VillaSchweppes.
L’agence de relations publiques embauchée par la marque de soda Nosite avait en
effet choisi s’inviter des « influents », c'est-à-dire des personnes très actives sur les
réseaux sociaux et qui arrivent à créer une communauté de « fans » ou de
« followeurs » autour d’eux faisant de ces personnes des prescripteurs possédant un
certain crédit et une certaine influence dans des cercles tout de même assez
restreints. Ces « influents » ont été invités pour justement donner du poids à la Villa
Schweppes sur les réseaux sociaux. En échange de cette invitation où ils pouvaient
avoir accès à la Villa, à ses activités gratuitement, de même que l’étaient les
boissons et la nourriture, ils devaient faire des « check-in » récurrents quand ils se
trouvaient dans ce lieu. Les utilisateurs de Twitter et Foursquare se sont alors sentis
submergé par cette nuée de hashtag ramenant à la Villa Schweppes et ils ont tout de
suite compris la présence de cet échange de bons procédés entre la marque et ses
invités. Certains ont alors crée ce tumblr qui diffusait les captures d’écran de ces
personnes qui avaient l’air d’avoir été « achetées » par la marque116 afin de
dénoncer cette médiation marchande trop évidente. De plus, cette dénonciation de la
communication de la marque peut aussi découler du fait que la présence de
Schweppes pendant le festival de Cannes ne semble par être vraiment légitime. 116
Cf : capture ‘écran parsonal branling annexes
73
Comme nous l’explique Aude Sarkamari, invitée de la marque lors de cet
évènement : « il y’avait peut être un problème de légitimité, il n’y a pas forcément de
rapport avec le cinéma117 », la marque en effet ne faisant pas partie des partenaires
officiels du festival et n’ayant jamais communiqué en produisant du contenu
cinématographique. L’incident ou le « bad buzz » ne s’est propagé qu’à un cercle
restreints de personnes de la communication et du journalisme mais néanmoins nous
pouvons remarquer que ce manque de cohérence dans le positionnement de
Schweppes a mis au grand jour les intérêts économiques de Schweppes dans
l’investissement de ce lieu de divertissement.
- Si une marque souhaite investir dans un espace de divertissement culturel,
elle doit privilégier l’engagement à long terme et ne pas faire de one-shot. Les
marques qui investissent et créent des festivals ou des évènements qui ne durent
qu’une soirée sont légions comme les Nuits SFR Live par exemple. Mais ces
évènements sont ponctuels et ont une durée très limitée, la marque capitalisant plus
sur la qualité du spectacle que sur l’investissement d’un lieu. Or elle doit faire partie
du quotidien du public, pour ainsi créer une réelle relation avec ce dernier, et cette
relation doit être fondée non pas sur l’expérience de l’extraordinaire mais sur celle de
l’ordinaire.
- Les espaces investis ne doivent pas être réservé à une élite triée sur le
carreau. Les marques auront en effet tendance à vouloir contrôler qui entre et qui
sort des lieux où elle est présente. Comme cela a été le cas pour la Villa Schweppes,
ce lieu était finalement réservé à une élite. Les critères d’accession à la Villa étaient
très restreints. Il fallait soit avoir été invité par la marque, soit faire partie des
privilégiés du festival de Cannes (acteurs, journalistes, …) ou bien avoir le bras long.
Cela apporte donc du prestige au lieu mais éloigne en même temps la marque de
ses consommateurs. Ces derniers, en effet, sont dans une demande de proximité et
d’appropriation de l’espace et donc de la marque. La marque devrait alors investir
plutôt des lieux à échelle humaine où le lien social se fait plus naturellement. Cela
permettrait aussi de créer une relation de confiance vis-à-vis du public en créant un
lien émotionnel avec ce dernier.
