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Université de Strasbourg EM Strasbourg MASTER MARKETING ET GESTION D’EVENEMENTS « Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe ? » Par Marion MAISTRE Tuteurs : M. Daniel HAROCHE et M. Angelo PULICE Responsable de Master : Mme Sylvie HERTRICH Année universitaire 2013-2014

Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

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DESCRIPTION

Mémoire de Master 2 portant sur l'impact de la stratégie d'extension de marque et de massmarket sur le prestige d'une marque de luxe. La première partie définit la notion de prestige et la question du luxe. La seconde partie fait un état des lieux du secteur du luxe aujourd'hui et permet de comprendre les stratégies adoptées. En dernière partie, la réflexion nous conduit à envisager des manières de reconstruire le prestige des marques et ainsi conserver leur statut de luxe.

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Université de Strasbourg EM Strasbourg

MASTER MARKETING ET GESTION D’EVENEMENTS

« Face à la démocratisation du luxe, comment conserver

le prestige de la marque de luxe ? »

Par Marion MAISTRE

Tuteurs : M. Daniel HAROCHE et M. Angelo PULICE

Responsable de Master : Mme Sylvie HERTRICH

Année universitaire 2013-2014

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Université de Strasbourg EM Strasbourg

MASTER MARKETING ET GESTION D’EVENEMENTS

« Face à la démocratisation du luxe, comment conserver

le prestige de la marque de luxe ? »

Par Marion MAISTRE

Tuteurs : M. Daniel HAROCHE et M. Angelo PULICE

Responsable de Master : Mme Sylvie HERTRICH

Année universitaire 2013-2014

Page 3: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

REMERCIEMENTS

Avant toute chose, je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont rendu possible la réalisation de ce

mémoire.

Je pense tout particulièrement à mes tuteurs MM. Daniel HAROCHE et Angelo PULICE qui m’ont

soutenue et assistée tout au long de son élaboration. Leur disponibilité, leur écoute et leur

bienveillance m’ont permis d’avancer dans ce travail avec sérénité et quiétude.

De même je remercie Mme Sylvie HERTRICH, responsable du diplôme, pour la patience et la

pédagogie dont elle a fait preuve vis-à-vis de ses élèves, ainsi que Mme Agnès WALSER-

LUCHESI pour ses cours de méthodologie et ses bons conseils.

Pour le temps qu’ils m’ont accordé, j’adresse mes remerciements à Mme Nathalie ROLAND-

HUCKEL, M. Thibault de LA RIVIERE, M. Gilles AUBERGER et les intervenants de la journée

de réflexion sur l’industrie du luxe en Alsace. Leurs connaissances ont apporté une lumière

nouvelle à cette réflexion.

Je souhaite également remercier les étudiants dont les travaux antérieurs à cet ouvrage ont facilité

ma recherche, mes remerciements également aux documentalistes qui ont su m’aiguiller.

De même, je remercie mes relecteurs pour l’exigence dont ils ont su faire preuve ainsi que leur

regard critique sur ce travail. Merci enfin à mes proches pour leur soutien et leur compréhension

tout au long de cette année.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 01

PARTIE I : LE PRESTIGE D’UNE MARQUE DE LUXE 04

I.1 : La notion de prestige pour l’individu 04

I.2 : Le luxe, un apport de prestige 12

I.3 : La marque de luxe 17

PARTIE II : DE L’EMERGENCE DU LUXE ACCESSIBLE A SON DEVELOPPEMENT 25

II.1 : Le marché du luxe aujourd’hui, et sa clientèle 25

II.2 : La stratégie marketing du luxe accessible 30

II.3 : Le luxe accessible par les extensions de marque 34

II.4 : Les risques pour le luxe 40

II.5 : Autres stratégie de marques : co-branding 43

Partie III : LE PRODUIT, PORTEUR DU PRESTIGE DE LA MARQUE DE LUXE 46

III.1 : Méthodologie 46

III.2 : Analyse des entretiens : l’objet de luxe 48

III.3 : Discussion : vers une nouvelle définition du luxe ? 53

III.4 : Limites du travail 58

CONCLUSION GENERALE 60

BIBLIOGRAPHIE 62

SCHEMAS ET TABLEAUX 66

ANNEXES 67

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1

« Jadis alimenté par la consommation ordinaire de gens exceptionnels, le luxe se nourrit

aujourd'hui de la consommation exceptionnelle de gens ordinaires », Les Echos, 23 mai 2007

Cette affirmation d’un journaliste des Echos est parue en mai 2007, date à laquelle le journal a

publié un dossier sur cette « forteresse entamée » qu’est le luxe. Selon les spécialistes interrogés, le

luxe s’effrite et perd de son lustre. En effet, depuis plusieurs années et tout particulièrement depuis

les années 1980, la consommation du luxe a évolué. Secteur à part, dont l’accès a longtemps été

réservé à une élite – que ce soit par des normes ou par son prix –, il est aujourd’hui devenu

accessible. Cette mutation est due à des changements majeurs : la hausse du pouvoir d’achat, à la

démocratisation des sociétés et à la mondialisation [Bastien & Kapferer, 2013].

L’actuelle démocratisation du luxe – fait de rendre populaire et accessible le luxe en proposant des

produits diversifiés et à un prix inférieur au prix du luxe – est un fait acquis et reconnu par la

littérature1. Stratégie voulue par les marques afin de survivre dans un univers concurrentiel toujours

plus fort – les marques premium sont de plus en plus qualitatives et la notion de service et

personnalisation propre au luxe est appliquée dans la plupart des marchés – ou stratégie subie, la

démocratisation est fille de la nécessité pour les marques d’être rentables et viables. Comme

l’analyse Marie-Claude Sicard, « les marques de luxe voudraient faire croire qu’elles ne font pas de

marketing, mensonge » (2010). De fait, l’industrie du luxe est passée d’un artisanat familial à une

industrie financière et distribuée largement [Floch & Roux, 1996]. Utilisant des techniques

marketings visant à survaloriser la marque afin de vendre en masse – mass-marketing – les marques

de luxe ne maîtrisent pas toujours leurs extensions ou leurs licences, perdant alors leur image. Le

mix marketing semble incohérent pour du luxe, et des associations surprenantes apparaissent,

comme Sonia Rykiel pour H&M, Christian Lacroix pour TGV… où la marque de luxe est liée à la

diffusion en masse, enlevant au luxe son caractère sacré. Le mass-tige – contraction de mass

marketing et prestige – est né [Danziger, 2005].

D’autre part, avec un chiffre d’affaire en progression de 10%2 en 2012, le marché du luxe semble

pourtant parfaitement gérer cette descente parmi les classes populaires. Et même si les spécialistes

du luxe se font critiques et n’hésitent à parler de la mort du luxe et de naissance de l’hyperluxe

[Fashion Industry Insight, Décembre 2013], d’autres marques jouent pleinement du mythe de la

marque et annoncent des prix exorbitants. Quelle est la réalité du luxe aujourd’hui ? De quel luxe

parle-t-on alors ? Pourquoi associer luxe et prestige ? Telles sont les questions soulevées par le

1 Bastien, V. & Kapferer, J-N., 2013 ; Allères, D., 2008 ; Roux, E., 2009 ; De Barnier, V., Falcy S. &Valette-Florence

P., 2012 ; Paquot 2007 2 Etude Bain et Cie, 2013, menée sur le secteur du luxe : étude de 10% hors taux de change, ramené à 6% à taux de

change comparable

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marché du luxe, amenant alors la problématique de cette recherche : face à la démocratisation du

luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe ?

Pour y répondre, il faut commencer par étudier, dans une première partie, le fondement du luxe : la

recherche de prestige et d’appartenance. L’humain est un être social qui cherche à montrer son

appartenance à un groupe tout en se référençant à un groupe idéal [Darpy, 2012]. Le prestige rejoint

l’identification à un groupe de référence. Les marques de luxe peuvent répondre à ce besoin de

prestige [Kim et al., 2001]. L’analyse de la marque de luxe et sa réponse au besoin de prestige de

l’individu permettra de poser les concepts nécessaires à la compréhension de l’importance de

l’image de marque pour le luxe et le prestige. En effet, l’image de marque est très importante pour

les entreprises, mais pour les marques de luxe elle revêt un rôle tout particulier. C’est elle qui est

porteuse de l’histoire de la marque et ce qui fait d’elle du luxe : l’élément différenciateur. Oublier

de travailler son image de marque pour le luxe, c’est prendre le risque de ne plus se démarquer, de

ne plus avoir un atout différenciant. En étudiant la composante de la marque de luxe, nous

parviendrons à comprendre son fonctionnement et la façon dont elle créé le prestige et le transmet.

Dans une seconde partie, l’analyse des concepts de démocratisation du luxe et mass-tige permettra

de comprendre leur réalisation. Il semblerait effectivement que plusieurs types de luxe coexistent

[Vigneron & Jonhson] dépendant de la marque et de son image. Ceci est également lié aux choix

stratégiques lors de la définition des produits, passant par plusieurs stratégies marketing : les

licences, le co-branding et l’extension de marque.

Par définition, l’extension de marque correspond à l’élargissement du territoire d’une marque vers

une nouvelle catégorie de produits3. Pour, Kapferer, « l’ère n’est plus aux marques mono-produits.

La marque ne se vit plus comme un produit, mais comme un concept : or, une fois construit, un

concept s’élabore et se renforce par des extensions » (2007)4. Le co-branding, quant à lui, consiste

à associer deux marques distinctes afin de créer un nouveau produit profitant de la renommée des

deux marques. On pense notamment au partenariat de Coca-Cola avec la marque James Bond, ou

même avec Jean-Paul Gaultier. Dans ce cas, le co-branding permet à Coco-cola de toucher une cible

différente de son cœur de cible. Cependant, un risque de perdre son auditorat premier ou de créer

une confusion entre les marques existe.

L’utilisation d’un nom de marque connue rassure le consommateur sur la qualité et les

caractéristiques des produits et permet à celui-ci d’accepter le nouveau produit [Kim et al., 2001].

Cependant, selon Dimitriadis (1993), « à partir du moment où le consommateur tient compte de la

3 Lendrevie & Levy, Mercator, 2013, 10

ème édition. Paris : Dunod

4 Kapferer, J-N., 2007, p74

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marque pour faire son évaluation et que cette même marque se retrouve sur deux (ou plusieurs)

produits, il faut étudier les liens que le consommateur fera entre ces produits du fait de la présence

de la marque commune ». De fait, les extensions de marque se multiplient, pensons à Armani qui

propose Emporio Armani, Giorgio Armani, Armani Privè pour différents publics ou encore Cartier,

joaillier, qui produit désormais de la maroquinerie5. En effet la diffusion massive de produits

associés à une marque de luxe risque aussi de nuire à sa reconnaissance par son cœur de cible : les

élites de la méritocratie. Un autre risque apparaît également : la perte d’identité liée à la

délocalisation et la démocratisation. Les produits sont fabriqués à l’étranger pour réduire les coûts

de main d’œuvre et ouvrir le marché de clientèle. Est-ce qu’un sac Louis Vuitton produit en Italie

respecte le luxe français ? Enfin, une dernière question apparaît, est-ce qu’un vernis à ongle Chanel

appartient encore au luxe ? L’extension verticale risque de noyer le luxe dans les marques modes,

premium et haut de gamme – la qualité des produits devenant alors similaire. Seule la marque reste

porteuse du rêve lié au luxe – et non plus le produit.

Extension de marque et prestige de la marque ont déjà été étudiés dans la littérature [Kim et al.,

2001], sans réussir à prouver qu’une extension de marque nuisait au prestige de la marque de luxe.

Il semblerait que cela dépende de la perception du consommateur et de l’image de la marque. Cette

hypothèse n’ayant jamais été vérifiée, nous essaierons de découvrir dans cet écrit si ce lien existe.

La troisième partie de cette recherche permettra de comprendre la démarche que les marques de

luxe doivent suivre si elles veulent continuer à refléter le prestige et l’envie. Ces recommandations

sont basées sur l’analyse des entretiens réalisés.

5 Les extensions de marque font d’ailleurs l’objet d’une littérature nombreuse, en augmentation chaque année

Page 8: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

4

PARTIE I : LE PRESTIGE D’UNE MARQUE DE LUXE

Afin de comprendre comment une marque de luxe peut conserver son prestige face à la

démocratisation du luxe, il convient tout d’abord de définir ce que sont le prestige et une marque de

luxe. Il faudra aussi comprendre pourquoi le client ressent le besoin de consommer6 du luxe.

Le prestige, pour le Larousse, est « la qualité de quelque chose ou quelqu’un qui frappe

l’imagination et impose l’admiration par son éclat et sa valeur ». Ce concept, dans son sens

premier, signifie illusion, et pour le Trésor de la Langue Française, il est un enchantement des sens

et de l’intellect par une manifestation artistique ou culturelle. Nous considèrerons dans ce travail

que le prestige est lié d’une part à la perception de l’individu en fonction de sa place dans la société

ainsi qu’aux attitudes et comportement7 en usage dans celle-ci ; d’autre part du point de vue de la

marque en fonction de son exclusivité, sa qualité et du mythe qui l’entoure.

1. La notion de prestige pour l’individu

L’étude du comportement humain est nécessaire à la compréhension de la recherche de prestige par

celui-ci. L’être humain a des besoins et des désirs communs à tous, qui ont été définis et ont fait

l’objet d’études, notamment en psychologie sociale. La notion de besoin se rapporte à une situation

naturelle de manque, un déséquilibre qu’il faut combler. La faim, le sommeil, le froid sont des

besoins à combler au même titre que la domination, le jeu, l’intellect. Les premiers sont qualifiés de

biogéniques car rattachés à notre nature humaine. Les seconds sont décrits comme

psychogéniques8 : ils sont dépendants de notre appartenance à une société. Denis Darpy précise que

« les besoins résultent donc souvent de normes sociales » (2012). On recherche un produit pour la

façon dont il va répondre au besoin. Ainsi, on désire une montre pour répondre à un besoin

d’appartenance et de prestige ; une horloge ou un cadran solaire aurait pu tout aussi bien indiquer

l’heure, mais il est plus prestigieux d’avoir une montre. Ce n’est pas le produit qui créé le besoin :

le besoin est antérieur, il existait auparavant. De plus, d’une part le désir est l’expression du besoin

et sa prise de conscience. Il est défini comme « l’expression culturellement apprise d’un besoin »

par Joël Brée (2009, p70). Il est surtout la partie la plus subjective du besoin. D’autre part, un même

besoin peut correspondre à plusieurs désirs. Celui qui voudra séduire (besoin) pourra choisir de se

6 Chevalier & Mazzalovo (2008) considèrent que le terme « consommateur » est inadapté dans le secteur du luxe étant

donné que ce dernier est considéré comme non-consommable. Cependant, pour faciliter la compréhension de ce travail,

nous utiliserons le terme « consommateur » du luxe aussi bien que « client » du luxe. 7 Joëlle Michaud cite les différentes théories de sociologies l’amenant à ces distinctions p.4

8 On utilise également les notions de « besoins hypothalamiques » et de « besoins limbiques » ou de « besoins absolus »

et de « besoins relatifs ».

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parfumer (désir de sentir bon), faire du sport (désir d’être svelte), se maquiller (désir d’améliorer

son apparence).

Maslow (1943) a hiérarchisé les besoins selon différents niveaux. Cette typologie distingue les

besoins fonctionnels (sommeil, nourriture), de sécurité (logement, sûreté), d’appartenance à un

groupe (amitiés, amour), de reconnaissance (honneur, gloire) et de réalisation de soi (culture,

sagesse).

Figure I : Pyramide des besoins dite de Maslow (1943)

Source : Maslow, A., A theory of human motivation, Psychological review, 1943, pp 370-396

Alderfer (1972) a également déterminé un modèle appelé ERG9 reprenant ces notions de distinction

des besoins entre des besoins de survie, de vie en société et de réalisation personnelle.

Le besoin de prestige est un besoin relatif, c’est-à-dire créé par rapport à une société et reposant sur

l’imaginaire. En effet, pour Daniel Allères « passé un certain niveau de développement

économique, le système de consommation va devenir un phénomène culturel : le besoin comme

nécessité sociale de signe et non pas comme nécessité vitale de consommation » (2005). De fait, les

sociologues et psychologues analysent les motivations profondes des besoins comme étant un

besoin d’identification, de distinction et de reconnaissance ainsi qu’un besoin de rêve et de

fantasme.

9 Le modèle ERG ou Existence, Relatedness, Growth a été décrit par Alderfer en 1972. Il considère que les besoins sont

reliés à la survie de l’individu (existence), aux contacts humains (relatedness) et à son épanouissement personnel

(growth)

Epanouissement

Reconnaissance

Appartenance à un groupe

Sécurité

Survie

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6

1.1.Le prestige social : groupes de références et élévation sociale

Les sociétés sont structurées selon une stratification : divisées en groupes sociaux – strates – selon

des critères variables – religieux, économiques, … Marx et Weber ont tous deux défini différents

types de sociétés. Qu’elles soient basées sur des principes distincts n’est pas le sujet de cette

réflexion. Ce qui nous intéresse ici, c’est leur capacité à souligner l’existence d’une hiérarchie dans

la société : hiérarchie économique mais également issue d’un besoin humain d’avoir un ordre social

établi [Hobbes, 1651]. Cependant, l’homme n’aime avoir un ordre établi que pour mieux le

dépasser et se prouver qu’il peut évoluer.

Selon Weber, le prestige est ce qui créé le statut et la stratification sociale. Le prestige est ainsi

fondé sur le style de vie, le niveau d’instruction ou de culture, la naissance (aristocratie) ou encore

l’exercice d’un métier particulier (médecin, avocat). Le statut est acquis en fonction de sa

consommation et son style de vie. On montre son statut grâce à des symboles qui permettent

également de créer une certaine ségrégation ou distinction des autres statuts. Ainsi, l’objet permet

de s’identifier à un groupe : c’est un ensemble de signes et symboles qui sont reconnus par les

autres [Allérès, 2005 ; Darpy, 2012]. Posséder un objet c’est déclarer appartenir à un groupe.

