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COMME ELLE VIENT LA LIBERTÉ MARDI 18 MAI 2010 21 SPORT MARDI 22 FOOTBALL 23 FOOTBALL 25 DOPAGE 27 VTT 29 LUTTE SUISSE 30 HOCKEY Sean Simpson LE BOYCOTT DE LA FIFA En 1956, plusieurs associations sportives non blanches demandent la reconnaissance internationale: le tennis de table, le cricket, l’haltérophilie, le bodybuilding. Vient le tour du rugby, sport de Blancs par excellence. C’en est trop. Le ministre de l’Intérieur, Te Donges, dicte la loi du 27 juin 1956: «Blancs et Noirs doivent organiser leurs activités séparément et les sportifs de l’extérieur sont tenus de respecter les coutumes.» L’avertissement est clair. Dans le football, on s’interroge également. Il est démontré que le nombre de footbal- leurs de couleur est deux fois supérieur à celui des Blancs de la très légale FASA, qui représente pourtant l’Afrique du Sud à l’étranger. Apprenant cela, la FIFA mandate une enquête sur la situation en Afrique du Sud. Ce n’est qu’en 1961 qu’elle suspend momentanément la FASA qui rejette le prin- cipe multiracial dans le football demandé par la FIFA. Pour calmer le jeu, la FASA orga- nise un match interracial opposant les Ger- miston Callies aux Africans Pirates de Soweto. Cela suffit à réintégrer la FASA dans la grande famille du football mondial. Mais lorsque la FASA dévoile ses projets d’envoyer une équipe blanche au Mondial en Angleterre en 1966 et une noire à Mexico en 1970, elle est finalement exclue de la FIFA. Ce n’est qu’après la libération de Man- dela en 1990 que le clivage tombe. En 1992, la FASA rejoint la FIFA. Dans la lancée, elle se voit accorder l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations en 1996. TBU AFRIQUE DU SUD Apartheid: et maintenant? SÉGRÉGATION TIPHAINE BÜHLER, DE RETOUR D’AFRIQUE DU SUD Le test du crayon Le clivage demeure I Le Mondial, acte politique Le choix de l’Afrique du Sud comme organisateur du Mondial est-il politique? Lubabola Mpongoshe, joueur de rugby noir, étudiant en management du sport à l’Université acquiesce: «La politique est omniprésente dans le sport, elle a le pou- voir de l’influencer. La corruption qui y règne en est le parfait exemple. Beaucoup d’argent circule grâce au Mondial, mais il reste dans les hautes sphères et peine à arriver dans les petits clubs. Il y a des lacunes énormes dans l’organisation du sport en Afrique du Sud. Des projets comme la Coupe du monde en ont fait prendre conscience.» TRAITRE DE JOUER AVEC LES BLANCS Miley Ajam, ex-professionnel de football, métisse. «Bien sûr que c’est politique. Cela va aider. On ne va toutefois pas changer les mentalités d’un coup de baguette magique. A la fin de l’apartheid, le gouver- nement a été obligé d’écrire des lois pour qu’on accepte des Noirs dans les équipes de cricket et de rugby. A l’époque, j’étais considéré comme un traître parce que je jouais au foot avec les Blancs. Les choses évoluent, mais les trois groupes de cou- leurs restent. La mixité n’est pas encore la règle.» Vernon Oosthuizen, professeur de mana- gement du sport à l’Université, Afrikaner, précise: «Le Mondial est une bonne oppor- tunité économique pour le pays. Plusieurs anciens étudiants de mon programme ont trouvé du travail dans l’organisation de la Coupe du monde. Il y a malheureusement aussi énormément d’argent qui est investi sans compter. Prenez le stade de Port Eli- zabeth, beaucoup disent qu’il deviendra un éléphant blanc isolé après le Mondial. Diffi- cile de dire ce qu’on retirera vraiment de cet événement.» LE MESSAGE DE MANDELA Thulani Mabaso, ex-prisonnier politique de Robben Island. «Le sport est un souffle de liberté, où qu’il soit. En prison à Robben Island, on se lançait des balles de tennis ou des ballons d’une cour à l’autre entre les départements haute sécurité et les stan- dards. Nelson Mandela a eu l’idée de glis- ser des messages de motivation et de lutte à l’intérieur des balles. Un jour, les gardiens ont découvert cela. Tout le monde a été enfermé. Mais le sport a continué de faire partie de notre vie, même en prison. On ne peut pas enfermer le sport dans un registre purement physique. Il a quelque chose d’universel.» TBU Malgré l’abolition de l’apartheid, le clivage racial demeure dans le sport sud-africain. TIPHAINE BÜHLER LE PEUPLE DE L'HERBE Nelson Mandela, icône de la lutte contre l’apartheid. KEYSTONE

Apartheid et sport où en est-on?