117
Annexe 2 : p. VI
74
- Investir dans un espace public et produire du contenu culturel n’est pas
accessible pour toute les marques. Seules les marques bénéficiant d’un gros
budget et ayant déjà une bonne image vis-à-vis du consommateur peuvent investir
dans ces lieux. C’est une déclinaison de leur communication et cette dernière ne
peut être seulement fondée sur ce lieu qui n’apporte pas vraiment de retour sur
investissement d’un point de vue économique. Afin de se faire connaître, les
marques doivent se conformer aux codes de la publicité traditionnelle. Ces lieux sont
des extensions de marque et ne sont pas économiquement viable pour cette
dernière.
- Enfin, moins il y’a d’intermédiaire entre la marque et la production culturelle
du lieu de divertissement, plus cette dernière acquiert en légitimité en ce qui
concerne son rôle de médiateur culturel. Si la marque traite la production en
interne avec peu de sous-traitant et d’agences intermédiaires, elle restera crédible.
Ainsi, les Airnadette ont été directement contactés par le Directeur Marketing de
Puma afin de travailler en collaboration avec la marque. Le fait qu’il n’y ait pas
d’intermédiaire permet une meilleure entente et une meilleure compréhension des
objectifs de la marque et des artistes.
75
CONCLUSION
En observant et en fréquentant des lieux de divertissement culturel créés par
des marques, nous avons voulu étudier le paradigme qui existait entre la production
de culture et la finalité de la communication d’une marque. En effet, dans une société
où le consommateur n’est plus dupe des intentions des marques, cela semblait être
un exercice périlleux et très risqué. Ainsi nous nous sommes posé la question des
enjeux et des motivations des marques ainsi que de la réception de la part du
consommateur. Nous sommes alors partis d’un questionnement sur l’action des
marques sur des nouveaux territoires et sur la création d’une forme hybride possible
qui serait une réponse à la tension entre médiation marchande et médiation
culturelle. Dans un premier temps nous avons cherché à comprendre les causes et
les motivations des marques à investir de nouveaux territoires qui s’éloignent des
techniques de communication traditionnelle. Notre premier postulat était que ces
nouvelles formes de communication sont une forme de dépublicitarisation volontaire
de la part de la marque pour répondre aux évolutions de la consommation.
Ainsi, ces nouvelles formes de consommation de la société sont à l’origine d’une
rupture dans le modèle classique de la communication publicitaire. Nous avons vu
que l’ère de la société de consommation était révolue et que l’individu postmoderne
avait pris conscience de l’action de marques. Par ailleurs, cet individu est né dans
une société où les marques et les messages publicitaires s’imposent et font partie de
sa vie quotidienne. Il développe alors des techniques de résistances aussi bien
cognitives que technologiques vis-à-vis des messages publicitaires afin de ne pas se
laisser interrompre par ces derniers. En effet, les messages sont de plus en plus
nombreux et utilisent tous les supports médias possibles. Face à cette surenchère,
les messages publicitaires se retrouvent perdus dans la masse et il leur est de plus
en plus difficile d’atteindre le consommateur. La perte de pouvoir et d’influence des
marques ont obligé ces dernières à développer de nouvelles stratégies plus douces
et moins intrusives. Elles sont donc passées au marketing de la permission, une
stratégie qui remet le consommateur au centre des intérêts de la marque en
s’intéressant à lui et à ses aspirations. Les marques ont commencé à courtiser les
clients en leur offrant des contenus intéressants et gratuits afin que ce dernier aille
de lui-même chercher ce contenu.
76
La relation entre la marque et le consommateur est alors passée du contrat de
lecture, un contrat unilatéral, au contrat de conversation avec un échange réel entre
les deux parties. Les marques vont alors chercher le contact direct avec son
consommateur tout en mettant en place une publicité « hors de vue » qui sort des
méthodes traditionnelles. Elles vont alors par exemple produire du contenu de
marque ou Brand Content, un contenu qui peut être divertissant, culturel ou
didactique. Après avoir démontré les enjeux et les motivations des marques à
s’impliquer dans de nouvelles techniques de communication, nous nous sommes
intéressés aux moyens mis en place.
