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Mission « Acte II de l’exception culturelle » Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique Pierre LESCURE Mai 2013 - Tome 1 -

Rapport de la mission Culture acte 2 - Tome 1

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  1. 1. Mission Acte II de lexception culturelle Contribution aux politiques culturelles lre numriquePierre LESCUREMai 2013- Tome 1 -
  2. 2. Mission Culture Acte IIA Gilles Le Blanc,notre ami, qui ce rapport doit beaucoup.
  3. 3. Mission Culture Acte IIREMERCIEMENTSLes personnalits de la culture, de lconomie numrique et de la socit civile auditionnes ou rencontres par lamission ont nourri sa rflexion grce la richesse de leurs contributions, toujours argumentes et stimulantes. Quilsen soient tous chaleureusement remercis.La mission exprime en outre sa gratitude lensemble des administrations et tablissements publics dont lexpertise at sollicite. Ces remerciements sadressent tout particulirement aux services et oprateurs des ministres de laculture et de la communication, des affaires trangres, de lconomie et des finances, du redressement productif, delconomie numrique et du commerce extrieur. Ils vont aussi aux responsables des collectivits territoriales, desservices dconcentrs et des structures culturelles qui ont assur lorganisation sans faille des trois dplacements Rennes, Marseille Aix-en-Provence et Bordeaux, permettant la mission daller la rencontre des acteurs de terrain.La mission tient galement remercier pour leur disponibilit et leur concours M. David Kessler, conseiller mdias etculture du prsident de la Rpublique, MM. Denis Berthomier et Fabrice Bakhouche, conseillers culture,communication et conomie numrique du Premier ministre, et lensemble des membres du cabinet de la ministre dela culture et de la communication.La mission adresse enfin ses plus vifs remerciements tous ceux qui ont permis la mise en uvre de la dmarche deconcertation participative et ouverte voulue par le gouvernement : M. Thomas Aillagon, responsable du dpartementde linformation et de la communication du ministre de la culture et de la communication ; lensemble de sonquipe, et tout particulirement Mmes Sigolne Boyer et Manon Lhuillier et M. Thibaut Chapotot, webmasters du sitede la mission, Mmes Perrine Balbaud et Alison Chekhar, modratrices du blog participatif, M. Guillaume Bourjeois etMme Agathe De-Legge, du ple veille et analyse mdia ; M. Damien Charton, qui a assur la captation et le montagedes auditions ; les quipes de lInstitut national du patrimoine et de lInstitut national de lhistoire de lart, qui ontaccueilli la mission tout au long de ces huit mois.
  4. 4. Mission Culture Acte II SommaireSOMMAIREINTRODUCTION 1SYNTHESE 5A. ACCES DES PUBLICS AUX UVRES ET OFFRE CULTURELLE EN LIGNE 61. Dynamiser loffre en amliorant la disponibilit numrique des uvres 8a. Promouvoir lexploitation numrique des uvres 8b. Assouplir la chronologie des mdias 92. Favoriser le dveloppement dun tissu de services culturels numriques innovants et porteurs dediversit culturelle 10a. Remdier aux distorsions de concurrence 11b. Adapter les dispositifs daide aux enjeux du numrique 12c. Promouvoir une offre culturelle en ligne rgule 13d. Maintenir et actualiser lexception culturelle 143. Proposer aux publics une offre abordable, ergonomique et respectueuse de leurs droits 15a. Favoriser lmergence dune offre gratuite ou abordable 15b. Amliorer lexprience utilisateur et garantir les droits des usagers 17B. REMUNERATION DES CREATEURS ET FINANCEMENT DE LA CREATION 181. Garantir la rmunration des crateurs au titre de lexploitation numrique de leurs uvres 19a. Encadrer le partage de la valeur 19b. Consolider la rmunration pour copie prive et anticiper la transformation des usages 22c. Approfondir la rflexion sur la cration dun droit rmunration au titre du rfrencement par lesmoteurs de recherche 242. Renforcer la contribution des acteurs numriques au financement de la cration 25a. Moderniser le compte de soutien au cinma et laudiovisuel en intgrant les nouveaux acteurs de ladiffusion et de la distribution 25b. Repenser la contribution des oprateurs de tlcommunications 26c. Mettre contribution les fabricants et importateurs dappareils connects 273. Soutenir les nouvelles formes cratives et les nouveaux modes de financement 29
  5. 5. Mission Culture Acte II SommaireC. PROTECTION ET ADAPTATION DES DROITS DE PROPRIETE INTELLECTUELLE 301. Rorienter la lutte contre le piratage en direction de la contrefaon lucrative 30a. Approfondir la rflexion sur les changes non marchands 31b. Allger le dispositif de rponse gradue 32c. Renforcer la lutte contre la contrefaon lucrative 342. Adapter le droit de la proprit intellectuelle aux usages numriques 36a. Moderniser les exceptions au droit dauteur 36b. Protger et valoriser le domaine public numrique 38c. Mieux reconnatre les licences libres 383. Faciliter laccs aux mtadonnes 39FICHES DETAILLEES 41
  6. 6. Mission Culture Acte II Introduction1INTRODUCTIONAprs neuf mois de travaux, la Mission pour lActe II de lexception culturelle dlivre ici son rapport. Et cetteintroduction est, pour moi, une manire de bilan de la mthode suivie et de ses rsultats. En ltat.En accord avec la ministre de la culture et de la communication, nous avons souhait une quipe rduite : quatrejeunes gens, deux femmes et deux hommes, tout juste trentenaires, mais dj chargs dexpriences et deconnaissances (financires, juridiques, technologiques et conomiques). Et aimant tous et toutes peu prs tout cequi approche les biens culturels.Leur ge mimportait, la recherche dun quilibre avec mon parcours et ma gnration, mes dbuts professionnelsdatant du milieu des annes 60 Cet quilibre nest pas cosmtique mais srement symbolique et surtoutdynamique.La rvolution numrique, multiple, universelle, rjouissante, dbordante et aussi dstabilisante a, dores et dj,chang le fonctionnement du monde et de nos vies. La rvolution est l. Elle ne va faire que crotre et embellir et cesttant mieux.Pour lquipe de la Mission, lusage du numrique est plus que naturel : ils sont quasiment ns avec. Pour moi,nombre dexercices, dapplis nouvelles, de circuits courts, demandent toujours un effort un peu trop appliqu, lalimite quelquefois du laborieux.Pour autant, dans le champ danalyse confi la mission, et dailleurs dans tous les secteurs dactivit, ladaptation lre numrique demande un maximum douverture, de fracheur et dcoute. Mais cela exige aussi dtreextrmement attentif ce qui doit demeurer dhier et daujourdhui, tant dgards. Cet quilibre est, faut-il lerappeler, encore plus essentiel, vital mme, sagissant des uvres de lesprit, de la culture et du beau geste.Ce qui est en jeu, cest lvolution et ladaptation des systmes qui ont install, ds les annes 1960, maissingulirement au dbut du premier septennat de Franois Mitterrand, ce que lon appelle lexception culturelle.Volontairement, je nai pas immdiatement ajout franaise. Evidemment, cest de lacception franaise de ceconcept que la mission a trait. Mais lexception culturelle est, pour moi, universelle et, pour tre efficace, dabordeuropenne.Il semble que les choses se prsentent mieux quen 1993, avant les grandes ngociations commerciales entre lEuropeet les Etats Unis. La culture sera reconnue comme un autre type de production et donc dun commerce diffrent.
  7. 7. Mission Culture Acte II Introduction2L, comme souvent dans ces domaines, la volont politique du gouvernement franais a jou un rle dterminant. Ellesera plus que jamais ncessaire face aux chances qui sannoncent.LEurope a pour aller vite un minimum de 27 exceptions culturelles. Chacune doit vivre et fleurir et les 26 autresprofiter de lensemble et de sa diversit.Un ami espagnol, lessayiste et sociologue Juan Cuetto, me disait un jour : Cest quoi lEurope ? Cest un continentavec plein de pays qui doit tendre ne faire quun et o on se dit souvent : Tu as vu ce film ou lu ce livre.il ny avraiment quun espagnol pour crer un truc comme a et a marche avec un belge, un franais ou un polonais. Jaime cette illustration de la culture europenne, unique et multiple.Aujourdhui, tout ou presque reste pertinent dans les principes de lexception culturelle. Mais les auditions (94), lesentretiens (une centaine), les dplacements (cinq), les dbats autour de la mission ont mis en lumire un fossdangereux entre les attentes des publics et les proccupations des industries culturelles et des ayants droit.Lobjectif des 80 mesures que nous proposons dans ce rapport est de contribuer rduire ce foss, faire dialoguerles crateurs et leurs publics, instaurer la ngociation et la construction permanente entre industries culturelles etindustries numriques.Les concepts eux-mmes doivent tre rafrachis. Le vocabulaire doit souvent tre revisit : diteur, hbergeur,distributeur, plateforme, media tous ces termes ont pris, dans le langage courant, un sens nouveau que le droitnapprhende pas toujours correctement. Loin de l.Nous avons structur la synthse qui ouvre ce rapport, comme les quelque 400 pages danalyses, de propositions etmodes demploi suggrs, en trois grands chapitres. Le premier est consacr laccs des publics aux uvres et loffre culturelle en ligne. Le second est ddi la rmunration des crateurs et au financement de la cration. Letroisime sattache la protection et ladaptation des droits de proprit intellectuelle.80 propositions donc. Je souhaite que lon considre avec attention chacune dentre elles.Le contexte est dcrit et analys, lexpos des enjeux tabli et la proposition est, chaque fois, dtaille, je diraismme, usine voire outille. Chacune a sa logique, toutes, nos yeux, ont une cohrence.Ce dont je suis convaincu, cest que ce sont l des suggestions, des conclusions qui doivent dclencher un premierpas, indispensable, pour que lensemble des paramtres de lexception culturelle franaise acclre son adaptation la rvolution des usages et de lconomie numriques.Si un maximum de propositions devaient tre retenues puis suivies deffets, mme quelque peu amodies,redessines dans leur dtail, ce premier mouvement appellera dautre pas, une nouvelle faon de marcher enquelque sorte.Certains lments demanderont un texte nouveau, une disposition lgislative particulire. Mais, aussi souvent quepossible, nous avons cherch travailler et rflchir droit constant. Les bons usages, les engagements, lesconventions et accords, bilatraux ou par secteur, accompagns, incits et soutenus par les pouvoirs publics, sont unevoie ncessaire, une mthode indispensable. Lobservation doit tre permanente, les ajustements les plus rgulierspossibles.
