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PERCEPTION ET ATTITUDES DE LA FRANCE FACE AUX GRANDES ORGANISATIONS INTERNATIONALES Cours de Pierre MOSCOVICI, Député du Doubs, ENAP - Avril 2010 A l’heure où les relations entre Etats ne sont plus régies par la logique des blocs idéologiques et géopolitiques de l’époque de la guerre froide, les crises potentielles se sont multipliées, et revêtent des aspects nouveaux, transnationaux pour être plus précis - la lutte contre le changement climatique et le terrorisme en sont les symboles les plus évidents. L’organisation mondiale – et régionale, avec l’Union européenne - est donc désormais le lieu d’application privilégiée de la diplomatie française. Les objectifs de cette diplomatie hexagonale à l’égard des grandes organisations internationales, auquel est consacré ce module, correspond –comme l’ensemble de sa politique étrangère à l’idée que la France se fait de sa place, de ses intérêts et de ses devoirs dans le monde. Depuis le général de Gaulle, la diplomatie française est marquée par le souci de maintenir le rang de la France au niveau international, souvent tenue pour une marque d’arrogance par ses partenaires européens ou mondiaux. Sous la Vème République, la politique étrangère s’articule autour de l’édification d’un nouveau rôle international pour la France qui cherche à rehausser son pouvoir et son prestige, aidée en cela par son siège de membre permanent du Conseil de

Perception et attitudes de la France face aux organisations internationales

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PERCEPTION ET ATTITUDES DE LA FRANCE FACE AUX

GRANDES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Cours de Pierre MOSCOVICI, Député du Doubs,

ENAP - Avril 2010

A l’heure où les relations entre Etats ne sont plus régies par la logique des blocs

idéologiques et géopolitiques de l’époque de la guerre froide, les crises

potentielles se sont multipliées, et revêtent des aspects nouveaux, transnationaux

pour être plus précis - la lutte contre le changement climatique et le terrorisme

en sont les symboles les plus évidents. L’organisation mondiale – et régionale,

avec l’Union européenne - est donc désormais le lieu d’application privilégiée

de la diplomatie française.

Les objectifs de cette diplomatie hexagonale à l’égard des grandes organisations

internationales, auquel est consacré ce module, correspond –comme l’ensemble

de sa politique étrangère – à l’idée que la France se fait de sa place, de ses

intérêts et de ses devoirs dans le monde.

Depuis le général de Gaulle, la diplomatie française est marquée par le souci de

maintenir le rang de la France au niveau international, souvent tenue pour une

marque d’arrogance par ses partenaires européens ou mondiaux. Sous la Vème

République, la politique étrangère s’articule autour de l’édification d’un

nouveau rôle international pour la France qui cherche à rehausser son pouvoir et

son prestige, aidée en cela par son siège de membre permanent du Conseil de

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sécurité de l’ONU, son rôle de fondateur de l’Union et son statut de pays

détenteur de l’arme nucléaire.

Les lignes générales de cette politique s’inscrivent ainsi directement dans

cette perspective : indépendance nationale, refus de l’hégémonie

américaine, dialogue avec l’Est, construction européenne, capacité

d’influence mondiale, renforcée dans l’espace francophone, en Afrique et dans

les pays arabes. Elle s’articule autour de l’idée que la France renforcera sa

puissance par sa participation à une Europe unie et efficace. Le tournant des

années 1980 viendra changer la donne : la France infléchit sa stratégie de

présence dans le monde, ses interventions, pour avoir une légitimité

internationale, doivent être collectives. Il lui faut donc œuvrer dans le cadre

d’institutions internationales – celui du système onusien d’abord, mais pas

seulement.

Une ligne continue se dégage de la politique extérieure de la France : elle

estime avoir un rôle spécial à jouer en raison de son héritage historique,

berceau des droits de l’Homme, elle se doit de soutenir et de promouvoir les

acquis de 1789. Tous les discours prononcés dans les grandes enceintes

internationales comportent une référence forte à ce devoir. Les déclarations de

principe sont souvent plus aisées que leur mise en œuvre, mais ce n’est pas là le

sujet de cette séance. Je vais dans un premier temps brosser un tableau général

des actions de la France au niveau des organisations internationales, tribunes

privilégiées pour faire valoir sa puissance. Puis dans un second temps,

j’étudierai les stratégies d’influence que la France développe pour peser au

mieux dans les institutions multilatérales. Je parlerai peu ici de l’Union

européenne, que je ne considère pas comme une organisation internationale mais

comme un ensemble intégré indissoluble de la totalité de nos politiques,

intérieures et extérieures. Toutefois, j’en dirai un mot dans ma conclusion.

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I. LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES, TRIBUNES

PRIVILÉGIÉES POUR FAIRE AVANCER SES OBJECTIFS DE

POLITIQUE ÉTRANGÈRE

A. Les axes principaux de la politique extérieure de la France vis-à-

vis des grandes organisations internationales

Qu’il s’agisse de maintenir la paix dans le monde ou les équilibres

planétaires, la France prône le droit international et la coopération

multilatérale. On sait qu’elle s’est opposée, par la voix de l’ancien Président

Jacques Chirac, à la politique unilatéraliste de l’administration Bush et à la

guerre en Irak. Cette orientation est moins forte chez son successeur Nicolas

Sarkozy, qui a au contraire souhaité le retour de la France dans le

commandement militaire intégré de l’OTAN. Ses relations avec les Etats-Unis

oscillent entre l’alignement et l’hostilité. Il n’en demeure pas moins que notre

politique extérieure, par delà la différence des personnalités et des styles,

conserve une forme de constance : le multilatéralisme en est une, et c’est une

bonne chose. Pour nombre de questions en effet - pauvreté, environnement,

prolifération, terrorisme - la concertation et la coopération multilatérales

entre les acteurs internationaux sont une nécessité et les Nations unies,

seule instance universelle, en sont le lieu privilégié. La France y est donc active

dans tous les domaines.

Dans le domaine des droits de l’Homme, la France a toujours joué un rôle

particulier. Initiatrice dans les années 80 du droit d’ingérence humanitaire lancé

par Bernard Kouchner et Mario Bettati, elle défend aujourd’hui le concept de

« responsabilité de protéger », repris dans le document final du sommet mondial

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de 2005. Elle soutient également la lutte contre l’impunité pour prévenir de

nouvelles exactions, et a contribué à la création de la Cour pénale

internationale dont elle a été l’un des premiers États à ratifier le statut.