Nous avons ainsi opéré un focus sur la production de divertissement culturel dans les
espaces publics par les marques. Pour offrir un nouveau contenu, la marque a
commencé à produire elle-même du divertissement, permettant ainsi au public de
vivre une expérience réelle et qui s’inscrit dans le quotidien. Nous nous trouvons
aujourd’hui dans une société qui est friande de spectacle et de divertissement, ce qui
confère à la marque de larges possibilités. Cette dernière se pose alors en tant que
productrice de groupe de musique ou d’évènement qui s’inscrivent dans la durée et
ne sont pas ponctuels. Elle offre ainsi du sens dans un processus de
réenchantement du quotidien. Par ailleurs, l’implication de la marque dans la
production de contenu lui permet aussi d’estomper la marchandisation du produit au
profit de l’expérience. Elle acquiert ainsi un nouveau statut à mi chemin entre la
médiation culturelle et la médiation marchande. Les lieux, c'est-à-dire les espaces
pratiqués deviennent de véritables lieu-médias, où la marque se trouve être
médiatrice aussi. Une forme communicationnelle hybride apparaît alors, regroupant
la communication culturelle pour les évènements produits par la marque mais sans
oublier la présence des signes de la marque dans l’espace. Cependant, après des
études sémiotiques, il apparaîtrait au premier abord que les signes de la marques
sont volontairement estompés pour mettre au premier plan la fonctionnalité et la
finalité du lieu de médiation culturelle.
Cependant, le paradigme de la marque qui ne peut pas ne pas communiquer et bel
et bien présent et le lieu peut vite devenir un lieu de culte ayant la marque comme
divinité.
77
Investir et s’impliquer dans un lieu festif permet dans un premier à la marque
d’acquérir un caractère social. Elle permet la cohésion sociale en créant des espaces
d’échanges que le public peut s’approprier. Ces lieux permettent ainsi un lien
d’individu à individu mais aussi de marque à individu. En effet, même si la première
raison pour le public est de se réunir pour un spectacle ou un divertissement, la
marque est toujours présente dans le lieu et est à l’origine de la programmation. On
pourrait alors se demander si le lieu n’est pas un prétexte. Elle offre gratuitement de
l’expérience et du divertissement mais le don aujourd’hui attend toujours un contre-
don. On ne peut réellement parler de prétexte car même si la marque attend un
retour de la part de public, il n’a pas forcément de valeur économique. Le lieu n’est
pas un espace marchand, on ne peut pas acheter les produits à quelques exceptions
près. La marque trouve donc un lieu qui lui permet d’incarner son image et sa
philosophie.
78
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lesarchivistes.com
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81
ANNEXES
I
Annexe 1: Visuels cités et analysés
II
Fausse campagne Shell/Greenpeace
III
Visuels de la scénographie du 114 by Puma Social
IV
V
VI
Visuels des costumes du personnel du 114 by Puma Social
VII
VIII
Mobilier et décor du Nike Barbershop
IX
Affiches des programmations Heineken et Du 114
I
Annexe 2: Retranscriptions des entretiens
II
Entretien avec Romain Lesaffre alias Château Brutal. Il fait partie du groupe Les
Airnadette qui a collaboré pendant un an avec Puma pour animer et faire la
promotions du bar 114 by Puma Social.
Question : J’imagine que vous avez été contacté en tant que Airnadette il y’ a plus d’un an ?