  8. 8. Mission Culture Acte II Introduction3Ladaptation volontaire de lexception culturelle franaise, face au numrique et ses usages est, comme disaitquelquun, une ardente obligation.Au fil de ces neuf mois, je crois que, grce cette multitude dchanges et au travail de lquipe, avec aussi lapportdes experts du Ministre de la Culture, beaucoup de mes points de vue ont volu. Jespre que le trs large et trsprofond tat des lieux propos dans ce rapport servira la rflexion de tous les acteurs et observateurs comme il sestrvl formateur pour nous.Et puis, surtout, je souhaite que ce panorama analytique aide une meilleure comprhension de la vie, des envies,des attentes, de lhumeur mme, des publics et usagers du numrique, cest--dire tous les habitants de ce pays,pratiquement sans exception. Les jeunes, bien sr, maispas que ! ;-)Cela tant, il ny a quune conviction qui na pas chang en moi, du dbut la fin de ce travail : les monopoles (ouquasi) sont pernicieux et deviennent un jour ou lautre de faux amis, mme leur corps dfendant. Maisheureusement, ils nont pas de pire ennemi queux mmes et, comme la montr IBM dans les annes 1960, et, dansune certaine mesure, dautres plus rcemment, leur omnipotente suprmatie devient un jour leur faiblesse. Tout vavite, surtout lheure du numrique, aujourdhui et demain plus encore.Cest Mario Monti, alors commissaire europen la concurrence, qui disait que quand un oprateur atteint des 90 %de parts de march et au del, cela lui impose des obligations et des devoirs particuliers. Cest toute la question. Et ilne sagit pas, ni de prs, ni de loin, de discuter labsolue ncessit de la neutralit du Net, il sagit de responsabilit vis vis de ceux-l mmes qui ne peuvent vous chapper, mme sils sourient de bonheur consentant.Avant de vous laisser avec les conclusions de cette mission qui ma passionn et dont les enjeux ne me laisserontjamais indiffrent, je vous livre quelques images, quelques souvenirs un peu comme lOncle Paul (dans Spirou) demon enfance. Chacun, vous en serez peut tre daccord, trouve quelque rsonance avec notre propos.Fvrier 69 : on va bientt marcher sur la Lune et Andr Malraux est Niamey pour le Sommet de laFrancophonie : En un temps, dit-il, o les empires morts ont fait place de vastes rpubliques de lesprit, nous vivonsla plus grande rvolution culturelle de lHistoire avec la distribution mondiale des uvres. La civilisation des Machinesest aussi celle des Machines rves. Mexico, juillet 82 : le fameux discours de Jack Lang qui appelle la Rsistance Culturelle face limprialisme financieret intellectuel.Plus bizarre, juillet 97 : Louis Roncin, brillant ingnieur et Prsident du Syndicat National de la Tlmatique, reproche Lionel Jospin, Premier ministre, davoir incit France Telecom engager la transition du Minitel vers lInternet. Dans leMinitel, tout est parfait, sauf le terminal, un peu dpass, disait en substance M. Roncin. Mais surtout, il ajoutait (je le
  9. 9. Mission Culture Acte II Introduction4rpte , en 1997) : Internet sadresse ceux qui aiment la lecture, les introvertis, alors que les extravertis, comme lessportifs qui aiment les contacts, ne passent pas dix heures devant un cran. Fin de citation.Et puis, enfin, ces quelques postures significatives qui mont marqu lors de mes sjours Sun Valley, entre 1998 et2002, l o se retrouvent chaque anne les grands acteurs amricains de lentertainment et du high tech, qui sonttous deux des lments cls du commerce extrieur du pays.Jy ai donc assist, en 1999, par Bill Gates, la dmonstration de son bijou domotique : une maison idale, toutentire programme par Microsoft pour tout service et tout type dmotion. Il nen a construit quune, la sienne. Billavait annonc dans la foule vouloir acheter les droits numriques mondiaux de toute luvre de Picasso. Pour nousloffrir, nous, usagers addicts Microsoft. Le projet na pas eu de suite et je me souviens de la raction de lasomptueuse assistance, pour la premire fois un peu gne par la dimension de lempereur qui pensait vraimentfaire notre bonheur culturel.Peu aprs, Bill Gates a cd les rnes de Microsoft et le mcnat mondial y a gagn un vrai visionnaire gnreux.Parfait exemple, mes yeux, du coup de trop qui perturbe une merveilleuse russite technologique aux effets djrvolutionnaires. Je le disais : le plus difficile, quand on a un quasi monopole, cest de garder le sens de lquilibre.Je me souviens enfin de tous les nouveaux rois du virtuel et de la dmatrialisation qui souriaient avec un soupon decommisration, en 2000, aux exposs de Jeff Bezos, le rcent crateur dAmazon. Il se plaignait de ne pas faire assezde marges bnficiaires et pourtant il persistait, contre leur avis tous, vouloir marier la distribution du livrenumrique et la distribution des bouquins lancienne . Le double modle cotait cher.Bezos a depuis fait son chemin. Il sest implant au niveau mondialet prs de chez nous. Lui aussi devra se souvenirde la mesure des choses sil poursuit, demain, ses projets de tout vendre, de lalimentaire au culturel. Nous verronsPour ma part, je compte que ne soit jamais dmentie ma conviction que le plus raisonnable sera toujours lusager,mme aprs de lgitimes emballements.
  10. 10. Mission Culture Acte II Synthse5SYNTHSELe concept dexception culturelle, promu par la France sur la scne internationale depuis les annes 1980,repose sur lide que la culture ne saurait, en raison des enjeux qui sattachent la cration et la diffusion desuvres, tre intgralement soumise aux rgles du droit commun et de lconomie de march. Sans nier ladimension conomique de la culture, lexception culturelle vise reconnatre et protger sa dimensionthique, politique et sociale, qui en fait lun des fondements de la dignit humaine.Ce concept se traduit par un ensemble cohrent de dispositifs visant favoriser la cration, la production, ladistribution et la diffusion des uvres culturelles : mcanismes de rgulation, outils de financement, dispositifsfiscaux. Certains sont propres un secteur culturel (prix unique du livre, chronologie des mdias, obligationsdinvestissement et de diffusion, compte de soutien la production cinmatographique et audiovisuelle,quotas de chanson franaise), dautres ont une porte plus gnrale (rmunration pour copie prive, TVA taux rduit). Au-del de leurs spcificits, ces dispositifs reposent sur des principes communs : soutien ladiversit de la cration, promotion de la cration franaise et francophone, accs du public une offreculturelle de qualit et varie, contribution au financement de la cration des acteurs qui tirent profit delexploitation et de la diffusion des uvres.Le dveloppement des technologies de linformation et de la communication interroge, et parfois menace,nombre de ces dispositifs. Linternationalisation des changes inhrente lInternet permet lmergence sur lemarch franais dacteurs trangers qui chappent aux mcanismes nationaux de rgulation et definancement. Lvolution des technologies et des usages fragilise les sources de revenus des crateurs et desindustries culturelles : loffre lgale en ligne, encore insuffisante ou trop peu rmunratrice, doit affronter laconcurrence dune offre illicite gratuite et quasi illimite ; la monte en puissance de linformatique dans lenuage, au dtriment du stockage sur des supports physiques, fragilise la rmunration pour copie prive.Pour autant, le dveloppement des technologies et des services numriques constitue avant tout uneformidable opportunit, tant pour les crateurs, qui peuvent crer, produire et diffuser leurs uvres plusfacilement que par le pass, que pour les publics, qui peuvent accder une offre toujours plus riche etdiversifie, et plus abordable que les produits culturels physiques. Lenjeu de lacte II de lexception culturelleest donc de russir tirer parti de ces opportunits tout en prservant les principes fondateurs. La conciliationde ces deux objectifs suppose une adaptation profonde des dispositifs conus pour lancien monde, celui de ladistribution physique et de la diffusion analogique.Il sagit de dfinir les termes dune politique culturelle volontariste et ambitieuse qui respecte la fois les droitsdes publics et ceux des crateurs, dont les intrts long terme sont, au-del des apparences parfoistrompeuses et des conceptions caricaturales, intimement lis et profondment convergents. De mme,lopposition factice entre industries culturelles et industries numriques, dont les auditions conduites par lamission ont donn de nombreuses illustrations, doit imprativement tre surmonte : ceux qui crent etproduisent les contenus et ceux qui assurent leur diffusion et leur distribution ne devraient pas seconsidrer comme des adversaires mais comme des partenaires.Dune part, les possibilits offertes par les technologies numriques doivent tre utilises pour promouvoirlaccs des publics aux uvres, travers un dveloppement de loffre culturelle en ligne, en termes quantitatifsmais galement qualitatifs (A). Dautre part, lexploitation numrique des uvres culturelles, appele
  11. 11. Mission Culture Acte II Synthse6occuper une place de plus en plus importante dans lconomie de la culture, doit permettre une justermunration des crateurs et un niveau adquat de financement de la cration, indispensable sonrenouvellement (B). Au carrefour de ces deux objectifs, le droit de la proprit intellectuelle, traductionjuridique du compromis pass entre les crateurs et leurs publics, doit tre adapt, dans ses rgles et dans samise en uvre, aux enjeux du numrique (C).A. ACCS DES PUBLICS AUX UVRES ET OFFRE CULTURELLE EN LIGNELessor des technologies numriques constitue, pour laccs des publics aux uvres culturelles, uneopportunit indite. La dmatrialisation des biens culturels abolit les contraintes spatiales et logistiquespropres la distribution physique et permet tout internaute daccder, en permanence, un stock duvresquasi illimit, comprenant notamment des uvres du patrimoine qui ntaient plus disponibles dans luniversphysique. Le dveloppement des rseaux sociaux et des algorithmes de recommandation personnalise facilitele partage et la dcouverte de nouvelles uvres, de nouveaux artistes ou de nouvelles esthtiques. La dlinarisation et les progrs des usages en mobilit dmultiplient les occasions de consommer des contenus culturels . Lindiffrence de lInternet aux frontires nationales permet une diffusion mondiale dela culture franaise et francophone.Cependant, lorigine, le numrique a souvent t considr par les industries de la culture comme unfacteur de dstabilisation dont il convenait de limiter leffet disruptif, voire, dans certains cas, de retarder ledveloppement. Cette attitude globalement dfensive a frein lmergence dune offre comptitive etconforme aux attentes des publics et a contribu au dveloppement des pratiques illicites. Ces rticencessemblent en partie surmontes.De fait, loffre lgale de biens culturels dmatrialiss na jamais t aussi abondante, diversifie etabordable (cf. fiche A-1), mme si la situation diffre profondment dun secteur lautre. Elle est globalementmeilleure dans la musique et le jeu vido que dans le livre (ce qui peut sexpliquer par la faible demande deslecteurs, lie un taux dquipement encore modeste) et, dans une moindre mesure, laudiovisuel (dont loffreest contrainte par la chronologie des mdias et les retards pris dans la numrisation du patrimoine).En ligne, les usagers ont ainsi accs des dizaines de millions de titres musicaux, des milliers de films et deprogrammes audiovisuels, environ cent mille livres numriques et des dizaines de milliers de jeux vido. Lesprix lunit sont en moyenne trs infrieurs ceux des supports physiques ; des offres dabonnement illimitse dveloppent et les usagers qui ne souhaitent ou ne peuvent pas payer pour les contenus ont accs, dans laplupart des domaines, une offre gratuite finance par la publicit. Bien que des phnomnes deconcentration soient luvre, les consommateurs peuvent choisir parmi un ventail relativement large deservices, qui offrent des fonctionnalits varies, adoptent des lignes ditoriales diverses et proposent desmodles daccs diffrencis.Pour autant, loffre culturelle en ligne peine toujours satisfaire les attentes, trs leves, des internautes(cf. fiche A-2). Linsatisfaction, quoique gnrale, est plus vidente encore sagissant des films et des sriestlvises. Les reproches les plus rcurrents concernent les prix trop levs et le manque de choix. Sur lepremier point, il est probable que pour les usagers habitus une consommation exclusivement gratuite, labaisse des tarifs ne suffise pas assurer la conversion loffre lgale : lexistence dune offre gratuite est sansdoute une condition ncessaire pour attirer dans le champ de la lgalit une partie non ngligeable des publicsafin de restaurer, dans un second temps, un consentement payer. Sur le second point, les internautescritiquent moins le manque dexhaustivit de loffre que son incohrence (par exemple lorsque seuls certains
