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Afficher cette lettre dans votre navigateur internet Par Olivier GUY, édition du 18/02/2013 A la une A l'initiative de la Grande Bretagne et du Pakistan, le directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research était récemment invité devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour présenter des scénarios prospectifs dans lesquels le changement climatique induirait une menace pour la paix et la stabilité du Monde. La Russie et la Chine avaient refusé que la réunion donne lieu à une délibération officielle, trouvant le sujet trop "sensible". Il est vrai que le Conseil de Sécurité a pour vocation première de discuter de la pluie et du beau temps. Il n'existe donc pas de compte-rendu public mais on a quelques échos des sujets abordés. Si dans 20 ans l'absence de mousson provoquait une famine généralisée dans une Inde de 1,5 milliards d'habitants, la guerre pourrait-elle devenir une option de survie ? Que feront les réfugiés climatiques forcés de quitter leur pays, comme les habitants des iles Marshall dont la montée des eaux du Pacifique provoque déjà la salinisation des puits d'eau douce ? Comment vont se résoudre les conflits pour l'accès aux ressources en région arctique si la fonte des glaces les rend accessibles ? Même question pour les matières premières en Afrique (Bloomberg.com ). Cela dit, pas besoin d'attendre 20 ans pour constater que les changements climatiques -quelle que soit leur cause- sont à l'origine de certaines tensions. La sécheresse, la désertification, la dégradation des terres furent en leur temps parmi les facteurs déterminants de la guerre au Darfour (contreinfo.info ). De façon plus insidieuse le "land grabbing", c'est à dire l'accaparement de terres par les grandes puissances émergentes dans les parties fertiles des pays les moins avancés représente un potentiel conflictuel. En 2008, le coréen Daewoo avait réussi à obtenir la location de près de la moitié des terres arables de Madagascar pour 99 ans. Le deal provoqua des émeutes qui contribuèrent à la chute du président Ravalomanana et finit par être annulé (Foreignpolicy.com ). Selon le Oakland Institute , ce sont presque 56 millions d'hectares (la superficie de la France) qui ont été acquis depuis 2008 par des états ou des fonds d'investissement dans des pays en développement, essentiellement en Afrique. L'ONG Oxfam cite le chiffre de 227 millions d'hectares vendus ou loués par des pays à des entités étrangères entre 2001 et 2011. Les plus gros acquéreurs sont la Corée du Sud, l'Arabie Saoudite, la Chine et l'Inde (afriqueexpansion.com ), inquiets de leur future sécurité alimentaire menacée par la conjugaison de l'accroissement démographique et du changement climatique. 1

La lettre du climat n°11

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Par Olivier GUY, édition du 18/02/2013

A la une

A l'initiative de la Grande Bretagne et du Pakistan, le directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research était récemment invité devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour présenter des scénarios prospectifs dans lesquels le changement climatique induirait une menace pour la paix et la stabilité du Monde. La Russie et la Chine avaient refusé que la réunion donne lieu à une délibération officielle, trouvant le sujet trop "sensible". Il est vrai que le Conseil de Sécurité a pour vocation première de discuter de la pluie et du beau temps.

Il n'existe donc pas de compte-rendu public mais on a quelques échos des sujets abordés. Si dans 20 ans l'absence de mousson provoquait une famine généralisée dans une Inde de 1,5 milliards d'habitants, la guerre pourrait-elle devenir une option de survie ? Que feront les réfugiés climatiques forcés de quitter leur pays, comme les habitants des iles Marshall dont la montée des eaux du Pacifique provoque déjà la salinisation des puits d'eau douce ? Comment vont se résoudre les conflits pour l'accès aux ressources en région arctique si la fonte des glaces les rend accessibles ? Même question pour les matières premières en Afrique (Bloomberg.com).

Cela dit, pas besoin d'attendre 20 ans pour constater que les changements climatiques -quelle que soit leur cause- sont à l'origine de certaines tensions. La sécheresse, la désertification, la dégradation des terres furent en leur temps parmi les facteurs déterminants de la guerre au Darfour (contreinfo.info).

De façon plus insidieuse le "land grabbing", c'est à dire l'accaparement de terres par les grandes puissances émergentes dans les parties fertiles des pays les moins avancés représente un potentiel conflictuel. En 2008, le coréen Daewoo avait réussi à obtenir la location de près de la moitié des terres arables de Madagascar pour 99 ans. Le deal provoqua des émeutes qui contribuèrent à la chute du président Ravalomanana et finit par être annulé (Foreignpolicy.com).