Observons toutefois qu’il existe dans ce domaine une différence marquée

entre la théorie et la pratique. Nicolas Sarkozy s’était fait élire sur un discours

très « droits de l’hommiste », il a choisi comme ministre des Affaires étrangères

le père du droit d’ingérence, Bernard Kouchner, il avait promis de dire leur fait

aux grandes puissances peu exemplaires en la matière que sont la Russie et la

Chine. En réalité, il est plutôt coulant, voire complaisant, avec les manquements

aux droits de l’homme commis dans ces deux pays. Son attitude sur le Tibet,

plus confuse que courageuse, l’a certes fâché avec les dirigeants chinois. Mais il

a vite retrouvé le goût traditionnel français pour la « relation spéciale » avec la

Russie – même lorsqu’elle est dirigée par Vladimir Poutine.

La France est très impliquée dans la réforme des Nations unies. Les

dernières crises ont confirmé le caractère central de l’ONU, mais elles ont

également renforcé la nécessité de rendre l’organisation plus efficace, et plus

représentative des équilibres mondiaux actuels. C’est pourquoi la France œuvre

avec détermination pour une réforme du Conseil de sécurité. Comme elle a

soutenu la transformation du G8 en G20, elle défend actuellement

un élargissement du Conseil de sécurité dans le cadre des négociations qui se

sont ouvertes sur ce thème à l’Assemblée générale début 2009. Elle soutient

ainsi l’accession à un siège permanent de l’Allemagne, du Brésil, de l’Inde, et

du Japon, ainsi qu’une présence plus importante des pays africains au Conseil de

sécurité, notamment parmi les membres permanents. Se pose aussi la question

de la présence d’un pays arabe au rang des membres permanents. La France a

engagé au Conseil de sécurité un travail de revue des Opérations de maintien de

la paix (OMP) afin de les rendre plus efficaces et plus à même d’atteindre leurs

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objectifs. Elle a proposé à ses partenaires du Conseil, conjointement avec le

Royaume-Uni, une réflexion sur la question.

Concernant le financement du développement, l’aide publique au

développement (APD) constitue une composante essentielle de la politique

étrangère française. A Monterrey en 2002, la France s’est engagée à

augmenter son APD afin de favoriser la réalisation des objectifs du

millénaire pour le développement (OMD). Ces objectifs ambitieux prévoient

notamment, à l’horizon 2015, la réduction de moitié de la population mondiale

vivant dans l’extrême pauvreté, la scolarisation dans le primaire de tous les

enfants et la réduction des deux tiers de la mortalité infantile. Le gouvernement

français s’est ainsi fixé comme objectif de hisser l’APD à hauteur de 0,7% du

revenu national brut (RNB) en 2015. Nous sommes encore loin du compte, mais

sur ce terrain plutôt en progrès. L’aide française représentait 0,39 % du RNB en

2008 (0,37% en 2007). Elle devrait dépasser 0,40% en 2009 (8,46 Mds d’euros,

faisant de la France le quatrième donateur mondial), et entre 0,44% et 0,48% en

2010. En outre, la France promeut activement la mise en place de financements

innovants pour le développement et notamment pour la réalisation des OMD.

Elle a été notamment, avec d’autres pays, à l’initiative de la taxe sur les billets

d’avion pour financer l’UNITAID - fonds international pour l’achat de

médicaments contre les grandes pandémies, participe à la Facilité internationale

de financement pour la vaccination (IFFIm), et réfléchit à des mécanismes sur

les transactions financières internationales et le développement.

Dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité, la France joue un

rôle important en matière de désarmement. Elle a œuvré pour l’élaboration

de nombreux traités, dernièrement pour la Convention sur l’interdiction des

armes à sous-munitions adoptée en 2008. Elle est très impliquée dans l’action

pour le respect du régime de non-prolifération et a joué un rôle clef dans

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l’adoption des différentes résolutions sur l’Iran et la Corée du Nord. La France

et le Royaume-Uni sont les deux premiers Etats à avoir ratifié le TICE (traité sur

l’interdiction complète des essais nucléaires) en 1998, et la France œuvre pour

son entrée en vigueur. La France est également le premier Etat à avoir décidé et

mis en œuvre le démantèlement de ses installations consacrées à la production

de matières fissiles pour les armes nucléaires. Elle soutient la reprise des travaux

relatifs à la négociation d’un Traité sur l’interdiction de la production de

matières fissiles pour les armes nucléaires. Plus généralement, elle cherche à

promouvoir avec constance un rôle ambitieux et efficace pour les Nations unies

fondé sur le droit international et le consensus. Lors de la crise irakienne en

2003, elle s’est ainsi opposée au recours unilatéral à la force et a prôné un rôle

central pour les Nations unies. Ses forces militaires et de police sont fortement

présentes à l’extérieur de ses frontières : en 2010, elle participe à 10 des 15 OMP des

Nations unies avec plus de 2000 casques bleus déployés sur le terrain, présents

pour l’essentiel au Liban (FINUL). A cette contribution directe s’ajoute un

engagement important au sein des forces autorisées par les Nations unies sans

être des casques bleus, avec plus de 7800 militaires français engagés dans ces

opérations. A ce titre, la France est présente en Côte d’Ivoire depuis 2002

(opération Licorne). Elle contribue également à la force internationale

d’assistance à la sécurité en Afghanistan (FIAS) et aux forces de l’Union

européenne en Bosnie (EUFOR-Althéa) et au Kosovo (EULEX).

