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Islam politique : l'expérience tunisienne

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L'incertitude reste totale en Tunisie. Le parti islamiste Ennahda, aux affaires depuis deux ans, s'était engagé à quitter le pouvoir avant la fin du mois d'octobre. Mais il refuse pour l'instant de céder. Un nouveau gouvernement, composé essentiellement de technocrates, devrait prendre le relais, avec pour objectif de redresser la situation économique. Avec une inflation qui dépasse les 7 % et près de 700 000 chômeurs pour une population de 10 millions d'habitants, la désespérance sociale reste forte en Tunisie. En outre, depuis l'assassinat de deux députés de l'opposition de gauche, Chokri Belaid et Mohammed Brahimi en février et en juillet derniers, le discours politique s'est radicalisé, tant dans le camp laïque que dans le camp islamiste.

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Avec une inflation qui dépasse les 7 % et près de 700 000 chômeurs pourune population de 10 millions d’habi-tants, la désespérance sociale resteforte en Tunisie. En outre, depuis l’as-sassinat de deux députés de l’opposi-tion de gauche, Chokri Belaid et Mo -ham med Brahimi en février et en juilletderniers, le discours politique s’estradicalisé, tant dans le camp laïque quedans le camp islamiste.Hazem Ksouri, avocat, proche de lagauche laïque et fondateur de l’ONG« Tunisie libre », se veut optimiste. « Lesislamistes n’ont pas d’autres choix. Ilsne peuvent pas faire autrement que dequitter le pouvoir. Lors des élections del’assemblée constituante au lendemainde la chute de Ben Ali, en 2011, ils ontobtenu un peu plus de 40 % des voix.Ils plafonnent aujourd’hui à 15 % dansles sondages. Ils sont conscients ques’ils ne renoncent pas au pouvoir, ilsvont continuer à chuter dans les inten-tions de vote. Mais en même temps, ilsont peur d’une défaite aux urnes s’ilsdémissionnent. Ils hésitent donc. »« Nous sommes dans une troisièmephase du printemps arabe, poursuitl’avocat. Les dictateurs ont été renver-sés. Les islamistes sont arrivés au pou-voir et ils sont en train d’en être expul-sés. Je reste confiant car la socié tétunisienne n’est pas la société égyp-tienne. Dès le début de la révolution,notre armée a refusé de tirer sur les

manifestants. Le conflit armé n’est pasinscrit dans les gènes de notre culturepolitique. Il y a bien eu des assassinats,des attentats, des pressions, des pro-cès, mais les atteintes aux droits del’homme n’ont rien à voir avec ce quis’est passé au Caire. Les négociationsentre les partis politiques et les deuxcamps, laïque et religieux, sont lon-gues, difficiles. Elles se bloquent sou-vent. Mais au moins tous les partis dis-cutent ensemble. »Meriem Zeghidi, autre avocate, mem-bre de l’Association des femmes démo -crates, abonde dans ce sens. Pour elle,Ennahda n’est qu’un accident politiquedans l’histoire du pays. « L’islam poli-tique tunisien peut être digéré par laTunisie. Aussi faut-il associer les isla-mistes à la démocratie, pour mieux lescontrôler et les affaiblir. En Tunisie, lesislamistes sortent dévastés de cetteex périence du pouvoir. Ils ont démontréleur incapacité à vraiment gouverner lepays. »Certes, une grande partie de la popula-tion du pays croit en Dieu et reste trèsconservatrice moralement, indique lamilitante féministe. Qui souligne que lescandidats de Ennahda se sont présen-tés comme des hommes pieux, deshommes de Dieu et que c’est grâce àl’atmosphère de religiosité des campa-gnes et de l’intérieur du pays que lesislamistes ont remporté les élections del’assemblée constituante. « Mais Islam

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Islam politiqueL’expérience tunisienne

••• Pierre Desorgues, ParisJournaliste

L’incertitude restetotale en Tunisie. Le

parti islamisteEnnahda, aux affaires

depuis deux ans, s’était engagé à quit-ter le pouvoir avant lafin du mois d’octobre.

Mais il refuse pourl’instant de céder.

Un nouveau gouver-nement, composéessentiellement de

technocrates, devraitprendre le relais,

avec pour objectif deredresser la situation

économique.

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et islam politique ne sont pas la mêmechose, précise-t-elle. La société tuni-sienne, même traditionnelle, reste atta-chée à certaines libertés, grâce notam-ment au Code du statut personnel de1956 qui garantit les droits des fem-mes. En menaçant ces libertés, les isla-mistes se sont aliéné une bonne partiede la population. »

Clientélisme

Ennahda est accusé également d’avoirreproduit une bonne partie des pra-tiques du gouvernement Ben Ali. Ah -med, 26 ans, milite au sein de l’Uniondes diplômés chômeurs. Titulaired’une maîtrise de philosophie, il a pré-senté en vain sa candidature auxconcours de l’enseignement public.« Les islamistes placent leurs hommesaux postes-clés de l’administration etils encaissent les pots de vin. SousBen Ali, pour réussir le CAPES [con -cours de l’enseignement secondaire], ilfallait débourser en2010 un peu plus de7000 dinars [4000francs suisses]. Main -tenant, c’est un peuplus de 8000 dinars.Les gens au gouverne-ment changent, maisles pratiques restentles mêmes. Si vousvoulez avoir une chan ced’obtenir un poste sanspayer, il faut être pro-che du pouvoir en pla ce », décrit le jeunehomme désabusé.Les jeunes diplômés àl’origine du renverse-ment de Ben Ali sontde fait les grands ou -bliés de la révolution.

Les islamistes ont supprimé l’aide de200 dinars par mois (55 francs suisses)que leur avait versée le premier gouver-nement intérimaire du pays. Plus de40% des jeunes diplômés sont sansemploi.« Notre pays est confronté à une vraieurgence sociale, confirme l’avocatHazem Ksouri, et on a besoin de stabi-lité politique. On note chez beaucoupune forme de nostalgie de l’ère Ben Alioù les prix des denrées alimentairesétaient beaucoup moins élevés. Mais larévolution a apporté une chose quenous ne connaissions pas sous l’ancienrégime : la liberté d’expression. Il nefaut surtout pas l’oublier. »

P. D.

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Manifestation contre lepouvoir islamiste àTunis, octobre 2013