Selon le Oakland Institute, ce sont presque 56 millions d'hectares (la superficie de la France) qui ont été acquis depuis 2008 par des états ou des fonds d'investissement dans des pays en développement, essentiellement en Afrique. L'ONG Oxfam cite le chiffre de 227 millions d'hectares vendus ou loués par des pays à des entités étrangères entre 2001 et 2011.

Les plus gros acquéreurs sont la Corée du Sud, l'Arabie Saoudite, la Chine et l'Inde (afriqueexpansion.com), inquiets de leur future sécurité alimentaire menacée par la conjugaison de l'accroissement démographique et du changement climatique.

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Energie et matières premières

[Fukushima]

Anne Lauvergeon, ex présidente du directoire d'Areva, donnait récemment une conférence à l'école militaire. Elle a redit sa conviction que la catastrophe de Fukushima aurait pu être maîtrisée sans l'entêtement de la société japonaise Tepco à refuser toute aide internationale. Areva avait immédiatement proposé de mettre des moyens de refroidissement à disposition, sans succès. Cette attitude reste pour elle, encore aujourd'hui, un mystère. On peut cependant imaginer que la fierté nationale japonaise ne pouvait s'accommoder d'une intervention étrangère, et pour Tepco d'autant moins venant de la part de concurrents.

Autres propos glanés pendant son exposé : il reste encore 7 réacteurs RBMK (le type Tchernobyl) en activité en Russie. Le niveau de sécurité de leur enceinte de confinement équivaut en gros à celui d'un hypermarché Carrefour...

[Hydrolien]

RTE (Réseau de Transport d'Electricité) a effectué une étude sur les incidences du développement des hydroliennes en mer sur le réseau électrique français. Notre potentiel hydrolien se situe entre 3 et 5 gigawatts (l'équivalent de 2 ou 3 EPR), essentiellement au large du Cotentin et de la Bretagne Nord. Parmi les problèmes à résoudre, le rapport identifie la capacité limitée d'absorption du réseau existant dans les régions concernées ainsi que les impacts écologiques liés à "l'atterrage" (le raccordement à terre) des câbles dans des environnements côtiers sensibles. Les coûts sont élevés et cette source d'énergie restera probablement marginale dans les années qui viennent.

Economie et Politique

[Taxe Hansen]

Deux sénateurs américains -l'un démocrate, l'autre indépendant- viennent de déposer un projet de loi pour l'instauration d'une taxe carbone avec pour objectifs de ramener en dix ans les émissions de CO2 20% au dessous du niveau de 2005, tout en collectant 1.200 milliards de dollars (sfgate.com).

Cette taxe fonctionnerait peu ou prou sur le principe que défendait le climatologue de la Nasa James Hansen dans sa lettre ouverte de décembre 2008 à Barack Obama (reproduite ici dans The Guardian).

Elle s'appliquerait au niveau de la production -à 20$ la tonne de CO2 plus une augmentation annuelle de 5,6% pendant 10 ans- et il y aurait une redistribution de 60% de l'argent collecté aux citoyens, le solde étant consacré à des investissements verts. Elle concernerait aussi les importations de combustibles fossiles. Le schéma est ambitieux et l'Europe, empêtrée dans un marché carbone dysfonctionnel, aura peut-être des leçons à prendre si la loi passe.

Il n'est pas impossible que certains républicains adhèrent à cette proposition, étant donné que le système de redistribution laisserait aux agents du marché la liberté d'arbitrer dans leurs choix économiques. L'action de l'état resterait donc limitée, conformément au dogme du "Grand Old Party". Cela n'empêche pas les "experts" du Hearland Institute, le principal think tank libéral climato-sceptique de manifester leur viscérale opposition.(prweb.com).

Pour certains analystes, ce projet ferait partie d'un futur "pacte faustien" qui consisterait à échanger le feu vert d'Obama pour le pipeline Keystone XL en provenance des gisements de sables bitumineux

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du Canada (voir La lettre du climat n°09) contre le vote de cette taxe carbone (investors.com). L'art de ménager la chèvre de l'environnement avec le chou des intérêts économiques de "big oil"...