  12. 12. Mission Culture Acte II Synthse7pisodes dune srie sont disponibles), son absence de flexibilit (par exemple lorsque seule la versionfranaise dun film tranger est propose au tlchargement) ou son manque de fracheur (sagissant desfilms et des sries). Les contraintes lies aux mesures techniques de protection ( DRM dans le langagecourant), qui entravent certains usages, les restrictions territoriales, ou encore les limitations relatives auxsupports ou aux moyens de paiement, sont galement dimportantes sources de frustration.Loffre de contenus disponibles lgalement en ligne est confronte la concurrence de loffre illgale quiparat, de nombreux gards, difficilement galable : elle est majoritairement gratuite et tend lexhaustivit,elle est facile daccs, dnue de DRM et disponible dans des formats interoprables, et elle est parfois demeilleure qualit que loffre lgale et en termes de formats ou de mtadonnes associes. Sil est vain devouloir radiquer loffre illgale et nfaste de stigmatiser ses usagers, il est tout aussi peu justifi de la prendrepour rfrence exclusive : la concurrence quelle exerce est forcment ingale, puisquelle ne verse aucunermunration aux crateurs. En revanche, il convient de prendre appui sur les quelques atouts dont bnficieloffre lgale, tels que la volont de la plupart des usagers de respecter la loi (encore faut-il, pour cela, les aider distinguer clairement entre les pratiques lgales et les pratiques illgales), lattention porte aux crateurs(do la ncessit de garantir la juste rmunration des auteurs et des artistes au titre de lexploitation enligne), ou encore laccs facile et scuris aux contenus.Compte tenu du poids des habitudes, la conversion la consommation lgale sera, quoi quil arrive, uneentreprise de longue haleine. La diversit des publics, dont les attentes ne sont pas uniformes, plaide pourune plus grande segmentation de loffre, qui pche encore par sa relative uniformit, que ce soit en termes demodles tarifaires, de fonctionnalits offertes ou de ligne ditoriale . La situation de la jeunesse, quidveloppe les pratiques les plus innovantes, mais aussi les plus indiffrentes au droit dauteur, mrite uneattention particulire : offrir la jeunesse une alternative crdible loffre illgale nest sans doute pas unemesure dune grande porte conomique, du moins court terme, mais jouera un rle essentiel dans larconciliation entre industries culturelles et internautes. Pour les jeunes publics, il conviendrait donc demnager des espaces de gratuit, ou au moins de dvelopper des offres par abonnement spcifiques, le caschant avec le soutien de la puissance publique ; les mesures envisages en matire de rgulation et desoutien aux services en ligne devront tenir compte de cet impratif.Adapter loffre la demande ne suffira pas rsoudre le problme, plus profond, de la crise de confiance entreles industries de la culture et une partie des publics. Les industries culturelles et plus gnralement les intermdiaires sont rgulirement accuss de dfendre des modles conomiques dpasss, de ne pastenir compte des attentes de leurs clients, et de lser les intrts des crateurs. Dans ce contexte de profondedfiance, les industries culturelles devraient communiquer plus fortement et plus ouvertement sur la ralit deleurs mtiers. Elles gagneraient mieux mettre en avant les progrs de loffre lgale et les efforts consentispour prendre en compte les critiques formules. Rciproquement, les restrictions apportes aux usages(chronologie des mdias, DRM), parfois lgitimes, devraient tre justifies avec davantage de transparence etde pdagogie. Il y va de la restauration du lien de confiance entre publics, crateurs et investisseurs de lacration.Il sagit donc de rpondre la soif de culture des internautes, de renouer le lien entre crateurs, publics etindustries de la culture et de tirer pleinement parti des possibilits daccs aux uvres offertes par lestechnologies numriques. Dans cette perspective, la politique culturelle devrait se fixer trois objectifs :amliorer la disponibilit en ligne des uvres culturelles, favoriser le dveloppement dun tissu de servicesinnovants et attentifs la diversit culturelle et stimuler la demande en encourageant lmergence duneoffre abordable et ergonomique, respectueuse des droits des usagers. Si le dveloppement de loffreculturelle numrique dpend avant tout des acteurs du march, lEtat peut le soutenir, par des mesuresdordre lgislatif ou rglementaire, des dispositifs de soutien financier et des mcanismes de rgulation.
  13. 13. Mission Culture Acte II Synthse81. DYNAMISER LOFFRE EN AMLIORANT LA DISPONIBILIT NUMRIQUE DESUVRESLe manque de choix reste lune des principales sources dinsatisfaction des usagers de loffre culturellenumriques. Si lexhaustivit de loffre nest ni possible ni mme ncessairement souhaitable, largir laccs enligne aux uvres culturelles, quelles soient anciennes ou rcentes, contribue la dmocratisation de la cultureet parat de nature dtourner les internautes des pratiques illicites ; cet objectif devrait donc tre rig enpriorit de toute politique culturelle. Cela suppose, dune part, de promouvoir lexploitation numrique desuvres et, dautre part, dassouplir les contraintes qui psent, dans le domaine spcifique du cinma, sur ladiffusion en ligne.a. Promouvoir lexploitation numrique des uvresLe numrique facilite la mise disposition des uvres et diminue le cot de leur exploitation. Lespacedisponible pour exposer les uvres sur Internet est peu prs illimit et les cots de stockage trs faibles. Ilest dsormais possible de maintenir disposition du public, durablement et pour un cot minimal, des uvresqui, faute de pouvoir toucher un public suffisamment large, ntaient plus exploites sur le march physique.En outre, les uvres du patrimoine peuvent bnficier dune nouvelle vie et enrichir les catalogues propossaux consommateurs. La mise disposition en ligne tend ainsi devenir, en substitution ou en complmentdautres formes de distribution et de diffusion, un mode dexploitation part entire des uvres culturelles.Dans ce nouveau contexte, lobligation dexploitation qui pse sur certains titulaires de droits, inscrite delongue date dans le code de la proprit intellectuelle, doit tre revisite et son respect mieux assur (cf. ficheA-3). Les pratiques de thsaurisation ou de jachre, courantes lre de la distribution physique et de ladiffusion analogique, sont de moins en moins justifies. De telles situations contreviennent aux obligationsdexploitation qui incombent aux cessionnaires : elles nuisent la lgitimit du droit dauteur, dj conteste ;aux auteurs, dont les uvres ne sont plus exploites ; au patrimoine culturel, qui sappauvrit.Afin de dynamiser loffre culturelle en ligne, il est ncessaire de donner lobligation dexploitation une portenormative contraignante et den clarifier les dbiteurs, le contenu et les sanctions. Dans le mme temps, il fautviter de rigidifier lobligation dexploitation et permettre son adaptation aux usages, par nature volutifs. Il estdonc propos dinscrire le principe de lobligation dexploitation dans la loi et den renvoyer le contenu descodes des usages, en sinspirant des travaux de la mission sur le contrat ddition conduite par Pierre Sirinelli.Ces codes, tendus par arrt ministriel, dfiniraient le contenu prcis de lobligation dexploitation et sesmodalits de contrle, distingueraient les exploitations principales et secondaires, et pourraient prvoir unedure maximale de cession des droits ou, dfaut, des clauses de rendez-vous obligatoires.Pour assurer le respect des obligations ainsi dfinies, les crateurs (auteurs et artistes) ou leurs reprsentantsse verraient reconnatre le droit de saisir le juge, qui aurait le pouvoir denjoindre au cessionnaire des droits, lecas chant sous astreinte, dexploiter luvre. En outre, lattribution daides publiques la cration ou lanumrisation aurait pour contrepartie la garantie de la disponibilit de luvre sur au moins un service culturelnumrique conventionn ; dfaut, le bnficiaire de laide serait tenu den rembourser une partie, et priv dudroit de solliciter de nouvelles aides. Enfin, la gestion collective des uvres de patrimoine indisponibles,rcemment mise en place dans le secteur du livre, pourrait tre tendue aux autres secteurs, selon desmodalits dfinir en concertation avec les organisations professionnelles et les socits de gestion collective.La numrisation des uvres de patrimoine (cf. fiche A-4), pralable leur exploitation en ligne, reprsente uncot variable selon le type duvres considr et leur tat de conservation. Pour les uvres de la longue
  14. 14. Mission Culture Acte II Synthse9trane , dont le potentiel commercial est limit, ce cot est souvent suprieur aux recettes attendues delexploitation ; mme lorsque les uvres sont susceptibles de toucher un public plus large, le dtenteur desdroits na pas toujours les moyens davancer les fonds ncessaires la numrisation.Dans ces hypothses, la mise en valeur du patrimoine justifie la mobilisation de soutiens publics. Il est doncindispensable de poursuivre et damplifier la mise en uvre des programmes de numrisation engags souslgide du Commissariat gnral linvestissement, du Centre national du cinma et de limage anime (CNC),ou encore du Centre national du livre (CNL) et de la Bibliothque nationale de France (BnF). Certains de cesprogrammes sont aujourdhui confronts des difficults qui tiennent soit aux exigences strictes de rentabilitimposes par les organismes comptents, soit linsuffisance des moyens budgtaires allous. Il conviendrait, cet gard, de distinguer plus nettement les uvres offrant des perspectives de rentabilit, dont lanumrisation peut tre soutenue sous la forme davances remboursables, et les uvres au potentielcommercial limit mais fort intrt patrimonial, pour lesquelles loctroi de subventions savre justifi. Lamise en uvre de ces programmes de numrisation suppose, au pralable, de mieux valuer ltendue desbesoins (nombre duvres numriser, cots affrents) et de dfinir des corpus prioritaires selon des critresdintrt patrimonial et de fragilit des supports.b. Assouplir la chronologie des mdiasDans le domaine du cinma, la disponibilit en ligne des uvres est contrainte non seulement par les freinscommuns tous les secteurs, mais galement par un ensemble de rgles spcifiques regroupes sous le termede chronologie des mdias (cf. fiche A-5). Ces rgles constituent lun des mcanismes de lexceptionculturelle qui ont contribu assurer la vitalit du cinma franais ; elles sont destines optimiserlexploitation des uvres, protger