Au-delà de la société existe le groupe social défini par la proximité des liens et le partage de

valeurs. Deux types de groupes sont définis : les groupes d’appartenance et les groupes de

références. Les groupes d’appartenance sont ceux auxquels un individu appartient de par leur

proximité : les liens sont directs entre l’individu et le groupe. Les valeurs peuvent ne pas être

partagées. Ce sont en général la famille, la nationalité, l’entreprise, les amis. Au sein des groupes

d’appartenance, la hiérarchie est souvent structurée et définie. Les groupes de références sont des

groupes d’individus auxquels l’être humain s’identifie soit par attirance soit par rejet. Il s’agit des

groupes de tendances ou tribus. Soit la personne souhaite être comme les individus du groupe, soit

elle fera tout pour ne pas leur ressembler.

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7

Figure II : Les groupes sociaux par rapport à l’individu

Source : Tunca, 2012

De par le besoin de conformisme de l’individu10

, les groupes influent directement sur le

comportement de l’individu – soit en le poussant à agir, soit en refreinant l’action. L’influence du

groupe sur le choix du produit ou de la marque dépend de sa consommation – privée ou publique –

ainsi que le montre le tableau suivant.

Figure III : Influence du groupe sur les comportements de consommation

Utilitaire (faible influence) Hédoniste (forte influence)

Utilisation privée (faible

influence)

Nécessité privée (papier

toilettes, piles, pâtes et

riz…)

Luxe privé (home cinéma,

auto-cuiseur, centrale-

vapeur…)

Utilisation publique (forte

influence

Nécessité publique (voiture,

lunettes, téléphone,

montre…)

Luxe public (bijoux, ski,

bateau, club de golf)

Source : Darpy, 2012 ; Tunca, 2012

10

Diverses études sociales ont montré le fort besoin de conformisme de l’être humain, la plus connue étant celle de

Ash. Ce psychologue américain a réalisé une expérience sur des individus : ceux-ci devaient étudier divers dessins

similaires mais différents et dire s’ils étaient identiques. Dans le groupe d’individus, tous sauf un étaient des acteurs qui

devaient affirmer la similitude des dessins même quand ce n’était pas le cas. Le « cobaye » est alors confronté à un

dilemme : dire la vérité ou rejoindre le groupe. Après plusieurs essais, l’expérience montre que l’individu préfère suivre

le groupe même s’il sait avoir tort plutôt qu’être différent.

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8

Les produits nécessaires sont avant tout jugés sur leur utilité. Les produits luxueux n’ont pas cette

utilité première : ils satisfont des besoins acquis. On considère que le luxe privé satisfait un besoin

personnel de qualité et de produit réussi – respect de soi et élévation psychique. Le luxe public est

fait pour être exposé – appartenance sociale ou réussite. Le groupe de référence aura un poids

d’autant plus grand sur ces produits.

La vision de soi pour un individu dépend ainsi de sa perception de lui-même, de sa perception de

son entourage (soi social) et de son soi idéal. Ce dernier est un désir permanent d’élévation de soi :

il correspond à ce que l’individu voudrait être. Rattaché au besoin, le soi social doit combler les

besoins d’appartenance à un groupe et de reconnaissance ; le soi idéal, le besoin d’épanouissement

[Darpy, 2012]. L’humain se réfère non seulement au groupe social auquel il appartient mais

également à un groupe de référence dans lequel il se reconnaît par les valeurs, le statut social et

auquel il tend à appartenir. Ces groupes définissent ses comportements d’achat.

1.2.Rêve hédoniste de l’objet de luxe

Les marques de luxe se reposent sur le rêve. L’être humain a besoin d’un idéal vers lequel tendre,

et, comme l’expliquent les sciences sociales, le rêve caractérise l’humain. Contrairement au désir

qui est fugace et disparaît une fois satisfait, le rêve perdure et peut même durer toute une vie.

La société actuelle est une société hédoniste, qui s’intéresse au plaisir par opposition au

matérialisme. L’individu ne cherche plus simplement à satisfaire des besoins primaires mais il

souhaite également répondre à un besoin d’amusement et de plaisir. Il en découle deux types de

consommation différents : la consommation utilitaire et la consommation hédoniste. La première est

la conséquence d’un besoin fonctionnel et primaire. La seconde quant à elle satisfait des aspirations

supérieures mais peut alors apparaître comme frivole car non-nécessaire. Dans un produit, la

dimension hédoniste est subséquente aux sensations qui apparaissent lors de son utilisation alors

que la dimension utilitaire découle directement des fonctions du produit [Michaud, 2006]. Ainsi, un

même produit peut répondre aux deux dimensions. Une montre permet de connaître l’heure : on la

choisira en fonction de sa fiabilité ainsi qu’également de son poids, de la durée de vie de la pile, de

son étanchéité, mais aussi pour son esthétisme, le dessin des chiffres, la marque. Un produit peut

ainsi avoir des attributs fonctionnels et des attributs hédonistes.

Face au nombre grandissant de produits et de leurs significations – pour Allérès (2005), les

individus se définissent par rapport aux objets et leur symbolique –, le consommateur se tourne vers

l’expérience, l’émotion, les sensations et les produits lui permettant d’atteindre un monde de rêve et

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d’imagination [Holbrook, 1993]. Cette notion de plaisir est même qualifiée de bénéfice de nature

intangible pour le produit de luxe, par Dubois, et al. (2001).

La composante hédoniste du luxe est liée au caractère pluri sensoriel du produit comme l’indiquent

Bastien & Kapferer (2013) mais également au plaisir qui ressort de sa consommation. « La

consommation du luxe est hédoniste, et désigne les facettes du comportement du consommateur qui

sont liées aux aspects sensoriels, imaginaires et émotionnels de l’expérience de consommation. Les

produits de luxe renforçant les significations véhiculées par les objets, par les émotions et les

sensations. L’achat d’un produit de luxe est lié au plaisir de l’instant, au sentiment de satisfaction

intrinsèque, gratification dont est avide le consommateur », Almeida, et al. (2008).

1.3.La sensibilité aux marques génératrices de prestige : la valeur perçue du luxe

Aaker (1999) explique qu’une marque permet de s’exprimer et de refléter sa véritable personnalité.

Kim et al. (2001) précise d’ailleurs qu’une marque est perçue comme attirante lorsqu’elle permet à

l’individu de s’exprimer et qu’il s’identifie à la marque11

. L’individu va s’intéresser aux marques

afin de pouvoir dire qui il est et l’affirmer à la société – que ce soit une société réduite et

sélectionnée ou bien le monde entier.

Kim et al. (2001) considèrent qu’il existe différents types de marques : les marques dites

fonctionnelles et les marques dites de prestige. Les marques fonctionnelles correspondent aux

marques vendant des produits utiles et nécessaires au quotidien, comme Casio ou Renault. Les

marques dites de prestige permettent d’accéder à un statut social plus élevé. Les marques associées

à ce type de qualification sont par exemple Rolex et Rolls Royce : les marques de luxe. Selon Kim

et al., le prestige de la marque repose sur l’impression d’exclusivité – distribution, service, produit –

et sur la qualité des produits.

Cependant, il s’avère que, d’après les études de Roux (1991) et Vigneron & Johnson (1999), la

notion de prestige de la marque dépend de l’individu. Selon Vigneron & Johnson, la consommation

de marques de prestige est considérée comme un signe de statut social et de possession de biens. La

marque augmentera d’autant plus le prestige d’un individu que le prix du produit est perçu comme

supérieur aux standards, et que sa distribution est limitée. Le prestige est également issu de la

conception du produit et du soin extrême porté à sa réalisation : plus le produit semblera artisanal

ou d’une technique supérieure, plus il sera prestigieux. A ce titre, une montre Rolex pouvant

fonctionner sous l’eau jusqu’à 1,220 mètres de profondeur sera plus prestigieuse qu’une simple

montre ne pouvant fonctionner sous l’eau [Vigneron & Johnson, 1999]. Ils précisent également que

11

Texte original : « The brand will be perceived as attractive when it helps a person to express him/herself,

and when the person identifies with the brand », 2001

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l’esthétique et l’hédonisme sont des critères de prise en compte d’augmentation du prestige, une

fois la marque établie comme prestigieuse. Ainsi si une marque est considérée comme illustre,

l’attention portée au caractère esthétique de ses produits sera génératrice d’un prestige encore plus

grand.

De plus, Vigneron & Johnson (1999) ont établi que la recherche de prestige était propre à chaque

individu et dépendait de son environnement (économique) et de ses motivations. Ainsi, les

motivations d’expression de soi et de sociabilité sont primordiales. C’est pour étudier ces

motivations que nous nous pencherons sur les cinq valeurs du prestige et les motivations de

recherche dont ces valeurs découlent.

Figure IV : Valeurs de prestige par rapport aux motivations

Valeurs Motivation

Ostentatoire Veblen (Statutaire)

Différenciation Snob

Appartenance Bandwagon (Suiveur)

Emotionnelle Hédoniste

Qualité Perfectionniste

Source : Vigneron & Johnson, 1999

Appartenance et différenciation sont deux manières distinctes de développer le concept de soi,

comme l’indiquent Dubois & Desquenes (1996).

Le Veblen doit son nom à Thorstein Veblen (1899) qui considérait que l’ostentatoire était utilisé

pour signifier son statut social et ses revenus. La possession démontre le pouvoir de son détenteur.

Le prix et la notoriété des marques sont alors les deux preuves de la qualité du produit.

Les Snobs cherchent à se différencier du reste de la population en achetant en priorité les produits

des marques qui sont limitées d’accès et en rejetant les marques qui sont en diffusion massive. Un

produit rare à une valeur plus importante. Sa possession impose le respect et le prestige.

La motivation des Suiveurs est d’appartenir à une classe sociale plus prestigieuse et de se détacher

de leur classe sociale selon eux moins reluisante. Ils cherchent à se conformer à une symbolique

associée au prestige. Cette motivation apparaît, dans la littérature, comme la raison première de

consommer du luxe.

Les trois valeurs associées à ces comportements sont considérées comme interpersonnelles car

dépendantes du regard des autres. Les deux autres valeurs sont liées à la perception personnelle.

Page 15: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

11

Figure V : Effets interpersonnels sur la recherche de prestige

L’hédoniste recherche le plaisir et le perfectionniste un produit de qualité. Ces deux composantes

sont offertes par les marques dites premium aussi bien que les marques de luxe. Ainsi, un individu

recherchant avant tout la qualité préfèrera une Lexus à une Roll Royce dont les défauts sont connus.

Son prestige social en sera amoindri d’autant. Alors que l’individu préférant une Ferrari à une

Lexus indiquera son statut social. L’hédoniste pourra préférer une expérience incroyable mais ne lui

apportant aucun prestige direct : un saut en parachute est une expérience hédoniste – pas d’utilité

fonctionnelle – mais sans prestige direct.

Le perfectionniste cherchera avant tout un produit parfait au niveau de la qualité. A ce niveau,

Macintosh correspond au perfectionniste ; ce n’est pas un produit de marque – au départ – mais un

produit reconnu pour sa qualité. L’esthétique devra être présente mais sans être prioritaire.

De plus, ainsi que l’expliquent Bastien & Kapferer (2013), le prestige est directement lié à la

marque et l’occasion de consommation. Plus un individu aura l’occasion de porter publiquement

son achat d’un produit de luxe, plus le produit et son propriétaire seront valorisés. Le produit de

luxe joue un rôle social : s’il n’est pas vu, même s’il est utilisé, il perd une partie de sa fonction

première. Des chaussures Louboutin ne sont pas faites pour être portées en intérieur, sans être vues.

Une montre Patek Philippe, même discrète, est portée en public afin que les initiés, en la voyant

connaissent la valeur de son propriétaire. Un vase Daum ou un lustre Baccarat ne resteront pas au

fond du grenier : ils seront exposés dans la maison. La valeur perçue est d’autant plus élevée que le

consommateur en voit son bénéfice social – son prestige – augmenter.

Eff

ets

inte

rper

sionel

s Valeur ostentatoire Ostentation Veblen

Valeur d'unicité Non-conformité Snob

Valeur sociale Conformité Bandwagon

Valeur Motivation Dénomination

Page 16: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

12

Le consommateur du luxe porte avant tout son attention au plaisir et à l’accomplissement de soi

mais également au regard des autres. Il est en conséquent fortement impliqué lors de sa

consommation d’où l’importance de la valeur perçue du produit.

Lors de l’achat d’un produit, le client fixe une certaine valeur au produit. Cette valeur est souvent

différente de la valeur voulue par l’entreprise. Elle est définie par le sacrifice accepté par le

consommateur : ce que l’individu est prêt à donner pour acquérir l’objet. Le sacrifice est aussi bien

lié à l’aspect monétaire de l’achat mais également au temps consacré à l’achat, à la recherche du

produit adéquat, aux efforts consacrés pour comprendre son utilisation, aux risques liés à l’achat ou

la consommation. C’est pour cette raison que la valeur perçue d’un produit n’est pas toujours liée à

son rapport qualité-prix. Aurier et al. (2004) ont défini six valeurs pour définir la valeur perçue d’un

produit : utilitaire, connaissance, stimulation expérientielle, expression de soi, lien social,

spiritualité. On parle également de valeur fonctionnelle, valeur économique, valeur ludique et

valeur esthétique [Darpy, 2012]. De par son prix élevé, l’objet de luxe a une valeur forte, d’autant

plus qu’il augmente le pouvoir imaginaire et le lien social d’un individu.

Bien que la valeur perçue soit subjective et propre à chaque individu, on considère souvent que plus

un consommateur est impliqué lors de l’achat d’un produit, plus sa valeur perçue augmente ; plus

les sacrifices sont élevés, plus l’attente de bénéfices en retour est grande.

Une fois compris les notions de prestige du point de vue de l’individu et le besoin de

reconnaissance sociale, il est nécessaire d’expliquer ce qu’est une marque de luxe et d’étudier son

fonctionnement afin de réaliser comment une marque de luxe peut créer du prestige.

2. Le luxe, un apport de prestige

2.1.Tentative de définition

C’est du luxe ! Quel luxe ! C’est un petit luxe. Le terme luxe est employé couramment pour

désigner des notions différentes, mais souvent relatives à la perception de l’individu en comparaison

à son quotidien. Ainsi, pour certains, le luxe sera de bénéficier d’une journée de repos. Pour

d’autres, le luxe sera d’être en famille. Mais ces types de luxe sont considérés comme « des » luxes

– l’attention est portée à l’indéfini devant le mot, qui change sa signification. Le luxe quant à lui est

un concept difficile à définir de par sa fonction symbolique et sociétale.

Page 17: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

13

D’après l’étymologie, le luxe viendrait de luxus, qui signifie faste, abondance et excès. La notion de

lumière (lux) est également évoquée par Sicard (2005) : le luxe serait ce qui brille. Le Larousse

(2004) désigne le luxe comme « ce qui est coûteux, raffiné et somptueux ».

D’après la littérature, le luxe est « subjectif, personnel et perceptuel » [Laurent & Dubois, 1996].

Pour Mason (1981), « un produit est considéré comme luxueux si l’élasticité de la demande par

rapport au revenu est supérieure à un ». Selon Lombard (1989), « un produit de luxe est un objet

acquis ou reçu pour se faire plaisir ou se valoriser ». D’après Allerès (1997) « Toute création hors

du commun, de l’ordinaire, extraordinaire, synonyme de beauté, d’esthétique, de raffinement,

produit magique, empreint de séduction, objet ludique, évocateur de rêve, de plaisir, promesse de

bonheur, est qualifiée de prestigieuse, “haut de gamme”, inaccessible produit de luxe ».

Selon Roux (1991), « la marque de luxe se caractérise par une valeur ajoutée symbolique

imaginaire ou sociale qui la différencie des autres. La marque de luxe correspond ainsi aux besoins

symboliques que le consommateur peut ressentir (par opposition aux besoins fonctionnels ou de

variété) ».

Pour Touzani & Laouti (2005), « le luxe relève le plus souvent de l’inaccessible, du rêve et de

l’élévation symbolique. A travers sa dimension ostentatoire, il est également source de

différenciation sociale et d’appartenance à des groupes de référence. […] il revêt une dimension

hédonique – caractérisée par la recherche d’émotion, de plaisir et de beauté – et une dimension

existentielle – marquée par la volonté d’affirmation, d’expression et de réalisation de soi ».

Il en ressort, globalement, que chacun définit le luxe à sa façon en partant de principes reconnus de

tous : le rêve, et la valeur symbolique du luxe qui permet de recréer de l’écart.

2.2.Les attributs du luxe

Pour Bastien & Kapferer, « le luxe est fondé sur l’hédonisme et l’esthétique » (2013), c’est

d’ailleurs ainsi qu’il répondrait au besoin d’idéal de l’homme. Les attributs essentiels du luxe sont :

le prix, la rareté, la durabilité, l’authenticité ainsi que la valeur symbolique et la notion de rêve. La

rareté et le prix sont souvent les deux concepts mis en avant lorsqu’on interroge des individus sur la

notion de luxe [Touzani & Laouti, 2005].

Le rapport du luxe à l’argent n’est plus à démontrer. Tous deux permettent de définir une

stratification sociale : l’argent en permettant d’acheter, le luxe en cultivant. De plus, longtemps le

luxe et l’argent ont été possédés par une même classe sociale : l’élite, la noblesse. En effet, plus un

produit est cher, plus il sera difficile d’accès par la majorité de la population et sera alors considéré

comme luxueux. Enfin, comme vu précédemment, certains clients n’achètent des produits que s’ils

Page 18: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

14

sont chers et reconnus comme tels afin de mieux se valoriser socialement. Cependant croire qu’un

prix élevé suffit à faire le luxe est illusion. La valeur du luxe est différente de son prix : elle est

également dépendante du travail fourni pour l’obtenir et de la symbolique de l’objet pour le

consommateur.

