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Afficher cette lettre dans votre navigateur internet Par Olivier GUY, édition du 07/01/2013 A la une Où l'on reparle de la transition énergétique allemande... Je l'ai déjà évoquée dans le dernier numéro, mais nous assistons là à une expérience passionnante dont il faut suivre l'évolution de près car tous les gouvernements auront des leçons à en tirer. Première leçon, pour ceux qui en doutaient encore : en matière d'énergie rien n'est simple. Se méfier des yakafocon comme de la peste ! Prenons par exemple le cas du charbon : "Europe's dirty secret" dit The Economist dans une analyse qui nous raconte pourquoi la consommation de charbon en Europe est à la hausse. C'est le résultat de la conjonction du boom des gaz de schistes aux Etats-Unis, et de l'évolution de la croissance chinoise ... et de la transition énergétique allemande. Explication : le prix du gaz est essentiellement régional, ce qui fait que l'abondance de gaz de schiste a entrainé un effondrement des prix aux Etats-Unis mais pas dans le reste du monde. Le charbon américain devenu trop cher localement, doit chercher de nouveaux débouchés. En 2012, le ralentissement de la demande chinoise tire déjà les prix vers le bas (voir cette dépêche de Reuters ). Finalement, l'offre de charbon devient financièrement intéressante par rapport au gaz en Europe et particulièrement en Allemagne où il faut construire de nouvelles capacités pour remplacer les centrales nucléaires et gérer l'intermittence des renouvelables. Conséquence : alors que la production d'électricité renouvelable atteint des records outre-rhin (voir lettre du climat n°4 ), les émissions de CO2 sont reparties à la hausse en Europe et de nouvelles centrales à charbon vont sortir de terre (certes, leur nombre reste limité par rapport aux 1000 centrales projetées en Inde et en Chine). Certes une règlementation européenne obligera les opérateurs de centrales à charbon à respecter des niveaux de pollution plus sévères en 2016, sous peine de fermeture. Mais (parenthèse française) lorsqu'un industriel décide justement de fermer une vieille centrale ne respectant pas ces normes, c'est une levée de boucliers des élus, des syndicats et du ministère du redressement productif ( Usine Nouvelle ). Puisqu'on vous dit que rien n'est simple ! Ce n'est pas tout. La Pologne et la République Tchèque tapent du poing sur la table : la production électrique renouvelable allemande sature leurs réseaux électriques et risque de les faire disjoncter (article de Die Welt , traduit en anglais sur le site de The Global Warming Policy Foundation ). En effet, les éoliennes du Nord de l'Allemagne produisent une quantité d'électricité que les lignes allemandes sont incapables de transférer vers le sud où se trouve le gros de la demande. Ce surplus d'électricité, qui doit trouver coute que coute une voie vers l'appel de puissance, emprunte automatiquement les réseaux des pays voisins pour être ré-injecté en Bavière, via le jeu des interconnections. Autrement dit, les tchèques et les polonais financent le transport d'électricité pour les allemands. En conséquence, ces deux pays viennent de prendre les mesures nécessaires pour pouvoir isoler leurs réseaux de l'Allemagne. 1

La lettre du climat n°05

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Par Olivier GUY, édition du 07/01/2013

A la une

Où l'on reparle de la transition énergétique allemande... Je l'ai déjà évoquée dans le dernier numéro, mais nous assistons là à une expérience passionnante dont il faut suivre l'évolution de près car tous les gouvernements auront des leçons à en tirer. Première leçon, pour ceux qui en doutaient encore : en matière d'énergie rien n'est simple. Se méfier des yakafocon comme de la peste !

Prenons par exemple le cas du charbon : "Europe's dirty secret" dit The Economist dans une analyse qui nous raconte pourquoi la consommation de charbon en Europe est à la hausse. C'est le résultat de la conjonction du boom des gaz de schistes aux Etats-Unis, et de l'évolution de la croissance chinoise ... et de la transition énergétique allemande. Explication : le prix du gaz est essentiellement régional, ce qui fait que l'abondance de gaz de schiste a entrainé un effondrement des prix aux Etats-Unis mais pas dans le reste du monde. Le charbon américain devenu trop cher localement, doit chercher de nouveaux débouchés. En 2012, le ralentissement de la demande chinoise tire déjà les prix vers le bas (voir cette dépêche de Reuters). Finalement, l'offre de charbon devient financièrement intéressante par rapport au gaz en Europe et particulièrement en Allemagne où il faut construire de nouvelles capacités pour remplacer les centrales nucléaires et gérer l'intermittence des renouvelables.