les salles de la concurrence des autres canaux de diffusion et garantir lesystme de prfinancement par les diffuseurs, qui fait la force du cinma franais.Lavnement du numrique interroge les quilibres de la chronologie : il introduit un nouveau modedexploitation des uvres, la vido la demande, appele prendre une importance conomique toujoursplus grande, et permet des changes illicites qui saffranchissent de toute chronologie. Les attentes des publicsse transforment et le principe de frustration des dsirs du consommateur, inhrent la chronologie, est demoins en moins bien accept. Concomitamment sengage, dans le monde entier, une acclration du cycledexploitation des films. Dans ce contexte, les pressions sur le cadre rglementaire franais saccentuent. Sontnotamment critiqus son caractre excessivement rigide et le rgime peu favorable quil impose la VD parabonnement.Les principes fondamentaux de la chronologie doivent tre raffirms et protgs : une mise en concurrencepure et simple, sans aucune rgulation, de lensemble des modes de diffusion, se traduirait lvidence parune dstabilisation de lensemble du secteur qui serait, in fine, prjudiciable tous. En revanche, plusieursadaptations permettraient dintroduire davantage de souplesse, de favoriser la circulation des uvres et dedcourager le piratage, tout en contenant les risques de cannibalisation des modes traditionnelsdexploitation et en protgeant le systme de prfinancement des uvres.Plus prcisment, il est propos davancer la fentre de la vido la demande, ventuellement en rservantcette mesure aux services les plus vertueux, cest--dire ceux qui acceptent de prendre des engagementsvolontaristes en termes de financement de la cration et dexposition de la diversit. Des exprimentations(sortie simultane en salle et en ligne, week-ends premium, golocalisation) et des drogations (pour les films petit budget ou confronts un chec en salle), prcisment encadres, pourraient tre autorises par unecommission compose de professionnels. La fentre de la VD par abonnement pourrait tre avance 18mois afin dinciter les acteurs franais se positionner sur ce segment prometteur sans attendre larrive en
  15. 15. Mission Culture Acte II Synthse10France des gants amricains. Enfin, les pratiques de gel de droits des chanes de tlvision, qui entranent desruptures dans lexploitation en ligne des uvres, pourraient tre strictement encadres, voire interdites.Bien quelles ne relvent pas de la chronologie des mdias, les sries tlvises trangres font elles aussilobjet dune demande pressante de la part des consommateurs, qui comprennent mal les dlais parfois trslongs sparant leur premire diffusion ltranger et leur disponibilit sur les crans franais, la tlvision ouen ligne. Le caractre addictif inhrent au concept mme des sries entrane, chez une partie destlspectateurs, un dsir dimmdiatet qui pousse nombre dentre eux vers le tlchargement illicite, faute depouvoir accder lgalement ces contenus. Il semble assez vain, dans ce domaine, dexhorter les publics lapatience : il serait donc souhaitable de raccourcir les dlais lis la traduction (doublage ou sous-titrage),comme certains diffuseurs ont commenc le faire.2. FAVORISER LE DVELOPPEMENT DUN TISSU DE SERVICES CULTURELSNUMRIQUES INNOVANTS ET PORTEURS DE DIVERSIT CULTURELLELes services culturels numriques sont appels prendre une importance toujours plus grande dans laformation des gots du public. Dans le cadre dune rflexion sur ladaptation des politiques culturelles lheuredu numrique, cest donc dabord vers ces acteurs que les regards doivent se tourner, ainsi quils staienttourns vers les chanes de tlvision, les radios et les librairies dans les annes 1980. Il sagit dsormais deconcevoir un cadre permettant le maintien et le dveloppement dun cosystme de services diversifis,engags dans la promotion de la diversit culturelle et dans la mise en valeur de la cration franaise eteuropenne (cf. fiche A-6).Selon la thorie de la longue trane, la distribution en ligne devrait tre bnfique la diversit culturelle :grce la diminution voire la disparition des cots de stockage et de distribution que permettent lestechnologies numriques, il deviendrait rentable de proposer des produits peu demands. Les uvres de ladiversit pourraient ainsi reprsenter collectivement une part de march gale ou suprieure celle desbest-sellers.Si cette thorie est conteste, elle a pour principal mrite de mettre en vidence limportance cruciale de laprescription et de lditorialisation, condition indispensable, dans lunivers numrique caractris par unehyper-offre, de laccs des publics la diversit culturelle. Or les services culturels numriques tendent de plusen plus renforcer leur ditorialisation, se doter de fonctions de recommandation et dvelopper leurdimension sociale , mais peinent encore se transformer en mdias prescripteurs. Lhomognit desclassements sur les principales plateformes en ligne tend indiquer que leurs efforts de diffrenciation restent ce jour insuffisants pour entraner une vritable diversification de la consommation.Surtout, des phnomnes de concentration sont luvre dans la plupart des secteurs. Les grands acteursinternationaux, qui chappent la rgulation franaise et qui naccordent pas une grande importance auxenjeux de la diversit culturelle, prennent une place grandissante. A linverse, quelques exceptions prs(principalement des entreprises nativement numriques, comme Deezer ou Dailymotion), les acteurs franaisparviennent rarement imposer leurs services dans les nouveaux usages ; les acteurs traditionnels (diteurs etproducteurs, grands groupes mdias ou distributeurs dtaillants), nont pas russi se positionner comme desacteurs puissants de loffre de contenus en ligne, sauf dans le domaine de la VD. A cette concentrationsajoute lmergence de nouveaux "gardiens daccs" (fabricants de terminaux connects, magasinsdapplications ou encore moteurs de recherche) qui deviennent suffisamment puissants pour fixer lesconditions dans lesquelles les services peuvent accder au march, voire pour les empcher dy accder.
  16. 16. Mission Culture Acte II Synthse11Il est important de prendre conscience que la bataille qui se joue noppose pas les industries culturelles auxindustries numriques, alors que les industries culturelles sont dj, maints gards, devenues numriques.En ralit, elle met aux prises les acteurs culturels au sens large et une poigne dacteurs globaux, pourlesquels les contenus sont avant tout un simple carburant . Ces acteurs globaux ont pour point commun detirer leurs revenus et leurs profits de lexploitation dun rseau dactivits investissant chaque segment devaleur et se renforant mutuellement (vente despaces publicitaires, exploitation des donnes personnelles,vente de terminaux, cloud computing, etc.). La distribution et la diffusion de contenus culturels ne sont que desproduits dappel au sein du bouquet de services que ces "plateformes" offrent aux internautes.Dans ce contexte, promouvoir la diversit des services culturels numriques est dabord un enjeu de politiqueculturelle : laccs effectif des publics la diversit suppose de mnager des espaces pour les uvres les plusdifficiles et les moins commerciales ; le formatage de loffre par quelques services mondiaux, intgrs dans descosystmes dont la distribution de biens culturels nest pas le centre de gravit, constituerait une menaceimmense pour la diversit culturelle. Garantir lexistence dune pluralit de services permet aussi de favoriserla segmentation des offres pour rpondre la diversit des attentes, et dentretenir une concurrencebnfique au consommateur qui risque, dfaut, de se trouver prisonnier de quelques grandes plateformes.En outre, la dfense des intrts des crateurs et des industries culturelles suppose que laccs aux contenusne soit pas, terme, contrl par un petit nombre de plateformes globales, qui seraient alors en mesure deleurs imposer leurs conditions. Il sagit, enfin, dun enjeu de politique industrielle et de politique de lemploi,ds lors que lessentiel de la valeur ajoute est dsormais cr sur le segment de la distribution en ligne.Ainsi, lun des principaux enjeux de lexception culturelle lheure du numrique est de promouvoir ledveloppement dun tissu de services culturels numriques indpendants, innovants, attentifs la diversitculturelle et, idalement, installs en France. La puissance publique doit avant tout offrir aux acteurs privs uncadre stable, propice linnovation et permettant une concurrence saine et non fausse. Toutefois, comptetenu de lintrt gnral qui sattache la diversit culturelle et des dfaillances du march, lEtat est lgitime intervenir, la fois par des dispositifs de soutien financier et par des mcanismes de rgulation.a. Remdier aux distorsions de concurrencePromouvoir la diversit de loffre culturelle en ligne suppose que soient garanties les conditions duneconcurrence saine et non fausse entre les services culturels numriques, qui sont de nature et de taille trsvaries : pure players et services dvelopps par des acteurs traditionnels de la culture, plateformesindpendantes et services intgrs dans des cosystmes complexes, diteurs de service en ligne etplateformes dhbergement, services installs en France et services oprant depuis ltranger Or plusieursdistorsions, souvent prjudiciables aux acteurs installs en France, ont t mises en vidence (cf. fiche A-7).Dune part, lasymtrie des rgles fiscales reprsente un facteur handicapant non ngligeable pour lacomptitivit des services culturels numriques implants en France. En matire de TVA, lapplication de largle du pays dorigine permet aux plateformes dont le sige est install dans les Etats europens pratiquantles taux les plus faibles (comme le Luxembourg) de bnficier dun avantage significatif sur les servicesimplants en France. Cette distorsion devrait tre rsorbe compter du 1erjanvier 2015. Face aux difficultsoprationnelles invoques par certains Etats membres de lUnion europenne, il convient de veiller au strictrespect de cette chance.En matire dimposition sur les bnfices, ladaptation des rgles internationales, ncessaire pour apprhenderles spcificits de lconomie numrique, est un chantier de long terme, comme la montr le rapport de lamission dexpertise sur la fiscalit numrique de MM. Colin et Collin. Compte tenu de lenjeu quil reprsentetant pour la souverainet fiscale de la France que pour la comptitivit des acteurs franais du numrique, ce