La rareté est le second concept généralement associé au luxe. Bernard Catry (2007) considère qu’il

existe plusieurs types de rareté comme l’indique le schéma suivant.

Figure VI : Compatibilité du volume avec le type de rareté (naturelle à virtuelle)

Source : Catry, 2004

Un produit massivement distribué ou disponible ne peut pas faire rêver : il est accessible à tous. Il

ne permet pas de se différencier ni de répondre à des aspirations sociales. Les produits non rares

répondent à des besoins physiques. L’exclusivité est une notion utilisée en marketing : les

promotions, les ventes éphémères ou les éditions limitées sont autant de stratégies marketing

illustrant le besoin humain d’exclusivité. L’être humain veut être différent des autres, à part, afin

d’être valorisé. La rareté est directement liée à l’exclusivité. Le vrai luxe est celui dont la rareté est

avant tout physique ou humaine – ressources ou compétences. Il implique une distribution limitée

car le stock est épuisable. Cependant, la rareté peut aussi passer par des contraintes techniques, des

innovations technologiques ou une distribution contrôlée. Ferrari produit moins de 6000 voitures

par an, afin de créer de la rareté et augmenter l’attente. La satisfaction à l’achat en est d’autant plus

grande. De son côté, Chanel innove régulièrement la technologie d’ouverture de ses rouges à lèvres

Faible

• Ingrédients, composants, expertise humaine rare, limite de capacité

• Diamants, bagues, fourrures

Moyenne

• Techno-rareté, innovations, nouveaux produits

• Toyota et la voiture hybride

Moyenne

• Editions limitées, sur mesure, one to one

• Les Exclusifs de Chanel

Bonne

• Rareté fondée sur la distribution

• Ferrari

Pas de limite physique

• Rareté informationnelle, star system, marque, secrets et rumeurs

• Magasins éphémères, Fashion Week

Dis

trib

uti

on

Page 19: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

15

tout en étant les seuls sur le marché à le faire. La rareté permet de créer un sentiment d’exceptionnel

et d’unique.

D’après les consommateurs, la qualité est le troisième élément qui définit l’objet de luxe, au même

titre que son prix et que sa rareté. Le client attend d’un produit de luxe qu’il soit de bonne fabrique

et qu’il soit durable : inscrit dans le temps. Cependant, un produit de parfaite qualité n’est pas

toujours considéré comme du luxe ; sa qualité ne passe pas par une absence de défaut mais par

l’utilisation de matériaux résistants au temps et à l’usure. Il pourra ainsi perdurer. Un lustre

Baccarat gardera son éclat plus longtemps qu’un lustre en verre. Une fourrure Fendi résiste au

temps, de même que les malles en cuir Vuitton. La qualité inclut l’imperfection. La qualité d’une

montre Cartier est indéniable. Pourtant, sa mécanique la rend plus lourde et nécessité de la remettre

à l’heure chaque année : elle est résistante par ses matériaux mais l’esthétique passe avant la

perfection. La qualité seule ne fait pas rêver.

La notion d’esthétique est également partagée par l’artisanat dont l’objet de luxe fait partie. Il se

reconnait par sa qualité, le temps passé à le créer, et le rapport à l’humain. Ainsi un produit de luxe

est un produit d’art, issu de l’artisanat. Il est fait par un Homme pour un Homme. L’industrie du

luxe est mécanisée au minimum. Les finitions sont manuelles. D’après Bastien & Kapferer, plus il y

a d’hommes pour réaliser un objet, plus l’objet perd son luxe et son humanité. Autrement dit, un

produit artisanal fabriqué par un homme seul a plus de valeur que celui produit par une machine. Il

est vrai que le retour du « fait à la main » ou plutôt « fatte a mano » pour la conception

maroquinerie italienne semble souligner cette affirmation. Cela implique qu’un objet de luxe doit

être fait entièrement ou en partie à la main. De plus, la notion d’artisanat souligne l’importance des

savoir-faire et de la maîtrise d’une technique particulière. Cependant, l’artisanat seul n’explique pas

le luxe – sans quoi chaque artisan serait directeur d’une maison de luxe.

L’appartenance au luxe est également liée à une histoire : la marque doit avoir un héritage ou à

défaut un méritage12

– mérite et héritage – expliquant son mythe. Cette notion de mythe et

d’histoire est liée à la personnalité du créateur, réel fondateur d’une marque de luxe. Une marque

est un nom : Chanel, Dior, Yves Saint Laurent. Ou alors elle reflète une personnalité : Hermès,

Ralph Lauren, Montblanc, … Cette histoire permet de créer l’univers de la marque : un espace où la

marque pourra déployer son style de vie avec des symboles et des valeurs connus. Le mythe passe

aussi par la création d’un univers, d’une cosmogonie avec ses icônes et ses rituels. Le rapport du

12

Le méritage est le terme utilisé pour décrire les marques récentes ou américaines, qui n’ont pas accès à un passé de

200 ou 300 ans et fondent leur succès sur le mérite de leur créateur et sur des mythes inventés. La Maison de Haute-

Couture ESCADA est un exemple de méritage.

Page 20: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

16

luxe au sacré revient régulièrement, ne serait-ce que par son origine : les premiers objets de luxe

étaient mis dans des tombes pour représenter le mort dans l’au-delà et étaient sacrés.

La notion d’innovation découle directement du créateur. La marque de luxe est avant-gardiste. Elle

est là où on ne l’attend pas et ne cherche pas à correspondre à une cible. Coco Chanel a inventé des

tenues choquantes pour son époque, mais qui sont aujourd’hui perçues comme naturelles. Yves

Saint Laurent a été le premier à dessiner un tailleur féminin. Montblanc a inventé le premier stylo à

plume qui ne coule pas. La marque de luxe est en avance sur son temps, au même titre que l’art,

d’où les alliances nombreuses entre les galeries d’art contemporain et les marques de luxe : la

Fondation Cartier en étant l’initiatrice. Tout comme l’art, la marque de luxe permet d’atteindre un

idéal et de s’élever spirituellement [Bastien & Kapferer, 2013]. Elle a une notion de sacré.

Enfin, le luxe est plaisir. Cela implique que l’objet de luxe est pluri sensoriel.

Figure VII : Les mots clés du luxe : une définition ?

Les différents mots clés du schéma ci-dessus sont les différents principes repris par Marie-Claude

Sicard, Bastien & Kapferer, Daniel Allérès et Chevalier & Mazzalovo.

Luxe

Esprit créateur

Rareté

Prix

Qualité

Rêve mythe univers

Hédonisme

Art et esthétique

Savoir-faire et

artisanat

Page 21: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

17

Cette étude des différentes composantes et définitions du luxe montre bien que celui-ci est difficile

à cerner mais surtout qu’il est porteur de signes et symbolique.

2.3.Le luxe pour les autres et le luxe pour soi : le rôle du luxe

D’une part, le luxe est basé sur le désir d’appartenance à une classe supérieure grâce à des symboles

[Bastien & Kapferer, 2013]. Grâce au luxe, chacun peut atteindre son rêve d’appartenance à tel ou

tel groupe. Ainsi, tant qu’un objet est signifiant social, il conserve un statut de luxe. A contrario, le

moment où l’objet perd son statut de stratificateur social signe la perte du luxe. Le luxe est alors un

marqueur social : il doit être visible et montré. Il repose sur des codes explicites – ceux de la

marques – ainsi que culturels. Il symbolise la réussite sociale. D’autre part, le luxe possède une

composante personnelle très forte : il doit faire plaisir. C’est la recherche d’hédonisme et de

satisfaction. Il ne s’agit pas seulement d’impressionner ou d’afficher un statut, de consommer pour

consommer, mais également de faire adhérer le client à une culture, de toucher les individus en

quête de sens et pas seulement de signes. Deux versants du luxe s’opposent : le « connecting

luxury » celui qui permet de s’afficher socialement et le « cocooning luxury », celui qui permet de

vivre une expérience individuelle.

Ces deux facettes sont mesurées par le Luxury Institute et expliquent la complexité de la définition

du luxe.

3. La marque de luxe

L’acte d’achat suppose généralement une prise de risques de la part du consommateur. Lorsque la

marque du produit a un impact social fort, on estime que son obtention est délicate. L’achat

demande au consommateur de s’impliquer [Vigneron & Johnson, 1999]. Celui-ci cherche en

conséquent à se rassurer : c’est la marque qui va jouer ce rôle.

La marque est un nom, un logo, un symbole, une image permettant de reconnaître une entreprise.

Elle se présente au consommateur sous différentes formes :

- le signe verbal (nom, slogan),

- le signe visuel (logo, couleurs, design),

- le signe sonore (jingle),

- le produit phare ou la forme du produit.

La marque génère la confiance : elle garantit l’origine des produits, elle est porteuse d’une promesse

qui la distingue de ses concurrents, elle rassure les individus en valorisant leur choix. Elle crée en

Page 22: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

18

conséquent de la valeur pour le consommateur et l’entreprise. Pour Aaker (1996), « elle aide le

consommateur à traiter l’information sur le produit, elle différencie le produit et le positionne, elle

fournit des raisons d’acheter, elle tend à développer un sentiment positif à l’égard de la marque et

elle permet des extensions de marque ». Ainsi, la marque facilite le processus d’achat pour le

consommateur.

Elle a également une valeur financière, commerciale – actif immatériel – et l’entreprise est

directement liée à son image – en interne comme en externe [Lendrevie, Lindon, Lévy, 2013, pp.

802-808]. Cette définition issue du Mercator suffit à elle-même à justifier l’existence des marques

et expliquer les nombreuses recherches qui portent sur ce sujet.

Le Publicitor va même plus loin, parlant d’un pouvoir d’influencer le consommateur. Ainsi

Kapferer (2007) explique que la marque est liée au risque perçu sur un marché et en dépend. Elle

doit fournir un bénéfice client mais également porter un dessein.

La marque de luxe a une valeur financière, commerciale et de distinction sociale supérieure aux

marques classiques et premium de par le prestige dont elle est porteuse. Les produits – créations – et

rêves qui lui sont associés sont la raison de cet écart de même que l’identité de marque. Mais

comment construire une marque de luxe ?

3.1.Une marque avant tout

3.1.1. De la notoriété à l’image : l’identité de marque

Pour apprendre à construire une marque de luxe, il faut comprendre qu’une marque a des fonctions

et des bénéfices clients, détaillés par Kapferer (2008). La communication permet de faire connaître

les avantages de la marque aux clients et ainsi de les fidéliser. Une communication réussie passe par

la définition d’une identité de marque réussie, faisant découler une notoriété et une image forte.

La notoriété est la capacité de la marque à être présente dans l’esprit du consommateur : elle est

dépendante de la visibilité de la marque. Elle permet de mesurer quantitativement la marque. On

distingue différents types de notoriété :

- Spontanée : la marque est citée spontanément par le consommateur

- « Top of Mind » : la marque est citée en premier parmi un groupement de marques ou vient

spontanément à l’esprit et en premier

- Assistée : le consommateur reconnaît le nom de l’entreprise lorsqu’on lui présente

L’image de la marque est la perception que le consommateur ou le public a d’une marque : sa vision

d’une marque, d’une entreprise, d’un service construite sur la réception et l’interprétation des

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19

signes, symboles, noms émis par la marque ou par l’entreprise. L’image et la notoriété ne sont pas

forcément liées ; une marque peut avoir une bonne notoriété – être connue – mais avoir une

mauvaise image. Par exemple, SNCF a une mauvaise image mais une très forte notoriété. Les

consommateurs y associent le retard et les grèves. Une mauvaise image est difficile à faire oublier

et perdure dans l’esprit du consommateur.

L’identité, à l’inverse, est un concept d’émission [Kapferer, 2008]. Elle est voulue par l’entreprise

là où l’image est subie, car perçue par le consommateur. L’identité permet de définir la marque, sa

mission. Bastien et Kapferer précisent : « l’identité est ce qui donne un sentiment très fort d’unicité

à la marque, une cohérence dans le temps et la nécessaire authenticité qui nourrit la durée », 2013.

Kapferer (2008) explique que la marque a une structure pyramidale : au sommet s’exprime l’idéal

de la marque, sa vision et sa mission. Cet étage est celui de l’ADN, et de la personnalité. Le second

étage est l’espace d’expression du ton et des codes de la marque. Les codes doivent permettre à la

marque de garder sa cohérence et définir une ligne directrice, permettant d’appuyer une vision

unique. Un troisième étage permet de préciser la vision de la marque : ce sont les axes stratégiques.

Pour Toyota, ça sera l’innovation technologique, les « options » fournies d’office et le respect de

l’autre. Pour Michelin, la vision est celle du progrès dans la mobilité [Gilles Auberger, 2014] et les

axes stratégiques seront l’innovation, la libération par l’automobile, la sécurité. Kapferer précise

que « chaque modèle doit être la concrétisation des valeurs de la marque » (2008) d’où le

quatrième étage, celui des produits, directement issu des traits stratégiques. L’expérience et le

sensoriel correspondent au vécu du consommateur et la première expérience qu’il a de la marque.

Cela implique qu’un produit hors du territoire de la marque ne représentera pas correctement ses

valeurs et risque de la desservir.

Figure VIII : Le système de la marque

Page 24: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

20

Source : Le système de la marque, Kapferer, 2008

3.1.2. Construire son identité

Pour Bastien & Kapferer, le succès d’une marque vient avant tout de sa cohérence et donc de la

codification de son identité. Le prisme de l’identité de la marque – inventé par Kapferer – permet

d’analyser une marque en fonction de ses spécificités – extérieures et intérieures – qui font qu’elle

est cette marque. L’identité de la marque repose sur les concepts suivants : un héritage, des racines,

un territoire, des savoir-faire et des codes. En respectant l’identité définie par le prisme et en la

déclinant pour chaque produit, la marque s’assure la cohérence nécessaire à son succès et établit un

territoire, créant ainsi son univers13

.

Figure IX : Le prisme d’identité de marque

Source : Kapferer, 2008

Le sommet du prisme définit la représentation de la marque : le physique et la personnalité.

Le physique de la marque permet de définir la ressemblance nécessaire entre les différents produits

d’une même marque : les codes, les signes, les gestes, couleurs. Un produit doit montrer son

appartenance à la marque même si le logo n’est pas visible. La marque Bjorg mise sur des couleurs

et une écriture reconnaissable. Les produits Apple sont reconnaissables par leur design, la couleur

type, la présentation. Les produits iconiques se retrouvent aussi dans cette catégorie. D’après 13

Le territoire d’une marque est défini par le Mercator comme « les marchés actuels ou potentiels où une marque est

légitime aux yeux des consommateurs », ainsi pour Lendrévie & Lévy, Cartier ne pourrait pas vendre des produits

alimentaires de luxe si ce n’est pas inscrit dans son ADN.

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21

Kapferer, l’imagerie non verbale est d’autant plus importante que le produit a une fonction

symbolique. Les marques de luxe ont un très fort besoin du physique.

La personnalité de marque est définie comme « l’ensemble des caractéristiques humaines associées

à une marque », Aaker (1997). La marque a des traits de caractères typiques – ceux de son créateur

ou ceux construits dans le temps – qui sont humains et permettent un reflet du soi par l’individu.

L’échelle de mesure de personnalité de la marque adaptée par Aaker (1997) distingue des facteurs

généraux qui définissent les traits de la marque (cf. Annexes). L’association de traits de personnalité

humains à une marque permet au consommateur d’exprimer sa perception de soi – self-concept –

apportant ainsi des bénéfices symboliques forts [Vernette, 2003]. De plus, la personnalité permet la

construction de liens humains, émotionnels et affectifs forts avec le consommateur. Dans le luxe,

c’est souvent la personnalité du créateur qui est reprise : Yves Saint Laurent est une marque

impertinente, provocante et inaccessible comme l’homme lui-même ; Chanel est provocante,

élégante et sophistiquée comme Mademoiselle. Ce sont avant tout des marques féminines ou

masculines, avec un caractère dominant : séductrices et distinguées ou indépendantes et assurées.

Elles sont également perçues comme fiables, bien que ce dernier point ne soit pas un critère majeur

d’évaluation par le consommateur [Normand, 2010].

La personnalité de la marque est fortement liée à la perception du consommateur de la marque et

non aux attributs réels des produits. Il est nécessaire de connaître sa personnalité perçue pour

essayer de la contrôler mais sans un ADN clairement exprimé, une marque ne pourra pas tenir sa

personnalité. Les spécificités d’une marque, sans lesquelles elle ne serait plus la même,

correspondent à l’ADN de la marque. Ces invariants sur lesquels la marque ne peut pas transiger

peuvent être de nature physique – conception et fabrication du produit –, esthétique ou même

éthique. C’est également là que l’on retrouve les valeurs de la marque.

La facette relationnelle décrit la relation entre le destinataire de la marque et son émetteur. Elle est

dépendante de la personnalité, de l’ADN et du reflet du client. La marque peut choisir de dominer

son client, comme certaines marques de luxe tentent de le faire.

Le reflet du client et la mentalisation correspondent à la construction du client idéal par la marque :

celle-ci s’adresse à une cible précise et pense à elle dans son expression. Cette construction est un

miroir : intérieur pour la mentalisation et extérieur pour le reflet. Le reflet est l’image des clients

construit par les autres. Ce sont les clients types tels qu’on les imagine. C’est grâce au reflet que la

marque de luxe nourrit le désir et qu’à l’inverse elle peut s’effondrer. La mentalisation est la

représentation de soi par la marque : c’est la création et la valorisation du self-concept. Une marque

de luxe se doit donc de faire correspondre la mentalisation de ses cibles au reflet de ses clients réels.