Conséquence : alors que la production d'électricité renouvelable atteint des records outre-rhin (voir lettre du climat n°4), les émissions de CO2 sont reparties à la hausse en Europe et de nouvelles centrales à charbon vont sortir de terre (certes, leur nombre reste limité par rapport aux 1000 centrales projetées en Inde et en Chine).

Certes une règlementation européenne obligera les opérateurs de centrales à charbon à respecter des niveaux de pollution plus sévères en 2016, sous peine de fermeture. Mais (parenthèse française) lorsqu'un industriel décide justement de fermer une vieille centrale ne respectant pas ces normes, c'est une levée de boucliers des élus, des syndicats et du ministère du redressement productif (Usine Nouvelle). Puisqu'on vous dit que rien n'est simple !

Ce n'est pas tout. La Pologne et la République Tchèque tapent du poing sur la table : la production électrique renouvelable allemande sature leurs réseaux électriques et risque de les faire disjoncter (article de Die Welt, traduit en anglais sur le site de The Global Warming Policy Foundation). En effet, les éoliennes du Nord de l'Allemagne produisent une quantité d'électricité que les lignes allemandes sont incapables de transférer vers le sud où se trouve le gros de la demande. Ce surplus d'électricité, qui doit trouver coute que coute une voie vers l'appel de puissance, emprunte automatiquement les réseaux des pays voisins pour être ré-injecté en Bavière, via le jeu des interconnections. Autrement dit, les tchèques et les polonais financent le transport d'électricité pour les allemands. En conséquence, ces deux pays viennent de prendre les mesures nécessaires pour pouvoir isoler leurs réseaux de l'Allemagne.

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On pourrait également mentionner la déstabilisation du modèle économique des opérateurs, lorsque l'énergie solaire ou éolienne, produite à coût marginal nul, érode fortement les tarifs de pointe par le jeu du marché. Cela remet en cause la rentabilité des futurs investissement dans de nouvelles capacités, et donc leur réalisation. On pourrait s'en réjouir, mais ces investissements sont malheureusement vitaux pour la réussite de la transition énergétique (Reuters).

Tout cela est parfaitement résumé et expliqué par Stephan Kohler, Directeur de l'Agence Allemande de l'Energie (Spiegel Online International), qui tire les leçons des erreurs commises. D'après lui, il faut par exemple arrêter de subventionner des installations solaires construites en rase campagne, où il n'y a ni réseau, ni demande.

Quoiqu'il en soit, l'expérience allemande permet de toucher du doigt les problèmes concrets de la transition énergétique et nous obligera à trouver collectivement des solutions. Pour cela, nous devons remercier nos voisins d'outre-rhin.

Météo et climat

[Protocole de Kyoto]

Le protocole de Kyoto a pris fin le 31 décembre, ou du moins sa première période. Constat désabusé de Fred Pearce dans The New Scientist, sur le bilan. Certes, les objectifs sont atteints... sur le papier. En effet, les 37 nations industrialisée participant à la première phase ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de 16% en moyenne par rapport à 1990, dépassant largement leur engagement initial de 4,7%.Mais si l'on regarde les chiffres à la loupe (voir un bilan détaillé dans The Guardian), ce sont surtout les pays d'Europe de l'est qui ont fait des étincelles ; sans trop de difficulté car leur niveau d'émissions en 1990 était très élevé, avant une période de récession due à l'effondrement du bloc communiste.Et surtout, les pays industrialisés ont exporté leur pollution vers les émergents. Pearce cite par exemple une étude du gouvernement britannique qui montre que la Grande-Bretagne a diminué ses émissions domestiques de 23%, entre 1990 et 2011, mais que le chiffre réel serait plutôt une augmentation de 10%, si l'on réintègre l'empreinte carbone des produits importés. En attendant, les émissions mondiales ont augmenté de plus de 50% sur la période Kyoto.

Energie et matières premières

[Pétrole]

Slate.fr revient sur des informations qui auraient pu nous échapper en 2012. La découverte de gisements de pétrole importants dans une région instable du Congo ne semble pas de bon augure pour ce pays qui est déjà dévasté par la guerre du coltan.Les inuits semblent quant à eux touchés par la grâce pétrolière, et commencent à se demander si la protection de l'environnement arctique vaut la peine de se priver des revenus promis par "big oil". Cruel dilemme.