B. Un grand intérêt pour les affaires internationales se traduisant par

un réseau dense d’ambassades et de représentations permanentes

La France, désireuse de jouer un rôle mondial, a pour principe la présence

la plus étendue dans le monde. Le nombre de ses ambassades et

représentations diplomatiques est très élevé. Ce maintien du réseau

diplomatique français semble être un principe constant pour les gouvernements

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successifs. Ainsi, bien qu’il tende à se contracter pour des raisons d’économies

budgétaires, notamment du fait de la revue générale des politiques publiques

(RGPP), le réseau français reste dense : la France est dotée du deuxième réseau

diplomatique du monde derrière celui des Etats-Unis et devant celui de la

Russie, du Royaume-Uni et de l’Italie. La comparaison des réseaux consulaires

montre que le réseau français est beaucoup plus dense que les réseaux étrangers,

alors que la population française expatriée n’est pas particulièrement

nombreuse : 116 postes français pour 81 postes américains, 76 postes allemands,

61 postes britanniques. Si l’on intègre les sections consulaires d’ambassades, les

chancelleries détachées, le réseau français comporte 234 implantations. La

France a à ce jour 17 représentations permanentes (RP) auprès des organisations

internationales à vocation mondiale, régionale et spécialisée.

Les « délégations » ou « représentations » permanentes auprès des

organisations internationales assurent la liaison entre les gouvernements

des États membres et le secrétariat de l’Organisation. Bien qu’il n’y ait

aucune obligation juridique, 180 États membres aujourd’hui ont établi des

délégations permanentes auprès de l’UNESCO. Elles représentent en effet pour

ceux-ci le « moyen privilégié pour la conduite d’une politique extérieure au sein

de l’Organisation » comme le soulignait Marie-Claude Smouts, dans son

ouvrage La France à l’ONU, paru en 1979.

C. La France est l’un des principaux contributeurs des OI

Le financement de l’Organisation des Nations Unies et des autres organisations

internationales (ONUDI, OTICE...) est assuré par les contributions obligatoires

des Etats membres et par des contributions volontaires.

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1. Les contributions obligatoires

Le budget ordinaire du Secrétariat de l’ONU, établi tous les deux ans, est

financé par des contributions obligatoires basées sur les barèmes établis par

l’Assemblée générale à New York.

Depuis la réforme des barèmes de contribution adoptée en décembre, la France

est le cinquième contributeur aux différents budgets de l’organisation (budget

ordinaire, opérations de maintien de la paix, tribunaux internationaux). Elle a

versé 91 millions d’Euros au titre des contributions obligatoires en 2009. Avec

une quote-part de 6,1 % du budget ordinaire en 2009-2010, elle se situe après les

Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et avant l’Italie (5%) et le

Canada (3,2%). En qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, sa

quote-part au budget des opérations de maintien de la paix (OMP) s’élève quant

à elle à 7,6% avec 382 millions d’euros au titre de l’année 2009. La France est

également le 5ème plus gros contributeur au budget de l’AIEA (6,239 % du

budget), derrière les Etats-Unis (25,663 %), le Japon (16,461 %), l’Allemagne

(8,493 %) et le Royaume-Uni (6,577 %).La France s’efforce de régler sa

contribution en totalité en début d’année compte tenu des difficultés de

trésorerie de l’organisation.

2. Les contributions volontaires

Au-delà des contributions obligatoires versées par la Direction des Nations

Unies et des Organisations Internationales au système des Nations Unies ou de

la participation au capital des Banques ou institutions du développement

(notamment FMI et BM), la France verse également des contributions

volontaires à différentes institutions onusiennes.

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A ce titre, la France fait partie des plus gros contributeurs de l’Association

Internationale de Développement (AID), un des organismes de la Banque

Mondiale. Celui-ci a réuni, en décembre 2007, 28,8 milliards d’euros qu’elle

peut dépenser de juin 2008 à juin 2011 au profit des pays dont le

revenu annuel par habitant est inférieur à 1065 dollars. La France avait fourni

7,1% des dons, soit 1,47 milliard de dollars, pour le précédent cycle triennal

(2005-2008). Cet argent est utilisé notamment à la construction d’infrastructures

(par exemple, 3000 km de 2 routes rurales aménagées au Nicaragua ou le

programme d’électrification au Vietnam). Il permet aussi, entre autres projets,

de développer le micro-crédit en Tanzanie, ou de cofinancer les programmes de

scolarisation des filles dans le secondaire au Bangladesh. Tous les trois ans,

l’AID doit reconstituer son capital, et demander aux pays les plus riches de lui

garantir un certain montant de dons permettant de réaliser un programme arrêté

en commun. Les priorités du programme de 2008 à 2011 (AID 15, le quinzième

cycle triennal) porte sur l’Afrique, les pays fragiles, les pays sortants d’un

conflit ainsi que les ensembles régionaux.

La France met également en place des « fonds fiduciaires » auprès de

certaines banques ou institutions. Les fonds fiduciaires sont un moyen

pratique de travailler avec les organisations internationales et sont largement

utilisés par différents services du Ministère des affaires étrangères.

Il s'agit de fonds, versés sous forme de contributions volontaires à des

organisations multilatérales (onusiennes et banques de développement en

particulier) et permettant de soutenir l'activité de cette organisation dans

un domaine précis ou pour une opération prédéfinie décidée conjointement

et mise en œuvre par l'organisme bénéficiaire. Ces « fonds d'affectation

spéciale » servent principalement à financer de l'expertise (court, moyen ou long

terme) et ils sont gérés selon les règles en vigueur dans l'organisme

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international. Sauf à l'OMC, l'ensemble des fonds fiduciaires français sont des

aides liées : de 90 % à la BERD à 75 % dans les fonds onusiens et auprès des

autres banques. La partie déliée doit être utilisée en faveur de consultants locaux

ou régionaux. Ces fonds sont ré-abondés en fonction du rythme de

consommation constaté et des disponibilités budgétaires.

Deux grandes catégories de bénéficiaires peuvent être distinguées :les

banques multilatérales ou régionales de développement d'une part (environ

le tiers des crédits fonds fiduciaire du MAE) et les organismes onusiens

spécialisés de l’autre. On notera que la direction du Trésor dispose également

de fonds fiduciaires essentiellement auprès des grandes banques de

développement : Banque mondiale et banques régionales. Les objectifs généraux

visés par ces fonds fiduciaires sont de :

- favoriser la cohérence des interventions bi et multilatérales et faciliter, le

plus en amont possible et au niveau de la définition des stratégies ou des

projets, la coordination opérationnelle au bénéfice des pays en

développement ou en transition concernés,

- promouvoir l'influence (approches, savoir-faire) française dans les

programmes multilatéraux où les financements bilatéraux sont réduits,

- promouvoir l'expertise française publique et privée et lui donner accès,

par le biais de ces contributions liées, aux financements multilatéraux,

- apporter enfin un soutien à certaines organisations en contribuant au

financement de leurs activités d'expertise.