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22

C’est à cause du reflet mal géré que Lacoste en France et Burberry en Angleterre ne sont plus

perçues comme des marques de luxe mais associées aux jeunes des cités.

3.2.Spécificités de la marque de luxe

La marque de luxe a été définie par Marie-Claude Sicard en 2010 d’après sept concepts : le temps

(ou ancrage à l’héritage et intemporalité), le projet de la marque, les relations de la marque au

destinataire, les postures (comme la supériorité), les normes (et codes) de la marque, son espace de

distribution, le physique de la marque (ou le produit et sa conception). Considérant que « le luxe est

un écart »14

, elle a fixé que, si au minimum quatre des sept curseurs sont au maximum pour une

marque, alors cette marque appartient au luxe.

Figure X : Le clavier des curseurs

Source : Sicard, 2010

La marque de luxe ne cherche pas simplement à définir un positionnement spécifique pour se

différencier dans un univers concurrentiel : elle souhaite faire adhérer à son univers culturel. En

offrant « une élévation de soi à la fois en son for intérieur (la mentalisation de l’individu) et dans

l’image de soi qu’il donne aux autres (le reflet de l’individu), elle contribue à la construction de

l’identité même de ses clients », Bastien & Kapferer, 2013. L’importance de l’identité de marque en

est alors d’autant plus forte.

14

Marie-Claude Sicard explique que le luxe est un écart vers le haut, le bas ou de côté. Ecart vers le haut pour le désir

d’ascension sociale, écart de côté pour le désir de différenciation, et écart vers le bas pour les excès du luxe comme le

porno-chic ou les sommes astronomiques demandées en raison d’un luxe.

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23

3.2.1. Le reflet, source de prestige

Ainsi, le reflet de la marque de luxe a un impact plus important encore que celui d’une marque

traditionnelle. Comme expliqué précédemment, le reflet du client ou la perception qu’un individu a

de la marque (en fonction de l’image que lui renvoient ses clients) en nourrit le caractère. La femme

Chanel n’est pas la même que la femme Gucci ou la femme Yves Saint Laurent : chacune a ses

particularités et cible un type de segment-cible. Le reflet est d’autant plus important à la marque de

luxe qu’il doit lui permettre d’assurer sa cohérence. Si la marque présente de multiples reflets, elle

fragmente le profil de ses clients potentiels et brise l’image qu’elle renvoie : elle n’est plus unique.

Pour sa nouvelle campagne publicitaire, Dove a filmé plusieurs clientes montrant que la marque

s’adressait à toutes les femmes. Ce type de campagne qui fonctionne pour une marque classique ne

fonctionne pas dans le luxe, sous peine de détruire l’image.

Le parfum Miss Dior Chérie reflète des valeurs différentes de Dior J’adore, car il s’adresse à un

public différent. L’un cible la femme sublime, sûre d’elle et élégante, un peu impertinente ; l’autre

est consacrée à la jeune femme, encore innocente mais déjà séductrice. Les deux parfums pourraient

être de deux marques différentes. Reste l’impertinence en commun, lien sans lequel l’image de Dior

se fragmenterait.

3.2.2. La dimension du rêve dans le luxe

Enfin, le prestige de la marque de luxe repose sur sa capacité à créer du rêve par son aptitude à

construire un univers et un idéal. Une marque de luxe doit avoir un potentiel onirique fort et

détacher l’individu du quotidien pour tendre vers un idéal quasiment sacré.

Marques classiques et marques premium se construisent par rapport à un positionnement,

formulation de leur promesse garantie à une clientèle ciblée par rapport aux concurrents. Ainsi,

Panzani propose des pâtes inscrites dans la tradition italienne par opposition à Lustucru qui cible

avant tout la fraicheur des pâtes, et le prix plus accessible. Le positionnement est défini par

Kapferer (2007) comme la pierre angulaire du management de marque. Pour étendre sa part de

marché, une marque doit apporter un plus considéré comme valable aux yeux de la clientèle ciblée.

Cette stratégie n’est pas valable pour le luxe, secteur dans lequel l’identité de marque a été, selon la

littérature, substituée au positionnement. La marque cherche à être unique, différente. Elle ne se

compare pas aux autres marques de luxe : elle navigue dans un autre univers, qu’elle se construit.

Les marques de luxe ne cherchent pas à être supérieures les unes par rapport aux autres si cela nuit à

leur image de marque. Elles préfèrent conserver leur identité, ce qui fait leur unicité. Il ne viendrait

pas à l’esprit d’un consommateur averti de comparer un carré de chez Hermès avec un foulard en

soie Chanel – ou une montre Oméga à une Patek Philippe. Chacun des produits cités a ses

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24

spécificités et une histoire particulière, elle-même liée à l’histoire et l’identité de la marque dont

dépend le produit. C’est parce qu’un client achète le produit d’une marque – et non pas un produit

parmi tant d’autres – que l’image de marque de luxe est à ce point importante. Le client achète un

morceau d’histoire et d’identité d’une marque en laquelle il se reconnait, une culture propre à

travers laquelle il percevra le monde.

Le story-telling permet de raconter cette épopée et l’ancrer à l’Histoire comme l’illustrent Guerlain

et Shalimar ou encore Chanel et Coco Mademoiselle. Le produit de luxe a une raison d’être,

justifiée par une narration qui augmente sa part de rêve. Reposer sur un passé véritable ou création

d’une histoire propre à la marque, peu importe : ce qui compte c’est de développer un univers

permettant de créer le rêve. L’expérientiel et le sensoriel ont aussi leur rôle à jouer dans cette

construction du rêve. Les lieux de vente sont théâtralisés comme les bars à parfums Chanel et Dior,

ou bien les magasins Louis Vuitton. Veuve Clicquot s’invente un passé et Dior s’expose dans un

musée. Bastien & Kapferer considèrent ainsi que le rêve peut être construit grâce à :

- La saga du créateur

- L’épopée du produit et du terroir

- Les clients

- La mise en scène d’un univers et d’une expérience dans les magasins

Le rêve d’une marque de luxe est fonction de l’écart entre le nombre de possesseurs de la marque et

sa notoriété. Cette notion de rêve reprend le concept de Marie-Claude Sicard du luxe comme

créateur d’écart.

SYNTHESE

L’être humain a besoin de s’identifier à des groupes et a une nécessité d’élévation spirituelle et

sociale. Les marques de luxe peuvent répondre à ces besoins en offrant du prestige lié à l’image de

la marque et à la dimension hédoniste du produit.

La cohérence de la marque de luxe – dont l’importance a déjà été soulignée – passe par un respect

de l’identité telle qu’elle est définie par le prisme. Cependant, le paradoxe des marques de luxe est

de savoir rester fidèles à leur héritage sans renoncer à leur modernité et leur rentabilité. Comment

rester source d’inspiration et d’innovation, créer un désir d’élévation de soi, sans perdre son

identité ?

Page 29: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

25

PARTIE II : DE L’EMERGENCE DU LUXE ACCESSIBLE A SON DEVELOPPEMENT

« La démocratisation de quelque chose, c’est-à-dire le fait d’en permettre l’accès à tous n’entraîne

pas forcément sa vulgarisation c’est à dire une perte totale de valeur », Bastien & Kapferer, 2013

La partie précédente nous a permis d’étudier la notion de prestige et de comprendre comment une

marque de luxe pouvait répondre à ce besoin humain, en lui fournissant une satisfaction sociale et

hédoniste. Face à l’évolution des sociétés, et l’accès facilité au prestige, le luxe a dû évoluer et son

marché changer. Cette réflexion nous mène désormais à analyser le marché du luxe aujourd’hui, à

étudier sa clientèle et à comprendre les concepts de luxe inaccessible, intermédiaire et accessible

pour enfin s’intéresser à un type de stratégie de luxe accessible : l’extension de marque.

1. Le marché du luxe aujourd’hui et sa clientèle

1.1. Evolution du marché

Avec l’évolution du marché mondial depuis le XIXème siècle, des changements majeurs sont

apparus, transformant les habitudes de consommation et ouvrant le marché du luxe à des nouveaux

profils de clients.

La première remarque possible, lorsque le marché du luxe est étudié, c’est que celui-ci se porte

bien. C’est l’un des seuls secteurs qui voit son chiffre d’affaires progresser chaque année, même en

période de crise. En 2012, on remarquait une hausse de 10% par rapport à 2011. Bien que 2013 soit

remarquable par sa faible hausse – seulement 2% - le marché continue de progresser. Bain &

Company estime qu’en 2025, le marché mondial des produits de luxe sera cinq fois plus grand

qu’en 1995.

Selon une étude de Bain & Company, le nombre de consommateurs de produits de luxe a plus que

triplé dans le monde en vingt ans. Estimé à 330 millions aujourd’hui, il devrait passer la barre des

400 millions de consommateurs en 2020. Le nombre de millionnaires augmente chaque année,

laissant la place à des opportunités grandissantes pour les marques de luxe.

Les meilleurs clients potentiels au monde – les High Net Worth Individuals (HNWI) – dépassent les

11 millions d’individus. Chacun d’eux possède plus d’un million de dollars en actifs, en excluant la

résidence principale.

Page 30: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

26

Les ultra-riches (ultra HNWI) quant à eux sont 98 000 mais ont un actif supérieur à 30 millions de

dollars : représentant 0,9% des HNWI, ils en possèdent 36,1% de la fortune15

.

Figure XI : Les pays où vivent le plus de millionnaires

Source : Capgemini

Cela est sans compter l’ouverture du marché grâce à la mondialisation et la démocratisation, comme

l’explique Marc-André Kamel, responsable de Bain & Company France : « le marché du luxe entre

dans une nouvelle phase de son évolution. Plus de marchés, plus de segments clients, une plus

grande diversité des goûts, autant de variables supplémentaires avec lesquelles il faudra compter

pour résoudre l’équation de la bonne stratégie de croissance. ». Il faut dire qu’avec un chiffre

d’affaire de 217 milliards d’euros, le secteur du luxe est un marché porteur. De plus, contrairement

au secteur agroalimentaire, dont la part dans les dépenses du ménage français est en baisse continue,

la part du secteur du luxe augmente16

. « Liddl finance Chanel » disent Bastien & Kapferer.

Les secteurs du luxe sont recensés au nombre de huit :

- La joaillerie et la haute-horlogerie

- La haute-couture

- La haute-gastronomie

15

Etude Bain & Cie 2013 et Luxe Oblige p. 165-166 16

Insee, Consommation des ménages 2013

Page 31: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

27

- L’hôtellerie de luxe

- Les parfums et les cosmétiques

- La maroquinerie

- Le prêt à porter

- Les arts de la table

Figure XII : Ventilation des ventes dans le secteur du luxe en 2013

Source : Bains & Co, estimation sur les chiffres de 2013

La ventilation des ventes du luxe permet de comprendre qu’aujourd’hui le luxe ne se consacre pas

qu’à un seul secteur cependant les ventes concernent principalement des produits issus du luxe

accessible.

De plus, les données issues de Forbes (2011) montrent que l’évolution des niveaux de vie entre

classe moyenne et classe supérieure n’est pas similaire, conduisant à une augmentation de l’écart.

28%

20% 23%

25%

4%

UNE VENTILATION DES VENTES ÉQUILIBRÉE

Parfums et cosmétiques

Maroquinerie et chaussures

Montres, joaillerie

Prêt à porter

Autres

217 milliards

Page 32: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

28

1976 1983 1994 2000 2007 2010

Cost of living

extremely well

100 200 400 500 772 910

Cost of living :

consumer

price index

100 160 250 300 385 400

Figure XIII : Comparaison de la croissance du coût de vie des très riches avec le coût moyen de vie

Source : Forbes, 2011, Bastien & Kapferer, 2013

1.2. Conséquence de la démocratisation et mondialisation

Les changements ayant amené l’accessibilité du luxe sont tout d’abord, pour Bastien & Kapferer

(2013), la démocratisation progressive du monde économique. Passant de monarchies établies ou

dictatures où la distinction sociale était clairement avérée et visible, les sociétés sont devenues

démocratiques, ouvrant l’univers des possibles en termes d’évolution sociale. La naissance ne

définit plus l’avenir d’un individu. Tout au plus pose-t-elle des conditions de début de vie plus

difficiles. Chacun peut espérer réussir et s’élever socialement. La démocratie a également été

accompagnée d’une suppression des privilèges liés à la naissance : le privilège de porter du parfum

ou même certains tissus considérés comme royaux ou réservés à une élite a été aboli en même

temps que les oligarchies. La méritocratie a fait disparaître les privilèges écrits d’une élite, en même

temps que la définition précise de classes sociales.

La hausse notable du pouvoir d’achat depuis les années 1950 est liée aux progrès technologiques et

à la baisse des coûts manufacturés augmentant la possibilité de consommer. Depuis les années

1980, la consommation du luxe a explosé - +10% chaque année - renforçant la déstructuration de la

société : en économisant, un individu peut espérer acheter du luxe, fait impensable au XIXème

siècle. Non seulement il peut espérer avoir les moyens de l’acheter, mais s’il le fait, il

n’outrepassera pas ses droits en accédant à un privilège.

Avec la démocratisation et la technologie est venue la mondialisation. Celle-ci favorise les échanges

permettant de produire en Chine des produits conçus dans la Silicon Valley et revendus en France.

Les interactions entre les peuples sont devenues plus aisées : les échanges sont rapides – on peut

faire le tour du monde en quelques heures – et des projets entre plusieurs pays sont régulièrement

mis au jour – on se souviendra du Concorde, mais également des Airbus construits par l’Europe. La

Page 33: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

29

délocalisation a également permis une baisse significative des coûts de la main d’œuvre, issue des

pays en développement. Il est possible d’acheter plus pour un prix équivalent. Cependant, ces

échanges culturels multiplient la perte d’identité et de repères – de l’individu qui appartient à

l’Europe, au monde, à son pays ou du produit qui vient d’un peu partout dans le monde. L’humain

ne peut supporter d’appartenir à un tout indifférent décrit comme l’indifférenciation sociale par

Hobbes dans le Léviathan (1651).

Ces transformations historiques et culturelles sont une opportunité formidable pour le luxe qui de

par son appartenance à une culture et son rôle de différenciateur social recrée des strates au sein de

la société, comme nous l’avons vu dans la définition du luxe. Toutefois, ces mêmes changements

constituent une menace à cause de l’élargissement de la base de clientèle du luxe avec la hausse du

pouvoir d’achat et la démocratisation sociale.

1.3. Evolution de la clientèle

« Les clients du luxe d’aujourd’hui sont différents : ils doivent être surpris, émoustillés, captivés,

courtisés, choyés et constamment satisfaits », Okonkwo, 2007, p.60

Cette évolution du marché a impacté les comportements des clients de luxe. La littérature est

formelle, les mentalités ont changé17

.

La hausse du pouvoir d’achat a amené l’apparition d’une société de consommation du plaisir,

permettant l’accès aux dépenses de loisirs. Pour Allérès, « les actes de consommation traduisent

davantage la recherche de plaisir, le désir narcissique de chaque individu de flatter son

imaginaire », 2005. C’est aussi la conclusion de Dubois & Laurent sur l’étude menée en 1999 et

conduisant à appeler ce type de clientèle les « excursionnistes ». De fait, ceux-ci attendent d’une

marque de luxe :

- Une qualité exceptionnelle,

- Un prix élevé pour refléter l’achat inhabituel,

- Une certitude de rareté et exclusivité,

- Un produit intemporel s’inscrivant dans une histoire,

- Une expérience pluri sensorielle,

- De la futilité et du superflu apportant du rêve.

Les nouvelles attentes du consommateur sont l’affectif et l’esthétique du produit, faisant découler

de nouveaux comportements : des clients éclectiques aux valeurs hédonistes [Chevalier &

Mazzalovo, 2011] accordant une importance forte au développement personnel.

17

Cf. : Danièle Allèrés, Bastien & Kapferer, Marie-Claude Sicard

Page 34: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

30

Face à cette quête hédoniste, l’élite cherche à maintenir l’écart social par une fuite en avant :

l’innovation et l’originalité des produits sont alors recherchées, par opposition aux consommateurs

suiveurs. L’élite a une consommation audacieuse, tournée vers l’intimiste, la rareté et la création

d’un mythe alors que la démocratisation des produits démystifie la marque. « Le luxe des classes

nanties est la recherche et le culte permanent de la PPDM (plus petite différence marginale) :

rechercher les petits différences qualitatives par lesquelles se signalent le style et le statut », Jean

Baudrillard (1970).

Figure XIV : L’acte d’achat en fonction du type de consommateur

Source : Gilles Auberger

Ainsi, on observe des comportements différents de consommation en fonction de l’attente du client

définissant des styles de vie différents. La segmentation se fait alors en opposant qualité du produit

et présence du logo, authenticité et histoire, ou encore individualisation et intégration.

Bastien & Kapferer ont également analysé des types de comportements en fonction de la rupture

voulue par l’achat de luxe : la disruption pour se distinguer des autres ou s’intégrer dans un monde

aspirationnel, préférer le produit pour ce qu’il est ou choisir l’emblème social (cf. Annexes).

2. La stratégie marketing du luxe accessible

La réussite d’une extension de marque passe avant tout par la cohérence de la marque avec son

identité et son ADN, comme défini dans la première partie. Géraldine Michel ajoute même :

« L'identité de la marque, les valeurs de la nouvelle catégorie de produit, puis l'image du produit en

extension de marque. Une extension réussie repose ainsi sur les liens entre ces trois éléments. D'abord, la

cohérence entre l'identité de la marque et l'image de l'extension. Ensuite, la pertinence de cette identité avec

les valeurs de la nouvelle catégorie de produit. Enfin, sur la valeur ajoutée que l'extension peut apporter à

Page 35: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

31

cette nouvelle catégorie », 2004. De fait, Bastien & Kapferer ont analysé le potentiel d’extension

d’une marque de luxe en fonction de ce qui fait la marque : le produit, le savoir-faire, la catégorie,

les attributs, l’univers et les valeurs. Plus la marque apporte une différenciation et une

personnification sociale – tout en proposant des valeurs, une histoire, un héritage et un savoir-faire

– plus elle pourra s’étendre. Une stratégie spécifique doit alors être mise en place, mais seule une

marque de luxe dont le centre de gravité s’élève pourra voir son extension (Bastien & Kapferer,

2013).