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Page 1: Apartheid et sport où en est-on?

COMME ELLE VIENT

LA LIBERTÉ MARDI 18 MAI 2010 21

SPORTMARDI

22 FOOTBALL Trois points qui rendent serein23 FOOTBALL Le bonheur est à Pra Novy25 DOPAGE Les «gros» entrent dans la lutte27 VTT Avantage aux Neuchâtelois29 LUTTE SUISSE Michaël, l’autre Pellet30 HOCKEY Première défaite de la SuisseSean Simpson

LE BOYCOTTDE LA FIFAEn 1956, plusieurs associations sportivesnon blanches demandent la reconnaissanceinternationale: le tennis de table, le cricket,l’haltérophilie, le bodybuilding. Vient le tourdu rugby, sport de Blancs par excellence.C’en est trop. Le ministre de l’Intérieur, TeDonges, dicte la loi du 27 juin 1956: «Blancset Noirs doivent organiser leurs activitésséparément et les sportifs de l’extérieursont tenus de respecter les coutumes.»L’avertissement est clair.

Dans le football, on s’interroge également.Il est démontré que le nombre de footbal-leurs de couleur est deux fois supérieur àcelui des Blancs de la très légale FASA, quireprésente pourtant l’Afrique du Sud àl’étranger. Apprenant cela, la FIFA mandateune enquête sur la situation en Afrique duSud. Ce n’est qu’en 1961 qu’elle suspendmomentanément la FASA qui rejette le prin-cipe multiracial dans le football demandépar la FIFA. Pour calmer le jeu, la FASA orga-nise un match interracial opposant les Ger-miston Callies aux Africans Pirates deSoweto. Cela suffit à réintégrer la FASAdans la grande famille du football mondial.Mais lorsque la FASA dévoile ses projetsd’envoyer une équipe blanche au Mondialen Angleterre en 1966 et une noire à Mexicoen 1970, elle est finalement exclue de laFIFA. Ce n’est qu’après la libération de Man-dela en 1990 que le clivage tombe. En 1992,la FASA rejoint la FIFA. Dans la lancée, ellese voit accorder l’organisation de la Couped’Afrique des nations en 1996. TBU

AFRIQUE DU SUD

Apartheid: et maintenant?SÉGRÉGATION • Noirs ou Blancs n’avaient pas les mêmes droits face au sport enAfrique du Sud. Aujourd’hui, la mixité est théoriquement de mise.Témoignages.

TIPHAINE BÜHLER,

DE RETOUR D’AFRIQUE DU SUD

«On n’avait pas le droit de jouer duhockey sur terre avec les Blancs», sesouvient Kurt. L’ancien profession-nel de la ligue des «colorés» fermeles yeux. Métis dans la quarantaine,il a toujours espéré affronter ceuxde la ligue blanche. Seize ans aprèsla fin de l’apartheid, l’ex-championde Port Elizabeth a réalisé son rêve.Une rencontre de gala a été organi-sée entre son ancienne équipe etcelle blanche. Il a gagné. L’impor-tant n’est pas là.

«Sous l’apartheid, on disputaitles tournois interprovinciaux à tra-vers tout le pays», poursuit Kurt.«C’était seulement pour les «colo-rés». On n’avait pas le droit de sortirdu pays ou de disputer des compé-titions internationales. C’est sûr, lasituation était difficile. On roulaitpendant 25 heures dans un bus quiavait sans cesse des ennuis de mo-teur. On allait dormir chez les gens,sans pouvoir les dédommager. Onse débrouillait avec 40 rands (4 eu-ros) pour sept jours par joueur.Mais on se sentait libres.»Le test du crayon

Ils sont des millions d’athlètesnoirs ou métis à avoir été mis auban du sport d’élite. Insidieuse-ment, on les a obligés à rester invi-sibles aux yeux du monde entier,privés de financements, d’infra-structures et même d’accès auxstades en tant que simples specta-teurs. C’est en 1892, déjà, que le

processus commence, avec la créa-tion de la Football Association ofSouth Africa (FASA) réservée auxBlancs. Des associations ségréga-tionnistes verront le jour pour lesIndiens, les Bantous et les Noirs. Lamixité dans une même équipe estinimaginable. Le «test du crayon»sur les cheveux, pour différencierMétis ou Blancs fait la loi. Cettepratique dicte dans quelle liguel’athlète pourra évoluer. Dans lesannées 1940, avant l’avènement del’apartheid, des rencontres de foot-ball interraciales seront encore organisées. Elles seront bientôt interdites.

A la fin des années 1950, descontestations internationales semultiplient. La fédération de tennisde table sera la première associa-tion sportive non blanche du pays àêtre reconnue à l’étranger. On esten 1956. La FIFA lui emboîtera lepas (lire ci-contre).