  17. 17. Mission Culture Acte II Synthse12chantier doit tre ouvert sans tarder. A plus court terme, la proposition dune fiscalit assise sur la collecte etlexploitation des donnes personnelles, formule par la mission dexpertise, prsente un intrt toutparticulier dans le domaine culturel. Elle met laccent sur un enjeu crucial pour les industries cratives : laccsaux donnes concernant la diffusion de leurs uvres. Si cette proposition devait tre retenue, lecomportement des services en ligne en matire de restitution des donnes personnelles aux producteurs decontenus et aux utilisateurs mriterait dtre pris en compte.Dautre part, des distorsions de nature commerciale sont galement susceptibles de fausser le jeu de laconcurrence. En effet, loffre culturelle en ligne se caractrise par la coexistence de services qui, du point devue du consommateur, offrent des fonctionnalits proches, et qui pourtant relvent de statuts juridiquesdiffrents et, par voie de consquence, sont soumis des conditions commerciales ingales dans leursrelations avec les titulaires de droits. Cest notamment le cas dans le domaine de la musique en ligne, osaffrontent des services de streaming musical comme Deezer et des plateformes vido communautairescomme Youtube. Si les autorits de la concurrence venaient considrer que ces acteurs oprent sur un mme march pertinent , de telles distorsions pourraient tre juges abusives.b. Adapter les dispositifs daide aux enjeux du numriqueLes services culturels numriques doivent financer non seulement la rmunration des titulaires de droits et lescots techniques, mais galement les dpenses dinnovation et de marketing, indispensables audveloppement dun service comptitif et la conqute de nouveaux usagers en France et dans le monde. Orles dispositifs de soutien existants savrent partiellement inadapts ces enjeux (cf. fiche A-8).Les dispositifs gnraux de soutien la recherche dveloppement et linnovation (crdit dimpt recherche,OSEO, Investissements davenir) ne rpondent pas correctement aux besoins des diteurs de servicesculturels numriques, dont linnovation relve moins de la technologie pure que des usages (fonctionnalits,modles conomiques). Les guichets sectoriels, notamment ceux du CNC et du CNL, prennent mieux encompte les besoins des services culturels numriques, mais leurs moyens ne sont pas la hauteur des enjeux etils peinent soutenir des projets trs structurants. Les aides la culture restent trs largement centres sur lacration et la production et naccordent pas une place suffisante la diffusion, notamment dans ses aspectsnumriques.Ces lacunes sont en partie lies aux contraintes imposes par la Commission europenne, qui refuse jusquprsent de considrer les aides aux services culturels numriques comme des aides la promotion de laculture autorises par le droit communautaire. Cette interprtation correspond une vision archaque de laculture et des pratiques culturelles ; elle ignore le rle minent jou par les services en ligne dans laccs auxuvres et donc dans la promotion de la diversit culturelle. Les autorits franaises devraient donc plaiderauprs des instances europennes pour que les dispositifs de soutien aux services culturels numriquespuissent tre autoriss sur le fondement de la promotion de la culture. Cela permettrait notamment au CNC demettre en uvre son projet de soutien automatique la VD, dont limpact serait plus structurant que celuides aides slectives existantes.Si les subventions peuvent contribuer lamorage du service ou la conception de nouvelles fonctionnalits,les entreprises qui dveloppent des services culturels numriques ont avant tout besoin de financementsprivs, quelles peinent souvent trouver auprs des acteurs du march. Pour y remdier, il est propos desappuyer sur lInstitut pour le financement du cinma et des industries culturelles (IFCIC) qui dispose duneexpertise reconnue, dune bonne connaissance de lconomie de la culture, dune varit doutilsdintervention et dune exprience dans le domaine du numrique. Cet oprateur pourrait tre le bras arm dela Banque publique dinvestissement (BPI) dans le domaine des industries culturelles. Moyennant un apport de
  18. 18. Mission Culture Acte II Synthse13la BPI compris entre 70 et 95 M, lIFCIC pourrait renforcer ses interventions en faveur de la transitionnumrique des industries culturelles et des services culturels numriques, en mettant laccent sur linnovation,lditorialisation et la mdiation culturelle. Des partenariats entre lIFCIC et les guichets sectoriels (CNC, CNL,etc.) permettraient de proposer des outils dintervention mixtes, combinant prt ou garantie et subvention.Enfin, la mobilisation de linvestissement priv pourrait tre encourage, notamment en adaptant le rgimedes SOFICA, afin quelles contribuent, travers les financements quelles apportent la productioncinmatographique et audiovisuelle, au dveloppement de la vido la demande.c. Promouvoir une offre culturelle en ligne rguleLa rgulation de loffre culturelle numrique (cf. fiche A-9) trouve sa justification dans lenjeu que reprsente,pour laccs des publics aux uvres et pour la diversit culturelle, lexistence dun tissu de services en lignesindpendants et divers dans leurs modles ditoriaux, techniques et conomiques. Toutefois, dans un universnumrique caractris, dune part, par la dlinarisation (cest--dire par le fait que cest lutilisateur quidcide, en tout lieu et tout moment, des contenus auxquels il souhaite accder) et, dautre part, parlabolition des frontires nationales, la rgulation publique doit reposer sur des mthodes renouveles. Lesinstruments traditionnels mobiliss pour la rgulation de la diffusion analogique (quotas de diffusion) ou de ladistribution physique (soutien aux librairies, prix unique du livre) ne sauraient tre transposs lidentiquedans le monde numrique.Le cadre rglementaire actuel ignore la notion de service culturel numrique. Seuls les services de mdiasaudiovisuels la demande (vido la demande, tlvision de rattrapage) font lobjet dune rgulation. Fondeprincipalement sur des obligations de contribution la production et dexposition des uvres, celle-cidemeure trs imparfaite : elle napprhende que les diteurs de services et non les hbergeurs, considrscomme dpourvus de toute responsabilit ditoriale ; elle ne concerne que les services tablis sur le territoirefranais ; enfin, elle repose sur une logique la fois contraignante et indiffrencie.Sans attendre une ventuelle modernisation du cadre communautaire (rvision de la directive SMA ), il estindispensable de concevoir un nouveau mode de rgulation, reposant sur une logique donnant donnant . La concurrence entre acteurs rguls et non rguls fragilise les premiers et cre une pression enfaveur dune harmonisation par le bas. La difficult dimposer tous les acteurs le mme niveau de rgulationdoit conduire imaginer des solutions plus innovantes. Il sagit de dfinir les instruments dune politiqueculturelle volontariste, sans mettre en danger la viabilit conomique des acteurs historiques ou plus rcentsinstalls sur le territoire national.Ainsi, les acteurs vertueux, qui acceptent de prendre, au-del de leurs obligations lgales, des engagements enfaveur de la diversit culturelle (financement de la cration, exposition des uvres de la diversit, tarifssociaux, partenariats avec les institutions publiques de loffre non marchande), se verraient reconnatrediffrents avantages, en termes daccs aux aides publiques, aux uvres et aux consommateurs. Cette logiqueserait applicable lensemble des services culturels numriques, quel que soit leur domaine, leur statut et leurlieu dtablissement au sein de lUnion europenne. Elle pourrait se traduire par un conventionnement avec leConseil suprieur de laudiovisuel (CSA), dont le champ de comptence serait tendu et les moyensdintervention adapts aux enjeux de la convergence numrique : la loi fixerait le cadre gnral et confierait auCSA le soin de dfinir, pour chaque catgorie de services, lquilibre entre engagements volontaires etcontreparties accordes.En particulier, les services les plus vertueux devraient se voir garantir un accs facilit au consommateur(cf. fiche A-10). Dans lunivers numrique, les distributeurs de services (oprateurs de tlcommunication,
  19. 19. Mission Culture Acte II Synthse14fabricants de terminaux connects ou encore magasins dapplications), peu nombreux, bnficient duneposition de gardien daccs . Compte tenu de lintrt gnral qui sattache la diversit culturelle, ils nedoivent pas pouvoir utiliser cette position privilgie pour empcher les diteurs de services culturelsnumriques de toucher leurs publics, de manire arbitraire ou discriminatoire. Il ne servirait rien de mettreen uvre une rgulation renforce sur un certain nombre de services, en vue de promouvoir la diversitculturelle, si ces services navaient finalement aucune visibilit et natteignaient pas le public. Il sagit doncdadapter aux enjeux du numrique les obligations de distribuer qui existent dj, en droit franais, dans ledomaine de la communication audiovisuelle.Dune part, tout distributeur de services culturels numriques, quil soit ou non install en France, auraitlobligation de faire droit aux demandes de reprise manant des diteurs de services conventionns, dansdes conditions quitables, raisonnables et non discriminatoires. Dans un premier temps, le bnfice de cettemesure pourrait tre rserv aux diteurs de service les plus vertueux , cest--dire ceux qui prendront,dans le cadre du conventionnement, les engagements les plus volontaristes. Pour assurer le respect effectif decette obligation, une procdure de rglement des diffrends pourrait tre instaure, sous lgide du CSA.Dautre part, les services en ligne dits par le service public audiovisuel et radiophonique bnficieraientgalement dune garantie de distribution gratuite par tout distributeur de services culturels numriques(rciproquement, le service public serait tenu de fournir ses services gratuitement tout distributeur visant lepublic franais qui en formulerait la demande). Alors que loffre de programmes crot exponentiellement et queles acteurs privs orientent leurs propositions ditoriales pour complaire la demande suppose, le servicepublic doit montrer lexemple en promouvant une logique doffre et en affichant un soutien sans faille auxuvres de la diversit. En retour, il appartient aux pouvoirs publics de lui garantir de bonnes conditionsdexposition.Ces obligations de distribuer seraient compltes par une obligation de reprise dans les outils derfrencement des distributeurs. Dans lunivers numrique, imposer une obligation de diffuser ou de distribuera peu deffet si lutilisateur ignore que le service est disponible ou sil nest pas en mesure de la trouverfacilement.d. Maintenir et actualiser lexception culturelleLa mise en uvre de la politique culturelle dessine par les propositions qui prcdent ne sera envisageableque si les rgles du commerce international autorisent les Etats intervenir, par des dispositifs de soutienfinancier ou des mcanismes de rgulation, sur loffre culturelle numrique. Pour garantir cette capacitdintervention, il convient de dfendre avec force, dans les ngociations commerciales bilatrales etmultilatrales (cf. fiche A-11), la spcificit du traitement des services culturels. Cette spcificit est la fois latraduction de lexception culturelle, consacre en 1994 lors de la cration de lOrganisation mondiale ducommerce, et la condition de la protection et la promotion de la diversit des expressions culturelles, dont laConvention de lUNESCO signe en 2005 souligne le caractre essentiel.Les ngociations commerciales venir, et notamment celles qui visent la conclusion dun partenariattransatlantique entre lUnion europenne et les Etats-Unis, ne doivent pas tre loccasion dune remise encause de ces principes. Les services audiovisuels doivent rester exclus, de manire absolue et inconditionnelle,de tout engagement de libralisation. Surtout, conformment au principe de neutralit technologique, lesservices audiovisuels qui utilisent les outils numriques (service de vido la demande par exemple) doiventbnficier des mmes rgles protectrices que les services audiovisuels traditionnels (tlvision, cinma). Adfaut, cela signifierait larrt de mort des politiques culturelles et audiovisuelles des Etats europens,puisquelles seraient irrmdiablement cantonnes aux seuls services traditionnels, dont la place est appele