Figure XV : Potentiel d’extension d’une marque en fonction de son centre de gravité

Source : Bastien & Kapferer, 2013

2.1. Les deux modèles stratégiques du luxe

Le premier business modèle du luxe est d’origine européenne. Il est décrit comme le modèle

pyramidal par Marie-Claude Sicard (2010). Ce modèle est fondé sur une image noble et porteuse,

déclinée pour être accessible au peuple : la créativité inspire toute la pyramide. La hiérarchie se

construit en diffusant l’énergie créative et le prestige.

Page 36: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

32

Figure XVI : Le modèle de la pyramide

Source : Sicard, 2010

L’illustration de ce modèle peut être trouvée dans les maisons de haute-couture qui créent une

exclusivité indéniable avec des robes uniques déclinant ensuite des lignes de prêt à porter

accessible. Le rêve provient du sommet. Cartier et Dior se sont également construits sur ce modèle.

Cependant certains produits déclinés peuvent ne plus être du luxe.

Face à ce modèle, Marie-Claude Sicard décrit le modèle dit de la galaxie, où chaque secteur se

construit autour d’une vision portée par le créateur, mais sans hiérarchie contrairement à la structure

pyramidale. Chaque produit est traité sur un pied d’égalité et participe à la construction d’un

univers.

Page 37: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

33

Figure XVII : Le modèle de la galaxie

Source : Sicard, 2010

Contrairement à la pyramide, la galaxie ne définit pas un territoire à partir d’un produit précis, mais

définit un univers qui peut s’étendre. Les extensions de marque sont plus aisément justifiables et

légitimes que dans la pyramide, plus adaptée aux extensions de gamme. Certaines marques de luxe

comme Chanel ou Hermès ont bâti leur stratégie sur un mélange des deux modèles : la Haute-

Horlogerie Chanel est constituée de véritables montres créées au sein de la Maison Chanel et non

pas licenciées, et sont déclinables en prix ; la Haute-Couture propose des lignes de prêt à porter.

Chaque univers suit le modèle de la pyramide mais tout est construit autour d’un univers précis,

pour conserver la cohérence.

2.2. Luxe inaccessible, intermédiaire et accessible

Le terme de luxe est d’autant plus flou que les notions de premium, haut de gamme et mode lui font

concurrence, sans parler de l’apparition de « l’hyperluxe », ainsi que des notions de luxe

inaccessible, intermédiaire et accessible [Allérès, 2005]. Bain & Company reprennent cette

stratification sous les dénominations de luxe accessible, luxe aspirationnel et luxe absolu.

Créateur

Parfums et cosmétiques

Arts de la table

Prêt à porter

Maroquinerie

Page 38: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

34

Figure XVIII : Hiérarchie des objets de luxe

Source : Danièle Allérès, 2005

L’annexe 5 permet de comprendre les différents types de luxe en fonction de sa clientèle, ses

produits types et les motivations de la clientèle.

3. Le luxe accessible par les extensions de marques

« Avant tout projet d’extension, on doit mener une étude dite de fond de marque pour comprendre

le sens profond de la marque, clarifier son prisme identitaire et en particulier la facette culturelle

de celui-ci », Bastien & Kapferer, 2013

3.1. Définition et concepts

Le développement de l’offre de produits et de services proposée par une marque s’appelle stratégie

d’extension. Profitant de la renommée d’une marque ou d’un produit, la stratégie d’extension

permet d’en lancer de nouveaux à moindre coûts – financiers et humains. En effet, le lancement

d’une nouvelle marque et sa promotion – communication et notoriété – constitue un budget

important pour une entreprise [Aaker, 1997]. Le client ayant tendance à acheter un produit ou une

marque qu’il connaît [Dimitriadis, 1993], s’appuyer sur une marque existante pour proposer une

nouvelle offre est une stratégie reconnue et efficace.

Luxe inaccessible (modèles)

Luxe intermédiaire (reproduction des modèles)

Luxe accessible (objets de série)

Page 39: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

35

L’extension s’appuie sur la maîtrise d’un réseau de distribution, d’un savoir-faire technique ou de la

légitimité de la marque sur un territoire. L’entreprise peut ainsi choisir d’étendre son champ de

compétences ou d’étendre sa marque. Les différents types d’extensions sont recensés dans le

tableau ci-après.

Figure XIX : Les différents types d’extensions

Catégorie de

produits

Marque

Existante Nouvelle

Existante Extension de gamme Extension de marque

Nouvelle Marques multiples Nouvelles marques

Source : Michel (2000)

La stratégie de marques multiples correspond au lancement d’une nouvelle marque dans un marché

sur lequel l’entreprise est déjà présente mais avec une autre catégorie de produits. Ses produits se

font alors concurrence, comme les différents produits laitiers-santé Danone, avec les marques

Activia, Danacol et Taillefine. Le risque de cannibalisme étant fort, le luxe utilise peu cette

stratégie.

La stratégie de lancement de nouvelles marques consiste à créer une nouvelle marque, sur un

nouveau marché. Cette solution concerne peu les marques de luxe.

Les deux stratégies de marque du luxe sont l’extension de gamme et l’extension de marque,

chacune correspondant à l’un des modèles définis et décrits précédemment : l’architecture

galactique ou l’architecture pyramidale de la marque.

Extension de gamme et extension de marque sont souvent décrites de manière similaire dans la

littérature [Aaker, 1990 ; Lendrévie & Levy, 2013] créant une réelle confusion. Cegarra et Merunka

(1993) considèrent que l’extension de marque se distingue de l’extension de gamme grâce à la

nature et la fonction du produit lancé. Ainsi en extension de marque, la fonction et la nature du

nouveau produit sont fondamentalement différentes des produits existants alors que l’extension de

gamme propose un produit soit de nature soit de fonction différente – mais pas les deux à la fois.

Page 40: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

36

3.1.1. Extension de marque

L’extension de marque correspond à l’élargissement du territoire d’une marque vers une nouvelle

catégorie de produits18

. Elle consiste à lancer un nouveau produit (extension) dans un nouveau

marché – une catégorie de produits différente de la catégorie de produits vendus – en utilisant une

marque existante (marque-mère) [Aaker & Keller, 1990]. Il s’agit pour la marque d’acquérir une

nouvelle compétence, sans toucher directement au prix ni à la qualité des produits. Ce type

d’élargissement permet à la marque d’apparaître dans les divers univers de la vie du client,

représenté par le modèle de la galaxie.

Lendrévie & Lévy (2013) distinguent deux types d’extension de marque :

- l’extension de marque continue

- l’extension de marque discontinue

L’extension de marque continue utilise les savoir-faire et les compétences acquises de la marque

pour créer un nouveau produit, comme Baccarat proposant des bijoux en cristal après avoir été

spécialisé dans les arts de la table. A contrario, dans le cadre d’une extension discontinue, la marque

occupe des marchés totalement différents. Le cœur de métier de Ralph Lauren est le prêt à porter.

Le créateur a ensuite décliné sa marque en développant une gamme de décoration intérieure, de

petite maroquinerie, de soins du corps… De la même façon, Hermès, bien qu’étant à l’origine un

sellier, s’est reconverti en produisant tout d’abord de la maroquinerie – extension continue –, puis

de la soie et des parfums – extension discontinue.

3.1.2. Extension de gamme

L’extension de gamme consiste à développer l’offre de produits sur un même domaine de produits.

Il s’agit d’enrichir une catégorie existante afin d’augmenter la visibilité de la marque pour le produit

considéré – augmentation du linéaire. On distingue extension de gamme et complément de gamme,

bien que ces deux notions soient souvent confondues. Le complément de gamme n’affecte pas de

manière directe la nature ou la fonction du produit. Le produit changera en goût, en format, en

couleur : comme les eye-liners noirs, kaki, brun, taupe chez Chanel. L’extension de gamme

proposera deux types de produits : soit des produits de nature différente mais de fonction identique,

soit des produits de fonction différente et de nature identique. Le second cas permet de toucher une

cible différente du cœur de cible [Cegarra & Merunka, 1993].

Il existe deux types d’extensions de gamme :

18

Lendrevie & Levy (2013) ; Cegarra et Merunka (1993)

Page 41: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

37

- l’extension verticale

- l’extension horizontale

L’extension horizontale vise à étendre le nombre de produits au sein d’une gamme. Ceux-ci auront

un prix et une qualité similaire mais des caractéristiques différentes.

Dans l’extension verticale, les nouveaux produits sont proposés à des niveaux de prix et de qualités

très différents de l’offre initiale, afin de créer une véritable distinction. L’extension verticale peut

être faite vers le haut ou vers le bas, dans une stratégie d’accessibilité. Le luxe utilise ces deux

stratégies : les MUST de Cartier, lancés en 1973, répondent à un désir de pénétrer une cible moins

aisée et occasionnelle – les « excursionnistes » décrits par Dubois & Laurent19

; à l’inverse, Armani

a lancé la marque Armani Privè afin de séduire une clientèle élitiste et conserver un écart avec la

clientèle occasionnelle. L’extension vers le haut permet également à la marque de luxe de recréer

des barrières à l’entrée par le prix et la création d’un univers culturel ; Armani a ainsi ouvert un

hôtel à Dubaï en 2010, dans la tour la plus haute du monde.

3.2. Enjeux

L’enjeu principal de l’extension vers le bas est d’accroître le volume des ventes – en réalisant des

économies d’échelle [Aaker, 1997] ainsi que la conquête d’une nouvelle cible qui n’a actuellement

pas les moyens financiers d’acquérir la marque – avec à terme l’objectif d’augmenter le panier

moyen (somme dépensée par achat) [Kirmani et al., 1997]. C’est la stratégie suivie par Cartier, qui

augmente peu à peu les prix des MUST en les intégrant à sa collection de joaillerie.

L’extension vers le haut permet de (re)séduire le cœur de cible, une clientèle élitiste qui doit être

convaincue que la marque de luxe est la plus appropriée pour elle.

De plus, les occasions de plus en plus rares de porter les robes de haute-couture et de la haute-

joaillerie ont conduit les marques de luxe comme Chanel ou Mellerio à se reconvertir vers des

secteurs plus porteurs, sous peine de disparaître. Cette stratégie de diversification et d’extension de

marque est considérée comme nécessaire dans un monde où le luxe fait face aux produits premium

et haut de gamme.

19

Bastien & Kapferer, Luxe Oblige, 2013. 2ème

édition. Paris : Eyrolles. p166

Page 42: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

38

3.2.1. Occuper le terrain et perdurer

L’extension discontinue de gamme permet à une marque d’étendre son territoire et en conséquent

d’être plus présente. Elle augmente son chiffre d’affaires potentiel et sa notoriété.

Mais avant tout, la marque s’assure que le territoire conquis ne pourra pas l’être pas une autre. Si un

territoire n’est pas occupé, il est pris par un concurrent. Lorsque Cartier avait choisi de vendre des

cigarettes, il s’était assuré d’être présent sur le marché des cigarettes de luxe, comme Malboro ou

Dunhill avant lui. Mais à l’inverse de ses concurrents, Cartier a maîtrisé sa distribution et ses prix,

afin de rester une marque de luxe. Les étuis Cartier sont aussi une autre occasion de valoriser la

maîtrise du travail des métaux, par le célèbre joaillier.

De plus, si le domaine d’une marque de luxe n’est plus rentable ou en disparition, l’extension lui

permet de se repositionner pour acquérir une légitimité dans un autre domaine. Fendi, qui était dans

la fourrure, a su survivre grâce à sa reconversion, en proposant de la haute-couture ; de même que

Hermès à l’origine dans la sellerie, s’est tourné vers la soierie. L’extension permet alors à la marque

de luxe de s’adapter à un marché concurrentiel mouvant.

3.2.2. Développer sa notoriété et sa clientèle

Pour Thiébault de La Rivière, ancien directeur de Lancel et actuel directeur de Sup de Luxe, la

problématique actuelle – autour du luxe qui s’émancipe et s’adapte à la société (se démocratise) en

risquant la vulgarisation – n’en est pas une. Selon lui, les marques doivent « aller chercher de

nouveaux clients, les nouveaux riches et les bourgeois, qui sont une source d’inspiration et un

potentiel extraordinaire ». Développer la marque, c’est alors séduire de nouveaux consommateurs

et élargir la cible. Ces nouveaux clients pourront pénétrer l’univers de la marque et s’intéresser à

d’autres produits : l’intérêt de l’extension est alors de permettre à des clients occasionnels de

découvrir la marque, son univers, de tester sa qualité et ses valeurs – à un coût moindre qu’avec un

produit de luxe. Si le client est conquis, il aura tendance à revenir vers la marque. C’est ainsi qu’un

client ayant acheté un portefeuille Louis Vuitton aura tendance à acheter un sac Louis Vuitton par la

suite. Il peut s’agir de proposer des produits plus accessibles, permettant de faire connaître la

marque, ou de proposer une gamme de produits s’adressant à une autre cible. La gamme Epi de

Louis Vuitton répondait au besoin pour la marque de se rajeunir et séduire une cible citadine – le

voyage urbain. En fixant un prix de base 50% supérieur à la gamme Monogram, cœur de marque de

Louis Vuitton, la marque de luxe ne revoyait pas ses critères de segmentation à la baisse. La gamme

Epi correspond à un public différent et n’a pas cannibalisé la gamme Monogram : au contraire, les

ventes ont même augmenté. La gamme Epi a permis de faire connaître Louis Vuitton et sa qualité

[Bastien & Kapferer, 2013]. De la même façon, Chanel qu’on associe à la femme sophistiquée,

Page 43: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

39

indépendante et glamour a lancé en 2008 la gamme de montres J12 - afin de séduire une clientèle

masculine.

Enfin, en permettant à une clientèle occasionnelle de découvrir le luxe, les marques de luxe

entretiennent le rêve : elles augmentent leur notoriété et valorisent ainsi leurs clients les plus riches.

Une marque totalement inaccessible n’est ni connue ni reconnue et ne remplit donc pas de fonction

sociale pour son consommateur. La marque de luxe ne doit pas devenir accessible à tous – au risque

de perdre son rôle de différenciateur social – mais doit être suffisamment connue pour qu’on

reconnaisse la signification de sa possession. Cela peut passer par l’accessibilité. Ainsi, une montre

Swatch n’est pas une montre de luxe, car bien que connue de tous, elle est accessible. En revanche,

une Rolex continue de faire rêver car – même s’il est possible pour un client plus modeste d’en

acheter une un jour – sa valeur étant connue, elle valorise son porteur.

3.2.3. Développer le chiffre d’affaires et stabiliser la marque

L’extension de marque a pour but premier le développement du chiffre d’affaires et de la marge

produite, en limitant les risques. La réutilisation d’une marque connue rassure le consommateur qui

accepte d’acheter le produit. En effet, selon Mc Kinsey, « cette pratique a un impact direct sur les

performances boursières; les groupes qui l’utilisent ont vu leur capitalisation progresser de 5%

contre seulement 0,5% pour les autres », preuve de l’augmentation du chiffre d’affaires.

Dans le cas du luxe, l’extension de marque permet d’atteindre une population dont le panier moyen

de consommation sera sûrement moins élevé que celui de sa clientèle habituelle, mais dont le

nombre compense largement la différence. De fait, les parfums les plus chers au monde – plusieurs

milliers d’euros – ne sont pas ceux qui rapportent le plus : leur rareté et leur prix exorbitant limitent

leur distribution. D’un autre côté, Coco Mademoiselle – parfum le plus vendu dans le monde en

201220

– a permis à Chanel de séduire une nouvelle cible et redévelopper son chiffre d’affaire alors

que N°5 n’était plus aussi rentable.

L’extension de gamme permet également à la marque d’éviter la faillite. Rentabiliser l’image de

marque en conservant une activité de haute-couture tout en proposant des produits dérivés

accessibles est la solution adaptée par Dior, Yves Saint Laurent et Chanel. Le domaine des

accessoires et de la cosmétique sont souvent les lieux privilégiés des extensions de gamme du luxe

du fait de leur forte rentabilité : un parfum Dior se vend en moyenne 30% au-dessus du marché –

soit 70€ pour J’adore, face aux 55€ d’un jus non-luxe. Il s’agit alors de lancer des produits de série,

en s’appuyant sur le rayonnement de la marque qu’il faut alors récréer en permanence en

maintenant son prestige et sa créativité, comme l’explique Kapferer (2007).

20

Thiébault Dromar, « Le top 10 des parfums les plus vendus en France », Challenges, 15 février 2013

Page 44: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

40

4. Les risques pour le luxe

L’extension de marque semble être une solution idéale pour l’entreprise qui souhaite à la fois

augmenter sa notoriété, son chiffre d’affaire et ses compétences. Cependant, Géraldine Michel

explique que : « la stratégie d'extension de marque consiste à transposer les valeurs fondamentales

de la marque sur une nouvelle catégorie de produits (nature et fonction différentes par rapport aux

catégories de produits originelles de la marque), ce qui implique la création d'une nouvelle

légitimité de la marque et des risques importants pour la marque. »21

Ce sont ces risques que nous

allons à présent étudier. Le risque principal est la perte de l’image de marque, noyée par les

nouvelles gammes, ainsi que l’explique Ingarao : « la modification des niveaux de qualité et de prix

d’une marque implique, pour les consommateurs, des efforts d’accommodation accompagnés d’un

raisonnement de catégorisation complexe qui entraînent une dilution de l’image de marque.