Ces fonds sont attribués à des organisations en fonction de l'intérêt (politique et

économique) que l'institution représente pour le Ministère et de l'efficacité dont

elle fait preuve.

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Voici quelques exemples, loin d’être exhaustifs, d’utilisation de ces fonds

fiduciaires :

- Banque mondiale : ce compte permet de co-financer de l'expertise de

courte ou moyenne durée au bénéfice des pays clients de la Banque. Tous

les secteurs sont concernés.

- PNUD : le fonds fiduciaire permet une utilisation plus souple de

l'expertise de courte durée, que ce soit en matière d'identification de

projets, d'évaluation, d'expertise et de conseils, de coordination des aides,

de formation, d'études... Le fonds s'applique à tous les pays en

développement et en transition.

- OMS : ce fonds permet la prise en charge intégrale d'une expertise à court

ou moyen terme liée aux épidémies.

- UNESCO. Deux fonds ont été créés auprès de l'UNESCO :

1. un fonds destiné au suivi du Forum Mondial sur l'Éducation

servant à financer des activités d'expertise de courte ou moyenne

durée, la mise à disposition d'experts français de longue durée dans le

domaine de l'éducation de base et l'organisation de séminaires et

ateliers.

2. un fonds destiné à la mise en valeur du patrimoine monumental

urbain et naturel mondial servant à financer des activités

d'expertise de courte ou moyenne durée, la mise à disposition

d'experts français de longue durée, l'appui à des études ou actions

d'assistance technique, l'organisation de sessions de formation de

courte durée ainsi que des séminaires techniques

- FMI : ce fonds permet de co-financer des activités avec l'Institut de

formation du Fonds monétaire international, essentiellement destinées aux

pays africains.

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- OMC : ce fonds a été créé afin de contribuer au financement des activités

d'assistance technique de l'OMC. Les fonds fiduciaires alimentés par le

MAE ne sont pas exclusifs et de nombreux ministères techniques

disposent de ce type d'instrument d'intervention (Finances, Agriculture,

Environnement, Affaires sociales, Education...). Ces fonds peuvent se

compléter en terme d'outils techniques. Ainsi en ce qui concerne la

Banque mondiale et très schématiquement les « prestations

intellectuelles », elles sont couvertes par le MAE, alors que l'ingénierie

des projets est imputée sur le fonds alimenté par le ministère de

l'Economie et des Finances.

La France détient un poids non négligeable dans la prise de décision et

d’orientation des priorités proposées par la Banque Mondiale et le Fonds

Monétaire International (FMI). En effet, elle fait partie des huit principaux

pays qui nomment chacun un administrateur, alors que les autres pays membres

(177) sont représentés collectivement par 16 administrateurs. Avec environ 5 %

des quotes-parts, à égalité avec le Royaume-Uni, derrière les États-unis, le Japon

et l’Allemagne, la France se classe au quatrième rang en termes de droits de

vote. En effet, lorsque les votes sont organisés, les résultats demeurent fortement

influencés par le système des « quotes-parts » attribuées en fonction du poids du

pays dans le capital.

II. UNE STRATÉGIE D’INFLUENCE MULTIVECTORIELLE

« Ces organisations multilatérales nous appartiennent, au moins en partie. Nous

avons donc un intérêt tout particulier à en suivre, en orienter et si nécessaire en

infléchir ou critiquer les actions et interventions. Pour cela, la connaissance du

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terrain par les postes et le suivi qu'ils peuvent exercer sur l'action de ces

différents organismes sont irremplaçables. » - Document du MAEE

A. Le vecteur humain : le placement des « hommes »

Je ne parlerai pas ici du « sommet » - la direction des grandes

institutions internationales – si ce n’est pour souligner qu’il existe en la

matière une « tradition française ». Aujourd’hui encore, deux français,

deux socialistes d’ailleurs, occupent des postes de premier rang : Pascal

Lamy a la tête de l’OMC, Dominique Strauss-Kahn à celle du FMI, sans

évoquer bien sûr les institutions européennes – je pourrais ainsi citer Jean-

Claude Trichet, Président de la BCE. Ce que je veux évoquer ici est une

politique plus modeste, plus méthodique, tout aussi essentielle, de

« placement des hommes » dans les OI.

1. la Mission des fonctionnaires internationaux : une surveillance

« active » du nombre de Français et de leur positionnement dans les OI

La MFI est un service de la direction des Nations Unies et des Organisations

internationales (NUOI) du ministère des Affaires étrangères français, qui a

pour mission principale de « promouvoir la présence de personnels français

dans les organisations internationales». Une de ses principales activités est en

effet de soutenir les meilleures candidatures françaises par une forte activité de

lobbying à l’anglo-saxonne.

À cette fin, la MFI mobilise tout un réseau de « partenaires » plus ou

moins institutionnalisés au premier plan desquels on trouve la

représentation permanente (RP). C’est elle qui détermine en effet, du fait de sa

connaissance de l’organisation, quels sont les postes stratégiques ; c’est elle qui

représente le contact physique avec le secrétariat, c’est-à-dire qui rend les

« visites de courtoisie » comme on les appelle, aussi bien aux fonctionnaires

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internationaux français qu’aux agents des ressources humaines des organisations

internationales, et qui s’arrange parfois avec ces derniers pour faire accepter des

candidatures hors délai ; c’est la RP également qui passe les coups de téléphone

nécessaires, envoie les lettres de soutien qui prennent la forme d’un télégramme

diplomatique ou d’une note verbale; c’est elle aussi qui va recevoir et briefer les

candidats et qui commence ainsi, dès ce stade, à nouer des « relations suivies »

avec les Français qui ne peuvent être que « reconnaissants » de l’aide apportée.

L’importance du « relationnel », du fait qu’il faille « entretenir des

liens avec les compatriotes », revient comme un leitmotiv dans les

documents de la MFI, et sur ce point, l’ambassade, tout comme la RP, joue un

rôle important au travers notamment des réceptions que l’une et l’autre

organisent. L’ambassade est en effet un partenaire naturel de la MFI, qui va

notamment faire part de son point de vue le moment venu quant aux candidats

français à soutenir.