  20. 20. Mission Culture Acte II Synthse15dcliner au profit des services numriques. Enfin, les accords commerciaux devraient non seulement exclure lesservices audiovisuels mais galement prendre en compte des enjeux spcifiques des autres services culturels,en garantissant notamment le maintien des protections ngocies dans le cadre de lOMC.Loin dtre linstrument dun protectionnisme conomique ou lexpression dune conception dfensive de laculture, lexception culturelle conditionne la possibilit, pour les Etats, de soutenir leurs crateurs, depromouvoir la diversit culturelle et de rguler loffre culturelle, y compris dans sa dimension numrique.3. PROPOSER AUX PUBLICS UNE OFFRE ABORDABLE, ERGONOMIQUE ETRESPECTUEUSE DE LEURS DROITSLes mesures prises jusquici par les pouvoirs publics pour stimuler la demande de contenus lgaux souffrentdun dcalage avec la ralit des usages, en particulier ceux des jeunes publics. Cest avant tout la qualit deloffre lgale qui incitera les publics dlaisser les pratiques illicites.a. Favoriser lmergence dune offre gratuite ou abordableBien quil soit globalement infrieur celui des produits culturels physiques, le prix des offres culturelles enligne reste, aux yeux dune grande partie des publics, trop lev. Le jeu de la concurrence, conjugu llargissement de laudience des services en ligne, devrait contribuer faire merger une offre plus abordable.En outre, le financement par la publicit permet le dveloppement dune offre gratuite de plus en plusabondante, quoique la viabilit de ce modle, qui peine rmunrer correctement les crateurs, demeureincertaine.Dans ce domaine, les marges de manuvre de la puissance publique sont limites par les contraintesbudgtaires et le poids des habitudes, sur lesquelles les initiatives publiques ont peu dinfluence. En particulier,les mesures de solvabilisation de la demande ont montr leurs limites : les chiffres de vente de la CarteMusique, extrmement loigns des ambitions initiales, tmoignent de la difficult faire voluer deshabitudes de consommation gratuite solidement ancres, en particulier chez les plus jeunes.LEtat pourrait diminuer les taux de TVA (cf. fiche A-12) afin de contribuer la diminution des prix et stimulerla conversion des publics loffre culturelle numrique. A lheure actuelle, si certains produits ou servicesculturels bnficient, dans lunivers physique, dun taux rduit de TVA (livre, presse, cinma, tlvisionpayante), tous les services culturels en ligne relvent du taux de TVA normal : la vente ou la location de biensculturels en format numrique est considre par la Commission europenne comme la prestation dun servicefourni par voie lectronique, non ligible aux taux rduits. Cest dailleurs la raison pour laquelle la Commissiona port devant la Cour de justice de lUnion europenne la lgislation franaise qui applique au livre numriquehomothtique le taux rduit de TVA dont bnficie le livre imprim.Lapplication dun taux rduit lensemble des services culturels en ligne constituerait un signal fort.Lavantage fiscal permettrait la fois une baisse des prix et une amlioration des marges de services en ligne,qui sont souvent fragiles voire dficitaires. Cependant, cette mesure prsenterait un cot lev (prs de 100M), qui serait appel augmenter au fur et mesure que les usages basculeront dans le numrique. Le gainli la baisse du taux de TVA pourrait tre en partie capt par les producteurs et les distributeurs et navoirquune incidence rduite sur les prix de dtail. Enfin, compte tenu des dlais ncessaires la rvision des rglescommunautaires, la baisse de la TVA interviendrait trop tardivement pour rduire lasymtrie fiscale qui psesur les services culturels numriques dont le sige est implant en France (cf. supra) et bnficierait surtoutaux grandes plateformes (Apple, Amazon, Google) dont le sige est implant ltranger.
  21. 21. Mission Culture Acte II Synthse16Cest pourquoi la mission recommande de privilgier, dans le cadre de la rvision de la directive europennesur les taux de TVA, le respect de la neutralit technologique : le taux de TVA devrait tre le mme pour unbien culturel donn, quil soit distribu physiquement ou en ligne. En ltat actuel des taux, cela permettraitdappliquer un taux rduit de TVA non seulement au livre numrique (qui en bnficie dj, lorsquil est homothtique ), mais galement la presse en ligne, voire la vido la demande. Le cot dune tellemesure resterait modr (6 27 M).En outre, la France pourrait plaider pour un assouplissement des rgles relatives la fiscalit des biens etservices culturels. Dune part, les services lectroniques susceptibles de bnficier de taux rduits de TVAdevraient tre dfinis de manire plus souple, afin de ne pas pnaliser la crativit et linnovation, et dviterde soulever des problmes de frontires insolubles (par exemple entre livres numriques homothtiques etlivres enrichis). Dautre part, plutt quune numration dtaille des biens et services culturels ligibles destaux rduits, la directive pourrait laisser aux tats membres davantage de marges de manuvre en les laissantchoisir, au sein dune liste de produits culturels, ceux quils entendent soumettre un taux rduit. Celapermettrait dadapter les taux aux volutions de chaque secteur, difficilement prvisibles, sans avoir engager chaque fois une nouvelle rvision de la directive. Cette souplesse parat dautant plus souhaitable que lenumrique tend brouiller les frontires traditionnelles entre livre, musique, cinma et jeu vido, etc.Si les pouvoirs publics ont peu de prise sur la fixation des prix de loffre culturelle marchande, ils peuvent enrevanche agir en faveur du dveloppement de loffre lgale non marchande, qui reste aujourdhui beaucouptrop pauvre. En particulier, le rle de mdiation culturelle des bibliothques et des mdiathques doit treadapt lre numrique.Loffre numrique en bibliothque (cf. fiche A-13), aujourdhui trs peu dveloppe, nest pas la hauteur desmissions de ces institutions et des attentes du public. Le prt numrique se heurte labsence de cadrejuridique adapt : la licence lgale instaure par la loi du 18 juin 2003 ne sapplique quau prt de livresimprims et aucun accord global na t conclu avec les reprsentants des auteurs et des diteurs. Confrontes la faiblesse de loffre des diteurs et des distributeurs ainsi qu lhtrognit des modles conomiques etdes dispositifs techniques utiliss, les bibliothques peinent proposer leurs usagers une offre numriquelarge, varie et cohrente. La France accuse, de ce point, de vue, un retard manifeste sur les pays comparables,quoiquil doive tre nuanc au regard du dveloppement encore timide de la lecture numrique dans la socitfranaise. La situation est encore moins favorable si lon considre les ressources numriques autres que lelivre (musique, vido, presse, jeu vido, etc.).En brouillant la distinction traditionnelle entre le circuit commercial et le prt en bibliothque, loffrenumrique en bibliothque suscite les craintes des ayants droit et des distributeurs physiques. Ladmatrialisation remet en cause la logique dexclusivit et de non-simultanit inhrente au prt de supportsphysiques. Elle pose, sous un angle nouveau, la question classique de la coexistence de loffre marchande et deloffre non marchande, qui avait t rsolue dans lunivers physique. Dans ce contexte, il parat ncessaire quesoient poss les termes techniques, juridiques et conomiques dune coexistence harmonieuse entre loffremarchande et loffre en bibliothque, respectueuse de la place de chacun des maillons de la chane (crateurs,diteurs et producteurs, commerces culturels, bibliothques). Il sagit, en particulier, de rsoudre la questionde la scurisation du prt numrique sans entraver inutilement les usages, de permettre aux bibliothquesdassumer pleinement leur rle de mdiation et de prescription, et de promouvoir le rle des libraires commeintermdiaires entre les diteurs et les bibliothques.La mission propose donc de clarifier le cadre juridique de loffre numrique en bibliothque, travers unegestion collective volontaire que les diteurs franais devraient tre incits mettre en place. Ledveloppement doffres reposant sur un contrle daccs labonnement (plutt quau fichier) et des DRM detype tatouage numrique devrait tre encourag. Les diteurs devraient tre tenus de proposer une offre
  22. 22. Mission Culture Acte II Synthse17claire, transparente et non discriminatoire spcifique en direction des bibliothques. Enfin, il est souhaitabledinscrire, dans les dispositifs daide publique, une incitation au dveloppement de loffre numrique enbibliothque.b. Amliorer lexprience utilisateur et garantir les droits des usagersSur le web comme sur les terminaux connects, un rfrencement de qualit limite les dfauts dune offre troplarge ou miette, favorise la baisse des prix et peut rendre plus lisibles les restrictions existantes sur ladisponibilit des uvres, comme la chronologie des mdias ou les droits territoriaux. Toutefois, dans cedomaine, les dispositifs publics ou promus par les pouvoirs publics paraissent dune efficacit trs limite,comme en tmoigne lchec ou le faible impact des initiatives prises en matire de labellisation et derfrencement. Lamlioration du rfrencement des uvres culturelles ne pourra venir que des initiativesprives. Cest dailleurs la raison pour laquelle la mission a port une attention particulire, dans ses rflexionssur la rgulation de loffre culturelle en ligne, au rle des distributeurs de services (cf. supra) et, en matire delutte contre les pratiques illicites, celui des moteurs de recherche (cf. infra).Inciter les internautes se tourner davantage vers loffre lgale implique, par ailleurs, de mieux encadrer lerecours aux mesures techniques de protection (MTP), connues du grand public sous le nom de DRM (cf.fiche A-14). Le recours massif aux MTP a largement frein le dcollage de loffre lgale de musique en ligne etincit une partie des internautes se tourner vers le tlchargement illicite ; ces mesures restent trsrpandues dans le domaine de la vido la demande, du livre numrique ou du jeu vido, et font lobjet decontestations rcurrentes.Les MTP peuvent contribuer scuriser le dveloppement de nouvelles offres (notamment celles qui reposentsur la gratuit finance par la publicit) et de nouvelles fonctionnalits. Cependant, elles noffrent quuneprotection relative lgard des usages illicites. Elles empchent parfois des usages licites par les acqureurslgitimes, en entravant linteroprabilit ou en les privant du bnfice de certaines exceptions, comme la copieprive. En outre, en contribuant la constitution dcosystmes ferms et oligopolistiques, le recours aux MTPpeut constituer une entrave la concurrence et un frein linnovation.La rgulation des MTP mriterait dtre renforce : son primtre pourrait tre largi au logiciel, aux uvresdu domaine public et aux mesures techniques dinformation ; les pouvoirs de leur rgulateur pourraient tretendus. Il serait logique de confier cette rgulation, aujourdhui exerce par la Haute autorit pour laprotection des uvres et des droits sur Internet (Hadopi), au CSA, en cohrence avec la comptence dergulation de loffre lgale que la mission propose de lui confier (cf. supra).Le cadre juridique applicable aux MTP, particulirement confus, doit tre clarifi. Larticulation entre lesmesures techniques de protection, protges par la loi ds lors quelles sont efficaces, et linteroprabilit,dont la mise en uvre effective ne doit pas tre entrave, devrait tre mieux dfinie, notamment lgard deslogiciels libres. De mme, lexception de copie prive ne devrait pas pouvoir tre rduite nant par le recoursaux MTP et le consommateur devrait tre plus clairement inform des restrictions aux usages quimpliquent lesMTP apposes sur le fichier quil acquiert. Plus fondamentalement, alors que les exceptions au droit dauteurne sont aujourdhui garanties que dans lunivers physique et analogique, on peut se demander si cetteprotection ne doit pas tre tendue aux services en ligne.Il conviendrait, enfin, dencourager le dveloppement de standards ouverts, en inscrivant cette notion dansles codes des usages relatifs lobligation dexploitation, en subordonnant loctroi de certaines aides publiques lutilisation de formats non propritaires, et en soutenant les projets qui permettent de promouvoir, au-delde linteroprabilit des terminaux et des fichiers, linteroprabilit des droits numriques.