Réponse : ça fait plus d’un an oui. Mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Quand
t’es Airnadette, c'est-à-dire un groupe de comédiens qui font « du rien », ça n’a finalement
pas été très compliqué de vendre notre concept pour des marques. On a commencé avec
Levis. C’était assez intéressant, on a fait sans agence, en direct, par le biais des rencontres,
et donc on a fait une vidéo spéciale l’univers d’Airnadette versus l’univers de Levis. Ils ont
ensuite sponsorisés la comédie Musicale, il y’avait le logo sur l’affiche. Et aussi, et la ça
devient plus rigolo, il y’avait une de leur pub celle avec le lavomatic qui se trouvait sur scène
avec le manager qui arrive derrière avec le panneau Levis. Ça faisait partie du pack. On leur
a aussi fait un show pour une soirées spéciale. Donc on a vraiment fait un pack complet et
ça c’était génial d’avoir une relation avec une marque et d’aborder tous ces points là. Et donc
ce qui était intéressant la dedans, en tant que gardien de la comme d’Airnadette , je dis
toujours qu’on peut faire de l’advertainment tant qu’il y’ a de la légitimité. C’est pas de la pub,
c’est de l’advertainment.
D’accord, donc le fait que le logo Levis qui arrive dans le show, ça ne gênait pas la
production artistique ?
Au contraire, le truc c’est que ça nous faisait marrer de repiquer de la pub et on continue a
mettre Levis même si on travail plus avec eux. Parce que ça nous fait marrer et cest là aussi
où la vraie bonne collaboration avec les marques elles se fait quand tu te sens pas forcé. La
vraie collaboration avec les marques doit se faire dans la bonne humeur. Et puis la rencontre
avec Puma s’est faite avec le Directeur Marketing. Dans le contrat on devait porter des
Puma sur scène. On s’est d’abord posé la question du rapport entre Airnadette et Puma
mais on s’est vite rendu compte que c’était dans le cadre des « Athlètes de la Nuit » et on
est carrément des athlètes de la nuit.
Donc le lien s’est fait comme ça, on s’est dit que ça avait du sens. Et puis on récupère la
valeur ajoutée de la marque, on se rend compte que les gens qui ont un travail normal disent
que c’est génial de travailler pour ces marques.
III
Quel était le contrat avec Puma ?
On devait mettre nos visages sur la campagne « Athlètes de la Nuit », animer des soirées et
faire des concerts. Après ça s’est décliné à mettre des Puma sur scène. Mais tout s’est fait
dans le sourire. On s’est aussi retrouvé avec nos propres modèles. On a dessiné des
baskets qui ont été vendue au 114 à 114 euros. C’était quasiment le seul produit vendu là-
bas.
Décrit nous un peu l’endroit et le public.
C’est un endroit où tu peux mettre 120 personnes. Au niveau du public c’est marrant. En fait,
quand tu travailles dans la communication, tu sais à qui appartient le bar. La rue Oberkampf
c’est grand public, c’est un bar où tout est noir, les concerts sont gratuits. Les gens sont
attirés et rentrent. Mais par contre, à la place de Puma, j’aurais au moins demandé le mail
des gens pour garder leurs contacts. Mais là ils n’ont pas du tout fait ça. C’est quand même
difficile de mettre tout ça en place. Ca existe et c’est déjà cool.
Comment le bar s’est ouvert ?
Il y’a eu l’opportunité d’ouvrir un bar pour vivre l’expérience Puma avec le lifestyle et le sport,
et puis pour rendre la marque plus festive. Mais le positionnement est hyper légitime. Ce que
j’ai bien aimé dans cette idée c’est qu’on comprend tout de suite ce qu’il y’ a dans le titre.
L’ambiance a l’air cool, c’est devenu un temple de la connerie.
Ce côté léger ne dérangeait pas Puma ?
Aujourd’hui, je pense que pour une marque il faut avoir « les couilles » de le faire. Le
discours c’est : c’est vous nos clients alors on va vous rencontrer. Pour moi ça a fait partie
de la vie de plein de personnes. Et ça fait aussi partie de la rue. Et c’est vrai que la marque
est assez planquée. Et là on n’a jamais du mettre de logo, et on les en remercie parce que
ça nous fait plaisir. C’est difficile de prendre des risques pour une marque. Là ils se disent :
on va vendre de la bière et on est Puma. C’est normal les gens boivent de la bière. C’est vrai
qu’en en parlant je me rends compte du côté accessible de la marque .C’est une marque
accessible et qui rapproche les gens. C’est vrai que les concept stores t’as pas envie d’y
rentrer, t’as peur de faire tâche. J’aimerais pouvoir rentrer dans l’endroit et me sentir cool,
comme chez moi. C’est vraiment une marque accueillante.