LA MFI va s’appuyer également sur des acteurs non-gouvernementaux.

C’est le cas du réseau constitué par les fonctionnaires internationaux français,

que la MFI alimente notamment dans une newsletter (plus de 1 400 abonnés)

ainsi qu’un forum électronique, mis en place en décembre 2006, sur le modèle

de celui des Français de l’OSCE, animé par la RP de cette organisation et sur

lequel circulent des informations concernant notamment les mouvements de

personnel prévisibles.

La MFI entretient par ailleurs des relations suivies avec les AFIF, ces

associations de fonctionnaires internationaux français qui sont au nombre

de 14. De par leur vision interne des évolutions prévisibles des emplois et des

organisations, les AFIF constituent en effet un partenaire privilégié de la MFI qui

les « encourage à jouer pleinement leur rôle dans la promotion de la présence

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française et de la défense de notre langue et de nos intérêts ». En déplacement

dans les différentes capitales, le chef de la MFI (mais il en va de même du

ministre des Affaires étrangères et du président de la République) rend

immanquablement visite aux AFIF. Une réception est organisée et les discours

qui y sont prononcés sont l’occasion de rappeler que « la France a pleinement

conscience de ce qu’elle doit à ses fonctionnaires internationaux », et qu’elle les

remercie « pour leur engagement et leur sens du service » (dixit le ministre des

Affaires étrangères lors de la réception offerte aux fonctionnaires internationaux

français de New York au moment de la 55e Assemblée générale des Nations

Unies).

2. L’importance du rôle que jouent ces personnels pour la France

Les fonctionnaires internationaux constituent en effet une manne

d’informations non négligeable concernant « la vie de l’Organisation ».

Plusieurs rapports, notamment les documents internes à la MFI, mettent en

évidence « l’importance du rôle que jouent ces personnels pour la France » et

l’importance également de l’échange d’informations au niveau international ».

Jacques Lanxade, dans son rapport intitulé Organiser la politique européenne et

internationale de la France (2002), expliquait ainsi que « L’opinion commune

veut, en France, que le secret soit le signe du pouvoir, la réalité internationale

montre que c’est l’échange d’informations qui crée la puissance ».

Et une des informations en particulier qui intéresse les États-

membres et la MFI est celle qui concerne les mouvements de personnel.

Lors du Comité des fonctionnaires internationaux de 2004, comité qui regroupe

les différents protagonistes (MFI, RP, AFIF, la première recommandation

générale était « une circulation plus fluide de l’information entre

l’administration et nos compatriotes en poste dans les organisations

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internationales sur les mouvements de personnel prévisibles », selon un

document de la MFI. Il s’agit en effet de préparer la relève, de trouver le

candidat idéal pour le poste qui va se libérer, ou alors d’essayer de « flécher »

littéralement le poste pour un candidat bien précis, ce que permet le système

d’emploi appliqué au sein de la fonction publique internationale. Il s’agit donc

de faire du « lobbying sur la succession », et pour cela, il faut que l’information

remonte le plus rapidement possible, ce qui ne peut se faire que par les

fonctionnaires internationaux en place.

Ce qui rend possible ce lobbying, voire ce « fléchage » des postes, n’est

autre que le mode de recrutement en vigueur au sein de la fonction

publique internationale. Dans le système d’emploi en effet, les emplois de

l’administration sont analysés comme ceux du secteur privé et le fonctionnaire

est recruté pour occuper un emploi précis. La description de poste permet donc

tous les abus imaginables et il n’est pas rare qu’une description de poste soit

modifiée a posteriori, c’est-à-dire une fois publiée, afin de « coller » au plus près

de la personne que l’on souhaite voir nommée. Selon Yves Courrier, ancien

fonctionnaire de l’UNESCO qui a été, entre autres, président du syndicat du

personnel de cette organisation à laquelle il a consacré un ouvrage (L’UNESCO

sans peine, 2005), « dans l’immense majorité des cas, dès qu’un poste est

vacant, et même avant, la personne qui doit être nommée est connue ou

pressentie».

3. Le financement d’experts : le programme JPO

Depuis de nombreuses années, le Ministère des Affaires étrangères français

poursuit une politique de placement de « jeunes experts associés »

(fréquemment dénommés « cadres associés », « junior professional officers »,

ou JPO) au sein d'organismes multilatéraux essentiellement onusiens mais aussi,

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et plus récemment, auprès des délégations de la Commission Européenne

(jeunes experts en délégations).

Ces organisations internationales proposent à de jeunes diplômés qui

disposent déjà d'une expérience professionnelle, la possibilité de développer

leur expérience internationale pendant deux ans. A l'issue de cette période,

certains peuvent être recrutés par ces organisations. Le MAE assure le

financement de ces postes pendant la durée du contrat. Les postes offerts sont

très variés et comportent des activités à caractère technique ou administratif.

Situés en principe sur le terrain dans les pays en développement, ils peuvent, à

titre exceptionnel, se trouver au siège de certaines organisations. L'expert

associé a souvent à travailler très concrètement dans le cadre de projet(s) ou

programme(s) de l'organisation. Divers profils sont recherchés en fonction de

l'organisation utilisatrice. Il s'agit de juristes, d'économistes, d'agroéconomistes,

d'experts en développement mais aussi d'urbanistes, de nutritionnistes, de

spécialistes en environnement... Le niveau universitaire moyen constaté est de

Bac +5. Un quart des JPO en poste possède un diplôme supérieur étranger. Tous

sont parfaitement bilingues.

Ce programme répond à trois objectifs :

- promouvoir l'expertise française dans les institutions internationales, au-delà

des postes limités par quotas et favoriser l'embauche de personnel français

compétent avec un souci de renouvellement régulier des effectifs ;

- faciliter la coordination opérationnelle des activités bi et multilatérales

réalisées et accroître l'efficacité des interventions au bénéfice des pays en

développement ;

Page 18: Perception et attitudes de la France face aux organisations internationales

1

8

- favoriser la prise en compte des conceptions et idées françaises sur des

thèmes, des problématiques ou dans des domaines que nous estimons

prioritaires, et à terme, promouvoir le recours aux opérateurs français.