  23. 23. Mission Culture Acte II Synthse18B. RMUNRATION DES CRATEURS ET FINANCEMENT DE LA CRATIONLe numrique a profondment boulevers la chane de valeur des industries culturelles : lcosystme desacteurs numriques (quipementiers, oprateurs de tlcommunications, services en ligne) joue dsormais unrle cl dans la diffusion des uvres une chelle plantaire. Cette rvolution est porteuse despoir pour lesindustries culturelles qui produisent les contenus , puisquelle permet en thorie de les diffuser auprs depublics plus larges, voire de crer un lien immdiat entre le public et lartiste.Nanmoins, si la rvolution numrique a bien t cratrice de valeur pour ce nouvel cosystme dans sonensemble, les industries culturelles cratrices nont pas pleinement bnfici de la valeur gnre. Certainsvont mme jusqu dplorer le dtournement ou la captation , par les acteurs du numrique, de lavaleur cre par les industries culturelles. Il parat plus juste de parler dun dplacement de la valeur delamont vers laval : la croissance conomique des acteurs numriques saccompagne dune dvalorisationapparemment inexorable des contenus (cf. fiche B-1).Les statistiques et les analyses conomiques attestent ce transfert de valeur. Dans le panier des mnages, lesdpenses consacres aux quipements technologiques et laccs Internet prennent un poids croissant, audtriment de celles consacres lachat de biens culturels. Au plan macroconomique, les revenus desfabricants de matriels et des diteurs de services en ligne (ainsi que ceux des fournisseurs daccs Internet,dans une moindre mesure) croissent beaucoup plus rapidement que ceux des industries de contenus .Ce dplacement de valeur nest pas seulement la consquence de la capacit dinnovation des nouveauxacteurs, contrastant avec les difficults des industries culturelles traditionnelles rinventer leurs modlesconomiques. Il tient aussi au recul du consentement des consommateurs payer pour les contenus (li la banalisation du tlchargement illgal et lillusion de la gratuit des biens immatriels) ainsi qu laposition dominante acquise par certains acteurs de lconomie numrique. La croissance de lcosystmenumrique est intimement lie aux difficults rencontres par les industries de la cration : le succs desabonnements Internet, des quipements technologiques et des services en ligne naurait pas t possible, dumoins pas dans de telles proportions, sans lexistence dun stock de contenus culturels riches et varis,facilement accessibles et souvent gratuits.Ce bouleversement de la chane de valeur constitue un enjeu de comptitivit majeur pour lEurope etsingulirement pour la France, qui dispose dindustries de contenus relativement fortes, alors quelle estfaiblement reprsente dans les industries numriques tant hardware que software. Il est essentiel que lesacteurs franais se positionnent sur les segments de la chane de valeur les plus profitables et dont lesperspectives sont les plus favorables. Dans un march numrique o les positions, loin dtre figes, voluentrapidement, la France doit soutenir les quelques champions dont elle dispose et en faire merger de nouveaux,en sappuyant la fois sur les grands acteurs en place dsireux dinvestir lconomie des services en ligne, maisaussi sur le tissu des start-ups numriques et culturelles.Par ailleurs, des mcanismes de compensation doivent tre instaurs afin de corriger les dsquilibresexcessifs. Face aux risques de fragilisation et de concentration des producteurs de contenus, il est de lintrtde lensemble de lcosystme numrico-culturel que la cration soit protge dans toute sa diversit. Lorsqueles mcanismes de la proprit intellectuelle, qui constituent le mode de rmunration naturel delexploitation des uvres, sont impuissants compenser correctement le transfert de la valeur et assurer auxcrateurs un juste retour sur la richesse cre en aval, les pouvoirs publics sont lgitimes intervenir. Ilspeuvent notamment utiliser linstrument de la fiscalit, qui permet de faire contribuer au financement de lacration des acteurs qui nexploitent pas directement les contenus, mais profitent de leur circulation etbnficient, ce titre, dexternalits positives.
  24. 24. Mission Culture Acte II Synthse19Lacte II de lexception culturelle doit donc poursuivre deux objectifs complmentaires : garantir larmunration des crateurs au titre de lexploitation numrique de leurs uvres, et renforcer la contributiondes acteurs numriques au financement de la cration.1. GARANTIR LA RMUNRATION DES CRATEURS AU TITRE DELEXPLOITATION NUMRIQUE DE LEURS UVRESa. Encadrer le partage de la valeurLa question du partage de la valeur lie lexploitation en ligne des uvres se pose un double niveau : dunepart, entre titulaires de droits et diteurs de services en ligne (services de streaming, plateformes de vido lademande, magasins de livre numriques, etc.), et, dautre part, entre les crateurs et leurs diteurs ou leursproducteurs. Si ces questions relvent titre principal de la libert contractuelle, la puissance publique estfonde en assurer la rgulation, dune part afin de corriger certains rapports de force dsquilibrs, dautrepart afin dassurer une transparence qui semble aujourdhui faire dfaut. Cette rgulation doit prioritairementsappuyer sur la ngociation interprofessionnelle, ventuellement complte par un dispositif indpendantdobservation et de mdiation de nature viter au maximum le recours au juge. Le partage de la valeur entre contenus et services (cf. fiche B-2)Les rapports entre ceux qui crent ou produisent les uvres et ceux qui assurent leur diffusion ou leurdistribution en ligne restent globalement difficiles. Ces tensions sexpliquent la fois par la diminutiongnrale des prix unitaires qui a accompagn la dmatrialisation des biens culturels et par lmergence denouvelles formes dexploitation inconnues dans lunivers analogique. Ces modles daffaires, qui ne sont pasencore stabiliss, bouleversent les conditions traditionnelles de partage de la valeur et suscitent desincomprhensions. Les tensions les plus fortes concernent les modles gratuits financs par la publicit.La question du partage de la valeur se pose, toutefois, de manire trs diffrente selon les secteurs. Le secteurde la musique enregistre, qui est la fois le plus avanc dans la transition numrique et le moins rgul, estaussi celui o les rapports sont les plus tendus, malgr les progrs conscutifs la signature, en janvier 2011,de la Charte des 13 engagements pour la musique en ligne. Les reprsentants des plateformes franaisesestiment que les conditions imposes par les dtenteurs de catalogues ne leur permettent pas datteindre larentabilit et encore moins de financer les investissements indispensables linnovation, au marketing et audveloppement international. Les barrires lentre persistent et conduisent une situation paradoxale :tandis que le chiffre daffaires de la musique en ligne crot fortement, aucun nouvel acteur franais nmerge etde nombreux acteurs existants disparaissent ou sont menacs. Les risques de concentration de loffre autourdun oligopole majoritairement amricain sont rels.Dans tous les secteurs, une rgulation des rapports contractuels contribuerait garantir une juste valorisationdes contenus tout en permettant aux services numriques de se dvelopper, dinnover, de conqurir denouveaux publics en France et ltranger, et, in fine, de crer de la valeur. Elle serait de nature favoriserlgalit de traitement, tant du ct des dtenteurs de catalogues que du ct des plateformes, et lmergencede nouveaux acteurs, indispensable la diversit de loffre. Elle serait, surtout, la traduction dune logique defilire par laquelle industries de la cration et services en ligne reconnatraient leur communaut dintrts etsengageraient en faveur du dveloppement dun cosystme diversifi et viable.Cest la raison pour laquelle il est propos dinclure, dans les codes des usages sectoriels dont la missionpropose la cration, un volet relatif aux relations entre fournisseurs de contenus et diteurs de services en
  25. 25. Mission Culture Acte II Synthse20ligne. Ces codes auraient pour objet dencadrer les pratiques contractuelles (transparence des conditionsgnrales, avances, minima garantis, etc.). Ils pourraient prvoir une modulation des taux de rmunration enfonction de lanciennet des uvres. Afin de stimuler linnovation et de favoriser la concurrence, ils pourraientgalement prvoir des conditions plus favorables pour les services en phase damorage. En revanche, ilsnauraient pas vocation fixer de manire rigide la cl de partage des recettes, qui doit continuer de relever dela libre ngociation entre les parties.Par ailleurs, afin dassainir et dapaiser les relations entre diteurs ou producteurs de contenus et diffuseurs oudistributeurs en ligne, la transparence doit tre renforce. Au plan individuel, les modalits de reportingdoivent tre prcisment encadres, afin de permettre aux producteurs, diteurs et socits de gestioncollective, de connatre avec certitude le nombre exact de ventes ou de diffusions dont leurs uvres ont faitlobjet ; la certification des relevs de vente ou de diffusion par un tiers de confiance pourrait treencourage, voire impose partir dun certain chiffre daffaires ou dun certain niveau daudience. Au plancollectif, il est essentiel de pouvoir disposer de donnes fiables, rgulirement actualises et certifies par uneautorit indpendante. Il conviendrait donc de dfinir, sous lgide du CSA, rgulateur de loffre culturellenumrique, des procdures de mise en commun des informations sur le partage de la valeur, encadres pardes garanties permettant la fois de protger le secret des affaires et dviter tout risque dentente. La rmunration des crateurs (cf. fiche B-3)Lautodition et lautoproduction, rendues plus accessibles par les technologies numriques, permettent unnombre croissant de crateurs de saffranchir de la tutelle dun intermdiaire et, ainsi, de conserver une partplus leve des revenus de leurs ventes. Toutefois, sous rserve de quelques exceptions trs mdiatises, lesauteurs autodits et les artistes autoproduits peinent souvent se faire connatre et merger au milieu delhyper-offre numrique. Plus prometteuse est lmergence de nouvelles formes dorganisation (cooprativesddition numrique, collectifs dartistes), qui garantissent aux crateurs un meilleur partage de la valeur quecelui applicable dans les modles traditionnels, tout en leur prodiguant un soutien artistique, technique oucommercial dont ils ne bnficieraient pas en autodition ou en autoproduction.Dans les circuits plus traditionnels, les conditions de rmunration des crateurs (auteurs et artistes) tardent sadapter lvolution des modes dexploitation des uvres. Cette situation entrane une insatisfactioncroissante des crateurs et, parfois, une incomprhension du public ; elle accrdite lide selon laquelle lepiratage ne nuirait quaux industries culturelles et nincite pas les internautes se tourner vers loffre lgale.Sagissant du livre numrique, les pourcentages reverss par les diteurs aux auteurs sont, en rgle gnrale,lgrement plus levs que pour le livre imprim ; toutefois, compte tenu de la diffrence de prix, cespourcentages se traduisent par une rmunration lacte plus faible en valeur absolue. En outre, larmunration des auteurs au titre des nouveaux modles dexploitation (offres de bouquets de livres ,location, modles gratuits financs par la publicit, vente des livres au chapitre, etc.) soulve de nombreusesinterrogations.Sagissant de la musique enregistre, le niveau des royauts perues par les artistes interprtes au titre delexploitation numrique (tlchargement et streaming) est rgulirement contest : les abattementspratiqus, calqus sur le physique ou propres au numrique, conduisent des taux de redevance relsnettement infrieurs aux taux affichs. En consquence, la baisse des revenus unitaires lie ladmatrialisation se double dune diminution de la part relative revenant lartiste. Par ailleurs, les musicienset artistes daccompagnement ne bnficient gnralement daucun intressement sur lexploitation de leursenregistrements, car ils cdent leurs droits voisins contre une rmunration forfaitaire. Seules les raresexploitations relevant de la gestion collective volontaire (par exemple les webradios) donnent lieu auversement dune rmunration proportionnelle.