IV
La force de la marque c’est de laisser les gens s’approprier le truc et advienne que pourra.
C’est le signe d’une marque intelligente. La vie des marques fait partie de notre culture. La
plupart des marques manquent d’honnêteté et de simplicité dans leurs rapports. La sincérité,
c’est ce que les gens recherchent, comme le Directeur Marketing qui était sincère dans sa
relation avec les clients. T’as besoin de sens et de sincérité.
V
Entretien passé avec Fabien Hebert, photographe et ayant travaillé avec Nike
Question : Pourquoi et comment es-tu allé au Nike Barbershop ?
J’ai été invité parce que je connaissais des gens alors que je n’aime pas le foot. Mais j’avais
travaillé pour Ofive et Nike alors je connaissais le milieu.
De quoi s’agissait-il exactement ?
C’était des soirées organisées par Nike pour les matchs de foot (de la coupe du monde),
chaque soir c’était d’autres organisateurs Running Paris, Ofive mais ils étaient tous sous
l’égie de Nike. Parce que Nie finançait tout.
Et donc tu devais payer pour quelque chose là bas ?
Non, tout était gratuit. C’était gratuit de se couper les cheveux, tout était gratuit, la bouffe
aussi.
Mais donc tu dis que c’était des soirées privées ?
C’était plus ou moins privé, c’était un truc où tu pouvais pas ramener qui tu voulais. C’était
sur liste. Tous ceux qui bossaient dans le hip-hop et leurs clients, les journalistes…
Tu pouvais acheter des Nike ?
On pouvait faire des Nike ID mais c’est tout, tu pouvais pas acheter tous les modèles comme
en magasin.
VI
Entretien avec Aude Sarkamari, « influente » et invitée de la marque Schweppes dans
la Villa Schweppes lors du Festival de Cannes
Question : Dans quel cadre es-tu allée à la Villa Schweppes ?
En tant qu’influente sur les réseaux. L’agence en charge des relations publiques pour la
marque Schweppes, Nosite, m’a contacté pour me demander si j’avais envie de partir à
Cannes tous frais payés. Il y’avait d’autres gens que je connaissais qui partaient avec moi
comme Cyril Paglino ou Kanthos.
Comment se passait l’accès à la Villa ?
On pouvait y aller quand on voulait.
Pourquoi une telle invitation ?
Ils nous ont demandés des petits trucs, de faire des check-in mais c’est quelque chose qu’on
aurait fait naturellement. Je le fais de moins en moins, je n’ai pas envie que tout le monde
sache ce que je fais , mais là il n’y avait pas de problème. Ils nous ont donné le hashtag et
nous on dit qu’on pouvait en faire ce qu’on voulait. C’était complètement libre, il n’y avait pas
de contrat.
Les soirées étaient-elles privées ?
La première soirée était assez privée, c’était pas accessible à tout le monde. Et après il
y’avait des soirées tous les soirs avec des DJs, un restaurant le midi, les cocktails étaient
servis toute la soirée, il y’avait aussi une plage privée. C’était une sorte de lieu de
divertissement dans le festival. Après tous les gens qui étaient à Cannes pouvaient venir
découvrir la Villa.
Qu’as-tu pensé des retombées de l’opération ?
Je n’ai pas trop ressenti la jalousie ou le fait que les gens se sentaient exclus. Mais moi j
profitais du moment. Il y’avait peut être un problème de légitimité, il n’y a pas forcément de
rapport avec le cinéma, c’est pour ça…