Economie et Politique

[Prospective]

L'Association "Sauvons le Climat" (pro-nucléaire) publie une critique du scénario de l'Ademe visions énergétiques 2030-2050, qui prévoit une capacité nucléaire réduite à 32GW pour la France en 2050, compensée par des renouvelables et des économies d'énergie. L'Association reproche à l'Agence de n'avoir pas été jusqu'au bout de son travail en passant sous silence le surcoût de ce schéma

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énergétique. Elle comble cette lacune avec ses propres chiffres et aboutit à une augmentation de 70% du prix de l'életricité.

[Fiscal cliff]

L'accord sur le budget aux Etats-Unis préserve les subventions aux énergies renouvelables (Switchboard). Cela n'est pas du goût de cette présentatrice de FoxBusiness -la chaine des conservateurs très conservateurs- qui n'est pas du tout contente.

[Taxe carbone]

La taxe carbone semble être un succès en Irlande. Elle a rapporté 400 M€ en 2012 et permis d'éviter une hausse de l'impot sur le revenu. Dans le New York Times, Elisabeth Rosenthal établit le parallèle avec les Etats-Unis où la simple mention d'une taxe carbone risque de déclencher une guerre nucléaire politique. A tel point que le Competitive Enterprise Institute, think tank conservateur, a déposé une demande sous couvert du FOIA (Freedom Of Information Act) exigeant la divulgation des e-mails du département du Trésor contenant le mot "carbon", cela pour vérifier qu'aucun projet de "carbon tax" n'est secrètement en préparation.

Science et technologie

[Voiture électrique]

Clean Technica revient sur ses articles de l'année 2012 consacrés au véhicule électrique. Une année record pour les ventes aux Etats-Unis avec 47 500 unités. Le marché apparait plus dynamique qu'en France, où ça frémit mais avec l'effet de loupe Autolib. Fait remarquable, le magazine Motor's Trend a décerné son prix de la "voiture de l'année" à la Tesla Model S, voiture électrique de haut de gamme (qui coûte quand même entre 60.000 et 100.000 $).

[Eolien]

Sans doute jaloux de Google qui investit massivement dans l'énergie solaire, Apple vient de déposer un brevet pour une éolienne d'un genre nouveau (Apple Insider). La rotation des pâles ne génère pas directement de l'électricité mais est utilisée pour chauffer un fluide par friction. Ensuite, par un système classique d'échange de chaleur, on obtient de la vapeur qui peut faire tourner une turbine. Le système est intéressant parce qu'il résoud en partie le problème du stockage de l'énergie lorsque le vent souffle et que la demande est inexistante.

Entreprises

[Solaire]

Warren Buffet, surnommé le sage d'Omaha et renommé pour son flair, a l'air de croire au solaire. Il vient de racheter à SunPower deux projets de centrales en Californie pour un montant évalué entre 2 et 2,5 milliards de dollars (Enerzine).

SunPower est filiale à 60% du groupe Total et développe des panneaux équipés de systèmes de tracking pour suivre la course du soleil. MidAmerican Energy, la filiale énergie du fonds d'investissement de Buffet, possède déjà une centrale achetée à First Solar, autre géant américain du photovoltaïque.

Pour ne pas tenter de battre les chinois sur le terrain du prix des panneaux solaires, mission impossible, ces sociétés ont adopté un modèle économique qui consiste à concevoir et vendre à des

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investisseurs les projets de centrales, avec les contrats de rachat de l'électricité produite, tout en assurant la gestion, la maintenance et l'entretien sur toute la durée de vie de l'installation. Explication dans The Street.

Société

[Vin]

Le vin français est menacé par le changement climatique (CNBC). Celui-ci modifiera l'équilibre subtil entre le sol, le climat, et la vigne, affectant la qualité et la quantité des vin produits. Pire, les anglais pourraient au contraire bénéficier de la situation et commencer à rivaliser avec nos viticulteurs. Si cela ne suffit pas pour mobiliser l'opinion contre le changement climatique ...

[Fitness]

Je me suis souvent demandé pourquoi on ne faisait pas produire de l'électricité aux acharnés (dont je suis) qui pédalent dans les salles de gym. Eh bien, voilà, c'est fait (CNN).

Photo/vidéo de la semaine

Midshipcentury.com recense tous les navires en cours de démantèlement aux chantiers d'Alang, en Inde. Il est tenu par un passionné qui achète et revend le mobilier, la vaisselle et autres objets provenant de ces épaves. Alang est le principal site de ce genre avec Chittagong au Bangladesh. Les matières premières récupérées sont ré-utilisées dans les usines du pays.Les photos de ces anciens géants des mers désossés, le plus souvent à mains nues, par une armée d'ouvriers inspirent la mélancolie.

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