Ainsi, depuis plusieurs années déjà, le programme JPO est devenu l’action

prioritaire de la MFI. Ce programme a sans conteste un effet sur les

« possibilités d’emploi » au sein des organisations internationales. Si certains

pays donateurs tel les Pays-Bas (le plus gros donateur) ont « externalisé » le

recrutement de leurs candidats pour le confier à une agence indépendante (le

Centre pour les JPO) la France, quant à elle, a préféré garder la mainmise sur la

sélection de ces futurs fonctionnaires internationaux. Ces « privilégiés », comme

les considèrent les agents de la MMFI, constituent par la suite des « personnes

ressources » pour la France selon les mêmes personnes, et cela contrairement

aux lauréats des concours organisés par les Nations Unies qui sont eux « perdus

pour la France », en quelque sorte, aux yeux de l’administration française.

Le programme des Jeunes experts associés connaît un réel succès auprès

des États membres, puisque l’on compte aujourd’hui vingt-quatre bailleurs

de fonds participant au programme (pour une grande partie occidentaux, à

l’exception de l’Arabie saoudite, du Japon et de la Corée du sud, un JPO coûtant

environ 10 000 euros/mois au pays donateur). L’avantage de ce dernier pour les

pays occidentaux et la France en particulier qui est, comme plusieurs pays de ce

groupe, surreprésentée au sein des organisations internationales, est de pouvoir

ainsi contourner le principe de répartition géographique. Ce principe qui, avec le

celui de compétence, prévaut au recrutement au sein des organisations

internationales, et auquel sont particulièrement attachés les pays du Sud,

représente pour la France « l’obstacle majeur au recrutement de nos

compatriotes », peut-on lire dans l’enquête annuelle menée par la MFI.

Page 19: Perception et attitudes de la France face aux organisations internationales

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9

Selon cette même source, les autres facteurs principaux qui gênent le

développement de la présence française sont, d’une part, le mouvement de

départs à la retraite dans les années à venir des fonctionnaires

internationaux français en position de responsabilité, qui va « faire perdre à

la France » un nombre important de postes de haut niveau, et d’autre part,

la spécialisation des recrutements qui valorise les cursus universitaires

anglo-saxons au détriment des profils français, plus « généralistes », ainsi que

l’exigence d’une connaissance parfaite de l’anglais. Il faut rappeler ici que le

facteur « langue » n’a pas toujours été en défaveur des Français. Bien au

contraire : l’exigence statutaire de bilinguisme qui caractérise les secrétariats

internationaux, de moins en moins appliquée il est vrai, a longtemps privilégié

de manière certaine les francophones bilingues, pour les mêmes raisons qui

conduisent par exemple les fonctionnaires canadiens d’origine québécoise à être

surreprésentés à Ottawa par rapport à ceux des autres provinces.

B. Le vecteur linguistique : la francophonie

Deuxième langue internationale après l’anglais, dixième langue du monde par le

nombre de locuteurs, le français est aussi l’une des 6 langues de travail de

l’Organisation des Nations unies. Il a le statut de langue officielle dans 28 pays

et occupe, sur le plan de la superficie, 15,2 % du territoire mondial, après

l’anglais (29,6 %) et avant le russe (13,1 %), l’espagnol (8,9 %) et le chinois

(7,2 %). Depuis la création de l’ONU, le français est l’une des 5 langues

officielles avec l’anglais, le chinois, l’espagnol et le russe, auxquels s’est ajouté

l’arabe, en 1973. Seuls l’anglais et le français (et plus tard l’espagnol) avaient

alors le double statut de langues officielles et de travail.

Page 20: Perception et attitudes de la France face aux organisations internationales

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0

Les débuts du français à l’Organisation des Nations unies n’ont pas été

faciles pour autant. Sur 51 Etats signataires, seuls 4 étaient alors de langue

française, la Belgique, la France, Haïti et le Luxembourg avec un siège aux

Etats-Unis. C’est l’arrivée massive des Etats africains, dans les années 1960, qui

a redonné au français une place importante. Dans les années 1980, plus de 40

des Etats membres de l’ONU demandaient à recevoir la documentation en

français. Depuis les années 1990, la situation du français est plus fragile,

notamment à New York. Le nombre de réunions sans interprétation est passé de

58 % en 1994 à 77 % en 2003. Dix-huit pays seulement revendiquent l’usage du

français à l’ONU. L’ONU, dont le fondement même est d’assurer la

concertation mondiale dans les meilleures conditions, a pris certaines mesures

(création d’un poste de coordonnateur du multilinguisme, examen biennal de

l’utilisation des langues) qui ont des effets positifs en particulier sur les

documents écrits : renforcement de la place du français sur le site Internet,

résumé en français du point de presse quotidien du Secrétaire général. De plus

sur les avis de vacance de postes la mention « anglais requis » a fait place à «

anglais ou français requis » ou « l’anglais et le français sont les langues de

travail du Secrétariat ».

Selon le dernier rapport du Secrétaire général de la Francophonie sur la

place du français dans les organisations internationales, le rayonnement

qu’a connu la langue française comme langue d’enseignement,

d’administration et de communication internationale tend à faiblir. Cette

situation est notamment perceptible dans les enceintes internationales, où un

recul du français est observé dans les faits. Sous couvert de restrictions

budgétaires la plupart du temps, certaines organisations n’assurent plus en effet

la traduction simultanée de certaines interventions ou discours ou ne présentent

pas leur site internet dans leur version française (ou trop tardivement pour être

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exploitable). De manière plus systématique, les procédures de recrutement se

font maintenant exclusivement en anglais.

Mais ce qui inquiète peut-être encore plus les autorités françaises et

francophones est le recul du droit français (romano-germanique) au profit

du droit anglo-saxon, « imposé », selon ces dernières, par les « juristes

américains » aussi bien au niveau des institutions de la justice que des

passations de marché. À titre informatif, l’onu, en 2000, représente un marché

de 3,73 milliards de dollars d’achats de biens et de services. C’est un aspect

auquel on ne pense pas toujours quand on parle de l’onu. Face à cette situation,

l’Organisation internationale de la Francophonie en appelle régulièrement à un

renforcement des actions menées par la Francophonie mais aussi par ses pays

membres. Les représentations permanentes de l’OIF auprès des Nations unies à

New York et Genève, auprès de l’Union africaine à Addis-Abeba et de l’Union

européenne à Bruxelles, appuyées par les groupes des ambassadeurs

francophones, sont un facteur d’influence en faveur de la diversité linguistique

et exercent une veille sur la place réservée au français dans les organisations.