  26. 26. Mission Culture Acte II Synthse21Sagissant, enfin, de la vido la demande, certains auteurs sont rmunrs dans le cadre dune gestionindividuelle, tandis que les autres continuent de relever de la gestion collective de la SACD ; cette situation estsource dingalits et dinscurit juridique. Les comdiens, quant eux, ne reoivent quasiment aucunermunration au titre de lexploitation en ligne des uvres audiovisuelles auxquelles ils ont contribu ; eneffet, la plupart des contrats de production audiovisuelle liant les comdiens aux producteurs audiovisuelsprvoient une rmunration globale forfaitaire et les accords collectifs qui prvoient des rmunrationsproportionnelles ne couvrent que trs imparfaitement les nouveaux modes dexploitation.La part des revenus numriques dans le chiffre daffaires total des industries de la culture est appele crotrefortement. Il est donc essentiel de garantir aux auteurs et aux artistes interprtes un intressement juste etquitable aux fruits de ces exploitations, sans remettre en cause les mcanismes de financement et dedistribution des uvres, ni la relation contractuelle liant lauteur ou lartiste interprte lditeur ou auproducteur.A cette fin, la mission prconise la conclusion daccords collectifs, tendus lensemble du secteur par arrt,pour dterminer le taux minimum et lassiette de la rmunration. Les socits de gestion collective dauteurset dartistes devraient ensuite tre mandates par les producteurs et les diteurs afin de percevoir et rpartirces rmunrations, en contrepartie dobligations relatives lefficacit de la rpartition et sa transparence.Ce systme permettrait de calculer les rmunrations dues aux auteurs et aux artistes sur des assiettes simpleset transparentes, correspondant au prix rellement pay par le public ou aux recettes rellement encaissespar lditeur ou le producteur. Il dchargerait les diteurs et les producteurs dune gestion lourde et complexeimpliquant une multitude de nanopaiements tout en garantissant aux crateurs des conditions dermunration lisibles et transparentes, que la gestion individuelle choue parfois assurer. Cas particuliersDans le domaine de la musique en ligne, la gestion collective des droits (cf. fiche B-4), mode de gestionparticulirement adapt lexploitation numrique des uvres, facilite laccs des services en ligne auxcatalogues des titulaires de droits, assure la transparence et lgalit de traitement entre plateformes et entreayants droit, garantit la juste rmunration des auteurs et des artistes et facilite la gestion des nanopaiementsgrce une mutualisation des cots de traitement et une simplification des modalits de reporting.La gestion collective volontaire des droits dauteur, que les multinationales de ldition tendent remettre encause aux Etats-Unis, doit donc tre protge. La reprise des catalogues en gestion individuelle serait porteusede lourdes menaces, non seulement pour les socits de gestion collective, mais galement pour les auteurs,pour la diversit culturelle et pour le dveloppement de loffre lgale. Il est donc essentiel que les autoritsfranaises veillent, dans le cadre des ngociations internationales, ce que la gestion collective des droitsdauteur ne soit pas remise en cause.En outre, dans lhypothse o les producteurs phonographiques refuseraient la rgulation ngocie proposeplus haut (tablissement dun code des usages sur les rapports avec les plateformes et conclusion dun accordcollectif sur la rmunration des artistes), la mise en place dune gestion collective obligatoire des droitsvoisins pourrait tre envisage. Il sagirait de tirer les consquences de la dfaillance de la gestion individuellequi ne permet pas une exploitation des uvres dans des conditions satisfaisantes et qui cre des entraves audveloppement de loffre, des distorsions concurrentielles et des dsquilibres dans le partage de la valeur.Dans le domaine de la photographie (cf. fiche B-5), la circulation numrique des images soulve desinterrogations quant leur valeur et occasionne des atteintes aux droits moraux et patrimoniaux de leurscrateurs. Les banques dimages prix casss (microstocks) se dveloppent, sans que leur conformit au droitfranais de la proprit intellectuelle soit clairement tablie. Des services de rfrencement et dindexation
  27. 27. Mission Culture Acte II Synthse22crent de la valeur sans la partager avec les crateurs et sans gard pour leur droit moral. Enfin, la mention droits rservs est utilise de manire de plus en plus frquente et, souvent, abusive.La dfense des droits des photographes lre numrique passe sans doute moins par une modification ducode de la proprit intellectuelle que par une approche fonde sur la pdagogie, visant assurer le respect dudroit en vigueur. Il parat donc souhaitable de soutenir les organismes professionnels dans leurs actions desensibilisation et de dfense des intrts matriels et moraux de la profession. En outre, en vue de mettre finaux pratiques les plus contestables, il conviendrait dentreprendre une dmarche pdagogique qui pourraitprendre la forme dune large concertation, dbouchant sur la signature dun code de bonne conduite. Enfin, larvision imminente des conditions dattribution des aides la presse pourrait tre loccasion de soutenirlactivit des photographes professionnels, soit sous la forme daides directes aux agences professionnelles dephotojournalisme, soit par le biais dun conditionnement des aides alloues aux agences et aux diteurs depresse.Sagissant du spectacle vivant (cf. fiche B-6), la diffusion numrique des captations sonores ou audiovisuelles,en direct ou en diffr, reprsente une opportunit la fois pour la diffusion du spectacle en direction dunpublic largi et pour lconomie du secteur. Cette nouvelle forme dexploitation connat une forte croissance,que ce soit sur les plateformes gnralistes, sur des services ddis ou sous forme de retransmissionscollectives.Nanmoins, les producteurs de spectacle ne disposent pas, lheure actuelle, de droits sur la captation desspectacles dont ils ont assur et financ la production. Ils ne sont donc en mesure ni dautoriser ou dinterdirela diffusion de ces captations, ni dobtenir, en contrepartie, une rmunration proportionnelle aux recettes delexploitation. Pour remdier cette situation, qui nincite pas les producteurs investir dans les nouveauxusages, il est suggr dinstaurer, leur profit, un droit sui generis.b. Consolider la rmunration pour copie prive et anticiper latransformation des usagesLa rmunration pour copie prive (cf. fiche B-7), prleve depuis 1985 sur les supports vierges et les matrielsde stockage, complte les revenus directement tirs de lexploitation numrique des uvres. Il sagit dunesource importante de revenus pour les auteurs et les artistes ; les cls de rpartition prvues par la loi leur sonten effet plus favorables que les taux de rmunration ngocis contractuellement avec les diteurs et lesproducteurs. La rmunration pour copie prive contribue aussi, travers laction artistique et culturelle laquelle sont affects 25% de son produit, au financement de la cration, du spectacle vivant et de la formationdes artistes. Au-del de sa vocation premire, qui est de compenser lexception de copie prive, elle permet,indirectement, de corriger quelque peu le dplacement de valeur qui sest opr, dans le budget des mnagesconsacr la culture et au divertissement, au dtriment des contenus et au profit des matriels.Ce mcanisme vertueux est aujourdhui confront dimportantes difficults. Les contestations dont il faitlobjet de la part des industriels se sont traduites par lannulation de plusieurs dcisions relatives aux barmeset par un blocage de la commission charge de les adopter, en raison de la dmission de cinq des sixreprsentants des industriels. Les fabricants et importateurs de matriels estiment que les barmes franais,qui figurent parmi les plus levs de lUnion europenne, psent sur les prix de dtail et favorisent ledveloppement dun march gris. La mesure du prjudice, au cur de la dtermination des barmes, ne faitpas consensus, et lassujettissement des nouveaux usages lis au cloud computing donne lieu de vifs dbats.Enfin, la suite de la mdiation conduite par M. Vitorino, les instances europennes ont annonc vouloirharmoniser les dispositifs mis en place dans les diffrents Etats membres, ce qui fait craindre une remise encause du systme franais.