L’extension vers le bas, tout comme l’extension vers le haut, engendre ainsi une dilution de la

marque » (2010). Ce risque est lié à la perte de cohérence et à la perte de la créativité de la marque :

son identité et son positionnement.

4.1. La perte de cohérence et légitimité

La marque est basée sur la cohérence. Elle traduit une identité, un esprit, une ADN qui lui est

propre [Bastien & Kapferer, 2013]. Elle porte des valeurs qui peuvent justifier son extension aux

yeux des consommateurs : c’est la définition du territoire de la marque. Cela implique que le

nouveau produit doit être porteur de la marque et de cette cohérence. De son côté, le produit peut

être porteur d’une image propre. Cette image-produit doit également être en adhésion avec la

marque.

Bic est une marque reconnue pour sa maîtrise du plastique. La marque a commencé une extension

continue en proposant des rasoirs jetables, des briquets et même des téléphones portables. En 1988,

elle lance des parfums jetables vendus en bar-tabac. Bien qu’innovant et basé sur une technologie

que la marque maîtrisait, le nouveau produit est un échec. Bic le retire du marché. Que s’est-il

passé ? Les stylos Bic sont associés à une notion de jetable, de pratique, utile et bon marché. Le

parfum est associé à l’agréable, au reflet de soi et à un certain prix. Les deux images – marque et

produit – n’étaient pas cohérentes et n’ont pas permis au client de croire au produit. Cependant la

21

Géraldine Michel, La stratégie d’extension de marque, 2000. Paris : Vuibert

Page 45: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

41

marque Bic elle-même n’a pas pâti de cet échec puisque le produit lancé était cohérent avec ses

valeurs.

Dans le luxe, la marque est d’autant plus importante qu’elle est porteuse de sa capacité à produire la

distinction sociale. Le produit ne doit pas contredire la marque sous peine d’en faire pâtir l’image et

l’univers : ainsi le parfum Barbara Bui n’a pas eu le succès escompté car les consommateurs ne

l’ont pas jugé légitime, de même que la maroquinerie Cartier ou Lalique.

4.2. La sortie du luxe

4.2.1. Perte de créativité

Pour Bastien et Kapferer, l’un des autres grands désavantages de l’extension de la marque est le

risque d’être pris dans son propre jeu : une marque de luxe doit être innovante, créative et avant-

gardiste. Or la stratégie d’extension est une stratégie marketing qui se base majoritairement sur des

écoutes de marché et des études du comportement du consommateur. C’est ce dernier qui va en

partie créer le produit : le produit doit à coup sûr satisfaire un besoin afin d’être acheté et générer du

chiffre d’affaire. C’est ainsi que la plupart des parfums se ressemblent aujourd’hui, afin de plaire au

plus grand nombre de consommateurs possibles ; cependant, les jus créés sont fades et se

distinguent peu les uns des autres. De même, dans le prêt à porter, la créativité est limitée par les

consommateurs qui recherchent avant tout des vêtements pratiques à porter et à laver : le cachemire

disparaît au profit du coton. Cette sélection de publicités des parfums Chanel, Dior et Yves Saint

Laurent montre combien la perte de la créativité détruit ce qui faisait l’unicité de la marque.

Page 46: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

42

Les égéries Chanel, Dior et Yves Saint Laurent sont toutes trois incarnées par des personnages

virils, sauvages et représentés en noir et blanc.

4.2.2. Perte de la cible primaire

La perte de cohérence d’une marque passe aussi par la perte de sa cible primaire, qui ne se reconnaît

plus dans la marque. La modification du niveau de prix et de qualité engendrée par une stratégie de

marque verticale vers le bas risque tout particulièrement de diluer l’image de la marque, de même

que son capital-marque [Aaker, 1996]. Le lancement sur le marché d’un produit moins onéreux que

le précédent nuit au prestige de la marque, selon Kim & Lavack (1996), diminuant le statut social

des actuels possesseurs de la marque. L’accès au plus grand nombre créé un risque de dilution. Une

extension de gamme verticale vers le bas diminue forcément le prix d’achat. Comme les

consommateurs associent le prestige au prix [Park et al., 1986 ; Petroshius & Monroe, 1987], la

baisse du prix influe directement sur l’image de la marque. Lorsque Ford rachète Jaguar en 1989

puis Aston Martins afin de créer PAG – Premier Automobile Group -, le groupe décide d’appliquer

une stratégie d’extension vers le bas à Jaguar. La voiture serait désormais accessible à un public de

classe moyenne, grâce à la rationalisation du processus de production – utilisation de pièces

motorisées Ford Mondeo – et la définition d’un modèle plus petit. L’aura de la marque n’a pas suffi

à la sauver de la faillite. En effet, en changeant le produit et détruisant ce qui faisait Jaguar – le

moteur, le socle – Ford a détourné les clients initiaux de la marque, qui ne veulent voir ni des Jaguar

partout dans la rue22

ni la qualité détournée au profit de la quantité.

4.2.3. Déficit de rêve

Le déficit de rêve d’une marque vient de la perte de l’écart entre l’élite et la clientèle accédant au

luxe. Plus le luxe est accessible, plus il est diffusé, plus le risque est grand de perdre son potentiel

de rêve. Comme l’explique Bastien & Kapferer : « pour les marques de luxe en revanche, la

diffusion perçue tue le rêve via la perte d’exclusivité, donc la perte du ressort social du luxe et de la

tension du désir de l’autre ».

22

Bastien & Kapferer, p228

Page 47: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

43

Figure XX : Manager l’équilibre du rêve, entre notoriété et diffusion

Source : Bastien & Kapferer, Luxe Oblige

Lorsque Pierre Cardin a commencé à commercialiser des parfums en grandes et moyennes surfaces

(GMS), sa clientèle habituelle s’est détournée de lui, car ne se sentant plus en phase avec une

marque disponible à tous.

Ingarao précise d’ailleurs, que « plus particulièrement, l’extension de circuit de distribution de la

marque sélective vers une enseigne de distribution intensive fait évoluer l’image de la marque en

témoignant de la volonté de la marque de se démocratiser et de devenir accessible au grand

public » (2010).

Le lancement de marques-fille limite ces risques en permettant à la marque de lancer une extension

avec un prix différent, une cible différente et un nom suffisamment distinct de la marque-mère pour

qu’on ne les confonde pas – tout en bénéficiant de l’aura de la marque-mère. C’est exactement ce

qu’Armani fait avec Armani Privè, Armani Jeans, Giorgio Armani, … de même que Ralph Laurens

propose Purple Label, Polo Ralph Lauren ou Ralph Laurens Collection. Dior et Chanel ont aussi

nommé leurs extensions orientées cosmétiques actives – Dior Science et Chanel Précision – afin de

se détacher de la notion de rêve portée par les marques-mères pour paraître plus crédibles.

5. Autres stratégies de marque : co-branding

D’autres stratégies de marque existent, telles que le co-branding ou les licences. Le choix a été fait

de ne pas traiter des licences dans ce travail, considérant que les marques de luxe utilisent peu ce

100%

0%

% Notoriété % Pénétration

Valeur de rêve Déficit de rêve

Page 48: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

44

procédé, sous risque d’être très vite déclassées – la licence conduit à la perte de contrôle sur son

image de marque et la qualité du produit. Le co-branding est une stratégie consistant à associer deux

marques connues pour créer un produit nouveau. Le but est d’intéresser la cible habituelle de la

marque A à la marque B, qui va alors bénéficier de son prestige. Ainsi, Cartier et Ferrari ont

travaillé ensemble sur une montre Ferrari produite par Cartier, avec l’espoir que les clients Ferrari

achèteraient ainsi un produit Cartier et découvriraient sa qualité – dans l’idée de les pousser à

renouveler leur achat au sein de la marque. D’un autre côté, Ferrari espérait remonter son prestige

en s’associant à Cartier. Le partenariat a été rompu suite à l’utilisation intensive de licences par

Ferrari. Depuis la marque automobile s’est associée à Hublot pour les montres.

Dans d’autres situations, c’est une marque de luxe qui s’associe à une marque de marché, comme

Karl Lagerfeld for H and M ou Sonia Rykiel pour H&M. Ainsi, en 2007, à l’occasion du lancement

de la ligne TGV Est, Christian Lacroix, artiste de mode, créé le design intérieur des TGV, de même

que la tenue des agents SNCF. Ce partenariat avait pour but d’améliorer l’image de marque TGV

liée, pour l’opinion publique, à des retards incessants et de trop nombreuses grèves. Au départ, un

effet de surprise a été créé. Perçue comme une marque qui valorisait le savoir-faire français et

permettait à ses clients de voyager dans un univers luxueux, l’image de SNCF a été revue à la

hausse.

SYNTHESE

Une forte identité de marque, porteuse d’un univers et d’une vision du monde, explique la

possibilité pour les marques de luxe d’étendre leur territoire23. Contrairement au marketing

classique, où la marque est liée au produit – lancée au même moment et cantonnée à une expertise

de métier – la marque de luxe peut accumuler les expertises. Le cas Chanel l’illustre bien : haute-

couture, parfumerie, cosmétiques lancée par Mademoiselle elle-même dès 1920 puis maroquinerie,

soulier, haute-joaillerie, haute-horlogerie. Cela leur permet d’augmenter leur puissance onirique en

développant leur notoriété. Sans notoriété, il n’y a pas de reconnaissance sociale et en conséquent

pas de prestige. Cela implique qu’une marque de luxe doit mener un minimum de communication et

d’extension tout en gérant les risques de dilution d’identité. Cependant que penser de la volonté de

Louis Vuitton de lancer son parfum, lancement sans cesse repoussé et prévu en 2016 ? Permettra-t-

il à la marque de développer sa clientèle ou ne risque-t-il pas plutôt de détacher ses clients fidèles de

la marque ?

23

Bastien & Kapferer, 2013 ; Allérès, 2005 ; Sicard, 2010

Page 49: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

45

Figure XXI : Equilibre des produits et des gammes dans une marque de luxe

Source : Bastien & Kapferer, 2013

Le créateur

Valeurs de la

marque

Toujours plus haut pour

la beauté du geste

Jeux avec

l’icône et

réinvention

Lignes pour ouvrir

la marque

Surprises

créatives,

séries limitées

Page 50: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

46

PARTIE III : LE PRODUIT, PORTEUR DU PRESTIGE DE LA MARQUE DE LUXE ?

Les parties précédentes ont permis d’établir d’une part que l’être humain a un besoin naturel et

social de prestige avec un désir d’ascension sociale et une nécessité de hiérarchie, que la notion de

luxe et la marque de luxe permettent de satisfaire ce besoin ; d’autre part, que l’évolution de la

consommation et du niveau de vie liée à la stratégie d’extension de marques ont amené la

démocratisation du luxe et la disparition relative du prestige des marques. En effet, même si le

prestige d’une marque est fonction de sa notoriété, une trop forte diffusion de la marque détruit son

potentiel de rêve en réduisant l’écart. Bastien et Kapferer précisent ainsi que : « pour les marques

de luxe, la diffusion tue le rêve via la perte d’exclusivité, donc la perte du ressort social du luxe et

de la tension de désir de l’autre », 2013. Cette partie en suggérant des pistes de réflexion devrait

permettre aux marques de luxe d’être pérennes dans ce secteur en conservant leur clientèle

primaire : les High Net Worth Income (HNWI).

1. Méthodologie

Afin de mener ce travail, il s’agissait de suivre un raisonnement scientifique en commençant dans

une première partie par récolter de l’information secondaire. Cette recherche documentaire a permis

une analyse des concepts clés : la notion de prestige, la marque et son image, l’extension d’une

marque. Après collecte de l’information grâce à une revue de la littérature existante et une analyse

des données externes à l’entreprise issues des études Bain & Company, CapGemini et de l’INSEE,

il a semblé pertinent de construire le plan autour de ces notions : étudier les notions de prestige et

image de marque, puis se pencher sur l’extension de marque avant de confronter les deux parties. Il

a également été réalisé que l’application réelle de ces concepts n’a pas toujours pu être vérifiée, de

même que leur impact sur le consommateur.

L’information concernant la réaction réelle du consommateur face au changement du luxe n’est pas

suffisamment étudiée. Une étude permettrait de créer de l’information primaire manquante. Etant

donné le temps limité pour la réalisation de cette étude, le choix s’est porté sur une méthode

interrogatoire plutôt qu’un observatoire des comportements de consommation ou une

expérimentation. Il ne s’agissait pas de vérifier des hypothèses ou d’analyser des données mais

d’ouvrir des pistes de réflexions grâce à des entretiens exploratoires.

Contrairement à l’observation qui permet d’étudier le comportement des consommateurs in vivo,

l’interrogation analyse l’affirmation d’un individu, limitée par la mémoire et les croyances

personnelles. Les limites de l’interrogation sont directement liées à celle du discours ; ce qu’un

Page 51: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

47

individu A essaie de transmettre à un individu B est déformé par : 1. Le choix des mots par A, 2. La

réception du discours par B, 3. L’interprétation des mots par B. Cependant, le choix de

l’interrogation est justifié par son accessibilité et la possibilité d’obtenir un regard d’experts.

La décision a été prise de mener des entretiens semi-directifs avec des professionnels du monde du

luxe afin de déterminer avec eux comment le changement dans la définition du luxe ainsi que dans

le comportement des consommateurs a été perçu ces dernières années. Un entretien semi-directif

laisse la possibilité au répondant de mener son raisonnement et ainsi assure une objectivité plus

grande. De plus, grâce à la construction au préalable d’un guide des entretiens, les grands thèmes

devant être abordés ont pu l’être. La réaction des répondants aux hypothèses a permis d’évaluer leur

pertinence. Cette étude qualitative a été menée sur deux individus : elle ne pourra être considérée

comme objective mais permet d’obtenir un regard d’expert. Afin de garder une objectivité relative,

les professionnels représentent différents types de métiers issus et différentes marques de luxe.

Depuis 1870, Hermès est reconnu comme une marque de luxe française conservant son aura élitiste

; Nathalie Rolland-Huckel est artisan d’art et travaille depuis vingt ans avec cette marque, sous

contrat exclusif. Cartier est également une marque conservant le prestige d’antan ; Thibault de La

Rivière, ancien directeur de Lancel et actuel directeur de Sup de Luxe, membre de la chaire Cartier,

a pu expliquer en quoi Cartier reste du luxe. En plus des entretiens, des rencontres ont pu

s’organiser lors d’une journée de discussions et de réflexions sur « L’industrie au service du luxe en

Alsace », journée organisée par la CCI Alsace, la DIRRECTE et les industriels d’Alsace avec la

participation notamment de Gilles Auberger sur le sens d’une marque et de Pascal Favier, de DHJ

International.

Au départ, en parallèle des entretiens, qui proposent une information primaire qualitative, un

questionnaire devait être mené afin d’obtenir des réponses quantitatives sur le point de vue de la

clientèle du luxe. Cependant, après analyse de la littérature et compréhension des concepts, ce

questionnaire n’a pas été réalisé. En effet, les répondants au questionnaire n’auraient pas été les

clients réels du luxe mais plutôt la population du mass-tige. L’avis obtenu aurait été celui des

suiveurs et non pas des innovateurs. Les recommandations qui en auraient découlé auraient été

concentrées sur une cible croyant en la puissance de la marque mais pas en ce qui peut faire le luxe

et permet de conserver le prestige et l’écart.

Page 52: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

48

2. Analyse des entretiens : l’objet de luxe

« L’objet de luxe est un des paradoxes des sociétés de consommation : sublime, somptueux,

inaccessible et pourtant objet de tous les désirs, de tous les fantasmes ; superflu voire inutile et

pourtant un des triomphes de l’augmentation du niveau de vie », Allérès, 2005, p 53

A l’issue des entretiens et de la journée de réflexion du jeudi 10 avril 2014, il est apparu que l’objet

de luxe, plus encore que le prix, la distribution ou la communication, était ce qui définissait le luxe

et transmettait les valeurs de l’entreprise. Commençons par comprendre ce qui fait un produit de

luxe.

2.1. Significations et symboliques

Comme nous l’avons vu dans les parties précédentes, « acquérir des produits déclinés (parfums,

accessoires de mode…) c’est adhérer au patrimoine culturel des marques et accéder à leur

territoire », Allérès, 2005. La première partie de ce travail a permis d’établir que les marques ont

des valeurs aux yeux du consommateur : des valeurs internes et externes au produit, des valeurs

pour soi et des valeurs pour les autres. Le tableau ci-après récapitule ces différents types de valeurs

décrites par Holbrook.

Figure XXII : Les différentes facettes de la valeur de consommation des produits

Extrinsèque Intrinsèque

Orientée vers soi Valeur économique

Rapport qualité / prix

Valeur fonctionnelle

Provient des fonctionnalités,

des caractéristiques, de la

qualité, des performances,

de « l’excellence du

produit »

Valeur émotionnelle

Provient de sensations ou

d’états sentimentaux et

affectifs qu’un produit

provoque (ludique, plaisir,

beauté)

Orientée vers les autres Valeur sociale

Concerne la construction de

l’image de soi qu’un

individu renvoie aux autres

Valeur altruiste

Evoquée à travers la valeur

éthique qui repose sur la

vertu, la justice ou la morale

Source : Holbrook

Le produit de luxe est construit sur les valeurs intrinsèques pour soi et une valeur extrinsèque pour

soi et pour les autres. Mais il s’agit souvent d’une recherche de valeurs fonctionnelle et sociale,

versus une recherche de valeurs émotionnelle et fonctionnelle [Allérès, 2005]. Pour comparaison, le

produit haut de gamme doit avoir une forte valeur économique, une forte valeur fonctionnelle et une

Page 53: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

49

valeur émotionnelle. Ayant vu l’importance de la valeur sociale dans le luxe, il est nécessaire de

proposer un luxe permettant de créer l’écart tout en gardant sa valeur émotionnelle forte.