Science et technologie

[Géo-ingénierie]

Dans la MIT Technology Review, David Rotman publie un état des lieux très complet des positions scientifiques sur la principale technique de SRM (Solar Radiation Management). Le concept est dans l'air, si l'on peut dire, depuis plusieurs années et consisterait à pulvériser de l'acide sulfurique à haute altitude pour provoquer une réaction chimique avec la vapeur d'eau de l'atmosphère, formant des aérosols de sulfate qui réfléchiraient une partie du rayonnement solaire. A utiliser en cas de situation désespérée, si le réchauffement devient incontrôlable.

L'effet de ces aérosols fut vérifié lors de l'éruption du volcan Pinatubo en 1991 (futura-sciences.com), qui entraina un refroidissement de la surface de la terre. David Keith, professeur à Harvard, s'attache depuis plusieurs années à valider ou infirmer l'efficacité de ce concept, selon lui seule solution à notre portée dans un terme assez court et financièrement supportable pour arriver à limiter le réchauffement.

En effet, même si les émissions de CO2 devaient s'arrêter du jour au lendemain, la température du globe ne baisserait pas d'elle-même avant des centaines d'années. Keith soutient qu'il serait irresponsable de ne pas lancer des tests approfondis pour étudier la dispersion de ces aérosols et surtout leur effet sur la couche d'ozone qui pourrait être destructeur. On pourrait ainsi évaluer la viabilité de la théorie.

Mais pour ses détracteurs, cette idée relève de la folie pure. Détail amusant : le terme de Solar Radiation Management aurait été inventé par le climatologue Ken Caldeira en 2007 pour se moquer du jargon utilisé par les bureaucrates du gouvernement américain. L'intention ironique n'a visiblement pas été comprise et le terme est resté.

Entreprises

[EDF Energy]

On l'oublie parfois mais EDF réalise à l'étranger près de 40% de son chiffre d'affaires, qui a atteint 73 milliards d'euros en 2012 (lefigaro.fr). EDF Energy, filiale à 100%, est un acteur majeur au Royaume-Uni et possède 8 des 10 centrales nucléaires de ce pays (présentation de Steve Hargreaves, directeur de la stratégie d'EDF Energy).

EDF Energy envisage depuis longtemps la construction de 2 nouvelles centrales EPR, soit 4 réacteurs, dans le Somerset et le Suffolk. Accessoirement, cet investissement pourrait représenter la dernière chance de survie commerciale du concept EPR qui a pris un coup dans l'aile après les dérapages financiers de Flamanville et Olkiluoto en Finlande.

Le gouvernement britannique soutient cette initiative, ainsi que les projets de l'alliance Hitachi - GE Energy, qui s'appuient sur la technologie ABWR, concurrente de l'EPR (Engineering & Technology Magazine).

En effet, il en a absolument besoin pour remplir ses objectifs de réduction d'émissions à 160 millions de tonnes de CO2 en 2050 (contre 580 en 2010). Un comité d'experts vient de lui remettre un rapport concluant que le nucléaire, y compris les nouvelles technologies comme les réacteurs à thorium ou à neutrons rapides, devra représenter les 2/3 de la production électrique du Royaume en

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2050 pour respecter cette exigence (businessgreen.com). Aujourd'hui, cette part est inférieure à 20%.

Mais pour l'instant, EDF Energy estime que son retour sur investissement est trop incertain et souhaite que l'état lui apporte plus de garantie, notamment en termes de prix de vente de l'électricité (Financial Times). Elle doit aussi pallier le retrait de Centrica, son allié britannique qui devait prendre une part de 20% dans le projet (lexpansion.com). CGNPC, la société chinoise avec laquelle EDF fait construire les 2 EPR de Taishan, pourrait prendre le relais.

Bien que le groupe EDF ait réalisé un bénéfice net de 3,3 milliards d'euros en 2012, il devra faire des économies en 2013, car il supporte un endettement de presque 40 milliards d'euros. Le montant global consacré à la maintenance du parc de production a augmenté de plus d'un milliard d'euros en 2 ans et les travaux post-Fukushima vont encore alourdir l'addition (rapport annuel EDF 2012). Cela rend d'autant plus difficile la mise en chantier de nouvelles capacités.

De là à modérer certains avantages des salariés français, pointés par la cour des comptes (Romandie.com), il y a un pas qu'EDF ne franchira évidemment pas.

Photo/vidéo de la semaine

Cette photo prise en 1991 lors de l'éruption du Pinatubo aux Philippines, dont j'ai parlé plus haut, nous rappelle combien il faut rester modeste face aux forces de la nature.

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