Ambassadeur du Nelson Man-dela Stadium de Port Elizabeth etancien footballeur professionnel,Miley Ajam a été l’un des rares mé-tis à évoluer dans des équipesblanches sous l’apartheid. «J’avaisun double handicap», rit l’ex-athlè-te de 54 ans. «J’étais coloré et mu-sulman. Cela ne m’a pas empêchéd’évoluer au plus haut niveau. Dès1981 (ndlr: soit plus de dix ansavant la fin de l’apartheid), j’ai jouédans une équipe blanche. Si on a letalent, le racisme ne compte plus.Je me souviendrai toujours des re-gards lorsque j’ai pris l’avion pour

Johannesburg, en 1994, avec mescoéquipiers blancs…»Le clivage demeure

Miley Ajam s’est joué des fron-tières raciales. Il ne les nie pas pourautant. «On avait le droit de religionet de sport en tant que non-Blancs.Pourtant, on ne pouvait pas allersur la plage, ni au stade», raconte-t-il. «Aujourd’hui, beaucoup de Noirsont encore ce réflexe. Ils craignentd’entrer dans un club. Le seul mes-sage qui peut faire avancer leschoses est de se dire qu’on a lesmêmes chances, que l’on soit Blancou issu d’un township. Le talent décidera.»

Le regroupement des associa-tions sportives de toutes origines sefait lentement depuis 1991. Le fosséreste, près de 20 ans après. Il est lerésultat d’un écart économiqueentre la communauté noire et lablanche. Et du carcan des mentali-tés. «Il y a des méthodes d’ensei-gnement différentes entre Blancs etNoirs. Ces derniers ont accumulébeaucoup de retard sur le plansportif. Il y a aussi de nombreusesfrustrations», estime Vernon Oos-thuizen, professeur d’études demanagement du sport de la NelsonMandela Université.

Dans les faits, le clivage est là.Le football reste un sport de Noirs,avec des matches de 1re divisionpour 30 rands (3 euros), tandis qu’ilfaut débourser 300 rands pour voirun match équivalent de rugby, dis-cipline très chère aux Afrikaners. I

Le Mondial,acte politiqueLe choix de l’Afrique du Sud commeorganisateur du Mondial est-il politique?Lubabola Mpongoshe, joueur de rugbynoir, étudiant en management du sport àl’Université acquiesce: «La politique estomniprésente dans le sport, elle a le pou-voir de l’influencer. La corruption qui yrègne en est le parfait exemple. Beaucoupd’argent circule grâce au Mondial, mais ilreste dans les hautes sphères et peine àarriver dans les petits clubs. Il y a deslacunes énormes dans l’organisation dusport en Afrique du Sud. Des projetscomme la Coupe du monde en ont faitprendre conscience.»

TRAITRE DE JOUER AVEC LES BLANCS

Miley Ajam, ex-professionnel de football,métisse. «Bien sûr que c’est politique. Celava aider. On ne va toutefois pas changer lesmentalités d’un coup de baguettemagique. A la fin de l’apartheid, le gouver-nement a été obligé d’écrire des lois pourqu’on accepte des Noirs dans les équipesde cricket et de rugby. A l’époque, j’étaisconsidéré comme un traître parce que jejouais au foot avec les Blancs. Les chosesévoluent, mais les trois groupes de cou-leurs restent. La mixité n’est pas encore larègle.»Vernon Oosthuizen, professeur de mana-gement du sport à l’Université, Afrikaner,précise: «Le Mondial est une bonne oppor-tunité économique pour le pays. Plusieursanciens étudiants de mon programme onttrouvé du travail dans l’organisation de laCoupe du monde. Il y a malheureusementaussi énormément d’argent qui est investisans compter. Prenez le stade de Port Eli-zabeth, beaucoup disent qu’il deviendra unéléphant blanc isolé après le Mondial. Diffi-cile de dire ce qu’on retirera vraiment decet événement.»

LE MESSAGE DE MANDELA

Thulani Mabaso, ex-prisonnier politique deRobben Island. «Le sport est un souffle deliberté, où qu’il soit. En prison à RobbenIsland, on se lançait des balles de tennis oudes ballons d’une cour à l’autre entre lesdépartements haute sécurité et les stan-dards. Nelson Mandela a eu l’idée de glis-ser des messages de motivation et de lutteà l’intérieur des balles. Un jour, les gardiensont découvert cela. Tout le monde a étéenfermé. Mais le sport a continué de fairepartie de notre vie, même en prison. On nepeut pas enfermer le sport dans unregistre purement physique. Il a quelquechose d’universel.» TBU

Malgré l’abolition de l’apartheid, le clivage racial demeure dans le sport sud-africain. TIPHAINE BÜHLER

LE PEUPLE DE L'HERBE

Nelson Mandela,icône de la lutte

contre l’apartheid.KEYSTONE