2.2. Composantes du produit de luxe

2.2.1. Un supplément d’âme…

« Dans un produit, il y a d’autant moins d’âme qu’un plus grand nombre d’âmes a été associé à sa

fabrication », Georg Simmel La philosophie de l’argent

Pour Thibault de La Rivière, directeur de Sup de Luxe, le luxe est « un art de vivre : un idéal à

atteindre qui apporte un supplément d’âme »24

. Pour d’autres, un produit de luxe est avant tout un

objet rare que très peu peuvent posséder – création d’un écart et d’un désir de possession - puis dont

la diffusion augmente jusqu’à ce que le produit perde de sa valeur aux yeux des premiers

détenteurs. Nathalie Rolland-Huckel quant à elle considère que le luxe « est un mot difficile à

définir : il n’y a pas de normes »25

mais reconnaît que ce sont les objets qui font le luxe. Utilisant

également l’expression de « supplément d’âme »26

, elle insiste sur la notion de création et du geste

du créateur.

2.2.2. Qui s’inscrit dans le temps

Pour Nathalie Rolland-Huckel comme pour Thibault de La Rivière, le luxe est pérenne, et reflète un

héritage transmissible qui « donne le temps au temps ». Le produit ne meurt pas. Il est d’ailleurs

indestructible et résiste au temps, tout en s’adaptant à la société. Il est un héritage que l’on peut

transmettre. Etroitement lié au sacré, le luxe doit permettre à sa clientèle d’accéder l’éternité, pour

Gilles Auberger. La beauté et le luxe des perles est leur rareté dans la nature, leur caractère

éphémère – une perle perd de sa nacre au contact de la peau, des parfums, de la pollution - et leur

pérennité – bien conservé et protégé, il peut être transmis sur des générations et des siècles. Ainsi,

du parfum, en soi n’est pas du luxe. Mais la marque créant le parfum est du luxe car elle appartient

à l’héritage, au patrimoine ; le flacon, travaillé et œuvre d’art miniature résistant au temps est

également du luxe. Malgré la faillite de la marque en 1995 et son rachat par Volkswagen, Bugatti

reste porteuse de rêve. La marque pour laquelle « rien n’est trop beau, rien n’est trop cher »

continue à déposer des brevets et lancer de nouveaux modèles grâce à l’investissement de

Volkswagen, qui a su voir le potentiel toujours existant de la marque mais surtout les anciens

modèles subsistent et roulent toujours. En 1981 lorsque Karl Lagerfeld reprit la maison Chanel,

cette dernière voyait ses ventes décroître : elle avait perdu sa clientèle et s’était détachée de ses

24

Entretien du 25 janvier 2014 25

Entretien du 23 avril 2014 26

Expression utilisée de manière spontanée, sans que l’entretien ait guidé Nathalie dans sa réponse puisqu’il s’agissait

de la question ouverte : « quelle est votre définition du luxe ? »

Page 54: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

50

valeurs originelles. Karl Lagerfeld a su les faire revivre et transformer les produits, innover tout en

conservant l’impudence propre à Mademoiselle. En s’appuyant sur les valeurs de la marque, il l’a

faite revivre. Même en arrêtant la production, une marque de luxe continue de vivre, dans les

mémoires et en alimentant perpétuellement le feu du désir. La fermeture des usines Pleyel signe-t-

elle pour autant la fin de la marque ? Ou au contraire, les pianos ne vont-ils pas se vendre encore

plus chers entre connaisseurs et sur les marchés aux enchères ?

2.2.3. Notion de plaisir : une émotion pour créer du lien

Les deux experts du luxe se rejoignent également sur une autre composante de l’objet de luxe :

celui-ci doit transmettre une émotion afin de faire partager un « moment d’exception ». La notion de

plaisir est très forte lors de l’achat d’un produit de luxe : l’objet de luxe n’est pas acheté puis rejeté.

C’est un achat affectif et subjectif : il offre de partager une histoire et de créer des liens avec la

marque. Il est vénéré et traduit une satisfaction personnelle.

Le terme « esthétique » a été utilisé par cinq personnes lors de la journée de réflexion sur le luxe, de

même que le mot « hédonisme ». Le produit de luxe doit porter une émotion et permettre à

l’individu de s’exprimer et cela passe par la création d’un lien avec la marque, comme le

suggéraient Bastien & Kapferer. « Si elle [la relation] n’existe pas, c’est que le produit n’est pas

un produit de luxe aux yeux du client », (2013). La création du lien passe par l’expérience,

l’émotion et la transmission de sens, d’après les résultats des entretiens et les réflexions.

Cette notion de plaisir implique l’utilisation d’un marketing expérientiel : le produit de luxe doit

faire plaisir et cela passe par la création d’une expérience.

Cependant cette expérience seule n’est pas garante du prestige de la marque. L’exemple de Guerlain

montre comment une marque haut-de-gamme peut reproduire les techniques du luxe sans atteindre

le prestige et la capacité de rêve de celui-ci. Premier parfumeur français à créer sa marque, Guerlain

est connu pour des jus mythiques comme Shalimar ou Insolence. Très vite, Dior, Chanel et Yves St

Laurent lancent également leurs parfums. Guerlain dépérit face à ces concurrents dont l’image est

plus connue. De plus, contrairement à eux, la marque est spécialisée dans un seul domaine, la

parfumerie, qui est devenu accessible à tous. En automne 2010, pour le lancement du parfum Idylle,

un espace éphémère Guerlain sillonne huit villes françaises sélectionnées. Cet espace permet de

rencontrer le personnel Guerlain, de recevoir un accueil personnalisé et des conseils en maquillage

adaptés à sa carnation de peau, de définir avec un professionnel le parfum le plus adapté à ses goûts,

habitudes à partir d’images, couleurs, musiques et non pas de l’odeur même. Des séances de

Page 55: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

51

maquillage avec des produits Guerlain sont offertes. Il est ensuite possible d’aller acheter un flacon

de parfum gravé à son nom. L’expérience de l’univers Guerlain est vécue avec intensité :

l’exclusivité est présente. L’espace est classieux et valorise la clientèle présente. Cependant,

interrogés les visiteurs, principalement de sexe féminin, ne considèrent pas plus Guerlain comme

une marque de luxe apportant du prestige. La reconnaissance sociale n’existe pas. Tout au plus ont-

elles un sentiment de bienveillance envers la Maison de parfumerie.

La littérature estime que la marque de luxe, de par sa forte valeur symbolique, crée du lien avec le

consommateur. « Cela implique que le luxe est qualitatif – on ne mesure pas le luxe à la taille de

l’objet acheté ou à son prix mais au goût exprimé -, hédoniste, esthétique, multi sensoriel, humain

et de manière surprenante [qu’il] ne se consomme pas » [Bastien et Kapferer, 2013]. Guerlain n’a

pas cette capacité à créer un lien.

2.2.4. Le sens de l’objet de luxe

Si aujourd’hui le sens a autant d’importance pour le luxe c’est parce que la marque ne peut survivre

en ne s’appuyant que sur les clients qui achètent du signe plutôt que du sens. Même les HNWI des

BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – dont Thibault de La Rivière vante le

potentiel pour le secteur du luxe, n’achètent pas seulement du signe. Les clients du signe sont ceux

du luxe accessible et ceux-là même qui détournent la clientèle principale des marques.

Le second sens de la marque pour Gilles Auberger est de rendre auteur son client : aider l’individu à

devenir auteur de son identité. De fait, le luxe ayant une composante personnelle très forte, il doit

permettre à son client de se construire, comme la littérature l’affirmait déjà. Afin d’obtenir cette

résonance sincère avec la marque, l’ADN de la marque doit être associée à la collaboration et

l’individualisation.

Figure XXIIII : Triangle de la valeur de la marque

ADN de la marque

Valeur collective Singularité

Source : Gilles Auberger

Page 56: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

52

Ce triangle de la valeur de la marque souligne l’importance de la singularité des produits.

D’ailleurs, aujourd’hui, c’est la Haute-Couture Chanel qui est considérée comme du luxe par les

acteurs du luxe, comme le souligne Nathalie Rolland-Huckel, et non pas le prêt à porter, la

maroquinerie ou les cosmétiques qui sont distribués en masse et similaires.

Ainsi, d’après les entretiens, le produit de luxe évolue vers une fusion du modèle de Dubois &

Desquenes (1993) : une consommation hédoniste permettant une extension de soi par une

expression de ses valeurs [Michaud, 2006] associée à un luxe authentique reflet de l’excellence de

la marque. Cependant, contrairement à ce qui est conseillé dans la littérature, il ne s’agit pas

d’étudier au maximum le comportement du client pour connaître ses « insights »27

et de transmettre

ces valeurs dans la publicité. Ces actions sont réalisées aujourd’hui et ne permettent pas aux

marques de luxe de regagner en prestige. La première recommandation faite serait de se concentrer

sur son identité de marque pour ne pas oublier ce qui définit la marque et être porteur d’une vision

plutôt que se laisser porter par les consommateurs. Être l’artiste qui créé la demande plutôt que

l’artisan qui répond à un cahier des charges. La seconde serait de se concentrer sur l’objet de luxe

avant toute chose et de délaisser le luxe accessible – le mass-tige. Celui-là en effet n’est pas porteur

de prestige mais plutôt de déchéance pour la marque, ainsi que l’illustre la figure suivante.

Figure XXIV : Les marques de luxe vues par les professionnels

27

« Insights » : vision de la vie et sentiments du client

Luxe véritable : Cartier, Montblanc, Jaguar,

Hermès

Produits intermédiaires : Haute-Couture Chanel, Haute-Couture Yves Saint Laurent,

commandes exceptionnelles Ferrari

Mass-tige : Chanel, Dior, Yves Saint Laurent, Ferrari, Patek Philippe

Page 57: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

53

Source : Analyse des réponses aux entretiens

Cette figure illustre que pour les professionnels, les produits trop industrialisés comme Patek

Philippe, ou trop répandus comme Chanel et Dior ne sont plus du luxe.

3. Discussion : vers une nouvelle définition du luxe ?

3.1. Le prestige par le produit ?

3.1.1. L’écart avant tout ?

« À trop courir après une clientèle excursionniste certes nombreuse mais acheteuse occasionnelle,

des marques de luxe peuvent se discréditer auprès des HNWI, là où réside le vrai marché potentiel

du luxe. Pour eux, seules les marques ayant su conserver l’écart jouiront d’un attrait fort. »,

Bastien & Kapferer, 2013, p166

Comme nous l’avons étudié dans les parties précédentes, la notion de prestige est liée à la notoriété

d’une marque et à sa diffusion. Plus une marque est diffusée, plus elle est banalisée. Au contraire,

une marque connue mais dont la rareté est contrôlée permet de recréer l’écart nécessaire au luxe et à

la création du rêve. Cet écart était auparavant lié :

- Au prix

- A la distribution contrôlée

Le prix d’un produit de luxe doit être assez élevé pour contrer la hausse du pouvoir d’achat et le

choix des ménages de favoriser les dépenses de plaisir. Toutefois un prix élevé n’est pas toujours

synonyme de luxe ni même de prestige comme nous avons pu le voir. Il s’agit également de

contrôler la distribution, comme le fait Hermès ou Ferrari. Le contrôle de la distribution passe par

des points de vente limités, une production limitée. Cependant le prix et une diffusion contrôlée ne

suffisent pas à définir le produit de luxe. Un produit rare et en conséquent cher implique une notion

de prestige liée à l’inaccessibilité du produit mais ne prend absolument pas en compte ce qui fait

aussi le luxe et qui a été détaillé par les professionnels : l’excellence, la pérennité, l’histoire, le

savoir-faire et l’émotion. L’objet de luxe est précieux : par l’émotion qui lui est liée, par les produits

utilisés, par le travail réalisé. Il est également esthétique.

3.1.2. Un produit d’hommes

Le luxe est un métier d’hommes. Les professionnels interrogés sont unanimes : le luxe doit valoriser

les métiers d’art, autrement dit les artisans. Nathalie Rolland-Huckel précise qu’elle « espère que

Page 58: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

54

les marques de luxe réaliseront combien les artisans sont l’avenir du luxe ». Il est vrai que la

tendance semble être à un retour à l’origine du luxe : le créateur est un artiste travaillant à la main.

Le rachat des différents artisans du métier par Chanel et Hermès semble le prouver. Les grandes

Maisons ont compris qu’un produit de luxe nécessite un travail de l’objet et une qualité que seuls

les artisans maîtrisent. Les objets de luxe peuvent être déclinés grâce à la technologie mais le travail

initial est réalisé par un artisan. Cela permet également d’obtenir un produit plus authentique et

esthétique. De fait, le regard des artisans d’art est souvent celui d’un esthète qui apporte un

supplément d’âme au produit.

Même en production industrielle, comme c’est le cas pour les triplures de col de chemises Hermès

produites par DHJ International, le luxe se différencie par la taille de sa production qui est contrôlée

et humaine. Par exemple, l’entreprise alsacienne produit 15 millions de triplures de chemise pour la

marque Zara contre 6 000 triplures pour Hermès. Une attention particulière est également portée au

produit : celui-ci doit répondre à des normes très précises, et même ainsi peut être refusé par la

direction Hermès. Pour que le produit final soit du luxe, il ne doit pas seulement correspondre à un

catalogue de critères très précis : il doit faire vibrer l’acheteur. La triplure est choisie par des

hommes et valorise la main d’œuvre, comme l’explique Pascal Favier, directeur commercial.

La vaisselle Hermès est dessinée par Nathalie Rolland-Huckel : ce travail lui prend plusieurs jours

voire plusieurs semaines. Son dessin terminé, elle l’envoie à la Maison qui grâce à la technologie –

logiciels de reproduction – peut imprimer son dessin en plusieurs exemplaires. Chaque dessin

servira ensuite pour une assiette, une tasse ou une soucoupe. Pour un dessin, ce sont des centaines

de reproduction qui sont ainsi possibles.

Page 59: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

55

Figure XXV : Vaisselle Hermès Cheval d’Orient, dessinée par Nathalie Rolland-Huckel

Les artisans sont également valorisés, que ce soit dans un court-métrage réalisé par Hermès en 2011

ou par les défilés des artisans d’art de la Maison Chanel. Louis Vuitton en confiant la réalisation de

ses souliers aux artisans italiens recherche également la qualité, l’authenticité et le respect du temps.

De plus, le temps d’attente lié à la diffusion limitée et à la production artisanale augmente le désir

du produit.

3.1.3. Recréer de la rareté et de l’exclusivité

En offrant un idéal vers lequel tendre et une émotion forte, le produit de luxe fait rêver. Comme

nous l’avons vu précédemment, ce rêve est fonction de la notoriété du produit et de sa diffusion.

Cela signifie que le produit de luxe ne doit être accessible ni par tous, ni facilement. Avec

l’avènement d’internet et de la contrefaçon, la diffusion n’est pas toujours facilement contrôlée. Un

produit peut se revendre en ligne ou aux enchères – même si ces dernières valorisent généralement

le produit en l’ancrant au mythe. Recréer le rêve pour les marques qui sont diffusées – Chanel,

Louis Vuitton, Hermès, Cartier … - doit passer par une stratégie de rareté et d’exclusivité. La mise

en place d’éditions limitées permet de créer de l’envie. Les collections exclusives Chanel sont

même distribuées de manière éphémère, en faisant des objets de collection pour ceux qui les

achètent. La montre J12 White Phantom était vendue en série limitée pour les dix ans du produit.

L’exclusivité peut également transparaître par l’évènementiel. Des évènements à cible limitée et

sélectionnée créent ce sentiment de privilège et prestige : les soirées very important client (VIC)

sont nombreuses parmi les Maisons françaises. Elles permettent de montrer aux clients qu’ils sont

Page 60: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

56

différents et reconnus comme tels. Elles sont également l’occasion de dévoiler en avant-première

les nouveaux produits de la marque et de rencontrer les artisans ayant créé l’objet.

A l’inverse, le groupe LVMH propose depuis 2011 des « Journées Particulières » qui se tiennent en

juin. Cependant, cette démarche de portes ouvertes permettant l’accès à l’antre du luxe par un

public du luxe accessible a plutôt tendance à sortir le groupe du luxe : l’exclusivité n’est pas

respectée. En 2013, ce sont 120 000 « privilégiés » qui ont ainsi pu visiter les quarante-deux sites

ouverts au public. Avec plus de 2 800 visiteurs par site, on ne peut effectivement plus parler de

clients triés sur le volet. La démarche n’est plus la même : LVMH souhaite s’ancrer dans le

patrimoine et non plus dans l’exclusivité.

3.1.4. L’unicité et l’individualisation

En effet, la clientèle du luxe, plus que toute autre, veut se sentir unique et différente : elle paie pour

cela. Il est nécessaire de se souvenir que le luxe est un stratificateur social et qu’il est lié à l’excès.

L’émergence des bars à parfums, espaces consacrés à l’élaboration de parfums uniques en fonction

du client, illustre bien ce besoin de personnalisation à l’extrême. Les marques de luxe doivent en

conséquent également répondre à ce besoin d’unique et personnalisation. Dior et Chanel proposent

également des parfums nommés « Exclusifs » par Chanel. Ne répondant pas aux tendances du

marché et présentés dans des flacons de laboratoire, ces parfums favorisent le jus plutôt que la

beauté du flacon. Les senteurs développées sont peu courantes et singularisent leur porteur.

Hermès propose des vases ou des montres en série très limitée – 12 vases peints à la main et 36

montres -, avec Ferrari c’est de l’ultra-personnalisation avec la possibilité d’ajouter des étriers aux

voitures. Le sur-mesure réapparaît : chaussures, vêtements. Charvet conçoit des chemises sur-

mesure.

Les commandes exceptionnelles sont des pièces créées sur-mesure pour répondre à une demande du

client. La marqueterie Spindler est connue dans le monde entier et la dernière commande réalisée

par l’artisan était au bénéfice d’un Turc souhaitant décorer sa maison : Spindler s’est déplacé en

personne pour réaliser cette commande en répondant aux attentes de son client, nous a-t-il raconté le

10 avril.