Elles interviennent en cas de manquement aux règlements en matière

d’utilisation des langues.

Sur ce point, la MFI se veut également une cellule de veille francophone

signalant toute organisation qui se montrerait réfractaire au principe de bi-

ou de plurilinguisme en son sein. « L’usage du français dans les

organisations internationales » constitue donc une des priorités du plan

d’action de la MFI.

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2

C. Le vecteur géographique : une politique d’attractivité du territoire

national à améliorer

La France est, en plus d’une grande défenseure des organisations

internationales, une grande adepte de la « diplomatie des sommets ». Les

négociations au plus haut niveau, conduites depuis les années 1980 dans les

sommets multilatéraux, prennent une importance croissante. Dans ces enceintes,

seuls sont présents les chefs d’Etat et/ou leurs ministres des Affaires étrangères

et des Finances, voire quelques autres ministres. Les dossiers sont préparés par

des conseillers spéciaux et par les élites de la haute administration.

L’horizontalité est la règle : c’est la situation politique, économique et sociale du

monde entier qui est l’objet des réunions. Les questions posées sont au

croissement des préoccupations les plus aigües du monde moderne :

catastrophes humanitaires, environnement, grande criminalité, désarmement,

énergie, aide au développement, mines antipersonnelles, situation au Proche-

Orient, en Afghanistan, réforme de l’ONU, grands équlibres monétaires et

financiers.

Ces réunions prennent la forme des G7, G8, G10 et maintenant G20. La

France a fortement contribué à la création de cette nouvelle enceinte, chargée en

théorie de réformer la gouvernance internationale en matière économique et

financière, dont les résultats sont, à ce stade, encore décevants, mais qui a le

mérite d’exister. Les sommets bilatéraux, dont les plus anciens et connus sont

les sommets franco-allemands, qui se tiennent à une fréquence au moins bi-

annuelle et sont suivis de très nombreuses rencontres informelles, se sont

multipliés avec divers partenaires importants de l’OCDE. Il existe également

plusieurs types de grandes conférences régionales : sommet Europe-Asie (ou

ASEM), forum méditerranéen, sommets franco-africains, sommet Nord-sud. Les

Page 23: Perception et attitudes de la France face aux organisations internationales

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3

grandes organisations internationales sont également le siège de sessions

périodiques importantes (ONU, FMI, OCDE notamment).

Malgré son penchant pour cette forme alternative de diplomatie, la France

se montre peu attractive pour la tenue de sommets internationaux et de

conférences internationales : aujourd’hui, peu de localités hormis Paris,

Strasbourg, Lyon, Marseille et quelques stations balnéaires comme Nice

présentent les qualités requises en termes de centres de congrès et

d’infrastructures hôtelières pour accueillir de telles manifestations, alors que

cela a une portée symbolique forte qui peut se répercuter ensuite, de manière

subtile voire subliminale, sur la stature, et donc l’influence du pays hôte.

Il en va de même pour l’accueil sur son sol d’organisations internationales.

La France en a accueilli beaucoup pendant l’entre-deux guerres, mais

depuis 30 ans, cet effort a beaucoup diminué, alors que la diplomatie

multilatérale a explosé et a vu la création de nombreuses organisations.

Comme l’a fait remarquer le Conseil d’Etat dans une étude sur « L’implantation

des organisations internationales sur le territoire française », deux critiques

peuvent être émises en matière d’influence réciproque entre l’organisation

internationale publique et son pays d’accueil :

- la présence d’une organisation internationale publique ne garantit pas

automatiquement au pays d’accueil de bénéficier d’une influence prédominante.

Bien au contraire, l’expérience montre que les administrations françaises ont

parfois tendance à se reposer sur leur seule présence géographique.

- traditionnellement, la stratégie française a plutôt privilégié l’obtention des

postes de direction par rapport à l’accueil de l’organisme lui même. Or, ce n’est

pas forcément un gage d’influence et sûrement pas une source d’importantes

retombées économiques

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Le Conseil d’Etat incite donc la France à chercher à diversifier les types

d’implantations. Par-delà le soutien au développement des organisations

internationales publiques ayant déjà leur siège en France (comme l’OCDE,

l’UNESCO ou encore INTERPOL), il suggère que soit favorisé l’accueil de

bureaux régionaux ou spécialisés, en plus des nombreuses réunions auxquelles

donne lieu la « diplomatie de conférence ». Il appelle en ce sens à une

harmonisation, au niveau européen, du système des privilèges et immunités afin

d’éviter une concurrence contre performante entre pays d’accueil, qui m’amène

à évoquer avec vous, avant de prendre éventuellement vos questions, l’évolution

selon moi nécessairement européenne de l’attitude de la France vis-à-vis des

organisations internationales.

* *

*

Conclusion : vers une européanisation de la politique étrangère française ?

La France on l’a vu, considère les organisations internationales comme des

forums lui permettant de faire avancer dans une ère multipolaire ses principaux

axes de politique étrangère – défense des droits de l’Homme, aide au

développement, promotion de la paix et sécurité internationale ainsi que du

multilatéralisme. Je vous ai expliqué, un peu longuement peut-être, les différents

canaux d’influence qu’utilise la France pour faire entendre sa voix dans l’arène

internationale. Cette stratégie porte certes ses fruits, mais ceux-ci pourraient être

décuplés si elle s’inscrivait dans un projet plus grand, celui de l’intégration

européenne. Vous le savez, je suis un européen convaincu, et je vais donc

prêcher ici pour ma paroisse – après des explications académiques, place à

quelques considérations politiques.