Page 61: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

57

Parfois, les caractéristiques de bases du produit sont respectées afin qu’il reste représentatif de la

marque mais le client peut choisir dans un éventail d’options de plus en plus large. Ferrari propose

plusieurs options permettant aux clients de personnaliser son produit. Lorsque la décision du client

intervient en fin de parcours produit, on estime souvent que la marque propose une forme de

masstige.

Cette individualisation doit également passer par le traitement des clients en boutique. Chaque

client veut être perçu comme unique.

3.2. Le prestige par l’apport d’éternité ?

Les entretiens ont mis en lumière le lien entre éternité et luxe. Alors que la religion est une quête

d’éternité collective, le luxe est une quête d’éternité individuelle. Cela implique que le luxe est lié

au désir humain d’avoir une partie de soi qui lui survivra.

Aujourd’hui, plus que l’argent, c’est le temps qui fait défaut à l’humanité occidentale – celle qui a

accès au luxe. Nous entrons dans une société qui court après le temps, toujours occupée28

. Le luxe

offre à ses clients un rapport au temps : il leur permet d’accéder à un morceau d’éternité en

s’ancrant dans le passé et le futur. L’innovation des produits, le respect des traditions de travail, la

possibilité d’offrir un héritage intègre le luxe au temps. Les classiques sont toujours retravaillés afin

de continuer d’exister. Les matériaux précieux et résistants sont favorisés. La nouvelle collection de

sacs à main de Louis Vuitton sera réalisée entièrement en cuir : ce choix est justifié par la volonté

de la marque de revenir aux produits résistants et pérennes.

L’expérientiel est aussi un moyen d’apporter un morceau d’éternité à l’individu : une expérience

reste gravée dans les mémoires, plus sûrement qu’un objet car elle fait appel aux cinq sens. Les

vrais produits de luxe apporteront cette expérience par eux-mêmes. Conduire une Jaguar est une

expérience en soi : le bruit du moteur interpelle l’ouïe, l’odeur du cuir et du bois vernis touche

l’odorat, la ligne de la voiture flatte la vue, le contact du volant et le confort du siège se rapporte au

toucher…

Les marques de luxe accessible tentent de limiter leur descente vers le masstige en proposant un

rêve qui vient de la création d’un univers mythique ou passé que l’on peut atteindre par la marque –

et non plus du produit en soi. C’est l’image de marque qui est centrale dans ce type de prestige :

l’individu s’identifie à la marque, se construit autour des personnalités évoquées et peut ainsi

pénétrer un univers éternel.

28

Les ouvrages sur le sujet du temps comme nouvelle monnaie de notre civilisation augmentent chaque année

Page 62: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

58

Le story-telling est le mode de communication de ces marques. Louis Vuitton est une invitation au

voyage. Chanel raconte l’histoire de sa marque. Guerlain décrit la construction du Taj Mahal lieu

mythique ayant inspiré la création de Shalimar à travers une fresque épique. « La Maison Guerlain

change d’échelle, souligne son président Laurent Boillot. Ce film, fresque sublime au souffle

épique, est l’expression de notre désir de renforcer notre statut de maison de luxe ». Les vidéos

illustrant ces univers sont légions sur internet : un mode de diffusion de masse pour un univers

unique et onirique. Les musées sont de plus en plus nombreux, de même que les expositions,

comme « Dior, images de légende », essayant d’ancrer les marques dans le patrimoine puisqu’elles

ne sont plus du luxe pour les HNWI. La marque devient histoire et patrimoine. Le risque apparaît

pour elle alors d’être figée et de ne plus évoluer pour correspondre au passé.

Cependant ce faisant, les marques construisent autour d’elles un univers et un capital sympathie

grandissant. Elles font voyager même si pour l’instant elles ne font plus rêver leur cible principale –

leur diffusion de masse réduit leur potentiel de rêve. Le public les connaît. Ces marques restent

prestigieuses : elles sont rattachées à un passé et une histoire. Rappelons que le luxe est étroitement

lié à sa perception par l’individu et les autres. C’est l’individu qui décide de ce qui est luxe ou pas ;

c’est la société qui définit ce qui stratificateur social ou pas. En conséquent une grande partie de la

restauration du luxe dans les marques dépendra de la capacité des acheteurs à redécouvrir du luxe

pour une marque qu’ils estiment capable de formuler du rêve et de l’écart.

4. Limites du travail

Dans la revue de littérature, luxe et prestige ont été associés ; ces deux termes sont souvent

comparés et considérés comme allant de pair. Il est vrai que le luxe correspond au prestige d’une

classe sociale supérieure et permet de le montrer, ainsi que nous l’avons vu. Toutefois, ce travail n’a

pas cherché à vérifier si l’association de prestige et de luxe pouvait être contredite. Il a toujours été

sous-entendu qu’une marque de luxe devait répondre au besoin de prestige, et que, sans cette

réponse, elle quittait le domaine du luxe. Cependant, une des limites de cette réflexion serait de ne

pas avoir pu analyser l’existence d’un luxe sans prestige. De plus, nous avons vu que certaines

marques semblaient continuer à être porteuses de prestige tout en étant sorties du luxe ainsi il

pourrait être intéressant d’étudier la notion de prestige dans les marques non luxueuses pour la

comparer au prestige du luxe.

D’autre part, lors des différentes recherches d’information primaire, le point de vue des

consommateurs du luxe n’a pas été étudié : les recommandations faites sont limitées par l’absence

du regard critique de l’élite sur l’état du luxe aujourd’hui, leur rapport aux marques dites de luxe et

Page 63: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

59

leur nouvelle vision du luxe. Même si l’importance de la perception du client du luxe a été

soulevée, sans analyse directe de leur avis, ce travail ne peut être jugé comme infaillible.

Afin d’ouvrir ce travail, il serait judicieux d’analyser le lien entre le luxe et la quête d’éternité de

l’homme – le sacré. Il est en effet apparu que le luxe et le sacré étaient fortement liés, mais jusqu’à

quel point ce lien influe-t-il la stratégie marketing des marques de luxe ?

Page 64: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

60

CONCLUSION GENERALE

Ce travail a permis d’établir que face à la démocratisation du luxe, des solutions sont envisageables

pour conserver le prestige des marques de luxe.

Ainsi la première partie a permis d’analyser les concepts nécessaires à la compréhension de

l’évolution actuelle du marché du luxe : le prestige et l’image de marque pour le luxe. Le prestige

est directement lié à la perception du statut social et à l’aura accordée par un groupe d’individus à

une personne. L’être humain ayant un besoin de reconnaissance et d’ascension sociale, la notion de

prestige est intrinsèquement liée à ce besoin. Les signes et les symboles sont autant de moyens de

signifier son statut social. Les marques de luxe sont des signifiants comme les autres. Elles

apportent également une réponse au besoin hédoniste de l’individu. La notion de luxe a été d’autant

plus difficile à définir qu’elle est dépendante de la perception de l’individu et de la société.

Toutefois, ce travail a établi que le luxe devait reprendre les concepts de prix, rareté, authenticité,

qualité et excellence, hédonisme, univers mythique, artisanat et exclusivité. Enfin, les marques de

luxe étant le type de luxe concerné par la démocratisation, il a semblé nécessaire d’étudier le

fonctionnement de la marque de luxe ; l’image de marque et la définition de son identité expliquent

son positionnement et son unicité. Afin de savoir si une marque est du luxe différentes techniques

de mesure ont été abordées, comme les sept curseurs de Marie-Claude Sicard.

Dans un second temps, il s’agissait d’étudier les mutations du marché du luxe pour mieux

comprendre la raison d’être de ce travail. L’essor du luxe dépend de la hausse du pouvoir d’achat et

la démocratisation des sociétés. Bien que secteur porteur, avec des possibilités d’évolution liées à

l’augmentation du nombre de millionnaires, on note un changement du comportement des clients du

luxe. L’élite se détache de plus en plus des marques démocratisées pour rechercher des produits

d’excellence, où l’écart sera signifié par le prix et l’émotion plutôt que par le logo. De l’autre côté,

les excursionnistes sont de plus en plus nombreux et la base de clientèle du luxe s’élargit,

conduisant les marques à mener une stratégie d’accessibilité. Cette transformation du comportement

de la clientèle est à la fois un acteur majeur et un bénéficiaire intrinsèque de la stratégie de

démocratisation des marques de luxe. Celle-ci traduit la volonté de la rendre accessible au plus

grand nombre afin de rentabiliser la marque et d’augmenter sa notoriété. Les diverses stratégies

appliquées sont celles des extensions de marque et des extensions de gamme. Les risques majeurs

d’une telle politique pour une marque de luxe sont la perte de leur statut de luxe par une trop grande

diffusion et la disparition du prestige de la marque. Ainsi, une marque de luxe devant stratifier et

permettre une distance entre ceux qui veulent et ceux qui peuvent, sa démocratisation entraîne un

déficit en rêve.

Page 65: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

61

Ce travail posait une hypothèse majeure : la démocratisation du luxe nuit au prestige de la marque

de luxe ; dont découlaient cinq hypothèses mineures : la marque de luxe doit être porteuse de sens

pour intéresser les clients ; le produit est porteur du prestige de la marque de luxe ; le luxe vient de

l’unicité du produit ou sa perception d’unicité ; l’individualisation est une solution viable pour le

luxe ; le prestige de la marque est dû à sa capacité à apporter de l’éternité à l’individu. La rencontre

avec des professionnels a permis de discuter les hypothèses. Il est apparu que la démocratisation du

luxe nuit au prestige d’une marque en tant que luxe mais pas au prestige qu’une marque peut avoir

autrement. Cela implique que le prestige n’est pas toujours dépendant du luxe. Certaines marques

peuvent ainsi être porteuses de prestige sans être du luxe.

RECOMMANDATIONS

Comme il a été vu précédemment, pour replacer le prestige au cœur de leur activité, les marques

souhaitant réintégrer les sphères du luxe devraient organiser leur stratégie autour des deux axes

suivants : le retour du produit porteur de rêve au statut de matière première de leur activité, et

l’inscription de leur héritage dans le temps.

Ainsi, pour assurer la centralité du produit comme charpente des rêves, les marques aspirant au titre

de marques de luxe devront rétablir la notion d’écart comme pilier de leur stratégie de

communication, afin de réamorcer le ressort du désir et ainsi recréer le rêve de l’acquisition. Ce

procédé s’appuiera sur la mise en avant de l’artisanat comme support d’une qualité unique, recréant

la rareté de l’œuvre d’Homme destinée à l’Homme. Ce faisant, ces maisons de marque assureront

une rareté de leurs produits qui – si elle parvient à trouver l’équilibre entre l’unicité et la satisfaction

du besoin de personnalisation recherché par les connaisseurs - assurera un sentiment d’exclusivité

chez ses acheteurs. Ces derniers se sentant privilégiés, ils reforgeront par leur appréciation du

produit la valeur de rêve sur lequel le prestige repose.

Enfin, ces marques parviendront à préserver leur luxe et leur prestige lorsqu’elles puiseront dans

leur histoire et leur héritage les outils leur permettant de refaçonner un univers qui leur soit propre –

univers dans lesquels leurs clients se reconnaitront, et qu’ils chercheront à transmettre, à léguer.

Page 66: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

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Management, 2011, n°10, pp. 47–50

Interview de Elodie de Bôssieur, Directrice de l’école internationale du marketing du luxe, 2014, Le

secteur du luxe : le rêve n’a pas de frontières, http://www.womenology.fr/fr/reflexions/le-secteur-

du-luxe-le-reve-na-pas-de-frontieres/

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SCHEMAS ET TABLEAUX

I : Pyramide des besoins dite de Maslow (1943) 05

II : Les groupes sociaux par rapport à l’individu 07

III : Influence du groupe sur les comportements de consommation 07

IV : Valeurs de prestige par rapport aux motivations 10

V : Effets interpersonnels sur la recherche de prestige 11

VI : Compatibilité du volume avec le type de rareté (naturelle à virtuelle) 14

VII : Les mots clés du luxe : une définition ? 16

VIII : Le système de la marque 19

IX : Le prisme d’identité de marque 20

X : Le clavier des curseurs 22

XI : Les pays où vivent le plus de millionnaires 26

XII : Ventilation des ventes dans le secteur du luxe en 2013 27

XIII : Comparaison de la croissance du coût de vie des très riches avec le coût moyen de vie 28

XIV : L’acte d’achat en fonction du type de consommateur 30

XV : Potentiel d’extension d’une marque en fonction de son centre de gravité 31

XVI : Le modèle de la pyramide 32

XVII : Le modèle de la galaxie 33

XVIII : Hiérarchie des objets de luxe 34

XIX : Les différents types d’extensions 34

XX : Manager l’équilibre du rêve, entre notoriété et diffusion 43

XXI : Equilibre des produits et des gammes dans une marque de luxe 45

XXII : Les différentes facettes de la valeur de consommation des produits 48

XXIIII : Triangle de la valeur de la marque 51

XXIV : Les marques de luxe vues par les professionnels 52

XXV : Vaisselle Hermès Cheval d’Orient, dessinée par Nathalie Rolland-Huckel 55

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ANNEXES

Annexe 1 : Les avantages et fonctions de la marque

Fonction Bénéfice client

Repérage (rôle signalétique) Facilitation dans le repérage de l’offre en

identifiant rapidement les produits

recherchés

Praticité (rôle heuristique) Gain de temps au rachat

Garantie (sécurisation) Certitude de trouver un produit dont la

qualité est connue et stable

Optimisation Certitude d’achat du produit adapté à

l’usage

Personnalisation (badge) Confortation dans l’image de soi

Permanence Fidélisation par la satisfaction et l’intimité

des liens

Hédonisme Satisfaction face à l’esthétique de la marque

et l’utilisation

Stimulation Augmentation de l’excitation de vivre

Ethique et morale Satisfaction d’un comportement responsable

lié au comportement de la marque

Source : Kapferer, 2008

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Annexe 2 : Personnalité de la marque par Aaker

La personnalité de la marque peut être évaluée dans un système de mesure qualifié d’échelle de la

personnalité de la marque. Les différentes dimensions mesurées sont : la sincérité, le dynamisme, la

compétence, la féminité et la robustesse de la marque. Ces dimensions ont été déterminées à la suite

d’études sur le lien du consommateur à la marque.

Source : Aaker, 1997

Personnalité de la marque

Sincérité

Réaliste

Familiale

Honnête

Concrète

Saine

Authentique

Gaie

Dynamisme

Audacieuse

Moderne

Contemporaine

Unique

Imaginative

Excitante

Fougueuse

Jeune

Entrain

Compétence

Travailleuse

Intelligente

Technique

Organisée

Leader

Sûre d'elle

Leader

Digne de confiance

Féminité

Distinguée

Séduisante

Envoûtante

Douce

Charmante

Aristocratique

Robustesse

Masculine

Virile

Rude d'extérieur

Solide

Indépendante

Tra

its

Dim

ensi

ons

Page 73: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

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Annexe 3 : Evolution du secteur du luxe

Source : Bain & Cie, 2013

Source : Bain & Cie, 2013

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Annexe 4 : Quatre façons de se distinguer par le luxe

Source : Bastien & Kapferer, 2013

Créativité Audace

transgressive

Anthentique discret

Mise en scène

d'histoire sur soi

L’emblème, le logo

Disruption pour se re-

distinguer

Le produit pour soi,

ses valeurs et l’art de

vivre

L’intégration dans un

monde aspirationnel

Page 75: Mémoire Master 2 Face à la démocratisation du luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe

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Annexe 5 : Comprendre les différents types de luxe en analysant les classes sociales et styles de vie

Classe sociale Motivation Style de vie Modèle de

consommation

Catégorie de luxe

Classe nantie Distinction

absolue « fuite en

avant »

Conversion des

privilèges

Distinction des

usages et choix

Objets

traditionnels,

rares et chers

Objets

nouveaux et

originaux

Luxe absolu

Classe

intermédiaire

Distinction

relative

« rattrapage des

écarts »

Imiter la classe

dominante

Certains

objets

traditionnels

Objets de

séries limitées

Luxe intermédiaire

Classe moyenne Mimétisme des

choix et des

usages

Accéder à un

patrimoine

culturel

Appartenir à une

classe

Se distinguer

Objets de

série

Luxe accessible

Source : Allérès, 2005

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Annexe 6 : Guide des entretiens

Introduction

Dans le cadre de mon mémoire sur la démocratisation du luxe, je cherche à comprendre comment le prestige

d’une marque est généré et comment le conserver. Cet entretien me permettra d’obtenir un regard d’expert –

qualitatif – et de définir les solutions marketing pérennes pour le luxe.

Profil de l’interviewé

Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours en quelques phrases ?

Quel est votre lien avec le secteur du luxe ? Quelle est votre notion de la marque ?

Thème 1 : Définition du luxe

Comment définiriez-vous le luxe ?

Qu’est-ce pour vous que le prestige d’une marque ?

Thème 2 : Situation du luxe aujourd’hui

Qu’est-ce que la démocratisation du luxe selon vous ? Comment la qualifierez-vous ?

Considérez-vous les cosmétiques comme du luxe ?

Je vais vous citer plusieurs marques reconnues comme luxe par les études de marché, et vous me direz si

selon vous elles appartiennent toujours au luxe ou pas

- Chanel / Ferrari / Yves St Laurent

- Patek Philippe

- Cartier / Hermès / Louis Vuitton

Avez-vous senti un changement de comportement des consommateurs ces dernières années ? Si oui, lequel ?

Avez-vous eu l’impression que la clientèle du luxe évoluait ? Si oui, comment ?

Thème 3 : Avenir du luxe

Qu’est-ce qui selon vous serait l’avenir du luxe ?

Recréer la rareté, mais comment ?

Communiquer, mais comment ?