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5

C’est le Conseil européen de Nice (2000) qui a posé les bases d’une relation

entre l’UE et l’ONU qui « permette notamment aux Européens de répondre de

manière plus efficace et cohérente à des demandes d’organisation chef de file

telles que l’ONU et l’OSCE ». Les domaines de coopération ont été ensuite

définis par l’UE au Conseil européen de Göteborg en 2001 : prévention des

conflits, gestion des crises, et questions régionales. A partir de 2003, des

opérations ont été menées en soutien ou en relève de l’ONU dans la gestion

militaire et civile des crises : opération prenant la relève d’une mission de police

de l’ONU (MPUE en Bosnie-Herzégovine), opération de l’UE déployée en

renfort d’une opération de maintien de la paix (opération Artémis et Eufor RD-

Congo). Ces opérations en soutien de l’ONU ont été décisives pour la

structuration du partenariat entre les deux organisations. Aussi ont-elles

formalisé leur coopération par une première déclaration conjointe signée le 24

septembre 2003. Elle identifie quatre principaux domaines de coopération : la

planification, la formation, la communication, et l’échange sur les retours

d’expérience des opérations menées. L’UE est devenue, à partir de ce moment-

là, un partenaire privilégié des Nations unies en matière de gestion des crises et

lui a régulièrement apporté son soutien.

Une nouvelle déclaration commune sur la coopération en matière de gestion des

crises a été signée en juin 2007. Elle vient compléter celle de 2003 et donne une

nouvelle impulsion politique aux différents domaines de coopération identifiés.

Cette coopération croissante entre les Nations unies et l’Union européenne

est facilitée par la conception très proche qu’ont les deux organisations de

l’action de la communauté internationale en matière de gestion des crises

(en particulier, la nécessité de mobiliser l’ensemble des instruments disponibles,

qu’ils soient politiques, civils ou militaires).

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Elle est source de légitimité renforcée pour les deux organisations :

les opérations de l’UE bénéficient de la légitimité politique conférée par les

mandats donnés par le Conseil de sécurité des Nations unies ;

les Nations unies, à travers l’appui apporté par les missions PESD, bénéficient

de la crédibilité et des moyens opérationnels apportés par l’UE pour conduire

des opérations complexes sur des terrains difficiles.

Il n’existe pas pour autant à proprement parler de politique étrangère

européenne. En effet, chaque État membre de l’Union européenne (UE)

conserve une entière souveraineté dans la conduite de sa politique étrangère.

Le traité de Maastricht (1992) a institutionnalisé une politique étrangère et de

sécurité commune (PESC), régie par des procédures intergouvernementales. Elle

se distingue nettement des politiques communautaires dans lesquelles les États

délèguent à l’UE une partie ou la totalité de certaines de leurs compétences.

La PESC consiste avant tout à coordonner les politiques étrangères des États

membres de l’Union européenne : elle prévoit des échanges d’information et des

consultations mutuelles entre Chancelleries, l’harmonisation des points de vue et

des actions diplomatiques concertées.

Elle a pour objectif de susciter l’émergence de principes communs avec,

éventuellement, des dispositions opérationnelles pour leur mise en oeuvre. Mais

la PESC n’est pas une politique étrangère unique menée par l’Union européenne

au nom de ses vingt-cinq États membres.

La récente guerre en Irak (2003) est venue le rappeler, puisqu’on a pu observer

que les États membres adoptaient des positions très divergentes et conduisaient

des politiques étrangères parfois antagonistes.

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Le traité de Lisbonne comporte en la matière d’indéniables avancées.

la création d’un poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union,

nommé par le Conseil européen statuant à la majorité qualifiée, avec l’accord du

président de la Commission, devrait contribuer à accroître la visibilité de

l’Union sur la scène internationale ; il cumule les fonctions de haut représentant

et de commissaire chargé des relations extérieures ; il conduit la PESC, est l’un

des vice-présidents de la Commission, il préside également le Conseil des

Affaires étrangères et dispose d’un droit d’initiative (article I-28) ;

en revanche, aucun transfert de souveraineté en matière de politique

étrangère des États aux institutions européennes n’est prévu ;

les décisions relevant du domaine de la PESC continueront à être prises en

majorité à l’unanimité.

La potentialité pour l’Europe de faire entendre sa voix dans le monde

réside sans doute aujourd’hui dans son approche multilatérale des relations

internationales, qui lui assure une certaine aura auprès de nombreux pays

du monde développé, mais surtout du Tiers-Monde. Faute d’une puissance

militaire encore à construire, l’UE peut tirer profit de sa culture de négociation,

acquise à travers près de soixante ans de construction européenne, pour faire

émerger à terme une autre vision des relations internationales, non plus fondées

sur la force mais sur le compromis et la discussion. Si la crise irakienne en a

pour l’instant montré les limites, c’est cependant sur cette voie que l’UE doit

poursuivre pour devenir une puissance du XXIe siècle.

Il reste, pour la France, un pas important à franchir : européaniser sa

politique étrangère. La France considère en effet trop souvent l’Europe comme

« une France en grand », elle ne l’aime que si l’Union obéit à ses préceptes, suit

ses orientations. Elle a, en réalité, une forme de méfiance par rapport à

l’intégration européenne, qui limite l’efficacité de son action internationale. Car

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la France seule ne peut plus peser comme hier dans les relations internationales.

Celles-ci, de plus en plus, s’organisent en zones régionales, les puissances

d’importance continentale ou quasi-continentale se multiplient : les Etats-Unis

bien sûr, la Chine évidemment, la Russie, le Brésil, l’Inde… Seule l’Europe unie

peut se faire entendre dans ce nouveau concept international.

Je suis convaincu que mon pays doit considérer davantage l’Europe comme

un multiplicateur d’influence que comme une entrave à sa souveraineté. Il

ne s’agit pas – je le dis ici, au Québec – de renoncer à notre identité, à notre

spécificité : il y a bien une voie et une voix française dans le Monde. Mais nous

devons, pour être mieux entendus, être capables, plus et mieux que nous le

sommes, de fabriquer des compromis, d’agir avec d’autres, et pour cela de

renoncer à ce qui est souvent perçu par nos partenaires de l’Union comme une

« arrogance française ». C’est un des reproches, peut-être le principal, que je fais

à Nicolas Sarkozy. Ce sera, en politique étrangère, un débat de la prochaine

élection présidentielle. Cela peut être aussi un point de départ pour notre

discussion.